Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 27 mars 2021. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Concerto pour violon n°2 en ut dièse mineur op. 129 ; Symphonie n°5 en ré mineur op. 47 ; Vadim Gluzman, violon ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.
Tugan Sokhiev admirablement accompagné par toute la municipalité et son cher Orchestre ne lâche rien. Il a partagé, lors de cette nouvelle Académie d’orchestre 2021, sa passion pour la direction d’orchestre avec de jeunes chefs et cheffes. Medici TV a mis ses caméras et le résultat est passionnant. Dans cette académie d’orchestre on y apprend la quintessence de la musique par des remarques parfois sans ménagement mais toujours d’une grande bienveillance. Maitre Tugan n’hésite pas à confier son extraordinaire orchestre, tous musiciens d’exception, à de très jeunes baguettes (l’une d’elles ne dirige que depuis un an !). C’est absolument irrésistible de courage pour les jeunes, de patience et de professionnalisme passionné pour les musiciens et de génie d’enseignement pour Tugan Sokhiev qui avec générosité propose aux jeunes impétrants d’oser beaucoup de liberté afin de chercher la musique du cœur. Deux périodes durant lesquelles les progrès sont visibles et audibles. Et l’orchestre est d’une gentillesse incroyable toujours très engagé même en répétant quelques mesures inlassablement. On ressort de cette écoute complètement enthousiaste. Il FAUT que de tels artistes retrouvent en vérité leur public et vite… très vite…
Cette Académie sur Medici TV .
CONCERT TOUT CHOSTAKOVITCH :
Tous contaminés !
Le concert du samedi nous a permis de retrouver le grand chef et son orchestre dans des œuvres de Chostakovitch. Quelles retrouvailles ! L’osmose perdure comme aux premiers jours. A présent les musiciens de l’Orchestre sont très à l’aise dans les partitions de Chostakovitch. Le deuxième concerto pour violon dans la rare tonalité de do mineur est une œuvre courageuse. Chostakovitch dans la Russie soviétique si dangereuse, voire hostile utilise les techniques de compostions les plus modernes au nez de la censure. Il compose une musique atonale, avec des accords étranges et des modulations audacieuses. Les rythmes sont incroyablement complexes. Il n’offre pas au violon une virtuosité facile mais lui permet des effets rares et surprenants. Composé en trois parties c’est bien la seule chose cédée à la tradition par un Chostakovitch très exigeant tant pour les musiciens que le public. Cette partition est compacte et dense, complexe et profonde. Rien que le deuxième mouvement tire du violon et de l’orchestre une angoisse titanesque. Le dialogue avec le cor est particulièrement réussi dans une même recherche de beauté sonore et de phrasés assortis. Jacques Deleplanque est au cor un musicien suprême, partenaire idéal pour Vadim Gluzman. Vadim Gluzman et Tugan Sokhiev s’entendent à merveille et offrent une interprétation ciselée, très en place et l’orchestre participe pleinement à cette extraordinaire fête de la précision rythmique. L’originalité de ce concerto est grande, cela nous change des concertos hyper connus. Ce concerto même s’il ne plaira pas à tous est en tout cas un grand moment de partage et l’émotion qui nait de cette inestimable complicité artistique est rare. Le son de Vadim Gluzman est d’une profondeur incroyable sur toute la tessiture avec des graves et un medium très chaud. Les aigus sont rayonnants, solaires, sans dureté jamais. La souplesse de ce son qui irradie est un vrai bonheur. Les couleurs irisées de l’orchestre participent à cette fête.
La cinquième symphonie de Chostakovitch est peut-être la plus jouée. Tugan Sokhiev et son orchestre l’ont déjà interprétée il y a trois ans. Largement autobiographique cette symphonie se masque sous une sorte de soumission. En fait c’est un manifeste qui parle de la vie sous le régime soviétique au temps des purges staliniennes. L’angoisse est diffuse dès les premiers accords. Ce premier mouvement pourrait suggérer dans son entier cette tension d’angoisse qui s’insinuait partout et enveloppait Chostakovitch qui longtemps a dormi tout habillé, de peur d’une arrestation nocturne imminente. L’orchestre joue admirablement, chaque pupitre est excellent. Tugan Sokhiev a un sens du détail aigu, il organise un discours très puissamment charpenté. Il amène avec beaucoup de subtilité la fin de l’angoisse vers ces notes de célesta si oniriques. Le deuxième mouvement est un scherzo sarcastique dont Chostakovitch a le secret. Sous une musique parfois facile se cache une acidité, une dérision subtile qui fait mouche. Oui le régime populaire était ridiculement boursouflé d’orgueil. Tugan Sokhiev arrive à faire vivre une certaine fraicheur dans les thèmes populaires tout en mettant en valeur les sarcasmes avec un grand art des demi-teintes. Le troisième mouvement est dirigé dans une tension quasi insoutenable de douleur. Les couleurs de l’orchestre sont mélancoliques. La douleur morale sue d’entre les notes et la plainte suit les lignes mélodiques. Le final, celui d’un bonheur ostensiblement flagorneur a toute l’ambiguïté voulue par le compositeur soviétique révolté. Comment peut-on prendre au premier degré ce final bêtement tonitruant après ce troisième mouvement si extraordinairement douloureux ? C’est que Tugan Sokhiev le construit admirablement et que les musiciens de l’orchestre semblent dans cette musique comme des poissons dans l’eau. Avec une ironie autorisée par la musique de Chostakovitch, je devine combien chaque musicien de l’orchestre est complètement contaminé par leur chef du « Virus Chostakovitch ». Et la personne ne souhaite de vaccin ! Car le public va être bientôt lui aussi contaminé et je rêve d’une pandémie Chostakovitch ! L’enregistrement de ce concert fabuleux pour Warner Classic permettra à l’automne de trouver chez votre disquaire préféré le CD de cette sensationnelle Cinquième Symphonie de Chostakovitch. Je prédis un enregistrement de « référence ». Pour l’heure n’hésitez pas à regarder le concert. Il sera également diffusé sur France Musique le 12 avril dans le concert du soir.