Ariane à Naxos somptueuse

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 1er Mars 2019. R.STRAUSS: Ariane à Naxos ( nouvelle production). Fau, Belugou, Fabing, Hunhold, Savage, Morel, Sutphen. Orch National du Capitole. E.ROGISTER, Direction.


Production géniale de L’ Ariane à Naxos de Strauss/Hofmansthal à Toulouse.

Donner l’opéra le plus élégant de Richard Strauss et Hugo von Haufmannstahl, le plus exigeant au niveau théâtral avec des voix hors normes, toutes surexposées, est une véritable gageure que Christophe Ghristi, nouveau directeur de l’auguste maison toulousaine, relève avec brio. Il a trouvé en Michel Fau l’homme de théâtre respectueux de la musique, capable de donner vie à Ariane à Naxos en un équilibre parfait entre théâtre et musique, entre le prologue et l’opéra lui-même.

J’ai toujours jusqu’à présent trouvé que la partie musicale dépassait le théâtre et que des deux parties l’une dominait l’autre. Au disque la musique sublime de bout en bout de l’opéra s’ écoute en boucle et sans limites, à la recherche de timbres rares et de vocalités exactes. A la scène souvent le prologue est trop ceci ou pas assez cela et en fait ne convainc pas et trop souvent et comme l’opéra peut s’enliser. Pourtant je parle de productions au Festival d’ Aix ( Avec l’Ariane de Jessye Normann) ou Paris (Avec la Zerbinetta de Natalie Dessay)… Je dois dire que ce soir le travail extraordinairement intelligent et délicat de Michel Fau mériterait une analyse de chaque minute.

L’humour est d’une subtilité rare et sur plusieurs plans. La beauté des costumes ( David Belugou) et des maquillages ( Pascale Fau) ajoutent une élégance rare à chaque personnage quelque soit son physique. C’est également David Belugou qui a réalisé deux décors intelligents et qui éclairés avec subtilité par Joël Fabing semblent bien plus complexes et profonds qu’ils ne sont. Il est rarissime de trouver à l’opéra travail théâtral si soigné dans un respecte absolu de la musique. Dans la fosse les instrumentistes de l’orchestre du Capitole choisis pour leur excellence jouent comme des dieux sous la baguette inventive et vivante d‘Evan Rogister. Il aborde par exemple le prologue de l’opéra avec une allure presque expressionniste et sèche avant de colorer toute la subtile orchestration de Strauss avec le poids exact. N’oublions pas que les 38 instrumentistes demandés par Strauss sont évidement de parfaites solistes ou chambrites mais ensemble ils sonnent comme un orchestre symphonique complet dans le final. Que dire des chanteurs à présent ?

Ayant chacun les notes incroyables exigées et des timbres intéressants, dans un tel contexte, ils n’ont qu’à chanter de leur mieux pour devenir divins dans un environnement si favorable. Jusqu’aux plus petites interventions chacun est merveilleux. L’Ariane de Catherine Hunold est sculpturale, sa prima Donna caricaturale. En Bachus, le ténor Issachah Savage, est éblouissant de panache vocal avec une quinte aiguë et une longueur de souffle qui tiennent du surnaturel, dans le prologue sa brutalité pleine de morgue un est vrai régal de suffisance pardonnée après le final. Car la puissance du duo final est historique, une telle plénitude sonore dépasse l’entendement. La Zerbinetta d‘ Elisabeth Sutphen mérite des éloges pour un équilibre théâtre-chant de haut vol, alors qu’il s’agit d’une prise de rôle. Elle passe du moqueur au profond en un clin d’ oeuil, virtuose ou languide, elle peut tout. Le trio de voix, rondes et nuancées, qui tiennent compagnie à Ariane sur son rocher sont d’une qualité inoubliable que ce soit Caroline Jestaedt, en Naïade, Sarah Laulan en Dryade ou Carolina Ullrich en Echo. Les quatre messieurs qui accompagnent Zerbinetta ne sont pas en reste au niveau vocal mais jouent également avec beaucoup de vivacité et d’énergie (Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche ; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella). Philippe-Nicolas Martin , en Arlequin ajoutant une belle touche de vraie-fausse mélancolie dans son lied. Le compositeur d’Anaïk Morel est très sympathique c’est vraiment Strauss lui même qui se questionne sur la folie d’oser composer des opéras dans un monde si absurde. La réponse est OUI : la beauté, l’intelligence et la finesse sont le remède à l’absurdité et la bêtise du monde.

Aujourd’hui à Toulouse le flambeau a été rallumé avec panache. Oui en une soirée la beauté peut ragaillardir tout un théâtre et le succès public a été retentissant. Les mines réjouies en quittant la salle du Capitole en disent long sur la nécessité de croire, et ce soir de l’avoir vue réalisée, en cette alchimie subtile qui se nomme opéra. Merci à tous et bravo à cette production qui aborde le rivage de la perfection ! Il teste encore deux représentations à ne pas manquer du chef d’oeuvre de Richard Strauss parfaitement représenté à Toulouse .
Hubert Stoecklin


COMPTE-RENDU, opéra. Toulouse, Capitole, le 1er Mars 2019. RICHARD STRAUSS (1864-1949) : ARIANE à NAXOS, Opera en un acte et un prologue, Livret de Hugo von Hofmannsthal, Création le 4 octobre 1916 au Hofoper de Vienne, Nouvelle production du Théâtre du Capitole/Opéra Orchestre national de Montpellier – Occitanie. Michel Fau, mise en scène ; David Belugou, décors et costumes ; Joël Fabing, lumières ; Pascale Fau , maquillages. Avec : Catherine Hunold, Primadonna / Ariane ; Issachah Savage, Ténor / Bacchus ; Anaïk Morel, Le Compositeur ; Elisabeth Sutphen, Zerbinetta ; Philippe-Nicolas Martin , Arlequin ; Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella ; Caroline Jestaedt, Naïade ; Sarah Laulan, Dryade ; Carolina Ullrich, Echo; Florian Carove, Le Majordome ; Werner Van Mechelen, Le Maître de musique ; Manuel Nuñez Camelino, Le Maître à danser; Alexandre Dalezan, Le Perruquier ; Laurent Labarbe, Un Laquais ; Alfredo Poesina, L’Officier ; Orchestre national du Capitole ; Evan Rogister : direction musicale.