Nelson Goerner à Piano Jacobins

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. 43 ième FESTIVAL PIANO JACOBINS.

30 sept. 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. I.ALBENIZ. F. CHOPIN.

Nelson Goerner éblouissant à Piano Jacobins

Nelson Goerner a fermé avec un éclat particulier la 43° édition de Piano Jacobins. Le pianiste argentin a atteint un statut de démiurge qui se confirme à chaque apparition. Cet été à La Roque d’Anthéron déjà nous avions été éblouis. Ce soir dans la magnifique et chatoyante acoustique de la salle capitulaire du Cloitre des Jacobins il ne se perdait pas la plus petite nuance, l’inflexion du phrasé la plus subtile, comme les couleurs les plus chatoyantes. Le jeu de Nelson Goerner dans les ballades de Chopin est comme improvisé avec une puissance créatrice inouïe. Il s’approprie ces pages si personnelles de Chopin, tellement différentes et totalement surprenantes avec une évidence quasi surnaturelle. Aucune séduction facile, un jeu exigeant obtenant une écoute concentrée. Chopin est sous ses doigts un compositeur innovant requérant des moyens considérables. Nelson Goerner interprète ces quatre ballades avec une apparente facilité. Il est étourdissant ! Après un court entracte il choisit les derniers cahiers d’Ibéria d’Albeniz. La peut-être encore d’avantage que chez Chopin, il semble chez lui. L’ampleur des sonorités qu’il trouve font exploser les timbres et s’iriser les couleurs d’une Espagne plus idéalisée que folklorique. Quel beau piano, quelle belle musique ! Nelson Goerner est animé d’une sorte de gourmandise et communique au public son amour pour cette musique aux harmonies si surprenantes, aux rythmes si inventifs et à la virtuosité si grisante. Il domine si superbement ces partitions et nous fait oublier leur incroyable difficulté. Il peut tout jouer, il a la puissance et la grâce du dieu Apollon. Il fait un lien direct entre les compositeurs et le public comme si son jeu était juste celui plein d’humilité d’un passeur.  Le voir si souriant et rayonnant en fin de concert est si agréable que le public lui fait une ovation et obtient évidemment avec des bis de prolonger l’harmonie de la musique partagée sur ces sommets. Nelson Goerner est un musicien géant, son jeu au piano est aussi humble que magnifique !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 30 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert. Frédéric Chopin (1810-1849) : Quatre Ballades. Isaac Albeniz (1860-1909) : Iberia, Cahiers III et IV. Nelson Goerner, piano.

Lien vers Chopin Nocturne par N.Goerner :

Piano féminin à Piano Jacobins

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 21 sept. 2022. Récital Marie VERMEULIN, piano. V. MOREL. Ch. SOPHY. M.BONIS. 

La délicatesse et la charme pour le récital de Marie Vermeulin

Piano aux Jacobins en partenariat avec le Palazetto Bru-Zane reçoit ce soir une artiste délicate dans un programme particulièrement original. Marie Vermeulin a choisi trois compositrices françaises du XIXe siècle. Le patient travail de redécouverte, édition et enregistrements fait par cette fondation basée à Venise au Palazetto Bru-Zane est remarquable et comble un manque cruel. La saison du Palazetto Bru-Zane est internationale et depuis peu une radio en ligne permet de découvrir des œuvres aussi belles que rares. Ce magnifique récital va donc certainement être enregistré et chacun pourra découvrir combien ces compositrices sont talentueuses. Avec un naturel et une amabilité très remarquables Marie Vermeulin donne quelques informations sur l’œuvre qu’elle va interpréter. Ainsi la première compositrice, élève au conservatoire de Louise Farenc, a écrit ces études mélodiques avec une intelligence sidérante. Le terme mélodique est investi totalement par Marie Vermeulin et son interprétation est lyrique et pure à la fois. La mélodie est toujours au premier plan et les éléments virtuoses au second. Cela produit un effet de pureté et de modestie qui met la poésie de la musique à l’honneur. Un jeu nuancé et fluide nous permet de déguster des œuvres toutes agréables, surprenantes et passionnantes. Il est impensable que ces études ne trouvent pas leur place dans les récitals habituels. La génération 1810, ne rougirait pas de la compagnie des études de Virginie Morel. La deuxième compositrice est tout aussi peu connue. Charlotte Sophy a pu être jouée de son vivant et a bénéficié d’un début de reconnaissance même si trop souvent elle ne disait pas que le Ch. de son prénom n’était pas Charles mais Charlotte. Sa sonate est remarquable par sa concision et sa richesse harmonique. Les thèmes sont charpentés et vibrent, les rythmes peuvent être d’une complexité redoutable. Le jeu de Marie Vermeulin gagne en largeur et en puissance. Le final sur une danse bretonne endiablée est enthousiasmant. Le public ravi fait une ovation à l’interprète et semble conquis par cette œuvre. Comment a-t-on pu l’ignorer si longtemps ?

Mel Bonis est mieux connue et bénéficie d’une notoriété enviable pour ses consœurs. Les pièces réunies de manière posthume sous le titre « femmes de légendes » commence à prendre part dans les récitals. Marie Vermeulin distille chaque portrait avec une délicatesse extrême. Son jeu varié et virtuose arrive à nous éblouir, nous émouvoir et nous faire rêver. Il serait tout à fait injuste de cantonner le piano de Mel Bonis à du piano de salon. Cette œuvre remarquable a un pouvoir d’évocation tout à fait troublant lorsque la force de l’interprétation est si belle.

Compositrice grande amie de Debussy, Mel Bonis a une musicalité délicieuse. Le côté impressionniste et symbolique de certains moments musicaux, par exemple dans le portrait de Mélisande, sont de grandes qualités. Marie Vermeulin trouve dans ce répertoire à mettre en lumière toutes ses qualités lumineuses de virtuosité et de poésie. Voilà une très belle artiste dans un répertoire passionnant enfin redécouvert.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert.  Virginie Morel (1799-1869) : Huit études mélodiques :  Introduction, La calma, La disprezata, La berceuse, L’intercezza, Barcarolle, Romanza, Le papillon ; Charlotte Sophy (1887-1955) : Sonate ; Mel Bonis (1858-1937) : Femmes de légendes : Ophélie, Viviane, Phoebe, Salomé, Omphale, Mélisande, Desdemone. Marie Vermeulin, piano.

La nouvelle trompette d’Alison Balsom

CRITIQUE ENREGISTREMENT. ALISON BALSOM : QUIET CITY. WARNER CLASSICS/ERATO. Août 2022.

ALISON BALSOM ouvre un autre monde, une autre galaxie à la Trompette

La trompette classique est un instrument aimé pour son brillant, son audace, ses traits aigus virtuoses (des concertos de Haydn à Poulenc) et ses joutes à fleuret moucheté avec la voix (pensons à Haendel et à Bach). Alison Balsom y excelle depuis ses débuts fracassants en 2000. Ses concerts mettent le public a ses genoux (nous-même en 2017). Ses enregistrements sont tous des références. La trompettiste anglaise est encore bien plus musicienne que cela et avec cet enregistrement somptueux elle ouvre un autre monde, une autre galaxie à son instrument. En rendant un hommage ému aux trompettistes de jazz elle joue des pièces arrangées pour l‘immense Miles Davis. Dans ce CD elle ose tout simplement chercher un autre monde sonore pour la trompette. Un monde de demi-teintes, de brumes, de clair-obscur ou de nuit. Elle ose des notes graves de pure poésie et des phrasés d’une délicatesse de camée.  Ce jeu avec la lumière est fascinant et le programme qui débute avec la pièce éponyme Quiet City de Copland a une véritable cohérence artistique alors que les éléments peuvent paraître disparates. C’est le ton, la poésie qui font l’évidence du programme à l’écoute. Elle s’entoure de musiciens aussi doués qu’elle avec un orchestre d’élites : le Britten Sinfonia dirigé subtilement par Scott Stroman. Et les arrangements et transcriptions sont diaboliquement réalisés et permettent de redécouvrir avec une subtilité éloquente les œuvres si connues comme Rhapsody in Blue, le Concerto Aranjuez ou My Ship de Kurt Weil. Au Centre du récital the Unanswered Question de Charles Ives, autre œuvre originale pour la trompette, est peut-être le joyau en termes de sonorités inouïes, nuances infimes et phrasés de pure poésie.

La virtuosité est tout autre mais non moins spectaculaire : qui aurait imaginé possible un glissando si sensuel pour ouvrir la Rhapsody in Blue ? Qui pensait possibles des volutes pianissimo sur toute la tessiture ? Qui imaginait un souffle si long ? Qui osait rêver cette fragilité qui devient force ? Voilà un travail d’orfèvre avec des complices de génie.

Ce CD est absolument indispensable à tout amoureux de la musique, celui qui l’aime dans ses lumières variées !

Un tel jeu de trompette c’est de la très, très grande classe ; cela grandi l’instrument !

Hubert Stoecklin

QUIET CITY : ALISON BALSOM, TROMPETTE. BRITTEN SINFONIA. SCOTT STROMAN : direction.

7 pistes. 54’06’’. Aaron Copland (1900-1990): Quiet City ; Leonard Bernstein ( 1918-1990) : Lonely Town : Pas de deux (arr. Alison Bolsom) ; George Gershwin ( 1898-1937) : Rhapsody in Blue ( arr. Simon Wright) ; Charles Ives (1874-1954) : The Unanswered Question ; Joachim Rodrigo ( 1901-1999) : Concierto de Aranjuez : Adagio ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis) ; Kurt Weil ( 1900-1950) : My Ship ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis).

Christian Zacharias offre un magnifique récital à Piano Jacobins 2022.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 14 sept. 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano TCHAIKOVSKI. SCHUBERT

C’est un vrai bonheur de retrouver le Cloitre des Jacobins avec un récital d’un musicien si merveilleux. Christian Zacharias nous a offert une soirée de rêve comme il en a le secret. 

Nous avions été subjugués le mois dernier à La Roque d’Anthéron, il jouait et dirigeait avec tant d’élégance le concerto Jeunehomme de Mozart. Ce soir son récital frôle la perfection. Je ne sais quoi préférer. Le programme si bien construit, le jeu naturel et évidant du pianiste, l’ambiance magique du lieu ? Quoi qu’il en soit le public a été unanime qui a fait une ovation tonitruante au musicien. Le concert était annoncé complet et le silence du public qui retenait son souffle a été souvent remarquable par une qualité d’écoute très spéciale. L’alchimie entre le musicien, le public et le lieu a été parfaite.

Les saisons de Tchaïkovski est une œuvre qui renoue avec le succès public et le mérite. Sous les doigts de Christian Zacharias l’œuvre déploie un charme plein de naturel, de surprises avec des nuances très riches, des couleurs variées et des phrasés subtiles. Tout cela avec une facilité déconcertante. Christian Zacharias est un pianiste aux moyens phénoménaux toujours offerts avec naturel et élégance. Jamais aucun effet démonstratif, aucun soulignement des efforts, tout coule sous les doigts de la Musique. L’impression que cet homme EST La Musique se confirme. Il nous offre une courte pièce, probablement de Tchaïkovski, en bis de la première partie.  

Après une courte pose l’artiste se lance dans une interprétation inoubliable de la sonate de Schubert en ré majeur D. 850. Je connais bien sa manière si exquise d’aborder les sonates de Schubert car j’ai écouté tant de fois son intégrale gravée en 1985. Ce soir il a un tempo légèrement plus retenu que dans son enregistrement. Cela lui permet surtout d’être d’une souplesse admirable tout en gardant un rythme implacable. Cette sonate est comme un ruisseau qui coule avec son thème qui la parcourt et revient sans cesse. L’élément liquide que contient le jeu du pianiste convient admirablement à cette sonate du bonheur. Le ré majeur exulte et le chant est celui de la joie. Le dialogue contenu dans le deuxième mouvement est absolument délicieux, plein de tendresse et de délicatesse d’âme. Bien sûr cette musique contient des parts d’ombres mais si infimes et si vite rendues à la lumière solaire que l’impression finale est une joie humaine communicative irrépressible. L’humour du dernier mouvement si proche de l’enfance avec ses toutes dernières notes comme évanouies laisse le public sans voix. Quel chic, quelle classe, quelle perfection ! Le merci à Christian Zacharias prend l’allure d’une cataracte d’applaudissements nourris. Le musicien dans un français exquis offre deux bis en expliquant combien il est quasi impossible du jouer quelque chose après cette sonate, même du Schubert…. Il va toutefois offrir des variations élégantes et légères de Beethoven, puis un extrait de Scarlatti.

Comme rajeuni après ce récital si généreux le musicien de 72 ans quitte le Cloître avec son allure de jeune homme espiègle.  

Un vrai bonheur a irradié ce soir dans le Cloître des Jacobins pour fêter la 43 ième édition de ce si beau festival. Juste débutée le 9 septembre dernier il promet d’autres merveilles !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 14 septembre 2022. Cloitre des Jacobins. Concert.  Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Les saisons Op. 37b ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°17 en ré majeur Op. 53D, D.850. Christian Zacharias, piano.