Critique .CD. G.F. HAENDEL. THEODORA. L. OROPESA. J. DI DONATO. P.A. BENOS-DJIAN. M. SPYRES. J. CHEST. IL POMO D ORO. M. EMELYANYCHEV. 3.CD ERATO. 2022.
THEODORA Oratorio mal connu mais superbe dans la meilleure version diponible !
Étrange carrière pour cet Oratorio qui ne trouve jamais vraiment son public. Haendel y tenait et pensait que c’était l’un de ses meilleurs Oratorio même si à chaque reprise le succès n’a pas été au rendez-vous de son vivant. Chaque fois que le public l’entend aujourd’hui il est ému par la simplicité et la beauté des airs et des chœurs. Moi-même en 2012 à la Chaise-Dieu.
Cet enregistrement fait lors de plusieurs concerts en 2021 garde une intensité que seuls les concerts offrent : car tout est vie dans cette version.
Maxime Emelyanychev semble galvaniser chacun, orchestre, chœur et solistes. Sa complicité avec Il Pomo d’Oro, son orchestre, est totale. Avec le chœur également sans contestation mais ce qui se passe avec les solistes est tout simplement fascinant. Chacun dans ses airs développe ses qualités les plus belles sans renoncer à une dimension dramatique soutenue par le chef. Ce sont les humbles qui ont les airs les plus émouvants. Voilà peut-être une explication du manque de succès de l’Oratorio : l’humilité des héros n’est pas assez brillante. Des héros de la modestie en quelque sorte. En tous cas quelles voix dans ce Cast !
Lisette Oropesa a un soprano noble et des phrasés de toute beauté. Le timbre est ombré de belles couleurs et fait merveille dans ce rôle de Noble patricienne devenue chrétienne et qui accepte la mort avec calme, la réclame même et a une hauteur de vue troublante. Sa Théodora est aussi émouvante qu’impressionnante avec une aisance totale dans les exigences vocales que Haendel lui confie. Sa grande scène du début de la partie deux avec plusieurs airs et récitatifs est très impressionnante. Et Haendel lui réserve deux très beaux duos avec Didymus et un autre avec Irène.
Joyce Di Donato au timbre de bronze et aux accents sincères donne beaucoup de puissance au rôle second de l’amie chrétienne, Irène. À elle également Haendel offre des airs absolument magnifiques. L’engagement de Joyce Di Donato ne fait pas mystère, c’est une actrice hors pair et ici la complicité avec le chef est brûlante. Ces airs subtilement nuancés, phrasés avec art sont portés par un orchestre de feu.
Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian au timbre si riche a un rôle dramatique semblant modeste mais les airs et les récitatifs sont si intenses que la magie vocale et dramatique se renforcent mutuellement. Phrasés subtiles, nuances délicates, mélancolie noble ou puissance dans les vocalises, cet artiste a tout d’un haendelien de haut vol. Son Didymus sensible et généreux est idéal.
Si un exemple peut suffire à prouver la valeur de la partition et la suprématie de cet enregistrement, je propose l’écoute du premier duo Didymus-Théodora fin de la scène trois de la deuxième partie avec l’orchestre profond et terrifiant de Maxime Emelyanychev. C’est somptueux en tout, absolument en tout !
Le ténor Michael Spyres est admirable de timbre et de style mais Septimius ne fait pas partie des personnages les plus passionnants.
John Chest a le rôle du méchant personnage, Valens, plus par obéissance à un pouvoir aveugle que par perfidie. Il est tout à fait bien chantant et incarne de manière satisfaisante ce personnage plutôt fade.
Le Chœur incarne les deux peuples : les païens vifs et joyeux et les chrétiens plus tourmentés et idéalistes avec le même bonheur. Maxime Emelyanychev accentue les contrastes d’écritures pour chaque chœur et l’effet en est saisissant.
Voici un enregistrement qui sans difficulté prend la tête des versions de la discographie en raison de la qualité des voix et de la direction dramatique et contrastée du chef. Maxime Emelyanychev demeure un chef baroque des plus merveilleux.
L’enregistrement est très précis, les bruits du public sont très atténués. Rien ne vient limiter le plaisir de l’écoute. L’orchestre et le chœur sont généreux et les voix toutes superlatives. Une grande version discographique qui est le reflet fidèle de grands concerts à la Philharmonie d’Essen en novembre 2021.
Hubert Stoecklin
Critique. CD. Georg Frédéric Haendel (1685-1759): Théodora, Oratorio HWV 68. John Chest, Valens ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Didymus ; Michael Spyres, Septimius ; Lisette Oropesa, Théodora ; Joyce Di Donato, Irène ; Massimo Lombardi, un messager ; Chœur Il Pomo d’Or. Directeur du chœur, Giuseppe Maletto ; Orchestre Il Pomo d’Or. Direction, Maxim Emelyanychev. 3 CD ERATO. Enregistrement à la Philharmonie d’Essen du 26 au 29 XI 2021. Code 5 054197 177910.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 octobre 2022. Concert symphonique. R. VAUGAN-WILLIAMS. E. W. KORNGOLD. D. CHOSTAKOVITCH. ONCT. C. HOOPES, violon. T. PELTOKOSKI.
Tarmo Peltokovski le génie à l’état pur et il n’a que 22 ans !
Quels contrastes ! A une semaine d’intervalle la Halle-Aux-Grains a été réveillée tant coté orchestre que public par un jeune chef de 22 ans. Parcourue par un frisson la salle a été subjuguée par le contraste entre les deux parties de concert. D’abord avec le violoniste Chad Hoopes le jeune chef a créé un duo de rêve, de songe doux, de musique pure dans des nuances sublimissimes de délicatesse. Le jeu de Chad Hoopes est d’une subtilité inimaginable. Tout est ligne de chant de bel canto, les nuances sont incroyablement creusées avec des pianissimi célestes. Dans la courte pièce de Vaughan-Williams, l’envol de l’alouette, il semble sur un fil d’or pouvoir créer le son d’un songe. C’est si délicat et si beau que l’émotion monte en nous. La beauté peut faire pleurer ! Dans le Concerto de Korngold il assume la dimension post romantique allant jusqu’à du pré hollywoodien. C’est incroyablement large, un chant plus verdien voir vériste. Car toujours avec son violon il chante, chante, chante. Le chef finlandais obtient de l’orchestre avec une autorité sidérante un jeu de nuances incroyable et une osmose sans pareil avec le soliste. C’est absolument merveilleux cet accord musical presque fusionnel entre les deux artistes et l’orchestre. Le public conquis fait un triomphe au violoniste si subtil et s’abstient après tant de grâce de demander un bis qui n’aurait pu qu’être vulgairement obtenu.
Pour la deuxième partie du concert l’orchestre s’étoffe comme la partition le réclame. La cinquième symphonie de Chostakovitch nous est bien connue à Toulouse. Tugan Sokhiev a fait aimer Chostakovitch au public comme à l’orchestre et il a joué plusieurs fois cette symphonie dans cette salle. La manière dont Tarmo Peltokoski s’empare de cette vaste partition laisse sans voix. Dirigeant par cœur, il donne une puissance incommensurable à la charge que contient cette partition subtile de Chostakovitch. Sous une facilité formelle apparente, avec des thèmes simples, des harmonies prévisibles, des nuances très marquées et une richesse d’orchestration diabolique Chostakovitch se moque de la censure qui l’avait si terriblement traumatisé avec les remarques acerbes sur sa Lady Macbeth de Mnensk.
Tarmo Peltokoski est effrayant de rigueur, d’audace et d’efficacité. Si son allure a quelque chose d’un premier de classe lorsqu’il entre en scène, il se transforme en un démiurge lorsqu’il dirige. Il est bien rare d’être saisi ainsi au collet par un chef de cette trempe à Toulouse. Ce concert en rattrape bien de trop calmes. Car ce soir tout est bourrasque, tempête, tonnerre et fin du monde. Au dernier accord le public hurle des bravos et une bonne partie de la salle se lève. Le public a vécu un moment rare et l’orchestre tout autant. Tous font un véritable triomphe à ce génie de la baguette de 22 ans !
Le concert est annoncé sur Medici TV et prévu sur Mezzo-Live le 28 octobre 2022, c’est à voir absolument ! Vous n’en croirez pas vos yeux ni vos oreilles, même derrière un écran !
CRITIQUE. CD. CINEMA par ALEXANDRE THARAUD, Piano. 2 CD ERATO.
Quel voyage avec Alexandre Tharaud au cinéma !
A n’en pas douter Alexandre Tharaud est le plus versatile des pianistes. Je me souviens comme il était bien plus qu’un accompagnateur de Juliette Binoche dans un spectacle dédié à Barbara que j’avais vu à Avignon en 2017. Une présence forte en plus d’un piano merveilleusement souple créait une entente exquise avec la belle Juliette Binoche.
Coté enregistrements cet artiste sort régulièrement du carcan classique ou il aurait pu s’enfermer. Ces deux CD sont la preuve et de son amour pour le cinéma, de sa vaste culture et de son gout exquis. Le premier CD piano orchestre trouve en Antonio Pappano mieux qu’un accompagnateur un véritable complice. L’Orchestre de l’Académie Sainte Cécile de Rome brille de mille feux. Quel son enveloppant et brillant au besoin, doux, mélancolique ou drôle ! Le cinéma français a la part belle et les compositeurs français bien évidemment : Michel Legrand, Claude Bolling, Vladimir Cosma, George Delerue, Philippe Sarde, Françis Lay ou Yann Tiersen. Les compositeurs plus internationaux sont représentés par le sublime John Williams et les immenses Ennio Morricone et Nino Rota.Toutes ces belles musiques nous invitent à nous laisser aller, à deviner le film, à se régaler du thème avant de souffrir un peu de le voir se terminer, heureusement le suivant nous console bien vite. C’est le seul petit reproche que je ferai : pour arriver à proposer une cinquantaine de titre ils sont sans développement une fois le thème exposé. Alors que nous pourrions imaginer Alexandre Tharaud développer des digressions délicieuses.
L’orchestre et le piano dans le premier CD s’entendent donc à ravir pour nous faire chavirer. Mais les surprises du deuxième CD ne sont pas moins merveilleuses. En solo ou avec des invités chanteurs ou instrumentistes le voyage se poursuit avec la même générosité.
La complicité est totale que ce soit avec les instrumentistes classiques ou de variété. Retrouver les tous dans le bas de l’article. Une constellation de stars !
La prise de son avec l’orchestre est somptueuse, aérée et large. En musique de chambre la même précision spatiale est un régal.
Critique. Enregistrement. 2 CD. ERATO. CINEMA. Alexandre Tharaud, piano. Les frivolités parisiennes ; Les trilles du diable ; Cornelia Jordana ; Vanessa Paradis ; singer ; Sabine Devielhe, soprano ; Nemanja Radulović, violon ; Michel Portal, clarinette ; Baptiste Dolt, share drum ; Orchestra dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia ; Direction Antonio Pappano. Code : 190296130922.
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 14 octobre 2022. ANTONIN DVORAK. RUSALKA. S. PODA. A. HARTING. P. BUSZEWSKI. ONCT. F. BEERMANN.
SUBLIME RUSALKA au Capitole !
Aussi incroyable qu’injuste, il a fallu attendre 2022 pour voir à Toulouse cette Rusalka de Dvorak. La partition de 1901 est d’une beauté farouche, la dramaturgie est efficace et cinq rôles sont absolument majeurs et permettent aux chanteurs de s’exprimer pleinement vocalement. Rajoutons combien l’orchestre également est sollicité par le compositeur de la symphonie du Nouveau Monde. Afin de rendre hommage comme il convient à ce chef d’œuvre, Christophe Ghristi, directeur du Capitole, a donné tous les moyens nécessaires, y compris une ouverture de saison, afin d’enchanter le public. Théâtres pleins, applaudissements passionnés, le succès est total car le résultat est je dois dire sidérant. Il est difficile de rendre compte de la magie d’une production réussie sans l’affadir, je vais toutefois détailler les éléments de cette réussite totale. Je commencerai par l’Orchestre, cela sera la porte d’entrée pour beaucoup car Dvorak est très connu comme compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme dans la musique symphonique l’orchestre de Rusalka est complet, puissant, subtil, très émouvant. La direction de Frank Beermann est idéale. Il connaît bien l’orchestre du Capitole, sa direction est très belle, elle laisse les musiciens s’épanouir en particulier les bois tout en maintenant une ligne de direction déterminée qui nous entraine dans le voyage et le drame. L’Orchestre du Capitole est conscient de la beauté de la partition et s’engage avec une ardeur magnifique. La beauté sonore de l’orchestre, sa délicatesse et les émotions qu’il porte laissent sans voix. Tous les musiciens sont superbes. Avec une mise en valeur particulière des bois et de la harpe. Coté distribution la même perfection se retrouve. Chacun est magnifique y compris les plus petits rôles comme par exemple les Nymphes. Valentina Fedeneva est une première Nymphepuissante avec une voix riche et nuancée. Citons-les tous : Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton. Aucune faiblesse ce sont de beaux artistes avec de très belles voix, arrivant chacun à créer une belle présence scénique. Les rôles principaux sont d’un niveau international avec une puissance expressive totale.
Aleksei Isaev est un Ondin parfait avec une prestance de dieu et une tristesse de père très troublante. La voix puissante sait se fragiliser pour exprimer sa peine.
En sorcière Jézibaba, Claire Barnet-Jones joue avec intensité et chante admirablement. La voix est sombre et inquiétante et la cantatrice est aidée par un costume spectaculaire.
Béatrice Uria-Monzon dans un rôle assez court arrive avec une voix très timbrée et puissante, un jeu subtil et un port de reine, à donner beaucoup de présence à son personnage de Princesse Étrangère.
Le couple maudit est particulièrement bine distribué en therme de scène et de voix. Piotr Buszewski est un prince idéal à la fois physiquement et vocalement. Timbre clair, voix dardée comme une fusée et un engagement total tant sur le plan vocal que dramatique. Pour une fois que le ténor a un vrai physique de jeune premier et une voix magnifique, nous avons un vrai Prince charmant !
Anita Hartig est une Rusalka désarmante et troublante. Le jeu modeste au début s’anime et la voix est somptueuse, riche en harmonique, ductile, nuancée à souhait. Les aigus sont purs et sonores, le medium est riche et gourmand et les graves pulpeux et onctueux.
Sur toute la vaste tessiture elle chante avec un bonheur total. La puissance qu’elle garde pour le duo final est bouleversante. Ce duo final avec le prince est un grand moment. Lui aussi oscille entre puissance et fragilité sur toute la tessiture. Elle tient une terrible ligne vocale sans siller.
L’opéra se termine en apothéose. Les chœurs ont de belles parties. Hors de scène le plus souvent, chacune de leurs interventions est remarquable.
Les danseurs, tous cités dans la distribution sont des artistes époustouflants semblant encore plus à l’aise dans l’eau que dans le salon de Prince c’est dire le travail extraordinaire réalisé. Leurs mouvements dans la grande mare sur scène apportent beaucoup à la magie du spectacle. Des conditions probablement très complexes ont été dépassées pour arriver à ce résultat sidérant de beauté. Bravo, bravissimo !
Pour tout le coté visuel il faut reconnaître que la cohérence du propos est admirable. C’est l’autodidacte Stefano Poda qui a tout conçu et a fait un travail absolument remarquable. En, ce qui concerne la scène tout est organisé autour d’un décor complexe. Une scène gorgée d’eau, offre une vaste étendue sur et dans laquelle des danseurs représentent les créatures élémentaires marines qui entourent Ondin et sa fille Rusalka. La magie du théâtre est complète et chacun peut croire que la mare est posée sur la scène et que les créatures peuvent y plonger et ressortir pour chanter. Trois murs transparents et liquides ferment l’espace. Ondin et Rusalka se déchirent à projos du désir de Rusalka. Celle-ci tombée est amoureuse d’un mortel veut changer d’état et en devenant humaine veut acquérir une âme. Le dialogue avec la sorcière Jézibaba est terrible mais la nymphe obtient gain de cause, elle va quitter le calme de son immortalité pour découvrir la passion du corps et la mort. La symbolique de Poda est assez simple et efficace. Le premier décor est celui de la nature belle et immaculée. Le deuxième acte nous plonge dans l’envers du monde, celui de la fabrication humaine, des jeux pervers entre les gens, de la pollution. Le décor mural sera comme une carte mère géante, le sol est fait de promontoires. Les danseurs forment des couples violents, ce ne sont plus les corps qui parlent mais les costumes. La violence de la chorégraphie ne cache pas la perversion des relations sexuelles. Le prince et Rusalka se conforment visuellement à ce modèle et petit à petit sur l’intervention de la violence de la Princesse étrangère la relation du prince avec sa bien-aimée qui reste muette se dégrade. La souffrance du prince qui veut mais ne peut supporter le silence de sa belle est très perceptible. L’incommunicabilité est fatale.
Sa fuite dans le badinage avec la Princesse Étrangère n’est pas légère mais désespérée. Rusalka retrouve la voix et un chant désespéré pour terminer l’acte. Le drame est scellé. Le troisième acte nous fait retrouver l’eau magique. Rusalka y entrainera dans une étreinte mortelle son bien aimé qui lui offre sa vie. A défaut de se comprendre les amants se lient dans la mort. La nature comme abimée retrouve l’espoir de la croissance. Des nymphes déplacent de petits pots bien modestes mais qui formeront de grands arbres. Cette opposition, cette incompréhension entre le mode des simples de nature et les créateurs de la civilisation de labeurs est symbolisée par le couple impossible Rusalka la nymphe et le Prince. Des mains gigantesques embarrassent le ciel ou l’eau. L’effet est redondant, la symbolique des mains comme pire et meilleures amies de l’homme est trop encombrante. A vouloir trop montrer Poda s’enlise sur ce point. Ce reste hérité de sa rencontre avec Beni Montresor dont des décors et costumes très riches et des images belles mais toujours lourdes est dommageable. Car Beni Montresor travaillait avec des metteurs en scène. Je me souviens très bien de son Nabucco en 1979 à Paris à la beauté écrasante. Certes les personnages peuvent être réduits à des abstractions dans ce conte symboliste mais à trop penser aux décors, costumes et effets scéniques, le jeu des corps humains a été délaissé. La mise en scène de ce point de vue est déficiente. En tout cas même à ce prix la magie a ravi le public car c’était un décor vraiment spectaculaire. Musicalement l’émotion était bien présente par la partition, brillamment défendue par la qualité des voix et un orchestre parfaitement dirigé par Frank Beermann.
Les photos illustrant la critique ne rendent compte que d’une partie de la magie car la beauté des mouvements des corps des danseurs, surtout dans l’eau ne peut qu’être imaginée.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. TOULOUSE, le 16 octobre 2022. Théâtre du Capitole. Antonin Dvorak (1841-1904) : Rusalka. Conte lyrique en trois actes. Crée le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague.
Stefano Poda : Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie ; Paolo Giani cei, collaboration artistique ; Distribution : Anita Hartig, Rusalka ; Piotr Buszewski, Le Prince ; Aleksei Isaev, Ondin ; Béatrice Uria-Monzon, La Princesse étrangère ; Claire Barnet-Jones, Jézibaba ; Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton ; Danseurs : Jorge Calderon, Maud Boissière, Juliette César, Arthur Delorme, Xavier-Gabriel Gocel, Elise Griffon, Izaskun Insausti Lorente, Marine Jardin, Antoine Lecouteux, Grégoire Lugué-Thébaud, Steven Nacolis, Léa Pérat, Florian Perez, Marion Pincemaille, Sophie Planté, Cyril Vera-Coussieu. Orchestre National du Capitole ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, Gabriel Bourgoin, chef de chœur. Direction : Franck Beermann. Photos Mirco Magliocca.
Sur un Cactus à l’entracte ça discute ferme de cette mise en scène
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur : Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.
Un petit Requiem en concert
Ein Deutsches Requiem de Brahms est une œuvre singulière qui n’a rien de comparable avec d’autres Messe des Morts. L’émotion qu’il dispense repose sur la sincérité avec laquelle il a été écrit et demande la même qualité chez les interprètes. Rien de démonstratif mais rien de retenu non plus.
Ce soir cet équilibre émotionnel n’a pas été trouvé. David Reiland dirige avec précaution et semble très soucieux du chœur. Il construit un équilibre sonore parfait évitant toute difficulté aux solistes comme au chœur. Chaque partie sera entendue comme il convient. Il y un vrai sens de l’équilibre des plans sonores chez le chef Belge. L’orchestre du Capitole est ductile sans engagement véritable ce soir. Le Chœur du Capitole est sonore, peu enclin aux nuances. Les sopranos n’ont pas la qualité angélique attendue avec des aigu forte assez durs et les basses trop discrètes n’apportent pas le réconfort habituel par manque de rondeur. Les solistes sont inégaux. Le jeune baryton Johann Kristinssohn a une fraicheur et une simplicité qui convient bien à son texte et sa ligne de chant est élégante. La soprano Sunhae Im a une voix élimée qui peine à rester stable. La difficulté de son chant, l’acidité du timbre, ne permettent pas d’atteindre la consolation attendue dans cet air sublime de simplicité.
Ce concert a été une simple exécution musicale, sans chaleur, ni tension. Cela produit l’impression d’un concert de jolie musique non pas d’une Messe des Morts.
On peut me rétorquer que la Halle-Aux-Grains convient mal à une œuvre sacrée. Certes mais je fais partie de ceux qui ont eu la chance d’entendre cette œuvre deux fois en 2011 et 2016 dirigée par Tugan Sokhiev avec le chœur Orfeo Donostiarra et des chanteurs adéquats et à chaque fois toutes les émotions ont été au rendez-vous. Cela n’a donc rien d’impossible… Cela ne semble pas avoir été l’option choisie ce soir. Je fais partie de ceux qui ont regretté d’avoir assisté à un simple concert. Les temps changent assurément !
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur : Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.
La Kabylie rêvée d’Amel Brahim-Djelloul et ses amis est un enchantement !
Cantatrice franco-algérienne, soprano lumineuse baroque et mozartienne, Amel Brahim-Djelloul a bien des cordes à son arc et fait une très belle carrière. Le confinement lui a donné le temps de construire son projet alliant ses racines algériennes et lyriques françaises pour un projet très personnel dédié à la Kabylie. S’entourant de musiciens de grands talents, dont son frère Rachid, d’un véritable arrangeur compositeur, Thomas Keck, et d’une poète kabyle Rezki Rabia, elle a enregistré une heure de musique entièrement dédiée à cette montagne aux magnifiques paysages, un peu magiques avec un coté parfois inquiétant au nord de l’Algérie. C’est ainsi que se succèdent dans une harmonie parfaite des musiques, de variété, des musiques anciennes et des compositions modernes. L’instrumentarium est des plus variés, des instruments modernes : cordes, guitare, clarinette, mandoline,harpe ; plus anciens : viole de gambe, ney, oud, cithare, mandole ; ou plus traditionnels encore : derbouka, daf, bendir, tar … Le mariage est très heureux et le disque s’écoute comme un voyage très agréable. La langue kabyle travaillée avec le poète Rezki Rabia coule dans la voix d’Amel avec facilité. Son amour pour la poésie de cette langue se devine à chaque instant, les émotions variées contenues dans les textes sont facilement reconnues, c’est la fête, les retrouvailles, le temps qui passe, la vie qui va, les départs, les séparations, la peur, la joie. La délicatesse du texte dans les A Capella est un enchantement. Savoir ainsi créer une osmose de cette qualité avec tous ces artistes amis est vraiment remarquable. Le résultat passe évidemment par la belle voix d’Amel Brahim Djelloul mais chacun, musicien ou poète est un acteur fondamental. Les racines rêvées de leur Kabylie de paix et de mystère permettent un voyage musical délassant.
Le dialogue orient- occident de la musique ancienne m’est bien connu avec les remarquables concerts construits par Jordi Savall et régulièrement enregistrés : le oud, le ney et la viole de gambe sont des instruments souvent rencontrés. Le travail dans cet enregistrement est tout autre : c’est une recréation de pure poésie ouvrant sur les époques et les genres musicaux divers.
Ainsi les chansons d’Idir sont magiques dans cette voix si pure. Des sonorités qu’Oum Kalthoum ou Fayruz, deux divas chantant en arabe, n’auraient pas désavouées inscrivent certains moments dans un vrai langage musical populaire. Celles écrites pour l’enregistrement par Thomas Keck sur des poèmes de Rezki Rabbiaont un charme intemporel et complètent admirablement le programme. Le confinement a été prolifique car ce projet a pu se fortifier et s’enregistrer en suivant.
Les photos du très beau livret des musiciens masqués rappellent cette époque si étrange. Le résultat est un Chemin qui monte vers des lieux de paix et de bonheur. La qualité précise de l’enregistrement ajoute au charme de l’écoute et les traductions du livret permettent de comprendre la poésie subtile des textes. Une série de concerts est programmée, nous savons que le succès sera au rendez-vous !
CRITIQUE. COFFRET CD. CLAUDIO ARREAU(1903-1991).The Complete WARNER CLASSICS recordings. 24 CD. Enregistrements de 1920 à 1962.
CLAUDIO ARREAU : Le Maître de la pondération et de l’élégance.
Né au tout début du XXème siècle ce pianiste légendaire fait partie du Brelan d’As du piano occidental avec Wladimir Horowitz son quasi jumeau, lui aussi né en 1903 et Arthur Rubinstein plus âgé né en 1887. A eux trois ils ont dominé le piano du XXème siècle en occident. Carrières fantastiques, enregistrements pléthoriques : ils ont offert leur art pour la postérité étant eux-même des héritiers du XIXème siècle. Il n’est pas question de comparer vainement trois artistes si immenses mais je crois pouvoir dire que l’art de Claudio Arreau est celui de la pondération et de l’élégance. Qualités rares et surtout qui n’ont rien à voir avec de la tiédeur mais relèvent du plus grand respect. Respect du compositeur d’abord avec une précision et une rigueur stylistique dans l’exécution absolument sidérantes ; son jeu est toujours impeccable. Il y a également le respect du public auquel l’interprète offre sa sensibilité, son jeu n’est jamais distant, sa proposition interprétative est complexe mais sans jamais l’encombrer de la moindre trace d’histrionisme. Les moyens techniques de Claudio Arreau sont inouïs. Il a eu comme seul enseignement celui de Martin Krause (1853-1918) détenteur d’une technique sensationnelle qu’il avait lui-même hérité directement de Frantz Liszt. Cette technique Arreau l’a appliquée à toute nouvelle œuvre travaillée et lui a permis de tout jouer avec le même bonheur. Songeons qu’il a joué l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Bach, l’intégrale des sonates de Beethoven et de Mozart en concerts dès les années 50 ! Jamais, même dans sa jeunesse, Claudio Arreau n’a joué au virtuose, au grand jamais ; il a toujours été avant tout un musicien. C’est d’ailleurs ce qui semble lui avoir déplu aux USA où la recherche du sensationnel était une qualité. Le legs discographique de Claudio Arreau est considérable, il a changé de maison d’enregistrement avec le temps. Cet artiste avait certainement le répertoire le plus vaste possible. Les enregistrements dont il sera question ici sont ceux réalisés entre 1920 (il avait 17 ans) et 1962 au sommet de son art. Warner Classics a regroupé tout ce qui n’était pas dans le coffret Decca-Phillips (qui lui comprend 80 CD de ses enregistrements plus tardifs). Ce sont donc avec Warner ces premiers 24 CD, tous magnifiques et dont l’écoute est passionnante. On peut faire un parallèle entre le développement de la carrière du pianiste Chilien et les progrès de l’enregistrement. En 1920 Arreau est un jeune pianiste, ex-enfant prodige. Il est plein de doutes mais joue dans la cour des grands. Vocalion avec prudence lui fait enregistrer pour un disque 78 tours des courtes pièces. Une valse de Chopin et un moment musical de Schubert. C’est beau, sensible, élégant mais le son est embrumé. Après avoir gagné le concours de Genève il enregistre en Allemagne pour Electrola dans la fin des années 20 encore du Chopin (études), du Liszt. Pour avoir son Debussy si subtil et la première œuvre conséquente, Le Carnaval de Robert Schumann, il faudra attendre la fin des années 30 dans la qualité d’enregistrement pour le microsillon. C’est véritablement à partir de cette période que l’accord entre la qualité du jeu du pianiste et la fidélité de la restitution des enregistrements va vers la perfection. Les enregistrements des années 50 sont faits chez EMI à Londres avec la belle qualité que nous leur connaissons. Le grand Walter Legge en a produit plusieurs. C’est Beethoven qui va devenir le compositeur fétiche de Claudio Arreau au disque. Les sonates et tous les concertos de piano sont des grands moments de musique. Les enregistrements plus tardifs en stéréo sont peut-être plus extraordinaires mais le charme des premiers enregistrements mono est inestimable. Le jeu lumineux, charpenté et s’écoulant naturellement de Claudio Arreau est magnifique. Les qualités de l’interprète sont majeures il joue Beethoven comme s’il comprenait chaque note et toute la construction de chaque partition. Ce qui me frappe c’est la capacité à rendre dans une musicalité très pure la dimension spirituelle, voire surnaturelle qui affleure à certains moments dans la musique de Beethoven. Je songe aux dernières sonates, au quatrième concerto de piano. Il y a une magie propre à la qualité de son jeu qui me fascine. L’accord également avec certains chefs est hallucinant ; ainsi Alceo Galliera, le compagnon le plus sensible est le plus présent, avec Otto Klemperer dans un Concerto l’Empereur ils atteignent une puissance rare et l’entente avec Carlo Maria Giulini pour la version Stéréo des concertos de Brahms reste inoubliable, avec une qualité métaphysique de la musique faite ensemble en harmonie qui est bouleversante. Le Philharmonia Orchestra est toujours ductile et particulièrement phonogénique. Ailleurs la fluidité de son Schubert, sa franche lumière, ombrée juste ce qu’il faut, tout cela est incroyable : des Moments musicaux de rêve, une Wanderer Fantaisie magique. Dans Chopin il restitue une musicalité pure qui fait de sa version de la sonate n°3 une référence et avec lui les Études qui peuvent être si austères gagnent en beauté et inventivité. Les perles rares d’autres Debussy, d’un peu de Granados rappellent combien cet artiste savait trouver des couleurs inouïes dans ce répertoire plus contemporain. Le Concerto n°1 de Tchaïkovski est impérial, le ConcertStuck de Carl Maria Von Weber est d’une poésie rare. Les concertos de Grieg et Schumann ne cèdent rien à d’autres versions discographiques au sommet. Arreau peut tout jouer, à chaque fois il suscite l’intérêt et gagne l’approbation du musicophile. Ce coffret Warner Classics est sensationnel, il accompagne dans des œuvres toutes sublimes l’émergence d’un artiste inoubliable avec une qualité de prise de son qui frôle la perfection. Il convient de signaler que la remasterisation d’après les enregistrements originaux est très remarquable, elle permet de déguster la qualité du jeu du pianiste qui est d’une pureté cristalline. Les nuances sont très creusées et la précision digitale limpide.
Un beau coffret qui permet de passer de très beaux moments musicaux avec un Artiste irremplaçable.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE. Enregistrements. Coffret Warner Classics. CLAUDIO ARREAU (1903-1991), piano. Enregistrements de 1920 à 1962. 24 CD. Beethoven. Mozart. Chopin. Schubert. Schumann. Brahms. Tchaïkovski. Grieg etc… Philharmonia Orchestra ; Alceo Galliera, Otto Klemperer, Caro Maria Giulini : chefs. Parution 14 Octobre 2022.
CRITIQUE. CD. ROOTS. NEMANJA RADULOVIC, violon. ENSEMBLE CONTRE SENS. WARNER CLASSICS.
Nemanja Radulović chausse les bottes de sept lieux et nous entraine…
Quels beaux moments et qui passent comme un songe lors de l’écoute de cet enregistrement : La magie de la musique sans frontières, comme nous en avons tant besoin, est toujours exceptionnelle ! Nemanja Radulović l’explique très bien. Durant la pandémie il n’a pu jouer en public et a pris le temps d’écouter des tas de choses en famille. L’envie de faire de la musique avec les amis de son ensemble Double Sens ne pouvait se faire uniquement avec de la musique classique. Il voulait faire davantage pour son retour à l’enregistrement. En effet le violon est un instrument universel et le violoniste a cherché sans tabous ce qui lui plaisait. L’Europe des Balkans, bien sûr a la part belle. Nemanja est originaire de Serbie, sa sensibilité le pousse vers cette Europe Centrale avec des influences de l’Est, puis il nous entraine également en Chine, en Amérique du Sud, en Europe du Sud en Irlande et vers les musiques de film. Chacun aura son morceau préféré à un moment ou l’autre tant la pure beauté émeut, je ne sais quel moment je préfère. Les émotions sont si variées que la rencontre avec sa propre sensibilité peut varier à chaque nouvelle écoute. Car tout est beau, entrainant et en un mot irrésistible. La voix étrangement mature de Ksenija Milosević, premier violon de l’orchestre, semble intemporelle. Le violon de Nemanja Radulović est à l’aise dans toute musique, il semble pouvoir tout faire avec son violon, doubles cordes, harmoniques, pizzicati et même jouer avec un plectre…
Pour son premier enregistrement chez Warner Classics un nouveau monde semble s’ouvrir au-delà de ce que la musique classique peut représenter de fermé.
C’est LA MUSIQUE du violon et sans frontières. Les musiciens de Double Sens sont partie prenante de ce projet et leur joie de la découverte sans limites est communicative. Quel beau voyage ! Il n’y a que de la bonne musique et des musiciens d’exception. Les racines de la musique sont faites de joie, de liberté et de partage. Merci à Nemanja Radulović et ses amis de nous les offrir de manière si limpide !
Hubert Stoecklin
Critique CD. ROOTS. Compositeurs divers dont : Manuel de Falla, Aleksandar Sedlar, Jonče Hristovski, Žarko Jovanović, Chen Gang, He Zhanhao, Eliyahu Gamliel, Matityahu Shelem, Luiz Bonfá, Tony Muréna, Joseph Colombo, Dámaso Pérez Prado… Nemanja Radulović, violon. Double Sens.
Warner Classics. Enregistré en 2022, sortie le 7 octobre.