WINTEREISE D’ ANTHOLOGIE AVEC MATTHIAS GOERNE

Critique. Concert. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 février 2023 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Le Voyage d’Hiver ; Matthias Goerne, baryton ; Anton Mejias, piano.

Matthias Goerne © Caroline De Bon
Matthias Goerne © Caroline de Bon

Artiste autant connu en récital qu’en interprétant de grands rôles à l’opéra, Matthias Goerne parcourt le monde avec grand succès.  Nous avons la chance à Toulouse de pouvoir compter régulièrement sur sa présence musicale si passionnante. Ainsi son récital de lieder consacré à un monument exigeant : le somptueux voyage d’hiver de Schubert, a-t-il fait une belle audience. Le public toulousain semble prendre gout à ses soirées de lieder et la salle du Capitole était bien pleine ce soir. Le baryton-basse a livré une interprétation d’anthologie. Un sens aigu du texte, un chant légato en volutes subtiles, des nuances puissamment creusées et surtout des couleurs très variées avec un timbre abyssal et une capacité à l’alléger très dramatique construisent une interprétation émouvante.

Le public a su attendre la fin du cycle pour faire un triomphe au grand chanteur. Ce qu’il est nécessaire de souligner c’est la confiance faite par Matthias Goerne au très jeune pianiste (22 ans ! ) Anton Mejias. Le jeu du pianiste est absolument sidérant de présence et on devine une vraie admiration réciproque. Capable de nuances extraordinaires, ce jeune artiste sans jamais se mettre en avant arbitrairement sait prendre toute la place donnée par le piano de Schubert. Ainsi les deux vraies personnalités artistiques dialoguent pour une interprétation inoubliable de ce cycle.

Mejias
Anton Mejias.

Le Capitole nous a offert une grande soirée de lieder par des interprètes absolument engagés. Nous attendons à présent la prise de rôle en Roi Mark dans Tristan au Capitole pour Matthias Goerne. Nul doute que cet art du lied fera merveille dans le long monologue du roi trahi à l’acte deux. Comme son Amfortas dans Parsifal en février 2020 qui nous avait émus.

Hubert Stoecklin

DAFNE génial madrigal-opéra

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre Garonne, le 15 Fev 2023. MITTERER : Dafne.  Les Cris de Paris G Jourdain / A Bory. 

Dafne en Opéra-Madrigal :  Contrafactum sublime

d’après Opitz et Schütz

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

La beauté de ce spectacle d’une rare intelligence n’est pas facile à décrire. Le projet a été fait à trois. Geoffroy Jourdain directeur artistique des Cris de Paris en a d’abord rêvé. De l’opéra de Schutz sur le livret d’Opitz il ne reste plus la musique mais uniquement le poème. Jourdain a demandé à Wolfgang Mitterer de réécrire une partition sur ce livret en fournissant de la musique de Schutz qui lui semblait utile pour le projet. Aurélien Bory a également participé au projet dès le début, séduit par le projet. Il s’agit d’un vrai travail de co-construction. En fusionnant la musique de Schutz (des madrigaux italiens et de la musique religieuse) avec une bande magnétique Wolfgang Mitterer crée quelque chose d’étrange, de dérangeant qui tourne sur lui-même en des volutes complexes. Les bruits de la bande magnétique ne sont pas tous musicaux, et de loin, mais ils sont toujours très intrigants et deviennent obsessionnels à la manière d’une basse continue. Les douze chanteurs des Cris de Paris sont à la fois les interprètes, les commentateurs, les acteurs et les machinistes de la pièce. Le texte en allemand se déploie en madrigal polyphonique, la diction des chanteurs est limpide. Leurs voix sont celles de solistes, belles et sonores. Étant au premier rang mon écoute m’a permis d‘entendre précisément chaque chanteur, plus loin les micros et la diffusion dans les haut-parleurs ont dû d’avantage mêler les voix à l’électronique. L’histoire de Dafne et d’Apollon dans cet Opéra-madrigal d’après Ovide est simple et bien connue, toutefois ce soir le résultat est plus complexe car aucun chanteur n’incarne clairement un personnage. Plusieurs peuvent être Apollon ou Dafne.

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Seul l’Amour par sa taille d’enfant est repérable. Le vertige est assez pernicieux entre l’individu et le groupe, Schütz et Mitterer. L’oreille en devient comme ivre. Schutz est là puis disparaît, tout se transforme en permanence, les solistes font groupe, puis s’isolent. La métamorphose est musicalement permanente. Pourtant ce travail de création se fait à trois avec l’espace travaillé par Aurélien Bory. Son dispositif est simple. Il utilise la scène tournante un dispositif classique inventé en 1617 (date proche de la Dafne de Schütz 1627). Il crée cinq cercles concentriques. La virtuosité dont Aurélien Bory est capable avec les machines de théâtre est bien connue. Il réalise une scénographie subtile et une forme de mouvements vertigineux. Ainsi avec cinq cercles et le centre, les douze chanteurs peuvent être faces au public puis avec la mise en mouvement des cercles indépendants ils se séparent, se croisent, se retrouvent. L’écoute des voix est ainsi plus facile lorsque durant le chant il y a déplacement.

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Ce mouvement permanent crée une sorte d’ivresse J’y voit un hommage aux Derviches Tourneurs de Turquie. La lumière permet de sculpter l’espace et de créer des œuvres en volumes (non de simples tableaux) de toute beauté. Un moment clef est représenté par la course-poursuite de Dafne par Apollon. La musique s’accélère, les respirations halètent les spots lumineux sur un à cinq Apollon au Dafne sont de toute beauté. Il y a vraiment une création à trois dans un espace complet : sonore, visuel et cénesthésique en raison de la profondeur du vertige qui nous prend. Une sorte de confusion sur les objets repérants vient de ce que les trois personnages principaux sont munis d’arcs, de flèches et de carquois.

Ce spectacle de grande virtuosité est assez inouï. La beauté nous y submerge souvent. Le voyage est dans le temps comme dans l’espace. Tout est calé au millimètre tout en laissant une part de mystère. Les chanteurs acteurs sont magnifiques, la direction de Geoffrey Jourdain est superbe, le dispositif scénique d’Aurélien Bory est inoubliable, la musique de Mitterer et celle de Schütz s’épousent ou s’opposent.  La notion d’Opéra au sens d’un spectacle total n’a jamais été aussi proche que dans cette œuvre qui n’est toutefois pas un vrai opéra ! Tout concours à évoquer le vertige de l’amour chanté par le poète… un vertige de l’amour qui n’est pas bien loin !

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre Garonne, le 15 février 2023. Wolfgang Mitterer : Dafne. Opéra-Madrigal pour 12 chanteurs d’après Heinrich Schütz livret adapté de Martin Opitz d’après les Métamorphoses d’Ovide. Aurélien Bory conception, mise en scène et scénographie ; Pierre Dequivre : décors ; Alain Blanchot : costumes ; Arno Veyrat : lumières ; Les Cris de Paris : Adéle Carlier, Anne-Emmanuelle Davy, Michiko Takahashi, sopranos ; Jeanne Dumat, Floriane Hassler, mezzo-sopranos ; Clotilde Cantau, contralto ; Safir Belhoul, Constantin Goubet, ténors ; Mathieu Dubroca, baryton ; Virgile Ancely, Renaud Brès, baryton-basses. Direction : Geoffroy Jourdain.

Opéra National Du Capitole Dafné

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre Garonne, le 15 Fev 2023. MITTERER : Dafne.  Les Cris de Paris G Jourdain / A Bory.  Photos : Aglaé Bory

Mini concert … ça arrive aussi !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 9 fév 2023. DEBUSSY. CHAUSSON. ELGAR. Orch Nat Capitole. L.Faulisi. W.Ng.

Mini concert… pour spectateurs peu nombreux…

Le public n’était pas bien nombreux ce soir dans la vaste Halle-aux-Grains, les galeries hautes étant presque vides.  Au final ce concert n’a pas été à la hauteur des attentes. Et bien loin des promesses sur le papier.

WIlson NG © Jino Park
WIlson NG © Jino Park

Auréolé d’annonces élogieuses le violoniste de 20 ans Luka Fausili n’a pas du tout été convainquant. Un son terne, des nuances absentes et jeu désincarné : le poème pour violon d’Ernest Chausson n’a pas du tout vibré ni ému. Les bis offerts par le jeune homme ne lui ont pas permis de rétablir les choses. Un Bach amorphe et un Debussy (le fameux Syrinx pour flute solo) si acide et placide que plus d’un ne l’a pas reconnu. Il s’est agi d’une probable méforme, du moins espérons-le…

Le chef Wilson Ng a lui également été peu inspiré. La Tarentelle Styrienne de Debussy a totalement manqué de subtilité, d’allant et même de charme. Le poème de Chausson bien en place, sans la moindre musicalité est resté au port. La symphonie d’Elgar a été rapprochée par le chef des Pomp and Circumstance bien loin de subtilités des Variations Enigma, alors que cette première symphonie d’Elgar regorge de richesses. Sans nuances, sans recherches de couleurs et sans phrasés cette symphonie devient insipide et juste bruyante. Quel gâchis !

L’orchestre du Capitole lui-même a semblé en petite forme et comme à distance de ce non-évènement.

Une consolation pourrait être de se dire que les plus beaux solistes de l’orchestre seront dans la fosse du Capitole où Tristan et Isolde est actuellement en répétition avec un chef d’une autre trempe ! Et c’est lors des 4 représentations de Tristan et Isolde au théâtre du Capitole que les splendeurs dont cet orchestre est capable seront révélées.

Ce soir un chef aux moyens modestes et un violoniste atone n’ont pas permis aux œuvres de décoller ni à l’orchestre de vibrer. Le public a été poli sans plus. Plus enclin à partir que de commenter.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 9 fév 2023. DEBUSSY : Danse ( Tenrantelle Styrienne). CHAUSSON : Poème pour violon et orchestre. ELGAR : Symphonie n°1. Orch Nat Capitole. L. Faulisi, Violon. Direction : W. Ng.