Un MEFISTOFELE superlatif au Capitole

CRITIQUE, Opéra, TOULOUSE, Théâtre du Capitole, le 30 juin 2023. BOITO, Mefistofele, Grinda/Angelico, Courjal, Borras, Isotton, Chœurs et Orch. Nat. Capitole.

Sensationnelle fin de saison au Capitole avec Mefistofele

C’est une nouvelle production qui met toute la maison Capitole en ébullition et qui convainc un public nombreux. Ce Mefistofele de Boïto est un véritable chef d’œuvre à condition de lui en donner les moyens. Décors, costumes, vidéos, chœurs, maitrise, orchestre toute est au diapason d’une distribution superlative et d’un chef capable de révéler ce joyau orchestral et choral. Nous avions eu la chance de déguster une production semblable au Théâtre Antique d’Orange en 2018. Jean Louis Grinda garde sa vision large et musicale de la mise en scène. Il l’adapte à la scène plus modeste du Capitole en privilégiant des vidéos de toute beauté qui dilatent l’espace. Il s’adapte également à sa nouvelle distribution. Tout fonctionne à merveille, le kaléidoscope séduit et les moments variés que cela soit du tragique, du comique, du grandiose ou des lieux d’intimité, tout se déploie pour le plus grand plaisir du public.

Le travail d’équipe est très approfondi. Citons-les tous : Laurent Castaingt pour les décors et les lumières, les costumes sont de Buki Shiff et les vidéos admirables d’Arnaud Pottier.

Dans la fosse dès les premiers accords la mise en espace et la tension spatiale se construisent et la beauté sonore nous envoute totalement. Sous la direction ample de Francesco Angelico l’orchestre du Capitole tout du long restera cet étalon de beauté sonore qu’il va partager avec les voix de tous les chanteurs et des chœurs. L’hédonisme contagieux est généralisé, il ne nuit jamais à la dramaturgie. L’orchestre est déterminant pour permettre aux divers tableaux de s’enrichir mutuellement, d’avantage que de s’opposer en leurs variétés trop éloignées. Nathalie Stutzmann à Orange dans sa direction avait eu cette qualité indispensable, Francesco Angelico sans avoir toute la souplesse féline de sa devancière tient très fermement les rennes et obtient des nuances très creusées, des couleurs chatoyantes et des phrasés proches de l’idéal belcantiste. Les chanteurs sont soutenus et peuvent distiller des émotions très puissantes dans leur chant.

Jean-Louis Grinda construit des tableaux de toute beauté. Ainsi le premier tableau des nuées mobiles révèle les chœurs massifs des anges. La magie du vent à Orange n’a pas fonctionné pour animer les voiles des costumes sur une scène fermée. Les anges et même les chérubins sont hiératiques et immobiles, devenant impassibles et pesants. On devine que les voilages angéliques blancs sont lourds. Cela donne une impression de messe d’ennui. Quand Méphisto se révèle, enfin un peu de vie arrive même si ses manières sont empruntées de lourdeur et d’emphase. Le contraste avec la scène de foule qui suit est total. Les costumes les plus colorés possibles dans des styles des plus variés avec des mouvements virevoltants permettent au chœur d’exulter. Après ce premier choc visuel les autres contrastes seront plus subtilement réalisés.

Nicolas Courjal a la voix de basse idéale pour le rôle. En ce sens il réussit sa prise de rôle. C’est scéniquement qu’il ne sait pas encore donner au personnage sa sauvage épaisseur, sa noirceur et sa violence si séduisante. Je sais pour l’avoir vu en Hundig à Marseille de quelle violence noire il est capable.  Il hésite par moments entre humour et terreur et cela ne fonctionne pas très bien.

Le Faust de François Borras est vocalement idéal de lumière, d’ardeur et d’engagement. Sa voix est d’une beauté renversante.

Sa Margherita le rejoint sur le plan de la beauté vocale avec un long soprano pulpeux et capable de nuances subtiles, de couleurs mordorées et des phrasés admirablement émouvants. Chiara Isotton est l’incarnation de la souffrance morale et son chant nous atteint droit au cœur. Dans la fin de leur duo « lontan, lontan » la fusion des timbres dans une nuance piano d’une infinie délicatesse tient du miracle.

Bien évidemment Béatrice Uria-Monzon incarne à la perfection la beauté sculpturale et digne d’une déesse en Hélène de Troie. Les pièges de la beauté classique avec sa robe de lamé d’or dessinée pour elle et qu’elle porte à ravir s’évanouissent.

Marie-Ange Todorovich a des interventions limitées mais son personnage de Marta est profondément théâtral et sa Pantalis est vocalement inoubliable tant elle est opulente.

Andrés Sulbarán dans ses deux petits rôles s’impose vocalement et scéniquement.

Il n’est pas possible de réussir une représentation de Mefistofele sans un chœur somptueux. Le travail de Gabriel Bourgoin chef du chœur du capitole comme de la maitrise est récompensé par un engagement fulgurant de toute sa troupe et des supplémentaires venus en nombre. Les parties chorales sont toutes grandioses.

Mefistofele fait une entrée puissante au répertoire du Capitole. Merci à Christophe Ghristi pour cette production et toute sa saison d’ailleurs !

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre National du Capitole, le 30 juin 2023. Arrigo Boïto (1842-1918) : Mefistofele version de 1875. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Collaboration artistique : Vanessa d’Ayral de Sérignac ; Décors et lumières : Laurent Castaingt ; Costumes : Buki Shiff ; Vidéos : Arnaud Pottier ; Distribution : Nicolas Courjal, Mefistofele ; Jean-François Borras, Faust ; Chiara Isotton, Margherita ; Béatrice Uria-Monzon , Hélène ; Marie-Ange Todorovitch, Marta, Pantalis  ; Andrés Sulbarán, Wagner, Nereo ; Chœurs du Capitole et Maitrise du Capitole (direction : Gabriel Bourgoin) ; Orchestre National du Capitole ;  Direction : Francesco Angelico.

L’ Eden de Joyce Di Donato

CRITIQUE, concert, TOULOUSE, le 8 juin 2023, Eden, Di Donato, Il Pomo d’Oro, Emelyanichev.

L’envoutant Eden de Joyce Di Donato : irrésistible leçon de chant

C’est probablement la tournée avec orchestre la plus longue de la grande mezzo américaine. Ce concert toulousain est le 32 iéme de ce concert Eden ! Et ce dernier concert de la saison des Grands Interprètes n’a pas failli à sa réputation superlative ! Dans un véritable cérémonial, bien d’avantage qu’une mise en scène, Joyce Di Donato en harmonie complète avec Maxim Emelyanichev et les musiciens d’Il Pomo d’Oro nous propose un voyage qui nous déconnecte du quotidien pour nous faire rêver à une nature idéalisée.

Dès le début assez mystérieux la voix de Joyce Di Donato vient d’on se où nous séduire par un légato de rêve et un phrasé subtil. Elle reprend la ligne de la trompette dans la pièce si emblématique de Charles Ives, the Unanswered question. Ce début magique va nous entrainer dans ce programme construit très savamment ou alternent les moments de contemplation de la beauté renversante de la nature dans des œuvres intemporelles et le mal que nous lui faisons dans des œuvres très contemporaines. Entre les compositeurs baroques et les plus modernes tout se passe sans heurts. C’est peut-être ce manque de contrastes en dehors du style musical qui en fait le récital le plus étrange de la mezzo américaine. Car Joyce Di Donato nous a habituée à des récitals très virtuoses et très dramatiques. Ce soir point de drame ni de notes virtuoses.  Ce qui prime c’est une diction parfaite dans toutes les langues et un légato infini, des couleurs somptueuses et des phrasés à se damner.

L’adéquation stylistique est partagée avec Maxim Emelyanichev et Il Pomo d’Oro musiciens toujours magnifiques et très engagés.

La voix de Joyce Di Donato peut se fondre dans la texture orchestrale et devenir presque inaudible comme avec une ampleur nouvelle la dominer totalement.

Le coté abscons de la scénographie indiffère car c’est la beauté des gestes de Joyce Di Donato qui reste dans le souvenir bien d’avantage que les lumières, les fumées et les cercles tournants qu’elle fabrique sous nos yeux. Tout le dispositif crée une distance entre la cantatrice et son public, elle qui dans un « simple récital » sait subjuguer chacun et mettre toute la salle dans sa poche. Et le peu de lumière sur le chef et les instrumentistes nous prive de leur vivacité et leur beauté expressive.

Au micro, en fin de programme et dans français exquis, Joyce Di Donato explique son propos : nous permettre de rendre grâce à la mère nature si généreuse en beautés parfaites et que nous ne respectons plus du tout.

Elle invite, comme elle l’a fait dans chaque ville, un chœur local pour terminer sur une note d’espoir. Le chœur d’enfant Éclats dirigé par François Terrieux rentre à la fin de programme et nous subjugue par une grande fraicheur et un chant harmonieux. Puis c’est une vraie osmose entre les enfants et la Diva qui semble elle-même subjuguée par l’ardeur de cette belle jeunesse.

Voilà un rêve éveillé fait d’amour et de beauté qui nous a fait oublier la réalité et espérer un avenir meilleur. Hélas les grands feux actuels au Canada et leurs fumées spectaculaires sur New York viennent ternir un peu ce beau rêve. La démarche de Joyce i Donato reste louable et nous planterons le disque de graines à son effigie qu’elle nous a offert !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 8 Juin 2023. Éden. Charles Ives ; Rachel Portman ; Gustav Mahler ; Marco Ucellini ; Biagio Marini ; Josef Myslivecek ; Aaron Copland ; Giovanni Valentini ; Francesco Cavalli ; Christoph Willibald Gluck ; Gustav Mahler. Joyce Di Donato, mezzo-soprano ; Chœur d’enfants Éclats, direction François Terrieux ; Il Pomo,d’ Oro ; Maxim Emelyanichev, direction.

Romeo et Juliette : Nouvelle version choc !

Critique. Enregistrement CD. Hector Berlioz : Romeo et Juliette, symphonie dramatique ; Cléopâtre, scène dramatique. Joyce di Donato. Cyril Dubois. Christopher Maltman. Coro Gulbenkian. Chœur de l’OnR. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Direction : John Nelson. 2 CD ERATO. Enregistrement 3-9 Juin 2022. Durées 72.26 et 39.29. Code : 5054197481383.

La version que nous attendions du chef d’œuvre de Berlioz.

John Nelson et les forces strasbourgeoises sont en passent de proposer une intégrale Berlioz qui domine la discographie. Après Les Troyens, La Damnation de Faust, Les nuits d’été voici leur Roméo et Juliette. Je dois dire que ce fût un choc à l’écoute tant tout ce qui est attendu et même au-delà est présent. Cette symphonie dramatique crée en 1839 est une œuvre très exigeante, bien plus complexe que toute autre du bouillonnant Hector. C’est également celle qui fera l’admiration de Wagner qui dédicacera sa partition de Tristan au « Grand et cher auteur de Roméo et Juliette ». J’avoue mon amour pour cette partition, la plus proche à mon gout de la tragédie de Shakespeare dans une mise en musique. Dans une inventivité débordante Berlioz fait de l’orchestre un artiste dramatique totalement convaincant qui avec le concours de trois voix solistes et du chœur nous entraine dans la folie de cet amour interdit. Toute la tragédie est là, à condition de compter sur chef capable de tenir les rênes de cette aventure démesurée, sans contraindre le romantisme de la partition ni céder au son spectaculaire. L’équilibre est ici vertigineux.  John Nelson est de cette trempe, il entraine tous les interprètes dans une lecture urgente, débordant de lyrisme, très construite et d’une humanité émouvante.

Les chœurs associent au chœur de l’Opéra national du Rhin le chœur portugais Gulbenkian. Leur associant est puissante et grandiose. Cette ampleur sonore rend difficile la compréhension du texte, c’est bien une limite habituelle des chœurs symphoniques démesurés comme Berlioz en a l’habitude.

Les solistes ont déjà chanté Berlioz avec John Nelson. Joyce DiDonato a une voix royale pour Berlioz. Dans le si beau moment qui est confié à la mezzo-soprano, elle atteint des sommets d’expressivité et de poésie. La voix est somptueuse de timbre, l’interprète dit le texte avec gourmandise et un naturel incroyable. Elle dit autant qu’elle chante. Non seulement Joyce DiDonato à un français délicieux et sans accent mais elle frémit à chaque instant semblant véritablement déguster elle-même les mots décrivant « ce premier amour que personne n’oublie ». Dans le moment hors réalité du Scherzo de la reine Mab Cyrill Dubois avec une précision miraculeuse nous permet de suivre le texte si rapide. Le timbre clair et lumineux fait merveille pour cet instant de rêve éveillé.

L‘orchestre Philharmonique de Strasbourg est merveilleux avec ce jeu si beau et ce son français indispensable chez Berlioz. Les interventions solistes sont particulièrement éloquentes.

Toute la construction du drame avec ses éléments disparates et en ce sens si shakespeariens sont savamment agencés par John Nelson. Cette si belle construction ne se retrouve dans aucune autre version connue au disque.

D’où vient alors que la dernière scène ne décolle pas et semble plafonner ? Est-ce le niveau si haut obtenu dans la scène du tombeau à l’émotion absolument sublime (il faut du temps pour s’en remettre) ? Est-ce le chœur trop massif, ou peut-être la manière grandiloquente dont Christopher Maltman chante, semblant justement chanter plus que dire un texte pourtant si fort ? Peut-être est-ce son manque de charisme ? Le fait de mettre le deuxième CD après des moments si forts? Ce sera la seule petite réserve que je mettrai à cet enregistrement magistral et qui transporte l’auditeur dans le monde de Shakespeare comme jamais.

La prise de son est spectaculaire, la tension de la version de concert est évidente, les raccords ne sont pas perceptibles et l’urgence dramatique est tout à fait continue.

En complément de programme Joyce DiDonato nous offre une scène dramatique hallucinante et hallucinée.  Elle incarne Cléopâtre dans ces derniers instants avec une voix de bronze, une énergie incroyable et une douleur insondable. C’est une interprétation idéale pleine de folie. Vocalement dans une plénitude de moyens inimaginable elle fait des nuances incroyables, colore sa voix à l’infinie et techniquement fait des sons filés à se damner. Avec un orchestre si vif, si intense cette grande scène dramatique prend la dimension d’un opéra entier. On sort de l’écoute de cette scène comme abasourdi.

Cet enregistrement est majeur tant pour Berlioz que pour Joyce DiDonato absolument magnifique.

Voilà deux CD tout simplement indispensables.

Hubert Stoecklin