Même masqués nous revenons au concert

Le retour de LA MUSIQUE à TOULOUSE

Étrange entrée dans la salle qui peut accueillir 2000 spectateurs et ce soir aura une jauge du seul quart ! Tous masqués les spectateurs dégustaient des yeux d’abord leur orchestre retrouvé. Et d’aucun de se dire comment avons-nous pu attendre si longtemps quand il est si naturel de retrouver ces silhouettes connues, ces visages aimés et ces artistes magnifiques ! Et lorsque Tugan Sokhiev est arrivé non par l’arrière mais en face par le parterre déserté quelle émotion. Alerte, dans un français à présent sans accent, il s’est amusé de retrouver son public « tous bleus » (masque oblige). Et de dire combien un musicien ne peut télétravailler et ne fait véritablement son métier qu’en présence du public !

Tugan Sokhiev

L’orchestre était très étalé. Quel son dès les premières mesures de l’orchestre ! Et oui durant le confinement des merveilles d’interprétations enregistrées ont ravi mes oreilles mais rien ne vaut le concert. C’était limpide ! Cette qualité d’écoute incroyable qui permet à l’œil et l’oreille en fusion de détailler tel instrument, d’analyser tel thème, tel contre chant tout à sa guise. Cette respiration du son encore plus large ce soir par le peu de public et l’étalement des instrumentistes.  L’ouverture des Hébrides est un vaste geste symphonique pictural. Le vent, la mer, les embruns, les falaises, la grotte sculptée par les âges, tout un paysage romantique se dévoile sous la direction enthousiaste de Tugan Sokhiev. Les musiciens semblent hors d’eux tant leur plaisir de jouer éclate. Le souffle de cette version est prodigieux.

Cette ouverture ouvre grand nos oreilles.

Pour le concerto en sol de Ravel, l’arrivée de Bertrand Chamayou déclenche des applaudissements nourris.  Le jeune homme est ici dans son pays et il est aimé à la folie. Il faut dire que son jeu ne cesse de gagner en maturité tout en gardant une simplicité humble chez cet artiste d’exception. Bertrand Chamayou tout en rythme précis sait faire chanter son piano, trouve des nuances inouïes et offre une puissante interprétation de ce superbe concerto. Le mouvement central tout de poésie permet au pianiste un somptueux dialogue avec l’orchestre. Nous aimons particulièrement la trompette, le basson et le cor anglais. Ce moment de pure grâce débouche sur un final au rythme enivrant. Tugan Sokhiev est un partenaire de premier ordre demandant à l’orchestre de suivre au cordeau son pianiste. L’accord entre le chef et le soliste est total conférant une grande puissance à ce concerto. Le succès est grand et toute la salle vibre. Bertrand Chamayou offre alors en bis une « Pavane  pour une infante défunte » à la fois émouvante et envoûtante. Ceci nous rappelle qu’il a enregistré une intégrale du piano de Ravel qui a très justement un grand succès.

Pour finir le concert nous revenons à Félix Mendelssohn en Italie cette fois-ci. Cette quatrième symphonie est celle du bonheur, de la jubilation tant orchestrale que de la découverte de l’Italie. Impossible de détailler une interprétation sublime de précision, d’une tension impeccablement construite et qui aboutit en un final de braise. La virtuosité instrumentale est ce soir transcendantale. C’est la joie pure, celle de Mendelssohn fou de l’Italie, celle de Tugan Sokhiev ivre de diriger une telle œuvre et celle de l’orchestre survolté qui semble avide de jouer pour le public. Et que dire du public qui se délecte d’être là, bien vivant et privilégié. Oui la musique est vivante dans le partage. Les musiciens reposés et attentifs ont magnifiquement retrouvé leur public. Et le public sagement masqué a applaudi et crié sa joie et sa reconnaissance dans des bravi généreux.

Un programme parfait pour renouer des liens que le confinement n’a fait que raffermir. Après le théâtre du Capitole c’est la Halle-aux-Grains qui a retrouvé la musique. Que la vie est belle ainsi ! Que la saison sera belle en 2020/2021. Ce sera encore une saison avec Tugan Sokhiev. Ne laissons rien nous gâcher ce pur bonheur qui nous est promis !

Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 26 juin 2020. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Les Hébrides, ouverture, op.26 ; Symphonie n°4 « Italienne » en la majeur, op.90 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano en sol majeur. Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, Direction.


Entre la vie et la mort : l’Opéra ! Hommage à Mady Mesplé.

COMPTE-RENDU, Concert. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE. Le 25/06/2020. F. POULENC. G. FAURE. R. STRAUSS. R. WAGNER. A. CONSTANT. C. HUNOLD. C. LABORIE. S. KOCH. S. DEGOUT. CHOEUR DU CAPITOLE. A. CAIANI.

 

Entre la vie et la mort tout pour la MUSIQUE

Nous étions nombreux à ne plus croire à la réouverture du Capitole avant l’automne en pleurnichant tout bas. La peur de la mort a mis à bas trois productions attendues et de nombreux concerts et ballets. Une saison amputée de son tiers c’est tout à fait incroyable. Exit Platée, Jenufa et Mephistofele ! Un élan brisé ! Des carrières entre parenthèses, des artistes remerciés, des vies vouées à leur art mises au placard ! Et tout ceci par la peur de la mort tapie dans l’air que nous respirons et qui nous a tenus confinés plus de deux mois.

C’est la mort qui finalement a ouvert le Théâtre et de la manière la plus naturelle qui soit. Remercions Chrispohe Ghristi d’être si humain et si habile à déjouer le sort. Une figure Toulousaine tutélaire est morte et rien de plus évident que de lui rendre hommage. S’agissant de Mady Mesplé, quoi de plus naturel que le Théâtre du Capitole lui rende hommage. Mady Mesplé y est née plusieurs fois. Enfant comme spectatrice enthousiaste. Comme pianiste répétitrice ensuite, comme star lyrique suraigüe lors d’une carrière internationale qui la vit rester fidèle à la ville rose qu’elle chérissait et enfin comme dame retirée qui venait aussi souvent que possible comme spectatrice passionnée tant à l’opéra qu’au concert.

Dans des conditions « respectant les normes sanitaires », grâce à la patience des placeurs et des ouvreuses, très lentement le Capitole a bruit de conversations plus sages qu’à l’accoutumée.  Chacun était assez ému pour déguster l’étrangeté de cette soirée. Tous masqués, avec une place vide à son coté, le public avait conscience d’être très privilégié. Les chanteurs ne pouvaient pas non plus cacher leur émotion et leur plaisir d’être là. Et la superbe acoustique du Théâtre de vibrer merveilleusement ! Concert hommage à la voix, à l’émotion, au Théâtre et à la MUSIQUE !

Très bien construit ce programme nous a fait progresser vers le sublime pas à pas. Anaïs Constans, jeune soprano Toulousaine a gardé quelque chose de la timidité de la jeunesse qui crée une émotion délicate. La voix charnue et plus large se déploie avec facilité et la diction est précise.

Stéphane Degout de sa voix chaude et avec générosité a interprété avec émotion et tact les quatre mélodies de cet Horizon Chimérique de Fauré. Noblesse et humour tour à tour présents dans une splendeur de son de chaque instant. Très ému il n’a pas  voulu cacher son large sourire preuve de son bonheur à chanter pour un vrai public.

Le théâtre a fait son entrée avec les larges extraits de la fin du prologue d’Ariadne auf Naxos de Strauss. Avec quelques mouvements, des regards et un déplacement de fauteuil, Sophie Koch a créé un espace scénique crédible, Céline Laborie sachant avec finesse répondre à ses propositions de jeu. Et que dire des voix splendides, larges et ductiles. Si le confinement a eu du bon pour Sophie Koch, c’est de permettre à sa voix si riche de se reposer après la magnifique Kundry in loco en février. Un métal poli aux reflets sombres pour Sophie Koch et de l’argent scintillant pour Céline Laborie. Sophie Koch qui campe Le Compositeur sur les plus grandes scènes prend sous son aile la toute jeune Céline Laborie qui a tout de Zerbinetta. Et le piano de Miles Clery-Fox est tout à fait orchestral et fait de vif argent.  Un vrai bonheur d’opéra recréé pour nous.

Il était bienvenu de repartir vers plus de calme avec la délicate interprétation du Nocturne n°4 « Bal Fantôme » de Poulenc. Christophe Larrieu a trouvé le ton juste entre mélancolie et rêve.

C’est la voix puissante de Catherine Hunold qui nous a ensuite entrainés vers la transfiguration d’Isolde. Certes le piano est un peu mince par rapport à un grand orchestre mais Robert Gonella grand connaisseur des voix et du répertoire a su faire resplendir l’orchestre de Wagner. Catherine Hunold d’une voix d’airain a su nous entraîner loin.

Ainsi c’est le délicat Requiem de Fauré qui a été le moment le plus inoubliable. Le chœur invisible, distanciation oblige, était…. au Paradis ! C’est ainsi que se nomme le dernier cercle avant le plafond. Les voix y montent avec facilité et c’est souvent là que l’acoustique est la plus belle. Ce soir les voix sont descendues du ciel et le résultat a été magique. Tant de beauté et d’émotion tombant du ciel est un cadeau. La magie aurait été totale si la scène où se tenaient les solistes et la pianiste avait également été plongée dans la pénombre…. En l’état la surprise de cette acoustique autrement parfaite, les nuances subtilement perçues et la puissance par moment, tout a été très émouvant. Les solistes : Anaïs Constant et Stéphane Degout ont été au même niveau de beauté et d’émotion dans de très belles nuances. Le Requiem de Fauré a été une fin de concert-hommage de la plus belle musicalité. Car c’est cela qui rassemble autours de Mady Mesplé : elle était musicienne en tout, et sa grande culture musicale lui faisait aimer toutes les partitions. Et quoi de plus gracieux pour l’évoquer au Paradis que le « In Paradisium » qui clôt si magistralement ce Requiem si subtil.

Merci aux forces capitolines pour ce concert avant le long été de fermeture. Vivement la rentrée. Jamais je ne l’aurai attendue dans une telle urgence !

Hubert Stoecklin

Compte rendu concert. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 25 juin 2020. Hommage à MADY MESPLE (1931-2020) ; Gabriel Fauré (1877-1962) : L’horizon Chimérique ; Requiem ; Francis Poulenc (1899-1963) : Montparnasse ; Métamorphoses ; Nocturne n°4 en ut mineur « Bal fantôme » ; Richard Strauss (1864-1949) : Ariade auf Naxos, prologue : duo Compositeur/Zerbinetta, air du Compositeur.  Richard Wagner (1813-1883) : Mort d’Isolde ; Anaïs Constans, Catherine Hunold, Céline Laborie, sopranos ; Sophie Koch, mezzo-soprano ; Stéphane Degout, baryton ; Nino Pavlenichvili, Robert Gonella, Christophe Larrieu, Miles Clery-Fox, piano ; Chœur du Capitole ; Alfonso Caiani, direction.