Le Boris sévère et froid d’ Olivier PY

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Capitole, le 24 Nov.2023. Moussorgski, Boris Godounov, Py/Poga, Roslavet, Scandiuzzi.

Olivier Py propose une lecture très analytique de Boris.

Boris est un opéra sombre refusant toute séduction au public surtout dans sa partition originale de 1869. Cette version est aujourd’hui bien connue du public. Pour Toulouse, Boris a été donné dans cette version en juin 1998 dans une mise en scène de Nicolas Joël avec Michel Plasson à la baguette. Puis en février 2014 Tugan Sokhiev avait offert une version de concert absolument bouleversante de théâtralité. Mais jamais une version scénique si puissante n’avait été vue in loco. Olivier Py avec un soin méticuleux et une intelligence redoutable nous délivre sa vision. Il s’agit de prendre le plus de recul possible avec la psychologie et de faire des personnages des archétypes. La situation du tyran choisi par son peuple passif et vil n’est pas originale en elle-même.  Aussi dès le lever du rideau nous sommes dans un lieu neutre où des mercenaires maltraitent une foule infantilisée. Tous les conflits anciens ou contemporains sont ainsi présents. C’est toujours le peuple qui est nié avant d’être décimé. Ainsi l’avènement de Boris, son couronnement, ses abus de pouvoir, sa peur de la chute arrivent sans surprises. Et dans la fin choisie par Olivier Py nous assistons bien à la mort du tyran et ensuite à l’avènement du suivant : c’est comme une machine infernale qui jamais ne s’arrêtera. Cette vision essentiellement mélancolique va teinter toute la mise en scène. Le décor est gris, les lumières blafardes ou froides.

Les décors, en tous cas vus depuis le parterre, sont écrasants avec de grands murs ou des immeubles immenses qui ferment l’espace. Le peuple rangé dans des cases représente un peu des icônes tout en or. Les costumes sont sombres ou en or, mais toujours symboliques.

Cette absence de nuance est également l’apanage des tyrannies d’état. Cette Russie symbolisée est comme hors sol, elle nous interpelle avec brutalité. Et l’analogie avec les manières de Poutine aujourd’hui n’est même pas voilée. Ainsi on retrouve sur scène l’immense table actuelle du Kremlin et son lustre.

Lorsque sa paranoïa se développe, Boris ira s’y réfugier et montera dans ce lustre vers les cintres comme pour échapper au faux Dimitri aperçu dans son délire. On retrouve toutes les habitudes des tyrans et la plus machiavélique consiste à réécrire l’histoire. Cette question centrale dans le conflit russo-ukrainien est clairement mise en lumière. Jusqu’à la disparition et au meurtre du petit Dimitri qui évoque les enlèvements d’enfants contemporains en Ukraine. Cette subtile mise en abyme est d’une tristesse insondable, elle marque durablement les esprits. C’est intelligent, brillant et sinistre à la fois. Le travail, scénique avec les acteurs est d’une précision chirurgicale, cette perfection donne aussi un caractère glacé, glacial et glaçant. Toute sympathie, tout apitoiement, tout rapprochement sont donc interdits , à l’inverse du travail de mises en scène « classiques » comme avait pu proposer Nicolas Joël en 1998.  Dans cette mise en scène si aigue, les chanteurs ne peuvent pas s’épancher, ni nouer de relations entre eux. Chaque stéréotype reste seul. Cette sensation de solitude totale participe au malaise général. Olivier Py a trouvé dans le chef Andris Poga un complice qui va évacuer toute sensibilité dans la partition, tout épanchement, tout lyrisme. La direction d’Andris Poga est froide, tout à fait globale, toujours entière, jamais subtile. La partition est un bloc plein d’aspérités et que rien ne peut entamer.

Les acteurs si précisément corsetés sur le plan scénique et musical ne peuvent exprimer leurs affects. Vocalement Boris ne peut, comme cela est possible aux basses nobles titulaires du rôle, jouer avec son timbre.  Les nuances, les rubatos pour exprimer les affres de cette âme tourmentée, complexe et malade sont trop rares.

La voix d’Alexander Roslavets est puissante, plutôt centrale (plus baryton que basse) et sans riches harmoniques graves. Le Pimène de Roberto Scandiuzi est ainsi bien plus charismatique au niveau vocal et son personnage de moine gagne même quelque truculence. Le Faux Dimitri d’Airam Hernandez a vocalement une belle présence et un coté inquiétant qui donne sens aux terreurs de Boris. Cela rend crédible sa prise de pouvoir juste avant le rideau final.  

Le seul personnage qui garde une sensibilité et qui transmet une émotion forte au public est l’innocent. Il est le premier personnage vu sur scène et cette présence forte par sa fragilité assumée reste dans les mémoires. La voix de Kristofer Lundin est très expressive et son jeu poétique très émouvant. Tous les autres personnages sont très stéréotypés. Ils en deviennent secondaires, malgré des voix intéressantes pour toutes et tous ; le baryton Mikhail Timoschenko se dégageant le plus avantageusement. 

Les chœurs du Capitole chantent fort mais ne touchent pas par manque de nuances et de variété de couleurs. L’assise des basses n’est pas assez solide pour sonner véritablement « russe ».

Au final c’est un sentiment trouble qui gagne. Une sorte d’inéluctable, particulièrement mélancolique, domine la soirée. Si scéniquement c’est un travail saisissant, côté musique nous restons sur notre faim et repensons au Boris en version scénique qui nous avait tant ébloui et touché en 2014 dirigé par Tugan Sokhiev avec la voix d’airain de Feruccio Furnaletto.  La partition de Moussorgski y était autrement magnifiée.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, Le 24 Novembre 2023. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, version de 1869. Nouvelle production. Mise en scène, Olivier Py ; Collaboration artistique, Daniel Izzo ; Décors et costumes, Pierre-André Weitz ; Lumières, Bertrand Klilly. Distribution : Boris, Alexander Roslavets ; Fédor, Victoire Brunel ; Xénia, Lila Dufy ; La nourrice Svetlana Lifar ; Prince Chouski, Marius Brenciu ; Chtchelkalov, Mikhael Timoshenko ; Pimène, Roberto Scandiuzi ; Grigori/Le faux Dimitri, Airam Hernandez ; Missail, Fabian Hyon ; L’aubergiste,Sarah Laulan ; l’Innocent, Kristofer Lundin ; Chœurs et maitrise du Capitole ( direction : Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole de Toulouse. Direction, Andris Poga.

Hubert Stoecklin

Photos : Mirco Magliocca