Le Beethoven de Nemanja Radulovic ensorcèle

CRITIQUE. CD WARNER CLASSICS. L.V. BEETHOVEN. NEMANJA RADULOVIC.DOUBLE SENS. Cto Violon. Sonate à Kreutzer.

La générosité de Nemanja Radulovic s’épanouit totalement dans son Beethoven  

Il est gonflé Nemanja Radulovic. S’attaquer ainsi au concerto pour violon de Beethoven dont tant de belles versions existent ! N’était-ce-pas un peu vain ? Et de manière iconoclaste réécrire la sonate à Kreutzer pour un orchestre à corde en lieu et place du piano ?

En mettant le CD sur ma platiné j’étais un peu sceptique. J’ai été saisi et conquis.

Son orchestre Double Sens qu’il dirige du violon est simplement magique. D’abord ce qui frappe c’est cet allant, cette énergie indomptable qui s’imposent. Des instrumentistes saisissants de précision et de beauté sonore.  Des phrasés d’une grande subtilité et des nuances incroyables. Et le violon de Nemanja Radulovic est bouleversant. Tant de de plénitude sonore, tant de phrasés amples et généreux.  Ces nuances infimes, et des fins de phrases mourantes. C’est très personnel et si « beethovénien ».

Passion, larmes, joie passent dans le jeu intense du violoniste. Voilà une très belle version de ce concerto roi. Les dialogues chambristes avec les instruments de l’orchestre sont bouleversants d’amitié perceptible. Une version qui compte parmi celle des plus grands.

Et la surprise des cordes dans la sonate à Kreutzer ! L’abandon du piano !!  L’audace repose en fait sur un sens musical absolument génial du jeune violoniste. Cette sonate-combat devient un deuxième concerto avec des moments d’intense douleur et de paix diaphane. Comme si le cadre trop large pour une simple sonate qui avait valu tant de critiques du vivant de Beethoven trouvait le vaste espace nécessaire dans l’adaptation de Nemanja Radulovic. Il y a des choses que je n’avais jamais remarquées, des rythmes que les cordes intensifient, et un coté tzigane quasi délirant.

Ce diable de violoniste poursuit son chemin hors des sentiers battus tout en tutoyant les sommets de la musicalité. Il se range à côté des violonistes historiques les plus extraordinaires dans la discographie pourtant superlative du concerto.  Voilà un très grand disque.

Hubert Stoecklin

Critique CD. Nemanja Radulovic et Ensemble Double Sens.  Ludwig Van Beethoven (1770 -1827) : Concerto pour violon Op 61 ; Sonate pour violon n°9 “ à Kreutzer », arrangement pour orchestre à cordes de Nemanja Radulovic. CD 5 054 197 743399. Warner Classics. Durée 83’41’. Enregistré en 2023.

Le Boris sévère et froid d’ Olivier PY

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Capitole, le 24 Nov.2023. Moussorgski, Boris Godounov, Py/Poga, Roslavet, Scandiuzzi.

Olivier Py propose une lecture très analytique de Boris.

Boris est un opéra sombre refusant toute séduction au public surtout dans sa partition originale de 1869. Cette version est aujourd’hui bien connue du public. Pour Toulouse, Boris a été donné dans cette version en juin 1998 dans une mise en scène de Nicolas Joël avec Michel Plasson à la baguette. Puis en février 2014 Tugan Sokhiev avait offert une version de concert absolument bouleversante de théâtralité. Mais jamais une version scénique si puissante n’avait été vue in loco. Olivier Py avec un soin méticuleux et une intelligence redoutable nous délivre sa vision. Il s’agit de prendre le plus de recul possible avec la psychologie et de faire des personnages des archétypes. La situation du tyran choisi par son peuple passif et vil n’est pas originale en elle-même.  Aussi dès le lever du rideau nous sommes dans un lieu neutre où des mercenaires maltraitent une foule infantilisée. Tous les conflits anciens ou contemporains sont ainsi présents. C’est toujours le peuple qui est nié avant d’être décimé. Ainsi l’avènement de Boris, son couronnement, ses abus de pouvoir, sa peur de la chute arrivent sans surprises. Et dans la fin choisie par Olivier Py nous assistons bien à la mort du tyran et ensuite à l’avènement du suivant : c’est comme une machine infernale qui jamais ne s’arrêtera. Cette vision essentiellement mélancolique va teinter toute la mise en scène. Le décor est gris, les lumières blafardes ou froides.

Les décors, en tous cas vus depuis le parterre, sont écrasants avec de grands murs ou des immeubles immenses qui ferment l’espace. Le peuple rangé dans des cases représente un peu des icônes tout en or. Les costumes sont sombres ou en or, mais toujours symboliques.

Cette absence de nuance est également l’apanage des tyrannies d’état. Cette Russie symbolisée est comme hors sol, elle nous interpelle avec brutalité. Et l’analogie avec les manières de Poutine aujourd’hui n’est même pas voilée. Ainsi on retrouve sur scène l’immense table actuelle du Kremlin et son lustre.

Lorsque sa paranoïa se développe, Boris ira s’y réfugier et montera dans ce lustre vers les cintres comme pour échapper au faux Dimitri aperçu dans son délire. On retrouve toutes les habitudes des tyrans et la plus machiavélique consiste à réécrire l’histoire. Cette question centrale dans le conflit russo-ukrainien est clairement mise en lumière. Jusqu’à la disparition et au meurtre du petit Dimitri qui évoque les enlèvements d’enfants contemporains en Ukraine. Cette subtile mise en abyme est d’une tristesse insondable, elle marque durablement les esprits. C’est intelligent, brillant et sinistre à la fois. Le travail, scénique avec les acteurs est d’une précision chirurgicale, cette perfection donne aussi un caractère glacé, glacial et glaçant. Toute sympathie, tout apitoiement, tout rapprochement sont donc interdits , à l’inverse du travail de mises en scène « classiques » comme avait pu proposer Nicolas Joël en 1998.  Dans cette mise en scène si aigue, les chanteurs ne peuvent pas s’épancher, ni nouer de relations entre eux. Chaque stéréotype reste seul. Cette sensation de solitude totale participe au malaise général. Olivier Py a trouvé dans le chef Andris Poga un complice qui va évacuer toute sensibilité dans la partition, tout épanchement, tout lyrisme. La direction d’Andris Poga est froide, tout à fait globale, toujours entière, jamais subtile. La partition est un bloc plein d’aspérités et que rien ne peut entamer.

Les acteurs si précisément corsetés sur le plan scénique et musical ne peuvent exprimer leurs affects. Vocalement Boris ne peut, comme cela est possible aux basses nobles titulaires du rôle, jouer avec son timbre.  Les nuances, les rubatos pour exprimer les affres de cette âme tourmentée, complexe et malade sont trop rares.

La voix d’Alexander Roslavets est puissante, plutôt centrale (plus baryton que basse) et sans riches harmoniques graves. Le Pimène de Roberto Scandiuzi est ainsi bien plus charismatique au niveau vocal et son personnage de moine gagne même quelque truculence. Le Faux Dimitri d’Airam Hernandez a vocalement une belle présence et un coté inquiétant qui donne sens aux terreurs de Boris. Cela rend crédible sa prise de pouvoir juste avant le rideau final.  

Le seul personnage qui garde une sensibilité et qui transmet une émotion forte au public est l’innocent. Il est le premier personnage vu sur scène et cette présence forte par sa fragilité assumée reste dans les mémoires. La voix de Kristofer Lundin est très expressive et son jeu poétique très émouvant. Tous les autres personnages sont très stéréotypés. Ils en deviennent secondaires, malgré des voix intéressantes pour toutes et tous ; le baryton Mikhail Timoschenko se dégageant le plus avantageusement. 

Les chœurs du Capitole chantent fort mais ne touchent pas par manque de nuances et de variété de couleurs. L’assise des basses n’est pas assez solide pour sonner véritablement « russe ».

Au final c’est un sentiment trouble qui gagne. Une sorte d’inéluctable, particulièrement mélancolique, domine la soirée. Si scéniquement c’est un travail saisissant, côté musique nous restons sur notre faim et repensons au Boris en version scénique qui nous avait tant ébloui et touché en 2014 dirigé par Tugan Sokhiev avec la voix d’airain de Feruccio Furnaletto.  La partition de Moussorgski y était autrement magnifiée.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, Le 24 Novembre 2023. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, version de 1869. Nouvelle production. Mise en scène, Olivier Py ; Collaboration artistique, Daniel Izzo ; Décors et costumes, Pierre-André Weitz ; Lumières, Bertrand Klilly. Distribution : Boris, Alexander Roslavets ; Fédor, Victoire Brunel ; Xénia, Lila Dufy ; La nourrice Svetlana Lifar ; Prince Chouski, Marius Brenciu ; Chtchelkalov, Mikhael Timoshenko ; Pimène, Roberto Scandiuzi ; Grigori/Le faux Dimitri, Airam Hernandez ; Missail, Fabian Hyon ; L’aubergiste,Sarah Laulan ; l’Innocent, Kristofer Lundin ; Chœurs et maitrise du Capitole ( direction : Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole de Toulouse. Direction, Andris Poga.

Hubert Stoecklin

Photos : Mirco Magliocca

Raphaël Pichon et Pygmalion et … Bach !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023. BACH, PYGMALION, PICHON.

Le Bach festif de Raphaël Pichon est un véritable enchantement

Quel bonheur de retrouver Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion. Chaque fois c’est un grand moment de musique et de théâtre. Les Grands Interprètes les invitent presque chaque année avec le même bonheur. Avec Bach c’est comme si Raphaël Pichon renouvelait ses sensationnels premiers concerts qui d’emblée ont eu un succès gigantesque. Les enregistrements des Messes Brèves de Bach ont tout de suite suivi son entré dans la carrière et datent déjà de 2008. La beauté de la fusion chœur et orchestre n’a pas changée. L’énergie jubilatoire reste identique ce qui a grandi c’est la confiance du geste, la largeur du développement des structures qui à présent dépassent l’entendement humain. Son Bach est grandiose, et tutoie le ciel.

Le concert est construit comme un développement dramatique. Après quelques minutes d’intense concentration le chef d’un geste doux et prudent obtient un début A Capella complètement magique. La précision et la douceur de l’attaque de tout le chœur donne le frisson. La conscience que la beauté va nous envelopper nous permet de nous abandonner. Le Motet de Jean Chrétien Bach Mit Weinen het sich’ an, semble à la fois archaïque et regarde vers Mendelssohn. C’est une musique envoutante sans âge. Le chœur est absolument boulversant. Chaque pupitre est d’une homogénéité renversante. Les nuances sont subtiles, les phrasés infinis et les couleurs d’une variété rare. Ce Motet parle des pleurs qui accompagnent l’homme tout au long de sa vie. Puis La cantate de Bach BWV 25 Es ist nichts Gesundes an meinem Leid nous entraine vers la douleur de la contrition. L’impureté de la chaire comme de l’âme de l’homme sont un sujet mis en musique de manière réthorique. Les phrases descendantes, les timbre graves, les trombones et la couleur abyssale du pupitre des basses, tout parle de douleur extrême. Le récitatif du ténor est très dramatique. L’art du ténor Laurence Kilsby est total : Mots percutants, phrasés subtils, voix de lumière. C’est très, très beau. Puis dans son air, la basse de Christian Immler se désole avec un timbre d’une belle profondeur. Le soprano aérien de Maïlys de Villoutreys a une pureté adamantine qui fait merveille dans son air angélique qui porte l’espoir. Le chœur ouvre et ferme la cantate comme un portique gigantesque et terriblement impressionnant. Sans laisser le public applaudir dans un geste d’une implacable continuité Raphaël Pichon entraine toute son équipe dans la si joyeuse cantate BWV 110, Unser Mund sei voll Lachens, le rire propre de l’homme devient celui de la joie de la rédemption promise. La fusion jubilatoire de l’orchestre du chœur et des voix soliste est tout particulièrement réussie. Cette joie communicative gagne tous les musiciens et le public. La grande ouverture à la française avec trompettes et timbales est à la fois grandiose, spectaculaire et souple. C’est le génie de la direction de Raphaël Pichon d’associer ainsi les qualités inattendues que contient la musique de Bach à la fois savante et dansante, profonde et évidente, grande et simple. Le chœur avec des moments solistes enchâssés n’est que jubilation. Les vocalises fusent les nuances sont extrêmes et semblent faciles. Pygmalion est un chœur d’une ductilité totale et d’une souplesse de félins. Chaque entrée permet de déguster des pupitres totalement unis. La beauté du fini vocal est digne de ce qu’a pu obtenir un John Elliot Gardiner avec son Monteverdi Choir, c’est tout dire…. L’air du ténor avec le délicat trio de flutes douces est un pur moment poésie que la voix solaire et tendre de Laurence Kilsby magnifie. Nous découvrons ensuite avec ravissement le timbre de bronze de l’alto Lucille Richardot. Sa voix homogène a un caractère androgyne qui donne beaucoup d’originalité et de grandeur à son chant. La solidité de l’intonation la précision des mots impressionnent grandement ainsi que la souplesse des phrasés. Dans son air à vocalises redoutables Christian Immler fait merveille. La rivalité avec les trompettes est un grand moment festif. La voix d’airain de la basse semble n’avoir aucune limite. C’est un moment grandiose. Enfin après le dernier choral le public peut applaudir et les commentaires vont bon train à l’entracte tant l’impression est favorable et forte.

La deuxième partie sera comme la première construite d’un seul geste dramatique. La cantate BWV 66 Erfreut euch, ihr Herzen n’est qu’une grande jubilation avec éclats de rires. Les violons jouent debout et dans un tempo d’enfer distillent leurs volutes et leurs tourbillons sans efforts apparents. C’est virevoltant et enivrant comme la joie. La présence du pupitre des basses est jouissive et chacun offre sa vision de la joie, instrumentistes comme chanteurs du chœur ou solistes. Raphaël Pichon garde le tempo sans jamais rien lâcher avec toutefois une souplesse remarquable, c’est terriblement efficace.  Qui pourrait douter que le chant choral n’est pas un moment de bonheur absolu en assistant à ce moment de musique magnifique ? 

La grande cantate Ein feste Bourg ist mein Gott atteindra un sommet. La fugue immense magnifiquement lancé par un pupitre de ténors fulgurant est escaladée avec une facilité virtuose inouïe. Tout est magnifique les mots ne peuvent décrire cette jubilation qui envahit toute la Halle-aux – Grains !   Cette puissance gracieuse est simplement incroyable. Les solistes se surpassent et la splendeur des timbres, la solidité des vocalises, les phrasés subtiles et les couleurs irisées sont de grands chanteurs mais surtout d’immenses musiciens. Tous les instrumentistes sont magnifiques. La viole de gambe dans les accompagnements est d’une souplesse admirable, les trompettes naturelles rivalisent de précision et de beauté.  Sans aucune pause après cette presque demi-heure que dure la cantate le chef entraine tout son monde dans le Sanctus de la Messe en si.

Le portique grandiose ouvre le ciel et rien ne semble pouvoir limiter les artistes qui s’abandonnent au geste puissant de Raphaël Pichon lui-même heureux comme un véritable démiurge. La magnificence de cette fusion orchestrale et chorale ne me semble pas avoir d’équivalent aujourd’hui.

  Le concert de ce soir nous fait penser que Raphaël Pichon prolonge le geste dramatique que le chef britannique a offert à la musique de Bach avec son Monteverdi choir en élargissant le propos vers encore d’avantage de contrastes entre jubilation et drame. Offrir tant de bonheur au public méritait bien les ovations sans fin faites aux artistes ce soir

Ce concert est un tout totalement admirable qui justifie pleinement de figurer au firmament des évènements des Grands Interprètes.

Hubert Stoecklin

Pour s’en convaincre un concert de la Messe en Si : Tout simplement magnifique ! le Sanctus est à

1h27’.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Les Grands Interprètes,Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023.Johann Christoph Bach (1642-1703): Motet, Mit Weinen hebt sich’s an ; Johann-Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates BWV 110, BWV 25, BWV 66/1, BWV 80 ; Sanctus BWV 232.  Maylis de Villoutreys, soprano; Lucille Richardot, alto; Laurence Kilsby, tenor; Christian Immler, basse; Pygmalion, choeur et orchestra ; Raphäel Pichon, direction. Photos: DR H.Stoecklin

Idylle par Léa et Thomas : un baume pour l’âme

CRITIQUE CD. Idylle. Lea Dessandre, Thomas Dunford. D’Ambruys, Hahn, Françoise Hardy, Charpentier, Satie, Messager, Lambert, Visée, Le Camus, Debussy, Barbara, Offenbach.Un CD ERATO n° 5054197751462 ; Enregistré en mai 2023.  Durée : 64’23’’.   

Luxe, calme, volupté : si j’étais plus heureux je mourrai de plaisir  

Quel bonheur du début à la fin. La délicate musicalité des deux musiciens fait de ce récital en CD un véritable hommage à la chanson française par-delà les âges et les styles ; Il n’y a là que du beau, du très beau. Bien sur le cœur du répertoire des deux artistes est baroque. De Visée, Lambert, Charpentier, Le Camus. C’est dans ce répertoire que le théorbe de Thomas et le chant subtil de Léa se marient avec une évidence musicale et stylistique toutes deux parfaites. Mais ce pari d’aller vers la mélodie de Reynaldo Hahn ou d’André Messager, vers l’archaïsme reconstruit de Debussy, vers l’opérette d’Offenbach et le charme des chansons de Françoise Hardy et de Barbara est génial. Il n’y vraiment que de la bonne musique défendue avec cette véritable ivresse par nos deux musiciens hyper sensibles. La délicatesse et la puissance du théorbe de Thomas Dunford rencontrent le chant et surtout l’aisance à dire le texte de Léa Dessandre. Car c’est vraiment cette harmonie délicieuse de la musique et du texte qui nous enchante quel que soit le style et l’époque.  A chaque nouvelle écoute c’est un air particulier qui semblera le plus beau. Voilà un CD qui s’écoute avec délectation : au-delà du temps seul compte l’idylle, cet amour léger et heureux. Léa et Thomas, comme ils signent leurs intentions dans la pochette, sont des amoureux de la musique et du texte et cela s’entend. Merci à eux deux qui représentent la quintessence de l’harmonie amoureuse en musique.  La Gnosienne et la gymnopédie de Satie au théorbe sont à tomber et la Mélisande de Léa presque a capella est magique. Que dire de Barbara et Françoise Hardy qui ne déméritent pas à coté de Lambert et Charpentier…. Vraiment de surprises en surprises ce CD s’écoute avec un véritable bonheur toujours renouvelé.Un enregistrement qui sera également donné en récital en une vaste tournée au-delà de l’Atlantique. Parions une tournée triomphale ! La prise de son met en valeur les doigts d’or de Thomas (quelle subtilité) et toutes les inflexions de la voix de Léa, (des voix devrais-je écrire). Voilà une véritable bombe de bonheur, toute en fleurs et d’intelligence musicale, de quoi oublier notre monde en guerre si bêtement répétitif. Hubert Stoecklin

Inoubliable Richard III au Théâtre de la Cité

Critique. Théâtre. ThéâtredelaCité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia].

Guillaume Séverac-Schmitz propose sa deuxième mise en scène shakespearienne. Ce qui frappe dans sa mise en scène c’est la qualité du travail avec les acteurs qui leur permet un jeu très puissant.

Certes le personnage central s’impose indiscutablement et nous détaillerons cet incroyable Richard III. Toutefois les autres personnages ont également une présence inoubliable. Scéniquement la pièce commence avec une adresse au public qui évacue le troisième mur. Durant la pièce la connivence avec le public, ce jeu sur la fiction théâtrale sera merveilleusement utilisé. La nouvelle traduction de Clément Camar intensifie l’implication du public. Pour le couronnement du monstre le public sera invité (une partie du moins) à monter sur scène. Chacun participe ainsi plus ou moins à la naissance du monstre. Le décor est d’une sobriété et d’une simplicité dépouillées.

Tout est symbolique, beau, souvent élégant et peut aussi suggérer l’horreur avec des moyens aussi modestes que puissants. Les lumières sont subtiles et d’une efficacité redoutable. Les costumes sont simples et semblent confortables pour les acteurs sauf pour le triste héros, nous y reviendrons. La modernité de cette pièce saute aux yeux bien souvent. L’utilisation des mensonges et des fausses nouvelles n’a rien à envier aux modernes fake-news. La soif de pouvoir détruit éternellement toute relation humaine normale.  Le conflit des générations explose, la misogynie exsude, la terreur de penser gagne, la séduction par la menace fascine, toutes les violences du monde sont là sous nos yeux. Notre monde contemporain ressemble bien à celui mise en scène par Shakespeare dans cette pièce terrible.

Thibault Perrenoud est un Richard III d’une puissance incroyable.

L’acteur très impliqué va façonner son personnage et nous rend complice de sa métamorphose en un monstre repoussant. Avec une justesse déroutante la difformité s’installe au fur et à mesure que la malfaisance de Richard se développe et agit sur la réalité qu’il manipule.

De la manière dont les attributs du handicap l’habillent, Richard met en scène plus qu’il ne la dévoile la noirceur abyssale de son âme. Il annonce son choix de la méchanceté et de faire le mal et pour cela obtient la complicité du public en voyeurs. Corsets, attelles, fauteuil roulant, rien ne manque à sa panoplie.

Sa fin de vie quasi larvaire, coulé au sol, fascine quand on se rappelle le superbe jeune homme qui avait ouvert la pièce. Ce qui frappe est cette incroyable énergie à la fois jubilatoire et totalement destructrice qui habite le jeu de Thibault Perrenoud.

Pourtant il serait injuste de ne pas décrire les interactions très subtiles entre tous les personnages. Le jeu hyper-construit entre eux et avec Richard est remarquable. Ainsi les Reines de toutes les générations et si maltraitées sortent dignes, majestueuses et au final très belles de cette machinerie mortifère.

La puissance de certaines courtes interventions subjugue et prouve qu’il n’y pas de « petits rôles » . Les images des corps qui s’entrechoquent jusque sur des escaliers-chariots, comme supports des marches du pouvoir sont très puissantes. C’est véritablement un travail de troupe totalement convainquant. Même les machinistes peuvent avoir une présence tragique.

 On sort de cette pièce comme lessivé. Sa modernité est magnifiée avec une intelligence aussi tragique que jouissive par le travail de troupe de Guillaume Séverac-Schmitz.

Le comique de ce « méchant par choix » ne fait que rajouter à la modernité de cette tragédie. Voici un Grand spectacle total et superbement shakespearien ! Grand succès à la première ce soir. Courrez-y ! Il reste deux soirs à Toulouse puis en tournée.

https://theatre-cite.com/programmation/a-venir/spectacle/richard-iii/

Hubert Stoecklin

Critique. Théâtre. Théâtre de la Cité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III, tragédie. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia] ; Spectacle accompagné par le ThéâtredelaCité ; Avec : Louis Atlan, Martin Campestre, Sébastien Mignard, Guillaume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Nicolas Pirson, Julie Recoing, Anne-Laure Tondu et Gonzague Van Bervesselès ; Scénographie : Emmanuel Clolus ; Conseillère artistique : Hortense Girard ; Création son : Géraldine Belin ; Création lumières : Philippe Berthomé ; Création costumes : Emmanuelle Thomas ; Régie générale : Pierre-Yves Chouin ; Régie lumière : Léo Grosperrin ; Cheffe électricienne : Rachel Dufly ; Régie son : Eric Andrieu et Géraldine Belin ; Régie plateau et percussions : Sébastien Mignard ; Construction du décor dans les : Ateliers du ThéâtredelaCité ; Production : [Eudaimonia]. Photo : Erik Damiano.