La Lionne Skaja et Beethoven à Piano Jacobins

COMPTE-RENDU, concert. Festival Piano aux Jacobins. Cloître, le 25 septembre 2019. BEETHOVEN. E. LEONSKAJA.

LA LIONNE-SKAJA FACE À BEETHOVEN EN SON HIMALAYA

Nous avons eu la chance cette année de pouvoir écouter plusieurs grands pianistes capables de se lancer dans une intégrale des sonates de Beethoven au concert, en plus d’admirables versions isolées bien entendu. Mais ce soir ce qui vient à l’esprit de plus d’un, est de savoir comment la grande Elisabeth Leonskaja va s’y prendre  pour jouer en un concert les trois dernières sonates de Beethoven. Les banalités fusent dans le milieu du piano classique comme celle de dire qu’à cet Himalaya du piano est dû un respect admiratif qui frise la dévotion.

Disons le tout de go : la Leonskaja se transforme en Lionne-Sakja et ne fait qu’une bouchée de cet Himalaya. Daniel Barenboim a une tout autre attitude lui qui, à la Philharmonie de Paris, nous a régalés dans d’autres sonates par un patient travail sur le style, les couleurs et le toucher exact entre classicisme et romantisme. François Frédéric Guy à La Roque d’Anthéron est tout entier au service du message beethovenien, si humain et émouvant par la lutte qu’il a mené pour vivre en sa dignité de génie mutilé. Elisabeth Leonskaja arrive en majesté sur la scène du Cloitre des Jacobins. Elle demandera au public une concentration extrême en jouant d’affilée les trois dernières sonates sans entracte. Le choc a été atomique. En Lionne affamée elle se jette sur les sonates et avec voracité ose les malmener pour en extraire une musique cosmique. Comme une lionne qui le soir après la chasse, après s’être repue et s’être désaltérée au fleuve, regarde le ciel et tutoie les étoiles dans un geste de défi inouï. La grandeur de la vie avec sa finitude qui exulte face à l’immanence ! De ce combat il n’est pas possible de dire grand chose comme d’habitude ; décrire des mouvements, des thèmes, des détails d’interprétation en terme de nuances, couleurs, touchers, phrasés.… Si une intégrale en disques se fait dans cette condition d’urgence il sera possible d’analyser à loisir. Pour moi ce soir est un défit lancé par la Grande Musicienne au public et à la critique : osez seulement dire quelque chose après ça ! Oui Madame j’ose dire que votre grande carrière est couronnée par cette audace interprétative. Nous avons beaucoup aimé vos concertos de Beethoven avec Tugan Sokhiev les années précédentes et attendons l’intégrale promise en CD. Nous savons que vous enregistrez beaucoup et en même temps pas assez pour vos nombreux admirateurs. Nous avions eu la chance de nous entretenir avec vous et vous nous aviez dit que pour vous la plus grande qualité de l’interprète est de savoir donner sans compter tout au long de sa carrière.

Ce soir vous avez donné sans retenue, sans prudence, sans le garde-fou de la recherche d’exactitude stylistique. Ce concert a été hors normes. Vous avez prouvé une nouvelle fois  que Sviatoslav Richter, qui vous a admirée dès vos débuts, avait vu juste. Il savait que vous aviez cette indomptabilité totale tout comme lui.

Le tempo, les nuances, la pâte sonore, la texture harmonique, vous avez tout bousculé, tout agrandi, tout magnifié et Beethoven en sort titanesque et non plus simplement humain. Une musique des sphères, d’au-delà de notre système d’entendement et pourtant jouée par deux mains de femme et composée par les deux mains d’un simple mortel. Ce fût un choc pour le public, un choc salvateur pour sortir d’une écoute élégante, polie et qui endort les angoisses de l’âme. Ce soir, de cette salvatrice bousculade émotionnelle vous pouvez être fière. Vous avez tutoyé le cosmos et nous avons essayé de vous suivre. Bravo Sacrée LIONNE-SKAJA.

Hubert Stoecklin

Compte-rendu concert. Toulouse. 40 ème Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 25 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 30 en mi majeur, Op.109 ; Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur, Op.110 ; Sonate pour piano n° 32 en ut mineur Op.111 ; Elisabeth Leonskaja, piano.

Adam Laloum en poète du piano

Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.

Adam Laloum en poète sensible habité par la musique.

Adam Laloum © Harald Hoffmann
Adam Laloum © Harald Hoffmann

Pour ce Quarantième festival de Piano aux Jacobins les grands pianistes se succèdent à un rythme soutenu et même en choisissant avec soin, la splendeur continuellement renouvelée, ( cf. nos quatre chroniques précédentes), semble un miracle de stabilité dans notre monde en folie : une différente sorte d’excellence chaque soir ! De telles soirées aident à supporter les journées ….

Adam Laloum est peut-être parmi ces immenses artistes celui qui se tient à une place à part, celle du cœur. Du moins pour moi ce concert l’aura été. Je connais bien la musicalité fine de ce pianiste depuis bientôt dix ans et je sais comment chaque fois j’en suis émerveillé. Que ce soit en soliste, en chambriste, en concertiste. Le récent festival de Lagrasse le montre en délicat chambriste, son récent concert de concertos de Mozart à la Roque d’Anthéron en a ébloui plus d’un par sa musicalité mozartienne épanouie, (concert à la réécoute sur France Musique). Ce soir dans l’auguste Cloître des Jacobins après tant de somptueux artistes, Adam Laloum a offert un concert parfaitement construit, dans un répertoire qui lui convient à la perfection. Ce concert est frère de celui de Silvacane en 2017, (voir notre compte rendu) entre Beethoven et Schubert. La sonate n° 28 de Beethoven est une grande sonate, une œuvre de la maturité de toute beauté. Le grand final en forme de fugue est une véritable apothéose. Adam Laloum en domine parfaitement toutes les fulgurances en rajoutant une qualité de nuances et de couleurs d’une infinie variété. Le Beethoven de Laloum a toujours la primauté du sens sans rien lâcher sur la forme. Il cisèle chaque phrase et l’enchâsse dans le mouvement puis dans la sonate entière. Cette conscience de la structure sur tous ces niveaux, la lisibilité qu’il apporte au public, sont des qualités bien rares. À présent la pâte sonore d’Adam Laloum a gagné en richesse. La beauté des sons sur tout l’ambitus est proprement incroyable. La rondeur des graves, leur puissance sans aucune violence fait penser à l’orgue. Après cet hommage au véritable père de la Sonate pour piano, la Grande Humoresque de Schumann ouvre un pan entier au romantisme le plus sublime. Le début dans une nuance piano aérienne nous fait entrer dans la magnifique vie imaginaire de Schumann. Le bonheur, la paix puis la fougue, la passion malheureuse.

Adam Laloum

Pièce rarement jouée en concert, elle met en valeur les extraordinaires qualités d’Adam Laloum. Il en avait déjà offert une belle version au disque mais ce soir l’évolution de l’interprétation est majeure. Capable de nous livrer et la structure quadripartite de l’œuvre et sa fantaisie débridée nécessitant beaucoup d’invention dans le jeu pianistique. Les partis pris du jeune musicien tombent chaque fois à propos avec une beauté à couper le souffle. Un vrai engagement d’interprète et une virtuosité totalement maitrisée rendent l’instant sublime. Mais ce qui va véritablement faire chavirer le public est son interprétation unique de l’avant dernière sonate de Schubert. La D.959 est jouée avec une fougue et une tendresse incroyables. Schubert, qui dans le deuxième mouvement chante le bonheur à porté de main mais qui s’enfuit, trouve dans le jeu d’Adam Laloum une deuxième vie. Les nuances sont subtilement dosées et le cantabile se déploie comme le faisait Montserrat Caballe avec ses phrases de pianissimi sublimes dans Bellini et Donizetti. Car les pianissimi sont d’une couleur suave certes mais surtout d’une plénitude incroyable. Jamais de dureté ou d’acidité. Toujours une onctuosité belcantiste. Ce deuxième mouvement Andantino, l’un des plus beaux de Schubert, avec sa terrible tempête centrale, est un pur moment de magie sous les mains si expertes d’Adam Laloum. Le Scherzo nous entraine dans quelques danses qui deviennent véritablement fougueuses et heureuses à force de tournoyer sur elles même dans des variations que l’on aimerait perpétuelles tant elles sont belles. Le long rondo final n’est que tourbillon de gaieté et d’envie de vivre. Tout coule, avance et les nuances pleinement assumées, les phrasés variés à l’envie en font une vraie musique du bonheur que quelques modulations assombrissent un court instant. Le bonheur de Schubert est aussi vaste que sa mélancolie. Adam Laloum est probablement le plus émouvant interprète de Schubert contemporain. Un vrai compagnon d’âme du Frantz Schubert que ses amis aimaient tant lors des shubertiades.

Dans les rappels du public qui se terminent en standing ovation il revient à Schubert. Un vrai bonheur partagé !

Hubert Stoecklin


Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.

Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com