Mes trois derniers concerts à La Roque de 2022

Soiree De Cloture ©VALENTINE CHAUVIN 2022 34
Photo de Valentine Chauvin

Mes trois derniers concerts à La Roque d’ Anthéron pour cette 42 deuxième édition prouvent la variété des propositions. Trois concerts on ne peut plus différents. Le récital plein de charme et un jeu très sensuel du pianiste espagnol Luis Fernando Pérez, bien connu des Toulousains. Marc-André Hamelin qui va venir à Piano Jacobins mérite toute notre attention par un jeu précis et une intelligence sidérante. Cela dit c’est un peu au dépend de l’émotion toutefois.

Et en Concert Final, l’Orchestre de Chambre de Lausanne en majesté et la découverte d’un pianiste au timbre ensorceleur et au jeu chaud et incarné : Jorge GONZALES BUAJASAN. Renaud Capuçon artiste médiatisé à outrance est un partenaire au violon du meilleur niveau mais se révèle un bien piètre chef d’orchestre…

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital Luis Fernando PEREZ, piano. BACH. MONPOU. GRANADOS.

Luis Fernando Pérez toute l’élégance du piano hispanique

Perez Christophe Gremiot HD 17082020 9
Photo Christophe Grémiot 2019

Pour ce concert de 11 h la salle est bien pleine et la rencontre entre le public et le pianiste dès son entrée en scène est très franche. Dans un français délicieux, il explique un léger changement de programme et son besoin de la partition tant la composition de Mompou est complexe. Nous voulons bien le croire mais son jeu est si élégant tout du long qu’aucune difficulté ne semble le limiter. Il est souverain dans cette partition complexe aux harmoniques improbables et aux rythmes déstructurés. La modernité de l’œuvre rend le thème méconnaissable bien souvent, mais le retrouver même devenu grotesque est un jeu intéressant. Puis il se lance dans la Grande Chaconne de Bach revue par Busoni. C’est un grand moment de piano dans lequel virtuosité et beauté se donnent la main. Avec un art très serein Pérez en donne une interprétation précise et d’une grande profondeur. La virtuosité est assumée dans cette élégance suprême qui caractérise le jeu de cet artiste.

Pour terminer son récital Luis Fernando Pérez choisit une œuvre qu’il connaît particulièrement bien et qui met en valeur toutes ses qualités : les Escenas Romanticas de Granados.  Sans rien y mettre de folklorique il en rend toute l’hispanité avec une évidence de chaque instant. Ce piano est fluide, nuancé et chaloupé. Les couleurs sont innombrables et toujours l’attention est stimulée par la variété du jeu. La douceur de certains phrasés est une délectation et les rythmes bien charpentés sont tonifiants. La douce mélancolie de certains moments, la douleur d’autres et la gaité parfois, tout se suit comme dans la vie. Le naturel avec lequel ce musicien interprète ces pièces nous fait penser qu’il les connaît comme si c’était lui qui les avait composées. L’appropriation est d’une évidence sidérante. Il est chez lui dans cette musique et nous invite avec la noblesse et la simplicité d’un grand seigneur.

Le succès est grand et le public plébiscite un artiste qu’il apprécie toujours énormément. Avec beaucoup de gentillesse il nous offre un bis, qu’il a choisi pour La Roque : Mamboco, une Danse précolombienne. Cet air populaire prend sous ses doigts une grande élégance et devient une musique délicieuse. Le musicien quitte son public bien aimé dans un large sourire. Le bonheur était partout dans la salle et chez l’artiste. Très beau concert à 11 h avec un artiste très attachant.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium Centre Marcel Pagnol. Récital de Luis Fernando PEREZ, piano. Jean-Sébastien BACH (1685-1750) / F. BUSONI (1686-1924) : Chaconne de la partita pour violon n°2 BWV 1004 ; Federico MONPOU (1893-1987) : Variations sur un thème de Chopin ; Enrique Granados (1867-1916) : Escenas Romanticas. Crédit photo : Christophe  Gremiot 2019.

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. BACH. HAMELIN. BEETHOVEN. 

Le pianiste canadien sensationnel à connaître!

Marc André Hamelin 14 © Valentine Chauvin 2022
Photo : valentine-chauvin-2022

Venu du Canada Marc-André Hamelin fait l’actualité au disque avec un enregistrement mémorable de Sonates de Carl-Philipe Emmanuel Bach, encensé par la critique.  La sonate Württembourgeoise qui ouvre son récital est une œuvre magnifique originale et qui fait un beau portrait de ce fils Bach si doué. Une certaine modernité, un chant éperdu dans l’andante et une virtuosité assumée. Marc-André Hamelin est parfait. Style impeccable, son généreux et legato supérieur. Il semble très à l’ais avec ce compositeur dont il rend les beautés très désirables.

Puis Le compositeur-interprète se révèle. Avec beaucoup de délicatesse il nous offre sa dernière œuvre, une suite de danse à l’ancienne qui semble sœur de Ravel et Debussy lorsqu’ils se livrent à des hommages au style ancien. La fraicheur de l’invention et la virtuosité sont très intéressantes. Ce jeu impeccable, ces nuances subtiles et ces couleurs variées sont des qualités très remarquable. Hamelin interprète rend très vivante la composition de Hamelin compositeur. Il renoue avec tous ces virtuoses-compositeurs avec talent.

Pour finir son récital le pianiste Canadien se lance dans une interprétation très originale de la sonate « Hammerklavier » de Beethoven que je n’ai jamais entendu sonner ainsi. C’est comme si Hamelin la jouait en compositeur qui en apprécie toute la construction. Il nous la rend limpide, joue droit et certains tempi sont très rapides. Cette virtuosité impeccable a quelque chose d’un peu froid, il n’y a rien d’expressif dans ce jeu, rien de romantique. Tout est mis en perspective absolument tout. Il n’y a jamais d’ombres, tout est lumineux. Cette lecture analytique et parfaite déroute, elle fait redécouvrir l’œuvre.

L’effet sur le public est électrisant. Ce n’est pas tous les jours qu’un tel chef d’œuvre nous est révélé autrement.

Le succès considérable de l’artiste réchauffe l’ambiance et il offre trois bis à son public conquis.

Sa lecture d’Images, Reflets dans l’eau de Debussy est tout aussi iconoclaste, révélant la modernité de l’œuvre plus que sa poésie. Cet artiste a une énorme culture pianistique entre Europe et Amériques. Il propose deux œuvres très rares de William Bolcom, compositeur américain avec  deux Rag plein de vie.

Marc-Antoine Hamelin est un artiste original et attachant que la Roque nous a fait découvrir ce soir, un grand merci !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. Carl Philippe Emmanuel BACH (1714-1788) : Sonate Württembourgeoise en la bémol majeur Wq 49/2 ; Marc-André HAMELIN (né en 1961) : Suite à l’ancienne ; Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Sonate pour piano n°29 « Hammerklavier » Op.106.

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 20 août 2022. Concert. Jorge GONZALES BUAJASAN, piano. Orchestre de Chambre de Lausanne. Renaud CAPUCON. MENDELSSOHN.

Concert de clôture festif pour la 42ième édition du Festival de La Roque d’Anthéron.

Soiree De Cloture ©VALENTINE CHAUVIN 2022 18
©VALENTINE CHAUVIN 2022

Il y a deux jours nous avons pu voir le chef charismatique qui avait eu en charge l’Orchestre de Chambre de Lausanne de 2000 à 2013. Christian Zacharias a laissé une forte empreinte à ce bel orchestre. Ce soir l’orchestre est dirigé par un chef récemment installé à sa tête : Renaud Capuçon qui s’improvise ainsi chef d’orchestre. Il ne nous a pas convaincus un instant. Il n’a aucune qualité pour cela et semble même perdu lorsqu’il joue et doit reprendre la direction de l’orchestre. C’est étrange comme ce violoniste de talent peut se fourvoyer ainsi. Cela n’a pas eu de conséquences car l’orchestre sait jouer seul avec des regards constants entre les quatre chefs de pupitres du quatuor à cordes. Ce programme tout Mendelssohn rend hommage à ce très grand compositeur bien trop négligé. Le concerto pour piano et violon est très bien écrit proposant des moments originaux entre le passage d’une forme sonate à des moments d’orchestre avec instruments obligés. C’est très souple, la virtuosité est musicalement agréable et les mouvements s’enchaînent avec facilité. Le jeu de pianiste cubain Jorge Gonzales Buajasan est très intéressant. Une belle pâte avec une noblesse de ton et une souplesse admirable. Les couleurs sont belles, les nuances subtiles et les doigts du musicien sont très agiles. Voilà un pianiste aux qualités remarquables, nous le retrouverons avec plaisir.

Soiree De Cloture ©VALENTINE CHAUVIN 2022 15
©VALENTINE CHAUVIN 2022

Renaud Capuçon est un violoniste impeccable qui est un partenaire sûr et dont le jeu est à la hauteur des exigences de la partition. Il s’agit d’un bien beau concerto qui aurait sa place plus régulièrement dans la programmation des salles de concerts. Pour la deuxième partie la joyeuse symphonie Ecossaise de Mendelssohn est une bonne idée pour finir en beauté un festival heureux qui après deux années terribles a retrouvé son large public. Oui c’était la fête à La Roque car le pari de René Martin est gagné ; sa détermination et son organisation parfaite ont ravi le public venu très nombreux et également ce soir pour fêter la Musique.  Cette symphonie avec les belles couleurs de l’Orchestre de Chambre de Lausanne est un enchantement. Précision, nuances et élégants phrasés, rien ne manque à l’orchestre. Heureusement Renaud Capuçon les a laissé jouer, se contentant de gestes généraux sans rien leur demander en particulier. Ils avaient tout le plaisir du monde à jouer et ne s’en sont pas privé. Nous avons entendu une symphonie magnifiquement sonore avec un final enthousiasmant. Rarement à la Roque d’Anthéron les derniers sons n’auront pas été ceux d’un piano solo ; ce soir ce sont les cors qui resteront en mémoire comme une joyeuse expression de liberté. Vive la Musique et la liberté ! Le public enthousiaste a obtenu le bis du deuxième mouvement de la symphonie. Pour ma part je serai bien resté avec le son si joyeux des cors dans le final de la symphonie comme un hymne.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 20 aout 2022. Auditorium du Parc. Concert Jorge GONZALES BUAJASAN, piano. Renaud CAPUCON, violon et direction. Orchestre de Chambre de Lausanne. Félix MENDELSSOHN (1809-1847) : Concerto pour piano, violon et cordes en ré majeur ; Symphonie N°3 en la mineur Op.56 « Ecossaise ». Photo : © Valentine Chauvin.

Soiree De Cloture ©VALENTINE CHAUVIN 2022 10

Ces trois critiques ont été rédigées pour CLASSIQUENEWS.COM

Christian ZACHARIAS l’Homme Musique !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano et direction. Orchestre National d’Auvergne. MOZART. HAYDN.

Christian ZACHARIAS l’Homme Musique !

Enfin nous l’avons eu l’orchestre digne de la délicatesse de Mozart et de Haydn. Après beaucoup de difficultés avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov (concerts des 5, 8 et surtout 11 août) cela a fait l’effet d’un véritable réconfort pour une bonne partie du public. Dès les toutes premières mesures de la délicieuse symphonie n°43 de HAYDN la grâce a inondé le parc du Château. La nuit n’avait pas le caractère apaisant des autres soirs mais un coté magique plus inquiétant avec un orage tout proche. Christian Zacharias n’est pas un simple chef d’orchestre, c’est un fabricant de Musique. Sa gestuelle est des plus personnelles, il n’y a pas de battue métronomique, il n’utilise pas de baguettes, mais au contraire des gestes gracieux construisant dans l’espace la musique à naître que le son des instrumentistes concrétise concomitamment. Cette magie est fascinante et apporte une sérénité inouïe. L’Orchestre National d’Auvergne se révèle être d’une précision horlogère, d’une pureté de sonorité rarissime et d’une souplesse admirable. Haydn est un artisan de l’orchestre des plus soigneux et sait profiter de chaque instrument. Deux hautbois, deux cors et un basson en plus des cordes pour ce soir. Christian Zacharias sait mettre en lumière chaque niveau d’écriture, chaque phrasé, chaque nuance avec un art de chaque instant. Tout est magnifique, avance et raconte quelque chose de la beauté du monde. Le final de cette symphonie, qui lui a donné son nom (Mercure), fuse et explose de joie. Un monde de joie et de beauté nous a été offert par ces artistes magnifiques.

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 7 © Valentine Chauvin 2022

Le temps d’installer le piano et voici Christian Zacharias dos au public pour diriger l’orchestre et jouer. Ce concerto « Jeune homme » de MOZART est une merveille en tout point. L’interprétation de ce soir est à marquer d’une pierre blanche tant la perfection est partout. Orchestre de vif argent, de douceur et de pureté toujours impeccable en tout et le piano si inventif et juste de Christian Zacharias. Il met tout son art du toucher en forme et toute son inventivité dans de nombreuses cadences et abellimenti comme un chanteur d’opéra.

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 21 © Valentine Chauvin 2022

C’est absolument divin. Un moment le danger de l’orage s’est matérialisé et a interrompu pour un court instant la fête du final du concerto. En étant de dos, ne voyant pas exactement ce qui se passait (des trombes d’eau sur le public) et entendant un bruit grandissant Christian Zacharias avec sa sensibilité en effervescence a dû s’arrêter n’arrivant plus à se concentrer sur son piano, le jeu de l’orchestre et la conduite à bon port de ses cadences. Après un court instant, sur les conseils en coulisse de Richard Martin, il a repris et tout s’est terminé dans une allégresse totale. Nous étions mouillés mais pas trempés car protégés par les capes distribuées en début de concert.  Ah que ce festival est bien organisé, comme les bénévoles savent être attentifs et prévenants !

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 17 © Valentine Chauvin 2022

Chacun rassuré sur le passage de l’orage, le concert a pu reprendre avec la symphonie des adieux qui commence sur une énergie si noble et digne. Un Orchestre qui sonne n’a pas besoin du nombre car l’allure obtenue par Christian Zacharias est magnifique de carrure et de noblesse. Les plans s’articulent avec naturel, les nuance sont somptueuses, les attaques hyper précises, et les chants éperdus. Cet orchestre est absolument magnifique. Que ne l’avons eu plus tôt ! Son travail avec Christian Zacharias ne date que d’une année mais on devine un partage de musique au sommet. En discutant avec des instrumentistes après le concert ils sont unanimes Zacharias est un musicien d’exception et tout à fait enthousiasmant. Quand on sait que d’abord il a eu une carrière de pianiste si riche avec des enregistrements de références dans Schubert en particulier (ses sonates !) et que sa carrière de chef est déjà si riche il est bien plus qu’un pianiste et un chef. A 72 ans il a une vivacité, un allant, une souplesse de tout jeune homme. Longue vie à cet artiste entièrement fait de musique qui sait si bien la partager. Nous le retrouverons en soliste musicien à Toulouse à Piano Jacobins et justement dans Schubert…

Le concert se termine dans l’allégresse avec deux bis. D’abord Zacharias au piano dans un délicieux Rondo en ré majeur de Mozart, frais et irradiant. Puis avec l’orchestre un extrait de la Petite Musique de Nuit de Mozart. Une élégance totale, une précision enthousiasmante et une jubilation souveraine. Un véritable enchantement avec une œuvre archi connue qui sous les doigts de ses musiciens de grand talent et ainsi dirigée revit plus belle que jamais.

Ce concert restera exceptionnel a plus d’un titre pour la beauté de l’orchestre, la richesse de l’interaction chef, pianiste, l’orchestre si sublime et cet orage spectaculaire et si peu grave, protégé que nous étions par les prévenances des bénévoles de l’association. La vie est belle à La Roque d’Anthéron !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Concert.  Joseph HAYDN (1732-1809) : Symphonie n°43 en mi bémol majeur « Mercure », Symphonie n°45 en fa dièse mineur « Les adieux » ; Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Concerto pour piano n°9 en mi bémol majeur K.271 « Jeunehomme » ; Orchestre national d’Auvergne ; Christian Zacharias, piano et direction. Photos Valentine Chauvin.

Critique rédigée pour Classiquenews.com

Somptueux hommage à Radu Lupu par Nelson Goerner

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. CHOPIN.SCHUMANN.

Nelson Goerner le plus grand pianiste-musicien ?

Oui certainement ce soir à La Roque d’Anthéron !

Le programme d’une grande cohérence fait se suivre 4 Ballades de Chopin puis les Études Symphoniques de Schumann. Programme athlétique s’il en est !  Sinon jumeaux de 1810 du moins amis partageant une admiration réciproque, Chopin et Schumann, ont chacun été des compositeurs inoubliables pour le piano. Chopin avec son côté exclusif a écrit des pages parmi les plus géniales pour le piano. Schumann a su ouvrir à d’autres instruments sa muse mais au début de sa vie il s’est tout entier abandonné au piano. Sa folie de l’excès l’a conduit à s’imposer une attelle en cuir et métal en voulant des doigts trop obéissants pour la virtuosité, il en a résulté une blessure digitale définitive qui lui a interdit la carrière de pianiste.

Le piano des Ballades et des Études Symphoniques se ressemblent par une forme d’absolu que partagent leurs compositeurs.

Nelson Goerner 2 © Valentine Chauvin 2022

Les quatre Ballades sont des pièces autonomes, libres et superbement construites dans leurs allures insaisissables. En débutant par celle en sol mineur Nelson Goerner savait que les deux musiciens admiraient cette œuvre, Chopin aurait dit à Schumann que c’était sa composition préférée. Nelson Goerner s’y engage avec toute son âme en faisant presque son propre portrait pianistique : largeur de ton, ampleur des sonorités, couleurs irisées, nuances infinies. Ce piano vit toutes les émotions et la technique sublime se met au service de cette musique sublime. C’est immense ! Quelle puissance digitale !

Nelson Goerner 9 © Valentine Chauvin 2022

Les trois autres Ballades soulignent tel ou tel aspect, développent des directions diverses mais tout était déjà évoqué dans la première ballade. Leur enchainement nous fait vivre un moment qui nous fait perdre le souffle tant la beauté de ce piano nous envoûte et la subtilité du musicien nous fait fondre. Comment ce diable de Nelson, que pourtant je connais bien, arrive-t-il ce soir à gravir encore plus haut l’échelle vers la perfection ? Est-il galvanisé par l’hommage qu’il veut rendre à son ami Radu Lupu ? C’est probable.

Après une courte pause Nelson Goerner va en véritable athlète nous faire entendre les Études Symphoniques de Schumann dans leur intégralité et dans un même geste interprétatif. La musique sublime de Schumann rencontre en Nelson Goerner un interprète idéal. Il a tout, la vaillance et l’héroïsme, la force des forte semblant dévastatrice et la délicatesse des piani est à la limite de l’audible, toujours avec une incroyable richesse en harmoniques. Les couleurs qu’il trouve sur tout l’ambitus du clavier sont ahurissantes. Tant de richesse, tant de puissance et avec cette simplicité, cette évidence… Nelson Goerner a des moyens phénoménaux tant pianistiques que musicaux, il nous offre un programme idéal de beauté interprété dans une dimension apollinienne. Après son concert Nelson Goerner a pu dire quelques mots sur l’hommage qu’il a souhaité rendre à son ami et ce génie du piano. Il a semblé être soulagé, souriant, heureux. Ce bonheur il l’a partagé avec un public enthousiaste applaudissant sans fin qui a obtenu quatre bis inénarrables. Humour, vélocité, sensibilité, puissance, il a tout osé. Jugez : Intermezzo en la majeur de Brahms comme Radu Lupu (à pleurer de tendresse), l’étude le torrent de Chopin (dans un tempo d’enfer), L’andante de la sonate en la majeur de Schubert (dans un toucher exquis) et pour achever la soirée sur un exploit plus fou encore, La Rhapsodie Hongroise N°6 de Liszt dans laquelle semblent se trouver toutes les difficultés inimaginables. Nelson Goerner atteint une plénitude de moyens artistiques qui en font ce soir un Apollon du piano venu apporter par la beauté une consolation aux auditeurs du Parc Florans. Merci !

Hubert Stoecklin

Nelson Goerner 18 © Valentine Chauvin 2022

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de piano de Nelson Goerner en hommage à Radu Lupu. Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Ballades n°1 en sol mineur Op.23, n°2 en fa majeur Op.38, n°3 en la bémol majeur Op.47, n°4 en fa mineur Op.52 ; Robert Schumann (1810-1856) : Études Symphoniques Op.13.

Critique rédigée pour Classiquenews.com

Marie-Ange Gnuci artiste rare

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON 42ième édition , le 12 août 2022.

Récital Marie-Ange NGUCI, piano.

RACHMANINOV, SCRIABINE, PROKOFIEV.

Depuis 2020 le Festival International de La Roque d’Anthéron a expérimenté des concerts le matin à 11h. Le soleil se levant sur le grand amphithéâtre ne permettait pas au public venu en nombre d’être à son aise. Et en cet été de canicule cela aurait été tout à fait impossible. L’auditorium Marcel Pagnol dans les hauteurs de La Roque, à la place de l’ancienne piscine (regrets ?), est un lieu idéal. Frais et confortable le public était nombreux pour le récital de la pianiste albano-française Marie-Ange Nguci (prononcer Gucci). Cette toute jeune femme hyper douée et très diplômée fera parler d’elle, c’est certain. Nous l’avions découverte bouleversée et bouleversante, il y a quelques jours, lors de la soirée d’hommage à Nicholas Angelich / soirée spéciale “Les amis de Nicholas”, 10 août 2022.

Magnifique récital de Marie-Ange NGUCI

marie-ange-nguci-piano-la-roque-aout-concert-2022-critique-classiquenews

Admise dans sa classe à 13 ans, elle a bénéficié de son enseignement une année. Visiblement elle en a beaucoup appris. Comme lui, elle fait avant tout de la musique en se servant de son instrument, le piano, cherchant toute la musique cachée jusque dans la virtuosité la plus folle. Comme lui elle a un toucher capable de légèreté elfique. Son récital d’œuvres rares et belles est somptueux. Avec une maîtrise technique absolue, elle interprète chaque pièce avec une délicatesse inouïe, cherchant tout de la construction de l’œuvre afin de la rendre limpide.

Marie Ange Nguci, Hommage À Nicholas Angelich 3 © Valentine Chauvin


Car si les Variations d’après Chopin de Rachmaninov gardent du thème choisi une certaine séduction, on ne peut pas dire que la Sonate de Scriabine ou celle de Prokofiev sont des œuvres faciles pour le public. Rachmaninov sonne avec des couleurs qui peuvent être éclatantes mais surtout les clairs-obscurs sont délicieusement mis en valeur. Quelles beautés dans la variété de la palette sonore de son piano !
La 5ème sonate de Scriabine est redoutablement complexe. Marie-Ange Nguci nous la rend limpide. Elle sait en tirer toute la musique cachée sous les méandres de tonalités fugaces, les rythmes variés. Quel staccato, quel toucher délicat, quelle puissance. La richesse de son toucher est vertigineuse.

Marie Ange Nguci, Hommage À Nicholas Angelich 8 © Valentine Chauvin


Dans la Sonate n°6 de Prokofiev, la pianiste rajoute la noirceur, la méchanceté et la cruauté de la guerre comme le sarcasme propre à la musique de Prokofiev. Mais là également la musique règne et jusqu’à la toute dernière goutte, la musique de ces pages vertigineuses est débusquée par cette interprète incroyablement perspicace.
Marie- Ange Nguci a 24 ans. Elle est une musicienne accomplie, son jeu est d’une richesse incroyable. Nous la suivrons et vous entendrez parler d’elle, c’est certain, Marie-Ange Nguci voici un nom à retenir !

Critique rédigée pour Classiquenews.com

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHÉRON, le 12 août 2022. Auditorium Centre Marcel Pagnol. Récital Marie-Ange NGUCI, piano. Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin Op.22 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate n° 5 en fa dièse majeur Op.53 ; Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate n°6 en la majeur Op.82.  Photo : © Valentine Chauvin

Le concerto de Clara Schumann redécouvert grâce à David Kadouch

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 11 août 2022. Concert David KADOUCH. Tanguy de WILLIENCOURT, piano. SINFONIA VARSOVIA. Azis SHOKHAKIMOV. SCHUMAAN. WIECK-SCHUMANN.

Le Premier Concerto de Clara enfin révélé : il est magnifique !

L’an dernier ici même David Kadouch nous avait fait découvrir son travail original autour d’Emma Bovary et des compositrices romantiques empêchées de s’exprimer pleinement pour des raisons socio-familiales, mais ayant composé de magnifiques œuvres. Son dernier CD est d’ailleurs en vente depuis peu reprenant  ce programme avec des compositions de Fanny Mendelssohn et de Clara Schumann en particulier. Il est tout naturel qu’il vienne défendre le premier concerto de Clara Wieck-Schumann. L’œuvre est magnifique. Pas juste intéressante, mais magnifique. D’une patte originale mais peut-être plus proche de Chopin que de Schumann, si je peux me permettre cette idée un peu réductrice. Les mouvements sont enchaînés.  Son premier mouvement a de l’allure et permet un dialogue franc entre le piano et l’orchestre avec des moments de très grande virtuosité. Le deuxième mouvement débute sans se faire remarquer comme l’émanation d’une immense cadence, l’effet est très original. Ce mouvement est plein de délicates volutes, de demi teintes et de couleurs diaphanes et offre un magnifique duo avec le violoncelle. Le final joyeux a des allures de polonaise. Le charme indéniable de cette œuvre mérite de renter au répertoire des salles de concerts. La virtuosité est toujours musicale et les effets de doigts ou de manches ne sont pas là pour satisfaire les pianistes narcissiques. Venant d’une grande virtuose comme l’était Clara Wieck la suprématie de la musique sur la technique enchante.  Le seul regret est que ce concerto ne dure pas 20 minutes, mais est-ce si important ?  Le jeu de David Kadouch est un enchantement. Le toucher est exquis, les nuances subtiles et les couleurs irisées. Son jeu mieux que virtuose est lumineux, plein d’élégance et semble facile. La gourmandise des phrasés rend vraiment justice à l’œuvre de Clara Wieck-Schumann. L’orchestre est un peu abrupt parfois mais le chef semble prendre plaisir à cette œuvre jusque-là inconnue. Les instrumentistes sont très engagés surtout le violoncelle solo qui se révèle admirable : le dialogue amoureux entre le piano et le violoncelle est très émouvant. C’est vraiment la découverte et la parfaite interprétation du concerto de Clara qui fait tout le prix de ce concert.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 20 © Valentine Chauvin
David Kadouch sous le charme de la musique de Clara

Car l’orchestre avait débuté en « massacrant » l’ouverture Op. 42 de Robert Schumann.  Est-ce dû à un manque de cohésion ou à la fatigue, ce que laissent supposer les quelques soucis de justesse.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 16 © Valentine Chauvin
Tanguy De Williencourt et Aziz Shokhakimov tonitruants

Je n’ai pas envie de détailler non plus le concerto de Robert Schumann joué par Tanguy de Williencourt. Le choix d’un piano brillant et le jeu « tutta forza » du jeune homme, soutenu par le chef comme pour réveiller son orchestre, ne sont pas de nature à mettre en valeur les subtiles humeurs du concerto de Robert Schumann, ses nuances, ses moments chambristes, ses couleurs… Son concerto ce soir a sonné comme n’importe quel concerto brillant, sous des doigts virtuoses…  No comment !

Ah comme Clara et David Kadouch en fin de concert ont su nous transporter !

Les bis de David Kadouch également avec une mélodie magnifique de Fanny Mendelssohn puis en partageant son succès, un duo à quatre mains de Dvorak, offrant à Tanguy de Williencourt l’occasion de faire un peu de musique ce soir.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 34 © Valentine Chauvin
Tanguy de Williencourt et David Kadouch

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 11 août 2022. Auditorium du Parc. Concert. David KADOUCH et Tanguy de WILLIENCOURT, piano. Sinfonia Varsovia. Direction : Azis SHOKHAKIMOV. Robert Schumann (1810-1856) : Ouverture, scherzo et finale Op.42 ; Concerto pour piano et orchestre en la mineur Op.54 ; Clara Wieck-Schumann (1819-1896) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en la mineur Op.7 ; Photo : © Valentine Chauvin

Critique rédigée pour classiquenews.com

Très émouvant hommage à NICHOLAS ANGELICH

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Récital en hommage à NICHOLAS ANGELICH. Gabriele CARCANO. Violaine DEVEBER. Jean-Baptiste FONLUPT. François-Frédéric GUY. Etsuko HIROSE. Marie-Ange NGNUCI. Bruno RIGUTTO.

Le concert des amis de Nicholas      

                            

Soirée très particulière marquée par une émotion forte autant sur scène que dans le public. En tant que témoin critique j’ai fait partie des plus émus. Je ne souhaite donc par rédiger une critique habituelle. Ce soir ce terme est tout à fait inconvenant. Je veux simplement témoigner de ce qui s’est passé sur scène ce soir. Nicholas Angelich est mort le 18 avril 2022 à 51 ans. L’âge de la plénitude artistique où l’équilibre entre force de virtuosité et délicatesse d’interprétation s’épousent pour ne cesser de s’épanouir. Le dernier concert auquel je l’ai entendu m’avait marqué par une sorte de transe dans laquelle je le voyais nous offrir la musique de Beethoven comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Même ses collègues l’avaient félicité pour ce qu’il avait fait d’inouï dans la dernière sonate de Beethoven lors du marathon de l’année 2020 à La Roque. Donc ce concert hommage a eu lieu pour beaucoup là-même où ils avaient entendu Nicholas pour la dernière fois !  Car le grand artiste avait été très rare sur scène ensuite. Il a fallu beaucoup du courage à la jeune Violaine Debever pour débuter ce concert dans cette ambiance si particulière. Scarlatti était un choix idéal. Sans enjeux affectif sa musique pure a permis de débuter ce qui allait être une aventure périlleuse pour les artistes.

Violaine Debever, Hommage À Nicholas Angelich 4 © Valentine Chauvin
Violaine Debever

N’oublions pas que ce qui les lie est cette recherche constante d’équilibre entre perfection instrumentale et émotion partagée. Ce soir les attitudes et les mimiques, le jeu même, étaient souvent significatifs de cet équilibre sur le point de se perdre mais jamais lâché. Quel courage et quelle maîtrise sont les leurs ! La deuxième musicienne courageuse a été Etsuko Hirose. Cheveux cachant son visage au début, elle s’est lancée crânement dans un Brahms au romantisme éperdu. Puis c’est le jeune Gabriele Carcano qui avec un legato suprême chantait Schubert revu par Liszt. La plus vulnérable a certainement été Marie-Ange Nguci qui a joué du Rachmaninov magnifiquement, comme sur un fil, c’était tout à fait bouleversant. Chaque artiste a lutté à sa manière pour accepter cette émotion sans la laisser diriger leur jeu. Ainsi ce qui était particulièrement touchant sont les œuvres interprétées à plusieurs claviers à 2, 3 ou 4 sur un ou deux pianos. Même les plus aguerris comme Bruno Rigutto et François-Frédéric Guy ont d’abord joué à deux pianos. Ainsi Bruno Rigutto a-t-il débuté avec Jean-Baptiste Fontlup dans deux Rachmaninov sensibles et pudiques.

Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlupt, Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin
Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlup

Bruno Rigutto nous a ensuite émus avec un Nocturne de Chopin en ut mineur avec cette alternance de tension puis de relâchement dont il a le secret. François-Frédéric Guy lui n’a joué qu’en deuxième partie. D’abord avec Marie-Ange Nguci dans un soutien mutuel visible et touchant.

Il faut dire qu’il a eu la merveilleuse idée ensuite de jouer le deuxième mouvement de la sonate Op.111 de Beethoven : celle-là même que Nicholas Angelich avait jouée pour son dernier concert à La Roque ! Très certainement cela aura été très coûteux pour lui et très bouleversant pour nous de l’entndre jouer les même dernières notes que Nicolas Angelich ici même en l’été 2020. Jean-Baptiste Fontlup a proposé « La vallée d’Obermann » de Liszt dans des sonorités riches, des lignes puissamment charpentées et une belle virtuosité. Chacun a donné ce qu’il pouvait faire de mieux en solo en un soir pareil, mais ce sont les ensembles qui ont vraiment montré cette fraternité musicale qui les unit, qui les renforce y compris dans la danse macabre de Saint-Saëns à 4 sur deux pianos !

Gabriele Carcano, Etsuko Hirose, Hommage À Nicholas Angelich © Valentine Chauvin
Gabriele Carcano, Etsuko Hirose

Et quel final ce Rachmaninov à six mains ! Les yeux au ciel, la main tendue vers le ciel en cette nuit de lune, tous saluent à leur manière l’âme musicale de Nicholas, musicien si délicat, prince si aimé et parti trop tôt, avant de devenir roi alors qu’il en avait tous les moyens.  Un bouquet de fleur en fond de scène représentait cette âme musicale de Nicholas Angelich aujourd’hui devenue ange.

Hommage À Nicholas Angelich 1 © Valentine Chauvin

Un lien pour voir et entendre Nicholas Angelich parler de La Roque d’Anthéron

Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Auditorium du Parc. Récital en hommage à Nicholas Angelich. Jean-Baptiste FONLUPT ; Marie-Ange NGNUCI ; François-Frédéric GUY ; Etsuko HIROSE ; Bruno RIGUTTO ; Gabriele CARCANO ; Violaine DEVEBER, piano. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonate en ré mineur K. 213; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV1061, 2ème mouvement; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur opus 111, 2ème mouvement ; Frantz Schubert (1797-1828) : Der Müller und der Bach” extrait de La Belle meunière D. 795, “ Gretchen am Spinnrade”  D. 118; Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne en ut mineur opus 48 n°1 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Vallée d’Obermann, extrait des Années de pèlerinage ;  Johannes Brahms( 1833-1897) : Thème et variations en ré mineur d’après le Sextuor à cordes opus 18, Sonate pour deux pianos en fa mineur opus 34b, 1er mouvement; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Danse macabre ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin opus 22, Suite n°1 pour deux pianos opus 5 “Fantaisie-tableaux”, 1er et 2ème 3ème et 4ème mvts, Romance en la majeur pour piano à six mains ; Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l’Oye.  Photo : © Valentine Chauvin

Et ici Nicholas Angelich nous console

MOZART est chez lui à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Concert Anne Queffélec, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. MOZART. DVORAC.

Concert enthousiasmant coté piano comme orchestre

Anne Queffélec fidèle parmi les fidèles revient à La Roque avec Mozart pour un concert donné à guichet fermé. Son Mozart est si merveilleusement évident que le charme a complètement envoûté le public. Le concerto offert ce soir est le 27ième, le dernier composé par Mozart et semble-t-il celui qui lui permît sa dernière apparition publique. Il est porteur d’une certaine gravité et d’un côté sérieux, moins séduisant que d’autres. Pourtant on y trouve de très belles mélodies et un tricotage, orchestre-piano serré. Anne Queffélec a toutes les qualités de probité et de modestie pour donner sa noblesse et ses couleurs à ce concerto. Ses mouvements de tête lorsque l’orchestre joue seul, montrent bien comment elle est habitée par cette belle musique et fait corps avec toute la partition. Jeu perlé, équilibre exact entre les plans, tout est merveilleux et la musique coule sans entrave. L’orchestre est un partenaire attentif et prudent. Les instruments solistes dialoguent amoureusement avec la pianiste. Le chef, Aziz Shokhakimov sait garder le bon équilibre tout du long. Que dire de plus ?  C’est le bonheur parfait : Mozart en plein air sous les frondaisons, même les cigales se sont tues.

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 13 © Valentine Chauvin

En début de programme la soprano Marion Tassou s’était  lancée dans le magnifique air de concert « ch’io mi scordi di te » dans lequel Mozart s’est écrit une partie de piano obligé comme une déclaration d’amour. Ce soir c’est cette déclaration, magnifiquement phrasée par Anne Queffélec qui nous enchante. La voix peu séduisante de la soprano ne peut vraiment s’imposer.

La deuxième partie de programme sera comme une toile à l’huile après un pastel subtil. La symphonie du nouveau monde de Dvorac est une partition brillante qui permet à tout orchestre de montrer ses qualités et au chef de s’exprimer. Le bonheur y est partout même dans le deuxième mouvement où la délicate cantilène du cor anglais se pare de mélancolie un temps avant que les autres bois n’éclairent l’horizon. Le Sinfonia Varsovia montre toutes les qualités de ses solistes et surtout sa capacité à suivre l’énergie bouillonnante demandée par le chef. Aziz Shokhakimov avec une gestuelle singulière et expressive semble habité par cette musique des grands espaces qui sous sa direction exulte de joie. Les tutti des cuivres sont puissants, les cordes se galvanisent pour phraser large, les bois sont expressifs et les cors apportent une belle couleur. Les violoncelles et surtout son soliste phrasent admirablement leurs moments lyriques avec de belles couleurs ombrées. Tous les musiciens participent très activement à cette fête même le plus modeste triangle !

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 19 © Valentine Chauvin

Cet orchestre en résidence qui joue presque chaque soir est comme galvanisé et déchargé de toute fatigue accumulée. Car la chaleur en journée est épuisante pour chacun et les soirs sous les projecteurs sont également porteur de fatigue inévitable. Le bonheur à voir saluer Aziz et son orchestre et l’exaltation du public ont balayé tout cela. Le vrai bonheur c’est le partage de la musique dans cette belle nuit provençale.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Auditorium du Parc. Concert Anne QUEFFELEC, piano. Marion TASSOU, soprano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz SHOKHAKIMOV. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791 : Air de concert, «Ch’io mi scordi di te ? » K.505 ; Concerto pour piano et orchestre, n°27 en si bémol majeur K.595. Anton Dvorak (1841-1904) : Symphonie n°9 en mineur, Op.95 « Du nouveau monde ».

Photo : © Valentine Chauvin.

La Gioconda à Orange

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Amilcare PONCHIELLI. LA GIOCONDA. Csilla BORROS. Stefano LA COLLA. Clémentine MARGAINE. Jean-Louis GRINDA. Daniele CALLEGARI. 

UNE GIOCONDA BIEN TROP SAGE À ORANGE

L’opéra le plus connu de Ponchielli, Gioconda n’est pourtant pas vraiment un opéra favori du public. Plusieurs raisons me semblent expliquer ce malentendu. Même si le livret de Boïto est d’après Hugo, l’intrigue tarde à avancer et les incohérences sont nombreuses. La partition mis à part deux airs (Enzo et Gioconda) et un duo ( Gioconda-Laura) et surtout sa musique du ballet des heures n’est pas si connu. Cet opéra, les lyricophiles en ont davantage entendu parler qu’ils ne le connaissent vraiment.

Ce soir le théâtre Antique était loin d’être plein. Le public présent a semblé par ses applaudissements satisfait mais pas absolument conquis. La mise en scène grandiose et spectaculaire de Jean-Louis Grinda est tout à fait adaptée au lieu. Les vidéos d’ Etienne Guiol et Arnaud Pottier sont somptueuses avec lagunes, palais, mer et bateaux projetés et sols luxueux. Les lumières sont très expressives et les costumes superbes, riches et prenant bien la lumière. Le jeu des chanteurs est simple et crédible sans trop d’emphase. Le tableau avec le ballet est grandiose.

Les voix des héros sont sonores en ce qui concerne Gioconda, Enzo, Laura et la Cieca. Barnaba et Alvise semblant plus étriqués dans la vaste acoustique.

Csilla Borros, Gioconda, sauve la production in extremis, elle est particulièrement engagée dans un personnage noble et fier au chant victorieux s’imposant face aux difficultés du rôle. Des sons piano et un beau legato lui permettent de résister toute la soirée. Elle semble bien à l’aise dans ce rôle épuisant.

Stefano La Colla est un Enzo élégant et bien chantant. En Laura, Clémentine Margaine offre son mezzo cuivré et chante avec puissance ce rôle sans toutefois faire tout à fait le poids scéniquement dans son opposition à Gioconda. Leur duo, qui doit être spectaculaire ne décollera pas vraiment.

Alexander Vinogradov, en Alvise n’a pas le charisme d’un noble altier et peine à s’imposer, semblant bien trop fragile. La Cieca de Marianne Cornetti est parfaite de noblesse et de modestie pieuse, la voix belle et longue sonne avec facilité, ses interventions portent à chaque fois une très belle émotion. La grande déception vient du Barnaba de Claudio Sgura. Toute l’action repose sur la terreur que doit imposer ce personnage entièrement noir. A chercher à le banaliser, l’action ne démarre pas vraiment. La voix n’a pas l’ampleur terrible attendue. Le jeu est trop sage. Il incarne un méchant trop poli en somme !

Le reste de la distribution ne pose pas de problème et chacun s’impose sans difficulté dans la vastitude du théâtre Antique. Citons-les tous : Jean-Marie Delpas en Zuante, Przemyslaw Baranek en chanteur, Jean Miannay en Isépo, Walter Barbaria le timonnier, Serban Vasile un barnabotto, Vincenzo Di Nocera, une voix, Pasquale Ferraro, une autre voix. Les chœurs associés de nos régions Sud sont impeccables, vivants, sonores et impliqués.

La plus grande réussite aura pour moi été le ballet absolument enthousiasmant, brillant, virtuose et vivant. Reste peut-être le plus délicat à écrire : l’orchestre de Nice plutôt efficace n’a pas eu l’occasion de vraiment briller car la direction, molle et sans nerf de Daniele Callegari était bien décevante. Gioconda a besoin d’un chef et d’un vrai. Et comme aucune voix n’était de nature à briser les cœurs le drame n’a pas pris. Jolie musique un peu compassée alors que Gioconda peut être de feu et de sang.

L’aspect scénique et surtout le ballet, magnifique chorégraphie de Marc Ribaud et du ballet de l’Opéra Grand Avignon, ont permis de passer une bonne soirée mais bien trop sage par ailleurs.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Théâtre Antique. Amlicare PONCHIELLI (1834-1886) : LA GIOCONDA, Opéra en 4 Actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Jean-Louis Grinda et Laurent Castaingt ; Costumes : Jean-Pierre Capeyront ; Lumières : Laurent Castaingt ; Chorégraphie : Marc Ribaud ; Vidéo : Etienne Guiol et Arnaud Pottier ; Distribution : Csilla Borros, Gioconda ; Clémentine Margaine, Laura ; Stefano La Colla, Enzo ; Alexander Vinogradov, Alvise ; Marianne Cornetti, La Cieca ; Cladio Sgura, Barnaba ; Jean-Marie Delpas, Zuane, matelot ; Przemyslaw Baranek, un chanteur ; Jean Miannay, Isépo ; Walter Barbaria, le timonnier ;  Serban Vasile, un barnabotto ; Vincenzo Di Nocera, une voix, ; Pasquale Ferraro,  une autre voix ;  Orchestre Philharmonique de Nice ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon , Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Chœur de l’Opéra National du Capitole de Toulouse ; Coordination des Chœurs, Stefano Visconti. Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Direction : Daniele Callegari.

Photos : Gromelle

Alexandre le Grand à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. TCHAÏKOVKI. LISZT.

ALEXANDRE KANTOROW SUPER-HEROS A LA ROQUE

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia 2 © Valentine Chauvin

Jeune, fringant et courageux Alexandre Kantorow a ce soir subjugué le public en interprétant d’affilée sans ciller deux concertos hyper virtuoses. Son partenaire le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ne l’a pas ménagé. Dès la première intervention de l’orchestre fortissimo, le ton était donné. Le deuxième concerto de Tchaïkovski n’est pas le plus réussi et ne sonne pas vraiment comme du Tchaïkovski et ce soir moins que jamais. Disons-le clairement le côté « pompier » et tonitruant de cet orchestre n’était pas de nature à déranger un Alexandre Kantorow aux moyens souverains, mais cela a nui à sa recherche constante de musicalité. Ce concerto est celui avec lequel le tout jeune Alexandre a remporté le concours Tchaïkovski. Il en maîtrise absolument toutes les difficultés et arrive à nuancer de fort belle manière dès qu’il en la possibilité. Les échanges avec la flûte solo dans le premier mouvement, les échanges avec le violon et le violoncelle en solo dans le deuxième mouvement sont des oasis de beauté et de délicatesse. Le reste du temps le combat entre l’orchestre et le chef ne laisse aucun vainqueur et peut sembler vain à des oreilles délicates. Les traits de Kantorow peuvent être fulgurants, les battues d’une puissance athlétique et la liberté dans les moments rhapsodiques caractérisent son jeu de super héros qui ne lâche rien.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 22 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov jeune chef de 34 ans demande toute sa force au Sinfonia Varsovia et l’obtient dans des tutti supersoniques. Nous avions découvert Alexandre Kantorow dans ce concerto à Toulouse dirigé par un chef bien plus convaincant avec un résultat tout différent. Car ce soir hélas l’ensemble sonne au final « assez pompier ». Après une infime pause Alexandre Kantorow avec un panache souverain s’engage dans le deuxième concerto de Liszt qui heureusement sera bien plus nuancé du côté de l’orchestre. Le prodigieux jeune homme se permet des nuances subtiles et des phrasés chantants tout en habillant les plus terribles traits de toute la grâce possible. Les moyens techniques d’Alexandre Kantorow semblent infinis. Tout lui semble facile et pourtant quelle folie contenue dans ce concerto ! Les moments chambristes du concerto sont joués avec une gourmandise adorable par le pianiste. On devine un vrai amour pour le dialogue musical.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 4 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov garde en général une attention particulière au brillant et à la puissance qu’il obtient de l’orchestre mais arrive à ménager des moments de détente dans lesquels la musique peut s’épanouir plus sereinement. En comparant avec son enregistrement de 2015 réalisé par le tout jeune Alexandre dans lequel son père dirige subtilement le Tapiola Sinfonietta, l’équilibre orchestre-piano y est plus naturel et le dialogue bien plus musical. Notons toutefois que le jeune pianiste a gagné une force et une aisance remarquables. Cette version a quelque chose de sauvage et d’indomptable. Indiscutablement peu de si jeunes pianistes sont capables de venir à bout de deux concertos si virtuoses et Alexandre Kantorow est probablement le plus intéressant du moment. Est-ce vraiment ce que nous pouvons demander de mieux à ce musicien exceptionnel ? La réponse il la donne dans son premier bis. En rendant hommage à Nelson Freire, dont c’était le bis favori, il offre au public une interprétation bouleversante des ombres heureuses de l’Orphée de Gluck, mélodie arrangée pour le piano par Sgambati. Hommage à Nelson Freire avec encore davantage de tendresse si c’est possible ! Puis un Sonnet de Pétrarque offert comme un véritable opéra chanté, avec un chant éperdu comme suspendu.  Le final de l’oiseau de feu sera brillant mais moins réussi que d’autre fois. C’est dans ces trois bis que le talent le plus rare d’Alexandre Kantorow se révèle, de l’avis d’aucuns il est à lui tout seul un orchestre. Alexandre Kantorow a fini ravi et comme régénéré par la force du partage musical, ce concert marathonien avec sprint final, dans une chaleur particulièrement étouffante. Il a assurément tout donné à son public ! Un héros vous dis-je !

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 15 © Valentine Chauvin

France Musique était là pour garder mémoire de ce concert donné à guichet fermé ce soir à la Roque.  Il est possible de le réécouter durant les six prochains mois.

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Auditorium du Parc. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz Shokhakimov. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en sol majeur Op.44 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en la majeur. Photo : © Valentine Chauvin.

Critique écrite pour Classiquenews.com