Sensationnel PARSIFAL à TOULOUSE

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 2 fév 2020. WAGNER : Parsifal. BORY / BEERMANN, KOCH, SCHUKOFF.

Peut-on rêver plus extraordinaire production de l’oeuvre si «hors normes» de Richard Wagner ? Les comparaisons avec Strasbourg qui monte sa production au même moment seront certainement intéressantes tant tout semble les différencier. Je dois pourtant reconnaitre que je resterai à Toulouse afin d’assister à plusieurs représentations de ce Parsifal si réussi. Il sera difficile de développer tout ce que j’ai à dire sur ce spectacle total tant il est riche. Je serai moins long sur les voix car ailleurs elles ont été bien analysées. C’est tout simplement le quatuor vocal le plus abouti actuel qui puisse se s’écouter aujourd’hui, pour une version parfaitement cohérente. Voix sublimes de jeunesse, de puissance, de timbres rares et de phrasés somptueux. Chanteurs-acteurs beaux et convaincants. La prise de rôle de Sophie Koch en Kundry est magistrale, de voix, de timbre, de jeux et de style. Tout y est : de la quasi animalité à la plus élégante séduction , en particulier la souffrance contenue dans ce rôle complexe. Sophie Koch est une Kundry qui va conquérir le monde tant elle est déjà accomplie.

PARSIFAL EN MAJESTÉ

La réussite est totale d’autant que son Parsifal, Nikolai Schukoff, est un des plus grands spécialistes actuels du rôle. Je l’avais vu et entendu à Lyon en 2011 déjà magnifique dans ce rôle et nous le connaissons bien à Toulouse dans divers opéras. A présent pour lui, il n’est plus seulement question de rôle, de voix parfaite ou de chant souverain : Nikolai Schukoff EST Parsifal. Il assume la jeunesse du rôle et met en lumière son charisme naissant sous nos yeux dans un jeu fin et émouvant. Et quelle parfaite voix de helden-ténor est la sienne ! Idéalement assortie à celle de Sophie Koch ; ainsi leur duo est vocalement parfaitement équilibré. L’Amfortas de Matthias Goerne est mondialement célèbre ; dans l’extraordinaire mise en scène d’Aurélien Bory, il atteint des sommets de spiritualité toujours avec une voix somptueuse. Peter Rose en Gurnemanz est puits d’humanité dans une voix de toute beauté. Il est peut être possible actuellement de trouver d’autres chanteurs de ce rang pour ces quatre rôles, mais pas un quatuor plus assorti. Tous les autres artiste sont d’un extraordinaire niveau.
L’ élégant Klingsor de Pierre-Yves Pruvot donne beaucoup d’ampleur au rôle. Le Titurel de Julien Véronèse est très impressionnant. Les filles fleurs sont délicieuses et les écuyers bien présents. Les chœurs associés entre Toulouse et Montpellier font honneur à la partition si extraordinaire de Wagner. La spacialisation des chœurs si fondamentale est totalement réussie. Un beau travail d’harmonisation des voix a été fait ; cela sonne puissant avec de belles couleurs et de formidables nuances. Nous savons combien l’Orchestre du Capitole excelle dans la vaste répertoire symphonique comme dans la fosse de l’opéra ; ce soir il est symphonique dans la fosse et absolument incroyable de beauté. Même au disque, il est exceptionnel d’entendre de si belles choses. Il faut reconnaitre que l’alchimie avec le chef Franck Beermann est totale. La perfection instrumentale est mise au service du drame. Franck Beermann tend des arcs musicaux envoûtants. Le tempo semble naturel tout du long, ni rapide ni lent, juste exact. Cela devient le personnage central. Un torrent de beauté et d’intelligence dramatique.

Il est certain que la diffusion sur France Musique le 29 février 2020 permettra d’approfondir la somptuosité musicale et vocale de ce Parsifal. Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette production est la mise en scène d’ Aurélien Bory qui magnifie la dimension symbolique et dramatique du Festival Scénique Sacré wagnérien. Car ce n’est pas un opéra comme les autres, le sens philosophique est partout présent et les personnages sont presque des problématiques humaines incarnées. Aurélien Bory travaille sur l’espace depuis longtemps ; il comprend la dimension fondamentale dans cet ouvrage comme personne. Et il lie cela au temps d’une manière si magistrale que les cinq heures de l’ouvrage passent bien trop vite. L’intelligence du spectateur est réveillée autant que son sens esthétique. La beauté offerte aux yeux, la richesse des symboles et la somptuosié de ce que les oreilles recueillent s’associent dans un tout métaphysique.

Je devine que le travail entre le chef et le metteur en scène a été fait en profondeur. Dès le prélude, les écritures lumineuses sont en phase avec la musique comme un ballet parfaitement réglé.Tout sera ensuite dans ce respect mutuel permettant à la mise en scène d’épouser la partition et inversement. Quand tant de metteurs en scène rajoutent en lui nuisant, des « idées » à la partition, Aurélien Bory épouse les idées wagnériennes en utilisant son propre vocabulaire. La rigueur des déplacements des éléments de décors est fantastique. La subtilité des ombres tient du génie. La mise en scène développe à l’infini la notion de dichotomie qui construit le monde et l’homme. Les couples d’opposés fonctionnent à merveille, blanc/noir, ombre/lumière, nature/culture, orient/occident, horizontal/vertical, lignes droites/lignes courbes, etc…. Cette mise en scène parfaitement huilée faisant un tout avec les décors et les lumières, ainsi que de très beaux costumes, offre des images de grande beauté et riches de sens qui resteront dans les mémoires.

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Ainsi les branches de feuillages enveloppant les hommes, les protégeant ou les gênant représente notre ambivalence par rapport à la nature. L’image d’ Amfortas infirme qui doit mettre toute l’intensité dans sa plainte rend son chant déchirant. Le quadrillage qui de ligne va se projeter en courbes représente à la fois l’enfermement et la libération. Le triangle noir qui interdit à Kundry et Pasifal de se toucher renforce l’érotisme de leur chant puis lorsque la lumière portée par Kundry envoûte Parsifal la révélation maturante résulte d’un choc terrible entre les corps par le baiser. Toute la retenue du duo, toute la séduction centrée dans le chant, toute cette tension explosent avec une puissance magistrale lors de la pénétration dans le triangle interdit. Au dernier acte le retour à Montsalvat  de Parsifal en costume japonais et la lenteur de ses gestes tient de la magie pure. Les lumières en forme de sabre sont tellement intelligentes et belles qu’elle renouvellent l’effet des tubes néons ! Et le Graal dévoilé sous forme de volutes de lumières et d’ombres qui s’épousent est tellement musical en fin de premier acte !
Aurélien Bory a fait un travail d’orfèvre sur scène comme Franck Beermann dans la fosse. Tous les artistes sont engagés totalement dans ce spectacle parfait. Le résultat est tout saisissant et cette production aussi somptueuse musicalement que scéniquement deviendra inoubliable, tant le respect et l’intelligence s’y rencontrent.

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Compte-rendu opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 2 février 2020. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal ; Festival scénique sacré  en trois actes ; Livret  de Richard Wagner ; Création  le 26 juillet 1882 au Festival de Bayreuth; Nouvelle production ;   Aurélien Bory :  mise en scène ; Aurélien Bory, Pierre Dequivre : scénographie ; Manuela Agnesini :  costumes ; Arno Veyrat  : lumières ; Nikolai Schukoff  : Parsifal ; Sophie Koch :  Kundry ; Peter Rose  : Gurnemanz ; Matthias Goerne :  Amfortas ; Pierre-Yves Pruvot  : Klingsor ; Julien Véronèse :  Titurel ; Andreea Soare  : Première Fille-Fleur; Marion Tassou  : Deuxième Fille-Fleur / Premier Écuyer; Adèle Charvet  : Troisième Fille-Fleur; Elena Poesina  : Quatrième Fille-Fleur; Céline Laborie  : Cinquième Fille-Fleur ; Juliette Mars : Sixième Fille-Fleur / Deuxième Écuyer / Voix d’en Haut ; Kristofer Lundin  : Premier Chevalier du Graal; Yuri Kissin  : Deuxième Chevalier du Graal; Enguerrand de Hys  : Troisième Écuyer; François Almuzara  : Quatrième Écuyer;  Choeur et Maîtrise du Capitole ; Choeur de l’Opéra national de Montpellier-Occitanie ; Alfonso Caiani : chef de choeur ; Orchestre national du Capitole ; Direction musicale : Franck Beermann. Photos :  © Cosimo Mirco Magliocca

Retransmission sur France Musique le 29 fév 2020, 19h.

La musique seule illumine la sombre période

Chronique concert sans public. Toulouse. Halle-aux-Grains, le samedi 30 Janvier 2021. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon et orchestre n°2 en mi mineur, op.64 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°5 en do diese mineur. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Daniel Lozakovich, violon ; Kahchun Wong, direction.

Un concert lumineux dans le noir sinistre du quotidien

Happy few sont les journalistes qui peuvent assister dans la Halle-aux-Grains aux concerts donnés en huis clos !  Un peu comme dans une maison close, un lieu confisqué au public juste entrouvert pour un soir de temps en temps …. Savourer ce qui est perdu mais reviendra ….

Car le malaise sous la joie n’est pas loin. Surtout au moment des applaudissements. Quels tristes claps quand une ovation tonitruante ne serait pas déméritée. Et juste quelques collègues pour échanger son bonheur. C’est pingre, cela fait retomber de haut, quitter une si belle lumière en rentrant dans l’inhumain vide de Toulouse la nuit. Qu’elle est étrange notre vie de l’Année 01 du Covid ! Il nous appartient de ne pas oublier, de témoigner que la vie culturelle continue en sous-marin. Les artistes de l’Orchestre du Capitole ont une chance, celle de travailler et de jouer gardant leur passion intacte. A un rythme bien moins élevé mais tout de même ce soir le concert est grandiose. Le programme les met en vedette. La puissance de ces musiciens est considérable car les deux œuvres sont très exigeantes à des degrés divers.

Le deuxième concerto pour violon de Mendelssohn est un bijou de finesse, d’élégance et de beauté hiératique. Jamais aucune brutalité ne vient gâcher la joie du jeu musical. Le violon plane haut et touche au cœur. L’orchestre doit être présent sans écraser jamais la voix du soliste, sans brutalité jamais. Ce chant planant sur le cœur battant des cordes de l’orchestre est un début magique inoubliable. Le public est toujours très sensible à cette douce mélancolie et les violonistes se régalent des volutes et courbes envoûtantes que Mendelssohn a écrit pour leur instrument. Il y a quelque chose d’une grâce céleste dans ce chef d’œuvre. Daniel Lozakovich est à 20 ans l’incarnation idéale de cette grâce. La dernière fois que nous l’avions vu à Toulouse il avait encore quelque chose de la beauté de l’enfant prodige, ce soir c’est la puissance naissante du jeune homme qui séduit. Avec cette délicatesse de phrasé, cette élégance du geste souverain et cet engagement de tout son être dans son jeu. Son interprétation est toute faite de lumière, de facilité apparente et de musicalité délicieuse. La puissance du jeu est parfaitement assumée et maitrisée. Il a une sonorité riche et pleine mais la texture reste légère et jamais la moindre dureté ne se devine.

Daniel Lozakovich

Ce violon comme aérien est pourtant charnellement habité. Une sorte d’impossible alliage. L’or de ce violon comme adouci par la texture d’un velours profond. Le jeu est lumineux mais également contrasté et nuancé. L’orchestre le soutient magnifiquement dans des couleurs d’une rare intensité. Les instruments dialoguent avec art. Le chef laisse jouer et cherche un soutien franc pour permettre au soliste de planer haut. J’aurais aimé qu’il aille plus loin et réponde aux propositions du soliste si enclin à nuancer en profondeur, en demandant encore plus de douceur à l’orchestre. Les musiciens de l’orchestre le peuvent. C’est un peu dommage cette sage mise en place à côté du feu ardent du soliste, au jeu si inspiré. La beauté de Daniel Lozakovich est bien filmée et vous  pourrez succomber au charme de ce jeune homme qui joue si admirablement de son violon. Il offre une interprétation idéale de ce concerto de Mendelssohn.

Concert ONCT 2

La 5ème symphonie de Mahler est un chef d’œuvre de grande modernité toute en expérimentations audacieuses.. Elle offre à un bel orchestre symphonique  l’occasion de briller en terme de nombreux soli mais également une virtuosité d’ensemble à la difficulté incroyable. Le scherzo est si compliqué à mettre en place dans le tempo exact !

Concert ONCT 26(1)
Photo : P. Nin

Dès le début le solo de trompette est absolument envoûtant. Hugo Blacher est magnifique et tout au long du concert reste d’une solidité et d’une  élégance rares. La direction de Kahchun Wong qui nous avait parue trop précautionneuse dans le concerto se détend un peu. La gestuelle du chef est très appuyée, il y a prépondérance de sa main droite qui tient la baguette. La main gauche est moins investie. Cette attitude donne un coté prudent comme pour privilégier la mise en place. Le risque n’est pas autorisé et l’interprétation garde de cette maitrise constante une certaine rigidité. La qualité du chef est la grande clarté du discours jusque dans les moments les plus complexes. La brillance des sonorités est magnifiquement rendue. Mais dans la marche funèbre cette lumière et cette puissance manquent de contrastes. Les nuances si fondamentales dans cette musique sont présentes, comme  a minima, elles auraient pu être plus approfondies. Le premier tutti est déjà très fort, la marge de manœuvre s’en trouve réduite. La lumière crue dans le premier mouvement pourtant si complexe a tendance à le compacter dans le fort et le brillant. C’est très efficace mais un peu monolithique. Le scherzo est réussi à la perfection. Les qualités de la direction de Kahchun Wong sont précieuses, un tel mouvement virtuose. La précision, le parfait ordonnancement des plans, les couleurs si complexes de ce mouvement comme un kaléidoscope enivrant, tout est parfaitement rendu.  La virtuosité des musiciens de l’orchestre est un régal. Le cor  de Jacques Delelancque, qui se tient debout comme un soliste, est majestueux et noble. Cette véritable horlogerie infernale est parfaitement organisée et l’effet est saisissant, la virtuosité individuelle, comme celle de l’ensemble est confondante. Quel mouvement incroyablement inventif !

Le sensuel Adagietto est de toute beauté mais trop sage à notre goût et pas assez nuancé. Ce clair de pleine lune éblouit mais ne touche pas l’âme comme il est possible.

Le final qui reprend tant de thèmes et fuse vers le bonheur est mené d’une main de maître par Kahchun Wong. Sa direction est enthousiasmante, il laisse sonner l’orchestre dans sa  majesté et toute sa puissance (quels cuivres !). Il offre une interprétation brillante et joyeuse sans arrières pensées. Le bonheur d’être là et de partager la joie de cette musique est total. C’est à la fin que les applaudissements ont terriblement manqué ; devant tant de splendeur sonore comment ne pas exulter ? C’est peut-être là que le sous-texte anxieux et dépressif de Mahler, absent de l’interprétation ce soir, sur le chemin du retour nous rattrape. Toulouse transformée en ville fantomatique et triste à la nuit tombée….

Le nombre de spectateurs devant leur écran peut consoler un peu de l’absence de public et les progrès de la diffusion sont notables. Le film est vraiment agréable, surtout dans les gros plans des musiciens. N’hésitez pas à le regarder, notre orchestre est en pleine forme et quand nous le retrouverons tous, il sera encore plus resplendissant car la chaleur du public lui manque. Elle lui permettra de reluire encore davantage.

Hubert Stoecklin

Orchestre National du Capîtole

Aurelien Bory : aSH

Aurélien Bory en homme de théâtre complet

écrit par Hubert Stoecklin21 décembre 2019 02:43

Aurélien Bory ou l’art de donner la vie à l’espace.

Aurélien Bory n’est pas un metteur en scène comme les autres. Absolument inclassable et pourtant reconnaissable rapidement dans sa manière unique de convoquer l’espace comme interprète principal de ses créations les plus diverses. Un beau livre d’images rend compte de ce rapport central à l’espace, paru en 2018 chez Actes Sud image il a pour titre : L’espèce dans l’espace.

Aurelien Bory nous avait également dit combien de scientifique titré, il a quitté ce monde étroit à son gout,  a été attiré par la beauté, a été gagné par la poésie du mouvement, puis la puissance du texte, avant de retrouver son goût de l’expérimentation scientifique dans une exploration fine de ce qui constitue l’espace mis en scène.

Aglae Bory Theatre

Le spectacle de ce soir, aSH ne ressemble à rien d’autre, il est tout à fait singulier, pourtant il va bien dans la production d’Aurélien Bory. Il fait partie de trois portraits de femme. La pièce aSH a été écrite pour Shantala Shivalingappa par Aurélien Bory et ce portrait met le génie de la danseuse et chorégraphe indienne en lumière. Cette artiste est également inclassable car autant parfaite dans la danse traditionnelle de ses racines indiennes que dans la danse moderne où elle a été révélée par Maurice Béjart et a travaillé entre autres avec Peter Brook et Pina Bausch. Sorte d’incarnation du Dieu Shiva, Shantala Shivalingappa, ce soir seule sur scène avec le seul mur de fond elle va créer le monde. Du noir et du silence vient cette création inouïe. D’abord face au mur dans un silence assourdissant de vide, elle semble convoquer les mouvements de la matière. L’effet est puissant. Avec une musique d’une rare subtilité, le percussionniste Loïc Schild est un partenaire très attentif. Les manipulations du mur du fond, des ventilateurs, des bruits terribles, donnent l’impression d’une œuvre noire, secrète, défendue et réservée aux seuls initiés mais à nous révélée. En somme le Dieu Shiva dans ses différents rôles. Les éléments de la matière vont ainsi être révélés. Le mur solide d’abord, puis le vent, l’eau et enfin la cendre. La beauté des éclairages, la perfection de leur évolution, l’efficacité des mouvements du décor, mais surtout la sublime élégance du moindre geste de Shantala Shivalingappa forment un tout inoubliable. Les moments de pure grâce sont nombreux. La danseuse inspirée crée le monde et de la cendre symbole de mort va faire œuvre de vie. Elle va terminer en s’enveloppant, couverte de cendre dans une toile. Elle va traverser la toile pour disparaitre et réapparaître face au mur du fond comme elle a débuté. Il y a un moment symbolique fort avec cette incroyable calligraphie au pied sur le sol couvert de cendre, c’est un moment de pur génie créatif. La beauté des gestes de Shantala Shivalingappa ne peut se raconter, le spectateur reste séduit et comme interdit par tant d’élégance et de grâce humaine. Mais ce qui est pour moi le plus incroyable est la beauté des gestes du pied. Et c’était de son pied, se servant de l’autre jambe comme d’un compas, qu’elle avait tracé des cercles parfaits, qu’elle avait martelé le sol de pas répétés pour créer une sorte de Mandala entre terre et ciel. La partition musicale de Joan Cambon est admirablement interprétée par Loïc Schild entre murmures et grondements terrifiants. Avec les bruits derrière le mur, le son a lui aussi créé un monde mouvant, participant à l’acte de création divin entre silence et cataclysme.

Ash


Ce spectacle fort n’est pas une pièce de théâtre, ce n’est pas un ballet, ce n’est pas un conte, ni un mythe, c’est probablement tout cela. Il contient suffisamment de place afin que chacun puisse y inscrire en toute liberté ses réflexions et ses associations. Aurélien Bory et Shantala Shivalingappa ont su se rencontrer, se séduire, se comprendre et se respecter pour créer un monde commun de beauté, dépassant la peur de la mort.

C’est un important moment créatif et je pense que dans la prochaine mise en scène d’Aurélien Bory : Parsifal de Wagner au Théâtre du Capitole, il va se servir de cette expérience. Nous savons que Wagner a également puisé dans les mythes hindous pour son Parsifal et non uniquement dans les mythes nordiques dont la quête du Graal. La complexité et la richesse du travail d’Aurélien Bory ne peut se comprendre vraiment à la vision unique d’un de ses spectacles. J’ai en tout cas été ébloui par aSH. J’ai été trop distrait par la musique dans sa mise en scène du Barbe Bleue de Bartok en 2015. J’ai pu comprendre bien des éléments de son spectacle ESPAECE en 2018 que j’ai vu plusieurs fois à Avignon, Toulouse et Paris. Je ferai tout pour rendre compte de la richesse de son travail sur Parsifal en janvier au Capitole : Parsifal, chef d‘œuvre dans lequel le temps et l’espace fusionnent.

photos : Aglae Bory


Lien vers le livre d’Aurélien Bory : L’espèce dans l’espace.
https://www.agnesdahanstudio.com/fr/projet/Bory/Livres
Compte rendu spectacle Théâtre, Toulouse , Théâtre de la Cité, le 14 décembre 2019. aSH . Pièce d’Aurélien Bory pour Shantala Shivalingappa ; Conception, scénographie et mise en scène : Aurélien Bory ; Spectacle accompagné par le Théâtre de la Cité dans le cadre du Portrait/Paysage d’Aurélien Bory ; Avec : Shantala Shivalingappa, danse ; Loïc Schild, percussions ; Chorégraphie : Shantala Shivalingappa ; Collaboration artistique : Taïcyr Fadel ; Création lumière : Arno Veyrat assisté de Mallory Duhamel ; Composition musicale : Joan Cambon ; Conception technique décor : Pierre Dequivre Stéphane Chipeaux-Dardé ; Costumes : Manuela Agnesi avec l’aide précieuse de Nathalie Trouvé ; Régie générale : Arno Veyrat ; Régie plateau : Thomas Dupeyron ou Robin Jouanneau ; Régie son : Stéphane Ley ; Régie lumière : Mallory Duhamel ou Thomas Dupeyron ; Direction des productions : Florence Meurisse ; Administration : Clément Séguier-Faucher ; Chargée de production : Justine Cailliau Konkoj ; Coproduction: ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie, Festival Montpellier Danse 2018, Agora – PNAC Boulazac-Nouvelle-Aquitaine, La Scala – Paris, L’Onde Théâtre Centre d’Art de Vélizy-Villacoubla.

ORFEO Idéal comme à la création !

COMPTE-RENDU. OPERA. TOULOUSE. Le 5 déc 2019 C. MONTEVERDI : ORFEO. E. GONZALES TORRO. I . GEMELLI. T. DUNFORD. Pour seulement deux soirées, Emiliano Gonzales Torro et ses amis ont véritablement enchanté le Théâtre du Capitole. En une incarnation totale, le ténor a su faire revivre la magie de cet opéra des origines. Oui il est commode de dire que l’opéra est né en 1607 avec cet Orfeo même si l’Eurydice de Caccini en un joli hors d’œuvre prépare en 1600 la naissance de ce genre si prolixe. Nous avons donc pu déguster une représentation absolument idéale de beauté et d’émotion mêlées du premier chef d’œuvre lyrique. Un voyage dans le temps, l’espace et la profondeur des sentiments humains. La scénographie toute de grâce et d’élégance permet aux émotions musicales de se développer en une continuité bouleversante. L’orchestre, socle de vie comme d’intelligence, est disposé de part et d’autre de la scène dans les angles comme cela était le cas lors de la création. L’effet visuel est admirable mais surtout les musiciens se regardent à travers la scène et peuvent en même temps suivre les chanteurs et leurs collègues musiciens en un seul coup d’œil. L’effet est sidérant d’évidence et de naturel ; certes on devine bien que le luthiste Thomas Dunford est un moteur puissant mais en fait c’est tout le continuo qui dans un tactus parfait fait avancer le drame. Ce tactus souple et déterminé donne à l’enchaînement de tous les éléments : madrigaux, airs, récitatifs, parlar-cantando, leur naturelle force de vie, s’appuyant sur une rhétorique toujours renouvelée.

A Toulouse, un théâtre du naturel… où règne
l’idéal ORFEO d’Emiliano Gonzales Torro

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Voilà donc un « orchestre » organique, réactif et d’une superbe beauté de pâte sonore qui régale l’auditeur comme rarement. Musicalement cela réalise une sorte de synthèse des versions connues au disque allant vers toutes les subtilités relevées par le regretté Philippe Beaussant dans son superbe essai : « Le chant d’Orphée selon Monteverdi ». Le naturel qui se dégage de ce spectacle est bien l’idéal qui a présidé à la naissance de l’Opéra, art total. Les chanteurs évoluent avec le même naturel, la même élégance devant nous. Ils portent des costumes dans lesquelles ils se meuvent avec facilité. Le blanc, le noir et l’or sont les couleurs principales et la superbe robe verte de l’espérance qui éclaire un moment les ténèbres des enfers est une idée géniale. La mise en espace est plus aboutie que bien des prétendues mises en scène d’opéra. Les personnages vivent, s’expriment et nous paraissent proches. Les éclairages sont à la fois sobres et suggèrent le fabuleux voyage d’Orphée, entre lumière et ombre.

Onze chanteurs se partagent les rôles, les madrigaux et les chœurs. Là aussi le choix est idéal, tous artistes aussi habiles acteurs que chanteurs épanouis. Les voix sont toutes fraîches et belles, sonores et bien timbrées ; les voix de sopranos sont chaudes et lumineuses sans acidité, les basses abyssales et terribles, les ténors élégants et sensibles. Impossible de détailler : chacun et chacune mérite une tresse de lauriers. Emiliano Gonzales Torro a la voix d’Orphée, l’aisance scénique et le port noble du demi-dieu. Dans ce dispositif si intelligent le drame se déploie et les émotions sont portées à leur sommet. Ne serait-ce que la douloureuse sympathie du premier berger qui arrache des larmes après la terrible annonce de la mort d’Eurydice.


Premier nœud du drame, la messagère très impliquée d’Anthea Pichanick, la sidération d’Emiliano Gonzales Torro en Orfeo et ce désespoir amical de Zachary Wilder. Deuxième nœud, la prière si expressive de Mathilde Etienne en Proserpine après la scène si impressionnante avec le Caronte de Jérôme Varnier. Et pour finir ce terrible renoncement d’Orphée à tout bonheur humain avant son départ vers le séjour de félicité des dieux. Tout s’enchaîne avec une évidence précieuse. La beauté est partout, les yeux, les oreilles et l’âme elle-même s’en trouvent transportés hors du monde. Un véritable moment féérique.

Certainement la version la plus complète d’Orfeo à ce jour réalisée.  La tournée de cette production le confirmera par son succès et l’enregistrement annoncé en 2020 sera certainement une référence incontournable. Bravo à une équipe si soudée et au génie d’Emiliano Gonzalez Toro qui semble être une incarnation orphique inégalée.

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Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 5 XII 2019 ; Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’ Orfeo, Opéra (Fable en musique) en cinq actes avec prologue ;  Livret d’Alessandro Striggio ; Création le 24 février 1607 au Palais ducal de Mantoue ; Opéra mis en espace ; Mathilde Étienne :  mise en espace ;  Sébastien Blondin et Karine Godier , costumes ; Boris Bourdet, mise en lumières ; Avec : Emiliano Gonzalez Toro , Orfeo ; Emöke Baráth, Euridice et La Musica ; Jérôme Varnier, Caronte ; Anthea Pichanick,  Messaggiera ; Alix Le Saux,  Speranza ; Fulvio Bettini , Apollo ; Zachary Wilder, Pastore ; Baltazar Zuniga, Pastore ; Mathilde Étienne, Proserpina ; Nicolas Brooymans, Plutone ; Maud Gnidzaz, Ninfa ; Ensemble I Gemelli ; Thomas Dunford luth et direction ; Violaine Cochard assistante direction musicale ; Emiliano Gonzalez Toro : direction musicale. Photo : © P NIN

Victor Julien-Laferrière et Tugan Sokhiev un accord parfait

COMPTE-RENDU, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 novembre 2019. Henri Dutilleux (1916-3013) : Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle ; Gustav Holst (1874- 1934) : Les Planètes ;   Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Orfeon Donostaria, chef de choeur : José Antonio Sainz-Alfaro ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, Direction. Illustration : Julien-Lafferiere (DR)

Victor Julien-Laferrière est un jeune musicien d’exception dont la carrière a pris un élan incroyable depuis son prix du concours Reine Elisabeth de Belgique en 2017. Une grande tournée de concerts avec Valery Gergiev a été triomphale. Il est un soliste recherché et un chambriste accompli auréolé de succès publics et critiques en compagnie d’Adam Laloum et dans son trio « Des Esprits ». Ce soir dirigé par Tugan Sokhiev, chef attentif et partenaire protecteur, le jeune soliste a été d’une extraordinaire délicatesse dans le Concerto pour violoncelle de Dutilleux. Cette oeuvre dédiée à Mtislav Rostropovich est inspirée d’un poème de Baudelaire. Très intellectuelle, la partition reste distante de l’émotion et de toute forme de passion, recherchant une allure française basée sur l’originalité des sonorité (à la Debussy), tout en réservant une grande place aux percussions. Le violoncelliste doit tenir sa sonorité dans les limites d’une parfaite maitrise de chaque instant. Victor Julien-Laferrière a toutes les qualité pour offrir une interprétation magistrale de ce concerto. La finesse du jeu, rencontre la beauté de la sonorité et la fluidité des lignes. L’Orchestre du Capitole offre une pureté de sonorité et une précision rythmique parfaite. La direction de Tugan Sokhiev est admirable de précision et de finesse. Les grandes difficultés de la partition sont maitrisées par tous afin de proposer une interprétation toute en apparente facilité. Tout va vers le rêve et l’ailleurs comme le suggère le poème de Baudelaire. L’écoute de l’oeuvre en est facilitée et le public fait un triomphe au jeune violoncelliste. Il revient saluer plusieurs fois et propose en bis une délicate allemande d’une suite pour violoncelle de Bach (la troisième). Sonorité soyeuse et legato subtil sont comme un enchantement prolongeant le voyage onirique précédent.

Julien Laferriere

En deuxième partie de concert, Tugan Sokhiev retrouve son orchestre élargi pour un voyage interplanétaire grâce aux Planètes de Holst. Cette oeuvre du compositeur anglais reste le parangon de toute oeuvre symphonique hollywoodienne. Les effets très efficaces de l’orchestration de Gustave Holst font toujours recette chez bien des compositeurs de musiques de films. Tugan Sokhiev prend les rennes avec élégance et ne lâche plus ses musiciens jusqu’à la dernière note. L’orchestre est rutilant ; chaque soliste est prodigieux de splendeur sonore. Ainsi des cuivres bien ordonnés sur deux rangs au fond juste devant les nombreuses percussions sauront-ils nuancer habilement toutes leurs interventions. Le chef les laisse jouer sans vulgarité dans les moments pompiers. Les forte éclatent de santé et de générosité. Nous soulignerons tout particulièrement la beauté du son mais surtout l’élégance du phrasé et la longueur de souffle de Jacques Deleplancques au cor. Mais comment de pas citer le splendide solo du violoncelle de Sarah Iancu ou la flûte de François Laurent, le hautbois de Louis Seguin et la clarinette de David Minetti ?; qui sont les chambristes et solistes accomplis de cette superbe saga galactique.

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Tugan Sokhiev joue à plein les différences de chaque partition dédiée à une planète mais garde une unité stylistique magnifique à cet ensemble. Le long silence par lequel il clôt son interprétation a pu paraitre un peu emphatique pour certains spectateurs mais qu’il est bon qu’ un véritable chef charismatique arrive a retarder les applaudissements afin de respecter le silence qui suit la musique et en fait partie quoi qu’en pensent les spectateurs trop zélés a frapper des mains et des pieds parfois en même temps que la dernière note du concert. Ce soir le concert a été placé sous le signe de la plénitude et de la délicatesse. Il n’y a a pas eu besoin d’un bis après tant de splendeur musicale. Là aussi le chef a su résister à cette habitude du « jamais assez » que le public insatiable voudrait prendre.

COMPTE-RENDU, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 novembre 2019. Henri Dutilleux (1916-3013) : Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle ; Gustav Holst (1874- 1934) : Les Planètes ;   Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Orfeon Donostaria, chef de choeur : José Antonio Sainz-Alfaro ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, Direction. Illustration : Julien-Lafferiere (DR)

La Lionne Skaja et Beethoven à Piano Jacobins

COMPTE-RENDU, concert. Festival Piano aux Jacobins. Cloître, le 25 septembre 2019. BEETHOVEN. E. LEONSKAJA.

LA LIONNE-SKAJA FACE À BEETHOVEN EN SON HIMALAYA

Nous avons eu la chance cette année de pouvoir écouter plusieurs grands pianistes capables de se lancer dans une intégrale des sonates de Beethoven au concert, en plus d’admirables versions isolées bien entendu. Mais ce soir ce qui vient à l’esprit de plus d’un, est de savoir comment la grande Elisabeth Leonskaja va s’y prendre  pour jouer en un concert les trois dernières sonates de Beethoven. Les banalités fusent dans le milieu du piano classique comme celle de dire qu’à cet Himalaya du piano est dû un respect admiratif qui frise la dévotion.

Disons le tout de go : la Leonskaja se transforme en Lionne-Sakja et ne fait qu’une bouchée de cet Himalaya. Daniel Barenboim a une tout autre attitude lui qui, à la Philharmonie de Paris, nous a régalés dans d’autres sonates par un patient travail sur le style, les couleurs et le toucher exact entre classicisme et romantisme. François Frédéric Guy à La Roque d’Anthéron est tout entier au service du message beethovenien, si humain et émouvant par la lutte qu’il a mené pour vivre en sa dignité de génie mutilé. Elisabeth Leonskaja arrive en majesté sur la scène du Cloitre des Jacobins. Elle demandera au public une concentration extrême en jouant d’affilée les trois dernières sonates sans entracte. Le choc a été atomique. En Lionne affamée elle se jette sur les sonates et avec voracité ose les malmener pour en extraire une musique cosmique. Comme une lionne qui le soir après la chasse, après s’être repue et s’être désaltérée au fleuve, regarde le ciel et tutoie les étoiles dans un geste de défi inouï. La grandeur de la vie avec sa finitude qui exulte face à l’immanence ! De ce combat il n’est pas possible de dire grand chose comme d’habitude ; décrire des mouvements, des thèmes, des détails d’interprétation en terme de nuances, couleurs, touchers, phrasés.… Si une intégrale en disques se fait dans cette condition d’urgence il sera possible d’analyser à loisir. Pour moi ce soir est un défit lancé par la Grande Musicienne au public et à la critique : osez seulement dire quelque chose après ça ! Oui Madame j’ose dire que votre grande carrière est couronnée par cette audace interprétative. Nous avons beaucoup aimé vos concertos de Beethoven avec Tugan Sokhiev les années précédentes et attendons l’intégrale promise en CD. Nous savons que vous enregistrez beaucoup et en même temps pas assez pour vos nombreux admirateurs. Nous avions eu la chance de nous entretenir avec vous et vous nous aviez dit que pour vous la plus grande qualité de l’interprète est de savoir donner sans compter tout au long de sa carrière.

Ce soir vous avez donné sans retenue, sans prudence, sans le garde-fou de la recherche d’exactitude stylistique. Ce concert a été hors normes. Vous avez prouvé une nouvelle fois  que Sviatoslav Richter, qui vous a admirée dès vos débuts, avait vu juste. Il savait que vous aviez cette indomptabilité totale tout comme lui.

Le tempo, les nuances, la pâte sonore, la texture harmonique, vous avez tout bousculé, tout agrandi, tout magnifié et Beethoven en sort titanesque et non plus simplement humain. Une musique des sphères, d’au-delà de notre système d’entendement et pourtant jouée par deux mains de femme et composée par les deux mains d’un simple mortel. Ce fût un choc pour le public, un choc salvateur pour sortir d’une écoute élégante, polie et qui endort les angoisses de l’âme. Ce soir, de cette salvatrice bousculade émotionnelle vous pouvez être fière. Vous avez tutoyé le cosmos et nous avons essayé de vous suivre. Bravo Sacrée LIONNE-SKAJA.

Hubert Stoecklin

Compte-rendu concert. Toulouse. 40 ème Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 25 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 30 en mi majeur, Op.109 ; Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur, Op.110 ; Sonate pour piano n° 32 en ut mineur Op.111 ; Elisabeth Leonskaja, piano.

Adam Laloum en poète du piano

Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.

Adam Laloum en poète sensible habité par la musique.

Adam Laloum © Harald Hoffmann
Adam Laloum © Harald Hoffmann

Pour ce Quarantième festival de Piano aux Jacobins les grands pianistes se succèdent à un rythme soutenu et même en choisissant avec soin, la splendeur continuellement renouvelée, ( cf. nos quatre chroniques précédentes), semble un miracle de stabilité dans notre monde en folie : une différente sorte d’excellence chaque soir ! De telles soirées aident à supporter les journées ….

Adam Laloum est peut-être parmi ces immenses artistes celui qui se tient à une place à part, celle du cœur. Du moins pour moi ce concert l’aura été. Je connais bien la musicalité fine de ce pianiste depuis bientôt dix ans et je sais comment chaque fois j’en suis émerveillé. Que ce soit en soliste, en chambriste, en concertiste. Le récent festival de Lagrasse le montre en délicat chambriste, son récent concert de concertos de Mozart à la Roque d’Anthéron en a ébloui plus d’un par sa musicalité mozartienne épanouie, (concert à la réécoute sur France Musique). Ce soir dans l’auguste Cloître des Jacobins après tant de somptueux artistes, Adam Laloum a offert un concert parfaitement construit, dans un répertoire qui lui convient à la perfection. Ce concert est frère de celui de Silvacane en 2017, (voir notre compte rendu) entre Beethoven et Schubert. La sonate n° 28 de Beethoven est une grande sonate, une œuvre de la maturité de toute beauté. Le grand final en forme de fugue est une véritable apothéose. Adam Laloum en domine parfaitement toutes les fulgurances en rajoutant une qualité de nuances et de couleurs d’une infinie variété. Le Beethoven de Laloum a toujours la primauté du sens sans rien lâcher sur la forme. Il cisèle chaque phrase et l’enchâsse dans le mouvement puis dans la sonate entière. Cette conscience de la structure sur tous ces niveaux, la lisibilité qu’il apporte au public, sont des qualités bien rares. À présent la pâte sonore d’Adam Laloum a gagné en richesse. La beauté des sons sur tout l’ambitus est proprement incroyable. La rondeur des graves, leur puissance sans aucune violence fait penser à l’orgue. Après cet hommage au véritable père de la Sonate pour piano, la Grande Humoresque de Schumann ouvre un pan entier au romantisme le plus sublime. Le début dans une nuance piano aérienne nous fait entrer dans la magnifique vie imaginaire de Schumann. Le bonheur, la paix puis la fougue, la passion malheureuse.

Adam Laloum

Pièce rarement jouée en concert, elle met en valeur les extraordinaires qualités d’Adam Laloum. Il en avait déjà offert une belle version au disque mais ce soir l’évolution de l’interprétation est majeure. Capable de nous livrer et la structure quadripartite de l’œuvre et sa fantaisie débridée nécessitant beaucoup d’invention dans le jeu pianistique. Les partis pris du jeune musicien tombent chaque fois à propos avec une beauté à couper le souffle. Un vrai engagement d’interprète et une virtuosité totalement maitrisée rendent l’instant sublime. Mais ce qui va véritablement faire chavirer le public est son interprétation unique de l’avant dernière sonate de Schubert. La D.959 est jouée avec une fougue et une tendresse incroyables. Schubert, qui dans le deuxième mouvement chante le bonheur à porté de main mais qui s’enfuit, trouve dans le jeu d’Adam Laloum une deuxième vie. Les nuances sont subtilement dosées et le cantabile se déploie comme le faisait Montserrat Caballe avec ses phrases de pianissimi sublimes dans Bellini et Donizetti. Car les pianissimi sont d’une couleur suave certes mais surtout d’une plénitude incroyable. Jamais de dureté ou d’acidité. Toujours une onctuosité belcantiste. Ce deuxième mouvement Andantino, l’un des plus beaux de Schubert, avec sa terrible tempête centrale, est un pur moment de magie sous les mains si expertes d’Adam Laloum. Le Scherzo nous entraine dans quelques danses qui deviennent véritablement fougueuses et heureuses à force de tournoyer sur elles même dans des variations que l’on aimerait perpétuelles tant elles sont belles. Le long rondo final n’est que tourbillon de gaieté et d’envie de vivre. Tout coule, avance et les nuances pleinement assumées, les phrasés variés à l’envie en font une vraie musique du bonheur que quelques modulations assombrissent un court instant. Le bonheur de Schubert est aussi vaste que sa mélancolie. Adam Laloum est probablement le plus émouvant interprète de Schubert contemporain. Un vrai compagnon d’âme du Frantz Schubert que ses amis aimaient tant lors des shubertiades.

Dans les rappels du public qui se terminent en standing ovation il revient à Schubert. Un vrai bonheur partagé !

Hubert Stoecklin


Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.

Hubert Stoecklin pour Classiquenews.com

Beau coffret ROSSINI chez Warner Classics

Gioachino Rossini Edition 50 CD Warner Classics

Ce coffret Rossini est une fête. Celle de son 150 iéme anniversaire de naissance d’abord mais c’est également l’occasion de retrouver de beaux enregistrements rossiniens au firmament comme de découvrir des titres peu connus à coté du Barbier qui reste son plus grand succès. Nous allons survoler les versions choisies par Warner Classics dans plusieurs catalogues.
Précisons d‘abord que le choix de ranger les œuvres chronologiquement est intéressant . Le coffret comprend déjà 50 CD il n’était pas possible d’être exhaustif.

Des œuvres de jeunesse pour commencer


L’Ingano felice est une œuvre de toute première jeunesse. La présence de la jeune Annick Massis est délicieuse elle est très bien entourée et dirigée par Mark Minkowski que nous n’attendions pas si habile dans ce répertoire. Cet opéra en un acte contient déjà tout le génie de Rossini avant que ces « ficelles «  ne soient plus visibles, ici tout va vite et avance sans lourdeur.
La Scala di seta, en enregistrement live est efficace et a comme mérite de nous faire entendre la capacité du jeune Rossini de s’emparer du moule en trois actes avec une facilité déconcertante. La distribution ne comprend personne de vraiment remarquable et la direction de Gabriele Ferro est un peu lourde.
C’est avec Tancredi que Rossini a atteint une notoriété internationale faisant se pâmer Stendhal et il faut écrire que Wagner lui même appréciait cet opéra séria un peu boursouflé mais si séduisant. Le chant rossinien prend un envol jamais atteint et certains airs restent des « tubes » dans les récitals lyriques. L’orchestre gagne en richesse et les finals sont grandioses. La distribution est dominée par une Cecilia Gasdia absolument idéale en Aménaïde. Le Tancredi de Fiorenzza Cossoto est placide et si la voix est immense les nuances et les intentions sont rares. La prise de son est grandiose avec un orchestre énergique et la direction de Gabriele Ferro fait avancer le drame avec efficacité.


Les deux TURQUERIES de Rossini

D’abord le Turc en Italie puis l’ Italienne à Alger sont comme un chassé croisé en miroir. D’abord le Turc débarque en Italie et tombe sous le charme de Fiorilla puis c’est la belle Isabella qui va à Alger et ridiculise Mustapha. C’est dans ces deux ouvrages que l’humour et l’esprit vif de Rossini s’épanouissent le mieux. Maria Callas en une version historique du Turc en Italie donne son rôle comique le plus abouti avec des moyen vocaux somptueux et une voix parfaitement maitrisée, son jeu de couleurs est infini et vocalement tout est d’une rare délicatesse. Elle est entourée d’un Gedda parfait en poète et entre son mari et son Turc le jeux est hilarant. L’enregistrement mono de 1954 a été très agréablement restauré mais reste mat.
L’enregistrement de l’Italienne à Alger est une référence. La distribution ne contient que des voix inouïes et tout le monde semble s’amuser dans cette oeuvre à l’humour touchant à une sorte de folie burlesque. Marilyn Horne domine le plateau avec sa voix solide et son tempérament de feu Samuel Ramey est un turc à la vocalitée somptueuse, Ernesto Palacio est un Lindoro à la voix de velours toute de charmes latins, le Taddeo de Domenico Trimarchi est impayable aussi à l’aise vocalement qu’à camper un personnage inoubliable. En Elvira de grand luxe Kathleen Battle avec une voix toute de fraicheur et de fruit sucré donne beaucoup de relief à ce rôle souvent sacrifié mais important. La direction de Claudio Scimone est jubilatoire, ses Solisti Veneti et le choeur sont parfaits.


Le Barbier de Séville est l’opéra le plus connu, il est présenté dans une version interessante et qui est agréable en raison de son énergie communiquée par la direction théâtrale de James Levine. Les solistes sont d’excellents acteurs chanteurs aux voix chevronnées. Seule Sills avec son large vibrato dans le médium et le grave pourra ne pas plaire à tous, mais qui résistera au Basilio de Raimondi, au Comte de Gedda ou au figaro de Milnes ?


La Cenerentola modèle de poésie fine est offert dans la version de Vittorio Gui montée sous les auspices de Glyndebourne. Seule le fait que la prise de son soit mono réduit un intense plaisir théâtral et musical. La distribution est idéale de voix, de technique mais surtout de théâtre et de poésie.

D’autre raretés


Ermione de 1819 nous montre la grandeur de ton dont Rosssini est déjà capable annonçant son Guillaume Tell. La distribution est excellente sous la baguette idéale de Claudio Scimone. Cecilia Gasdia est royale de timbre et intense d’engagement. Chris Merritt avec une quinte aiguë héroïque est sensationnel en Oreste et chaque chanteur est impeccable et mériterait d’être cité.
Bianca et Falliero nous permet d’admirer Katia Ricciarelli, Chris Merritt et Marylin Horne. Dans Zelmira nous retrouvons la sensationnelle Cecilia Gasdia et un Chris Merritt déchaîné. Dans ces deux derniers opéra napolitains, Rossini est plus habile faiseur que génial inventeur.


Sémiramide pour Venise marque un indéniable renouveau d’écriture et la célébrité de cet opus est bien méritée. La version solide, virtuose et bien dirigée par Alberto Zedda, n’atteint pas l’émotion d’autres versions de studio (Horne et Sutherland) mais la prise sur le vif et les applaudissements nourris font sensation ! Et Les aigus de Grégory Kunde sont très excitants, d’avantage que le chant un peu sage des dames.
L’ Assedio di Corinto est en fait une véritable pépite. Sans s’occuper des versions diverses, siège de Corinthe, siège de Granada, Maometto II, cette version-çi contient de véritables merveilles avec en particulier un troisième acte sublime de tout en tout. La magnifique voix de Shirley Verrett dans un ambitus incroyable soutient le drame et avec une énergie farouche fait de Neocle une composition de héros inoubliable. Toute la distribution (Sills et Diaz en particulier) tient son rang au zénith et la direction de Thomas Schippers est drame profond et énergie vive.
Avec le Comte Ory en français dans la version de Vittorio Gui nous retrouvons la théâtralité et la folie drôle de sa Cenerentola. La qualité de la direction est enthousiasmante dans les grands ensembles et la distribution est solide. Un petit coté suranné convient pas si mal à cette histoire sinon démodée du moins improbable.
La version de Guillaume Tell choisie est historique avec Caballe, Gedda et Bacquier ayant chacun marqué leur rôle. La direction efficace de Lamberto Gardelli sans finesse stylistique nous entraine vite et loin dans cette partition fleuve sans lendemain.

Coté musique religieuse de beaux moments


Le Stabat Mater est de grande classe avec une distribution de braise : Anna Netrebko, Joyce Di Donato, Lawrence Brownlee et Ildebrando D’Arcangelo, le chœur et l’orchestre de l’Académie Santa Cecila de Rome d’une ductilité totale sous la direction pleine d’esprit et aux phrasés subtiles d’Antonio Pappano. La « Petite messe » par le même chef est également parfaite. De même que la Messa di Gloria.

Et pour finir des RÉCITALS


Pour terminer le coffret en beauté ce sont de nombreux récitals qui nous sont offerts. Car Rossini c’est le culte des voix belles et aux possibilités poussées à dépasser toutes normes. Ainsi Joyce Di Donato, Marilyn Horne, Rockwell Black ( quatre CD) , Nicolas Ghiuselev et tant d’autres font étal de leurs voix incroyables et de leur technique hors du commun. Si un seul récital doit être retenu comme consubstentiel du génie de Rossini je crois que Joyce Di Donato dans son hommage à Colbran la muse de Rossini, est inoubliable. La voix est somptueuse le drame de chaque mot irradie d’intelligence, mais surtout des phrasés souples comme un félin et une précision de vocalises d’horlogerie suisse sont un sommet inégalé. Puis quelques pièces instrumentales et des pêchers de vieillesse complètent un portrait varié sans rien ajouter au génie de Rossini.


Voici un grand et beau coffret qui met bien en valeur les voix rossiniennes et tout un pan du répertoire du cygne de Pesaro, certes non exhaustif, mais tout à fait significatif et pour un prix très attractif.  
Hubert Stoecklin

Coffret de 50 CD Warner Classics : 190295611156. Compilation de 2018. Stéréo principalement. Durée totale 53h20m.

Euripide à La Comédie Française

c’est INOUBLIABLE !

Théâtre. Comédie Française, Salle Richelieu, le 30 avril 2019. EURIPIDE : Electre/Oreste. Traduction : Marie Delcourt-Curvers. Nouvelle production. Mise en scène : Ivo VAN HOVE. Musique originale et concept sonore : ERIC SLEICHIM. Avec la troupe de la Comédie Française et les comédiens de l’académie de la Comédie Française. Trio Xenakis.

La modernité d’EURIPDE révélée à la COMEDIE FRANCAISE !

Avec l’entrée au répertoire de ce diptyque le théâtre antique est superbement mis à l’honneur dans sa modernité sauvage. En faisant confiance au metteur en scène Ivo van Hove et en mettant à sa disposition tous les superbes moyens de l’auguste maison, le résultat est magnifique. Le talent d’Ivo van Hove est capable de mettre ces deux pièces sauvages à la portée du public moderne dans la traduction très sobre et efficace de Marie Delcourt-Curvens. Loin de la forme poudrée et policée de nos superbes tragédies et comédies « historiques », la langue et la dramaturgie d’Euripide sonnent atrocement nôtres.

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

L’immédiateté de la psychologie des personnages et leur incarnation de passions qui les dépassent sont superbement sculptées par Ivo van Hove. Loin de penser qu’il y a la moindre outrance dans cette mise en scène puissante, je pense que c’est le minimum qui convient à la grandeur de ces deux tragédies. Les personnages évoluent dans la boue, les costumes sont ternes et misérables. Sauf évidemment ceux des puissants dont Oreste fait partie un temps. Mais rapidement après ses retrouvailles avec sa soeur Electre, il va la rejoindre dans cette misère vestimentaire et se tacher de boue.

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Une incroyable version cinématographique de l’opéra Elektra de Richard Strauss par Goetz Friedrich en 1981 faisait déjà débuter l’opéra sous la pluie et dans la boue. Mais cette fois il s’agit de la terre, celle des pauvres gens, des laboureurs si utiles et pourtant si méprisés. La réalité de cette terre, le symbole de sa saleté, contiennent une évidence et une puissance salvatrice. Elle permet de comprendre comment ceux qui y sont jetés, mais qui ont connu autre chose, comme ceux qui ne peuvent en sortir, sont dans la même impasse. En ce sens la modernité de la colère légitime des gens réduits à peu, prend un sens tout particulier. Le frère et la sœur sont comme deux orphelins. Ils ont perdu leur père, mort et leur mère qui ne les protège plus et déshonore leur nom.

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Ils nourrissent une rancœur et un désir de vengeance que rien ne pourra jamais calmer. Les costumes sont efficaces à caractériser les personnages et la beauté de celui de Clytemnestre/Hélène et des rois n’en est que plus outrancière.`Les lumières sont subtilement modulées. La boite noire au centre de la pièce est d’une intelligence proteiforme qui permet d’y voir tout, de la masure au palais. Le jeu des acteurs est extrêmement physique. Ils bougent sans relâche et leur voix en passent du murmure à la transe de pure violence. Les acteurs sont sonorisés autorisant voix détimbrées et murmurées d’un effet envoûtant. La partition musicale de Eric Sleichim avec essentiellement des percussions dont de superbes timbales et des instruments électroniques réalise un effet puissant. La beauté lumineuse des timbales semble éclairer ce cloaque. Et la chorégraphie de Wim Vandekeybus permet le ressenti de l’Ubris destructeur et furieux après le meurtre de la mère. Le jeu de Suliane Brahim en Electre est admirable de puissance et de fragilité alternées. Le corps frêle est capable d’une force herculéenne, ainsi sa danse après la mort de Clytemnestre donne presque la nausée tant elle fait comprendre l’extrémisme de l’au-delà de la violence. Christophe Montenez est l’Oreste qu’il lui faut, sorte de frère siamois. Le jeune homme a la violence adolescente, son audace et son jusqu‘au boutisme qui dans son cas sera le matricide.

Le crime salvateur est donc accompli au début d’Oreste, la deuxième tragédie. Nous y découvrons le jeune homme caché dans la terre, presque invisible.

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

La manière dont il se love dans la terre nourricière, cherche à y disparaître, épouvanté par son matricide, relève du désespoir du « desêtre » comme de la recherche d’une annulation de soi mélancolique. Quels rôles exigeants pour ces jeunes acteurs portés ici jusqu’à l’incandescence ! La folie amicale et amoureuse de Pylate (Loïc Corbery) est admirablement rendue par son jeu sensible, y compris dans les silences émus. Elsa Lepoivre est une Clytemnestre à qui l’on pourrait presque pardonner et une Hélène vaine et inconséquente. Quelle élégance et quelle beauté de port

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Denis Podalydes incarne un Mélénas pleutre et fade à souhait, très humain. Didier Sandre en Tyndare, père des deux soeurs funestes, garde une intransigeance sans faiblesse, une rigidité impitoyable digne du Commandeur. Sa présence donne tout son poids et son charisme à ce personnage pourtant odieux. Rôles plus courts mais oh combien humains : l’Hermione de Rebecca Marder est délicieuse d’innocence, Benjamin Lavernhe a une noblesse immense en laboureur, mari respectueux d’Electre, l’esclave phrygien d‘Eric Génovèse est toute veulerie humaine dehors ou sagesse suprême, il sait que rester en vie compte seul quoi qu’il arrive. Le Choryphée (Claude Mathieu) et le Chœur sont traités avec beaucoup de force et de présences individuelles par le metteur en scène. La beauté des gestes de soutien ou la fulgurance des danses sont des moments chargés en émotions inoubliables. En Deus-ex-machina, Apollon, est campé par Gaël Kamilindi qui promène une indolence divine charmante. Dans sa mise en scène Ivo van Hove lui apporte peu de crédits. Personne ne semble croire véritablement à ses promesses de bonheur et la dernière image sauvage dit même tout le contraire. C’est un des éléments de puissance et de modernité des tragédies d‘Euripide que cette manière d’oser juger les dieux.

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

Electre Oreste Photo Jan Verweyveld

En somme Electre et Oreste d’ Euripide font une entrée au répertoire qui marque notre époque par leur modernité digne de l’actualité. La question de la radicalisation de la haine est admirablement démontrée avec cette audace du matricide qui répond au sentiment de négation ressenti par les rejetés, les humiliés. L’admirable mise en scène d’Ivo van Hove, pétrie d’intelligence et d’humanité, va être l’aune auquel toute référence à l’antique fera date.
Il est possible de tenter d’avoir une place à La Comédie Française ou à Epidaure ( Grèce) cet été mais il est plus raisonnable de miser sur la diffusion au Cinéma Pathé Live partout en France et à l’étranger les 23 mai, 16, 17 et 18 Juin 2019 .

Hubert Stoecklin

Théâtre. Comédie Française, Salle Richelieu, le 30 avril 2019. EURIPIDE : Electre/Oreste. Traduction : Marie Delcourt-Curvers. Nouvelle production. Mise en scène : Ivo VAN HOVE. Version scénique : Bart Van den Eynde et Ivo van Hove. Scénographie et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Musique originale et concept sonore : Eric Sleichim. Travail chorégraphique : Wim Vandekeybus. Dramaturgie : Bart Van den Eynde. Assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert. Assistanat à la scénographie : Roel Van Berckelaer. Assistanat aux costumes : Sylvie Lombart. Assistanat aux lumières : François Thouret. Assistanat au son : Pierre Routin. Assistanat au travail chorégraphique : Laura Aris. Avec la troupe de la Comédie Française et les comédiens de l’académie de la Comédie Française. Trio Xenakis : Adélaïde Ferrière, Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry, Othman Louati, Romain Maisonnasse, Benoît Maurin
percussions (en alternance).

La Folie à l’ Opéra : La dame de Pique

La Dame de Pique, mortellement fascinante

Le livret de cet opéra de Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) est basé sur une courte nouvelle d’Alexandre Pouchkine (1789-1837) publiée en 1833. C’est Modeste Tchaïkovski qui l’a écrit, en insistant beaucoup pour que son frère le mette en musique. Le compositeur l’a rejeté dans un premier temps. Il s’est ensuite passionné pour ce texte au point de s’identifier à la figure d’Hermann.
Modeste Tchaïkovski a considérablement modifié les personnages mais sans les trahir. Lisa était, chez Pouchkine, une pauvre pupille sans avenir, maltraitée par la Comtesse. Tomski, le narrateur, était quant à lui le petit-fils de cette dernière. Dans l’opéra, Lisa est devenue la petite-fille de la vieille dame et se trouve fiancée à un prince. La grand-mère est autoritaire mais sans méchanceté. Dans la nouvelle, Hermann est fasciné par le jeu et se sert de Lisa – qu’il n’aime pas – pour atteindre la Comtesse et lui arracher son secret : celui de trois cartes gagnantes qui pourraient faire sa fortune. Dans l’œuvre des Tchaïkovski, il est amoureux de la jeune fille sans connaître ses liens de parenté avec la « Vénus moscovite ». C’est par hasard qu’il apprend qu’elle est sa petite-fille ainsi que l’existence du secret. Lisa est amoureuse d’Hermann et voudrait tout quitter, richesse, confort et prestige, pour partir avec lui. À la faveur d’une clé qu’elle lui donne le jeune homme s’introduit chez la Comtesse et tente de la faire parler, mais elle meurt de peur. Halluciné, ce dernier reçoit dans sa caserne la visite du fantôme de la morte qui lui livre le secret mais à contrecœur. Dans sa démence, il rejette Lisa qui se suicide. À la salle de jeu, il ne gagnera finalement pas et se donnera la mort à son tour, en retrouvant son amour pour la jeune femme. Ce sentiment partagé mais contrarié offre une dimension supplémentaire à la personnalité des héros et enrichit leurs relations.
Pour composer son opéra, Tchaïkovski décide de s’installer à Florence. Il avance vite et la collaboration entre les deux frères est excellente. Cependant ce travail lui coûte beaucoup : la résistance qu’il éprouve vis-à-vis du sujet vient probablement de sa trop grande affinité avec le personnage du pauvre officier victime de son destin. Le thème de la soumission au fatum était au centre des préoccupations du musicien qui venait de composer sa cinquième symphonie. Tchaïkovski pleure en écrivant plusieurs passages, dont celui de la mort du héros, et certains commentateurs voient dans les relations complexes d’Hermann avec la Dame de Pique une transposition des liens de Tchaïkovski avec la baronne von Meck, sa riche et mystérieuse protectrice. La puissance de la musique plaide assurément en faveur de l’implication hors du commun du compositeur.
Créée le 7 décembre 1890 à Saint-Pétersbourg, La Dame de Pique eut d’emblée un grand succès. C’est une œuvre complexe, un opéra aux atmosphères très variées, avec de nombreuses figures marquantes. S’y mêlent des scènes intimistes, grandioses et même fantastiques…

Les liens de fascination mutuelle qui se nouent entre les personnages principaux sont extraordinaires. C’est la mise en commun de leurs désirs plus ou moins conscients qui entraînera les événements du drame et conduira à la mort de trois d’entre eux. Certes, la pathologie semble se cristalliser essentiellement sur Hermann, mais tous les autres participent activement à ce qui causera leur perte. Il n’est pas possible d’isoler sa folie. Elle contamine tous les personnages de l’opéra, de même que le héros se sert des autres pour alimenter sa folie. Comme le ferait un psychiatre en son cabinet, il faut, pour comprendre la folie de l’un, s’intéresser de très près à ceux qui l’entourent.
Hermann souffre. Il est décrit par ses compagnons comme « un étrange personnage… très pauvre » ; il est « morose, pâle comme un ange déchu ». Il se rend tous les soirs à la salle de jeu et y passe la nuit sans bouger à regarder les autres jouer. Ce comportement d’inhibition pathologique intrigue tous ses amis.
Son premier air répond à la question de son ami, le comte Tomski : « Tu es malade ? » Il s’y révèle effectivement perturbé, reconnaissant avoir changé : « Je me sens égaré, furieux de ma faiblesse. » La passion maladive qui le ronge est l’amour d’une belle et riche inconnue. La phrase lyrique de son air, thème qui lui sera attaché, tout au long de l’opéra, s’anime peu à peu avec le soutien de plus en plus présent de l’orchestre. Sa voix sombre de ténor héroïque quitte le registre grave pour atteindre des notes plus brillantes afin de clamer son désir de possession de l’être aimé mais sans chercher à découvrir son identité ! Cet amour est très idéalisé et tristement maladif. Le thème en a d’abord été entendu au violoncelle solo qui en rend très bien la sombre mélancolie. Très lucidement, il est conscient du handicap représenté par la différence de classe sociale qui l’éloigne de celle qu’il aime. Il revendique avec force le caractère obsessionnel de sa passion, du fait même qu’elle est irréalisable. Hermann semble présenter ici une fascination pour l’échec en liant d’emblée amour, poison et maladie. Il devine que cet amour est impossible mais lorsqu’il en a la certitude en apprenant que son aimée appartiendra bientôt à un autre, cela le conduit un pas plus loin, vers la mort.
L’entrée en scène d’Hermann permet d’emblée de prendre la mesure de sa souffrance. L’inhibition, la plainte, la constante tristesse de l’affect ainsi qu’une fixité idéique évoquent le diagnostic de névrose d’angoisse ou de psychose déficitaire évoluant sur un fond dépressif. Sa vie imaginaire semble présente mais exsangue et sans énergie. Même l’idée de l’amour aboutit à une torture lancinante. Pourtant, aussi défait soit-il, ce héros ne laisse personne indifférent et induit des effets puissants sur les autres y compris le public.
Le pas vers la perte de son espérance va être franchi lorsque le prince Eletski entre en scène. Il est félicité par ses amis pour son prochain mariage. Figure du bonheur, de la réussite et de l’élégance, le Prince ne peut que déplaire à Hermann. Un bref duo, le duo des contraires, vient ici prouver que tout, absolument tout, les oppose. Les deux hommes chantent la même mélodie à une mesure de distance et avec des rythmes différents, ce qui provoque un effet étonnant : la voix noble et grave du prince chante le bonheur, celle du ténor une plainte désolée. La rupture est consommée au moment où Lisa apparaît en compagnie de la Comtesse, sa grand-mère : elle est à la fois la fiancée du prince et la belle inconnue d’Hermann !
Un étrange quintette, véritable plongée dans l’inconscient, met en présence les cinq figures principales de l’opéra. La densité, la couleur sombre et la tristesse de cet ensemble annoncent tout le drame. Instant fixé, gros plan immobile sur des échanges de regards, comme hypnotisés, qui se croisent. Accompagnant ces regards, des mots que tous prononcent et que le spectateur comprend distinctement : « J’ai peur ». Lisa et la Comtesse sont fascinées par Hermann qu’elles ne quittent pas des yeux dès leur entrée en scène. Elles se sentent menacées par sa présence incessante qu’elles ont repérée ces derniers jours. Elles pensent être en son pouvoir. Eletski et Tomski fixent Lisa et sont inquiets de son changement. Elle est pâle, effrayée et ne s’intéresse plus au prince, son fiancé. Hermann, lui, n’a d’yeux que pour la Comtesse. Il lit dans son regard une menace et une condamnation. Tomski remarque sa transformation subite et troublante à l’arrivée de Lisa.
Cette captation du regard associée à un sentiment d’angoisse illustre parfaitement la force de l’inquiétante étrangeté décrite par Freud. Chacun contemple l’objet de son désir, le liant à son destin et se sent incapable d’y résister. Ce quintette est un moment de concentration et d’intimité pour chacun. Eletski voit qu’il est en train de perdre Lisa. Tomski devine que la jeune femme est en danger. La Comtesse comprend qu’Hermann est pour elle l’horrible figure de la mort. Lisa éprouve l’emprise que « l’inconnu mystérieux et sombre » exerce sur elle. Quant à Hermann, il vit un transfert d’influence. Alors qu’il vient d’évoquer son amour pour la belle inconnue, comme une passion au sens propre et comme une idée fixe, il se sent soumis à « l’horrible vieille » qui occulte complètement l’image de Lisa. L’inconscient de chacun a perçu tout ce que le déroulement de l’opéra va organiser.
À l’opéra, de tels ensembles sont à la fois très décriés et portés aux nues. Il est certain que le fait que les voix s’entremêlent empêche la compréhension distincte de tous les mots ; en revanche le sens général est nettement préservé. L’art du compositeur consiste à faire en sorte que la musique renforce ce sens général tout en permettant de comprendre distinctement certains mots-clefs. Ici, Tchaïkovski montre tout son talent dans une très courte pièce, concentrée, et qui se révèlera fondamentale.
Après tant d’angoisse, c’est sur un ton léger que Tomski présente Hermann à la Comtesse qui s’éloigne. Dans une ballade spirituelle, le Comte s’amuse dangereusement, en s’employant à faire le portrait de la vieille dame. « La Vénus moscovite » a été très belle, elle a été passionnée par le jeu au point d’y perdre tous ses biens. Un secret appris du comte de Saint-Germain lui aurait permis de tout regagner en une nuit grâce à « trois cartes ». Mais à quel prix ? Elle serait victime d’une malédiction : elle a donné son secret à deux hommes et « par le troisième qui, brûlant d’un amour passionné, viendra lui arracher le secret par la force, un coup mortel lui sera porté ».
Musicalement, Tchaïkovski va illustrer brillamment l’évolution d’Hermann. Le thème de l’amour d’Hermann, qui vient de son premier air, celui qui dans un ricanement sinistre est associé à la Comtesse, ainsi que la plainte « oh, mon Dieu ! oh, mon Dieu ! » vont former un thème inédit : celui des trois cartes. Cet air brillant annonce en fait tout le drame. Il décrit comment le comte Tomski, en semblant s’amuser, conduit Hermann vers sa nouvelle obsession, celle qui le liera à la Comtesse. Le jeune officier, d’abord malade d’amour puis fou de jalousie, va masquer ces deux passions par une troisième, encore plus envahissante. Celle des cartes et de l’appât du gain, obnubilé qu’il va être de découvrir le secret fabuleux que détient la grand-mère de Lisa
Le tableau s’achève sur les menaces précises d’Hermann contre le bonheur du prince alors qu’un orage éclate. Parfait accord romantique entre les sentiments du héros et la colère de la nature.
La courte apparition de Lisa dans le parc n’a pas vraiment permis au spectateur de faire sa connaissance. Durant le deuxième tableau du premier acte, elle ne va pas quitter la scène. La voilà dans sa chambre, avec ses compagnes et son amie Pauline. Les jeunes filles chantent d’abord deux romances de salon élégantes et mélancoliques, puis une danse russe plus débridée afin de détendre l’atmosphère. Lisa n’est guère joyeuse et sa mélancolie semble même gagner ses compagnes. Il faut toute l’énergie de Pauline pour amener un peu de gaîté avec sa danse populaire. Moment d’enthousiasme vite refreiné par l’arrivée de la gouvernante, véritable rabat-joie.
Restée seule, Lisa va livrer le fond de ses pensées dans un très bel air. Elle n’a pas accepté de reconnaître sa tristesse, même devant son amie Pauline. À présent qu’elle est seule, elle ose s’interroger sur les larmes qu’elle a au bord des yeux. La belle mélodie du cor anglais, instrument mélancolique, va accompagner toute la première partie de son air. Lisa concède qu’elle devrait être heureuse : elle épouse un prince à qui elle reconnaît cependant toutes les qualités… Elle se sent terriblement désemparée et seule : « Rêves de jeune fille, vous m’avez trahie. »
Lisa est en deuil, celui de la perte de l’enfance, de la perte de son innocence. Elle découvre en elle un mouvement qui l’attire et l’effraye. Afin de tenter de sortir de cette douleur, elle va s’adresser à la nature et à la nuit dans un élan passionnel dont la symbolique est bien compréhensible. Si la jeune fille s’en va, les désirs de la jeune femme s’éveillent. Elle en nomme la puissance : « La flamme dévorante de passion de ses yeux m’attire… et mon âme tout entière est en son pouvoir. » Dans l’univers de maîtrise, d’élégance feutrée et d’idéal de perfection qui a été jusqu’à présent le sien, Lisa à du mal à accepter cette passion débordante et désordonnée qu’elle ressent. Elle rend Hermann, l’étranger hors normes, responsable de l’éveil de sa sensualité car elle n’a pas trouvé dans son milieu l’accueil pour cette dimension de son être.
Justement, surgissant de la nuit, Hermann apparaît à la porte du balcon. D’abord apeurée, Lisa se laisse séduire par l’étrange argumentation du jeune homme. La musique très libre, sans cadre fixe, tour à tour passionnée ou mélancolique va accompagner l’extraordinaire enchevêtrement de sentiments des amoureux. Hermann annonce qu’il va mourir. Il sort un pistolet pour le prouver. C’est l’imminence de cette mort qui lui donne le courage d’aborder Lisa et de lui avouer son amour. Pour surprenant que soit une telle entrée en matière dans un dialogue amoureux, il s’avère qu’Hermann a touché au point nodal de la souffrance de la jeune femme ! Il semble donc naturel que Lisa se laisse aller à pleurer, acceptant enfin sa tristesse en même temps qu’elle découvre celle d’Hermann, reconnaissant en cela la naissance de l’amour maladif qui les lie.
Hermann a pu avancer vers Lisa, et c’est à genoux qu’il embrasse la main de la jeune femme en larmes. La situation pourrait paraître grotesque, mais il n’en est rien, tant la mobilité de la musique et des paroles est prenante. L’arrivée d’un tiers gênant les manœuvres du jeune homme pourrait également prêter à sourire si ce tiers n’était la Comtesse en personne. Personnifiant un surmoi écrasant, elle est terriblement autoritaire avec sa petite-fille et très culpabilisante. Elle se retire rapidement, mais son thème à l’orchestre est incessant. Il est obnubilant et décrit l’atteinte profonde d’Hermann en prise avec une idée fixe proche de l’hallucination. Il venait séduire Lisa et c’est la Comtesse qui s’impose à lui. À nouveau, le transfert d’influence se manifeste clairement : une passion pour une autre, une femme pour une autre… Hermann est dans un processus pathologique qui se confirme.
La réminiscence des mots du récit de Tomski et du thème des trois cartes, associée à l’effroi physique, fait percevoir au spectateur le vécu morbide insoutenable d’Hermann. Il se jette dans son amour pour Lisa afin de tenter d’échapper à la mort. Elle s’abandonne enfin en adoptant le tutoiement intime d’un « Je t’aime », que les deux amoureux chantent simultanément pour terminer l’acte dans les bras l’un de l’autre. Aucun duo d’amour ne lie si précocement et si intimement l’amour et la mort, Éros et Thanatos. Mais ce duo est très déséquilibré : Lisa chante très peu, Hermann beaucoup et toujours dans une thématique triste. Pour Hermann qui lie depuis le début le fait d’aimer à la maladie, qui avoue son amour en parlant de suicide, puis qui se sent attiré avec la Comtesse vers la mort, aimer devient la solution pour ne pas mourir tout de suite !
La personnalité du jeune officier est très inquiétante. Dès son premier air, il évoque sa perte de vitalité et de volonté : « …je ne puis plus me diriger d’un pas ferme vers mon but, comme autrefois, je ne sais pas moi-même ce qui m’arrive… » ; dans le quintette il avoue un début de délire interprétatif de persécution : « Dans ses yeux terrifiants je lis une condamnation inexprimée. » Plus inquiétant encore, il décrit un syndrome d’influence : « J’ai l’impression d’être sous l’emprise de la lueur maléfique de son regard. » La manière dont il parle de suicide à une jeune fille pour lui faire la cour est à la limite du détachement et de l’émoussement affectif. Son goût pour le morbide, l’inhibition qui le saisit lorsqu’il découvre qu’il est amoureux, sa façon de jouer avec son désir de mort pour déclarer sa flamme à Lisa, sa manière de se laisser influencer par l’histoire des trois cartes dénotent une personnalité schizoïde. L’étrangeté du comportement est bien trop grande pour se situer du côté de la névrose. Il ne s’agit pas non plus d’une dépression car la tristesse n’entraîne pas de manifestations émotionnelles. Il n’est pas non plus possible de parler de mélancolie, la forme de dépression la plus grave, car il n’y a pas de douleur morale ou d’auto-accusation.

L’apparition suivante de Lisa, pendant la fête de l’acte II, confirme son éloignement du prince Eletski. Insensible à la magnificence qui l’entoure et à la beauté de l’air que lui chante son fiancé, elle l’éconduit. Puis un aparté avec Hermann la montre transformée. Sous l’action de son désir, la retenue de sa bonne éducation disparaît. Décidée à prendre son destin en main, elle a écrit à l’officier pour lui donner un rendez-vous. Exaltée, elle lui confie la clef du jardin par lequel il pourra passer afin de pénétrer dans sa chambre via celle de sa grand-mère. Sa porte jouxte le portrait de la « Vénus moscovite »… Sûre d’elle-même, elle déclare qu’elle lui appartiendra, elle ne sera qu’à lui seul. Sa vision d’un amour soumission a quelque chose d’excessif et d’un peu masochiste. Dès le quintette, elle avait évoqué le pouvoir du regard du jeune homme, à présent elle se déclare « son esclave ». Hermann frémit à l’évocation de la chambre de la Comtesse, il sort de scène obnubilé par le secret : « Je connaîtrai les trois cartes. »
Tomski avait brillamment lancé l’histoire fantastique de ces cartes. Pendant la fête, il semble prendre conscience du danger encouru par Hermann, mais n’arrive pas à empêcher d’autres compères de poursuivre ce qu’ils voient comme une simple plaisanterie. Ainsi chantonnent-ils à l’oreille d’Hermann des paroles qui, en accord profond avec ses désirs inconscients, vont participer activement à le déstabiliser : « N’es-tu pas ce troisième qui, brûlant d’un amour passionné, viendra découvrir auprès d’elle, trois cartes, trois cartes, trois cartes ? » Par un jeu de leitmotiv très habile, Tchaïkovski rend perceptible à l’auditeur ce qu’elles ont d’obsédant.

En complète opposition avec la splendeur de la fête qui s’était terminée en apothéose avec l’apparition de l’impératrice Catherine, la fin de l’acte II représente l’intimité de la chambre à coucher de la Comtesse. Le cérémonial de son retour du bal et de sa toilette, entourée de ses servantes qui forment une véritable cour, a quelque chose de pathétique. Les plaintes de la vieille femme que le monde ennuie accentuent cette impression de désolation. Le temps qui fuit, le passé doré irrémédiablement perdu, le poids des ans, tout l’accable et la rend acariâtre.
C’est donc là, dans cette chambre, que va avoir lieu le face à face tant attendu entre Hermann et la Comtesse. Leur grande scène est un moment absolument fascinant. Le rôle de la Dame de Pique offre à de grandes cantatrices en fin de carrière l’occasion de prendre congé de leur public sur un triomphe. Le spectateur partage alors la fascination du jeune officier. Par une mise en abyme, le public plonge son regard sur la cantatrice aimée, dont le passé glorieux symbolise la splendeur perdue de la Comtesse qu’Hermann dévisage.
Tous deux forment un couple fatal en dépit de tout ce qui les oppose. Le sentiment d’Hermann pour Lisa et ce qu’il produit chez elle, cette passion première, cet amour « maladie », ne lui évite pas la fascination exercée par la Comtesse. Bien au contraire, elle la renforce. À plusieurs reprises, le jeune homme attend de Lisa qu’elle lui permette d’échapper à l’attraction que la Comtesse exerce sur lui, mais rien n’y fait : leur destin est lié. Et cela, la Vénus moscovite le sait aussi bien que lui. Dès le début de l’opéra les deux protagonistes s’étaient « reconnus ». Depuis le quintette, il est clair que plus jamais Hermann ne sera libéré de l’influence de cette vieille femme, et qu’elle sait, pour sa part qu’il causera sa perte. Pendant la fête, ils s’étaient croisés, sans se parler.
Hermann attend tout de la Comtesse : qu’elle le révèle à sa passion du jeu alors qu’il reste des nuits à regarder les autres jouer sans pouvoir bouger ; qu’elle lui apporte la fortune, à lui qui est pauvre ; qu’elle lui accorde la main de Lisa alors qu’il a pour rival un prince ; et enfin qu’elle l’aide à lutter contre son désir de mort. C’est ainsi que le plaidoyer du jeune homme à la veille dame aura tout d’une prière d’amour. Il l’implore de lui offrir un secret dont elle n’a plus besoin. La dimension symbolique en paraît évidente : au-delà des trois cartes, Hermann vient chercher une sorte de laissez-passer pour l’amour, un passeport pour la vie et le bonheur. 
La Comtesse, elle, attend d’être délivrée d’une vie qui semble lui peser, dans un monde qui lui fait horreur. Elle se plaint de l’époque présente : si elle vit encore, chante-elle dans son air, ce n’est que pour se remémorer le passé glorieux de sa beauté à la cour de France du temps de sa jeunesse ! En fait, elle a eu la vie dont rêve Hermann. Le jeune officier, quant à lui, dispose de la jeunesse, la force et la passion qu’elle se lamente d’avoir perdues. C’est ainsi qu’assise dans son fauteuil, refusant de dormir dans son lit, elle se berce inlassablement la nuit, en contemplant son portrait, vestige de sa splendeur passée.
C’est précisément sous le regard de la Vénus moscovite que les deux vont se toiser. Ce tableau qui fascine la Comtesse, Hermann le déteste. Faut-il voir dans le fait qu’il ne se rende pas dans la chambre de la femme qu’il aime et qui s’est promise à lui un effet que le portrait produit sur son esprit (une trop grande ressemblance avec Lisa, peut-être) ? À moins qu’il ne s’agisse d’un refus de la sexualité dans un amour trop idéalisé, ou d’un autre aspect de la personnalité schizoïde évoquée précédemment. Quoi qu’il en soit, les attraits des trois cartes seront plus puissants que ceux de la jeune femme, comme si Hermann n’assumait pas la réussite de son entreprise de séduction.
Dans cette scène étonnante il est question de la jeunesse, de la beauté, de la richesse, de l’amour et de la mort. Ce sont les moteurs du monde. Qui peut prétendre ne pas succomber à leur fascination ? Tout fonctionne parfaitement car le spectateur lui-même est entièrement pris dans cet étonnant jeu de miroirs. La composition de Tchaïkovski est particulièrement impressionnante avec une utilisation magistrale des thèmes de chaque personnage. Le dosage est d’une grande subtilité, la musique étant tour à tour grotesque, lyrique, fantastique, laide, sublime, terrifiante ou paisible. Harmoniquement, l’instabilité est totale. Les nuances de dynamiques vont de pianissimo ppppp à fortissimo. Toute cette scène est un nouvel exemple d’inquiétante étrangeté. À ce sujet, Freud dit bien que le malaise est d’autant plus important que l’objet de la fascination est une œuvre d’art nous sensibilisant à l’horrible, au fantastique ou à la superstition dans leurs dimensions les plus archaïques.
Hermann, à bout d’arguments, s’emporte et brandit un pistolet – à la fois menace de mort et symbole sexuel. Que n’a-t-il plutôt succombé à ses désirs sexuels vers la jeunesse de Lisa ? Pourquoi cette fascination s’est-elle imposée à lui avec tant de force ?
Au premier acte, c’était en dirigeant la menace contre lui-même qu’Hermann était parvenu à séduire la jeune femme, cette fois-ci il convoque la mort dans la réalité et brise le miroir aux fantasmes… Sans avoir besoin de tirer !
La Comtesse n’aura pas dit un mot. La simple vue du pistolet lui est fatale : elle meurt de peur. Dans un râle, elle trouve enfin la paix. Lisa accourt. Horrifiée autant par l’attitude d’Hermann qui lui dit : « Je voulais seulement connaître les trois cartes ! » que par la vue du cadavre de sa grand-mère, elle retrouve son sens moral et jette le jeune homme dehors sans ménagement. Hermann perd tout : adieu secret, passion, richesse, amour…
L’acte III va conduire le public à pénétrer dans le vécu effrayant d’Hermann. Le héros ne quittera presque plus la scène jusqu’à la fin de l’opéra. La plongée de l’officier dans un imaginaire hallucinatoire et fantastique des plus destructeurs va être superbement rendu par la musique, le compositeur utilisant tous les moyens à sa disposition. La charge symbolique du secret des trois cartes s’est évanouie et Hermann va se servir du réel pour en alimenter la dimension imaginaire. Isolé, physiquement seul dans sa chambre de la caserne, il entend du dehors une musique religieuse orthodoxe poignante, qui le conduit à se remémorer puis à revivre le service funéraire de la Comtesse. La fascination qu’elle exerce sur lui agit malgré le fait qu’elle soit morte. Le lien si personnel qui les unit l’a conduit à voir un clin d’œil que le cadavre lui aurait fait dans l’église ! Est-il signe d’une connivence plus universelle et qui plus est avec une connotation sexuelle ?
La suite de la scène va mêler des éléments de la réalité extérieure à la rêverie mélancolique d’Hermann. De la coulisse montent les accents du chœur des chantres entrecoupés de sonneries de clairons et de battements de tambours. Le vent souffle, la fenêtre claque puis s’ouvre et la bougie s’éteint. Terrorisé, Hermann veut fuir : cela lui est impossible car une forme humaine lui barre le passage… Le musicien choisit de montrer le délire d’Hermann et de l’illustrer par une musique terrifiante.
Le public partage l’effroi qui saisit le jeune officier lorsque apparaît sur scène le spectre de la Comtesse. L’utilisation des thèmes et de sa science de l’orchestration permet à Tchaïkovski d’écrire une page puissante et subtile qui produit une série d’effets rares à l’opéra, mais qui deviendront habituels dans la musique de films d’horreurs ! Le fantôme de la Comtesse va condenser toutes les obsessions d’Hermann. C’est à contrecœur qu’elle lui livre son secret, et sous conditions : il doit sauver Lisa et l’épouser. Notons que c’est le délire, auquel le spectateur participe, qui permet de lier tous les désirs d’Hermann. En une psychose hallucinatoire de désir, son délire accomplit l’ensemble de ses souhaits : Hermann pourrait être riche, et rien ni personne ne s’opposerait à ce qu’il épouse Lisa et à ce qu’ils soient heureux. Le fait qu’il y croit, comme si c’était la réalité, signe la pathologie délirante. La régression est ce qui permet l’émergence d’une telle psychose et Tchaïkovski l’a magistralement perçu en mettant le héros dans une situation qui la favorise : le jeune homme est totalement isolé physiquement, et d’autant plus vulnérable qu’il entend de l’extérieur des chants, des sonneries et l’orage, trois éléments sonores persécuteurs réveillant des traumatismes anciens. Les chants religieux lui rappellent la cérémonie troublante de l’enterrement de la Comtesse, le clairon le renvoie à la pauvreté de sa condition de militaire, l’orage évoque celui par lequel il avait menacé le bonheur du prince qui contrecarrait ses projets d’union avec Lisa. Hagard, hors de lui, Hermann répète l’ordre des trois cartes gagnantes : « Trois, Sept, As. » Il est terrorisé, mais croit posséder la clef du bonheur…
L’officier ne recouvrera plus la raison. Sa joyeuse exaltation amoureuse en retrouvant Lisa est bien trop inhabituelle pour que nous soyons rassurés comme la jeune femme veut l’être. Son retard au rendez-vous était déjà annonciateur d’un malheur. Lisa qui, dans un air puissant et très spectaculaire, faisait un retour sur elle en se demandant si elle pouvait pardonner au meurtrier de sa grand-mère, veut partir au bout du monde avec celui qu’elle s’est choisi. Hermann, lui aussi, veut partir, mais à la maison de jeu ! L’obsession du gain le reprend et, très fier, il raconte à Lisa, atterrée, comment « la vieille obstinée » lui a livré son secret. La rupture entre les amants est irréversible. En riant, dément, Hermann repousse Lisa et renie son amour : « Qui es-tu ? Je ne te connais pas ! Arrière ! » Les thèmes associés des cartes et de la Comtesse s’imposent triomphants à l’orchestre pendant que Lisa se suicide. La dimension masochiste et mortifère de son amour pour Hermann est poussée jusqu’à son terme. Elle n’a pas pu sauver « l’ange déchu ». L’amour est vaincu et elle préfère mourir. Le magnifique thème de l’introduction de sa scène retentit, assourdissant, aux cors et aux trombones tandis qu’elle se jette à l’eau. Il a la force surhumaine et inexorable d’un destin fatal, signant la responsabilité d’Hermann pour cette deuxième mort.
Dans la salle de jeu, le comportement d’Hermann est toujours aussi inquiétant. Avec la brutalité qui caractérise les passages à l’acte il demande à jouer. Très rapidement, il gagne grâce aux deux premières cartes, le Trois et le Sept. Arrogant, il entonne sa chanson à boire qui n’est pas des plus joyeuses. Sa profession de foi dans le mouvement de la roue de la fortune n’est guère convaincante et trahit rapidement la fascination du jeune homme pour la mort. « Elle est notre unique refuge. » Curieuse façon de trinquer à sa victoire ! Jamais il n’est possible de déterminer dans ses paroles où va sa préférence, vers la mort ou vers la réussite. Il est toujours ambivalent, cherchant autant l’une que l’autre. Ainsi s’exprime plutôt sa recherche de l’échec à tout prix.
C’est le prince Eletski qui acceptera de jouer la troisième partie alors que les autres joueurs refusent, car « il se passe quelque chose de bizarre ». Hermann la perd : à la place de l’As attendu paraît « La Dame de Pique » qui symbolise la mort ! Hermann y voit le spectre de la Comtesse et se suicide. La rapidité avec laquelle il est passé à l’acte prouve sa préméditation, davantage par attirance morbide constitutionnelle que par culpabilité. Enfin, débarrassé de son obsession pour les trois cartes, assumant son choix, il revient en mourant à sa nature d’amoureux. Son amour ne s’accomplit que dans la mort, carte gagnante qui a eu le dernier mot au troisième tour. Hermann ne peut aimer que là. Le chant de sa passion pour Lisa accompagne sa vision paisible de la jeune femme dans le ciel. Ultime délire. L’opéra s’achève pianissimo sur ce thème…
Au terme de son parcours, magistralement illustré par Tchaïkovski, le jeune homme fait penser à ces patients incapables de ressentir durablement la force du désir de vivre qui vont toujours malgré eux vers le morbide, en traînant un poids bien trop lourd pour eux, un poids qu’un jour ils préfèrent déposer, n’en pouvant plus. De plus, le compositeur n’a pas manqué, en articulant les thèmes propres à chaque personnage, de montrer comment le destin s’exprimait nécessairement dans les liens qui se nouaient entre eux. Ainsi, Tomski a tiré la carte, la Comtesse a préféré passer son tour, Lisa a misé et perdu, tandis qu’Hermann a triché pour ne pas gagner. Quatre étranges joueurs aux désirs tortueux et intimement mêlés, trois cadavres pour une partie bien sinistre !

Hubert Stoecklin : La Folie à l’Opéra

Le Bolchoï et sa Dame de Pique à Toulouse

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 15 Mars 2019. P.I. TCHAIKOVSKI. La dame de Pique (version de concert). Dolgov. Golovatenko. Manistina. Nechaeva. Kalueva. Orchestre et Choeur du Théâtre du Bolchoï. T. SOKHIEV, Direction.

Une Dame de Pique Historique par le Bolchoï à Toulouse !


Et si la version de concert dans ces conditions exceptionnelles étaient la perfection pour les opéras ? C’est un peu ce qui me parait ce soir en écoutant et en vivant cette Dame de Pique dont la richesse symphonique est desservie dans une fosse.

Tugan Sokhiev avait dirigé la Dame de Pique au Capitole en février 2008, avec un immense succès personnel pour sa parfaite compréhension de toutes les facettes de cet opéra complexe. la mise en scène fait semblé plus discutable à certains. Ce soir avec ses forces du Bolchoï il va encore plus loin et nous entraine encore plus avant dans la compréhension de cet opéra magnifique. L’orchestre du Bolchoï est incroyablement coloré, puissant et compact.

Les solistes n’ont peut être pas tous la délicatesse de ceux du Capitole, mais quelle puissance expressive est la leur ! Plus puissant et parfois plus sauvages, les musiciens moscovites sont pris par le feu absolu qui émane de la direction de Tugan Sokhiev. Le chœur qui nous avait enchanté la veille est ce soir encore plus nombreux ( presque le double) et sans partitions. Il s’amuse et il est facile de deviner que sur scènes ils ont mainte fois joué ces personnages du choeur. Car dès la première scène les groupes sont multiples, et les dames chantent le chœur d’enfants avec des voix plus blanches et une légèreté étonnante quand ont connait leur puissance. En ce qui concerne les chœurs deux moments opposés montrent sa qualité et sa ductilité en même temps que le génie dans la direction de Tugan Sokhiev. Le final du premier tableau de l’acte 2 avec l’arrivée de la tsarine et si imposant et noble que la présence de la Grande Catherine semble vraie. Tant d’ampleur, de puissance et de largeur s’oppose en tout au dernier choeur d’hommes de l’opéra dans la compassion pour Hermann mourant. Cette émotion de sons piano si riches harmoniquement, si timbrés et à la limite de la fragilité des voix fait un effet émotionnel puissant en négatif de la puissance sonore précédente. Entre ces deux niveaux extrêmes toute les palettes musicales et émotionnelles contenues dans la partition enveloppent le public, le fait évoluer et changer. La direction inspirée de Tugan Sokhiev, qui dirige en chantant tout par cœur, se donne totalement à la géniale musique de Tchaikovski, la servant avec passion.

La distribution est sans faux pas, excellente pour des raison différentes. La Liza d’Anna Nechaeva est fleuve vocal. Puissance, homogénéité de timbre, souffle large et timbre émouvant. Son médium charnu et son grave sonore sont parfaits et les aigus lumineux. En Pauline Elena Novak offre une générosité vocale et musicale qui donne envie de l’entendre dans biens d’autres rôles. Le Prince Yeletski d’Igor Golovatenko a toute la noblesse et l’émotion dans sa voix qui rendent ces interventions inoubliables, du lyrisme de son air à la puissance de la scène finale. Nikolay Kazanskiy en Tomski a une voix agréable et un chant plein d’empathie. La Comtesse d’Anna Nechaeva dans un timbre d’une belle plénitude et une noblesse naturelle chante à la perfection une partie complexe que souvent des divas sur le retour ne phrasent pas aussi délicatement. C’est un vrai régal et son extraordinaire tempérament dramatique donne toute la puissance à son personnage qui redevient central. En Hermann le ténor Oleg Delgov renoue avec les attentes de Tchaikovski qui voulait pour son héros une voix lyrique plus que dramatique. En effet la fausse tradition de donner ce rôle à une énorme voix ne tient pas compte de l’italianité que Tchaikovski attendait de son ténor ni et c’est plus gênant de la fragilité mentale extrême du personnage. L’intelligence d’Oleg Delgov force l’admiration tant il fait comprendre la complexité de son personnage. Il a semblé plus dépendant de la partition quand tous ses collègues savaient leur rôle par coeur, mais son Hermann restera dans les mémoires. Le final en particulier a été bouleversant. Il faut préciser que Tugan Sokhiev a terminé épuisé ayant donné au final une dimension métaphysique bouleversante rendant lumineux le rapport au destin et à l’inévitable de la mort pour chacun. Je n’ai jamais entendu ni en disque ni sur scène un dernier tableau si élevé en terme de philosophie en musique et de spiritualité. L’émotion qui a gagné la salle a été si intense que la dernier geste du chef a maintenu un très long silence recueilli avant que les applaudissements et le cris enthousiastes ne remplissent la Halle-Aux-Grains. Enorme succès que nous devons aux Grands Interprètes partenaires de cette remarquable première Musicale Franco-Russe pour ce concert idéal. Tugan Sokhiev comprend et vit cette partition comme personne. Les forces moscovites survoltées, une distribution entièrement russe, un public subjugué, tout a concouru à faire de cette soirée un voyage inoubliable en terre de l’âme russe, du rapport au destin et de ses effets tragiques.


Hubert Stoecklin


Compte rendu Opéra. Toulouse, Halle-aux-Grains le 14 mars 2019. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : La Dame de Pique, Opéra en trois actes et sept tableaux, version de concert. Avec : Oleg Dolgov, Hermann ; Nikolay Kazanskiy, Tomski ; Igor Golovatenko, Prince Yeletski ; Ilya Selivanov, Tchekalinski ; Denis Makarov, Sourine ; Ivan Maximeyko, Tchaplitski / Le maître des cérémonies ; Aleksander Borodin, Narumov ; Elena Manistina, La Comtesse ; Anna Nechaeva, Liza ; Agunda Kulaeva, Pauline ; Elena Novak, La gouvernante ; Guzel Sharipova, Prilepa / Macha ; Orchestre et Choeur du Théâtre du Bolchoï de Russie , chef de choeur Valery Borisov ; Tugan Sokhiev, direction .

Ariane à Naxos somptueuse

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 1er Mars 2019. R.STRAUSS: Ariane à Naxos ( nouvelle production). Fau, Belugou, Fabing, Hunhold, Savage, Morel, Sutphen. Orch National du Capitole. E.ROGISTER, Direction.


Production géniale de L’ Ariane à Naxos de Strauss/Hofmansthal à Toulouse.

Donner l’opéra le plus élégant de Richard Strauss et Hugo von Haufmannstahl, le plus exigeant au niveau théâtral avec des voix hors normes, toutes surexposées, est une véritable gageure que Christophe Ghristi, nouveau directeur de l’auguste maison toulousaine, relève avec brio. Il a trouvé en Michel Fau l’homme de théâtre respectueux de la musique, capable de donner vie à Ariane à Naxos en un équilibre parfait entre théâtre et musique, entre le prologue et l’opéra lui-même.

J’ai toujours jusqu’à présent trouvé que la partie musicale dépassait le théâtre et que des deux parties l’une dominait l’autre. Au disque la musique sublime de bout en bout de l’opéra s’ écoute en boucle et sans limites, à la recherche de timbres rares et de vocalités exactes. A la scène souvent le prologue est trop ceci ou pas assez cela et en fait ne convainc pas et trop souvent et comme l’opéra peut s’enliser. Pourtant je parle de productions au Festival d’ Aix ( Avec l’Ariane de Jessye Normann) ou Paris (Avec la Zerbinetta de Natalie Dessay)… Je dois dire que ce soir le travail extraordinairement intelligent et délicat de Michel Fau mériterait une analyse de chaque minute.

L’humour est d’une subtilité rare et sur plusieurs plans. La beauté des costumes ( David Belugou) et des maquillages ( Pascale Fau) ajoutent une élégance rare à chaque personnage quelque soit son physique. C’est également David Belugou qui a réalisé deux décors intelligents et qui éclairés avec subtilité par Joël Fabing semblent bien plus complexes et profonds qu’ils ne sont. Il est rarissime de trouver à l’opéra travail théâtral si soigné dans un respecte absolu de la musique. Dans la fosse les instrumentistes de l’orchestre du Capitole choisis pour leur excellence jouent comme des dieux sous la baguette inventive et vivante d‘Evan Rogister. Il aborde par exemple le prologue de l’opéra avec une allure presque expressionniste et sèche avant de colorer toute la subtile orchestration de Strauss avec le poids exact. N’oublions pas que les 38 instrumentistes demandés par Strauss sont évidement de parfaites solistes ou chambrites mais ensemble ils sonnent comme un orchestre symphonique complet dans le final. Que dire des chanteurs à présent ?

Ayant chacun les notes incroyables exigées et des timbres intéressants, dans un tel contexte, ils n’ont qu’à chanter de leur mieux pour devenir divins dans un environnement si favorable. Jusqu’aux plus petites interventions chacun est merveilleux. L’Ariane de Catherine Hunold est sculpturale, sa prima Donna caricaturale. En Bachus, le ténor Issachah Savage, est éblouissant de panache vocal avec une quinte aiguë et une longueur de souffle qui tiennent du surnaturel, dans le prologue sa brutalité pleine de morgue un est vrai régal de suffisance pardonnée après le final. Car la puissance du duo final est historique, une telle plénitude sonore dépasse l’entendement. La Zerbinetta d‘ Elisabeth Sutphen mérite des éloges pour un équilibre théâtre-chant de haut vol, alors qu’il s’agit d’une prise de rôle. Elle passe du moqueur au profond en un clin d’ oeuil, virtuose ou languide, elle peut tout. Le trio de voix, rondes et nuancées, qui tiennent compagnie à Ariane sur son rocher sont d’une qualité inoubliable que ce soit Caroline Jestaedt, en Naïade, Sarah Laulan en Dryade ou Carolina Ullrich en Echo. Les quatre messieurs qui accompagnent Zerbinetta ne sont pas en reste au niveau vocal mais jouent également avec beaucoup de vivacité et d’énergie (Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche ; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella). Philippe-Nicolas Martin , en Arlequin ajoutant une belle touche de vraie-fausse mélancolie dans son lied. Le compositeur d’Anaïk Morel est très sympathique c’est vraiment Strauss lui même qui se questionne sur la folie d’oser composer des opéras dans un monde si absurde. La réponse est OUI : la beauté, l’intelligence et la finesse sont le remède à l’absurdité et la bêtise du monde.

Aujourd’hui à Toulouse le flambeau a été rallumé avec panache. Oui en une soirée la beauté peut ragaillardir tout un théâtre et le succès public a été retentissant. Les mines réjouies en quittant la salle du Capitole en disent long sur la nécessité de croire, et ce soir de l’avoir vue réalisée, en cette alchimie subtile qui se nomme opéra. Merci à tous et bravo à cette production qui aborde le rivage de la perfection ! Il teste encore deux représentations à ne pas manquer du chef d’oeuvre de Richard Strauss parfaitement représenté à Toulouse .
Hubert Stoecklin


COMPTE-RENDU, opéra. Toulouse, Capitole, le 1er Mars 2019. RICHARD STRAUSS (1864-1949) : ARIANE à NAXOS, Opera en un acte et un prologue, Livret de Hugo von Hofmannsthal, Création le 4 octobre 1916 au Hofoper de Vienne, Nouvelle production du Théâtre du Capitole/Opéra Orchestre national de Montpellier – Occitanie. Michel Fau, mise en scène ; David Belugou, décors et costumes ; Joël Fabing, lumières ; Pascale Fau , maquillages. Avec : Catherine Hunold, Primadonna / Ariane ; Issachah Savage, Ténor / Bacchus ; Anaïk Morel, Le Compositeur ; Elisabeth Sutphen, Zerbinetta ; Philippe-Nicolas Martin , Arlequin ; Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella ; Caroline Jestaedt, Naïade ; Sarah Laulan, Dryade ; Carolina Ullrich, Echo; Florian Carove, Le Majordome ; Werner Van Mechelen, Le Maître de musique ; Manuel Nuñez Camelino, Le Maître à danser; Alexandre Dalezan, Le Perruquier ; Laurent Labarbe, Un Laquais ; Alfredo Poesina, L’Officier ; Orchestre national du Capitole ; Evan Rogister : direction musicale.

REQUIEM : The Pity of war par Ian Bostridge et Antonio Pappano chez Warner Classics

Compte rendu CD. Requiem The Pity of war. Mélodies de George Butterwort (1885-1916) ; Rudi Stephan (1887-1915) ; Kurt Weil (1900-1950) ; Gustav Mahler ( 1860-1911) ; IAN BOSTRIDGE, ténor; ANTONIO PAPPANO, piano. 1 CD Warner Classics 1 9029566156 4. Stéréo DDD. Durée : 58’24’’. Enregistré du 25 au 28/2/2018, Church of St.John-on-the- hill, Hamstead Garden Suburb, London.

Chacun le sait, les commémorations du centenaire de l’Armistice de 14-18 n’ont pas été à la hauteur de la condamnation franche et sans appel des horreurs de la guerre due à l’humanité bafouée.
Deux artistes me semblent avec leurs armes aller vers cette condamnation sans appel attendue. En écoutant ce CD, dont l’intelligence du titre m’a interpellé, j’ai été pris par une forte émotion et l’impression qu’enfin ce qu’il faut percevoir des effets dévastateurs de la guerre peuvent être ressentis par des femmes et des hommes qui ont la chance de ne pas avoir connu directement de telles abominations.

Les deux artistes sont de fins musiciens et des grands virtuoses. La voix de Ian Bostridge reste lumineuse et haute, capable à présent de graves soutenus. Son art du dire reste un exemple indépassable et son art du chant tient du sublime, avec des nuances et des couleurs incroyablement variées. Le piano d’Antonio Pappano est orchestral, riche et mouvant, plein de vie. L’entente entre les deux artistes est parfaite. Le court texte qui accompagne l’enregistrement est de Ian Bostridge, sans lourdeur et avec précision il situe poètes et musiciens choisis dans leur rapport à la guerre.

La construction du programme et d’une force sidérante. Les 6 mélodies de George Butterwort en apparence simples ont une richesse harmonique préparant la modernité tout en respectant des mélodies très pures. Les thèmes de nature et de rapport au temps et à la mort, préparent notre réflexion et aiguisent nos émotions.
Puis en complète opposition les 6 mélodies de Rudi Stephan sur des textes subtilement érotiques de la poétesse Gerda von Robertus donnent la parole à Eros, seul capable de lutter contre Thanatos.
Ensuite des mélodies de Kurt Weill attaquent au coeur et touchent l’âme en ménageant mélodie et harmonie dans le chant et offrant la fureur du piano qui gronde, pleure, crie. La puissance des textes de Walt Whitman est inouïe en sa simplicité. Les deux artistes, d’un seul mouvement artistique et théâtral fondu, nous confrontent à la force de la mort, sa bêtise et son obscénité, surtout lorsqu’elle est organisée par les humains pour leurs semblables. Difficile de rester de marbre devant les effets de la mort pour les survivants, comme de ne pas partager l’immense pitié pour les mourants conscients du gâchis de leur vie. La mort du Capitaine, celle du père et du fils ou du fils unique puis de la mère. Voilà qui touche au coeur de notre humanité et pose la seule question. Qu’est-ce qui peut pousser des Hommes à accepter cela ?
Les trois mélodies de Mahler sont plus connues extraites des Knaben Wuderhorn. Elles enfoncent le clou. L’interprétation de Ian Bostridge et Antonio Pappano est sensationnelle de puissance et de fragilité mêlées. La voix peut aller jusqu’au cri, le piano peut tempêter. Mais les pleurs se trouvent dans la voix comme le piano et la dérision mahlerienne sourde à chaque instant comme rarement. Le texte mieux que ciselé par le ténor, est comme aiguisé pour mieux blesser.

Voici un magnifique enregistrement, plein de beauté et d’intelligence, de musique et de théâtre.

La prise de son au plus près des inflexions du chanteur et de la profondeur du piano fait merveille. Le livret bien construit offre une traduction intelligente des poèmes anglais et allemands en français. Un très beau travail éditorial rend ainsi justice à la qualité artistique et philosophique du propos.

Un Requiem pour la pitié de la guerre… si seulement Mars pouvait être enterré un jour pour de bon …..

Hubert Stoecklin

CELIBIDACHE : The Munich Years chez Warner Classics

Compte-rendu Coffret de CD. Sergiu CELIBIDACHE (1912-1996) : The Munich Years. Enregistrements Live de 1979 à 1996 sauf CD 49 de 1948.Enregistrements Stéréo sauf CD 49. Coffret Warner Classics 019029558154.Compilation de 2018. Münchner Philharmoniker, solistes nombreux; Sergiu Celibidache, direction.

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CELIBIDACHE le musicien philosophe irremplaçable !

Ce coffret est un véritable événement pour plusieurs raisons.

Le chef roumain Sergiu Celibidache est rarissime au disque. De son fait principalement car il a toujours refusé d’enregistrer alors que les majors vivaient leur époque la plus florissante. En effet seule la musique en concert l’intéressait. Pour lui la musique n’existait que dans l’instant de sa création, en fonction du lieu, des musiciens et du public présent. Heureusement après une période nomade des plus riches mais sans témoignages enregistrés officiellement, en dehors des concerts radiodiffusés, il a su s’attacher à l’orchestre Philharmonique de Munich : le Münchner Philharmoniker. En collaboration avec la Radio bavaroise tous les concerts , ou presque, ont été enregistrés de 1979 à 1996. Sage philosophe pratiquant le Zen, le respect était au centre de l’éthique du chef. Ainsi durant les 17 ans de leur collaboration l’humanité de leurs échanges et la rigueur du travail toujours approfondi et les longes répétitions partagées ont offert au public munichois des concerts inoubliables. Le legg a été validé par les héritiers et ce coffret très soigneusement organisé et présenté avec soin est ainsi offert à la postérité.

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Au travers du parcours d’écoute de ce fascinant coffret, au delà de la caricature des tempi lents, une sorte d’évidence s’impose. Il y a quelque chose d’organique, voir d’océanique dans la direction de Celibidache. Très régulièrement des vagues se lèvent du fond de l’orchestre et toujours respirent amplement. La relative lenteur permet une écoute comme libérée d’une urgence hystérique qu’une certaine tradition héritée de Karajan a valorisé. Ici c’est la direction de la musique, le parcours qu’elle prend, l’endroit ou elle va, qui guident notre oreille, avec des phrasés amples et généreux et ainsi nait une écoute renouvelée. Mais l’humour n’est pas absent, ainsi l’ouverture de la Chauve Souris pour nous en persuader, avec son basson goguenard… et son rubato…

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Une autre constance est la perfection des sonorités et des nuances qu’il obtient de son orchestre. Le Münchner Philharmoniker était déjà merveilleux lorsqu’il en a pris la tête mais qui il ne va cesser de progresser au point de devenir l’un des tous meilleurs du monde. Mais sans cette sorte de couleur ripolinée des grands orchestres enregistrés, ou ces nuances gonflées par les techniciens. Tous les concerts enregistrés ici sont fascinants, parfois inoubliables, nous en détaillerons certains. Le naturel qui diffuse à l’écoute est très particulier. La respiration de la direction rencontre l’air libre de la prise de son. Le répertoire est centré par la musique symphonique germanique, car c’est l’ ici et maintenant du chef munichois. Tout Bruckner mais également tous les extraits symphoniques de Wagner avec un sens du phrasé, des nuances et des silences absolument prodigieux. De son passage à l’Orchestre National de France il reste Ravel, Debussy, Roussel et Milhaud dans des interprétations incroyablement belles. Les compositeurs Russes sont aussi explorés avec bonheur. Ainsi Tchaïkovski avec émotion, fermeté et sans pathos excessif, Chostakovitch moderne et hyper coloré. Mais le cœur du corpus est donc germanique avec une admiration au père fondateur Beethoven. Ce sont les symphonies de Bruckner qui sont la spécialité de Celibidache là ou sa musicalité et sa philosophie se rencontrent au point d’offrir des interprétations quasi hypnotiques. Emi avait déjà diffusé certaines symphonies. Elle sont toutes dans ce coffret sauf les deux premières. Avec la 3 ème Messe de Bruckner et son Te Deum nous tenons là, la première raison qui fait de ce coffret un absolu. Impossible de ne pas écouter ces concerts historiques avec reconnaissance. Mais d’autres moments inoubliables nous attendent.

Les classiques Mozart et Haydn sont interprétés avec un grand sérieux et une pondération mettant particulièrement en lumière la perfection formelle. Beethoven est magnifié rythmiquement et nuancé avec art. Nous préférons les 3,5,6 et 9. Les trois Symphonies de Schumann sont admirables. Brahms avec majesté et une splendeur formelle est phrasé avec magnificence. Schubert est aussi splendidement romantique. Le Scheherazade de Rimsky-Korsakov donne toute ses lettres de noblesses et un final cosmique inouï à une partition trop souvent galvaudée dans ses effets faciles. Le répertoire choral est abordé avec respect et majesté. Si la Messe en si de Bach est discutable son credo nous entraine entre terre et cosmos et il ne peut laisser indifférent. Le Requiem de Verdi est fascinant par certains partis pris, le Requiem de Mozart surnaturel, avec des découvertes dans l’orchestration tout à fait prodigieuses, mais c’est le Requiem de Brahms qui atteint des sommets avec une Margaret Price idéale. Le Requiem de Fauré convainc par une inhabituelle grandeur et aucune autre soprano que Margaret Price ne pouvait habiter jusqu’au fond les immenses phrases du tempo large du Pie Jesu. Son souffle immense, la richesse de son timbre et les nuances incroyables font de ce moment soliste du Requiem de Faure un des moments de grâce absolue de la musique. Il n’est pas possible de détailler d’avantage un tel coffret, je pense que les amateurs de musique seront sensibles à cette vision si noble du chef Roumain, qui au delà des modes a su diffuser sa pensée musicale à des sommets géniaux qui sont très nombreux dans ce magnifique coffret.

La prise de son est très naturelle, une très belle stéréo aérée. Le public, un peu enrhumé parfois, est très chaleureux dans les applaudissements laissés comme pour rappeler que ce sont avant tout des concerts et non des enregistrements. Celi,c’est le surnom donné au chef par certains musiciens et ses intimes, reste présent avec sa spiritualité profonde pour l’éternité grâce à ce coffret dont la dimension historique est incontestable et fascinante.
Enfin un large public pourra apprécier tout ce que ce chef si singulier a apporté à la musique en concert.

Sergiu


Hubert Stoecklin

Tugan Sokhiev Fan de Star Wars quel voyage !

STAR WARS à Toulouse grace à TUGAN SOKHIEV

Star Wars à la Halle aux Grains et Tugan Sokhiev nous fait décoller avec ses musiciens

écrit par Hubert Stoecklin

Compte-rendu concert.Toulouse. La Halle-aux-Grains,les 19 et 20 décembre 2018. John Williams (né en 1932) et Michael Giacchino (né en 1967): STAR WARS musique de la Saga de Georges Lucas. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.

Avec Tugan Sokhiev le public décolle dans l’univers de Star Wars

Deux concerts événements à Toulouse probablement uniques en France car entièrement consacré à la musique de Star Wars. John Williams est un immense compositeur dont la science et le génie dépassent la seule musique de film. La qualité des partitions écrites pour Star Wars lui a valu l’admiration du monde entier  et une célébrité intergalactique.

Onct Star Wars

Le jeune Michael Giacchino a emboité les pas de son ainé avec admiration et respect de son style mais pas avec le même génie mélodique ou rythmique dans Rogue One. Les concerts  ont donc été entièrement consacrés à la musique de Star Wars en passant par tous les opus ou presque. Il manquait en tout cas le 3 qui réclame très souvent des chœurs. Et ce sera ma demande devant le succès inouï et l’excellence du résultat. Que le prochain concert SW soit bientôt fait avec le chœur du Capitole. Car les partitions de John Williams avec  chœur, très spectaculaires dans l’épisode 3,  sont toutes également très belles. Le succès a été gigantesque, 2 concerts hors abonnement  à guichets fermés, dans la salle des générations mêlées, des petits enfant aux grands parents quatre générations de fans de Star Wars se sont régalés. Le public de la Halle-aux-grains a été rajeuni de 40 ans avec un grand nombre d’enfants tous attentifs parfois bouche bée. Et oui ce public nouveau pour l’orchestre est son avenir. Il ne sera pas possible à ce nouveau public d’oublier l’excellence de l’orchestre du Capitole et la passion avec laquelle ils l’ont jouée sous la direction miraculeuse de Tugan Sokhiev. La musique de John Williams encore plus émouvante et plus belle que dans les enregistrements enregistrés sous la baguette du compositeur.

John Williams

Pour en savoir d’avantage sur ces deux concerts l’émission d’Eric Duprix à la minute 27’20 » de son émission Mélomanie op.57 reviens sur eux, et j’y étais !<figure><iframe src= »https://www.radiopresence.com/embed-article49667.html » width= »100% » height= »330″></iframe></figure>

Radio Presence

Enfin pour en savoir plus sur la richesse du mythe et les personnages voici le lien vers le livre que j’ai co-écrit sur la Saga de Georges Lucas . Star Wars au risque de la psychanalyse: Dark Vador un adolescent mélancolique.

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Bonnes fêtes ! Que la force soit avec  chacun !

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Klaus Mäkelä à Toulouse

COMPTE RENDU, concert. TOULOUSE, le 8 déc 2018. Lopez. Korngold. Stravinski. Akiko Suwanai. Orch Nat du Capitole / K Mäkelä.

makela klaus maestro classiquenews concert review

COMPTE RENDU, concert. TOULOUSE, le 8 déc 2018. Lopez. Korngold. Stravinski. Akiko Suwanai. Orch Nat du Capitole / K Mäkelä. Parmi les chefs invités par l’Orchestre du Capitole, il y en a de toutes sortes. Ce n’est pas fréquent qu’un chef aussi jeune, 23 ans , fasse une impression aussi consensuelle et évidente sur d’autres qualités que la jeunesse. Le très jeune chef finlandais Klaus Mäkelä est déjà un très grand chef. Il est nommé à Oslo l’année prochaine, hélas pour le reste du monde car il sera très pris et a dû renoncer à des engagements (dont deux concerts à Toulouse prévus la saison  prochaine). Les génies de la baguette sont rares et les plus audacieux ont su se l’attacher. Qu’apporte ce chef de si génial ? Une autorité bienveillante et naturelle, des gestes très clairs et dont la souplesse révèle une belle musicalité. Cet artiste est également un violoncelliste de grand talent ! La précision de la mise en place, la clarté des plans sont sidérantes.

Klaus Mäkelä, jeune maestro superlatif
Le génie n’attend pas le nombre des années

Il encourage l’orchestre et ne le bride pas. Il faut dire que l’Orchestre du Capitole atteint un niveau d’excellence qui permet à un chef musicien d’atteindre de suite des sommets.

La première pièce du concert est une nouveauté pour le public comme pour l’orchestre, une pièce en forme de poème symphonique de Jimmy Lopez. La difficulté est comme un jeu entre le chef et l’orchestre qui dans une véritable flamboyance de chaque instant nous régale. Pourtant le propos du compositeur est polémique car il parle de l’esclavage qui a conduit les victimes à inventer des instruments et un style musical avec les moyens du bord. L’homme est incroyablement créatif dans l’adversité et la souffrance. Ainsi en fine suggestion plusieurs  instruments à percussion ont intégré ceux d’un grand orchestre symphonique gagnant ainsi leurs titres de noblesse. La mâchoire d’âne étant la plus singulière et la plus emblématique de ce génie humain dans le malheur. Magnifique œuvre mettant donc en valeur tous les pupitres de l’orchestre et la technique impeccable des musiciens et du chef. Les rythmes populaires intégrés permettant rubato et swing à l’envie.

suwanai akiko concert critique classiquenews 2018 2012

Soliste invitée,  la violoniste Akiko Suwanai, toute d’élégance féminine bleutée en une robe de ciel étoilé,  a auréolé la salle de son charme. Le violon dont elle joue a appartenu à un prince, un poète du violon, Jascha Heifetz. Elle retrouve les qualités esthétiques faites de pureté de son, de grain noble du timbre et d’un exquis moelleux des lignes,  comme  le maestro et ce fameux  « Dolphin » de 1714. L’interprétation du Concerto pour violon de Korngold est lumineuse, planante et délicatement phrasée. Tout coule et rien ne fait aspérité. Peut être un léger manque de contraste et d’émotion peuvent diminuer l’intense plaisir hédoniste que le jeu de la violoniste offre au public. En bis, la violoniste offre avec une déconcertante facilité, le final de la Sonate pour violon seul d’Ysaÿ  mêlant Bach et le Dies Irae.

Après l’entracte, le chef dirige avec un réel plaisir communicatif la pièce de Stravinski qu’il préfère, Petrouchka. Il faut reconnaître que son interprétation est marquée par une confiance absolue et une solidité remarquable. Rien ne vient ternir une énergie invincible. L’orchestre du Capitole répond comme un seul à cette direction précise et le résultat est particulièrement lumineux et même éclatant. Chaque instrumentiste est parfait. Il manque juste un peu de farce et d’humour à ce ballet facétieux et même mélancolique en second degré. Pour l’heure, le chef finlandais est tout à son admiration pour cette partition exubérante, haute en couleurs, et pour les qualités de l’orchestre du Capitole très à l’aise dans ce répertoire.
Avec le temps viendront le sens du théâtre et le burlesque que Stravinski a mis dans sa partition qui à l’origine est un ballet.

Un très beau concert qui révèle les qualités d’un véritable génie de la baguette et la confirmation de l’exceptionnelle virtuosité de la violoniste nippone. De son côté, notre Orchestre du Capitole poursuit son excellence comme partenaire idéal des plus grands musiciens.

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Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 8 décembre 2018. Jimmy Lopez (né en 1978) : Peru Negro pour orchestre ; Erich Wolfgang Korngold ( 1897-1957) : concerto pour violon et orchestre en ré majeur op.45 ; Igor Stravinski (1882-1971) : Petrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux ( version de 1947) ; Akiko Suwanai, violon ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Klaus Mäkelä, direction. Illustrations : DR, © Mäkelä by Heikki Tuuli

VISITEZ aussi le site officiel de KLAUS MAKELA :
https://www.klausmakela.com

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Le jeune maestro travaille avec le Turku Music Festival, le Tapiola Sinfonietta. Il est chef principal invité du Swedish Radio Symphony Orchestra, et deviendra à partir de la saison 2020 / 2021 (dès septembre 2020) : directeur musical du Philharmonique d’Oslo / Chief Conductor & Artistic Advisor: Oslo Philharmonic Orchestra – une personnalité désormais à suivre, héritier d’une déjà riche tradition de chef finnois. En particulier dans le cycle des symphonies de son compatriote Sibelius, immense génie symphoniste encore trop peu joué…

Posté sur Classiquenews.com par Hubert Stoecklin

Bach 4, 3, 2 Claviers Chez Erato par David Frey and friends

Le CD du Bonheur : Bach et ses concerti pour 4,3 et 2 claviers

écrit par Hubert Stoecklin 27 novembre 2018 10:38

Le dernier CD de David Fray est peut être son meilleur et certainement mon préféré !

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour quatre pianos en la mineur BWV1065 ; Concerto pour trois pianos en ré mineur BWV 1063 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur BWV 1062 ; Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV 1061 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur BBV 1060 ; David Fray, Jacques Rouvier (BWV 1065,1063,1061) ; Emmanuel Christien (BWV 1065,1063,1060) ; Audray Vigouroux (BWV 1065,1062) : piano ; Cordes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, direction.

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Enregistré durant l’été 2018 ce CD garde de cette saison la chaleur et la lumière. La beauté de la Chapelle des Carmélites aux plafonds peints resplendissants ont inspiré certainement nos artistes durant l’enregistrement. Car l’Italie est présente dans ce premier concerto pour quatre claviers adapté par Bach avec un génie merveilleux d’un concerto de Vivaldi pour quatre violons. Les pianos sonnent avec énergie, alacrité et un esprit de danse communicatif. La souplesse des cordes, leur allant et leur précision font merveille. C’est l’énergie de David Fray qui a fédéré ce projet de l’amitié et de la filiation. Nous savons l’admiration réciproque entre le maitre et l’élève. David Fray a gravé avec Jacques Rouvier un très bel enregistrement de la fantaisie de Schubert à quatre mains avec son maitre et professeur d’autrefois. Il avance plus loin dans son hommage à son maitre et à ce temps d’apprentissage si fécond au Conservatoire en invitant deux collègues et amis : Audray Vigouroux et Emmanuel Christien.

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Certes chaque artiste a son jeu, ses qualités intrinsèques et sa personnalité artistique mais un petit quelque chose fait lien entre eux. Oui la fine musicalité de Jacques Rouvier, une certaine tenue et une agréable élégance dans leurs jeux ainsi qu’un certain rapport plein de respect à leur instrument sont perceptibles. Il se partagent ensuite les autres concertos à 3 ou 2 pianos avec la même joie communicative et un toucher franc, clair et souple, des nuances délicates et des phrasés dansants. Les cordes de l’Orchestre du Capitole avec Daniel Rossignol en premier violon sont de parfaits chambristes. Précision et élégance sont au rendez vous. Ces œuvres sont jubilatoires et les mouvements lents sont des moments de suspension d’une plénitude réconfortante.

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Ces mêmes concertos ont été donnés en concert à la Halle-aux-Grains le 23 novembre 2018. Le succès remporté est grand et le même sentiment de bonheur se diffuse à la salle entière. Et quel spectacle que ces superbes Steinway en scène !

Les pianistes sont pleins de charme. Le jeu noble de Jacques Rouvier atteint une belle plénitude. Encore plus élégante de geste et ronde de son, Audray Vigouroux est une merveilleuse musicienne. Emmanuel Christien semble déguster particulièrement les échanges chambristes et bien évidemment le jeu de David Fray est brillant et emporte l’adhésion. Ses gestes de direction sont rares, il joue dans tous les concertos, ce sont plus des relances qu’une véritable direction car il est évident que les cordes et les pianistes savent prendre une direction commune, celle de la musique souple et dansée au soleil de la joie.

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Ce concert donné le 23 novembre au profit de la recherche pour le cancer en partenariat avec les Rotary Clubs de Midi-Pyrénées a été un moment de partage et de joie dans un monde inquiet. Mais les espoirs dans la recherche sont associés pleinement à cette joie musicale. Les deux se construisant sur l’excellence et un travail acharné.

Ce CD mérite une large diffusion pour tout le bien que son écoute procure.

Hubert Stoecklin


1 CD ERATO WARNER CLASSICS 0190295632281. TT : 69.10. Enregistré du 3 au 7 Juillet 2018. Chapelles des Carmélites, Toulouse, France.

Lien vers le making of 

et le dernier mvt du BWV 1065 à 4 Claviers !

Haendel par la grâce de trois superbes musiciennes

Compte-rendu CD. Georg Frederic Haendel (1685-1759) : Cantates Italienne. Aminta e Fillide ; Armida Abbandonata ; La Lucrezia. Sabine Devieilhe, soprano ; Lea Desandre, mezzo-soprano. Le Concert d’Astrée. Direction, Emmanuelle Haïm. 2 CD Erato 019029633622. Durées CD 1 : 53’25 »; CD2 : 42’45’. Enregistrés en 2018.

Trois grâces au service du jeune génie de Haendel.

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Emmanuelle Haïm aime Haendel et sa carrière de chef d’orchestre a pu compter sur le génie de Haendel dés le début. Il y a tout un pan du répertoire du jeune Haendel lorsqu’il a vécu en Italie qui est peu enregistré et qu’Emmanuelle Haïm aime à faire découvrir avec de grand talents vocaux. Ainsi nous avions particulièrement aimé son premier enregistrement des duos d’Arcadie paru en 2002 avec entre autres Dessay, Gens, Petibon, Mingardo et Agnew.

Arcadian Duets

Puis l’extraordinaire  » Délirio Amoroso » en 2005 avec Natalie Dessay.

Delirio

Le double CD enregistré par Erato explore à nouveau ce superbe répertoire et il nous offrent trois cantates avec Sabine Devieilhe et Lea Desandre. L’orchestre ne comprend que des cordes mais l’inventivité du jeune Haendel est telle qu’il ne semble rien manquer au charmes qu’il déploie et qui annoncent les superbes opéras de sa maturité. Avec une voix claire, virtuose et une musicalité faite drame Sabine Devieilhe fait merveille dans la cantate Armida abbandonata. Lea Desandre à la voix plus ambrée a les mêmes qualités dramatiques et renouvelle avec une fragilité attendrissante les fureurs de La Lurezia qu’une Janette Baker a immortalisé en son temps. Les deux cantatrices arrivent dans une cantate de dimension plus audacieuse, Aminta et Fillide, à caractériser chacune leur personnage d’amoureux qui éperdue qui cruelle. Le duo final qui les rassemble est un morceau de bravoure des plus captivants. L’enthousiasme de ce disque doit beaucoup à la direction pleine de vie et d’énergie d’Emmanuelle Haïm. Son Concert d’Astrée a une magnifique réactivité et que ce soit les cordes vives comme le continuo inventif tout fait mouche et nous convainc de la beauté de ce répertoire de jeunesse qui n’a rien à envier à la maturité d’un compositeur prolixe. Un bel enregistrement plein de vie qui mérite la plus belle écoute tant pour la beauté des voix et de l’orchestre que l’énergie développée par Emmanuelle Haïm.

Hubert Stoecklin

Tugan Sokhiev Elisabeth Leonskaja une rencontre au sommet !

Compte rendu concert. Toulouse, le 6 Janvier 2018. Beethoven. Schubert.Leonskaja,Sokhiev

SOKHIEV Suprématie de la musicalité et du chant.

Tugan Sokhiev et Elisabeth Leonskaja développent saison après saison une complicité artistique qui fait merveille. Le public est conquis et les médias enregistrent tant en vidéo que dans le projet d’éditer une intégrale discographique des concertos pour piano de Beethoven.

Dès l’entrée, d’Elisabeth Leonskaja un frisson parcourt l’assemblée. La Halle-Aux–Grains pleine à craquer comme rarement (près de 2200 places) retient son souffle, les cameras et les micros sont présents à l’esprit de chacun et (Oh miracle !) les tousseurs se taisent !  Après les accords du piano d’une beauté galbée, l’introduction orchestrale est magnifique. Le Beethoven de Tugan Sokhiev nous ravit à nouveau avec cette évidence de fermeté généreuse et de simplicité. Le tempo est large, les phrasés développés avec  élégance mais sans recherche de séduction.

La direction à main nue du chef ossète, qui se tient au niveau du quatuor à cordes sans estrade, semble organiser une musique de chambre plus que diriger en imposant. Les mains parlent et d’elles naît la plus belle musique qui soit. Le piano de Leonskaja est ce soir particulièrement souverain avec une capacité à chanter hors du commun. Le deuxième mouvement si original avec cette plainte déchirante du piano et les réponses inflexibles de l’orchestre est le grand moment de drame attendu. Le début pianissimo par Leonskaja permet une montée progressive vers l’émotion la plus poignante. Dialogue orphique entre le chant du piano, ici pure prière, et les instruments à cordes grondant comme un Cerbère. L’enchainement vers le Rondo joyeux final est particulièrement réussi en raison de la connexion parfaite entre le chef, la pianiste et les musiciens de l’orchestre. Cette version du sublime concerto mérite bien un enregistrement qui fera date par sa perfection formelle certes mais surtout par une musicalité partagée magnifique. Fêtée par un public émerveillé Elisabeth Leonskaja dont l’interprétation avait été marquée par une recherche de legato et de chant offre en bis la version piano d’un sonnet de Pétrarque mis en musique par Liszt et qui en écrivit une mélodie au lyrisme aussi large que sublime.

Elisabeth leonskaja portrait

La grande Leonskaja en diva du piano nous emporte sur les ailes d’un chant souverain avec des nuances d’une subtilité sans limites.

En deuxième partie de programme l’orchestre s’étoffe pour la dernière symphonie de Schubert. Si cette oeuvre posthume a eu beaucoup de mal à gagner le succès public, elle est reconnue comme un monument par Schumann et Mendelssohn dès ses premières auditions. Sa longueur et sa densité n’en font pas encore aujourd’hui la symphonie préférée du public. Ce soir nous ne cacherons pas notre plaisir à cette interprétation marquée par une souplesse et une structuration claire qui permettent d’en déguster bien de richesses. L’avancée décidée dont fait preuve Tugan Sokhiev, la sérénité de son geste entraîne l’orchestre du Capitole dans un voyage grandiose et admirablement lumineux. Les zone d’ombres sont passagères et ce qui domine est cette solidité, parfois terrienne, mais toujours belle de la composition de Schubert en contrepoint de son mélancolique Voyage d’hiver. Ici la lumière, et même la joie la plus pure dans le final, s’exposent et nous entrainent. Les musiciens de l’orchestre sont tous engagés et développent des qualités d’écoute admirables. La beauté des couleurs et des nuances construit une riche palette que la direction du chef magnifie. Le chant se développe avec des cantilènes sublimes aux cors aux bois (le hautbois de Louis Seguin !) et aux cordes. Schubert en compositeur de Lieder adapte ces courtes formes de chant aux proportions gigantesques d’un orchestre large avec une science de l’écriture digne de Beethoven. Tugan Sokhiev encourage à chaque instant ses musiciens à chanter tout en tenant dans une main ferme un tempo plein d’assurance.Un grand et beau moment symphonique qui clôt ce concert marqué par une certaine idée du Bonheur.

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Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 6 Janvier 2018. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol majeur Op.58. Frantz Schubert (1797-1828) : Symphonie n° 9 en ut majeur «  La Grande » D.944. Elisabeth Leonskaja, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.

Une entente musicale au sommet : Leonskaja et Sokhiev

Elisabeth Leonskaja Photo: Marco Borggreve
P. NIN

Tugan Sokhiev et Elisabeth Lejonskaja suprèmes musiciens

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Compte rendu concert. Toulouse, le 20 septembre 2017. Mozart. Beethoven. Chostakovitch. Elisabeth Leonskaja, Orch Nat du Capitole,T. Sokhiev.

En Partenariat avec Piano aux Jacobins l’ouverture de la saison symphonique de la Halle-aux-Grains, chaque année, représente un moment clef de la vie culturelle toulousaine. La conjonction d’un soliste de premier plan, de compositeurs choyés et de l’orchestre sous la direction de son chef tant aimé, a attiré un public nombreux. Plus une place de libre ce soir, dans la salle hexagonale où le public enserre « son » orchestre. Il est certain que la disposition de cette salle concourt à ce sentiment de partage total, entre musiciens et public.

Pour ce grand soir attendu par la foule, dès son entrée en scène, alerte et concentré, Tugan Sokhiev donne le ton. L’orchestre dans son rituel immuable s’était installé et accordé avec soin. Et dès la levée des bras du chef, l’orchestre a frissonné pour nous offrir une ouverture de Don Juan d’anthologie. C’est dans un même geste large de battements d’ailes puis de gauche et de droite qu’il a construit ce début d’accords si dramatiques. L’élégance et l’évidence de ce grand geste sculpte le son et l’amène jusqu’ au silence qui le suit. Cela permet à l’orchestre de déployer toute sa beauté sonore et son savoir faire : la présence de chaque timbre dans un ensemble grandiose. Cordes, flûte, hautbois, basson et cor entrent en scène avec d’avantage de présence pour la partie de balancement noble que Joseph Losey, si inspiré dans son Film -Don Giovanni- , avait situé sur la lagune de Venise. Tout s’enchaine ensuite avec panache mêlant à ce tragique début toute la gouaille du giocoso. La fête de ce mariage du Drama et du Giocoso est à son comble avec les entrés fuguées et les répétitions des motifs alertes. Tout l’orchestre semble exulter et Tugan Sokhiev d’une main sure et légère, donne toute la dramaturgie attendue à cette magnifique ouverture. Nous avons déjà hâte d’entendre de quelle façon, le chef dirigera un jour Don Giovanni à l’opéra avec sa manière si fine de comprendre le mélange complexe du drame existentiel et de la futilité de la vie, tels qu’ils sont contenus dans le chef d’œuvre mozartien.
Après un début si enchanteur, une fois le piano sorti de terre et l’arrivée souriante d’Elisabeth Leonskaja, la vaste introduction du troisième concerto de Beethoven a une nouvelle fois montré combien le Beethoven de Tugan Sokhiev est idéal. Tenue, grandeur sans pesanteur, élégance du phrasé, nuances ciselées et couleurs éclatantes. Avec toujours un rythme maitrisé et comme un rebondi qui anoblit les fins de phrases et les accords. La longue entrée orchestrale qui débute le Concerto met le pianiste soit dans une attente d’enfin jouer, soit lui permet de participer et d’inclure dans ces premières notes tout le long phrasé impulsé par le chef. Elisabeth Leonskaja, qui dit aimer beaucoup jouer avec Tugan Sokhiev, a semblé chanter avec l’orchestre. Son entrée est majestueuse et elle semble poursuivre avec l’orchestre ces grandes phrases. Le geste est souverain avec pourtant les petites scories habituelles. Jamais aucune dureté, et des nuances subtiles, des qualités de légèreté et des appuis pondérés sont un enchantement. Le premier mouvement est un dialogue de grande musicalité entre le chef, l’orchestre et la pianiste. L’écoute est permanente et le plaisir de jouer ensemble ne fait que grandir. La grande cadence montre Leonskaja, maîtresse de moyens phénoménaux avec une grande inventivité.
C’est bien évidemment le mouvement lent qui est le moment le plus émouvant du Concerto. Cette fois c’est la pianiste qui joue seule et donne le ton. C’est celui de la confidence, du bonheur, du partage. La délicatesse de l’orchestre sous la direction sensible de Tugan Sokhiev est un pur enchantement.

Le bonheur éperdu du trio flûte, basson, piano reposant sur un tapis de pizzicati de cordes, dans ces grandes phrases planantes, est un moment inoubliable. Sandrine Tilly à la flûte et Estelle Richard au basson sont les fées qui nuancent subtilement avec la reine de douceur au piano. Le balancement amoureux obtenu par la direction de Tugan Sokhiev est comme une invitation à laisser tout souci pour être parfaitement heureux le temps de ce mouvement suspendu.
Avec malice Elisabeth Leonskaja lance le final si spirituel qui permet à la soliste et à l’orchestre de caracoler avec ivresse. Le triomphe est total et c’est une salve d’applaudissement pour les musiciens. Elisabeth Leonskaja offre en bis une superbe interprétation de la première des trois Klavierstücke de Schubert, faisant la boucle avec son somptueux concert Schubert aux Jacobins il y a quelques jours.

Pour la deuxième partie du concert, le choix de la neuvième symphonie de Chostakovitch permet de rester dans l’éveil de l’esprit.  Cette symphonie écrite par Chostakovitch après la fin de la deuxième guerre mondiale est marquée par un coté certes festif, la guerre est finie, mais grinçant et provocateur, car quel prix terrible a du être payé. Au lieu de la grandiose fresque héroïque attendue par le pouvoir soviétique, Chostakovitch a choisi la désinvolture, refusant toute parenté avec la terrible symphonie Leningrad. Tugan Sokhiev n’insiste pas sur le coté grinçant mais permet l’expression d’un esprit de moquerie qui garde toujours une parfaite élégance. Les fanfares militaires raillées le sont plus avec esprit que méchanceté. Il n’y a rien de grandiose ni de vainqueur. C’est une grande chance de pouvoir entendre les symphonies de Chostakovitch défendues avec cette qualité. Tugan Sokhiev et son orchestre ont ce soir été merveilleux. Les instrumentistes sont tous magnifiques ; mentionnons surtout le picolo inénarrable de Claude Roubichou, le hautbois merveilleux de Chi Yuen Cheng, la clarinette si expressive de David Minetti, Sandrine Tilly à la flûte et, à nouveau le fabuleux basson d’Estelle Richard. Le solo de violon de Geneviève Laurenceau a également été très remarquable. Dans le deuxième mouvement si désolé, il y a un trio flûte, basson clarinette d’une incroyable beauté. Les cuivres ont une partie importante et toute la famille est à féliciter pour son implication sans faille d’une grandeur inquiétante. Mais c’est véritablement cette énergie mutualisée de tous les instrumentistes que Tugan Sokhiev semble chercher individuellement du regard dans sa direction si expressive qui fait la merveille de cette interprétation.

Lien vers ce beau concert sur Medici TV

Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 20 septembre 2017. Mozart. Beethoven. Chostakovitch. Elisabeth Leonskaja, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.  Illustration :  Elisabeth Leonskaja (DR)