Intégrale des concertos de Rachmaninov à La Roque : Fulgurant !

CRITIQUE, concerts, LA ROQUE D‘ANTHERON, les 7 et 8 Août 2023, Intégrale Cto. Piano Rachmaninov, KANTOROW, GOUIN, MALOFEEV, SINFONIA VARSOVIA, SCHOKHAKIMOV.

Une intégrale des concertos de Rachmaninov contrastée et

toujours virtuose !

Nous avons pu assister aux deux premiers concerts de l’intégrale des concertos de piano composés par Rachmaninov. Il est passionnant d’entendre trois concertos ou équivalent par trois pianistes aux styles si différents. Alexandre Kantorow tout auréolé du succès de sa carte blanche fait salle comble une nouvelle fois. Le premier concerto lui va comme un gant. Avec une assurance confondante il en assume toute la virtuosité en rajoutant continuellement une dimension musicale qui rend son interprétation absolument passionnante. Car Rachmaninov a souffert un temps d’une image de pur technicien aux effets faciles pour le public. Si les thèmes sont toujours immédiatement repérables et sembler faciles il n’en est rien ; ce concerto est très habilement construit. Dès le début le thème très romantique donne beaucoup de profondeur au propos. Alexandre Kantorow s’en empare et avance vers toujours plus de finesse interprétative. Son piano est extrêmement nuancé, toujours plein de couleurs variées et la puissance se mêle à la poésie de la plus belle manière. Le Sinfonia Varsovia dans les divers solos est très impliqué et offre de beaux moments chambristes au pianiste. Le chef ouzbèke Aziz Shokhakimov a une conception de l’orchestre particulière basée sur la puissance et même une certaine violence dans sa manière de diriger. Les effets orchestraux sont toujours tirés vers le spectaculaire. Il n’est pas du tout certain que c’est le partenaire le plus à même de dialoguer avec le piano si sensible de Kantorow. Dans les forte orchestraux un peu brutaux Alexandre Kantorow tient le choc sans siller mais finalement pourquoi tant de bruit ? La musique de Rachmaninov en sort-t-elle grandie ?

A Kantorow 23 © Valentine Chauvin 2023 Copie

La cadence du premier mouvement permet au tempérament romantique et poétique de Kantorow de s’épanouir enfin. Le deuxième mouvement est le plus réussi, l’orchestre plus subtil dialogue amicalement avec le pianiste rasséréné. C’est très beau de sentir le pianiste heureux et autorisé à nuancer finement, de phraser délicatement et de colorer subtilement son piano. Il chante à cœur ouvert et l’orchestre lui répond.  Le final reprend un ton martial du côté de l’orchestre et le pianiste se raidit un peu.  La virtuosité explose de toute part. C’est très brillant.  Puis la partie centrale s’apaise et la course poursuite finale est jubilatoire. Le public exulte et fête Alexandre Kantorow en prince du piano. Un public aussi enthousiaste dans une salle archi pleine en est le signe. Deux bis vont enchanter le public une valse triste de Vecsey arrangée par Cziffra, pour un moment très romantiquement échevelé et de Mompou la chanson et danse n°6 d’une délicate mélancolie.

Le lendemain c’est Nathanaël Gouin qui s’empare des variations rhapsodiques sur un thème de Paganini. On peut dire que c’est le dernier concerto de Rachmaninov. Le pianiste français progresse régulièrement et sa carrière internationale s’intensifie. Ses derniers enregistrements sont plébiscités. De Rachmaninov il a enregistré le premier concerto et les variations Paganini.  Il propose donc au public une version murie par des recherches approfondies. Son jeu est analytique, très pur et sa lecture éclaire d’un jour intéressant la vaste partition. La virtuosité ne le met pas en difficulté et une poésie distanciée va bien à cette musique. Le hiatus vient de la direction du chef qui reste dans sa vision de recherche de puissance dès qu’il le peut. Le soliste et le chef restent chacun sur leur planète et ne se rencontrent pas. Les solistes de l’orchestre eux arrivent dans les moments solos à partager la musique avec Nathanaël Gouin. Le beau piano pur et analytique de Nathanaël Gouin trouvera avec un chef plus délicat à approfondir son propos particulièrement intéressant. Dans deux bis intelligents il ravit le public par ce même jeu très élégant. D’abord une paraphrase virtuose de sa main de l’air de Nadir des Pécheurs de Perles de Bizet. Puis un prélude de Rachmaninov très lyrique.

Sinfonia Varsovia Nathanaël Gouin 13 © Valentine Chauvin 2023

Le deuxième concerto de Rachmaninov est un tube qui se retrouve partout au cinéma et dans les publicités. Cela n’enlève rien à sa beauté intrinsèque toujours révélée dans chaque nouvelle interprétation. Ce soir le jeune Alexander Malofeev du haut de ses 22 ans va affronter le monument pianistique !

Aziz Shokhakimov Sinfonia Varsovia Alexander Malofeev 15 © Valentine Chauvin 2023

Ce jeune pianiste russe est en fait un colosse dès qu’il touche un piano. Le début mythique du concerto repose sur un savant crescendo des accords du pianiste. Ce jeune homme semble pouvoir faire un crescendo infini et l’orchestre n’arrivera pas à le faire disparaitre dans son fortissimo, même si Aziz Shokhakimov s’y emploie avec application !  Le reste du concerto sera grandiose, le pianiste russe a des moyens colossaux et au jeu du plus fort le chef perd sans jamais arriver à le couvrir, le combat bon enfant est tout de même assez terrifiant par instants. Heureusement le mouvement lent magique permettra un rêve de paix et de pure beauté. Le piano de Malofeev est incroyablement large et le son est plein y compris dans les pianissimi, c’est un piano de première grandeur. Les longues phrases se déplient lyriques et pleines, les nuances sont incroyablement creusées.  La virtuosité est sidérante, la solidité rythmique quasi surhumaine. Avec l’expérience de rencontres musicales au sommet, qu’il mérite de faire, ce jeune artiste va devenir un des plus grands pianistes de sa génération.

Lors des bis et c’est un signe les musiciens du Varsovia restent sans bouger comme ils l’avaient fait pour Kantorow. Ces deux bis sont aussi spectaculaires que la prestation dans le concerto. Une main gauche d’acier exulte dans le prélude pour la main gauche de Scriabine puis dans une toccata absolument diabolique de Prokofiev le jeu staccato et roboratif d’Alexander Malofeev fait merveille.

En deux soirs nous avons bénéficié de trois concertos avec des pianistes aux personnalités très différents, la Roque propose des moments pianistiques vraiment très stimulants ! Coté chef c’est autre chose …

Hubert Stoecklin

Critique. Concerts. La Roque d’Anthéron. Parc du Château Florans les 7 et 8 Aout 2023. Intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov soirées 1 et 2. Sergeï Rachmaninov (1873-1943) ; Concerto pour piano n°1 en fa dièse mineur op.1 ; Concerto pour piano n°2 en ut mineur op.18 ; Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 42 ; Grazyna Bacewicz (1909-1969) : Ouverture pour orchestre symphonique ; Nicola Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade suite symphonique op.35 ; Alexandre Kantorow, Nathanaël Gouin et Alexander Malofeev : piano ; Sinfonia Vasovia ; Aziz Shokhakimov, direction.

Photos : Valentine Chauvin

Lien vers Kantorow cto n°1

Lien Kantorow cto n° 2

Nathanaël Gouin dans la romance de Nadir

Alexander Malofeev dans le deuxième concerto

Concert final à Salon

CRITIQUE, concert, Salon, le 5 Aout 2023, Granados, Farrenc, Debussy, Spohr, Pahud, Mayer, Braley, Lomeiko, Leleux, Tourret.

Un Final en fête pour la trentième édition du Festival

Pas de doute pour terminer en beauté la trentième édition c’est le nombre qui a été le mot d’ordre. Le plus de musiciens amis possible sur scène dans des œuvres originales et rares. Quelle fête du beau son, de l’émotion et du style ! Le quintette de Granados avec piano et cordes est une œuvre solaire, et heureuse. Elle ouvre le concert avec audace.

Franck Braley au piano est certes masqué (quelque méchant virus ?) mais en pleine forme et son piano sera généreux, vif et ingénieux. Le violon de Natalia Lomeiko est une force qui avance toujours avec panache. Lilli Maijala à l’alto est souveraine du beau son. Marie Viard au violoncelle a le regard partout pour soutenir un collège, chanter à tue-tête, ou dialoguer avec exactitude. En deuxième violon Yuri Zhislin ne s’en laisse pas conter et est très présent.    Le premier mouvement d’une énergie débordante avance avec une force commune épatante, le mouvement lent avec le violon en sourdine pour commencer a toute la magie requise en ce moment de lumière qui descend. C’est un moment très beau sous le ciel provençal. Le final avec ses variations qui mettent en valeur chaque musicien a une allure de galop dansant endiablé. Les cinq musiciens sont applaudis de belle manière.

Une autre équipe de corde set tous les vents se retrouvent pour le Nonette de Louise Farrenc. Œuvre absolument géniale qui est une sorte de petite symphonie pleine d’esprit. Pour mémoire c’est cette composition qui a décidé la direction du Conservatoire de Paris de lui donner le même salaire que ses collègues hommes, comme professeur de piano ! Le charme de cette œuvre est sans égal, c’est élégant, bien charpenté et plein de délicieuses trouvailles. Chaque musicien a son moment de gloire et l’ensemble est plein de force. Le charme des bois français est élégant. Emmanuel Pahud, François Leleux et Paul Meyer sont des complices qui savent trouver une harmonie parfaite. Lisa Batiashivili a un violon lumineux qui survole aisément les phrases.

L’alto de Gareth Lubbe met une chaleur bienvenue dans l’ensemble et le violoncelle de Claude Bohorquez semble plein de bonheur. Gilbert Audin au basson soutient les autres bois ou les cordes avec le même bonheur et dans ses solos nous livre une qualité de son peu commune. La contrebasse d’Olivier Thiery donne toute sa solidité à l’ensemble avec un vrai bonheur.

Le plaisir des musiciens se lit dans leurs attitudes et le public charmé fait une ovation aux 9 musiciens. Voilà assurément une œuvre qui mérite de prendre plus de places dans les concerts.

En deuxième partie l’installation de la harpe, à la nuit tombée, apporte un peu de magie et suscite les interrogations du public. Entendre de la harpe à Salon c’est inhabituel. Les Danse sacrée et profane pour harpe de Debussy peuvent être accompagnée par plusieurs formations. Le quatuor à cordes est choisi ce soir. L’effet est magique, hors du temps et de l’espace. La harpe subtile d’Ananëlle Tourret a un charme indéfinissable et le soutient des cordes est à la fois chaleureux, discret et réconfortant. C’est un très bel équilibre qui est construit devant nous et le public complètement sous le charme applaudit avec joie à cette partition si originale et si agréablement présentée.

En final du final le Nonette de Spohr est un moment de partage de bonheur irrésistible. On peut compter sur la fine équipe du festival pour nous faire exulter. Cette musique charmante, entrainante et si bien écrite est une bénédiction et nos musiciens sont si heureux de la jouer ensemble qu’ils se dépassent et nous enchantent. Un vrai bonheur en musique ! Belle fin pour cette belle édition du Festival du Salon de Provence , oui les meilleurs solistes du monde étaient là ! Bravo aux artistes et à un public nombreux ce soir !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. 30 ième Festival de Salon de Provence, Château de l’Empéri, le 5 Aout 2023 ; Enrique Granados (1867-1916) : Quintette en sol mineur op.59 ; Louise Farrenc (1804-1875) : Nonette en mi bémol majeur, op.38 ; Claude Debussy (1862-1918) : Deux danses. Danse sacrée et dans et danse profane ; Louis Spohr (1784-1859) : Nonette en fa majeur ; Natalia Lomeiko, Yuri Zhilslin et Lisa Batiashvili, violon ; Lilli Maijala et Gareth Lubbe, alto ; marie Viard et Claude Bohorquez, violoncelle ; Olivier Thiery, contrebasse ; Emmanuel Pahud, flûte ; François Leleux, hautbois ; Paul Meyer, clarinette ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Anaëlle Tourret, harpe ; Franck Braley, piano.

Photos : Aurelien Gaillard

Liya Petrova au Festival de Salon de Provence

CRITIQUE, concert, Salon de Pce, le 5 Août 2023, Schumann, Prokofiev, Debussy, PETROVA, LE SAGE.

Liya Petrova est une violoniste flamboyante

Le Festival de Salon de Provence propose des concerts toute la journée cela permet de proposer jusqu’à 23 concerts sur cette 30 ième édition. Le concert de Midi dans la petite église de Ste Croix au sein d’une superbe Abbaye convertie en hôtel de charme, est toujours un moment rare.  Si le public est certes peu nombreux, il bénéficie toutefois d’une grande proximité avec les artistes et d’une acoustique idéale qui permet une écoute extrêmement précise. Le duo en sonate violon et piano semble bénéficier ici du lieu idéal avec cette acoustique généreuse et précise à la fois.

Le duo formé par Liya Petrova et Éric Lesage fonctionne bien. Les deux artistes étaient la veille avec le même programme au Festival de Menton.

Dès le début de la sonate de Schumann, l’énergie de la violoniste galvanise le pianiste. Cette interprétation sera très engagée, virtuose et romantique. La colère du début se transforme petit à petit en de belles nuances du violon. Les sonorités chaudes de Liya Petrova sur les cordes graves sont absolument superbes, le geste est large et la plainte devient celle d’une souveraine.  Puis le caractère plus populaire du deuxième mouvement, allège le ton avec de belles envolées dans l’aigu nourri de la violoniste. Le final caracole et sous les doigts de Liya Petrova les envolées du violon deviennent grâcieuses en leur alacrité. Les changements d’humeur rapides, les nuances creusées et l’énergie toujours renouvelée sont d’un Schumann bien rendu par des artistes fins connaisseurs. Cette vibrante interprétation est applaudie vigoureusement.

La sonate de Prokofiev débute de manière très dramatique sur un mouvement lent. Liya Petrova met beaucoup de poids sur son archet pour donner le caractère dramatique à ce début très inhabituel. A nouveau nous pouvons admirer l’opulence de sonorités graves qu’elle obtient de son violon.  L’allegro allège l’ambiance et la violoniste éclaire son jeu. Cela devient brillant et dans le final la virtuosité assumée permet d’admirer un art du violon complet. C’est vraiment très beau. Éric Le Sage est un partenaire réactif qui amplifie les intentions de la violoniste, il semble vraiment tirer le meilleur de la généreuse énergie de Liya Petrova. La sonate de Prokofiev scelle un duo qui fonctionne admirablement.

En fin de concert la Sonate de Debussy devait offrir un contraste qui n’a pas été au rendez-vous. Si Liya Petrova joue plus clair et dans des phrasés plus subtiles, le piano d’Éric Le Sage reste droit et forte sans chercher les subtilités debussystes. Le violon reste un peu seul pour cette sonate et l’accord avec le pianiste ne se trouve pas. Je reste un peu sur ma faim quand d’habitue cette sonate m’apporte plus d’originalité avec des éléments très diaphanes, des rythmes surprenants. Certes la beauté du violon de Liya Petrova, la grande subtilité des notes suraiguës pianissimo, les longues phrases sinueuses nous enchantent mais à elle seule elle ne peut porter toute la sonate, le poids constant du piano de Le sage restera un mystère, comment a-t-il pu rester insensible aux propositions de la violoniste ?

Le concert a permis de déguster le jeu vibrant de Liya Petrova, son engagement généreux et la beauté de sonorités sur toute la tessiture. Le romantisme partagé avec Éric Le Sage dans Schumann restera le moment le plus abouti du concert.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. 30 iéme Festival de Salon de Provence. Abbaye de Ste Croix, chapelle, le 5 aout 2023. Robert Schumann (1810-1856) : Sonate n°1 pour violon et piano en la mineur, op.105 ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur, op.80 ; Claude Debussy (1862-1918) : Sonate pour violon et piano. Liya Petrova, violon ; Éric Le Sage, piano.

Photo : DR

Photos : DR

Les somptueuse soirées de Salon de Provence

CRITIQUE, concert, SALON DE PROVENCE, le 3 Août 2023, Prokofiev, Flament, Verdi, Dohnanyi, MEYER, PAHUD, LE SAGE, LOMEIKO.

Le Festival de Salon de Provence offre des découvertes sensationnelles

Le Festival de Salon de Provence fête cette année ses 30 ans ! Les trois amis qui l’ont créé n’ont rien perdu de leur complicité bien au contraire Emmanuel Pahud à la flûte, Éric Le Sage au piano et Paul Meyer à la clarinette se renouvellent sans cesse. Les amis qu’ils invitent sont tout aussi fidèles et chaque année de jeunes talents les rejoignent. Sur une semaine environ les concerts s’enchainent et ne se ressemblent pas. Le rituel du soir permet de commencer le concert avec la lumière du jour pour se terminer en pleine nuit. C’est absolument magique sous le ciel provençal cette lente descente du soleil et ce lever de lune durant un concert.

Ce soir concert surprise ! Aucune œuvre proposée ne m’était connue ou du moins dans la forme proposée.

Le Quintette de Prokofiev est une véritable farce musicale, une pocharde. De cette commande purement alimentaire pour un ballet Prokofiev a décidé de tirer une partie purement musicale. Il n’y a donc aucune dramaturgie, aucune direction à cette composition. Si elle n’était si peu harmonieuse on pourrait parler de musique pure. En fait c’est tout à fait désopilant tant la difficulté technique de la partition est fulgurante afin que chacun joue exactement faux et tienne un rythme complètement instable et surtout donne l’impression de jouer que pour lui alors que la connexion aux autres est vitale. Avec les mimiques d’Olivier Thiery à la contrebasse ou de Gareth Lubbe à l’alto le spectacle dans le spectacle construit une mise en abyme hilarante. Bravo à tous ces musiciens qui tiennent bon dans cette cacophonie savante.

Le Quatuor de Verdi est une œuvre de désœuvré. En panne avant la création d’Aïda  Verdi en dilettante écrit ce quatuor qui restera sa seule œuvre de musique de chambre. L’adaptation pour quintette de vents est d’un grand bassoniste et arrangeur : Mordechai Rechtman. Je dois dire que la métamorphose du quatuor le rend plus verdien ! En effet je dois reconnaitre y avoir d’avantage entendu des éléments verdiens appartenant à des ensembles, des couleurs connues dans ses opéras car il a toujours su utiliser les bois avec art. Et je dois dire combien la séduction de ce Verdi décalé a fonctionné avec des moments me rappelant souvent le Bal Masqué. Nos musiciens ont su avec art donner toute une dramaturgie à ces pages musicales très richement colorées.

Après l’entracte deux compositeurs inconnus sont proposés. Le talentueux Édouard Flamant a écrit un Septet extrêmement riche et beau. Le seul regret est qu’il soit si court et que les véritables trouvailles de thèmes ou d’associations d’instruments, les rythmes originaux ne donnent pas lieu à des développements. D’autres compositeurs auraient su en tirer près d’une heure de musique tant il y a de richesse qui passent sans revenir dans cette pièce fulgurante (moins de 10 minutes).

En final c’est le septuor pour piano, cordes clarinette et cor qui est une découverte inouïe. Comment une si belel écriture a pu tomber dans l’oubli ? Une si belle construction, des mélodies si fines, des utilisations de timbre si surprenantes ? Cette œuvre tient du chef d’œuvre inconnu et Ernö Dohnanyi est un compositeur hongrois à découvrir d’urgence.

Merci aux artistes généreux et si doués chacun pour leur instrument d’avoir su nous offrir avec cette amitié évidente ces œuvres si belles et variées. Je voudrais tous les citer ils sont tous impeccables et souverains, la liste est en bas ci-dessous.

Hubert Stoecklin  

Photos : © Aurélien Gaillard

Critique. Concert. Festival de Salon. Château de l’Empéri, le 3 Aout 2023. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Quintette op.39 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : Quatuor en mi, arrangement pour quintette à vent de Mordechai Rechtman ( 1926-2023) ; Édouard Flament (1880-1958) : Septet fantasia con fuga op28 ; Ernö Dohnanyi ( 1877-1960) : Sextuor en ut majeur op.37 ;   François Meyer, hautbois, cor anglais ; Paul Meyer, clarinette ; Maja Avramovic et Natalia Lomeiko, violon ; Gareth Lubbe et Lilli Maijala , alto ; Olivier Thiery , contrebasse ; Emmanuel Pahud, flûte ; François Laleux, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Astrid Siranossian, violoncelle ; Éric Le sage, piano.

Alexandre KANTOROW offre une Schubertiade à La Roque d’ Anthéron

CRITIQUE, Concert, La Roque d’Anthéron, Parc du château, le 2 août 2023, Beethoven, Schubert, Kantorow, Petrova, Pascal, Despeyroux, Dobost, Sinfonia Varsovia, Nikolitch.

Carte Blanche à Alexandre Kantorow = Maxi Schubertiade.

Le Trio Kantorow Petrova Pascal en sa complicité 
Photo : Valentive Chauvin La Roque 2023

Ce soir ce n’est pas la réincarnation de Liszt qui est là mais Schubert le compositeur qui avait deux passions : l’amitié autant que la musique. C’est exactement ce qui vient à l’esprit en regardant le programme concocté par Alexandre Kantorow, d’une rare générosité et ne comprenant qu’un morceau en solo.

D’abord Beethoven pour rendre hommage au père bien aimé pour la première partie de la nuit. Le compositeur de la musique du bonheur dans le choix de deux œuvres solaires, heureuses et enthousiasmantes. 

Le trio en mi bémol majeur porte le numéro 1 mais n’est pas le premier… partition accomplie qui permet aux trois interprètes d’offrir le meilleur d’eux même aux collègues comme au public. Cette osmose entre les trois amis est un régal des yeux et des oreilles. En effet Alexandre Kantorow, Liya Petrova et Aurélien Pascal se connaissent depuis longtemps et assurent ensemble la direction artistique des Journées Musicale de Nîmes. Nous les y retrouverons avec plaisir.

Ce trio encore très mozartien est déjà bien rythmé et avec ses quatre mouvements se dégage du modèle classique. Grâce de cette musique, la complicité entre les musiciens et le silence des cigales semblent faire de ces instants un exemple de bonheur sur terre, c’est la preuve que l’amitié et la musique se donnent la main. Le piano d’Alexandre Kantorow cherche constamment l’équilibre parfait avec les cordes. Ses regards attentifs sont éloquents. Aurélien Pascal que nous avions entendu à Salon de Provence il y a quelques années, a beaucoup changé et en affirmant une personnalité musicale plus sure d’elle il donne à son jeu tout en finesse un peu plus d’éloquence. Liya Petrova que nous découvrons a une assurance qui donne à son jeu, lumière et brillant mais sans ostentation. De ce fait l’équilibre entre les trois est constamment parfait. C’est la violoniste qui a la position du centre qui fait avancer les choses. La beauté de chaque instrument, les nuances communes, les phrasés complices, la fusion, tout est pur bonheur. Le public est charmé totalement.

Photo Valentine Chauvin La roque 2023

Puis avec l’entrée du Sinfonia Varsovia dirigé par le premier violon, Gordan Nikolitch, fait sensation. Le violoncelle monte sur une estrade, la violoniste reste debout. D’évidence nous montons d’un cran. Les sonorités se développent afin de créer un bien bel équilibre face à l’orchestre.

Liya Petrova avec un jeu plus extraverti offre des sonorités riches et des nuances subtiles. La beauté des sonorités est un enchantement.

Aurélien Pascal qui dans la composition a un rôle plus moteur s’engage avec panache. La beauté des sonorités, la largeur des phrasés et la variété des nuances sont idéales. Ce n’est pas un violoncelle conquérant, au contraire c’est la voix de l’amitié.

Et Alexandre Kantorow de couver les deux autres solistes du regard et d’ajuster les équilibres sonores amoureusement.  Sourires aux lèvres, il semble vivre un grand moment de bonheur. Il faut dire que cet orchestre est celui avec lequel il a fait ses débuts à 16 ans ! Il est ce soir entouré de vrais amis.

Le public exulte et fait un triomphe à tous les musiciens, solistes comme ceux de l’orchestre. Le Sinfonia Varsovia a été d’une précision admirable.  La grande phrase d’entrée si éloquente a donné le frisson a plus d’un, tant le rythme était souple dans une beauté sonore parfaite.

Pour la deuxième partie entièrement consacrée à Schubert, Alexandre Kantorow a choisi de se présenter seul avec la Wanderer-Fantaisie. Il en offre une version brillante et il obtient des sons orchestraux de son piano. Les rythmes peuvent être d’une précision terrible, les couleurs sont d’une beauté renversante et l’énergie est totalement romantique. Alexandre Kantorow se jette dans cette ballade avec audace osant des nuances extrêmes.

Les plans sonores sont brillamment mis en valeur à chaque instant. C’est limpide, exaltant et enthousiasmant. Le chant éperdu entrecoupé des moments très rythmés sont opposés de manière sensationnelle. C’est vraiment un piano élégant et audacieux à la fois.

L’adagio permet à une émotion délicate de diffuser dans un récitatif éloquent et un chant émouvant. Les coulées perlées sont de la magie pure avec Alexandre le bien heureux. On sent combien il aime cette partition et s’en délecte. Le Presto et le Final sont des moments de pur bonheur sous des doigts si inspirés et virtuoses. La fugue est construite avec puissance et rigueur. Les moyens phénoménaux d’Alexandre Kantorow donnent une dimension démiurgique à ce final. Le public exulte, un piano si riche avec une puissance quasi orchestrale c’est beau et rare. Le public fin connaisseur de La Roque le fait savoir avec reconnaissance.

La Truite de Schubert c’est le bonheur sur terre !

Après ce moment d’émotions l’installation des musiciens du Quintette apportent de la diversion. L’altiste et la contrebasse trouvent leur place au sein du trio et la magie de « La Truite » peut se dérouler. Cette œuvre, la plus jubilatoire de Schubert, apporte toujours une joie particulière partagée par les musiciens et le public.

Les amis d’Alexandre ce soir sont partout sur scène et dans le parc. Le pianiste épatant est aux anges et semble particulièrement apprécier les interventions de ses collègues, le violoncelle heureux d’Aurelien Pascal, le violon si beau de Liya Petrova, l’alto moelleux de Violaine Despeyroux , la contrebasse goguenarde de Yann Dubost. 

On ne peut plus parler simplement de complicité entre eux ou d’admiration réciproque, ce sont l’amitié et la joie de faire de la si belle musique ensemble qui s’incarnent sous les yeux du public réellement aux anges. Que de joie partagée sous le ciel provençal et les arbres augustes. Cette magie de la Roque prend une dimension universelle avec de tels musiciens en fête. Bien évidemment le temps passe trop vite alors que le concert a duré près de trois heures !

Photo DR

Le thème de La Truite si jubilatoire est bissé par les artistes, puis c’est la remise des fleurs et afin de ne pas se quitter tout de suite il se passe un moment de pure magie. L’amitié s’invite avec évidence lorsque Liya et Violaine s’asseyent serrées l’une contre l’autre sur un tabouret, qu’Aurélien s’alanguit sur un autre tabouret et que Yann prend le troisième tout proche du piano. Et Alexandre de chercher dans sa tablette une pièce à jouer à la demande de ses amis qui veulent l’écouter !

Photo : DR

Le vrai amitié pour le bis offert par Alexandre Kantorow

Il choisit l’Intermezzo à la mélancolie si douce de la troisième sonate de Brahms. Cela diffuse un grand moment d’émotion que chacun déguste et les musiciens sur scène ne le cachent pas. Oui de vrais amis ont fait de la musique ensemble et pour nous. Le bonheur est total je vous l’assure !

Ce concert enregistré par France Musique sera diffusé ne le ratez pas, il est certain que cet amour passera les ondes ! Et cette musique est si belle !!

Merci à René Martin qui dans une confiance visionnaire a reconnu en Alexandre le Grand qu’il est et de lui donner Carte Blanche qu’il a si bien employée ce soir.

Hubert Stoecklin

Toutes les Photos : Valentine Chauvin La Roque 2023

sauf les deux avant-dernières : DR

Critique. Concert. 43 ième Festival de la Roque d’Anthéron ; Parc du Château de Florans, le 2 Aout 2023.  Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Trio pour piano et cordes n°1 en mi bémol majeur, op.1 n°1 ; Triple concerto pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, op.56 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Wanderer-Fantaisie, op. 15 D. 760 ; Quintette pour piano et cordes en la majeur, op.114 D.667 « La Truite » ; Alexandre Kantorow, piano ; Liya Petrova, violon ; Violanie Despeyroux, alto ; Aurélien Pascal, violoncelle ; Yann Dubost, contrebasse ; Sinfonia Varsovia ; Direction, Gordan Nikolich.

Quleques video disponibles sur le net :

Petrova Kantorow C. Franck

Trio Brahms Trio Kantorow Petrova Pascal

Le Quatuor Ébène à Prades

CRITIQUE, concert, PRADES, le 31 juillet 2023, Purcell, Ligeti, Schumann, QUATUOR EBENE.

Les Ébènes :  Un quatuor d’une puissance rare    

En trois soirs la diversité des genres musicaux est un enchantement au Festival de Prades. Un grand soir de quatuor est toujours passionnant.  Le Quatuor Ébène gravit toutes les marches de l’excellence à la vitesse de l’éclair et sa réputation est grande. Une intégrale discographique des quatuors de Beethoven est parue chez Érato, elle a été enregistrée en concerts durant une tournée mondiale ! Leur année de résidence à Radio France montre l’admiration dont ils bénéficient. Tout auréolés de cette excellence ils se sont présentés ce soir au public du festival de Prades avec un programme à la fois exigeant et difficile d‘accès.

L’adaptation de pièces de violes d’Henry Purcell est très surprenante. Avec cet équilibre parfait entre les quatre instruments, il est possible de déguster la beauté de jeu de chaque musicien dans des phrasés évanescents et des nuances très subtiles. Il n’y a pas de mélodie dominante ni d’instrumentiste accompagnant, cette égalité des voix demande une écoute différente qui livre une pulsation interne paisible, des moments dansants, une harmonie délicieuse de tous les instants. C’est très, très beau. La deuxième œuvre au programme crée un contraste absolument saisissant.

Le quatuor de Ligeti est certes une œuvre de jeunesse encore prudente mais tout de même elle demande à l’auditeur beaucoup d’attention. Et l’interprétation demeure une gageure. Les musiciens du Quatuor Ébène montrent une cohésion de chaque instant, une réactivité sidérante qui permet une interprétation d’une précision diabolique avec des nuances extrêmes, des ruptures saisissantes et des couleurs instrumentales passant d’une sorte de saturation aveuglante à une texture diaphane. La violence de certains moments saisit tandis que la délicatesse d’autres adoucit notre écoute. La manière dont le Quatuor Ébène saisit notre intérêt est très exigeante et l’écoute d’une telle œuvre ainsi offerte est une expérience particulière ; l’engagement vertigineux et la concentration extrême des interprètes étant eux-mêmes particulièrement saisissants.  L’entracte est bienvenu afin qu’interprètes et public se rassérénèrent.

La deuxième partie est consacrée au premier quatuor de Robert Schumann. Œuvre solaire et généreuse que les musiciens du Quatuor Ébène vont magnifier. La beauté du son de ce quatuor est superlative, leur puissance étonne. Chaque instrumentiste a une aura particulière qui culmine dans la construction du son commun qui envahit toute l’abbaye avec facilité. C’est vraiment une puissance inouïe pour un quatuor. Leur Schumann est généreux, beau, élégant et émouvant. Le mouvement lent touche au sublime et le final est brillantissime. Le public est grisé et applaudit avec enthousiasme. C’est alors que l’annonce est faite par un membre du quatuor : la nécessaire recomposition du Quatuor Ébène suite au départ de son violoncelle leur a demandé beaucoup de répétitions et cela ne leur permet pas de jouer un bis. La nouvelle nous surprend car la connexion entre les musiciens a été absolument parfaite. Dans un programme aussi exigeant nous ne pouvons qu’admirer ce violoncelliste qui a su ainsi s’intégrer si admirablement.

Longue vie et belle route au Quatuor Ébène, nul doute que leur avenir sera radieux après cette période de difficulté qui n‘a en tout cas aucune incidence sur l’excellence de leurs interprétations.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Festival de Prades. Abbaye saint Michel de Cuxa, le 31 juillet 2023. Henry Purcell (1659-1695) : Cinq fantatsias ; György Ligeti (1923-2006) : Quatuor à cordes n°1 « Métamorphoses nocturnes » ; Robert Schumann (1810-1856) : Quatuor à cordes en la mineur op.41 n°1 ; Quatuor Ébène : Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure, violons, Marie Chilem, Alto ; Aleksey Shadrin, violoncelle.

Photos : DR

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Julien Martineau séduit avec sa mandoline le public du festival de Prades.

 CRITIQUE, concert, FESTIVAL DE PRADES, Église de Collioure, le 30 juillet 2023, Piazzolla, Paganini, Beethoven, Calace, Munier, MOURATOGLOU/MARTINEAU.

La fine musicalité de la Mandoline de Julien Martineau enchante

La petite église de Collioure qui nécessite de vastes travaux de restauration est partenaire du Festival de Prades et cette collaboration rappelle combien Pablo Casals a œuvré dans toute la Catalogne non seulement comme musicien mais également comme homme bon et généreux.

Le concert de ce soir est placé sous le sceau du charme et de la musicalité la plus délicate qui soit. Julien Martineau sur sa mandoline est un véritable magicien nous le savons, chaque concert, chaque enregistrement le prouve

Avec un complice particulièrement accordé ce soir, le guitariste Philippe Mouratoglou il forme un accord parfait.  Les deux amis offrent un véritable festival de beauté musicale dans une véritable recherche commune. Avec une grande simplicité et une écoute mutuelle totale la guitare et la mandoline en véritables sœurs d’âmes mêlent leurs sonorités fraiches ou mélancoliques afin de créer un univers musical des plus subtils.

La pièce maîtresse du concert est cette inénarrable « histoire du Tango » d’Astor Piazzola. Les deux musiciens en offrent une version absolument virtuose et pleine de rythmes fous comme d’envolées lyriques. C’est véritablement grisant cette alliance de virtuosité la plus assumée, de chaloupé subtil et de musicalité chantante. De manière élégante et sympathique le virtuose de la mandoline nous offre des moments absolument incroyables dans des pièces de Paganini et Calace. Ces deux compositeurs étaient de fins mandolinistes et ont écrit des pages virtuoses et pleines de charme.

Julien Martineau chante avec le charme d’un ténor italien et ce légato avec un instrument si peu capable de garder un son tient du miracle. La beauté du son est également incroyable.

A la guitare Philippe Mouratoglou est un musicien sensible et virtuose qui toujours avec beaucoup de talent dialogue avec son partenaire. Ses sonorités très épurées sont claires, lumineuses et il est capable d’ombres quand il le faut.

Sa vivacité rythmique dans Piazzolla est remarquable. Dans l’église il règne une chaleur éprouvante, toutefois la beauté sonore, la fraicheur de l’interprétation, tout semblant toujours facile, restent un enchantement pour le public. Une très discrète sonorisation aidait les spectateurs du fond de l’église car ce concert a affiché complet.

La finesse de la musicalité des deux artistes, l’intelligence de leur programme, tout a été un enchantement. Les applaudissements ont été généreux et deux bis ont prolongé ce bonheur partagé. D’abord un pot-pourri de musique de Nino Rota dont un air du Parrain délicieusement mélancolique et en hommage à Pablo Casals le chant des oiseaux dans la version peut être la plus aérienne du répertoire ; la délicatesse des deux musiciens évoquant clairement la gente ailée. Voilà du grand art et la preuve que la belle mélodie immortelle de Casals peut toujours nous mettre la larme à l’œil du moment que les musiciens l’interprètent avec leur cœur.

Il est incroyable d’entendre ainsi comme la mandoline et la guitare sont amies et peuvent offrir sous des doigts si habiles tant de musique et de chant.

Hubert Stoecklin

Critique concert. Festival de Prades. Église de Collioure le 30 juillet 2023. Astor Piazzolla (1921-1992) : Histoire du Tango en quatre parties ; Nicolo Paganini (1782-1840) : Cantabile MS 109, Sonata per Rovene, Romanza, Serenata ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Adagio ma non troppo ; Raffaele Calace (1863-1934) : Mazurka VI op. 141, Saltarello op.79 ; Carlo Munier (1859-1911) : Capriccio spagnolo ; Philippe Mouratoglou, guitare ; Julien Martineau, mandoline.

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Plein succès pour Pierre Bleuse à Prades

CRITIQUE, concert, PRADES, Abbaye St. Michel de Cuxa, le 29 juillet 2023, Brahms, Orchestre du Festival, Renaud Capuçon, Juila Hagen, Pierre Bleuse.

Grandiose concert d’ouverture du festival de Prades avec Brahms

Pierre Bleuse nouveau directeur artistique du Festival Pablo Casals a non seulement un profond respect pour l’un des plus vieux festivals de France et son créateur et une audace indéniable qui fait évoluer les choses. Ainsi la création de l’orchestre du Festival qui ne cesse de progresser. Pour sa troisième programmation Pierre Bleuse propose pour le concert d’ouverture de diriger deux œuvres emblématiques de Johannes Brahms. L’orchestre du Festival est constitué de très jeunes musiciens et de quelques anciens.

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Ce savant mélange intergénérationnel donne une fougue et une solidité à cet orchestre qui laissent très admiratif et ne va pas sans rappeler le feu qu’obtenait Pablo Casals en dirigeant l ‘orchestre. L’audace paye et Pierre Bleuse a gagné son pari. L’orchestre sonne admirablement dans la belle acoustique de L’abbaye. Seules deux contrebasses assurent avec toute la puissance requise cette sensationnelle pulsation grave de la musique symphonique de Brahms sur laquelle tout l’édifice repose. Les deux contrebasses face à face sur la droite semblent ne vouloir ne faire qu’une et cela sonne admirablement. L’autre exigence de la musique symphonique de Brahms et qui met en difficulté bien de bons orchestres est le besoin de violons à la fois puissants et délicats. Dès les premières mesures nous savons que nous allons entendre un Brahms symphonique de haut vol. Le son est généreux, rond et profond. Les bois sont clairs et les cuivres puissants. La direction de Pierre Bleuse est très charpentée, rendant évidentes toutes les belles structures tout en phrasant éperdument. Dans cet écrin romantique confortable les deux solistes du double concerto n’ont plus qu’à participer à cette fête musicale.

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Avec un tempérament généreux la toute jeune violoncelliste Julia Hagen donne le frisson par son jeu si beau. C’est rond, chaud, puissant et subtilement phrasé. Voilà une soliste qui va enchanter tous les publics. L’énergie et cette pointe de sensualité qui émanent de son jeu sont des qualités rares. Renaud Capuçon fidèle à lui-même participe poliment sans trouver la même énergie que le chef et la violoncelliste. Tout auréolé de ses succès, le violoniste hyper présent partout, repart vite vers là où il est attendu. C’est bien le souvenir du violoncelle vibrant et émouvant (le début du deuxième mouvement a été renversant !) de la superbe Julia Hagen qui restera la plus belle découverte de la soirée.

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Pour la deuxième partie du concert Pierre Bleuse a osé proposer la quatrième symphonie de Brahms, celle en mi mine »ér si pleine de mélancolie et très exigeante.

Dès les premières mesures à la fois dansantes et tristes le charme brahmsien opère. Les musiciens de cet orchestre du festival ont su trouver une cohésion incroyable et Pierre Bleuse a sous sa main un vrai orchestre capable de jouer un Brahms généreux et réconfortant. Et le travail de l’orchestre et du chef n’a duré que 2 jours ! Le résultat obtenu par Pierre Bleuse en si peu de temps est renversant.

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Toute la symphonie verra des solistes de haut vol régaler le public de leurs interventions parfaites. Les cors, la trompette, le hautbois et la flûte seront les plus inouïs.  Les applaudissements entre les mouvements révèlent l’admiration et l’enthousiasme éprouvés par le public ému. Tout est là dans cette interprétation :  structure contrapuntique assumée, larges phrasés, nuances très creusées, silences habités et moments de mystère envoûtants. Les violons sont hallucinants d’homogénéité pour un orchestre si jeune. Et les violoncelles offrent des moments de grand bonheur.  C’est vraiment une très belle quatrième de Brahms qui nous a été offerte ce soir. L’engagement de tous les musiciens, la générosité de la battue du chef ont créé une osmose particulière. Que de sourires partagés !

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La chaconne finale est flamboyante. Les applaudissements fusent et un bis emblématique est offert, le Chant des oiseaux, composé par Pablo Casals et arrangé de manière hollywoodienne savante fait merveille et donnera la larme à l’œil à plus d’un.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Festival Pablo Casals de Prades. Abbaye Saint Michel de Cuxa, le 29 juillet 2023. Johannes Brahms (1833-1897) : Double concerto pour violon et violoncelle op.102 ; Symphonie n°4 en mi mineur op.98 ; Renaud Capuçon, violon, Julia Hagen, violoncelle, Orchestre du Festival ; Pierre Bleuse, direction.

Photos © Hugues Argence

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La Roque d’ Anthéron 2023 : Fréquentation du public inouïe !

CRITIQUE, Concert, LA ROQUE d’ANTHERON, le 27 juillet 2023, Rameau, Grieg, Tharaud, Beethoven, Alexandre THARAUD, piano. 

Le piano lumineux d’Alexandre Tharaud à La Roque

 Dans ce parc aux arbres centenaires le plaisir est toujours grand de revenir l’été. Notre premier récital de la 43 ième édition ne déroge pas aux attentes. Le plaisir est grand de retrouver Alexandre Tharaud au jeu si élégant et que le monde entier acclame. Dans un programme original et défendu avec panache le pianiste français apparemment très détendu semble beaucoup prendre de plaisir à partager son art avec le public.

En débutant avec des extraits de la suite de danse en La de Rameau, il aborde son récital avec brio. Le jeu droit et très articulé permet à la musique de Rameau de briller de mille feux. C’est joyeux, beau et festif. Puis dans les pièces lyriques de Grieg le jeu se fait plus nuancé et plus sensible, tout en conservant une grande clarté de lignes. L’élégance est constante et tout semble couler avec facilité des doigts virtuoses du pianiste. La dernière pièce « Jour de Noces » retrouve en le développant le caractère festif si présent chez Rameau. La première partie du concert se termine sur des applaudissements nourris.

Après l’entracte l’interprète nous joue quelques pièces de sa composition. Petites pièces écrites au gré de ses voyages qui mettent en scène tout ce que des doigts et des mains virtuoses peuvent faire sur les touches du piano. C’est brillant et plein de surprises.

Pour finir son récital particulièrement généreux Alexandre Tharaud offre sa vision de la dernière sonate de Beethoven. Cette œuvre si particulière est à la fois un testament, un enterrement de la forme et une ouverture vers la musique de l’avenir. Elle peut sonner très différente selon les choix interprétatifs sans que jamais une version définitive ne puisse en dominer la forme et encore moins le fond. Ce soir sur le piano Yamaha choisi par l’interprète le son est particulièrement éclatant. Alexandre Tharaud dès les premiers accords joue large et met en valeur tous les plans avec une lumière presque crue. Ce Beethoven est assez surprenant par la seule utilisation de moyens pianistiques pour l’aborder. Alexandre Tharaud semble éviter toute recherche de sentiments, de recherche philosophique ou même de doutes. Il joue dans des tempi vifs sans s’appesantir sur les silences mettant en évidence toute la puissance, la virtuosité  et la force de la partition. Les moyens du pianiste sont considérables. La force de la partition exulte. D’autres mettent en évidence la recherche, les doutes, les questions posées par Beethoven, notre interprète lui aborde en musicien cette partition inouïe et fonce tout droit. Le jeu limpide, les équilibres exacts entre les plans donnent une grande force constante et inattendue à cette sonate si particulière. Il n’y aura pas de dimension cosmique, de questions métaphysiques mais une puissance créatrice magnifiée par un art du piano peu commun. Le public de la Roque acclame l’interprète validant ainsi ses choix musicaux si originaux.

En bis Alexandre Tharaud retrouve sa joie d’un piano solaire avec une sonate de Scarlatti brillantissime. Puis reprenant un extrait de son dernier enregistrement Cinéma il nous touche avec une interprétation sensible du thème de la Liste de Schindler de John Williams.Alexandre Tharaud est un artiste qui sait nouer avec le public un lien particulier avec son jeu élégant et séduisant. Ce soir il est apparu particulièrement lumineux.

Hubert Stoecklin 

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron 43 ième édition. Parc du château de Florans, le 27 juillet 2023. Récital de piano. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Suite en La, ext. ; Edvard Grieg (1843-1907) : Pièces lyriques, ext. ; Alexandre Tharaud (né en 1968) : Corpus volubilis, ext. ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur op.111. Alexandre Tharaud, piano.

Photo : Pierre Morales

NETREBKO LA FANTASTICA Irradie à Orange

CRITIQUE, concert, Orange, Théâtre Antique le 24 juillet 2023, Gala Verdi, Netrebko, Eyvazov, Orchestre phil. Nice, Mazza.

Anna Netrebko la FANTASTICA subjugue le public du Théâtre Antique.

Ce théâtre qui a vu et entendu tant de Divas s’est réveillé ce soir comme cela faisait longtemps.  L’enthousiasme du public (près de 5000 personnes) tout du long et parfois de manière intempestive, sacre Anna Netrebko en Diva Fantastica, car La Splendida ne suffit plus à honorer dignement une telle artiste. Entendre une telle plénitude vocale dans cette acoustique sensationnelle tient du miracle. Et nombreux sont ceux qui s’en sont rendus compte et l’ont manifesté.

Dès son entrée en scène avec le premier air de Lady Macbeth, elle prend possession de la scène et du cœur du public.

La lecture de la lettre suscite une écoute très attentive et ensuite le slancio verdien prend une dimension cosmique dès ses premières phrases chantées d’une voix pleine et vibrante. Car ce n’est pas seulement un timbre unique, une homogénéité sur toute la tessiture et une puissance qui semble infinie qui nous subjuguent. C’est l’instinct musical surnaturel qui lui permet d’aborder avec exactitude toute musique indépendamment des classifications.

La Diva russe possède une voix qui évolue vers de plus en plus d’opulence et de si riches harmoniques inouïes que je crois qu’aucune autre soprano ne peut et n’a pu s’enorgueillir d’une telle évolution. Au stade de sa carrière un sommet semble atteint et le Verdi de la maturité est au cœur de ses possibilités. Son art du chant est tout simplement sidérant. L’élan qu’elle donne à chaque intervention, les infinies nuances, les couleurs multiples tout est d’un Verdi de haute lignée comme au temps historique des Ponselle, Callas, Price, Vischnevskaïa. Et avec cette qualité d’angélisme et de pureté que des voix de cette ampleur conservent rarement, même Caballe a été entachée de certaines duretés avec le temps.

L’autre air du récital est un Pace, pace de la Force du destin qui laisse pantois. La maîtrise de la ligne vocale est parfaite et elle sait donner à chaque Pace une couleur, une nuance différente. C’est un art du chant grandiose qui culmine avec un Pace pianissimo quasi surnaturel face au mur.  Cet art de la scène l’habite au plus au point et lui permet de se déplacer avec une aisance parfaite sur toute la large scène, de gravir les marches centrales, de se déplacer étole au vent dans sa première robe rouge et toutes voiles irradiantes dehors pour la deuxième partie qui donne une dimension angélique à son Aïda.

Dans les duos son art du challenge lui permet non seulement d’irradier mais de porter son partenaire à se dépasser. Ainsi le duo d’Aïda avec le ténor Yusif Eyvazov nous offre une osmose délicate. Des voix si larges capables de cette délicatesse dans cette acoustique si fidèle offrent un plaisir suave aux spectateurs. La voix de la princesse Amnéris par Elena Zhikova est hélas trop discrète.

Avec le baryton Elchin Azizov dans le superbe duo du Trouvère, Mira d’accerba lacrime, la pulsation intraitable devient diabolique avec des vocalises à pleine voix parfaites. A nouveau ce slancio verdien si rare est hypnotisant. Dans le final du Trouvère de l’acte un et qui termine le concert, les trois voix (soprano, ténor, baryton) s’interpénètrent dans un festival d’harmoniques rares. Quel swing entre ces trois artistes galvanisés par l’immense Anna !

Pour ma part c’est dans le duo final d’Aïda, opéra que les deux chanteurs donnent à Vérone cet été (prochaines représentations le 30 juillet et le 2 Août) que le sommet me semble atteint tant Yusif Eyvazov se hisse au niveau de son épouse et partenaire. Ce chant éthéré et pianissimo reste comme un rêve éveillé. Dans le quatuor de Rigoletto l’équilibre n’a pas été parfait car dès que la voix de Netrebko, même dans une nuance piano se révèle, elle éclipse par sa richesse harmonique toutes les autres alors que le début permettait à la mezzo Elena Zhidkova de s’imposer de manière satisfaisante.

Rendons toutefois hommage à Yusif Eyvazov dont la voix de ténor claire et pure fait merveille dans le Duc de Mantoue. Le chant soutenu par une belle émotion lui permet de gagner la sympathie du public dès son premier air. Pour ma part son deuxième air, celui si sombre d’Alvaro dans la Force du destin, n’a pas les ombres si indispensables à décrire la souffrance du héros contre lequel le sort s’acharne. Plus de nuances et de couleurs auraient enrichi l’interprétation trop lumineuse du ténor azerbaïdjanais. Dans le duo du dernier acte de la Force du destin l’opposition de couleurs avec son compatriote le baryton Elchin Azizov en Carlo fonctionne parfaitement offrant un beau succès aux deux voix masculines. Précédemment le baryton jouant de sa voix sonore n’a pas semblé vouloir rendre les subtils tourments de Renato dans son air de l’acte deux du Bal Masqué, Eri Tu. Un son généreux et un chant assez martial a semblé assez hors contexte dramatique même si dans cet air ses moyens considérables resplendissaient. Il nous reste à rapidement évoquer la mezzo-soprano Elena Zhidkova qui de toute évidence nous a paru souffrante et ne disposait pas de tous ses moyens ce soir. Nous reparlerons d’elle dans des conditions plus normales.

L’orchestre de Nice et le chef Michelangelo Mazza ont tout fait pour être à la hauteur de l’événement, sans génie mais avec efficacité. Le ballet extrait d’Othello est certes plus apte à mettre en valeur l’orchestre, il ne m’a pas charmé outre mesure. Des petits décalages n’ont pas été évités par le chef italien avec un ténor parfois alangui sur les notes longues et un baryton parfois trop pressé. Seule Anna Netrebko telle un caméléon a un sens du tempo surnaturel qui avec un art félin lui permet de toujours être exacte.

Voilà un Gala Verdi de haute tenue galvanisé par une Anna Netrebko en très, très grande forme, irradiant de théâtralité verdienne et de charme :  Anna la Fantastica !

En bis tout ce petit monde, public en frappant dans les mains a dégusté un Brindisi de la Traviata rappelant quel a été le succès de Netrebko dans ce rôle aujourd’hui abandonné par la Diva.

Espérons que dans les années prochaines elle offrira aux chorégies d’Orange un de ces immenses rôles verdiens qui conviennent si idéalement à ses moyens vocaux et son art du

Critique. Concert. Chorégies d’Orange. Théâtre  antique, le 24 juillet 2023. Gala Verdi. Airs duo, trios, quatuor, extraits d’opéras de Verdi. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Macbeth, Rigoletto, Il Trovatore, La Forza del destino, Un Ballo in maschera, Aïda : ext.  Anna Netrebko, soprano ; Yusif Eyvazov, ténor ; Elena Zhidkova, mezzo-soprano ; Elchin Azizov, baryton. Orchestre philharmonique de Nice. Micelangelo Mazza, direction.

TOUTES LES PHOTOS : Philippe Gromelle

Carmen à Orange : Grinda ne convainc pas vraiment

CRITIQUE, Opéra, ORANGE, le 8 Juillet 2023, Bizet, Carmen, Grinda/Cafiero, Lemieux, Borras, D’Arcangelo.

La Carmen d’Orange par Grinda semble aseptisée 

Une seule représentation, un seul opéra mais de nombreux concerts : Les Chorégies d’Orange 2023 assurent un retour à l’équilibre financier et le Théâtre antique avec ses presque 10 000 places est rempli à ras bord ce soir pour la Carmen de Bizet. Pari tenu le public est venu en masse à l’appel de l’opéra des opéras ! Les applaudissements ont été généreux mais pas bien longs au souvenir d’autres soirées en ces lieux.  Comment expliquer ce demi succès ?

La conception de Jean-Louis Grinda est connue depuis Monaco et Toulouse. Cette proposition qui scénarise sur plusieurs plans la mise à mort de Carmen, le personnage chantant et une danseuse de flamenco, dans un dispositif scénique minimaliste a plutôt convaincu sur les scènes à l’Italienne. Moi-même à Toulouse j’ai été conquis par ce choix radical. Il se trouve que ce n’est pas ce que le public d’Orange attendait. Et je fais partie de ceux qui sont restés sur leur faim. Le dispositif scénique fait de deux quarts de conques parait sur la large scène du Théâtre Antique bien trop discret car trop central tout en paraissant bien lourd pour ceux qui les mobilisent.  Les costumes sont très beaux mais un peu « collet monté ». Les lumières sont subtiles mais trop sombres pour le public éloigné aux acte deux et trois. Les ombres portées sur les éléments de décors sont par contre toujours très réussies.

La Flamenca, Irene Olvera est sensationnelle, pourtant comme petite sœur de Carmen  (Irene a 15 ans) elle parait une silhouette trop fragile sur l’immense plateau d’Orange. Et surtout ce seul élément authentiquement sévillan est bien trop discret même si chacune de ses danses est un moment de pure grâce. Car en effet c’est là que le bât blesse à Orange en plein air dans l’air chaud d’un été au ciel étoilé, l’Espagne est attendue plus franchement, il y a comme un rendez-vous manqué.

Les chœurs ont une belle présence et les tableaux sont souvent très beaux. Une Carmen sans Espagne scéniquement peut encore se colorer grâce à l’orchestre et un chef qui le souhaite.

La cheffe Clelia Caferio a une gestuelle dynamique certes mais n’obtient pas de couleurs contrastées de l’orchestre de Lyon. Le nuances également sont limitées à celles naturelle de la subtile orchestration de Bizet. Sans caractère particulier l’orchestre participe de cette musicalité générique, polie et sans surprise bien éloignée de la vision d’une partition de Carmen originale voire révolutionnaire. Et la cheffe ne propose rien comme idées personnelles.

Il ne reste plus de la latinité possible du côté des solistes. La non plus rien de passionnel, de torride ou de désespéré. La Carmen de Marie-Nicole Lemieux est engagée, scéniquement elle bouge avec expressivité mais reste dans un « quant-à-soi » de bonne éducation. La voix est somptueuse de timbre, la conduite de la ligne vocale est subtile, la précision des vocalises et des trilles est aussi exemplaire que rare dans ce rôle. Vocalement elle est une grande Carmen.  Le pathos de la scène des cartes n’est pas convainquant car excessif par rapport à une absence de soumission au destin dans les scènes suivantes. Marie-Nicole Lemieux a la voix et les qualités d’une belle Carmen qui semblent un peu sous employées ce soir.

Jean-François Borras est un Don José intéressant. La voix me semble fatiguée probablement par la série de Mefistofele à Toulouse qui s’est achevée seulement il y quelques jours. Je l’avais trouvé plus épanoui et plus rayonnant dans le rôle de Faust alors. cf ci dessous .  La voix est juvénile et le personnage un peu enfant irascible et violent. L’usage de la voix mixte et de la voix de tête pour la fin de l’air la fleur sont du plus bel effet pour un personnage plus subtil et fragile que d’habitude.

L’Escamillo d’Ildebrando D’Archangelo est un personnage trop sérieux et manque de brillant. En tous cas vocalement il est plus basse que baryton et chante impeccablement. 

La Micaëla d’Alexandra Marcellier est un personnage volontaire. Sa voix corsée et large et un timbre ingrat n’en font pas une Micaëla vocalement assez séduisante.

Frasquita, Charlotte Despaux et Mercedes, Eleonore Pancrazi ne sont pas très remarquables sauf la voix de Charolotte Despaux qui dans les ensembles est particulièrement présente.

Tous les petits rôles masculins sont bien campés et bien chantants. Les chœurs sont très précis et ont une belle présence. Tout particulièrement la maitrise qui offre des moments plein d’émotions.

La Flamenca de 15 ans Irene Olvera en double de Carmen mérite une mention toute particulière tant son talent est sidérant. A elle seule elle peut évoquer l’Espagne malheureusement si absente ce soir. Bravo et merci à cette jeune artiste à l’avenir radieux.

Cette année ne sera pas placée sous le signe de l’exceptionnel mais de la prudence, un seul opéra en une seule représentation. J’espère que l’année 2024 pourra être théâtralement plus audacieuse.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Chorégies d’Orange. Théâtre Antique, le 8 juillet 2023. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Rudy Sabounghi ; Costumes : François Raybaud et Rudy Sabounghi ; Lumières : François Castaingt ; Chorégraphies : Eugène Andrin ; Vidèos : Gabriel Grinda ; Distribution : Carmen, Marie-Nicole Lemieux ; Don José, Jean-François Borras ; Escamillo, Ildebrando D’Archangelo ; Micaela, Alexandra Marcellier ; Zuniga, Luc Bertin-Hugault ; Morales, Pierre Doyen ; Lilas Patia, Frank T’Hezan ; Frasquita, Charlotte Despaux ; Mercedes, Eleonore Pancrazi ; Le Dancaïre, Lionel Lhote ; Le Remendado, Jean Miannay ; La Flamenca Irene Olvera ; Chœurs de L’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur, Stefano Visconti) ;  Chœur de l’Opéra Grand Avignon (chef de chœur, Aurora Marchand) ; Maitrise de l’Opéra Grand Avignon (direction, Goyon Pogemberg) ; Orchestre national de Lyon ; Direction : Clelia Cafiero.

Un MEFISTOFELE superlatif au Capitole

CRITIQUE, Opéra, TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 30 juin 2023. BOITO, Mefistofele, Grinda/Angelico, Courjal, Borras, Isotton, Chœurs et Orch. Nat. Capitole.

Sensationnelle fin de saison au Capitole avec Mefistofele

C’est une nouvelle production qui met toute la maison Capitole en ébullition et qui convainc un public nombreux. Ce Mefistofele de Boïto est un véritable chef d’œuvre à condition de lui en donner les moyens. Décors, costumes, vidéos, chœurs, maitrise, orchestre toute est au diapason d’une distribution superlative et d’un chef capable de révéler ce joyau orchestral et choral. Nous avions eu la chance de déguster une production semblable au Théâtre Antique d’Orange en 2018. Jean Louis Grinda garde sa vision large et musicale de la mise en scène. Il l’adapte à la scène plus modeste du Capitole en privilégiant des vidéos de toute beauté qui dilatent l’espace. Il s’adapte également à sa nouvelle distribution. Tout fonctionne à merveille, le kaléidoscope séduit et les moments variés que cela soit du tragique, du comique, du grandiose ou des lieux d’intimité, tout se déploie pour le plus grand plaisir du public.

Le travail d’équipe est très approfondi. Citons-les tous : Laurent Castaingt pour les décors et les lumières, les costumes sont de Buki Shiff et les vidéos admirables d’Arnaud Pottier.

Dans la fosse dès les premiers accords la mise en espace et la tension spatiale se construisent et la beauté sonore nous envoute totalement. Sous la direction ample de Francesco Angelico l’orchestre du Capitole tout du long restera cet étalon de beauté sonore qu’il va partager avec les voix de tous les chanteurs et des chœurs. L’hédonisme contagieux est généralisé, il ne nuit jamais à la dramaturgie. L’orchestre est déterminant pour permettre aux divers tableaux de s’enrichir mutuellement, d’avantage que de s’opposer en leurs variétés trop éloignées. Nathalie Stutzmann à Orange dans sa direction avait eu cette qualité indispensable, Francesco Angelico sans avoir toute la souplesse féline de sa devancière tient très fermement les rennes et obtient des nuances très creusées, des couleurs chatoyantes et des phrasés proches de l’idéal belcantiste. Les chanteurs sont soutenus et peuvent distiller des émotions très puissantes dans leur chant.

Jean-Louis Grinda construit des tableaux de toute beauté. Ainsi le premier tableau des nuées mobiles révèle les chœurs massifs des anges. La magie du vent à Orange n’a pas fonctionné pour animer les voiles des costumes sur une scène fermée. Les anges et même les chérubins sont hiératiques et immobiles, devenant impassibles et pesants. On devine que les voilages angéliques blancs sont lourds. Cela donne une impression de messe d’ennui. Quand Méphisto se révèle, enfin un peu de vie arrive même si ses manières sont empruntées de lourdeur et d’emphase. Le contraste avec la scène de foule qui suit est total. Les costumes les plus colorés possibles dans des styles des plus variés avec des mouvements virevoltants permettent au chœur d’exulter. Après ce premier choc visuel les autres contrastes seront plus subtilement réalisés.

Nicolas Courjal a la voix de basse idéale pour le rôle. En ce sens il réussit sa prise de rôle. C’est scéniquement qu’il ne sait pas encore donner au personnage sa sauvage épaisseur, sa noirceur et sa violence si séduisante. Je sais pour l’avoir vu en Hundig à Marseille de quelle violence noire il est capable.  Il hésite par moments entre humour et terreur et cela ne fonctionne pas très bien.

Le Faust de François Borras est vocalement idéal de lumière, d’ardeur et d’engagement. Sa voix est d’une beauté renversante.

Sa Margherita le rejoint sur le plan de la beauté vocale avec un long soprano pulpeux et capable de nuances subtiles, de couleurs mordorées et des phrasés admirablement émouvants. Chiara Isotton est l’incarnation de la souffrance morale et son chant nous atteint droit au cœur. Dans la fin de leur duo « lontan, lontan » la fusion des timbres dans une nuance piano d’une infinie délicatesse tient du miracle.

Bien évidemment Béatrice Uria-Monzon incarne à la perfection la beauté sculpturale et digne d’une déesse en Hélène de Troie. Les pièges de la beauté classique avec sa robe de lamé d’or dessinée pour elle et qu’elle porte à ravir s’évanouissent.

Marie-Ange Todorovich a des interventions limitées mais son personnage de Marta est profondément théâtral et sa Pantalis est vocalement inoubliable tant elle est opulente.

Andrés Sulbarán dans ses deux petits rôles s’impose vocalement et scéniquement.

Il n’est pas possible de réussir une représentation de Mefistofele sans un chœur somptueux. Le travail de Gabriel Bourgoin chef du chœur du capitole comme de la maitrise est récompensé par un engagement fulgurant de toute sa troupe et des supplémentaires venus en nombre. Les parties chorales sont toutes grandioses.

Mefistofele fait une entrée puissante au répertoire du Capitole. Merci à Christophe Ghristi pour cette production et toute sa saison d’ailleurs !

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre National du Capitole, le 30 juin 2023. Arrigo Boïto (1842-1918) : Mefistofele version de 1875. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Collaboration artistique : Vanessa d’Ayral de Sérignac ; Décors et lumières : Laurent Castaingt ; Costumes : Buki Shiff ; Vidéos : Arnaud Pottier ; Distribution : Nicolas Courjal, Mefistofele ; Jean-François Borras, Faust ; Chiara Isotton, Margherita ; Béatrice Uria-Monzon , Hélène ; Marie-Ange Todorovitch, Marta, Pantalis  ; Andrés Sulbarán, Wagner, Nereo ; Chœurs du Capitole et Maitrise du Capitole (direction : Gabriel Bourgoin) ; Orchestre National du Capitole ;  Direction : Francesco Angelico.

L’ Eden de Joyce Di Donato

CRITIQUE, concert, TOULOUSE, le 8 juin 2023, Eden, Di Donato, Il Pomo d’Oro, Emelyanichev.

L’envoutant Eden de Joyce Di Donato : irrésistible leçon de chant

C’est probablement la tournée avec orchestre la plus longue de la grande mezzo américaine. Ce concert toulousain est le 32 iéme de ce concert Eden ! Et ce dernier concert de la saison des Grands Interprètes n’a pas failli à sa réputation superlative ! Dans un véritable cérémonial, bien d’avantage qu’une mise en scène, Joyce Di Donato en harmonie complète avec Maxim Emelyanichev et les musiciens d’Il Pomo d’Oro nous propose un voyage qui nous déconnecte du quotidien pour nous faire rêver à une nature idéalisée.

Dès le début assez mystérieux la voix de Joyce Di Donato vient d’on se où nous séduire par un légato de rêve et un phrasé subtil. Elle reprend la ligne de la trompette dans la pièce si emblématique de Charles Ives, the Unanswered question. Ce début magique va nous entrainer dans ce programme construit très savamment ou alternent les moments de contemplation de la beauté renversante de la nature dans des œuvres intemporelles et le mal que nous lui faisons dans des œuvres très contemporaines. Entre les compositeurs baroques et les plus modernes tout se passe sans heurts. C’est peut-être ce manque de contrastes en dehors du style musical qui en fait le récital le plus étrange de la mezzo américaine. Car Joyce Di Donato nous a habituée à des récitals très virtuoses et très dramatiques. Ce soir point de drame ni de notes virtuoses.  Ce qui prime c’est une diction parfaite dans toutes les langues et un légato infini, des couleurs somptueuses et des phrasés à se damner.

L’adéquation stylistique est partagée avec Maxim Emelyanichev et Il Pomo d’Oro musiciens toujours magnifiques et très engagés.

La voix de Joyce Di Donato peut se fondre dans la texture orchestrale et devenir presque inaudible comme avec une ampleur nouvelle la dominer totalement.

Le coté abscons de la scénographie indiffère car c’est la beauté des gestes de Joyce Di Donato qui reste dans le souvenir bien d’avantage que les lumières, les fumées et les cercles tournants qu’elle fabrique sous nos yeux. Tout le dispositif crée une distance entre la cantatrice et son public, elle qui dans un « simple récital » sait subjuguer chacun et mettre toute la salle dans sa poche. Et le peu de lumière sur le chef et les instrumentistes nous prive de leur vivacité et leur beauté expressive.

Au micro, en fin de programme et dans français exquis, Joyce Di Donato explique son propos : nous permettre de rendre grâce à la mère nature si généreuse en beautés parfaites et que nous ne respectons plus du tout.

Elle invite, comme elle l’a fait dans chaque ville, un chœur local pour terminer sur une note d’espoir. Le chœur d’enfant Éclats dirigé par François Terrieux rentre à la fin de programme et nous subjugue par une grande fraicheur et un chant harmonieux. Puis c’est une vraie osmose entre les enfants et la Diva qui semble elle-même subjuguée par l’ardeur de cette belle jeunesse.

Voilà un rêve éveillé fait d’amour et de beauté qui nous a fait oublier la réalité et espérer un avenir meilleur. Hélas les grands feux actuels au Canada et leurs fumées spectaculaires sur New York viennent ternir un peu ce beau rêve. La démarche de Joyce i Donato reste louable et nous planterons le disque de graines à son effigie qu’elle nous a offert !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 8 Juin 2023. Éden. Charles Ives ; Rachel Portman ; Gustav Mahler ; Marco Ucellini ; Biagio Marini ; Josef Myslivecek ; Aaron Copland ; Giovanni Valentini ; Francesco Cavalli ; Christoph Willibald Gluck ; Gustav Mahler. Joyce Di Donato, mezzo-soprano ; Chœur d’enfants Éclats, direction François Terrieux ; Il Pomo,d’ Oro ; Maxim Emelyanichev, direction.

Romeo et Juliette : Nouvelle version choc !

Critique. Enregistrement CD. Hector Berlioz : Romeo et Juliette, symphonie dramatique ; Cléopâtre, scène dramatique. Joyce di Donato. Cyril Dubois. Christopher Maltman. Coro Gulbenkian. Chœur de l’OnR. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Direction : John Nelson. 2 CD ERATO. Enregistrement 3-9 Juin 2022. Durées 72.26 et 39.29. Code : 5054197481383.

La version que nous attendions du chef d’œuvre de Berlioz.

John Nelson et les forces strasbourgeoises sont en passent de proposer une intégrale Berlioz qui domine la discographie. Après Les Troyens, La Damnation de Faust, Les nuits d’été voici leur Roméo et Juliette. Je dois dire que ce fût un choc à l’écoute tant tout ce qui est attendu et même au-delà est présent. Cette symphonie dramatique crée en 1839 est une œuvre très exigeante, bien plus complexe que toute autre du bouillonnant Hector. C’est également celle qui fera l’admiration de Wagner qui dédicacera sa partition de Tristan au « Grand et cher auteur de Roméo et Juliette ». J’avoue mon amour pour cette partition, la plus proche à mon gout de la tragédie de Shakespeare dans une mise en musique. Dans une inventivité débordante Berlioz fait de l’orchestre un artiste dramatique totalement convaincant qui avec le concours de trois voix solistes et du chœur nous entraine dans la folie de cet amour interdit. Toute la tragédie est là, à condition de compter sur chef capable de tenir les rênes de cette aventure démesurée, sans contraindre le romantisme de la partition ni céder au son spectaculaire. L’équilibre est ici vertigineux.  John Nelson est de cette trempe, il entraine tous les interprètes dans une lecture urgente, débordant de lyrisme, très construite et d’une humanité émouvante.

Les chœurs associent au chœur de l’Opéra national du Rhin le chœur portugais Gulbenkian. Leur associant est puissante et grandiose. Cette ampleur sonore rend difficile la compréhension du texte, c’est bien une limite habituelle des chœurs symphoniques démesurés comme Berlioz en a l’habitude.

Les solistes ont déjà chanté Berlioz avec John Nelson. Joyce DiDonato a une voix royale pour Berlioz. Dans le si beau moment qui est confié à la mezzo-soprano, elle atteint des sommets d’expressivité et de poésie. La voix est somptueuse de timbre, l’interprète dit le texte avec gourmandise et un naturel incroyable. Elle dit autant qu’elle chante. Non seulement Joyce DiDonato à un français délicieux et sans accent mais elle frémit à chaque instant semblant véritablement déguster elle-même les mots décrivant « ce premier amour que personne n’oublie ». Dans le moment hors réalité du Scherzo de la reine Mab Cyrill Dubois avec une précision miraculeuse nous permet de suivre le texte si rapide. Le timbre clair et lumineux fait merveille pour cet instant de rêve éveillé.

L‘orchestre Philharmonique de Strasbourg est merveilleux avec ce jeu si beau et ce son français indispensable chez Berlioz. Les interventions solistes sont particulièrement éloquentes.

Toute la construction du drame avec ses éléments disparates et en ce sens si shakespeariens sont savamment agencés par John Nelson. Cette si belle construction ne se retrouve dans aucune autre version connue au disque.

D’où vient alors que la dernière scène ne décolle pas et semble plafonner ? Est-ce le niveau si haut obtenu dans la scène du tombeau à l’émotion absolument sublime (il faut du temps pour s’en remettre) ? Est-ce le chœur trop massif, ou peut-être la manière grandiloquente dont Christopher Maltman chante, semblant justement chanter plus que dire un texte pourtant si fort ? Peut-être est-ce son manque de charisme ? Le fait de mettre le deuxième CD après des moments si forts? Ce sera la seule petite réserve que je mettrai à cet enregistrement magistral et qui transporte l’auditeur dans le monde de Shakespeare comme jamais.

La prise de son est spectaculaire, la tension de la version de concert est évidente, les raccords ne sont pas perceptibles et l’urgence dramatique est tout à fait continue.

En complément de programme Joyce DiDonato nous offre une scène dramatique hallucinante et hallucinée.  Elle incarne Cléopâtre dans ces derniers instants avec une voix de bronze, une énergie incroyable et une douleur insondable. C’est une interprétation idéale pleine de folie. Vocalement dans une plénitude de moyens inimaginable elle fait des nuances incroyables, colore sa voix à l’infinie et techniquement fait des sons filés à se damner. Avec un orchestre si vif, si intense cette grande scène dramatique prend la dimension d’un opéra entier. On sort de l’écoute de cette scène comme abasourdi.

Cet enregistrement est majeur tant pour Berlioz que pour Joyce DiDonato absolument magnifique.

Voilà deux CD tout simplement indispensables.

Hubert Stoecklin

Le Viol de Lucrèce à Toulouse : fascinant !

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 22 mai 2023.BRITTEN : Le Viol de Lucrèce. Rehlis, Rock, Dubois, Garnier. Delbée/Stieghorst.

Toute l’ambiguïté de partition de Britten magnifiée à Toulouse

Après la deuxième guerre mondiale, au retour de sa visite des camps de la mort nazis, Benjamin Britten totalement bouleversé a pris deux décisions : Créer une petite compagnie d’opéra et composer pour elle des œuvres de tailles réduites. Sa première partition sera ce viol de Lucrèce. Cette œuvre très originale est remplie de cette douleur et de ces espoirs d’un monde nouveau après la grande horreur. Car cette partition, virtuose, belle et inouïe est également extrêmement ambiguë.

Les toulousains ne la connaissaient pas et Christophe Ghristi n’a pas lésiné sur les moyens afin de provoquer un choc pour le public. A son habitude il a engagé une distribution parfaite, nous y reviendrons en détail. Le fait d’offrir à la grande artiste Anne Delbée une nouvelle mise en scène d’opéra est absolument remarquable. Le dispositif scénique est très habile, les décors suggestifs, les costumes somptueux, les lumières très subtiles. L’œil est à la fête et voyage du jour à la nuit, de l’intime au public, de la noirceur à la lumière de l’âme, c’est fascinant. La direction d’acteurs est très précise et la manière dont chaque chanteur se meut est remarquable par la différenciation faite entre les personnages.

Hiératique et pudique la Lucrèce d’Agnieska Rehlis est sublime de beauté puis sera détruite par le viol avant de se métamorphoser en Sainte Martyre. La pulsionnalité ravageuse de Tarquin est parfaitement rendue par Duncan Rock.

De ce fait le choc de leurs oppositions devient radical. Ils apparaissent comme n’appartenant pas à la même planète. Dominic Barberi en Collatin le mari est d’abord un soldat quelconque avant de devenir un mari aimant d’une générosité absolue et pourtant totalement impuissante à sauver sa femme tant aimée. Il a un jeu subtil et son changement est d’une grande vérité éthique.

En politique retors le Junius de Philippe-Nicolas Martin est aussi vil que poli. C’est en fait lui qui est le monstre qui provoque le drame. Il nous reste à évoquer le Chœur Antique voulu par Britten. Confié à un homme et une femme la richesse de leurs commentaires fait tout le prix de cette partition.

Le jeu de Marie-Laure Garnier, chœur féminin, est marmoréen et d’une humanité troublante. Toute de noblesse et de retenue elle personnifie la compassion et l’admiration.

Plus volage Cyril Dubois en chœur masculin est proche d’un papillon qui voltige sur scène cherchant à faire vivre l’action qu’il raconte ; c’est plus extérieur, plus contemporain.

Entre ce classicisme marmoréen du chœur féminin, que rappelle également un élément de décor fait d’une tête de statue à demi visible posée au sol et l’agitation hystérique du chœur masculin associé à la richesse du costume tout en or de Tarquin, le conflit masculin-féminin explose et travaille à une opposition qui petit à petit deviendra complémentarité. D’aucun reprocheraient à Anne Delbée d’en avoir trop montré… Moi j’ai beaucoup apprécié cette richesse de sens multiples de sa conception car elle nous amène à nous questionner, nous le public, sur notre gout du luxe et notre délectation à voir toutes ces héroïnes sacrifiées à l’opéra.

Le travail vocal et scénique des chanteurs est tout à fait convainquant dans la manière dont l’identité vocale de chacun participe activement à construire les personnages. La distribution est donc admirable en tout. Toutes les voix sont superbes y compris les plus petits rôles. L’orchestre du Capitole avec ses 13 musiciens est d’une réactivité sidérante, il est presque incroyable qu’ils soient en si petit nombre tant les effets sont riches. La direction de Marius Stieghorst est magistrale, souple et pleine de nuances. Le drame se déploie sans temps morts et le public sort de cette heure et 40 minutes de musique, complètement bouleversé et en ayant l’impression d’avoir traversé un océan de larmes. L’ambiguïté de la partition dans sa beauté ravageuse ne cesse de hanter le spectateur-auditeur fort longtemps.

La pirouette finale voulue par Britten qui très artificiellement lie l’histoire de Lucrèce à celle du Christ est très dérangeante dans le sens ou la religion ne sert qu’à donner un prétexte obscur aux souffrances des innocents comme Lucrèce.

Cet opéra très puissant a fait une entrée remarquable au répertoire du Capitole. Ce fut une incroyable découverte.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 23 mai 2023. Benjamin Britten (1913-1976) : Le Viol de Lucrèce, Opéra en deux actes. Mise en scène : Anne Delbée ; Collaboration artistique : Émilie Delbée ;  Collaboration à la mise en scène : Arthur Campardon ; Décors : Hernan Panuela ; Costumes : Mine Vergez ; Assistante aux costumes : Marie-Christine Franc ; Lumières : Jacopo Pantani ; Distribution : Agnieska Rehlis, Lucrèce ; Duncan Rock, Tarquin ; Dominic Barberi, Collatin ; Philippe-Nicolas Martin, Junius ; Juliette Mars, Bianca ; Céline Laborie, Lucia ; Marie-Laure Garnier, chœur féminin ; Cyrille Dubois, chœur masculin ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Marius Stieghorst. 

Othello par Sivadier : c’est Magistral

Critique. Théâtre.Toulouse. Théâtre de la Cité, le 11 mai 2023. William Shakespeare : OTHELLO.

Texte français : Jean-Michel Déprats ; Mise en scène : Jean-François Sivadier / Cie Italienne avec Orchestre ; Cyril Bothorel : Brabantio, Montano et Lodovico ; Nicolas Bouchaud : Iago ;  Stephen Butel : Cassio ; Adama Diop : Othello ; Gulliver Hecq : Rodrigo ; Jisca Kalvanda : le Doge de Venise, Emilia ; Emilie Lehuraux : Desdémone, Bianca. Scénographie : Christian Tirole, Jean-François Sivadier et Virginie Gervaise ; Lumières : Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin ; Costumes : Virginie Gervaise ; Son : Ève-Anne Joalland.  

Othello est une pièce particulière de Shakespeare pour moi. C’est probablement celle que je connais le mieux, par l’adaptation qu’en a faite Boïto pour l’opéra Otello de Verdi. C’est celle qui permet une analyse clinique très impressionnante du délire de jalousie et de la paranoïa. C’est également à mon sens celle qui parle le plus intimement au spectateur à travers le temps. Des êtres simples, non issus de la noblesse de la mythologie ou de la farce nous montrent comment dans un couple le plus aimant, la jalousie détruit tout sous le poids du regard social implacable et d’un être pervers qui agit savamment. Jean-François Sivadier dans une nouvelle traduction de Jean-Pierre Déprats nous propose sa vision d’une grande acuité de ce drame intime.

Le dispositif scénique, décors, costumes, lumières est sobre et d’une grande efficacité. Il permet au spectateur de se projeter à Venise, puis à Chypres entre espaces publics et intimes. C’est toujours élégant et pratique. Chaque comédien incarne à la perfection son ou ses rôles avec une justesse psychologique parfaite. Ainsi Jisca Kalvanda est d’abord un Doge plein de majesté et d’autorité puis une Emilia sensible et pleine de force. Les plus petits rôles comme Brabantio, Montano et Lodovico joués par Cyril Bothorel sont très intéressants et la performance d’acteur force l’admiration. Bien évidemment c’est le trio infernal qui nous donne les plus grands frissons.

L’Othello d’Adama Diop est absolument stupéfiant. Bel athlète noir il impose une puissance tellurique qui semble sans limites. Puis une fragilité stupéfiante lézarde sa superbe avant l’émergence d’une douleur insondable qui en fait un meurtrier. L’évolution du personnage est une performance d’acteur rare car d’une justesse parfaite. Le masque blanc avec lequel il termine son acte meurtrier et son impossibilité d’y survivre, dans un véritable suicide altruiste restera dans les mémoires comme des images sublimes.  Othello rend perceptible jusque dans son meurtre l’amour idéalisé bafoué qu’il voue à sa femme. Cela ne justifie en aucun cas ses actes mais le désespoir est si noblement exprimé qu’il nous entraine à le comprendre.

La blanche Desdémone est Émilie Lahuraux, elle a une force d’âme bien loin d’une oie blanche et une détermination supérieure. Elle a d’ailleurs l’aplomb et la séduction fatale de Bianca dans une courte apparition. La pièce commence avant le lever de rideau, nous découvrons en entrant dans la salle, toutes lumières allumées un couple devisant en parfaite intelligence. Nous comprenons qu’il s’agit du couple de héros quand Othello offre la bague de mariage en faisant sa demande. La complicité des deux amants puis époux est évidente et forte. Voilà un couple qui semble armé pour tenir. La séduction naturelle de Desdémone et son aisance nous fait imaginer qu’elle puisse tromper son mari. Le jeu avec Cassio, interprété par Stephen Butel, est dans ce sens très subtil fait d’une proximité de classe et d’éducation.

La manière dont Nicolas Bouchaud incarne Iago est insupportable. Il est la personnification de la perversion, sa jouissance à manipuler tous les autres personnages tient du prodige. La manière dont il met le public dans sa poche est profondément révoltant. Vous l’aurez compris le « quatrième mur » est inexistant. Chaque personnage aura des moments d’adressage au public. Personne autant que Iago en tous cas. La manière dont il peut avoir une assurance est un fatal ascendant sur les personnages et n’a d’égal que sa veulerie et sa pleutrerie. Le travail d’acteur est donc d’un niveau sidérant.

La scénographie est du même niveau, les relations si riches entre les personnages fonctionnent admirablement. Ainsi toute la mécanique de la distillation du poison de la jalousie, la dissémination du doute, puis la force de la destruction lancée plus rien ne peut l’arrêter. Nous en sommes conscients et complètement médusés assez rapidement. Les petits éléments de mise au goût du jour sont discrets et toujours judicieux. Le travail de Sivadier est si complet qu’il rend lisible comment un couple si courageux face à l’adversité, ne tient pas dans une société qui par la lutte des castes n’autorise pas vraiment les égalités d’êtres ni la liberté individuelle. Desdémone et Othello se sont crus libres et sous le regard social que Iago surdétermine, leur couple ne peut résister malgré la confiance pure qui les a unis. Sans cette confiance dans l’autre, il n’y a plus de respect ni de l’autre ni de soi. J’ai vraiment été pris par cette représentation comme rarement, avec l’impression que tous les plans ont été rendus lisibles. Tout était parfait pour que le génie de Shakespeare se déploie et nous subjugue. Une sorte d’idéal du théâtre est donc possible ! Le public n’a pas été loin de la standing ovation la plus bruyante comme galvanisé par ce spectacle totalement réussi. Une grande mise en scène, avec de grands acteurs, voilà une production qui va connaître un succès total là où elle passera.

Jean-François Sivadier est un des talents les plus complets du moment sans nul doute ! Son théâtre est d’un lyrisme bouleversant.  Son Othello fait pleurer !

Hubert Stoecklin

Le 48 iem festival du Comminges s’annonce à Toulouse

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 9 mai 2023. Tchaïkovski. Mozart. Julien-Laferrière. Laloum. Orch Consuelo.

Musicalité exquise pour ouvrir le 48 ° Festival du Comminges.

Descendant des montagnes et de la superbe Basilique de Saint Bertrand de Comminges, les organisateurs de ce concert ont voulu séduire le public toulousain et offrir un concert magnifique plus d’un mois avant le début du festival le 28 juillet 2023.

Victor Julien Laferrière ® Jean Baptiste Millot

Victor Julien-Laferrière est venu avec la triple casquette de soliste émérite au violoncelle, en chef d’orchestre et en directeur artistique du festival. Le jeune musicien a excellé en tout. En une courte allocution il décrit ainsi son engagement auprès du festival du Comminges en succession au très regretté Jean-Patrice Brosse et en tant que créateur de l’orchestre Consuelo. C’est avec cet orchestre qu’il se présente à nous et avec son ami le pianiste Adam Laloum. En première œuvre ce sont les Variations Rococo de Tchaïkovski qui ouvrent le programme. Cette œuvre, cheval de bataille de bien des violoncellistes, convient admirablement à Victor Julien Laferrière. La virtuosité lui permet de nous éblouir par un naturel et une apparente facilité. Le brillant qu’il partage avec l’orchestre est un dialogue plein de poésie et de joutes à fleuret moucheté. Les tempi sont vifs et les variations sont toutes admirablement élégantes. L’orchestre en une écoute chambriste dialogue constamment avec le chef-soliste. La première violon avec énergie et efficacité prend la relève et bat la mesure de son archet dans une variation particulièrement périlleuse, le résultat est enthousiasmant.

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C’est dans le concerto de Mozart que le jeune Victor Julien-Laferrière nous révèle vraiment ses talents de chef d’orchestre, le soutien à Adam Laloum est particulièrement musical. On ressent le partage artistique très ancien entre les deux musiciens. Adam Laloum se régale d’écouter l’introduction orchestrale du premier mouvement du 23ème concerto de Mozart, puis s’installe dans un jeu particulièrement souple en partenariat avec les musiciens de l’orchestre. Adam Laloum joue Mozart avec un naturel et une grâce infinie. L’écoute de l’orchestre est totale et les solistes de l’orchestre, surtout les bois, dialoguent avec le pianiste en toute félicité. Cet accord musical entre tous les musiciens est d’une beauté très émouvante. Tout particulièrement dans le deuxième mouvement. Le thème donné par le pianiste a un doux balancement, comme un nocturne au bord de l’eau. La poésie de cette entrée est relayée par les bois qui semblent offrir un véritable jeu de chambristes ; le balancement des cordes obtenus par Victor Julien-Laferrière est du même ordre. La poésie irradie de chaque mesure pour ce moment de véritable partage entre musiciens et avec le public qui retient son souffle. Le final réveille chacun pour cette fête insouciante et joyeuse dans une virtuosité tournoyante et victorieuse toute en légèreté. On devine bien combien la cooptation des instrumentistes a été basée sur cette fine musicalité de chacun. Ce n’est pas seulement un orchestre de solistes mais de parfaits chambristes et cela s’entend et donne à leur Mozart une allure faite de jubilation amicale. Les infimes nuances, les phrasés subtilement réalisés par Adam Laloum trouvent un écho et une réponse dans l’orchestre ; ce dialogue est absolument renversant car cela se fait le plus naturellement et simplement du monde. Les applaudissements fusent pour le soliste et les musiciens ainsi que leur chef.

Pour terminer le concert, après un court entracte Victor Julien-Laferrière revient et dirige avec beaucoup de précision la première suite pour orchestre de Tchaïkovski. Cette œuvre mal-aimée chante, caracole et avance sans temps mort révélant couleurs originales, nuances très creusées et une instrumentation richement variée. Victor Julien-Laferrière partage ses attentes avec les musiciens plus qu’il n’impose. Sa direction est efficace, précise et laisse pourtant beaucoup de liberté aux musiciens qui peuvent tous s’exprimer. Cela donne une interprétation très vivante et stimulant l’écoute. Et ainsi plus d’un s’est demandé pourquoi cette suite si originale n’est pas donnée plus souvent en concert. Voilà un concert qui permet de deviner que ce 48ème Festival du Comminges sera une vraie réussite. Le public retrouvera la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges et les nombreuses et magnifiques églises de la région dès le 28 juillet 2023.

Seul regret un public trop clairsemé pour des musiciens de cette envergure et un programme si attrayant.

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 9 mai 2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n°23 en la majeur K.488 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Variations sur un thème Rococo pour violoncelle op.23, Suite pour orchestre n°1 op.43. Orchestre Consuelo ; Adam Laloum, piano ; Victor Julien-Laferrière, violoncelle et direction.

Orchestre Consuelo © Jean Baptiste Millot

Michael Spyres le Tenorississimo !

CRITIQUE.CD. CONTRA-TENOR.MICHAEL SPYRES. IL POMO D’OR. FRANCESCO CORTI. 1CD ERATO durée : 72’54 ’’.

Michael Spyres TENORISSISSIMO nous offre un enregistrement orgiaque

Michael Spyres est un artiste unique qui se pose des questions sur sa voix, le répertoire, la technique vocale et l’histoire de l’opéra. Il a une tessiture exceptionnelle et l’explore sans cesse. Son précédent enregistrement intitulé Barytenor est bluffant, sidérant mais ne nous a pas totalement convaincu. Il a certes un medium sonore et des graves exceptionnels mais il manque une sorte de grain, de moelleux que nos chers barytons utilisent avec art. C’est un peu ce qui me manque même chez Placido Domingo qui fait une carrière de baryton enviable. Ce qui est certain c’est que Michael Spyres pousse l’auditeur dans ses retranchements et le critique également. Pour bien apprécier cet enregistrement de CONTRA-TENOR je me suis plongé dans mes « archives » afin de me demander quels ténors peuvent avoir été des précurseurs. Je dois dire que les qualités de Michael Spyres sont telles que je rends les armes. Il me faut faire appel à plusieurs immenses ténors pour couvrir cette vaste tessiture, ces vocalises inouïes, ces phrasés subtiles, cette adéquation stylistique parfaite et un chant dans chaque langue sans accent.

Nicolaï Gedda a eu probablement la versatilité, la perfection stylistique, l’aisance dans les langues et l’ampleur de la tessiture qui peuvent se rapprocher de Spyres.

Dans Lully et Rameau Spyres égale vocalement un Howard Crook pourtant idéal et le dépasse en adéquation stylistique.

Rockwell Black dans Vivaldi et Rossini est capable des mêmes vocalises les plus folles mais n’a pas la beauté vocale ni l’homogénéité de Spyres.

Ces exceptionnels ténors doivent s’agiter en entendant ce récital de Michael Spyres car il va plus loin que chacun d’eux…

Une chose est certaine, Michael Spyres est un vrai ténor, il en a les aigus faciles, clairs et irradiants, le grain serré du timbre, sa capacité de mixer les voix de tête et de poitrine est absolument parfaite et il fait ce qu’il veut de sa voix. Son medium et son grave sont idéalement placés et dans les immenses vocalises sur plus de trois octaves l’homogénéité du timbre est exceptionelle. Car même si nous critiquons un enregistrement je trouve important de savoir l’effet physique d’une voix pour la connaître vraiment. Dans Idoménée à Aix-en-Provence cet été j’avais été totalement convaincu et pour dire subjugué par l’interprétation de Michael Spyres.

Avec un air pour chaque compositeur les choix sont absolument enthousiasmants. De nombreux compositeurs sont totalement inconnus et ne nombreux airs tout simplement inédits. Chacun pourra se laisser séduire, pour ma part les airs de Domenico Sarro, Baldassare Galuppi et Gaetano Latilla m’ont particulièrement plus. Avec tant de virtuosité ainsi exécutée, je dois avouer que je les apprécie autant que les airs virtuoses pour soprano.

Sur une tessiture si vaste je ne connais qu’une chanteuse. C’est Yma Sumac capable de suraigus et de notes de contralto sur 4 octaves. Mais elle n’a pas abordé l’opéra en intégrale et restera un phénomène vocal unique. Rien de cela chez notre ténor assolutissimo.  Il semble pouvoir tout chanter à l’opéra !

C’est la musicalité de Michael Spyres qui me paraît la plus admirable.  Ainsi c’est dans l’air sobre d’Orphée de Gluck qu’il me touche le plus. Un français parfait, des phrasés subtils et des nuances délicieuses et jusqu’à une fragilité émouvante ont complétement renouvelé mon amour pour cet air sublime sans doute beaucoup trop entendu. Il n’y a pas que la voix qui est exceptionnelle chez Michael Spyres c’est sa musicalité, son extraordinaire connaissance stylistique. A ce titre il faut saluer le même niveau d’excellence d’Il Pomo d’Or et de la direction de Francesco Corti. Aussi caméléons que le ténor l’orchestre et le chef sont parfaits dans tous les styles, absolument tous, y compris dans Lully et Rameau. Ils donnent un coup de vieux aux enregistrements historiques de référence.

L’enregistrement est très précis à la fois proche de la voix caméléon et des instrumentistes dans une acoustique aérée. C’est très agréable et très beau. C’est donc une réussite totale et absolue !

Voici un enregistrement qui fait partie des merveilles vocales absolues, que tout amateur de voix chérira et placera au pinacle.

Critique. Enregistrement 1 CD ERATO 5054197293467. CONTRA-TENOR. Michael Spyres, ténor. Il Pomo d’Or Direction : Francesco Corti.  Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : « Cessons de redouter » et Passacaille extraits de Persée. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : « E il soffrirete … Empio per farti guerra » extrait de Tamerlano. Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Cada pur sul capo audace » extrait de Artabano, re de’ Parti. Leonardo Vinci (1690-1730) : « Si sgomenti alle sue pene » extrait de Catone in Utica. Nicola Porpora (1686-1768) : « Nocchier, che mai non vide » extrait de Germanico in Germania. Domenico Sarro (1679-1744) : « Fra l’ombre un lampo solo » extrait de Achille in Sciro. Baldassare Galuppi (1706-1785) : « Vil trofeo d’un alma imbelle » extrait de Alessandro nell’Indie. Gaetano Latilla (1711-1768) : « Se il mio paterno amore » extrait de Siroe, re di Persia. Johann Adolf Hasse (1699-1783) : « Solcar pensa un mar sicuro » extrait de Arminio. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : « Cessez de ravager la Terre » extrait de Naïs. Antonio Maria Mazzoni (1717-1785) : « Tu m’involasti un regno » extrait de Antigono. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : « J’ai perdu mon Eurydice » extrait de Orphée et Eurydice. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Se di lauri » extrait de Mitridate, re di Ponto. Niccolò Piccinni (1728-1800) : « En butte aux fureurs de l’orage » extrait de Roland. Michael Spyres, ténor ; Il Pomo d’oro, direction : Francesco Corti. 1 CD Erato. Enregistré du 15 au 22 septembre 2020 à la Villa San Fermo de Lonigo (Italie). Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée : 72:54.

Odysée du Ring : l’hommage de Joseph Swensen à Wagner !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Wagner/Swensen, Odyssée du Ring, Orch Nat  Capitole, Libor, Elsner, Gastl, Swensen.

Joseph Swensen construit une odyssée du Ring cosmique !

Arthur Rackham

Durant le confinement Joseph Swensen après un grand découragement a construit une réduction de la Tétralogie de Wagner en pensant à Toulouse. Le travail conséquent que le violoniste, chef d’orchestre et compositeur a réalisé est considérable. Car les choix opérés dans les quatre œuvres qui forment cette tétralogie sont très convaincants. Respectant un temps pour chaque œuvre il assure des passages entre les moments choisis absolument géniaux. Même pour un connaisseur des leitmotivs l’enchaînement de certains d’entre eux peut se révéler savoureux et permet par le retour subit d’un thème de mieux supporter les indispensables coupures. C’est vraiment brillant.

Le choix de Swensen est de célébrer l’amour qui sauvera le monde. Ainsi les amoureux ont la part belle : toute la longue fin du duo d’amour de Siegmund et Sieglinde puis le duo d’amour de rencontre entre Siegfried et Brunehilde et leur séparation au début du crépuscule. Le monologue d’adieux plein d’amour de Wotan à sa fille est hélas coupé et seul l’appel de Logue subsiste.

Arthur Rakham

La mort du dragon Fafner et l’appel de Hagen permettent à la clef de fa (Damien Gastl) de s’exprimer, toutefois ceux sont le ténor, Christian Elsner et surtout la soprano, Christiane Libor qui chantent le plus. L’orchestre du Capitole est soumis à une sorte de surexposition constante. C’est peut-être ce qui représentera les limites de ce concept. La richesse de cette partition fleuve de quatorze heures de musique, réduites à trois ne comprend que des moments géniaux mettant en lumière cette symbiose incroyable entre l’orchestre et les chanteurs. Il n’y a pas de pose et le spectateur est lui-même sur-stimulé ce qui ne va pas sans occasionner une sorte de vertige, voir de fatigue auditive devant tant de puissance. Car si l’Orchestre du Capitole sait son Wagner, la taille de l’orchestre est très différente de celui présent dans la fosse au théâtre. Ce soir ne sont pas moins de cent musiciens avec huit contrebasses devant le public. Cela sonne bien et les forte sont assourdissants. Les cuivres sont à la fête comme jamais ! Les bois sont magiques, les deux harpes légères et aériennes, les cordes surchauffées diffusent la passion des héros. Et n’oublions pas les percussions si précieuses pour des effets extraordinaires. C’est ainsi du vrai grand Wagner symphonique … Côté vocal nous l’avons dit le baryton-basse Damien Gastl n’intervient que peu mais avec une voix de stentor tout à fait effrayante dans l’appel de Hagen. La réponse du chœur d’hommes est terrifiante. La très courte intervention du chœur est tout à fait spectaculaire !

Le Siegmund et le Siegfried de Christian Alsner ont toute la vaillance attendue et beaucoup de poésie dans la manière dont le ténor phrase. Il y a des nuances très délicates et de belles couleurs vocales chez ce ténor. C’est la soprano Christiane Libor qui restera comme un monstre d’endurance. Elle sera Siegliende et Brünnhilde trois fois.

Dans la Walkyrie Swensen lui demande de chanter au moins sept fois le cri de la Walkyrie chantant son cri et ceux de ses sœurs en un enchaînement diabolique. Les aigus fusent ! Dans le duo de rencontre avec Siegfried elle irradie vocalement et son jeu de regards avec son partenaire est éloquent. Dans le Crépuscule elle passe du bonheur des adieux à la scène finale sans efforts. La résistance de cette cantatrice est extraordinaire elle termine sa prestation très engagée et horriblement exigeante sans paraître fatiguée. C’est tout à fait exceptionnel !

Rajoutons que la direction de Joseph Swensen est très spectaculaire. Il demande une énergie constamment renouvelée à l’orchestre et obtient une beauté et une urgence incroyable de chaque instrumentiste. C’est absolument grisant. Il garde pour la fin une manière absolument exquise de faire advenir le thème de l’amour qui sauve le monde comme dans un rêve. Cette fin est magique !

Joseph Swensen et l’orchestre du Capitole se connaissent depuis longtemps avec Mahler et Bruckner, ce temps wagnérien scelle un nouvel accord artistique au sommet.

Le public abasourdi, comme sonné, fait un triomphe à toute cette splendide équipe au service de la puissance du drame wagnérien. Seule une salle de concert et un orchestre symphonique de cette trempe peuvent offrir à la partition sensationnelle de Wagner sa dimension cosmique. Ce fut un moment fulgurant sans temps morts !

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Richard Wagner (1813-1883) / Joseph Swensen : Le Ring des Nibelungen ext. Avec : Christiane Liebor, soprano ; Christian Elsner, ténor ; Damian Gastl, basse ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Joseph Swensen.

Tous les Matins du Monde concert événement

CRITIQUE. Concert.TOULOUSE. Théâtre de la Cité, le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Quignard. Savall. Concert des Nations.

Un concert événement particulièrement émouvant !

Les Arts Renaissants fêtent leurs 40 ans. Le concert de clôture de la saison crée un véritable évènement qui devant l’ampleur de la demande du public se tient dans la grande salle du Théâtre de la Cité. Les caméras et les micros de Mezzo sont en place pour en faire un film mémoire.

Que d’émotions chez les participants, dans la salle et sur scène. Jordi Savall et Pascal Quignard et les musiciens du Concert des nations sont présents comme lors de la création de la musique du Film « Tous les matins du monde ». Sans s’appesantir les morts,  Montserrat Figueras et Alain Corneau, ont été pudiquement évoqués. Juste rapidement je redirai combien le  film « Tous les matins du monde » d’Alain Corneau a été un évènement planétaire qui a mis en lumière la beauté inouïe des musiques oubliées bien mal nommées « baroques ». La viole de gambe connue des seuls puristes a été offerte au public le plus vaste. Plus d’un million d’exemplaires du disque de la bande son a été acheté…

Nous avions donc devant nous ce soir les monuments que sont aujourd’hui Pascal Quignard et Jordi Savall mais également 5 musiciens qui étaient là en 1991 lors de l’enregistrement de la bande son. Eux aussi sont des légendes : Mandfredo Kraemer au violon, Charles Zebley à la flûte traversière, Philippe Pierlot à la viole, Xavier Diaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Pierre Hantaï au clavecin.

Pascal Quignard a replacé les conditions de la création de ce rêve devenu réalité, puis a lu avec émotion des extraits du roman. Les musiques choisies n’étaient pas identiques à la bande son, mieux elles reprenaient parfaitement l’esprit. Les rêves ne peuvent se raconter fidèlement, seul leurs sens nous restent. Ainsi en va-t-il pour ce concert. Ils étaient là et nous ont enchantés. La salle pleine à craquer a fait une ovation bien méritée. Il a été question de la beauté de la mélancolie, du deuil, de la mort et surtout de la vie. L’interprétation de ce soir reste unique.

Jamais Jordi Savall n’a joué ainsi les Pleurs de Sainte Colombe. Les deux amis seuls sur scène, Quignard écoutant très troublé et Savall jouant dans une maitrise totale et une émotion toute singulière, la salle retenant son souffle. Que de beauté et de générosité ! Quelle chance d’être là ! Ainsi les absents sont honorés et la musique peut également irradier de joie. La fin du concert avec la Sonnerie de Sainte-Geneviève, majestueuse et heureuse donne beaucoup d’énergie. En bis deux tambourins de Rameau nous dévoilent les enfants espiègles qui sommeillent dans ces musiciens au sommet de leur art.  Jordi Savall est un homme de 82 ans qui a su révéler l’enfant qui demeure en lui pour l’éternité ! 

Tous ces anniversaires : 40 ans des Arts Renaissants, plus de 30 ans de Tous les Matins du Monde, les retrouvailles de Jordi Savall et Pascal Quignard auraient pu apporter nostalgie et mélancolie mais c’est bien la joie qui a porté le concert. La Musique reste l’art majeur qui défend la vie et la paix. Cette paix intérieure qui permet celle entre les hommes et entre l’homme et la nature. Gratitude, oui complète gratitude restera le maitre mot !

Hubert Stoecklin

PHOTOS :  © Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants

Critique. Concert. Toulouse. Théâtre de la Cité le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Jean-Baptiste Lully ( 1632-1687) : suite du Bourgeois Gentilhomme ; Monsieur de Sainte Colombe le père ( ca.1640-ca 1701) : Les Pleurs ( adaptation pour viole seule de Jordi Savall), Concert XLI à deux violes égales Le Retour, Concert XLIV à deux violes égales Tombeau Les Regrets ; Marin Marais ( 1656-1728) : Pièces de viole du 2°livre Couplets de Folies d’Espagne  et 4° livre La Rêveuse, Sonnerie de Saint-Geneviève du Mont-de-Paris, De la gamme et Autres Morceau de symphonie n°3 ; François Couperin (1668-1733) : Les Concerts royaux (1722) et Nouveaux Concerts(1724), Ext ; Textes originaux de Pascal Quignard dits par l’auteur. Le Concert des nations : Mandfredo Kraemer, violon ; Charles Zebley, flûte traversière ; Philippe Pierlot basse de viole à 7 cordes ; Xavier Diaz-Latorre, théorbe guitare ; Pierre Hantaï au clavecin ; Jordi Savall basse de Viole à 7 cordes et direction. Pascal Quignard, récitant.

Beau succès pour la TRAVIATA à Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. VERDI : Traviata. Rambert/Spotti. Pavone. Dran. Solari.

Triomphe total pour cette reprise de Traviata à Toulouse

Cela devient une habitude à Toulouse. Les places sont prises d’assaut à l’opéra et dès la première tout se joue à guichet fermé. Nous l’avions déjà signalé avec Tristan et Isolde. Pour la Traviata c’est encore plus clair. Cette production de grande qualité date de 2018, c’est la dernière mise en scène de Pierre Rambert aujourd’hui décédé.   Pour ce qui est de cette belle production je renvoie à ce que j’ai écrit en 2018. Je rajouterai qu’elle n’a pas pris une ride.

Musicalement la fête est complète. Christophe Gristi a renouvelé son exploit. Il a mis au point deux distributions exceptionnelles. J’ai vu la « deuxième » distribution et je dois dire que j’ai été totalement comblé.

La Violetta de Claudia Pavone est particulièrement attachante. Scéniquement elle a beaucoup de caractère et d’énergie, luttant avec beaucoup de franchise face à la maladie et au drame de sa vie.

Même si la direction d’acteur est assez minimaliste l’actrice est crédible et extrêmement émouvante dans chaque acte. Sa voix est corsée, ductile et très belle. Les aigus sont aisés et ses nuances piano absolument magiques. Il y a beaucoup de délicatesse, de finesse dans ses phrasés. Le dite alla giovane sur un fil de voix qui plane sans effort est un moment magique. La mort entre révolte et abattement un grand moment d’opéra.

Son amoureux Alfredo est le ténor Julien Dran. Bel homme mince et très élégant, il campe un « provincial » réservé qui évolue rapidement en amoureux éperdu, puis jaloux maladif, enfin au dernier acte il gagne en lucidité et son désespoir est émouvant.

La voix est harmonieuse et je dois dire que bien des ténors qui souvent dans ce rôle se contentent d’exhiber un bel organe ne chantent pas avec autant de délicatesse que Julian Dran.

Ce chant élégant et précis, ces phrasés subtils donnent bien du relief à ce personnage qui peut paraître fade. Quand on dispose d’une Violetta et d’un Alfredo de cette qualité le chef d’œuvre de Verdi nous émeut totalement.

Le Germont de Dario Solari est de la même eau. Belle voix, chant parfaitement conduit, seul le jeu est plus convenu, le personnage étant moins riche.

La Flora de Victoire Bunel est parfaite, amicale et pleine d’esprit. Les autres personnages de moindre importance sont tous des chanteurs très présents. Les ensembles sont ainsi idéalement équilibrés. Citons : Cécile Galois en Annina, Pierre-Emmanuel Roubet en Gastone, Jean-Luc Ballestra en Baron Douphol, Guilhem Worms en Marquis d’Aubigny et Sulkhan Jaini en Docteur Granvil.

Acte 1 Chez Flora

Tous participent efficacement à ce drame inexorable.  Deux danseurs dans des costumes de squelettes apportent beaucoup d’élégance et un humour distancié au drame, il s’agit de François Auger et Natasha Henry. Le chœur d’une parfaite efficacité est assez statique. La mise en scène demande la plupart du temps de beaux tableaux, bien ordonnés pour le grand final du deuxième acte en particulier. L’orchestre du Capitole est somptueux. Le travail avec le jeune chef italien Michele Spotti apporte beaucoup de précision à la partition. Nous sommes loin de la « grande guitare » que certains commentateurs et une certaine tradition paresseuse ont réservé à la partition. L’orchestre avec cette direction si précise est plein de moment de grande subtilité. En particulier Michele Spotti soigne les contre-chants et les équilibres.  Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole sont merveilleux ; les violons pleurent et savent disparaître dans des murmures diaphanes, les bois chantent et les cuivres tonnent. Le résultat est particulièrement vivant et le drame avance inexorablement. Le tempo est tenu évitant les ports de voix, ralentis exagérés et les aigus tenus ad libitum. Remarquons que la soirée passe très vite alors que le chef n’a semble-t-il fait aucune des coupures « traditionnelles », gardant tous les airs avec leurs reprises. J’aime particulièrement la deuxième strophe de Violetta dans son addio del passato du dernier acte.

Cette Traviata est un vrai succès populaire qui prouve que le public de tous âges est là pour les chefs d’œuvres du répertoire quand ils sont présentés avec cette qualité totalement convaincante.

Une bien belle soirée d’Opéra au Capitole en sa plénitude artistique qui remporte un grand succès

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. Giuseppe Verdi (1810-1901) : La Traviata. Co-production avec l’Opéra de Bordeaux. Mise en scène : Pierre Rambert ; Collaboration artistique : Stephen Taylor ; Costumes : Franck Sorbier ; Décors : Antoine Fontaine ; Lumières : Joël Fabing ; chorégraphie : Laurence Fanon. Distribution : Claudia Pavone, Violetta Valery ; Julien Dran, Alfredo Germont ; Dario Solari, Giorgo Germont ; Victoire Bunel, Flora ; Cécile Galois, Annina ; Pierre-Emmanuel Roubet, Gastone ; Jean-Luc Ballestra, Baron Douphol ; Guilhem Worms, Marquis d’Aubigny ; Sulkhan Jaini, Docteur Granvil ; François Auger, Natasha Henry, danseurs ; Orchestre national du Capitole ; Chœurs de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur, Gabriel Burgoin) ; Direction : Michele Spotti.

Photos : Mirco Magliocca

LEONSKAJA/SOKHIEV/TOULOUSE chez Warnerclassics : Beethoven Piano concertos 3 et 4

Critique.Enregistrement.CD. BEETHOVEN. Concerto de piano n°3 et 4. ELISABETH LEONSKAJA. Orchestre national du Capitole de Toulouse. TUGAN SOKHIEV. 1 CD Warnerclassics. 50549263095. Enregistré à Toulouse, Halle-aux-grains en 2017 et 2018. Durée : 72’44’’.

Des concertos de musique pure

La complicité qui unit Tugan Sokhiev et Élisabeth Leonskaja a offert au public des concerts mémorables et Toulouse a eu la chance d’entendre souvent les deux artistes dialoguer. D’une série de concerts des concertos de Beethoven qui auraient pu permettre une intégrale il n’est plus question. Et il s’agit d’un enregistrement « studio » en marge de ces concerts. Peut-être aurons-nous une suite. La rencontre entre une soliste de haut rang et un jeune chef qui « fonctionne à ce point » n’est pas si fréquente. Élisabeth Leonskaja dans une interview nous avait dit combien la rencontre avec Tugan Sokhiev l’avait totalement charmée.

Ci dessous le lien vers le troisième concerto de Beethoven par ces interprètes :

https://www.medici.tv/fr/concerts/tugan-sokhiev-conducts-mozart-beethoven-shostakovich-elisabeth-leonskaja

Elle le considère comme l’un des plus grands musiciens qu’elle a rencontré dans sa si belle carrière. Elle désirait enregistrer les concertos de Beethoven avec lui et son orchestre de Toulouse. L’enregistrement des concertos 3 et 4 est une association heureuse et qui fonctionne particulièrement bien. Le troisième est le dernier que Beethoven a créé. Le quatrième ayant perdu l’ouïe n’a pas pu être joué par lui. L’originalité de ces deux opus avec en particulier le mouvement lent du 4 si intense est bien connue et je dois dire que ces deux concertos sont mes préférés. Le 3 rend un vibrant hommage à Mozart, le 4 est plus audacieux. Élisabeth Leonskaja, artiste immense les aborde en musicienne pure qui dialogue au sommet avec un chef et un orchestre qui partagent sa vision de musicienne de l’absolu.

Ceux qui aiment le brillant et le clinquant, ceux qui veulent un combat de titan, ceux qui aiment les virtuoses épatants seront déçus. Car il y a dans ces interprétations des qualités rares et peu valorisées aujourd’hui :  un respect immense pour les œuvres, une humilité et une pondération merveilleuses. Les phrasés de Leonskaja sont souples, le toucher est exquis, jamais dur, jamais clinquant. Tout coule et avec beaucoup de souplesse chante. L’orchestre répond avec délicatesse. Le chef a le geste large et avance avec une élégance rare. Voilà un Beethoven humain, fraternel et heureux. Bien évidemment les mouvements lents sont remplis d’émotions. Le dialogue de l’andante du 4 entre un orchestre intransigeant et un piano orant n’exagère rien et se sert des dynamiques naturelles pour porter cet affrontement vers une émotion forte d’honnête homme. Pas de pathos, pas de joie exagérées chaque mouvement est parfaitement nuancé et chaque concerto apparaît en sa beauté intrinsèque sans rien d’hystérique. Cet équilibre de musique pure rend ces deux concertos centraux dans l’œuvre de Beethoven à leur place de chef d’œuvres absolus. La belle rencontre entre Élisabeth Leonskaja et Tugan Sokhiev reste immortalisée par cet enregistrement de toute beauté. Et L’orchestre du Capitole en majesté participe activement à cette fête musicale. Ce CD porte le témoignage également de ces années d’harmonie rare entre un chef et un orchestre.

La prise de son est naturelle et permet à l’orchestre de déployer ses sonorités chaleureuses et au piano de Leonskaja de chanter librement et son toucher exquis est parfaitement reconnaissable. C’est vraiment très beau !

Hubert Stoecklin  

Il est possible sur Medici TV de voir un concert des trois dernières sonates de Beethoven par E Leonskaja