Raphaël Pichon et Pygmalion et … Bach !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023. BACH, PYGMALION, PICHON.

Le Bach festif de Raphaël Pichon est un véritable enchantement

Quel bonheur de retrouver Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion. Chaque fois c’est un grand moment de musique et de théâtre. Les Grands Interprètes les invitent presque chaque année avec le même bonheur. Avec Bach c’est comme si Raphaël Pichon renouvelait ses sensationnels premiers concerts qui d’emblée ont eu un succès gigantesque. Les enregistrements des Messes Brèves de Bach ont tout de suite suivi son entré dans la carrière et datent déjà de 2008. La beauté de la fusion chœur et orchestre n’a pas changée. L’énergie jubilatoire reste identique ce qui a grandi c’est la confiance du geste, la largeur du développement des structures qui à présent dépassent l’entendement humain. Son Bach est grandiose, et tutoie le ciel.

Le concert est construit comme un développement dramatique. Après quelques minutes d’intense concentration le chef d’un geste doux et prudent obtient un début A Capella complètement magique. La précision et la douceur de l’attaque de tout le chœur donne le frisson. La conscience que la beauté va nous envelopper nous permet de nous abandonner. Le Motet de Jean Chrétien Bach Mit Weinen het sich’ an, semble à la fois archaïque et regarde vers Mendelssohn. C’est une musique envoutante sans âge. Le chœur est absolument boulversant. Chaque pupitre est d’une homogénéité renversante. Les nuances sont subtiles, les phrasés infinis et les couleurs d’une variété rare. Ce Motet parle des pleurs qui accompagnent l’homme tout au long de sa vie. Puis La cantate de Bach BWV 25 Es ist nichts Gesundes an meinem Leid nous entraine vers la douleur de la contrition. L’impureté de la chaire comme de l’âme de l’homme sont un sujet mis en musique de manière réthorique. Les phrases descendantes, les timbre graves, les trombones et la couleur abyssale du pupitre des basses, tout parle de douleur extrême. Le récitatif du ténor est très dramatique. L’art du ténor Laurence Kilsby est total : Mots percutants, phrasés subtils, voix de lumière. C’est très, très beau. Puis dans son air, la basse de Christian Immler se désole avec un timbre d’une belle profondeur. Le soprano aérien de Maïlys de Villoutreys a une pureté adamantine qui fait merveille dans son air angélique qui porte l’espoir. Le chœur ouvre et ferme la cantate comme un portique gigantesque et terriblement impressionnant. Sans laisser le public applaudir dans un geste d’une implacable continuité Raphaël Pichon entraine toute son équipe dans la si joyeuse cantate BWV 110, Unser Mund sei voll Lachens, le rire propre de l’homme devient celui de la joie de la rédemption promise. La fusion jubilatoire de l’orchestre du chœur et des voix soliste est tout particulièrement réussie. Cette joie communicative gagne tous les musiciens et le public. La grande ouverture à la française avec trompettes et timbales est à la fois grandiose, spectaculaire et souple. C’est le génie de la direction de Raphaël Pichon d’associer ainsi les qualités inattendues que contient la musique de Bach à la fois savante et dansante, profonde et évidente, grande et simple. Le chœur avec des moments solistes enchâssés n’est que jubilation. Les vocalises fusent les nuances sont extrêmes et semblent faciles. Pygmalion est un chœur d’une ductilité totale et d’une souplesse de félins. Chaque entrée permet de déguster des pupitres totalement unis. La beauté du fini vocal est digne de ce qu’a pu obtenir un John Elliot Gardiner avec son Monteverdi Choir, c’est tout dire…. L’air du ténor avec le délicat trio de flutes douces est un pur moment poésie que la voix solaire et tendre de Laurence Kilsby magnifie. Nous découvrons ensuite avec ravissement le timbre de bronze de l’alto Lucille Richardot. Sa voix homogène a un caractère androgyne qui donne beaucoup d’originalité et de grandeur à son chant. La solidité de l’intonation la précision des mots impressionnent grandement ainsi que la souplesse des phrasés. Dans son air à vocalises redoutables Christian Immler fait merveille. La rivalité avec les trompettes est un grand moment festif. La voix d’airain de la basse semble n’avoir aucune limite. C’est un moment grandiose. Enfin après le dernier choral le public peut applaudir et les commentaires vont bon train à l’entracte tant l’impression est favorable et forte.

La deuxième partie sera comme la première construite d’un seul geste dramatique. La cantate BWV 66 Erfreut euch, ihr Herzen n’est qu’une grande jubilation avec éclats de rires. Les violons jouent debout et dans un tempo d’enfer distillent leurs volutes et leurs tourbillons sans efforts apparents. C’est virevoltant et enivrant comme la joie. La présence du pupitre des basses est jouissive et chacun offre sa vision de la joie, instrumentistes comme chanteurs du chœur ou solistes. Raphaël Pichon garde le tempo sans jamais rien lâcher avec toutefois une souplesse remarquable, c’est terriblement efficace.  Qui pourrait douter que le chant choral n’est pas un moment de bonheur absolu en assistant à ce moment de musique magnifique ? 

La grande cantate Ein feste Bourg ist mein Gott atteindra un sommet. La fugue immense magnifiquement lancé par un pupitre de ténors fulgurant est escaladée avec une facilité virtuose inouïe. Tout est magnifique les mots ne peuvent décrire cette jubilation qui envahit toute la Halle-aux – Grains !   Cette puissance gracieuse est simplement incroyable. Les solistes se surpassent et la splendeur des timbres, la solidité des vocalises, les phrasés subtiles et les couleurs irisées sont de grands chanteurs mais surtout d’immenses musiciens. Tous les instrumentistes sont magnifiques. La viole de gambe dans les accompagnements est d’une souplesse admirable, les trompettes naturelles rivalisent de précision et de beauté.  Sans aucune pause après cette presque demi-heure que dure la cantate le chef entraine tout son monde dans le Sanctus de la Messe en si.

Le portique grandiose ouvre le ciel et rien ne semble pouvoir limiter les artistes qui s’abandonnent au geste puissant de Raphaël Pichon lui-même heureux comme un véritable démiurge. La magnificence de cette fusion orchestrale et chorale ne me semble pas avoir d’équivalent aujourd’hui.

  Le concert de ce soir nous fait penser que Raphaël Pichon prolonge le geste dramatique que le chef britannique a offert à la musique de Bach avec son Monteverdi choir en élargissant le propos vers encore d’avantage de contrastes entre jubilation et drame. Offrir tant de bonheur au public méritait bien les ovations sans fin faites aux artistes ce soir

Ce concert est un tout totalement admirable qui justifie pleinement de figurer au firmament des évènements des Grands Interprètes.

Hubert Stoecklin

Pour s’en convaincre un concert de la Messe en Si : Tout simplement magnifique ! le Sanctus est à

1h27’.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Les Grands Interprètes,Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023.Johann Christoph Bach (1642-1703): Motet, Mit Weinen hebt sich’s an ; Johann-Sebastian Bach (1685-1750) : Cantates BWV 110, BWV 25, BWV 66/1, BWV 80 ; Sanctus BWV 232.  Maylis de Villoutreys, soprano; Lucille Richardot, alto; Laurence Kilsby, tenor; Christian Immler, basse; Pygmalion, choeur et orchestra ; Raphäel Pichon, direction. Photos: DR H.Stoecklin