Comme un rêve au milieu d’un terrible cauchemar.

Thierry d’Argoubet, responsable de la programmation de l’orchestre,  ne pouvait mieux choisir pour le dernier concert de la saison de l’orchestre avant l’été. Le confinement nous a privé de très nombreux concerts, je n’y reviendrai pas, le vide a été énorme. Ainsi la réouverture de la Halle-aux-Grains au public avait déjà été un rêve en soi. Nous avons dit combien le concert de retrouvaille avec l’orchestre et Tugan Sokhiev avait été un vrai bonheur. (Voir notre chronique précédente).

Mais ces concerti de Bach pour deux, trois et quatre claviers sont un vrai bonheur à eux seuls. Cette musique dansante, charmante, charpentée et aérienne est un miracle de perfection. La manière dont les pianos ont su s’approprier ses partitions écrites pour le clavecin tient de la fête. Chaque fois qu’il est possible de les entendre c’est un moment de musique inoubliable.

Déjà en 2018 peu après la sortie du Cd qui contient ces concerti du bonheur par les même interprètes un concert nous avait ébloui dans cette même salle.

Halle-aux-grains

Ce soir le propos est encore plus éclatant, véritable manifeste pour la vie. Nos quatre amis pianistes ont tous  été confinés et c’est leur premier concert avec du public depuis cette triste période. Quatre mois sans jouer en public ! Il est facile d’imaginer la joie de jouer ces partitions et ensemble ! Le bonheur était évident, et l’orchestre de cordes issu du Capitole également semblait heureux de participer à cette fête. Ensemble tous les musiciens nous ont donné une interprétation toute de fine musicalité, de phrasés élégants, de nuances subtiles et de doigts légers. Un piano « tout simple » qui sans effets inutiles donne vie à la danse heureuse contenue dans ces partitions ; les mouvements lents tout empreins de tendresse et de retenue sont des moments précieux. Jacques Rouvier le professeur des trois autres pianistes est celui qui semble le plus amusé par la situation et la déguste avec une sorte de gourmandise. Emmanuel Christien et Audray Vigouroux sont plus concentrés mais le sourire aux lèvres est présent avec un jeu toujours expressif. Quand à David Fray son jeu est très habité, le jeune musicien semble traversé par une urgence. Ses gestes de direction sont plutôt des relances et des encouragements mais on devine bien qu’il cherche à garder tous en lien et qu’il porte le projet. Les cordes sont très présentes avec beaucoup de légèreté et de précision. Le moindre pizzicato est plein d’intention. Nous avons eu un beau concert de partage et d’écoute mutuelle, de recherche de légèreté et d’élégance dans ce monde meurtri par la peur : nous ne pouvions rêver d’avantage. C’est exactement ce qu’il nous fallait : la musique du bonheur retrouvé et surtout partagé. Le public (toujours masqué et un peu plus nombreux) a exulté et a obtenu deux bis : les deux mouvements extrêmes du concerto à 4 pianos ; celui que Bach a adapté d’après Vivaldi à l’origine pour quatre violons.

Et nous pouvons retrouver ces musiciens attachants dans ce beau programme avec leur CD qui reste l’un des plus stimulants que je connaisse.

Compte rendu Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 2 Juillet 2020. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour quatre pianos en la mineur BWV1065 ; Concerto pour trois pianos en ré mineur BWV 1063 ; Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV 1061 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur BBV 1060 ; David Fray, Jacques Rouvier, Emmanuel Christien, Audray Vigouroux : piano ; Cordes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, direction.

Hubert Stoecklin

PS : Le titre m’a été inspiré par David Fray dans ses remerciements après le concert.

Le Festival de salon renaît

XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Vendredi 31 JUILLET 2020. Abbaye de Sainte Croix.  Camille SAINT SAENS (1835-1921) : Odelette op.162 ; Romance op. 37 ; César CUI (1835-1918) : 5 petites pièces op.56 ; Frantz SCHUBERT (1797-1828) : Sonate pour arpeggione et piano en la mineur D. 821  (arrangement Emmanuel Pahud)  ; Maja Avramovic, violon ; Emmanuel Pahud, flûte ; Alessio Bax, piano.

Le retour à la VRAIE VIE

Ça y est l’été a enfin débuté. Comment imaginer un été sans musique et sans festival ? La Provence sans musique en été ça n’existe pas. C’est pourtant ce que l’épidémie de coronavirus a failli obtenir…  Car sans le festival d’Avignon et sans les Chorégies d’Orange le début d’été a été bien triste. Et sans bien d’autres  festivals ou  concerts, tous annulés. C’est conscient de cette fatalité désolante pour les artistes réduits au silence et le public privé de spectacle vivant, que l’émotion m’a gagné en arrivant dans la délicate Chapelle de Sainte-Croix à Salon de Provence. Tout nous prête à la prise de hauteur en ce lieu majestueux. Le promontoire d’où peuvent se contempler les cultures en verger et la nature encore préservée de la plaine de Salon, le soleil qui y cogne dure partout et ici ce sable blanc qui avec détermination nous enfarine les chaussures. La délicate chapelle accueille ce jour un public très réduit et la porte est  restée grande ouverte durant le concert invitant le chant rythmé des sympathiques cigales. Les consignes sanitaires sont ainsi respectées, le masque est porté par tout le public et les distances permettent de limiter les contacts.  Happy few, but very happy, sous nos masques…

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Emmanuel Pahud : Crédit photo, Denis Felix

Lorsque Emmanuel Pahud entre sur scène avec son complice Alessio Bax l’émotion est perceptible dans la salle. Oui ce n’est pas un rêve les artistes sont véritablement là, comme promis. Jamais probablement la délicieuse Odellette de Saint-Sains n’a fait un tel effet. Les larmes sont monté aux yeux de plus d’un tant la beauté de cette musique a semblé bouleversante. Emmanuel Pahud détendu, concentré et olympien a trouvé un son d’un velours délicat, tandis que le jeu très présent d’Alessio Bax donne un relief concertant à sa partie, bien loin d’être un simple accompagnateur. Ce jeu partagé, cette écoute admirative de part et d’autre nous offre un duo au sommet de la musicalité. Plus émouvante encore sera la Romance op. 37, pleine de mélancolie et de charmes permettant un délicat équilibre entre le chant éperdu de la flûte et la profondeur harmonique du piano. Nos deux complices rivalisent de finesse et de beauté de sonorité. Dans des phrasés éperdus ils donnent beaucoup de puissance d’évocation à cette trop courte pièce. Entre ces deux belles partitions de Saint-Saëns les cinq petites pièces de César Cui pour violon, flûte et piano sont une totale découverte. César Cui parfait contemporain de Saint-Saëns est connu pour avoir écrite le manifeste du Groupe des cinq. Ces 5 pièces de charme sont agréables et très variées, faussement simples et faciles.  Elles sont très bien écrites en équilibrant très agréablement les trois instruments offrant à chacun des moments dans lesquels briller. Les trois musiciens dans une complicité de chaque instant se régalent et nous régalent. La troisième pièce est peut-être la plus « Russe » avec cette mélodie mélancolique offerte au violon et les commentaires légers de la flûte, tandis que le piano tient dans une danse lente et triste tout l’ensemble. La musicalité et l’écoute des trois musiciens permet d’atteindre un équilibre délicat. Le violon sensible à la sonorité pleine et riche de Maja Avramovic  fait merveille , le piano toujours juste sachant capter chaque variation de caractère d’Alessio Bax donne beaucoup de force à la partition, tandis qu‘Emmanuel Pahud avec une aisance souveraine semble surfer avec une totale liberté, tout heureux de ce partage entre fins musiciens. Le public accueille très chaleureusement ces cinq pièces rares.

Car ce que j’aime aussi beaucoup à Salon c’est la qualité de la programmation avec chaque année son lot de découvertes et de raretés. César Cui sort ainsi des livres d’histoires de la musique et a repris vie ce midi à Salon.

La partition emblématique qui termine le concert vaut à elle seule le déplacement. La sonate arpeggione de Schubert est une véritable merveille et la version à la flûte est particulièrement séduisante.

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Alessio Bax: Crédit photo, Marco Borggreve

La complicité entre Alessio Bax et Emmanuel Pahud nous offre une interprétation très équilibrée entre les deux instruments; très mobile et vivante. La souplesse des tempi apporte beaucoup de vie et même de truculence. Comme souvent la danse s’invite dans le jeu du flutiste et la même capacité se retrouve dans le jeu de Bax. Le final gagne ainsi en vie et en liberté. C’est vraiment ainsi que nous imaginons Schubert, capable d’aimer la vie en toute simplicité dans les moments de détresse, lui qui écrivit cette incroyable partition pour un instrument mort-né : l’arpeggione. La mélancolie la plus délicate rencontre une sorte de liberté simple capable d’humour potache. Les rubati esquissé dans les premiers mouvements sont irrésistibles dans le final. Emmanuel Pahud et Alessio Bax partagent une capacité d’inventions et d’audaces qui fait la vraie originalité des interprètes : par exemple, les phrasés plus profondément creusés, les nuances plus appuyées, la danse plus physiquement présente.  C’est cela qui fait le prix des concerts. Ce sont des rencontres qui permettent de bouger les lignes d’interprétations certes merveilleuses mais figées au disque. La musique vit et nous donne de la vie. Le public plus sage qu’à l’accoutumée, c’est un effet du post confinement je pense, a applaudi copieusement les interprètes. Le festival de Salon démarre bien. L’été est ( enfin) là !

Hubert Stoecklin

FESTIVAL DE SALON