TARTUFFE TOUJOURS JEUNE !

CRITIQUE.THEÂTTE. Toulouse, ThéâtredelaCité. Le Cub, le 24 Janvier 2024. MOLIERE : Le Tartuffe. Conception et mise en scène : Guillaume Séverac -Schmitz.

Toute la modernité de Molière dans ce Tartuffe de la jeunesse

Guillaume Séverac-Schmitz à la demande du ThéâtredelaCité a monté une très admirable production du Tartuffe de Molière avec uniquement de très jeunes artistes presque tous dans l’Atelier Cité, dispositif d’insertion du ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie. Cet atout de jeunesse aurait pu, devant des rôles si puissants, et les attendus du public, être un handicap. Par la rigueur d’un jeu d’acteur très maitrisé, et dans un dispositif évidant, Guillaume Séverac-Schmitz dépasse toutes les embuches. Avec une distribution resserrée (un acteur et une actrice jouent chacun deux rôles), un dispositif scénique minimaliste et une quasi absence de décors, des effets musicaux et visuels réjouissants, cet ensemble  nous plonges dans cette famille en crise.  Le public qui doit participer à l’histoire pour en saisir sa puissance est face à face. Chaque gradin regarde l’autre lorsqu’il regarde la scène et se rappelle qu’il est dans le spectacle. Ce dispositif en bi-frontal est très habile. Les acteurs viennent de partout partent de même. L’énergie est généreusement dépensée. La force des personnages s’exprime pleinement. Le texte exulte, les corps participent du discours. Le pari de recentrer la pièce sur une crise familiale que Tartuffe révèle devient limpide. Oui personne de sait exprimer ses sentiments amoureux dans cette famille. En ouverture une sorte de scène de fête dansée avec outrance confond toutes les générations.

La scène d’ouverture si cruciale permet peu à peu de comprendre qui est qui. Cette confusion des générations est renforcée par l’âge des acteurs et actrices. Nos repères dans cette pièce si bien connue tombent et chaque personnage parle donc depuis la jeunesse de son âme. Angie Mercier joue deux rôles et son jeu leur trouve un point commun inattendu. Ainsi Mme Pernelle est plus maladroite qu’autoritaire sur ses talons instables et Damis le fils peu équilibré s’empêtre bien misérablement avant de se faire chasser. Le comique est présent et toujours léger.

 C’est le rôle d’ Orgon (Fabien Rasplus) qui gagne le plus en n’ayant jamais l’âge comme excuse. Car finalement sa passion pour Tartuffe a tout d’un premier amour ou de la force invincible d’un idéal de jeunesse qui se laisse aveugler. Ses colères infantiles en tapant du pied en deviennent tragiques et perdent tout ridicule. Et la fraternité d’âge avec Tartuffe permet cette amitié absolue et aveugle. La critique de cette autorité paternelle absolue change également de visage. Orgon devient moins formidable et la soumission de sa fille Marianne (Christelle Simonin) est plus trouble car plus assumée et moins évidemment liée à l’autorité de l’âge. Cléante (Mathieu Carle) gagne également en ce que sa parole sage lui est plus personnelle et donc est encore plus puissante.

Dorine (Jeanne Godard) ne rentre pas dans la cohorte des servantes impertinente si chères à Molière. Sa parole libre et fine est pleine de séduction. Le jeu plein d’élégance. Las, elle n’influe pas sur Orgon et bien peu sur le jeune couple. Les rapports du couple Mariane-Valère sont très subtilement interprétés. Cette incapacité à s’engager en s’opposant montre clairement l’impossible de ces deux jeunes gens à se dire simplement ses sentiments. C’est un très beau moment que cette incommunicabilité de l’amour alors que  leur corps pourtant nous le fait ressentir. L’Elmire de Fannie Lineros est absolument magnifique. Sa féminité épanouie séduit. Sa grande scène avec Tartuffe est impayable et la séduction sur la table avec Orgon dessous est à la fois très sobre et d’une puissance incroyable : le viol est quasi consommé.

On l’aura compris sans jamais brutaliser vraiment personne cette mise en scène dévoile parfaitement la violence dramatique qui est à l’œuvre partout. Le Tartuffe de Quentin Rivet est particulièrement élégant et homme bien fait. L’allure et le jeu millimétré rendent le personnage odieux avec un petit attrait invincible.

La question de la séduction sur Orgon devient particulièrement trouble. L’emprise est à la fois intellectuelle, psychique, physique et sensuelle. Les mortifications à la ceinture auto affligée rajoutent encore à la dimension perverse du personnage de Tartuffe. Le travail théâtral de Guillaume Séverac-Schmitz est complexe et complet. Son Tartuffe nous réveille l’amour pour ce texte immortel et nous apprend de nouvelles saveurs. C’est un moment délectable.  Et notre société plus qu’aucune autre est concernée par cette question de la famille à l’épreuve des idéaux. Idéaux propres à chaque âgée qui veut rêver. Tous ces rêves éveillés sont alimentés par des influenceurs malveillants des plus dangereux. Gare, gare à nous…. Après les pères à l’autorité abusives, voici les pères narcissiques en quête d’admirateurs.  Si les premiers faisaient peur les autres ne sont pas rassurants et chutent autant….

Hubert Stoecklin

CRITIQUE.THEÂTTE. Toulouse, ThéâtredelaCité. Le Cub, le 24 Janvier 2024. MOLIERE : Le Tartuffe. Conception et mise en scène : Guillaume Séverac -Schmitz. Avec : Mathieu Carle, Cléante et Valère ; Jeanne Godard, Dorine ; Fannie Lineros, Elmire ; Ange Mercier, Damis et Madame Pernelle ; Fabien Rasplus, Orgon ; Quentin Rivet, Tartuffe, Christelle Simonin, Marianne et Monsieur Loyal ; Voix off, Eddy Letexier ; Scénographie, Guillaume Séverac-Schmitz avec la collaboration de D’ Emmanuelle Clolus ; Lumières, Michel Le Borgne ; Son, Géraldine Belin ; Costumes, Nathalie Trouvé et les ateliers duThéâtredelaCité ; Décors, Michaël Labart dans les ateliers du ThéâtredelaCité ; Production ThéâtredelaCité-CND Toulouse Occitanie, Compagnie  (Eudaimonia).

Photos : Erik Damiano.

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