La Bohème à Toulouse

CRITIQUE.OPERA. Toulouse, le 30 Nov. 2022. G. PUCCINI. LA BOHEME. BARBE et DOUCET. A. CONSTANS. A. ZADA. ORCHESTRE NAT DU CAPITOLE. L. PASSERINI.

Une Bohème solide à Toulouse

Les 4 Compères et Benoit

Cet opéra fait toujours salle comble au point d’être probablement celui qui est le plus souvent représenté à Toulouse. Il a même été possible de proposer deux distributions d’égales valeurs. Comme attendu le succès a été au rendez-vous avec cette nouvelle production solide confiée au tandem Barbe et Doucet. En cette très légère adaptation avec beaucoup de références culturelles et des décors très envahissants, l’exiguïté de la scène a été perceptible. Le parti pris de montrer l’opéra dans une carte postale sépia aurait bénéficié de toiles peintes pour donner de l’air dans l’acte deux et trois. Il n’y a donc pas eu de vrai contraste entre les actes intimistes et en plein air. Ceci est véniel car le public a été conquis. Décors complexes, costumes somptueux et lumières subtiles, tout fonctionne à merveille et le drame se développe sans mal. Le rajout d’accordéon et de chant de rue sont élégants mais assez vains. Voilà donc un travail sérieux mais lourd. Comme l’orchestre d’ailleurs. Le chef italien donne préférence au son, le solide son compact, à la subtilité de la partition de Puccini entre subtils pianissimi et forte brutaux.

Lorenzo Passerini ne recherche pas de contrastes, pas plus que d’atmosphères. C’est le ténor qui fera les frais de ce son plein et envahissant car le Rodolfo d’Azer Zada semble être privé d’harmoniques et sonne bien peu à côté de cet orchestre rutilant. Dommage car son chant est sensible. C’est la Mimi d’Anaïs Constans qui éclaire tout le spectacle. Voix solaire et conduite avec sensibilité, sa Mimi est émouvante et vocalement parfaite.

Le Marcello de Jérôme Boutillier a beaucoup de charisme. Avec une belle voix, très bien conduite, un jeu sincère et émouvant, son Marcello est merveilleux. Le duo à la Barrière d’Enfer avec Mimi est un des moments clés de la soirée. Les autres compères sont bien chantants et acteurs subtils. Guilhem Worms en Colline, Edwin Fardini en Schaunard et Matteo Peirone, ce dernier créant des personnages douteux et drôles en Benoît et Alcindoro.

La Musetta d’Andreea Soare, est presque surdimensionnée tant elle pourrait être une Mimi passionnante. Cela équilibre parfaitement les sopranos dans les ensembles. Il est après tout possible de voir en Musetta un personnage aussi intéressant que Mimi lorsqu’une telle artiste complète s’en empare.  Quelle actrice et quelle belle voix chaude et timbrée !

Bravo à toute la troupe car les petits rôles sont parfaitement tenus et le chœur est plein de vie et bien chantant faisant même le poids vocalement face à l’orchestre extraverti de Lorenzo Passerini.  

Beau succès pour cette nouvelle Bohème capitoline qui a obtenu les applaudissements mérités. En particulier la somptueuse Mimi d’Anaïs Constans.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 Novembre 2022. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, scènes lyriques en quatre tableaux sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après Henri Mürger. Mise en scène, décors et costumes : Barbe & Doucet. Lumières : Guy Simard. Avec : Anaïs Constans, Mimi ; Azer Zada, Rodolfo ; Andreea Soare, Musetta ; Jérôme Boutillier, Marcello ; Guilhem Worms, Colline ; Edwin Fardini, Schaunard ; Matteo Peirone, Benoît / Alcindoro ; Alfredo Poesina, Parpignol ; Bruno Vincent, un sergent des douanes ; Thierry Vincent, un douanier ; Claude Minich, le Vendeur de prines ; Michel Glasko, accordéon. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre National du Capitole, direction : Lorenzo Passerini.

PHOTOS : Mirco Magliocca

Tugan Sokhiev retrouve Toulouse pour un concert mémorable

CRITIQUE.CONCERT. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 17 Nov. 2022. A. BRUCKNER. Symph.8. Orchestre National du Capitole de Toulouse. T. SOKHIEV.

Pour un concert Tugan Sokhiev est de retour, musiciens et public exultent !

Lors de la répétition le sourire scelle l’amitié avec l’ orchestre du Capitole malgré tout ….

D’abord les mesures drastiques durant la pandémie ont privé le public d’une grande partie des concerts mais c’est surtout la maladresse impardonnable de la politique locale qui a privé les Toulousains de plusieurs magnifiques concerts avec le Maestro Sokhiev. 

photo de Romain Alcazar

L’ovation publique à l’entrée sur scène de Tugan Sokhiev libérait la fin de la rage (d’en avoir été privé) et la joie (de le retrouver) comme rarement lors d’un concert. Tugan Sokhiev sombre et concentré ouvre le concert avec une certaine tension qu’expliquent certes les difficultés de la partition, cette symphonie de Bruckner est un monument dangereux pour les chefs les plus avertis, et surtout la victoire sur lui-même qui lui a permis de revenir là où il avait été insulté. Il a pardonné semble-t-il et revient pour son amour de la musique partagé avec ses amis musiciens et ce public qui l’adore. L’ambiance est changée. Une certaine légèreté un enthousiasme joyeux ne se retrouvera plus, certes Tugan Sokhiev a 45 ans mais ce sont plus les évènements recents qui sont responsables de ce changement, plus que l’âge. Les concerts qu’il donnera avec son « ancien orchestre » sont comptés, il y en aura trois dont celui-là. Et il viendra à Toulouse en Mars comme une revanche avec l’un de orchestres les plus merveilleux du monde : La Philharmonie de Vienne.

Photo Romain Alcaraz

Ce soir c’est un magnifique retour avec Bruckner. Le premier mouvement de la 8° symphonie est marqué par une grandeur assumée et une tension ménagée avec art. Un grand chef et un grand orchestre rendent cette partition plus compréhensible, plus clairement charpentée dans une splendeur sonore de chaque instant. Loin des interprétations grandiloquentes qui sont parfois confuses. Avec Tugan Sokhiev tout est clair, limpide et grand. C’est le deuxième mouvement qui permet de retrouver la complicité souriante du chef et des musiciens, la gourmandise aussi. Voir son sourire en lançant les péroraisons des gros cuivres, la malice partagée, la souplesse rythmique sont un vrai bonheur. Ainsi ce Scherzo trouve le caractère que peu de chefs savent lui donner.  Le trio central prépare à la mélancolie de l’Andante. Le retour des thèmes vivants et dansants avec ces cuivres farceurs n’en est que d’avantage savoureux. Et les moments de mystères sont savamment amenés par un Tugan Sokhiev qui retrouve sa totale complicité avec les musiciens et le public. Que de félicité partagée !

Photo Romain Alcazar

Le troisième mouvement un Andante immensément long permet au chef une direction d’un raffinement particulier. Ainsi des phrasés enveloppants, des nuances contrastées, un tempo étiré puis raffermit subtilement donnent beaucoup d’émotions à ce mouvement. Tout cela touche au sublime et le ciel s’ouvre avec les violons et les trois harpes célestes. Ce mouvement est bien le centre vital de la symphonie, le moment ou les chefs lourds s’enlisent. La grâce dégagée par l’interprétation de ce soir restera dans les annales :  quelle magie infinie, quelle suspension du temps et quel apaisement  des peines de l’âme !

Photo Romain Alcazar

Mais tout l’art de Sokhiev ne serait pas complet sans sa gestion incroyable des crescendi. Le final jubilatoire, permettra cela. Les solistes se régalent et jouent leurs plus belles notes. La puissance sans lourdeur trouve l’équilibre parfait entre splendeur des couleurs, irisation des timbres, pleine lumière sur l’empilement des thèmes dont l’enchevêtrement demeure analysable. Tugan Sokhiev connaît par cœur l’acoustique de la salle et ce qu’il peut demander à l’orchestre, la tension est savamment organisée et le crescendo final sera le plus spectaculaire ! C’est carrément euphorisant et le public ne peut attendre la fin de la dernière note pour exploser de joie. Les ovations pour les instrumentistes (il faudrait tous, absolument tous, les citer) et pour le chef enfin retrouvé sembleront sans fin. La soirée se termine par une standing ovation bien méritée. Il faut également dire combien enfin la Halle-aux-Grains a de nouveau été pleine à craquer. Cela aussi n’était plus arrivé depuis longtemps…

Photo Romain Alcazar

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 17 Novembre 2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°8 en ut mineur, A.117 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction, TUGAN SOKHIEV.

Pour ceux qui veulent en savoir d’avantage sur le départ précipité de Tugan Sokhiev

Cecilia Bartoli- Vivaldi-Les Musiciens du Prince-Monaco ça décoiffe !

CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE, LE 7 Nov. 2022. A. VIVALDI. G.F. HAENDEL. C. BARTOLI. LES MUSICIENS DU PRINCE-MONACO. G. CAPUANO.

Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince : un soleil au firmament

Cecilia Bartoli avec un art souverain semble faire ce qu’elle veut de sa voix. Avec sa technique très particulière elle poursuit une carrière au sommet semblant se jouer du temps. Vivaldi et Haendel ne sont certainement pas les compositeurs baroques les plus faciles. Leurs exigences vocales restent les plus hautes et La Bartoli règne sans grandes rivales parmi leurs œuvres les plus exigeantes. Alternant airs de charme, de tendresse ou de haute virtuosité avec des intervalles de musique orchestrale, le concert donné sans entracte se déroule avec une facilité incroyable.  Dès le premier air, elle joue à l’oiseau et avec une exactitude diabolique elle chante des vocalises d’une précision parfaite. Puis ce sera la délicatesse des phrasés qui enchante, la longueur du souffle qui subjugue et la langueur de la plainte qui émeut. Cet art vocal total, tel un bel canto idéal, appartient à Cecilia Bartoli depuis bientôt 40 ans avec la même splendeur sans que la magie ne soit ternie par les ans. Les couleurs de la voix sont davantage harmonieuses, la puissance vocale s’affine, le tempérament dramatique s’assagit mais le chant ne perd pas en intensité. Ainsi l’artifice convainc toujours autant. Vivaldi coule dans sa voix sans aspérités.

L’orchestre du Prince rassemblé sur les conseils de Cecilia et financé par le Prince de Monaco rassemble la fine fleur des instrumentistes baroques. Instruments baroques et jeux informés, l’accord avec la cantatrice romaine insatiable chercheuse de perfection stylistique est total. La complicité développée avec eux est grande et le chef Gianluca Capuano n’est pas en reste. A n’en pas douter, le partage de la musique, le plaisir de l’offrir au public en sa vérité dramatique est bien le projet commun qu’ils construisent. Il me semble que cette collaboration amicale au sommet apaise la cantatrice qui arrive à mieux canaliser son énergie débordante. Même la robe portée tout le concert, d’un splendide vert Véronèse, n’est pas troquée comme c’était le cas dans le spectacle précédent dans une orgie de changements à vue spectaculaires mais un peu superficiels. La théâtralité de Vivaldi n’en est que davantage émouvante avec ces purs moyens musicaux. Tout au plus signalons le jeux expressif et manquant de pureté des cordes jouant le contraste systématiquement de la rugosité face au legato souple et enveloppant de Cecilia Bartoli.  Le Vivaldi des Musiciens du Prince a une énergie débordante. On pourra avec subtilité les comparer aux Incogniti d’Amandine Beyer qui eux également renouvellent l’interprétation de la musique de Vivaldi. Ils viendront à Saint-Pierre des Cuisines dans les concerts du Musée le 6 Décembre.

Ce soir un son âpre et parfois fruste du plus bel effet mais qui implique un manque de précision et de « propreté » du son est un peu trop systématique. Ce parti pris s’effacera avec la musique du grand Haendel.

La deuxième partie du concert, donné sans véritable entracte, juste un réajustement de l’accord, ouvre le monde plus large et plus noble de Haendel. L’orchestre s’étoffe et le son gagne en profondeur et en largeur. Cecilia Bartoli débute avec la même joie partagée ce jeu de miroir avec un oiseau babillard comme en ouverture de concert chez Vivaldi. Haendel a les mêmes qualités de variété dans les exigences vocales. Cecilia Bartoli a la même aisance dans un art vocal total. Virtuosité diabolique, souffle immense, phrases portées à leur apogée, mélancolie à la noble tristesse, humour taquin, toutes les émotions habitent la cantatrice si bien entourée. Les musiciens solistes rivalisent de complicité : violon solo, flûte, hautbois, trompette. La rivalité jouée entre la cantatrice, le hautbois et la trompette apporte beaucoup de plaisir tant aux musiciens qu’au public. Deux bis, une chanson du XX e siècle et un duel à fleuret moucheté entre la voix et la trompette concluent cette soirée de joie et de beauté. Avec un humour incroyable Cecilia ira dans son duel chercher l’appui de la mélodie sublime Summertime de Gershwin :  elle peut tout chanter la Bartoli !

A l’invitation des Grands Interprètes Cecilia Bartoli et ses Musiciens du Prince-Monaco nous ont offert un concert tout simplement royal !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 7 Novembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Airs et pièces instrumentales ; George Frédéric Haendel (1685-1759) : Ouverture, airs, pièces instrumentales ; Les Musiciens du Prince – Monaco ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Direction : Gianluca Capuano.