Critique. Enregistrement CD. Hector Berlioz : Romeo et Juliette, symphonie dramatique ; Cléopâtre, scène dramatique. Joyce di Donato. Cyril Dubois. Christopher Maltman. Coro Gulbenkian. Chœur de l’OnR. Orchestre Philharmonique de Strasbourg. Direction : John Nelson. 2 CD ERATO. Enregistrement 3-9 Juin 2022. Durées 72.26 et 39.29. Code : 5054197481383.
La version que nous attendions du chef d’œuvre de Berlioz.
John Nelson et les forces strasbourgeoises sont en passent de proposer une intégrale Berlioz qui domine la discographie. Après Les Troyens, La Damnation de Faust, Les nuits d’été voici leur Roméo et Juliette. Je dois dire que ce fût un choc à l’écoute tant tout ce qui est attendu et même au-delà est présent. Cette symphonie dramatique crée en 1839 est une œuvre très exigeante, bien plus complexe que toute autre du bouillonnant Hector. C’est également celle qui fera l’admiration de Wagner qui dédicacera sa partition de Tristan au « Grand et cher auteur de Roméo et Juliette ». J’avoue mon amour pour cette partition, la plus proche à mon gout de la tragédie de Shakespeare dans une mise en musique. Dans une inventivité débordante Berlioz fait de l’orchestre un artiste dramatique totalement convaincant qui avec le concours de trois voix solistes et du chœur nous entraine dans la folie de cet amour interdit. Toute la tragédie est là, à condition de compter sur chef capable de tenir les rênes de cette aventure démesurée, sans contraindre le romantisme de la partition ni céder au son spectaculaire. L’équilibre est ici vertigineux. John Nelson est de cette trempe, il entraine tous les interprètes dans une lecture urgente, débordant de lyrisme, très construite et d’une humanité émouvante.
Les chœurs associent au chœur de l’Opéra national du Rhin le chœur portugais Gulbenkian. Leur associant est puissante et grandiose. Cette ampleur sonore rend difficile la compréhension du texte, c’est bien une limite habituelle des chœurs symphoniques démesurés comme Berlioz en a l’habitude.
Les solistes ont déjà chanté Berlioz avec John Nelson. Joyce DiDonato a une voix royale pour Berlioz. Dans le si beau moment qui est confié à la mezzo-soprano, elle atteint des sommets d’expressivité et de poésie. La voix est somptueuse de timbre, l’interprète dit le texte avec gourmandise et un naturel incroyable. Elle dit autant qu’elle chante. Non seulement Joyce DiDonato à un français délicieux et sans accent mais elle frémit à chaque instant semblant véritablement déguster elle-même les mots décrivant « ce premier amour que personne n’oublie ». Dans le moment hors réalité du Scherzo de la reine Mab Cyrill Dubois avec une précision miraculeuse nous permet de suivre le texte si rapide. Le timbre clair et lumineux fait merveille pour cet instant de rêve éveillé.
L‘orchestre Philharmonique de Strasbourg est merveilleux avec ce jeu si beau et ce son français indispensable chez Berlioz. Les interventions solistes sont particulièrement éloquentes.
Toute la construction du drame avec ses éléments disparates et en ce sens si shakespeariens sont savamment agencés par John Nelson. Cette si belle construction ne se retrouve dans aucune autre version connue au disque.
D’où vient alors que la dernière scène ne décolle pas et semble plafonner ? Est-ce le niveau si haut obtenu dans la scène du tombeau à l’émotion absolument sublime (il faut du temps pour s’en remettre) ? Est-ce le chœur trop massif, ou peut-être la manière grandiloquente dont Christopher Maltman chante, semblant justement chanter plus que dire un texte pourtant si fort ? Peut-être est-ce son manque de charisme ? Le fait de mettre le deuxième CD après des moments si forts? Ce sera la seule petite réserve que je mettrai à cet enregistrement magistral et qui transporte l’auditeur dans le monde de Shakespeare comme jamais.
La prise de son est spectaculaire, la tension de la version de concert est évidente, les raccords ne sont pas perceptibles et l’urgence dramatique est tout à fait continue.
En complément de programme Joyce DiDonato nous offre une scène dramatique hallucinante et hallucinée. Elle incarne Cléopâtre dans ces derniers instants avec une voix de bronze, une énergie incroyable et une douleur insondable. C’est une interprétation idéale pleine de folie. Vocalement dans une plénitude de moyens inimaginable elle fait des nuances incroyables, colore sa voix à l’infinie et techniquement fait des sons filés à se damner. Avec un orchestre si vif, si intense cette grande scène dramatique prend la dimension d’un opéra entier. On sort de l’écoute de cette scène comme abasourdi.
Cet enregistrement est majeur tant pour Berlioz que pour Joyce DiDonato absolument magnifique.
CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 22 mai 2023.BRITTEN : Le Viol de Lucrèce. Rehlis, Rock, Dubois, Garnier. Delbée/Stieghorst.
Toute l’ambiguïté de partition de Britten magnifiée à Toulouse
Après la deuxième guerre mondiale, au retour de sa visite des camps de la mort nazis, Benjamin Britten totalement bouleversé a pris deux décisions : Créer une petite compagnie d’opéra et composer pour elle des œuvres de tailles réduites. Sa première partition sera ce viol de Lucrèce. Cette œuvre très originale est remplie de cette douleur et de ces espoirs d’un monde nouveau après la grande horreur. Car cette partition, virtuose, belle et inouïe est également extrêmement ambiguë.
Les toulousains ne la connaissaient pas et Christophe Ghristi n’a pas lésiné sur les moyens afin de provoquer un choc pour le public. A son habitude il a engagé une distribution parfaite, nous y reviendrons en détail. Le fait d’offrir à la grande artiste Anne Delbée une nouvelle mise en scène d’opéra est absolument remarquable. Le dispositif scénique est très habile, les décors suggestifs, les costumes somptueux, les lumières très subtiles. L’œil est à la fête et voyage du jour à la nuit, de l’intime au public, de la noirceur à la lumière de l’âme, c’est fascinant. La direction d’acteurs est très précise et la manière dont chaque chanteur se meut est remarquable par la différenciation faite entre les personnages.
Hiératique et pudique la Lucrèce d’Agnieska Rehlis est sublime de beauté puis sera détruite par le viol avant de se métamorphoser en Sainte Martyre. La pulsionnalité ravageuse de Tarquin est parfaitement rendue par Duncan Rock.
De ce fait le choc de leurs oppositions devient radical. Ils apparaissent comme n’appartenant pas à la même planète. Dominic Barberi en Collatin le mari est d’abord un soldat quelconque avant de devenir un mari aimant d’une générosité absolue et pourtant totalement impuissante à sauver sa femme tant aimée. Il a un jeu subtil et son changement est d’une grande vérité éthique.
En politique retors le Junius de Philippe-Nicolas Martin est aussi vil que poli. C’est en fait lui qui est le monstre qui provoque le drame. Il nous reste à évoquer le Chœur Antique voulu par Britten. Confié à un homme et une femme la richesse de leurs commentaires fait tout le prix de cette partition.
Le jeu de Marie-Laure Garnier, chœur féminin, est marmoréen et d’une humanité troublante. Toute de noblesse et de retenue elle personnifie la compassion et l’admiration.
Plus volage Cyril Dubois en chœur masculin est proche d’un papillon qui voltige sur scène cherchant à faire vivre l’action qu’il raconte ; c’est plus extérieur, plus contemporain.
Entre ce classicisme marmoréen du chœur féminin, que rappelle également un élément de décor fait d’une tête de statue à demi visible posée au sol et l’agitation hystérique du chœur masculin associé à la richesse du costume tout en or de Tarquin, le conflit masculin-féminin explose et travaille à une opposition qui petit à petit deviendra complémentarité. D’aucun reprocheraient à Anne Delbée d’en avoir trop montré… Moi j’ai beaucoup apprécié cette richesse de sens multiples de sa conception car elle nous amène à nous questionner, nous le public, sur notre gout du luxe et notre délectation à voir toutes ces héroïnes sacrifiées à l’opéra.
Le travail vocal et scénique des chanteurs est tout à fait convainquant dans la manière dont l’identité vocale de chacun participe activement à construire les personnages. La distribution est donc admirable en tout. Toutes les voix sont superbes y compris les plus petits rôles. L’orchestre du Capitole avec ses 13 musiciens est d’une réactivité sidérante, il est presque incroyable qu’ils soient en si petit nombre tant les effets sont riches. La direction de Marius Stieghorst est magistrale, souple et pleine de nuances. Le drame se déploie sans temps morts et le public sort de cette heure et 40 minutes de musique, complètement bouleversé et en ayant l’impression d’avoir traversé un océan de larmes. L’ambiguïté de la partition dans sa beauté ravageuse ne cesse de hanter le spectateur-auditeur fort longtemps.
La pirouette finale voulue par Britten qui très artificiellement lie l’histoire de Lucrèce à celle du Christ est très dérangeante dans le sens ou la religion ne sert qu’à donner un prétexte obscur aux souffrances des innocents comme Lucrèce.
Cet opéra très puissant a fait une entrée remarquable au répertoire du Capitole. Ce fut une incroyable découverte.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 23 mai 2023. Benjamin Britten (1913-1976) : Le Viol de Lucrèce, Opéra en deux actes. Mise en scène : Anne Delbée ; Collaboration artistique : Émilie Delbée ; Collaboration à la mise en scène : Arthur Campardon ; Décors : Hernan Panuela ; Costumes : Mine Vergez ; Assistante aux costumes : Marie-Christine Franc ; Lumières : Jacopo Pantani ; Distribution : Agnieska Rehlis, Lucrèce ; Duncan Rock, Tarquin ; Dominic Barberi, Collatin ; Philippe-Nicolas Martin, Junius ; Juliette Mars, Bianca ; Céline Laborie, Lucia ; Marie-Laure Garnier, chœur féminin ; Cyrille Dubois, chœur masculin ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Marius Stieghorst.
Critique. Théâtre.Toulouse. Théâtre de la Cité, le 11 mai 2023. William Shakespeare : OTHELLO.
Texte français : Jean-Michel Déprats ; Mise en scène : Jean-François Sivadier / Cie Italienne avec Orchestre ; Cyril Bothorel : Brabantio, Montano et Lodovico ; Nicolas Bouchaud : Iago ; Stephen Butel : Cassio ; Adama Diop : Othello ; Gulliver Hecq : Rodrigo ; Jisca Kalvanda : le Doge de Venise, Emilia ; Emilie Lehuraux : Desdémone, Bianca. Scénographie : Christian Tirole, Jean-François Sivadier et Virginie Gervaise ; Lumières : Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin ; Costumes : Virginie Gervaise ; Son : Ève-Anne Joalland.
Othello est une pièce particulière de Shakespeare pour moi. C’est probablement celle que je connais le mieux, par l’adaptation qu’en a faite Boïto pour l’opéra Otello de Verdi. C’est celle qui permet une analyse clinique très impressionnante du délire de jalousie et de la paranoïa. C’est également à mon sens celle qui parle le plus intimement au spectateur à travers le temps. Des êtres simples, non issus de la noblesse de la mythologie ou de la farce nous montrent comment dans un couple le plus aimant, la jalousie détruit tout sous le poids du regard social implacable et d’un être pervers qui agit savamment. Jean-François Sivadier dans une nouvelle traduction de Jean-Pierre Déprats nous propose sa vision d’une grande acuité de ce drame intime.
Le dispositif scénique, décors, costumes, lumières est sobre et d’une grande efficacité. Il permet au spectateur de se projeter à Venise, puis à Chypres entre espaces publics et intimes. C’est toujours élégant et pratique. Chaque comédien incarne à la perfection son ou ses rôles avec une justesse psychologique parfaite. Ainsi Jisca Kalvanda est d’abord un Doge plein de majesté et d’autorité puis une Emilia sensible et pleine de force. Les plus petits rôles comme Brabantio, Montano et Lodovico joués par Cyril Bothorel sont très intéressants et la performance d’acteur force l’admiration. Bien évidemment c’est le trio infernal qui nous donne les plus grands frissons.
L’Othello d’Adama Diop est absolument stupéfiant. Bel athlète noir il impose une puissance tellurique qui semble sans limites. Puis une fragilité stupéfiante lézarde sa superbe avant l’émergence d’une douleur insondable qui en fait un meurtrier. L’évolution du personnage est une performance d’acteur rare car d’une justesse parfaite. Le masque blanc avec lequel il termine son acte meurtrier et son impossibilité d’y survivre, dans un véritable suicide altruiste restera dans les mémoires comme des images sublimes. Othello rend perceptible jusque dans son meurtre l’amour idéalisé bafoué qu’il voue à sa femme. Cela ne justifie en aucun cas ses actes mais le désespoir est si noblement exprimé qu’il nous entraine à le comprendre.
La blanche Desdémone est Émilie Lahuraux, elle a une force d’âme bien loin d’une oie blanche et une détermination supérieure. Elle a d’ailleurs l’aplomb et la séduction fatale de Bianca dans une courte apparition. La pièce commence avant le lever de rideau, nous découvrons en entrant dans la salle, toutes lumières allumées un couple devisant en parfaite intelligence. Nous comprenons qu’il s’agit du couple de héros quand Othello offre la bague de mariage en faisant sa demande. La complicité des deux amants puis époux est évidente et forte. Voilà un couple qui semble armé pour tenir. La séduction naturelle de Desdémone et son aisance nous fait imaginer qu’elle puisse tromper son mari. Le jeu avec Cassio, interprété par Stephen Butel, est dans ce sens très subtil fait d’une proximité de classe et d’éducation.
La manière dont Nicolas Bouchaud incarne Iago est insupportable. Il est la personnification de la perversion, sa jouissance à manipuler tous les autres personnages tient du prodige. La manière dont il met le public dans sa poche est profondément révoltant. Vous l’aurez compris le « quatrième mur » est inexistant. Chaque personnage aura des moments d’adressage au public. Personne autant que Iago en tous cas. La manière dont il peut avoir une assurance est un fatal ascendant sur les personnages et n’a d’égal que sa veulerie et sa pleutrerie. Le travail d’acteur est donc d’un niveau sidérant.
La scénographie est du même niveau, les relations si riches entre les personnages fonctionnent admirablement. Ainsi toute la mécanique de la distillation du poison de la jalousie, la dissémination du doute, puis la force de la destruction lancée plus rien ne peut l’arrêter. Nous en sommes conscients et complètement médusés assez rapidement. Les petits éléments de mise au goût du jour sont discrets et toujours judicieux. Le travail de Sivadier est si complet qu’il rend lisible comment un couple si courageux face à l’adversité, ne tient pas dans une société qui par la lutte des castes n’autorise pas vraiment les égalités d’êtres ni la liberté individuelle. Desdémone et Othello se sont crus libres et sous le regard social que Iago surdétermine, leur couple ne peut résister malgré la confiance pure qui les a unis. Sans cette confiance dans l’autre, il n’y a plus de respect ni de l’autre ni de soi. J’ai vraiment été pris par cette représentation comme rarement, avec l’impression que tous les plans ont été rendus lisibles. Tout était parfait pour que le génie de Shakespeare se déploie et nous subjugue. Une sorte d’idéal du théâtre est donc possible ! Le public n’a pas été loin de la standing ovation la plus bruyante comme galvanisé par ce spectacle totalement réussi. Une grande mise en scène, avec de grands acteurs, voilà une production qui va connaître un succès total là où elle passera.
Jean-François Sivadier est un des talents les plus complets du moment sans nul doute ! Son théâtre est d’un lyrisme bouleversant. Son Othello fait pleurer !
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 9 mai 2023. Tchaïkovski. Mozart. Julien-Laferrière. Laloum. Orch Consuelo.
Musicalité exquise pour ouvrir le 48 ° Festival du Comminges.
Descendant des montagnes et de la superbe Basilique de Saint Bertrand de Comminges, les organisateurs de ce concert ont voulu séduire le public toulousain et offrir un concert magnifique plus d’un mois avant le début du festival le 28 juillet 2023.
Victor Julien-Laferrière est venu avec la triple casquette de soliste émérite au violoncelle, en chef d’orchestre et en directeur artistique du festival. Le jeune musicien a excellé en tout. En une courte allocution il décrit ainsi son engagement auprès du festival du Comminges en succession au très regretté Jean-Patrice Brosse et en tant que créateur de l’orchestre Consuelo. C’est avec cet orchestre qu’il se présente à nous et avec son ami le pianiste Adam Laloum. En première œuvre ce sont les Variations Rococo de Tchaïkovski qui ouvrent le programme. Cette œuvre, cheval de bataille de bien des violoncellistes, convient admirablement à Victor Julien Laferrière. La virtuosité lui permet de nous éblouir par un naturel et une apparente facilité. Le brillant qu’il partage avec l’orchestre est un dialogue plein de poésie et de joutes à fleuret moucheté. Les tempi sont vifs et les variations sont toutes admirablement élégantes. L’orchestre en une écoute chambriste dialogue constamment avec le chef-soliste. La première violon avec énergie et efficacité prend la relève et bat la mesure de son archet dans une variation particulièrement périlleuse, le résultat est enthousiasmant.
C’est dans le concerto de Mozart que le jeune Victor Julien-Laferrière nous révèle vraiment ses talents de chef d’orchestre, le soutien à Adam Laloum est particulièrement musical. On ressent le partage artistique très ancien entre les deux musiciens. Adam Laloum se régale d’écouter l’introduction orchestrale du premier mouvement du 23ème concerto de Mozart, puis s’installe dans un jeu particulièrement souple en partenariat avec les musiciens de l’orchestre. Adam Laloum joue Mozart avec un naturel et une grâce infinie. L’écoute de l’orchestre est totale et les solistes de l’orchestre, surtout les bois, dialoguent avec le pianiste en toute félicité. Cet accord musical entre tous les musiciens est d’une beauté très émouvante. Tout particulièrement dans le deuxième mouvement. Le thème donné par le pianiste a un doux balancement, comme un nocturne au bord de l’eau. La poésie de cette entrée est relayée par les bois qui semblent offrir un véritable jeu de chambristes ; le balancement des cordes obtenus par Victor Julien-Laferrière est du même ordre. La poésie irradie de chaque mesure pour ce moment de véritable partage entre musiciens et avec le public qui retient son souffle. Le final réveille chacun pour cette fête insouciante et joyeuse dans une virtuosité tournoyante et victorieuse toute en légèreté. On devine bien combien la cooptation des instrumentistes a été basée sur cette fine musicalité de chacun. Ce n’est pas seulement un orchestre de solistes mais de parfaits chambristes et cela s’entend et donne à leur Mozart une allure faite de jubilation amicale. Les infimes nuances, les phrasés subtilement réalisés par Adam Laloum trouvent un écho et une réponse dans l’orchestre ; ce dialogue est absolument renversant car cela se fait le plus naturellement et simplement du monde. Les applaudissements fusent pour le soliste et les musiciens ainsi que leur chef.
Pour terminer le concert, après un court entracte Victor Julien-Laferrière revient et dirige avec beaucoup de précision la première suite pour orchestre de Tchaïkovski. Cette œuvre mal-aimée chante, caracole et avance sans temps mort révélant couleurs originales, nuances très creusées et une instrumentation richement variée. Victor Julien-Laferrière partage ses attentes avec les musiciens plus qu’il n’impose. Sa direction est efficace, précise et laisse pourtant beaucoup de liberté aux musiciens qui peuvent tous s’exprimer. Cela donne une interprétation très vivante et stimulant l’écoute. Et ainsi plus d’un s’est demandé pourquoi cette suite si originale n’est pas donnée plus souvent en concert. Voilà un concert qui permet de deviner que ce 48ème Festival du Comminges sera une vraie réussite. Le public retrouvera la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges et les nombreuses et magnifiques églises de la région dès le 28 juillet 2023.
Seul regret un public trop clairsemé pour des musiciens de cette envergure et un programme si attrayant.
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 9 mai 2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour piano n°23 en la majeur K.488 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Variations sur un thème Rococo pour violoncelle op.23, Suite pour orchestre n°1 op.43. Orchestre Consuelo ; Adam Laloum, piano ; Victor Julien-Laferrière, violoncelle et direction.
CRITIQUE.CD. CONTRA-TENOR.MICHAEL SPYRES. IL POMO D’OR. FRANCESCO CORTI. 1CD ERATO durée : 72’54 ’’.
Michael Spyres TENORISSISSIMO nous offre un enregistrement orgiaque
Michael Spyres est un artiste unique qui se pose des questions sur sa voix, le répertoire, la technique vocale et l’histoire de l’opéra. Il a une tessiture exceptionnelle et l’explore sans cesse. Son précédent enregistrement intitulé Barytenor est bluffant, sidérant mais ne nous a pas totalement convaincu. Il a certes un medium sonore et des graves exceptionnels mais il manque une sorte de grain, de moelleux que nos chers barytons utilisent avec art. C’est un peu ce qui me manque même chez Placido Domingo qui fait une carrière de baryton enviable. Ce qui est certain c’est que Michael Spyres pousse l’auditeur dans ses retranchements et le critique également. Pour bien apprécier cet enregistrement de CONTRA-TENOR je me suis plongé dans mes « archives » afin de me demander quels ténors peuvent avoir été des précurseurs. Je dois dire que les qualités de Michael Spyres sont telles que je rends les armes. Il me faut faire appel à plusieurs immenses ténors pour couvrir cette vaste tessiture, ces vocalises inouïes, ces phrasés subtiles, cette adéquation stylistique parfaite et un chant dans chaque langue sans accent.
Nicolaï Gedda a eu probablement la versatilité, la perfection stylistique, l’aisance dans les langues et l’ampleur de la tessiture qui peuvent se rapprocher de Spyres.
Dans Lully et Rameau Spyres égale vocalement un Howard Crook pourtant idéal et le dépasse en adéquation stylistique.
Rockwell Black dans Vivaldi et Rossini est capable des mêmes vocalises les plus folles mais n’a pas la beauté vocale ni l’homogénéité de Spyres.
Ces exceptionnels ténors doivent s’agiter en entendant ce récital de Michael Spyres car il va plus loin que chacun d’eux…
Une chose est certaine, Michael Spyres est un vrai ténor, il en a les aigus faciles, clairs et irradiants, le grain serré du timbre, sa capacité de mixer les voix de tête et de poitrine est absolument parfaite et il fait ce qu’il veut de sa voix. Son medium et son grave sont idéalement placés et dans les immenses vocalises sur plus de trois octaves l’homogénéité du timbre est exceptionelle. Car même si nous critiquons un enregistrement je trouve important de savoir l’effet physique d’une voix pour la connaître vraiment. Dans Idoménée à Aix-en-Provence cet été j’avais été totalement convaincu et pour dire subjugué par l’interprétation de Michael Spyres.
Avec un air pour chaque compositeur les choix sont absolument enthousiasmants. De nombreux compositeurs sont totalement inconnus et ne nombreux airs tout simplement inédits. Chacun pourra se laisser séduire, pour ma part les airs de Domenico Sarro, Baldassare Galuppi et Gaetano Latilla m’ont particulièrement plus. Avec tant de virtuosité ainsi exécutée, je dois avouer que je les apprécie autant que les airs virtuoses pour soprano.
Sur une tessiture si vaste je ne connais qu’une chanteuse. C’est Yma Sumac capable de suraigus et de notes de contralto sur 4 octaves. Mais elle n’a pas abordé l’opéra en intégrale et restera un phénomène vocal unique. Rien de cela chez notre ténor assolutissimo. Il semble pouvoir tout chanter à l’opéra !
C’est la musicalité de Michael Spyres qui me paraît la plus admirable. Ainsi c’est dans l’air sobre d’Orphée de Gluck qu’il me touche le plus. Un français parfait, des phrasés subtils et des nuances délicieuses et jusqu’à une fragilité émouvante ont complétement renouvelé mon amour pour cet air sublime sans doute beaucoup trop entendu. Il n’y a pas que la voix qui est exceptionnelle chez Michael Spyres c’est sa musicalité, son extraordinaire connaissance stylistique. A ce titre il faut saluer le même niveau d’excellence d’Il Pomo d’Or et de la direction de Francesco Corti. Aussi caméléons que le ténor l’orchestre et le chef sont parfaits dans tous les styles, absolument tous, y compris dans Lully et Rameau. Ils donnent un coup de vieux aux enregistrements historiques de référence.
L’enregistrement est très précis à la fois proche de la voix caméléon et des instrumentistes dans une acoustique aérée. C’est très agréable et très beau. C’est donc une réussite totale et absolue !
Voici un enregistrement qui fait partie des merveilles vocales absolues, que tout amateur de voix chérira et placera au pinacle.
Critique. Enregistrement 1 CD ERATO 5054197293467. CONTRA-TENOR. Michael Spyres, ténor. Il Pomo d’Or Direction : Francesco Corti. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : « Cessons de redouter » et Passacaille extraits de Persée. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : « E il soffrirete … Empio per farti guerra » extrait de Tamerlano. Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Cada pur sul capo audace » extrait de Artabano, re de’ Parti. Leonardo Vinci (1690-1730) : « Si sgomenti alle sue pene » extrait de Catone in Utica. Nicola Porpora (1686-1768) : « Nocchier, che mai non vide » extrait de Germanico in Germania. Domenico Sarro (1679-1744) : « Fra l’ombre un lampo solo » extrait de Achille in Sciro. Baldassare Galuppi (1706-1785) : « Vil trofeo d’un alma imbelle » extrait de Alessandro nell’Indie. Gaetano Latilla (1711-1768) : « Se il mio paterno amore » extrait de Siroe, re di Persia. Johann Adolf Hasse (1699-1783) : « Solcar pensa un mar sicuro » extrait de Arminio. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : « Cessez de ravager la Terre » extrait de Naïs. Antonio Maria Mazzoni (1717-1785) : « Tu m’involasti un regno » extrait de Antigono. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : « J’ai perdu mon Eurydice » extrait de Orphée et Eurydice. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Se di lauri » extrait de Mitridate, re di Ponto. Niccolò Piccinni (1728-1800) : « En butte aux fureurs de l’orage » extrait de Roland. Michael Spyres, ténor ; Il Pomo d’oro, direction : Francesco Corti. 1 CD Erato. Enregistré du 15 au 22 septembre 2020 à la Villa San Fermo de Lonigo (Italie). Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée : 72:54.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Wagner/Swensen, Odyssée du Ring, Orch Nat Capitole, Libor, Elsner, Gastl, Swensen.
Joseph Swensen construit une odyssée du Ring cosmique !
Durant le confinement Joseph Swensen après un grand découragement a construit une réduction de la Tétralogie de Wagner en pensant à Toulouse. Le travail conséquent que le violoniste, chef d’orchestre et compositeur a réalisé est considérable. Car les choix opérés dans les quatre œuvres qui forment cette tétralogie sont très convaincants. Respectant un temps pour chaque œuvre il assure des passages entre les moments choisis absolument géniaux. Même pour un connaisseur des leitmotivs l’enchaînement de certains d’entre eux peut se révéler savoureux et permet par le retour subit d’un thème de mieux supporter les indispensables coupures. C’est vraiment brillant.
Le choix de Swensen est de célébrer l’amour qui sauvera le monde. Ainsi les amoureux ont la part belle : toute la longue fin du duo d’amour de Siegmund et Sieglinde puis le duo d’amour de rencontre entre Siegfried et Brunehilde et leur séparation au début du crépuscule. Le monologue d’adieux plein d’amour de Wotan à sa fille est hélas coupé et seul l’appel de Logue subsiste.
La mort du dragon Fafner et l’appel de Hagen permettent à la clef de fa (Damien Gastl) de s’exprimer, toutefois ceux sont le ténor, Christian Elsner et surtout la soprano, Christiane Libor qui chantent le plus. L’orchestre du Capitole est soumis à une sorte de surexposition constante. C’est peut-être ce qui représentera les limites de ce concept. La richesse de cette partition fleuve de quatorze heures de musique, réduites à trois ne comprend que des moments géniaux mettant en lumière cette symbiose incroyable entre l’orchestre et les chanteurs. Il n’y a pas de pose et le spectateur est lui-même sur-stimulé ce qui ne va pas sans occasionner une sorte de vertige, voir de fatigue auditive devant tant de puissance. Car si l’Orchestre du Capitole sait son Wagner, la taille de l’orchestre est très différente de celui présent dans la fosse au théâtre. Ce soir ne sont pas moins de cent musiciens avec huit contrebasses devant le public. Cela sonne bien et les forte sont assourdissants. Les cuivres sont à la fête comme jamais ! Les bois sont magiques, les deux harpes légères et aériennes, les cordes surchauffées diffusent la passion des héros. Et n’oublions pas les percussions si précieuses pour des effets extraordinaires. C’est ainsi du vrai grand Wagner symphonique … Côté vocal nous l’avons dit le baryton-basse Damien Gastl n’intervient que peu mais avec une voix de stentor tout à fait effrayante dans l’appel de Hagen. La réponse du chœur d’hommes est terrifiante. La très courte intervention du chœur est tout à fait spectaculaire !
Le Siegmund et le Siegfried de Christian Alsner ont toute la vaillance attendue et beaucoup de poésie dans la manière dont le ténor phrase. Il y a des nuances très délicates et de belles couleurs vocales chez ce ténor. C’est la soprano Christiane Libor qui restera comme un monstre d’endurance. Elle sera Siegliende et Brünnhilde trois fois.
Dans la Walkyrie Swensen lui demande de chanter au moins sept fois le cri de la Walkyrie chantant son cri et ceux de ses sœurs en un enchaînement diabolique. Les aigus fusent ! Dans le duo de rencontre avec Siegfried elle irradie vocalement et son jeu de regards avec son partenaire est éloquent. Dans le Crépuscule elle passe du bonheur des adieux à la scène finale sans efforts. La résistance de cette cantatrice est extraordinaire elle termine sa prestation très engagée et horriblement exigeante sans paraître fatiguée. C’est tout à fait exceptionnel !
Rajoutons que la direction de Joseph Swensen est très spectaculaire. Il demande une énergie constamment renouvelée à l’orchestre et obtient une beauté et une urgence incroyable de chaque instrumentiste. C’est absolument grisant. Il garde pour la fin une manière absolument exquise de faire advenir le thème de l’amour qui sauve le monde comme dans un rêve. Cette fin est magique !
Joseph Swensen et l’orchestre du Capitole se connaissent depuis longtemps avec Mahler et Bruckner, ce temps wagnérien scelle un nouvel accord artistique au sommet.
Le public abasourdi, comme sonné, fait un triomphe à toute cette splendide équipe au service de la puissance du drame wagnérien. Seule une salle de concert et un orchestre symphonique de cette trempe peuvent offrir à la partition sensationnelle de Wagner sa dimension cosmique. Ce fut un moment fulgurant sans temps morts !
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Richard Wagner (1813-1883) / Joseph Swensen : Le Ring des Nibelungen ext. Avec : Christiane Liebor, soprano ; Christian Elsner, ténor ; Damian Gastl, basse ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Joseph Swensen.
CRITIQUE. Concert.TOULOUSE. Théâtre de la Cité, le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Quignard. Savall. Concert des Nations.
Un concert événement particulièrement émouvant !
Les Arts Renaissants fêtent leurs 40 ans. Le concert de clôture de la saison crée un véritable évènement qui devant l’ampleur de la demande du public se tient dans la grande salle du Théâtre de la Cité. Les caméras et les micros de Mezzo sont en place pour en faire un film mémoire.
Que d’émotions chez les participants, dans la salle et sur scène. Jordi Savall et Pascal Quignard et les musiciens du Concert des nations sont présents comme lors de la création de la musique du Film « Tous les matins du monde ». Sans s’appesantir les morts, Montserrat Figueras et Alain Corneau, ont été pudiquement évoqués. Juste rapidement je redirai combien le film « Tous les matins du monde » d’Alain Corneau a été un évènement planétaire qui a mis en lumière la beauté inouïe des musiques oubliées bien mal nommées « baroques ». La viole de gambe connue des seuls puristes a été offerte au public le plus vaste. Plus d’un million d’exemplaires du disque de la bande son a été acheté…
Nous avions donc devant nous ce soir les monuments que sont aujourd’hui Pascal Quignard et Jordi Savall mais également 5 musiciens qui étaient là en 1991 lors de l’enregistrement de la bande son. Eux aussi sont des légendes : Mandfredo Kraemer au violon, Charles Zebley à la flûte traversière, Philippe Pierlot à la viole, Xavier Diaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Pierre Hantaï au clavecin.
Pascal Quignard a replacé les conditions de la création de ce rêve devenu réalité, puis a lu avec émotion des extraits du roman. Les musiques choisies n’étaient pas identiques à la bande son, mieux elles reprenaient parfaitement l’esprit. Les rêves ne peuvent se raconter fidèlement, seul leurs sens nous restent. Ainsi en va-t-il pour ce concert. Ils étaient là et nous ont enchantés. La salle pleine à craquer a fait une ovation bien méritée. Il a été question de la beauté de la mélancolie, du deuil, de la mort et surtout de la vie. L’interprétation de ce soir reste unique.
Jamais Jordi Savall n’a joué ainsi les Pleurs de Sainte Colombe. Les deux amis seuls sur scène, Quignard écoutant très troublé et Savall jouant dans une maitrise totale et une émotion toute singulière, la salle retenant son souffle. Que de beauté et de générosité ! Quelle chance d’être là ! Ainsi les absents sont honorés et la musique peut également irradier de joie. La fin du concert avec la Sonnerie de Sainte-Geneviève, majestueuse et heureuse donne beaucoup d’énergie. En bis deux tambourins de Rameau nous dévoilent les enfants espiègles qui sommeillent dans ces musiciens au sommet de leur art. Jordi Savall est un homme de 82 ans qui a su révéler l’enfant qui demeure en lui pour l’éternité !
Tous ces anniversaires : 40 ans des Arts Renaissants, plus de 30 ans de Tous les Matins du Monde, les retrouvailles de Jordi Savall et Pascal Quignard auraient pu apporter nostalgie et mélancolie mais c’est bien la joie qui a porté le concert. La Musique reste l’art majeur qui défend la vie et la paix. Cette paix intérieure qui permet celle entre les hommes et entre l’homme et la nature. Gratitude, oui complète gratitude restera le maitre mot !
Critique. Concert. Toulouse. Théâtre de la Cité le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Jean-Baptiste Lully ( 1632-1687) : suite du Bourgeois Gentilhomme ; Monsieur de Sainte Colombe le père ( ca.1640-ca 1701) : Les Pleurs ( adaptation pour viole seule de Jordi Savall), Concert XLI à deux violes égales Le Retour, Concert XLIV à deux violes égales Tombeau Les Regrets ; Marin Marais ( 1656-1728) : Pièces de viole du 2°livre Couplets de Folies d’Espagne et 4° livre La Rêveuse, Sonnerie de Saint-Geneviève du Mont-de-Paris, De la gamme et Autres Morceau de symphonie n°3 ; François Couperin (1668-1733) : Les Concerts royaux (1722) et Nouveaux Concerts(1724), Ext ; Textes originaux de Pascal Quignard dits par l’auteur. Le Concert des nations : Mandfredo Kraemer, violon ; Charles Zebley, flûte traversière ; Philippe Pierlot basse de viole à 7 cordes ; Xavier Diaz-Latorre, théorbe guitare ; Pierre Hantaï au clavecin ; Jordi Savall basse de Viole à 7 cordes et direction. Pascal Quignard, récitant.
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. VERDI : Traviata. Rambert/Spotti. Pavone. Dran. Solari.
Triomphe total pour cette reprise de Traviata à Toulouse
Cela devient une habitude à Toulouse. Les places sont prises d’assaut à l’opéra et dès la première tout se joue à guichet fermé. Nous l’avions déjà signalé avec Tristan et Isolde. Pour la Traviata c’est encore plus clair. Cette production de grande qualité date de 2018, c’est la dernière mise en scène de Pierre Rambert aujourd’hui décédé. Pour ce qui est de cette belle production je renvoie à ce que j’ai écrit en 2018. Je rajouterai qu’elle n’a pas pris une ride.
Musicalement la fête est complète. Christophe Gristi a renouvelé son exploit. Il a mis au point deux distributions exceptionnelles. J’ai vu la « deuxième » distribution et je dois dire que j’ai été totalement comblé.
La Violetta de Claudia Pavone est particulièrement attachante. Scéniquement elle a beaucoup de caractère et d’énergie, luttant avec beaucoup de franchise face à la maladie et au drame de sa vie.
Même si la direction d’acteur est assez minimaliste l’actrice est crédible et extrêmement émouvante dans chaque acte. Sa voix est corsée, ductile et très belle. Les aigus sont aisés et ses nuances piano absolument magiques. Il y a beaucoup de délicatesse, de finesse dans ses phrasés. Le dite alla giovane sur un fil de voix qui plane sans effort est un moment magique. La mort entre révolte et abattement un grand moment d’opéra.
Son amoureux Alfredo est le ténor Julien Dran. Bel homme mince et très élégant, il campe un « provincial » réservé qui évolue rapidement en amoureux éperdu, puis jaloux maladif, enfin au dernier acte il gagne en lucidité et son désespoir est émouvant.
La voix est harmonieuse et je dois dire que bien des ténors qui souvent dans ce rôle se contentent d’exhiber un bel organe ne chantent pas avec autant de délicatesse que Julian Dran.
Ce chant élégant et précis, ces phrasés subtils donnent bien du relief à ce personnage qui peut paraître fade. Quand on dispose d’une Violetta et d’un Alfredo de cette qualité le chef d’œuvre de Verdi nous émeut totalement.
Le Germont de Dario Solari est de la même eau. Belle voix, chant parfaitement conduit, seul le jeu est plus convenu, le personnage étant moins riche.
La Flora de Victoire Bunel est parfaite, amicale et pleine d’esprit. Les autres personnages de moindre importance sont tous des chanteurs très présents. Les ensembles sont ainsi idéalement équilibrés. Citons : Cécile Galois en Annina, Pierre-Emmanuel Roubet en Gastone, Jean-Luc Ballestra en Baron Douphol, Guilhem Worms en Marquis d’Aubigny et Sulkhan Jaini en Docteur Granvil.
Acte 1 Chez Flora
Tous participent efficacement à ce drame inexorable. Deux danseurs dans des costumes de squelettes apportent beaucoup d’élégance et un humour distancié au drame, il s’agit de François Auger et Natasha Henry. Le chœur d’une parfaite efficacité est assez statique. La mise en scène demande la plupart du temps de beaux tableaux, bien ordonnés pour le grand final du deuxième acte en particulier. L’orchestre du Capitole est somptueux. Le travail avec le jeune chef italien Michele Spotti apporte beaucoup de précision à la partition. Nous sommes loin de la « grande guitare » que certains commentateurs et une certaine tradition paresseuse ont réservé à la partition. L’orchestre avec cette direction si précise est plein de moment de grande subtilité. En particulier Michele Spotti soigne les contre-chants et les équilibres. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole sont merveilleux ; les violons pleurent et savent disparaître dans des murmures diaphanes, les bois chantent et les cuivres tonnent. Le résultat est particulièrement vivant et le drame avance inexorablement. Le tempo est tenu évitant les ports de voix, ralentis exagérés et les aigus tenus ad libitum. Remarquons que la soirée passe très vite alors que le chef n’a semble-t-il fait aucune des coupures « traditionnelles », gardant tous les airs avec leurs reprises. J’aime particulièrement la deuxième strophe de Violetta dans son addio del passato du dernier acte.
Cette Traviata est un vrai succès populaire qui prouve que le public de tous âges est là pour les chefs d’œuvres du répertoire quand ils sont présentés avec cette qualité totalement convaincante.
Une bien belle soirée d’Opéra au Capitole en sa plénitude artistique qui remporte un grand succès
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. Giuseppe Verdi (1810-1901) : La Traviata. Co-production avec l’Opéra de Bordeaux. Mise en scène : Pierre Rambert ; Collaboration artistique : Stephen Taylor ; Costumes : Franck Sorbier ; Décors : Antoine Fontaine ; Lumières : Joël Fabing ; chorégraphie : Laurence Fanon. Distribution : Claudia Pavone, Violetta Valery ; Julien Dran, Alfredo Germont ; Dario Solari, Giorgo Germont ; Victoire Bunel, Flora ; Cécile Galois, Annina ; Pierre-Emmanuel Roubet, Gastone ; Jean-Luc Ballestra, Baron Douphol ; Guilhem Worms, Marquis d’Aubigny ; Sulkhan Jaini, Docteur Granvil ; François Auger, Natasha Henry, danseurs ; Orchestre national du Capitole ; Chœurs de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur, Gabriel Burgoin) ; Direction : Michele Spotti.
Critique.Enregistrement.CD. BEETHOVEN. Concerto de piano n°3 et 4. ELISABETH LEONSKAJA. Orchestre national du Capitole de Toulouse. TUGAN SOKHIEV. 1 CD Warnerclassics. 50549263095. Enregistré à Toulouse, Halle-aux-grains en 2017 et 2018. Durée : 72’44’’.
Des concertos de musique pure
La complicité qui unit Tugan Sokhiev et Élisabeth Leonskaja a offert au public des concerts mémorables et Toulouse a eu la chance d’entendre souvent les deux artistes dialoguer. D’une série de concerts des concertos de Beethoven qui auraient pu permettre une intégrale il n’est plus question. Et il s’agit d’un enregistrement « studio » en marge de ces concerts. Peut-être aurons-nous une suite. La rencontre entre une soliste de haut rang et un jeune chef qui « fonctionne à ce point » n’est pas si fréquente. Élisabeth Leonskaja dans une interview nous avait dit combien la rencontre avec Tugan Sokhiev l’avait totalement charmée.
Ci dessous le lien vers le troisième concerto de Beethoven par ces interprètes :
Elle le considère comme l’un des plus grands musiciens qu’elle a rencontré dans sa si belle carrière. Elle désirait enregistrer les concertos de Beethoven avec lui et son orchestre de Toulouse. L’enregistrement des concertos 3 et 4 est une association heureuse et qui fonctionne particulièrement bien. Le troisième est le dernier que Beethoven a créé. Le quatrième ayant perdu l’ouïe n’a pas pu être joué par lui. L’originalité de ces deux opus avec en particulier le mouvement lent du 4 si intense est bien connue et je dois dire que ces deux concertos sont mes préférés. Le 3 rend un vibrant hommage à Mozart, le 4 est plus audacieux. Élisabeth Leonskaja, artiste immense les aborde en musicienne pure qui dialogue au sommet avec un chef et un orchestre qui partagent sa vision de musicienne de l’absolu.
Ceux qui aiment le brillant et le clinquant, ceux qui veulent un combat de titan, ceux qui aiment les virtuoses épatants seront déçus. Car il y a dans ces interprétations des qualités rares et peu valorisées aujourd’hui : un respect immense pour les œuvres, une humilité et une pondération merveilleuses. Les phrasés de Leonskaja sont souples, le toucher est exquis, jamais dur, jamais clinquant. Tout coule et avec beaucoup de souplesse chante. L’orchestre répond avec délicatesse. Le chef a le geste large et avance avec une élégance rare. Voilà un Beethoven humain, fraternel et heureux. Bien évidemment les mouvements lents sont remplis d’émotions. Le dialogue de l’andante du 4 entre un orchestre intransigeant et un piano orant n’exagère rien et se sert des dynamiques naturelles pour porter cet affrontement vers une émotion forte d’honnête homme. Pas de pathos, pas de joie exagérées chaque mouvement est parfaitement nuancé et chaque concerto apparaît en sa beauté intrinsèque sans rien d’hystérique. Cet équilibre de musique pure rend ces deux concertos centraux dans l’œuvre de Beethoven à leur place de chef d’œuvres absolus. La belle rencontre entre Élisabeth Leonskaja et Tugan Sokhiev reste immortalisée par cet enregistrement de toute beauté. Et L’orchestre du Capitole en majesté participe activement à cette fête musicale. Ce CD porte le témoignage également de ces années d’harmonie rare entre un chef et un orchestre.
La prise de son est naturelle et permet à l’orchestre de déployer ses sonorités chaleureuses et au piano de Leonskaja de chanter librement et son toucher exquis est parfaitement reconnaissable. C’est vraiment très beau !
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains le 12 avril 2023. FRANCK : sonate violon ; BRAHMS : sonate violon ; SCHUMANN : Sonate violon. D Lozakovich, violon/A Kantorow, piano
La valeur n’attend pas le nombre des années.
Daniel Lozakovich (22 ans) au violon et Alexandre Kantorow (25 ans ) au piano sont deux jeunes musiciens hyperdoués qui en s’associant forment un duo de rêve. Il ne s’agit pas de l’association de deux virtuoses ou de deux amis. C’est bien davantage : une symbiose musicale, une mutualisation du génie. Les Grands Interprètes ont ainsi permis d’offrir aux toulousains la plus belle musique de chambre qui puisse exister. Leurs qualités de virtuoses sont comme mises en second par une intelligence musicale extraordinaire.
Le programme va nous permettre d’évoluer en ardeur et la virtuosité va culminer dans la Sonate de Schumann si difficile. J’ai beaucoup d’admiration pour les concerts si savamment construits qui proposent au public un voyage balisé. Trois sonates et trois pays que les deux artistes nous commentent pour un voyage quasi magique. La sonate de Franck débute tout en douceur et en délicatesse. La nuance piano du violon et celle du piano sont comme un murmure qui va évoluer vers plus de lyrisme, tout en gardant toujours une certaine maitrise. Cette sonate si belle est rattachée à l’école française avec un parti pris de retenue et d’élégance. La richesse des coloris et de nuances variées est l’occasion d’un dialogue d’une grande subtilité laissant imaginer une longue complicité entre les deux musiciens… Le final est abordé avec beaucoup de panache, il entraine le public à applaudir généreusement. L’entracte permet de se remémorer un si beau nuancier de couleurs et une incroyable palette de nuances, comme il est rare d’entendre et surtout cette entente si magnifique entre les deux jeunes musiciens.
Pour la deuxième partie du concert les deux artistes enchainent la sonate de Brahms et celle de Schumann. La deuxième sonate de Brahms a un côté impromptu comme une succession de ballades ou de lieder. Le public est complètement sous le charme de cette interprétation subtile et comme improvisée. Les couleurs se développent encore et les nuances s’enrichissent. Cette succession de tableaux si beaux et si variés aurait pu continuer sans fin. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’absence d’applaudissements après le troisième mouvement : un charme que personne n’a osé rompre. Avec la première sonate de Schumann le feu du jeu de Daniel Lozakovich fait décoller le piano généreux d’Alexandre Kantorow. La flamme passionnée s’élève et la virtuosité flamboyante illumine leur jeu. C’est grand, puissamment phrasé. Le piano devient orchestre, le violon âme qui chante. Et tout le programme prend son sens avec cette projection amenée vers cette passion romantique si extrême. Car cette sonate de Schumann est une œuvre tardive, le compositeur déjà malade ne cherche plus à maitriser son art, il laisse l’inspiration commander et les deux instruments sont poussés au-delà des limites du genre sonate. Chaque compositeur a fait évoluer le genre, Schumann le fait éclater. Les deux artistes galvanisés par leurs moyens techniques phénoménaux et leur entente subliminale se lâchent et trouvent un accord parfait avec cette incroyable sonate de Schumann. Le public exulte et fait une véritable triomphe aux deux musiciens radieux. Ils offrent deux bis le premier d’une infinie tendresse avec une pièce de Tchaïkovski et ensuite un diabolique scherzo de Brahms.
Les Grands Interprètes ont vraiment invité deux immenses musiciens qui forment un duo inoubliable. A quand des enregistrements pour offrir du bonheur à un public le plus vaste possible. Ces deux jeunes génies le méritent !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Récital. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 12 avril 2023. César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon et piano en la majeur FWV 8 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour violon et piano n°2 en la majeur, Op 100 ; Robert Schumann (1810-1856) : Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur, Op 105 ; Daniel Lozakovich, violon ; Alexandre Kantorow, piano.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 4 avril 2023. DOHNANYI : Symphonic minutes. BARTOK: Cto. Violon n°1. STRAUSS : 3 Poèmes symphoniques. R Capuçon. Budapest Festival Orchestra. I Fischer.
Au Top 10 mondial le Budapest festival orchestra
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Les Grands Interprètes invitent régulièrement le Budapest Festival Orchestra. Ces musiciens composent l’un des meilleurs orchestres du monde. Il est souvent primé dans le top 10 des orchestres. Ivan Fischer qui l’a créé en 1983 le dirige ce soir à Toulouse. Ce sont les trois poèmes symphoniques de Richard Strauss qui mettent le mieux en valeur les qualités de l’orchestre comme du chef. Don Juan débute avec une énergie sidérante. Le dynamisme de la direction d’Ivan Fischer est total et l’orchestre sonne comme en transe. C’est absolument grandiose. Puis le thème lyrique dans une atmosphère mystérieuse nous envoute. Ce son de violon plein et nuancé réjoui l’oreille. Guy Braunstein avec une générosité réconfortante va nous envouter tout le long du concert en tant que violon solo. Il y a également les cors qui avec une solidité et une fermeté admirable illustrent le désir toujours renaissant du héros. Quel choc de les entendre si puissants et lyriques dans la partie centrale ! Les violons si engagés semblent de vif argent. L’orchestration riche et subtile de cette partition met en valeur la quantité illimitée de couleurs et de nuances dont cet orchestre est capable. La direction d’Ivan Fischer est solide et élégante. Tout est lisible et mis en perspective. La fin pleine d’une dimension spirituelle voir mystique a un côté magique.
Ivan Fischer Sonja Werner
Puis les danses des sept voiles extraits de Salomé offrent une couleur plus orientale et une puissance rythmique tellurique. C’est très épicé et chaloupé. Le rubato est savamment utilisé par Ivan Fischer et l’orchestre semble en redemander ! La direction d’Ivan Fischer est toute de souplesse et donne une grande liberté dans les moments solistes. Le tempo endiablé donne une puissance érotique somptueuse à ces danses faites pour faire chavirer le beau-père de Salomé. Nous avons tous été embarqué dans ce voyage orientalisant ce soir. La dernière œuvre est le sensationnel et dramatique épisode qui raconte les tribulations et la mise à mort de Till Eulenspiegel. Dès le premier thème si déroutant Ivan Fischer installe un tempo rapide. Le ton général sera très humoristique même les moments dramatiques comme le roulement de tambour ont une distanciation pleine d’esprit. Toute une dramaturgie se déroule, les gags du héros sont illustrés par une orchestration pleine de surprises. Ce sont les bois qui ont les parties les plus originales et semblent ce soir particulièrement facétieux. Les solos de violons sont également très beaux et farceurs. Quelle élégance dans ces audaces ! L’orchestration sensationnelle de Richard Strauss semble insatiable. Comme si l’humour du sujet avait particulièrement inspiré le compositeur, puis les interprètes. En début de concert les minutes symphoniques d’Ernö Dohnanyi ont été comme un hors d’œuvre succulent. Œuvre rare est surprenante elle stimule l’écoute par des surprises dans une ambiance faussement facile. Il n’est guère que le premierconcerto de Bartók pour violon qui a paru terne et en retrait en milieu de concert. Probablement en raison de jeu générique et peu engagé de Renaud Capuçon. Heureusement il a été ranimé par le violon solo de l’orchestre dans deux bis. Car dans leurs duos de violon de Bartók Renaud Capuçon s’est un peu plus engagé. Il a un peu réveillé son violon Guarneri dont le son n’avait jusque-là rien à voir avec le son plein et vibrant qu’Isaac Stern obtenait de cet instrument historique.
La fin du concert a prouvé que les musiciens de cet orchestre particulièrement chaleureux aiment tant la musique sous toutes ses formes. Pour les deux bis, deux groupes de musiciens ont tour à tour, à quatre, puis trois joué des sortes d’improvisations de Jazz à la Grapelli. Des violons babillards et des instruments graves (contrebasses tout particulièrement) dans une complicité totale ont été absolument jouissifs. Même Ivan Fischer s’est assis l’air réjoui de voir et d’entendre ses musiciens si heureux de partager ainsi une musique si vivante avec un public conquis. Le charme dégagé par ces musiciens est irrésistible.
Les Grands Interprètes peuvent se féliciter d’apporter la joie de la musique au public dans une qualité superlative. Dans notre société si angoissée et triste c’est presque miraculeux.
Critique. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 4 avril 2023. Ernö Dohnanyi (1877-1960) : Symphonic minutes, op.36 ; Béla Bartók (1891-1945) : Concerto pour violon et orchestre n°1, sz.36 ; Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan, op 20 ; Danse des sept voiles ( Salomé) ; Till Eulenspiegel, op.28 ; Renaud Capuçon, violon. Budapest festival orchestra. Ivan Fischer, direction.
CRITIQUE, concert.TOULOUSE, le 28 mars 2023. SCARLATTI : œuvres sacrées. Le Caravansérail/ B Cuiller.
Stabat Mater magique et autres chefs d’œuvres sacrés
de Scarlatti le fils
Bertrand Cuiller et son Caravansérail ont enregistré il y un an une superbe version du Stabat Mater à dix voix de Scarlatti. Ce chef d’œuvre doloriste est entouré d’autres œuvres pour le concert de ce soir. A l’invitation des Arts Renaissants Bertrand Cuiller a concocté un programme original et séduisant. Le Caravansérail a une géométrie variable et s’adapte à chaque pièce. En petit effectif vocal le concert débute avec une messe à quatre voix, elle est dite de Madrid car c’est dans cette ville que le manuscrit a été retrouvé. Cette messe sobre et élégante ne contient rien d’audacieux ou même de nouveau. La fluidité des lignes, leur interpénétration est proche du style antique. Les voix choisies par Bertrand Cuiller sont superbes, les timbres se complètent et les harmoniques fusionnent. Le résultat permet de planer avec les voix et de rêver la paix, le calme et la détente comme si le bonheur était à notre portée. Puis la sonate pour clavier jouée à l’orgue a apporté une dimension pure et sereine. Jean-Luc Ho l’a jouée avec beaucoup de sensibilité.
Le Te Deum en double chœur a vu l’équipe de chanteurs s’étoffer. Le principe du double chœur apporte beaucoup de vie à la musique qui envahi complètement l’espace. Œuvre brillante et habilement rythmée ce Te Deum est pure joie. Les chanteurs expriment pleinement leurs qualités vocales de beauté de timbre et surtout de précision rythmique. Tout cela est particulièrement vivant. Pour finir le Stabat Mater à dix voixouvre un espace de spiritualité offert tant aux hommes qu’au ciel. Cette plainte doloriste, en ses lignes d’une subtile sinuosité galbée semble nous faire oublier toute la médiocrité du monde. Cet abandon total qui nous est proposé repose sur une musicalité raffinée et des voix moelleuses aux phrasés subtils.
Bertrand Cuiller dirige avec pudeur et propose de soutenir le phrasé et d’élargir les lignes plus qu’il n’impose quoi que ce soit. Les instrumentistes sont des partenaires de grand talent qui participent activement à cette fête de musicalité pleine de spiritualité paisible. Le texte du Stabat Mater est illustré par des phrasés variés mais tout reste dans une grande élégance et une maitrise stylistique pure. Rien de violents de provoque une crise, tout est doux et enveloppant. Même l’évocation de la peine et des larmes console plus qu’elle n’inquiète. Tant de beauté, de pureté et de consolation ne pouvait se terminer ainsi. Le public des Arts Renaissants a fait un grand succès aux interprètes qui devant les applaudissements nourris ont accepté de bisser le début magique du Stabat Mater. La beauté si particulière de cette œuvre subjugue. C’est bien cette œuvre qui reste dans la mémoire apportant tant de subtilité aux auditeurs et qui semble également nourrir les interprètes dont les visages heureux s’illuminent.
Les Arts Renaissants nous ont offerts un bien beau concert d’œuvres sacrées variées et de grande qualité par des interprètes de grand talent.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Église Saint Jérôme, le 28 mars 2023. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Messe de Madrid ; Sonate pour clavier K.30 ; Te Deum à double chœur ; Stabat Mater à 10 voix et basse continue. Le Caravansérail. Direction : Bertrand Cuiller.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 28 mars 2023. SCARLATTI : œuvres sacrées. Caravansérail. Cuiller.
Le grand retour de Tugan Sokhiev vers son public avec son ex-orchestre
Moins de 8 jours après le concert historique dans cette même salle avec les Wiener Philharmoniker Tugan Sokhiev récidive dans un nouveau programme entièrement dédié à la musique russe.
A n’en pas douté c’est un acte de foi qui l’anime. Tant blessé par cette guerre, l’ostracisme qui en a suivi vis-à-vis des artistes russes et la menace faite par certain à la culture russe il défend la musique de son pays avec énergie.
Le concert débute avec La Grande Pâques Russe de Rimski-Korsakov. Page colorée, variée et vivante, elle nous offre un voyage vers la Russie éternelle et dans les couleurs rutilantes de l’orchestre. Tugan Sokhiev confiant et heureux semble « revenir à la maison ». Coté salle également il y de la joie et de la nostalgie. Salle bondée comme au bon vieux temps lorsque le chef nous faisait découvrir sa riche programmation et entrainait l’orchestre sur des voies nouvelles. L’alchimie perdure, voici le deuxième des trois concerts de la saison que le chef accorde à l’Orchestre du Capitole. La deuxième œuvre est une création française d’une œuvre de 2022. Crée au Concertgebouw d’Amsterdam pour son hautboïste solo, Alexei Ogrintchouk. Le soliste créateur est là ce soir. L’œuvre est dédiée à la fuite du temps ; thème oh combien éternel… Ce concerto sonne élégant et clair, il n’y a là rien de révolutionnaire, ni rien de convenu non plus. Par moment il y a des passages très beaux et très lyriques. L’orchestre est composé avec soins en petit nombre mais savamment utilisé ; Les percussions sont subtiles, la harpe surprenante. Le temps passe, l’eau coule, le vent geins et le hautbois tour à tour joyeux ou plaintif montre toute sa palette expressive, cette partition est très variée. Le hautbois a une virtuosité constamment sollicitée mais sans ostentation. Bien évidemment chacun semble y trouver du plaisir, Tugan Sokhiev est très attentif, l’orchestre est très engagé et le soliste est très impliqué. Le public lui n’est pas conquis dans sa totalité. Les applaudissements fusent devant la performance, il n’y aura pourtant pas de bis du soliste.
La deuxième partie du programme nous permet de retrouver la neuvième symphonie de Chostakovitch. C’est une œuvre que Tugan Sokhiev et son orchestre ont déjà jouée en public. Il y a dans ce choix une véritable provocation tant cette partition garde une capacité d’irritation encore chez une partie du public. Alors que Staline et le monde attendait une œuvre grandiose avec chœur final à la manière d’un hommage à Beethoven, à la fin de la guerre et à la gloire du régime soviétique Chostakovitch offre une courte œuvre que lui-même qualifiant de cirque… Humour grinçant, jubilation féroce et pourtant gracieuse l’orchestre et le chef se lancent avec panache dans cette pocharde. Les musiciens brillent de mille éclats et Tugan Sokhiev se défoule et s’engage dans cette lutte contre tous les pouvoirs abusifs. C’est brillant, virtuose, douloureux dans le deuxième mouvement mais au final ce n’est pas vraiment heureux et même un peu frustrant. La dérision semble être l’arme la plus adaptée dans notre monde à la dérive.
Ce concert a scellé l’accord entre les musiciens de l’orchestre, Tugan Sokhiev et le public. Ce n’est pas rien cela. Souvenons-nous de la démission fracassante de Tugan Sokhiev il y a juste un an. L’émotion n’était pas feinte lorsque Tugan Sokhiev a remis le bouquet de fin de carrière à François Laurent la flûte solo de l’orchestre si aimée du public. Souriant en bord de scène le grand flûtiste n’avait pas joué ce soir, diminué par la maladie. Et quel subtil hommage du pupitre des flûtes avons-nous entendu ! Cette image en disait long sur le combat actuel sur la retraite, le prix de la vie, la puissance de l’amitié, l’appel à la paix et surtout le besoin de musique plus que jamais.
Critique. Concert. Halle-aux-Grains, le 23 mars 2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : La Grande Paques Russe op.36 ; Alexandre Raskatov (né en 1953) : Time’s River, concerto pour hautbois, création française ; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°9 en mi bémol majeur op.70 ; Alexei Ogrintchouk, hautbois ; Orchestre National du Capitole ; Direction : Tugan Sokhiev.
Critique. Enregistrement. 2 CD WARNERCLASSICS. Giacomo PUCCINI (1858-1924) : TURANDOT. Orchestre et chœur de l’académie Sainte Cécile de Rome Direction : Antonio Pappano.
Pappano sort TURANDOT du brouillard, c’est éblouissant de modernité
Les enregistrements intégraux d’opéra sont devenus trop rares. Jonas Kaufmann et Antonio Pappano en ont réalisé la plus grande partie ces dernières années pensons à Butterfly (2009), Aida (2015) et Othello (2020).
Ouvrage qu’il n’avait jamais voulu diriger Turandot me semble bien être l’opéra qui va consacrer Antonio Pappano en chef majeur à l’unanimité. Le travail profond et sérieux qu’il a fait sur la partition l’a conduit à chercher la première version composée par Franco Alfano. On sait que Toscanini avait refusé cette version, en avait demandé une deuxième qu’il a ensuite amputée et avait posé sa baguette après la mort de Liu ne jouant rien du tout, encore traumatisé par la mort de Puccini. De cet ostracisme la « tradition » ne garde que la deuxième version tronquée. Pappano retourne à l’originale. Certes il n’y a pas le génie de Puccini, mais Alfano poursuit très honnêtement la direction très moderniste que Puccini avait tracée et que la mort l’a empêché de conclure. Nous rendrons donc les armes devant cette audace de Papanno. Il a compris toute cette modernité qui rattache Puccini à un Stravinski voire un Prokofiev. Les rythmes audacieux, les accords surprenants, les couleurs sauvages ou sensuelles tout ce kaléidoscope musicale est magnifiquement rendu. Il n’y a pas une version aussi magique. L’orchestre et les chœurs de L’Accademia Santa Cecilia di Roma sont absolument somptueux. La qualité de l’enregistrement est également unique. Tout est clair, chaque détail est merveilleusement limpide. La partition sort du brouillard et de la pacotille asiatique pour se révéler être de la musique du XX iéme siècle et la plus moderne qui soit. Déjà cela aurait mérité tous les éloges. En plus de cela la lecture de Pappano est dramatiquement très forte. Le climax s’installe, la psychologie des personnages se déploie et le dénouement prend une véritable dimension psychanalytique.
Turandot demande des chanteurs hors normes et là aussi nous sommes aux anges. La Turandot de Sondra Radvanosky est somptueuse, voix immense à la projection glorieuse elle sait la diriger sur des messa di vocce belcantistes inouïs. La voix est très belle et musicale, la cantatrice est capable de suggérer dans le long duo final tout le combat interne qui agite et broie l’héroïne. La Liu d’Ermonela Jaho est idéale de beauté, de bonté et de pudeur. Ce personnage sacrificiel et initiatique devient si attachant dans la voix d ‘Ermonella Jaho. Elle a une science des sons filés et des piani aériens qui semble surnaturelle. Ses qualité belcantistes et émotionnelles que nous avions tant appréciées dans Traviata à Orange sont magnifiquement mises au service de ce personnage si émouvant. Jonas Kaufmann n’a jamais chanté Calaf sur scène. Avec son intelligence et sa musicalité il s’empare du personnage et sait en révéler la tendresse et la détermination. L’héroïsme vocal n’est plus à sa portée. La voix sonne engorgée et n’a pas l’éclat métallique ou animal des Calaf historiques. par contre sait comme personne être tendre avec Liu et également avec Turandot. C’est de ce fait le Calaf le plus intéressant et le plus intelligent.
Tous les autres rôles sont distribués avec soin, tous ont belles voix. Michel Pertusi est un Timur magnifiquement sensible à la mort de Liu. Michael Spyres en Altoum même grimé est presque surdimensionné. Ping, Pang, Poum forment un trio assorti et bien chantant. La beauté des voix est confondante à chaque instant. Dans leur trio de l’acte deux ils bénéficient également de quelques parties restaurées .
Parlons à présent de ce duo final qui donne le temps à Turandot d’exprimer son terrible combat intérieur et au baiser de Calaf de faire tout son effet, le choeurs également gagne de beaux moments. C’est moins italien et plus germanique et donc totalement fascinant. Vocalement les aigus claironnent et les deux chanteurs sont épatants.
Voici donc LA VERSION de Turandot. Un brouillard a été levé par Antonio Pappano.
Sans parler de version définitive disons qu’à coté de celles de Nilsson et Corelli elle ne pali pas vocalement et s’impose par l’orchestre et les chœurs et surtout la direction absolument fascinante d’Antonio Pappano.
La prise de son n’a pas d’équivalant en termes de clarté et de précision.
Il ne faut pas se retenir de courir vers cette magnifique découverte.
Critique. Enregistrement. 2 CD WARNERCLASSICS. Turandot : Sandro Radvanovski ; Calaf : Jonas Kaufmann ; Liu : Ermonela Jaho ; Timur : Michele Pertusi ; Altoum : Michael Spyres ; Ping : Mattia Oliveri ; Pang : Gregory Bonfatti ; Pong : Slyabonga Maquingo ; Orchestra et Coro dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma. Direction : Antonio Pappano.
Enregistrement du 28 II au 8 III 2022 à Rome. Durées : 80.07 et 44.56. Code : 5 054 197 406591.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2023. RIMSKI-KORSAKOV : Shéhérazade. TCHAIKOVSKI : Symph 4. Wiener Phil. Sokhiev.
Un concert en tout point exceptionnel et renversant !
On l’attendait ce retour de Tugan Sokhiev ! La Halle-aux-Grains était pleine à craquer ! Double joie pour un public galvanisé, entendre l’orchestre le plus aimé au monde, le Wiener Philharmoniker qui réjouit le monde musical par son excellence tant au disque (combien d’enregistrements de références ?) qu’à la fosse de l’Opéra de Vienne, qu’en vidéo le premier de l’an pour un concert de diffusion planétaire. Soient loués Les Grands Interprètes qui sont arrivés à les faire s’arrêter à Toulouse pour ce concert dans leur tournée, tout juste avant un concert à Lisbonne.
Cet évènement aurait suffi à remplir la Halle-aux-Grains mais il y avait autre chose de très spécial.
Tugan Sokhiev a laissé tant de bons souvenirs à Toulouse en 14 ans auprès de l’Orchestre du Capitole et de son cher public. Son départ si brutal, provoqué par une « maladresse » politique ne cesse de nous peiner. C’est comme une revanche de le voir diriger dans cette même salle en toute simplicité l’orchestre le plus prestigieux du monde : mes aïeux quel concert ce soir-là !
Dans une ambiance survoltée des grands soirs, alors que les queues pour rentrer dans la salle étaient tout juste finies, chacun trouvait sa place fébrilement. Et de découvrir qu’il n’y avait aucun musicien sur scène…. Pas une note répétée par un violon, un hautbois, une trompette ? Étaient-ils seulement là ? Et c’est ainsi que nous avons eu le premier choc. En une rapidité d’éclair les musiciens entrent sous les applaudissements constants du public, prennent leur place et restent debout, ne s’asseyant que tous présents et parfaitement immobiles… jamais je n’avais vu cela ! Première ovation du public subjugué après un LA trouvé le temps d’un soupir tous ensemble ! C’est stupéfiant, cette solidité, cette élégance, ce calme souverain. Puis tout est allé très vite Tugan Sokhiev est rentré ovationné par son public, un regard circulaire du chef et nous partons avec Shéhérazade de Rimski-Korsakovpour le plus beau voyage musical qui se puisse imaginer. Un véritable conte de fées. Le son des Wiener Philharmoniker ne peut pas être décrit avec tout ce qu’il contient. Il y a d’abord la profondeur du son des cuivres. Dans le thème du Sultan qui ouvre le voyage c’est une véritable angoisse qui nous saisit alimentée par les fréquences qui traversent le corps et pas seulement les oreilles. Les vents diaphanes et délicats suivent puis le violon solo prend la parole de Shéhérazade et le chant d’Albena Danailova va nous envoûter avec une séduction irrésistible qui heureusement se renouvèlera tout le long du poème symphonique. Le pupitre des violons est aussi source de délices inénarrables. Comment une telle présence douce et puissante à la fois est-elle possible ? Comment cette transparence et cette profondeur peuvent-elles coexister ? Le hautbois sait être d’une troublante beauté dans des rythmes chaloupés à se damner. Les trompettes sont claires et victorieuses sans avoir recours à la moindre brutalité. Le basson solo a un humour sidérant avec une sonorité ronde enveloppant tout le corps. Et je n’oublie pas la caisse claire et les timbales, les percussions aussi sont extraordinaires. Il y a un véritable effet « physique » de cet orchestre qui vous subjugue par sa force et sa délicatesse. A l’écoute des enregistrements bien des qualités de cet orchestre sont évidentes mais au concert les voir et les ressentir fait vivre un moment qui a quelque chose d’unique.
La direction de Tugan Sokhiev est chorégraphique et absolument charmante. Tout est mis en valeur avec évidence, les nuances profondément creusées, les phrasés alanguis ou resserrés accompagnent l’évocation du plus beau conte oriental. Nous connaissons son interprétation de cette si belle musique, nous devinons ce soir qu’il est lui-même sur un petit nuage obtenant tant de splendeur avec de tels musiciens.
A l’entracte il semble important au public de partager ce bonheur si intensément vécu dans des papotages incessants.
La deuxième œuvre au programme va aller plus loin, beaucoup plus loin encore dans le drame cette fois-ci. La quatrième symphonie de Tchaïkovski,toute emplie du poids du fatum, semble être une œuvre particulièrement proche à Tugan Sokhiev. Dès la fanfare d‘ouverture les Wiener Philharmoniker vont lui offrir un son d’une profondeur abyssale, effrayant et terriblement beau. Avec des cordes porteuses d’une douleur insondable, des clarinettes en confidences intimes et des violoncelles si chantants, Tugan Sokhiev, comme en transe, obtient la version la plus dramatique que je lui connaisse. Il y va probablement de la vie du chef de défendre ainsi la musique de son compositeur préféré. Dans son bouleversant communiqué où il renonçait à diriger et l’Orchestre du Capitole et le Bolchoï, il avait dit combien de ne plus jouer de musique russe lui était impossible. Il le prouve ce soir de manière éclatante, avec un orchestre merveilleux et dans la ville même à l’origine de l’injonction, cause du départ fatal. Aujourd’hui Tugan Sokhiev est un artiste intègre et de plus en plus engagé dans son crédo : la musique transcende tout et rassemble avant tout dans la paix. Mûri, moins hyper contrôlé, il ose ce soir une interprétation particulièrement puissante. Peut-être est-ce de savoir qu’il compte sur un orchestre particulier qui même dans la violence ou la douleur garde une élégance suprême. C’est en tout ce paradoxe qu’incarnent les Wiener Philharmoniker, puissance et grâce enchâssées. Voir la chorégraphie de Tugan Sokhiev dirigeant si intensément, le voir s’y épuiser et obtenir tant de cet orchestre est très émouvant. Cet orchestre séculaire qui à force d’excellence a été dirigé par ce que le monde connaît de plus belles baguettes, se laisse emporter par un chef russe dans sa patrie martyrisée et avec lui défend une somptueuse musique que rien ne doit faire taire. Ce soir Tugan Sokhiev qui termine le concert en nage aura joué sa vie d’artiste sous nos yeux. Quelles émotions !
Un concert absolument inoubliable pour toutes ces raisons et d’autres encore.
Un petit bis probablement choisi par l’orchestre la polka Unter Donner und Blitz de Johann Strauss, avec un humour ravageur va achever la réconciliation. Tugan Sokhiev comme un enfant aux anges ne fera que commenter de gestes touchants ce que les musiciens lui offrent, il ne dirige plus il exulte. Et nous tous aussi.
Les inoubliables Wiener Philharmoniker resteront dans nos cœurs comme messagers de beauté, de paix et de bonheur parfait. Un immense merci aux Grands Interprètes de les avoir invités !
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains le 18 mars 2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Schéhérarazade, suite symphonique op.35 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°4 en fa mineur, Op.36 ; Wiener Philharmoniker. Tugan Sokhiev, direction.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-Grains, le 17 mars 2023. FRANCK. ATTAHIR. T. Garcia. P. Bleuse. Orch Nat Cap
Toulouse ville de musique et de musiciens : un Trio de toulousains au sommet
Il n’est pas interdit de faire cocorico ce soir tant la ville rose peut s’enorgueillir de la place accordée à la musique. L’Orchestre National du Capitole rayonne mondialement et récemment encore sa magnificence dans le Tristan et Isolde de Wagner en a ébloui plus d’un. Les solistes internationaux nés à Toulouse sont nombreux. Ce soir Thibaut Garcia l’un des guitaristes les plus doués du moment revient en terre conquise avec la création d’un concerto en première mondiale. Le compositeur Benjamin Attahir qui en eu la commande est également un Toulousain. Cette œuvre d’un seul tenant est complexe et pourtant facile d’écoute car une grande clarté permet dans l’alternance et le dialogue de l’orchestre et de la guitare de toujours suivre ce qui se passe. Chaque instrument de l’orchestre aura la parole, avec une utilisation de nombreuses percussions. La guitare joue presque tout le temps. Cette partition exigeante est soigneusement dirigée par Pierre Bleuse. Le musicien, est toulousain lui aussi ! Il fait depuis qu’il a laissé le violon une riche carrière internationale en tant que chef d’orchestre. Son intense activité internationale lui laisse encore le temps de rentrer au pays et c’est tant mieux. C’est avec grand plaisir que le public le retrouve à la tête de l’orchestre du Capitole qu’il connaît bien. Il y a peu, le 23 février dernier, il avait dirigé l’Orchestre National de France. Son engagement est total et il est assez fascinant de voir combien il met de plaisir autant que d’énergie à diriger cette partition toute nouvelle. Tout est limpide sous sa direction précise. Le soliste est très soutenu et l’équilibre est savamment construit avec l’orchestre qui s’il est souvent en échanges chambristes variés avec la guitare peut dans des tutti complexes menacer de l’engloutir. La sonorisation du fragile instrument à cordes pincées est en fait très aventageuse, presque trop dans les moments chambristes. Elle trouve toute sa nécessité dans ces tutti tonitruants. Le final avec une certaine urgence assez dramatique donne beaucoup de brillant. Cette belle partition vient enrichir un catalogue bien peu fourni réunissant un orchestre symphonique et la guitare. Le public semble avoir apprécié cette création et a applaudit vivement les artistes ainsi que le compositeur venu saluer sur scène et féliciter les musiciens. Thibaut Garcia joue en bis une très musicale adaptation des Voix humaines de Marin Marais. Le reste du programme, entourant la création, est consacré à César Franck. D’abord avec une ouverture spectaculaire : le Chasseur maudit. Pierre Bleuse lui donne toute la dramaturgie attendue. Les couleurs de l’orchestre irradient, les rythmes sont implacables, le drame avance et le final est enthousiasmant. En deuxième partie de programme nous retrouvons la trop rare symphonie en ré mineur de César Franck. Dès les premières mesures nous sommes pris par l’ampleur des sonorités de l’orchestre. La direction charpentée et énergique du Pierre Bleuse ne nous lâchera pas. La partition déploie ses sortilèges quasi-wagnériens et toute sa flamboyance avec de tels interprètes. L’orchestre est superbe de couleurs et de timbres. Les musiciens semblent tout à leur aise dans cette œuvre extravertie et de haute tenue. Tugan Sokhiev en 2009 nous avait offert une version plus souple et joyeuse. Ce soir c’est la flamboyance et la grandeur qui sont mises en valeur. C’est splendide !
Le public fait un triomphe à l’orchestre et particulièrement à Pierre Bleuse, l’enfant prodige de retour au pays.
Durant la répétition la veille. P Bleuse face à l’orchestre, B Attahir et T Garcia au premier rang regardant la partition
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 17 mars 2023. César Franck (1822-1890) : Le chasseur maudit M 44. Poème symphonique : 1. Le Paysage paisible du dimanche ; 2. La Chasse ; 3. La Malédiction ; 4. La Poursuite des démons ; Symphonie en ré mineur FWV 48 ; Benjamin Attahir (né en 1989) : El Biir, Concerto pour guitare (2022), Création mondiale. Thibault Garcia, guitare ; Orchestre National du Capitole ; Pierre Bleuse, direction.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-Grains, le 17 mars 2023. FRANCK. ATTAHIR. T. Garcia. P. Bleuse. Orch Nat Cap
Cet article écrit pour Classiquenews devait être complété par l’ajout de la description de la quatrième représentation de Tristan le 7 mars 2023. En effet les artistes de cette production faisaient pour les principaux des prise de rôle attendues par toute la planète lyrique. Et dans des prise de rôle de cette ampleur il est fascinant de suivre l’évolution en 10 jours et quatre levés de rideaux. L’assurance prise par le Tristan de Nicolai Schukoff a été constante avec une forme vocale inaltérable et de plus en plus spectaculaire. Sophie Koch en Isolde se révélant d’une fascinante sensibilité variant chaque soir les subtilités d’un personnage compris avec une grande profondeur. Un soir plus sensuelle dans l’acte deux, l’autre soir plus vipérine dans la colère du premier acte , mais toujours extrêmement émue et émouvante dans le Liebestod final et les répliques le précédent. La matinée du dimanche quatre mars se révélant la plus aboutie et la plus passionnelle à l’acte deux. Nous attendions donc une montée en beauté pour la quatrième le mardi 7 mars. S’était sans compter les effets dévastateurs de la colère sociale. La grève décidée par l’orchestre à quelques minutes du lever de rideaux a été vécue comme un attentat au subtil travail collectif qu’a été cette aventure colossale. Avce le départ de la fosse des musiciens entrain de s’échauffer.
En effet « monter » Tristan pour un Théâtre de province, même si il est National, est un engagement presque déraisonnable en terme de couts et cette production avec un plateau monumental mobilise des moyens techniques complexes et pour toute l’équipe de longs jours de répétition. Quatre représentations c’est peu, alors une de gâchée sur quatre c’est beaucoup. Mais à chaque malheur une forme de résilience est possible. Ainsi des très larges extraits ont été donnés avec un piano droit dans la fosse sans éclairages et sans mouvements de plateau. Autant dire que Tristan et Isolde sans orchestre ni scène mobile ne rendait pas justice à Wagner ni au travail d’équipe absolument sensationnel réalisé jusque là. Il a toutefois été possible d’éouter plus attentivement les voix. Ainsi la subtilité du chant ciselé de Sophie Koch confirme bien une Isolde considérable et très originale s’appuyant ainsi sur un texte limpide avec une voix homogène et sombre donnant au personnage une dimension tragique et sensuelle rarement associées à ce point. Le Tristan de Nicolai Shukoff est sidérant de puissance émotionnelle héroïque. Lui aussi s’appuyant avec limpidité sur le très beau texte de Wagner.
Mais la tristesse de cette version de poche amputée d’un orchestre consubstantiel au drame restera un souvenir amer surtout pour les spectateurs venus de l’étranger pour ces prises de rôle historiques.
Le conflit cornélien social actuel, aux enjeux sociétaux majeurs, restera aussi et bien d’avantage dans la mémoire collective. La bulle opératique n’aura pas été épargnée à Toulouse ce soir là.
CRITIQUE, Opéra.TOULOUSE, Capitole, les 26 fev. 1 et 4 mars 2023. R WAGNER : Tristan et Isolde. N Joel / F Beermann. S Koch. N Schukoff. Orch nat Cap.
Pour quatre représentations les sortilèges de la vaste partition de Wagner ont animé (et comment !), le Capitole toulousain. C’est un évènement tout à fait remarquable et le public l’a compris qui a fait salle comble à chaque fois. Dès avant le lever du premier rideau il était bien difficile de trouver encore un billet bien placé. On a frôlé le « à guichet fermé ». Pour La Bohème et Les Noces de Figaro ce n’était pas surprenant, pour un ouvrage long et difficile comme Tristan et Isolde c’est très réconfortant. Ce n’est pas la mise en scène déjà ancienne de Nicolas Joël, datant de 2007 et revue avec plaisir en 2015, cette fois ranimée par Emilie Delbée, qui nous motivera en premier. Elle a comme mérite d’être extrêmement dépouillée, de ne pas distraire l’oreille des splendeurs vocales et orchestrales, de proposer un symbolisme discret, des images fort belles et surtout de mettre en valeur la musique. Ce qui dans le contexte actuel est une sacrée chance pour le public car tant d’horreurs ont cours sur les scènes lyriques (dont la production aixoise donnée au Luxembourg actuellement). Pour la mise en scène de Nicolas Joël je propose de Relire mon analyse de 2015.
Nous concentrerons notre critique sur l’extraordinaire réussite musicale et vocale qui a coupé le souffle à plus d’un.
L’Orchestre du Capitole d’abord car sa magnificence est un sacré atout. Les sonorités subtiles ou rutilantes de cet orchestre symphonique superlatif font merveille dans la fosse du Capitole. Les solos sont d’une beauté et d’une émotion à faire pleurer de bonheur. Gabrielle Zaneboni au cor anglais fait des merveilles à l’acte trois. Cette mélancolie indicible est fulgurante. Mais il serait injuste de ne pas signaler les moments clefs de l’alto solo, du violon solo et du violoncelle solo. Porteurs chacun de la plus juste émotion dans une beauté de son supérieure. Les bois et les cuivres sont à la fête et les contrebasses si intenses également. Cet orchestre porte tout le drame à un niveau d’incandescence rarement atteint. Il faut dire que l’osmose avec la direction superbe de Franck Beermann, attendue après tant de réussites in loco (souvenons-nous de son Parsifal ), aura tout dépassé. Les sourires qui diffusent entre le chef et les instrumentistes révèlent une confiance mutuelle au sommet. Dans des tempi plutôt rapides Beermann dès le prélude sait donner aux silences un poids dramatique sidérant. Les nuances subtilement dosées sont saisissantes. La mort des longues phrases des violons est d’une émotion à peine soutenable. Dès la fin de prélude chacun sait qu’il va vivre un moment rare. Tout le drame est annoncé, toute la douleur jubilatoire de la partition du sorcier Wagner est là. Le délicieux poison du désir de fusion amoureuse qui va vers la mort dans une dimension métaphysique est superbement présenté. En fait la direction de Franck Beermann est si sûre que le drame va se construire de manière inexorable et jamais ne nous lâchera. Les quatre heures de musique vont passer comme par magie. Jamais le moindre relâchement, le moindre zest d’ennui n’apparaît. Et c’est là qu’il faut souligner le génie de Christophe Ghristi qui a su construire ce Cast idéal avec sa seule intuition. Qui d’autre avec un tel succès peut proposer cinq prises de rôle dans Tristan, qui est peut-être l’opéra le plus complexe à distribuer ? Ce qui va se passer ensuite demande une analyse fouillée. Par ordre d’entrée en scène le premier chant du Jeune Matelot est intense et beau. Valentin Thill reviendra en Berger à l’acte III avec un jeu sobre et une émotion vraie et bouleversante. Pour l’heure il ouvre la voie et arrive à mettre dans son chant tout le second degré demandé.
L’Isolde de Sophie Koch rentre dans la liste des immenses Isolde mezzo-soprano comme Astrid Varnay ou Waltraud Meyer. Elle s’installe d’emblée sur un sommet. Le personnage d’Isolde qu’elle incarne trouve une complexité rarement atteinte. Au premier acte la colère aristocratique de la princesse fait froid dans le dos, sa violence relativement maîtrisée rend perceptible une douleur profonde, une jalousie destructrice, comme la face inversée de son amour pour Tristan que le filtre ne fera que révéler. Sagace, hautaine, à la limite de la perfidie, la manière dont elle distille le texte du premier acte est vipérine. A l’acte II la femme amoureuse est impérieuse en exprimant à sa suivante un désir irrépressible presque violent. Elle reste princesse et devient femme amoureuse à l’arrivée de son amant. Quel beau couple ils forment ! L’explosion des retrouvailles est jubilation pure. Tout le jeu dans le long duo est ensuite une construction très aboutie avec son partenaire. Les regards, les sourires, les tendresses, les caresses tout suggère les montées du désir de cet amour fusionnel.
On savait depuis Parsifal en 2020 la sensualité troublante qui peut émaner du jeu de ces deux artistes, elle va beaucoup plus loin dans ce deuxième acte avec une dimension érotique poétique. Avoir deux chanteur-acteurs aussi crédibles scéniquement dans ces rôles d’amants superbes et éternels n’est pas si fréquent ! Au troisième acte en robe rouge somptueuse Isolde-Sophie n’est qu’amour et embrasse la mort, souriante afin d’atteindre une forme de plénitude éternelle. Son Liebestod est fébrile et porté par une fragilité humaine désarmante. La voix surfe avec puissance sur les vagues orchestrales sublimes. Vocalement Sophie Koch couvre toute la vaste tessiture, sa voix d’airain passe l’orchestre sans soucis. A mon sens c’est sa diction, sa manière de ciseler le texte si beau qui fait le plus grand prix de son interprétation. Vocalement elle est à l’aise sans soucis pour les contre-ut. En approfondissant le rôle et en se l’appropriant, sa voix va s’assouplir et se déployer. La performance est déjà tout à fait remarquable et le public reconnaissant est enthousiaste aux saluts. Isolde est bien une prise de rôle qui correspond aux moyens actuels de Sophie Koch et à sa belle maturité. Toulouse a beaucoup de chance !
La Brangäne d’Anaïk Morel est également une prise de rôle. La voix est somptueuse, le legato à l’acte II est souverain. Le jeu est convainquant et le personnage est cohérant. Voilà un rôle en or pour la jeune Anaïk Morel. En Kurwenal, Pierre -Yves Pruvost fait également une prise de rôle remarquable.
Personnage tout entier et peu nuancé c’est le portrait de la fidélité absolue. La voix sonore et l’émission droite conviennent bien à cette conception du personnage. Il n’est pas de Tristan qui vaille sans un héros charismatique. Comment décrire le Tristan de Nicolai Schukoff ? Il EST Tristan à ce stade de sa carrière. C’est le bon moment.
Son physique est rare pour un ténor, proche de la perfection. Grand et élancé il incarne une forme d’héroïsme charismatique rien que par sa seule présence. Le jeu altier au début de l’acte I s’évanouit avec l’effet du philtre et il n’est plus que ravissement à l’amour. Le jeu à l’acte II nous l’avons dit, est avec sa partenaire d’une grande sensualité. Face au Roi Marke ses accents sont d’une douleur désenchantée. Il retrouve un instant sa noblesse posturale face à Melot à la fin de l’acte II. Puis il ne sera plus que douleurs. Le jeu et le chant du terrible acte III sont ceux d’un Grand Tristan. La voix reste souveraine tout du long, ce beau métal noble, cette émission droite et franche sont de l’étoffe des héros. Nicolai Schukoff a également l’endurance du rôle. Ce n’est pas un Tristan malade cherchant des couleurs et des nuances extrêmes comme certains. Il meurt d’autre chose non de sa blessure physique avce une voix pleine et forte. Toulouse a vu la naissance d’un Vrai Tristan ! Il nous reste à évoquer le Roi Marke somptueux de Matthias Goerne : il signe une prise de rôle majestueuse avec une voix souple, sonore et conduite avec art. Le texte est ciselé et le personnage a une bonté absolue.
Marke est un monarque aimant ne revendiquant que d’être aimé et anéanti par les abandons en cascades et les morts qu’il ne peut éviter. Matthias Goerne y met tout son art du lied, colorant chaque mot. Damien Gastl en Melot campe un personnage parfaitement détestable et Matthieu Toulouse rajoute au drame avec sa très courte intervention. La puissance des chœurs d’hommes est appréciable. La cohérence de ce spectacle est digne de la recherche wagnérienne de l’œuvre d’art total et du monument inouï qu’il a érigé à l’amour idéalisé. Voici un spectacle inoubliable pour le public nombreux qui a fait chaque fois un véritable triomphe à tous les artistes, l’orchestre venant également saluer sur scène ! Quel merveilleux travail d’équipe ! Toulouse devient une capitale wagnérienne incontournable.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 26 février 2023. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde. Mise en scène, Nicolas Joël/ Emilie Delbée ; Décors et costumes, Andrea Reinhardt ; Lumières, Vinicio Cheli ; Avec : Sophie Koch, Isolde ; Nicolai Schukoff, Tristan ; Matthias Goerne, Le Roi Marke ; Anaik Morel, Brangäne ; Pierre-Yves Pruvost, Kurwenal ; Damien Gastl, Melot ; Valentin Thill, un jeune marin/un berger ; Matthieu Toulouse, un pilote. Chœur du Capitole, chef de chœur Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole, Gabrielle Zaneboni, cor anglais ; Direction, Franck Beermann.
Artiste autant connu en récital qu’en interprétant de grands rôles à l’opéra, Matthias Goerne parcourt le monde avec grand succès. Nous avons la chance à Toulouse de pouvoir compter régulièrement sur sa présence musicale si passionnante. Ainsi son récital de lieder consacré à un monument exigeant : le somptueux voyage d’hiver de Schubert, a-t-il fait une belle audience. Le public toulousain semble prendre gout à ses soirées de lieder et la salle du Capitole était bien pleine ce soir. Le baryton-basse a livré une interprétation d’anthologie. Un sens aigu du texte, un chant légato en volutes subtiles, des nuances puissamment creusées et surtout des couleurs très variées avec un timbre abyssal et une capacité à l’alléger très dramatique construisent une interprétation émouvante.
Le public a su attendre la fin du cycle pour faire un triomphe au grand chanteur. Ce qu’il est nécessaire de souligner c’est la confiance faite par Matthias Goerne au très jeune pianiste (22 ans ! ) Anton Mejias. Le jeu du pianiste est absolument sidérant de présence et on devine une vraie admiration réciproque. Capable de nuances extraordinaires, ce jeune artiste sans jamais se mettre en avant arbitrairement sait prendre toute la place donnée par le piano de Schubert. Ainsi les deux vraies personnalités artistiques dialoguent pour une interprétation inoubliable de ce cycle.
Anton Mejias.
Le Capitole nous a offert une grande soirée de lieder par des interprètes absolument engagés. Nous attendons à présent la prise de rôle en Roi Mark dans Tristan au Capitole pour Matthias Goerne. Nul doute que cet art du lied fera merveille dans le long monologue du roi trahi à l’acte deux. Comme son Amfortas dans Parsifal en février 2020 qui nous avait émus.
CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre Garonne, le 15 Fev 2023. MITTERER : Dafne. Les Cris de Paris G Jourdain / A Bory.
Dafne en Opéra-Madrigal : Contrafactum sublime
d’après Opitz et Schütz
Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022 conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer
La beauté de ce spectacle d’une rare intelligence n’est pas facile à décrire. Le projet a été fait à trois. Geoffroy Jourdain directeur artistique des Cris de Paris en a d’abord rêvé. De l’opéra de Schutz sur le livret d’Opitz il ne reste plus la musique mais uniquement le poème. Jourdain a demandé à Wolfgang Mitterer de réécrire une partition sur ce livret en fournissant de la musique de Schutz qui lui semblait utile pour le projet. Aurélien Bory a également participé au projet dès le début, séduit par le projet. Il s’agit d’un vrai travail de co-construction. En fusionnant la musique de Schutz (des madrigaux italiens et de la musique religieuse) avec une bande magnétique Wolfgang Mitterer crée quelque chose d’étrange, de dérangeant qui tourne sur lui-même en des volutes complexes. Les bruits de la bande magnétique ne sont pas tous musicaux, et de loin, mais ils sont toujours très intrigants et deviennent obsessionnels à la manière d’une basse continue. Les douze chanteurs des Cris de Paris sont à la fois les interprètes, les commentateurs, les acteurs et les machinistes de la pièce. Le texte en allemand se déploie en madrigal polyphonique, la diction des chanteurs est limpide. Leurs voix sont celles de solistes, belles et sonores. Étant au premier rang mon écoute m’a permis d‘entendre précisément chaque chanteur, plus loin les micros et la diffusion dans les haut-parleurs ont dû d’avantage mêler les voix à l’électronique. L’histoire de Dafne et d’Apollon dans cet Opéra-madrigal d’après Ovide est simple et bien connue, toutefois ce soir le résultat est plus complexe car aucun chanteur n’incarne clairement un personnage. Plusieurs peuvent être Apollon ou Dafne.
Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022 conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer
Seul l’Amour par sa taille d’enfant est repérable. Le vertige est assez pernicieux entre l’individu et le groupe, Schütz et Mitterer. L’oreille en devient comme ivre. Schutz est là puis disparaît, tout se transforme en permanence, les solistes font groupe, puis s’isolent. La métamorphose est musicalement permanente. Pourtant ce travail de création se fait à trois avec l’espace travaillé par Aurélien Bory. Son dispositif est simple. Il utilise la scène tournante un dispositif classique inventé en 1617 (date proche de la Dafne de Schütz 1627). Il crée cinq cercles concentriques. La virtuosité dont Aurélien Bory est capable avec les machines de théâtre est bien connue. Il réalise une scénographie subtile et une forme de mouvements vertigineux. Ainsi avec cinq cercles et le centre, les douze chanteurs peuvent être faces au public puis avec la mise en mouvement des cercles indépendants ils se séparent, se croisent, se retrouvent. L’écoute des voix est ainsi plus facile lorsque durant le chant il y a déplacement.
Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022 conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer
Ce mouvement permanent crée une sorte d’ivresse J’y voit un hommage aux Derviches Tourneurs de Turquie. La lumière permet de sculpter l’espace et de créer des œuvres en volumes (non de simples tableaux) de toute beauté. Un moment clef est représenté par la course-poursuite de Dafne par Apollon. La musique s’accélère, les respirations halètent les spots lumineux sur un à cinq Apollon au Dafne sont de toute beauté. Il y a vraiment une création à trois dans un espace complet : sonore, visuel et cénesthésique en raison de la profondeur du vertige qui nous prend. Une sorte de confusion sur les objets repérants vient de ce que les trois personnages principaux sont munis d’arcs, de flèches et de carquois.
Ce spectacle de grande virtuosité est assez inouï. La beauté nous y submerge souvent. Le voyage est dans le temps comme dans l’espace. Tout est calé au millimètre tout en laissant une part de mystère. Les chanteurs acteurs sont magnifiques, la direction de Geoffrey Jourdain est superbe, le dispositif scénique d’Aurélien Bory est inoubliable, la musique de Mitterer et celle de Schütz s’épousent ou s’opposent. La notion d’Opéra au sens d’un spectacle total n’a jamais été aussi proche que dans cette œuvre qui n’est toutefois pas un vrai opéra ! Tout concours à évoquer le vertige de l’amour chanté par le poète… un vertige de l’amour qui n’est pas bien loin !
Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022 conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer
Le public n’était pas bien nombreux ce soir dans la vaste Halle-aux-Grains, les galeries hautes étant presque vides. Au final ce concert n’a pas été à la hauteur des attentes. Et bien loin des promesses sur le papier.
Auréolé d’annonces élogieuses le violoniste de 20 ans Luka Fausili n’a pas du tout été convainquant. Un son terne, des nuances absentes et jeu désincarné : le poème pour violon d’Ernest Chausson n’a pas du tout vibré ni ému. Les bis offerts par le jeune homme ne lui ont pas permis de rétablir les choses. Un Bach amorphe et un Debussy (le fameux Syrinx pour flute solo) si acide et placide que plus d’un ne l’a pas reconnu. Il s’est agi d’une probable méforme, du moins espérons-le…
Le chef Wilson Ng a lui également été peu inspiré. La Tarentelle Styrienne de Debussy a totalement manqué de subtilité, d’allant et même de charme. Le poème de Chausson bien en place, sans la moindre musicalité est resté au port. La symphonie d’Elgar a été rapprochée par le chef des Pomp and Circumstance bien loin de subtilités des Variations Enigma, alors que cette première symphonie d’Elgar regorge de richesses. Sans nuances, sans recherches de couleurs et sans phrasés cette symphonie devient insipide et juste bruyante. Quel gâchis !
L’orchestre du Capitole lui-même a semblé en petite forme et comme à distance de ce non-évènement.
Une consolation pourrait être de se dire que les plus beaux solistes de l’orchestre seront dans la fosse du Capitole où Tristan et Isolde est actuellement en répétition avec un chef d’une autre trempe ! Et c’est lors des 4 représentations de Tristan et Isolde au théâtre du Capitole que les splendeurs dont cet orchestre est capable seront révélées.
Ce soir un chef aux moyens modestes et un violoniste atone n’ont pas permis aux œuvres de décoller ni à l’orchestre de vibrer. Le public a été poli sans plus. Plus enclin à partir que de commenter.
CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 24 janv 2023. MOZART : Les Noces de Figaro. H Niquet / M A Martelli
Des Noces de Figaro de rêve à Toulouse
Nous connaissions cette co-production avec Lausanne vue en 2008 in loco et en savions la beauté. Le public a été conquis d’avance car la billetterie annonçait un remplissage à 100/100 plus un seul strapontin à vendre sur les 6 dates !
Élégance, beauté et efficacité décrivent au plus près cette production pleine de grâces. Décors simples et de bon goût. Lumières très subtiles et costumes somptueux permettent aux chanteurs-acteurs d’évoluer dans un environnement quasi magique.
La direction d’acteur est exigeante et assume le comique de l’intrigue. Le public rit souvent.
La distribution est d’une homogénéité parfaite. Rendons hommage à Christophe Gristi qui l’a choisie. Car c’est avec détermination et courage qu’il a fait confiance à des chanteurs jeunes, souvent en prise de rôle dont des toulousains. L’équilibre vocal est superbe avec des voix plus centrales pour les dames, puissantes et sombres chez Figaro et le Comte. Jusqu’aux plus petits rôles l’équilibre est parfait. Ce qui permet aux merveilleux ensembles de sonner parfaitement.
Les chanteurs sont tous des acteurs accomplis qui dansent, roulent par terre, tombent au sol, courent, sautent. Théâtralement c’est un véritable rêve du tandem Mozart-Da Ponte. Vocalement le Comte de Michael Nagy est puissant, jeune et charmeur. Son jeu vif et sanguin donne au personnage une jeunesse inhabituelle. Karine Deshayes incarne une très belle Comtesse, la voix est pure, belle et généreuse de timbre sur toute la tessiture. L’évolution sopranisante est certaine, nous le savons depuis sa Donna Elvira à Orange en 2019. Le jeu permet au personnage de gagner en complexité à la fois très enjouée et jeune, teintée d’une délicate mélancolie pudique. Ses deux airs sont admirablement phrasés même si le premier est dans un tempo un peu brusqué par le chef. C’est dans les ensembles (et ils sont nombreux) que la présence vocale de la Comtesse est rayonnante.
Dans cette mise en scène la complicité entre la Comtesse et Suzanne est totale. L’accord vocal avec la Suzanne d’Anaïs Constans est parfait. Anaïs Constans est une Suzanne solide et la beauté vocale est généreuse. Elle aussi a une présence dans le registre central qui lui permet de s‘imposer dans les ensembles. Et la rondeur du timbre, ses harmoniques donnent au personnage une belle sensualité. Son futur mari Figaro a la « bouille » de Julien Véronèse. Figaro tonitruant, dont le charme est fait d’intelligence plus que de beauté. Le couple avec sa Suzanne fonctionne bien vocalement et scéniquement. Les moments d’opposition avec le comte sont marqués par une puissance inhabituelle. Entre ce Comte si élégant à la beauté ravageuse et ce Figaro habile comme un chat, c’est comme un rapport de forces sociales qui s’affirme. Une autre merveille scénique et vocale est créée par Éléonore Pancrazi en Cherubino d’amore. Jeu complètement adolescent androgyne, sa manière de tomber dans le lit de Suzanne puis de la Comtesse est hilarante. Et quelle belle voix timbrée et homogène ! L’émotion est régulièrement partagée avec le public. Le personnage devient un véritable chouchou. Le Bartolo de Frédéric Caton est effrayant dans la Vendetta, le personnage est ensuite de plus en plus sympathique. Emiliano Gozales Toro est un Don Basilio de luxe. Quel jeu cauteleux !
La grâce délicate de la Barbarina de Caroline Jestaedt est un régal. Ingrid Perruche en Marcellina est truculente. Son jeu d’un comique assumé donne beaucoup de présence au personnage. Matteo Peirone en Antonio, Pierre-Emmanuel Roubet en Don Curzio, Zena Baker et Youngshin Kim en damigelle sont tous admirables de présence. Cela se devine je pense dans ma critique, toute la distribution est en harmonie. Il nous reste à évoquer l’excellence de l’orchestre. Les musiciens du Capitole sont d’excellents mozartiens nous le savons. Avec Hervé Niquet ils atteignent des sommets de musicalité et de théâtralité. La disposition choisie par le chef est aussi surprenante que réussie. Elle permet un lien fosse-scène parfait. Les musiciens sont très hauts. Les bois (si important dans les airs), les cors et même les trompettes sont dos au public en bord de salle et donc voient les chanteurs. Le chef est devant le piano Forte du continuo et regarde la scène tournant le dos aux bois. Les violons et alto à gauche et les violoncelles, contrebasses 2 à l’extrême droite et 2 à gauche . Cette mise en place très baroque est prodigieuse et permet à l’orchestre de sonner généreusement. En cela le volume est très assorti aux belles voix solistes. La direction d’Hervé Niquet avec ses immenses mains est très contrastée avec des tempi plutôt rapides, Figaro dans son premier air et d’une manière plus subtile la Comtesse dans son Porgi Amor seront un peu malmenés. Le théâtre est partout dans cette direction, cela avance sans retard, les différents plans sont limpides. Cet orchestre chante, vit, s’amuse. C’est un véritable festival de joie. Jamais la folle journée n’aura semblé si délicieuse. Le public a exulté aux saluts et a fait une ovation à la troupe. Car ce qui restera c’est justement cet accord total entre les artistes de la scène à la fosse. Et Robert Gonella au piano forte à côté du chef, accompagne les beaux récitatifs avec inventivité et talent. C’est vivant et cela avance à toute vitesse, folle journée l’exige !
Cette production classique est une réussite totale à laquelle le public a adhéré pleinement. C’est beau un théâtre plein à craquer qui exulte !
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 janvier 2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Les Noces de Figaro, Opera Buffa en quatre actes. Livret de Lorenzo Da Ponte, d’après Beaumarchais. Mise en scène et scénographie, Marco Arturo Marelli ; Costumes, Dagmar Niefind ; Lumière, Friedrich Eggert ; Distribution : Michael Nagy, Le Comte ; Karine Deshayes, La Comtesse ; Julien Véronèse, Figaro ; Anaïs Constans, Suzanne ; Éléonore Pancrazi, Cherubino ; Ingrid Perruche, Marcellina ; Frédéric Caton, Bartolo ; Emiliano Gonzales Toro, Don Basilio ; Caroline Jestaedt, Barberina ; Matteo Peirone, Antonio ; Pierre-Emmanuel Roubet, Don Curzio ; Zena Baker et Youngshin Kim, deux dames ; Orchestre National du Capitole ; Robert Gonella, continuo ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur, Gabriel Bourgoin ; Direction, Hervé Niquet.