Critique. Concert. Toulouse, Halle-aux-grains, le 4 décembre 2023. MARIZA : Fado et cie…
Les grands interprètes ont invité la diva du Fado pour un récital somptueux.
Belle dans sa robe fourreau de paillettes aux couleurs changeante, se déplaçant avec grâce sur toute la scène, bras orants et offrants Mariza à régner sur un public conquis. Au fond de scène, à cour et à jardin cinq musiciens l’accompagnaient. Le fond de scène représentait ses initiales au milieu de fleurs stylisées.
Des lumières de face permettaient de jouer sur la profondeur et parfois d’éblouir le public. Les couleurs changeaient, l’intensité lumineuse variait. Un grand cercle lumineux mettait en valeur corps, visages et mains de la diva. Dans la plénitude de magnificence de sa maturité la femme était solaire ou lunaire, mais toujours rayonnante.
Mariza semble implorer le public, lui offrir son cœur c’est simple et d’une beauté foudroyante. Mariza c’est également une Voix, et quelle voix ! Capable de tonner, d’implorer, de pleurer, de rire même un peu. Une fois elle chante sans micro et sans peine sa voix rempli toute le vaste Halle-aux-Grains. Ses infimes variations de couleurs, ses nuances fulgurantes la font passer du murmure aux cris. Toute la palette d’émotions dont elle est capable sidère. Ainsi cette femme si belle, métis d’une mère du Mozambique et d’un père Portugais a dans son corps tous les rythmes de l’Afrique et de l’Amérique du sud. Elle bouge sensuellement en toute simplicité. Comme un oiseau ses deux bras ouvrent des ailes.
Et sa voix vole dans des styles variés. Bien sûr le Fado domine mais les Îles du Cap verts, l’ Afrique et le Brésil l’inspirent. Et sa longue cantilène A Capella avec des percussions et les battements de mains du public fait revivre une Sybille antique. Voyageant dans les styles, les rythmes et le temps, son chant atteint une plénitude incomparable. Les trois guitaristes, l’accordéon et les percussions sont des compagnons de musique très inspirés. Ces grands musiciens dialoguent avec la chanteuse qui en toute confiance peut se lancer dans des variations magiques. La complicité qu’ils partagent est pleine de chaleur.
Emmaillant ses chansons de paroles en français, en anglais et en portugais sur sa carrière, sa vie, le temps qui passe, Mariza se dévoile fragile et pleine de doutes. Sa seule certitude c’est bien la profondeur de l’amour et dans ses amours, la musique et le public sont au sommet. Mariza envoute son public qui lui fait fête. Les adieux se prolongent avec plusieurs bis. Mariza est une grande artiste qui transcende le Fado, chante la beauté du Portugal et sa langue si chantante. Elle chante aussi le monde, l’Afrique, le Cap Vert et le Brésil. Une grande dame nous accueilli dans son mode de musique et de beauté. Merci belle Mariza !
Critique. Concert.Toulouse. Halle-aux-Grains, le 4 décembre 2023. Fado et musique du monde. MARIZA, voix ; Luis Guerreiro, guitare portugaise ; Phelipe Ferreira, guitare acoustique ; Adriano Alves-Dinga, guitare basse ; Joao Freitas, percussions ; Joao Frade, accordéon. Photos : Hubert Stoecklin le 4 Décembre 2023
Elle sera à Lyon le 11 décembre après elle sera à Lisbonne le 31 décembre et puis recommencera son tour du monde.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains le 2 Décembre 2023. SCHOENBERG, STRAUSS ; WAGNER, Orch. Nat. Capitole, R. Capuçon, T. Peltokoski.
Premier concert de Tarmo Peltokoski avec son orchestre du Capitole
Pour ce concert historique des huiles politiques et culturelles étaient dans la salle. Toutes les places avaient été vendues et on a refusé du monde. Tarmo Peltokoski faisait incontestablement l’événement. Ce jeune chef qui dirigera l’orchestre du Capitole dès septembre 2024 en tant que directeur artistique est effectivement un génie de la baguette. Avant de savoir que le destin allait lier ce jeune chef et l’Orchestre de Toulouse j’avais été ébloui en 2022 dans un concert qui peut toujours se regarder sur Medici TV. Aujourd’hui c’est un rêve qui se réalise. Renouveler un coup de foudre entre un chef et l’Orchestre de Toulouse, après la magnifique histoire avec Tugan Sokhiev, était bien improbable. Ce concert a été incroyablement enthousiasmant et a tenu ses promesses . En première partie le chef avant choisi le terrifiant concerto pour violon d’Arnold Schoenberg. Il a d’ailleurs remercié le public dans un français exquis d’avoir écouté ce concerto. Œuvre difficile pour les musiciens comme pour le public, étendard du dodécaphonisme elle se veut sans aucune séduction dans son intransigeance. Renaud Capuçon a été concentré et très solide techniquement. Cette virtuosité inouïe il l’a totalement maitrisée. Très engagé son jeu a été très articulé et précis. Le chef a su garder une tension assez terrifiante tout du long. Seul le second mouvement a permis comme une détente. Très applaudi, Renaud Capuçon a donné en bis une étude sur Daphnée de Richard Strauss. Habile choix qui a permis un lyrisme bien venu après tant de sècheresse et a préparé la suite du concert.
Après l’entracte l’orchestre s’étant élargi, nous avons pu vivre intensément le poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Le début est bien connu et sert d’ouverture dans le film culte, 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick. Je n’ai jamais eu de tels frissons dans cette page grandiose. Ce soir Tarmo Peltokoski obtient des contrebasses un bruissement tellurique impressionnant puis des cuivres une brillance aveuglante. C’est grandiose et également très précis et rigoureux. Le grand crescendo est conduit de main de maitre et l’accord fortissimo qui se termine sur l’orgue est précis, sans déborder comme c’est parfois le cas. Puis la partie de quatuor à cordes chante avec une subtilité incroyable. Il n’est pas nécessaire ensuite de parler de la perfection instrumentale de l’orchestre, chacun joue comme si sa vie en dépendait. Une urgence absolue se dégage de cette interprétation. Tarmo Peltokoski associe un geste fougueux et fédérateur à une précision parfaite. Les nuances sont exacerbées.
Les crescendi nous clouent sur place. Ce qui pourtant est le plus émouvant est cette construction dramatique, cette capacité à raconter la musique. Ce jeune chef a une forme d’intuition qui fait que les musiciens comme le public adhèrent sans discussion à sa vision. Le public déguste la fin subtile et le long silence sur lequel se termine le poème symphonique, avant d’applaudir à tout rompre : Succès total pour l’orchestre et le chef !
En fin de programme l’ouverture des Maitres Chanteur de Wagner nous est offerte avec une lumière qui permet de déguster la riche construction contrapuntique ; c’est limpide et charpenté. C’est allant sans jamais aucune lourdeur, car le tactus est savamment conduit. Les couleurs rutilent et les nuances sont très creusées. L’enthousiasme communicatif du chef envahi le public qui applaudi avec frénésie. Cela confirme une union que l’on devine très intime entre ce jeune chef visionnaire et l’Orchestre du Capitole et le public. De bien beaux moments sont promis aux toulousains ce soir. Medici TV a filmé et diffusé le concert en directe, nous espérons une rediffusion prochaine.
Les années Peltokoski sont attendues avec impatience à Toulouse après ce concert d’une telle intensité !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 2 décembre 2023. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon, op.36 ; Richard Strauss (1846-1949) : Ainsi parlait Zarathoustra, poème symphonique, op. 30 ; Richard Wagner (1813-1883) : les Maîtres chanteurs de Nuremberg, ouverture ; Renaud Capuçon, violon ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Direction, Tarmo Peltokoski. Photos Romain Alcazar et Peter Rigaud ( dans le bandeau)
CRITIQUE. CD WARNER CLASSICS. L.V. BEETHOVEN. NEMANJA RADULOVIC.DOUBLE SENS. Cto Violon. Sonate à Kreutzer.
La générosité de Nemanja Radulovic s’épanouit totalement dans son Beethoven
Il est gonflé Nemanja Radulovic. S’attaquer ainsi au concerto pour violon de Beethoven dont tant de belles versions existent ! N’était-ce-pas un peu vain ? Et de manière iconoclaste réécrire la sonate à Kreutzer pour un orchestre à corde en lieu et place du piano ?
En mettant le CD sur ma platiné j’étais un peu sceptique. J’ai été saisi et conquis.
Son orchestre Double Sens qu’il dirige du violon est simplement magique. D’abord ce qui frappe c’est cet allant, cette énergie indomptable qui s’imposent. Des instrumentistes saisissants de précision et de beauté sonore. Des phrasés d’une grande subtilité et des nuances incroyables. Et le violon de Nemanja Radulovic est bouleversant. Tant de de plénitude sonore, tant de phrasés amples et généreux. Ces nuances infimes, et des fins de phrases mourantes. C’est très personnel et si « beethovénien ».
Passion, larmes, joie passent dans le jeu intense du violoniste. Voilà une très belle version de ce concerto roi. Les dialogues chambristes avec les instruments de l’orchestre sont bouleversants d’amitié perceptible. Une version qui compte parmi celle des plus grands.
Et la surprise des cordes dans la sonate à Kreutzer ! L’abandon du piano !! L’audace repose en fait sur un sens musical absolument génial du jeune violoniste. Cette sonate-combat devient un deuxième concerto avec des moments d’intense douleur et de paix diaphane. Comme si le cadre trop large pour une simple sonate qui avait valu tant de critiques du vivant de Beethoven trouvait le vaste espace nécessaire dans l’adaptation de Nemanja Radulovic. Il y a des choses que je n’avais jamais remarquées, des rythmes que les cordes intensifient, et un coté tzigane quasi délirant.
Ce diable de violoniste poursuit son chemin hors des sentiers battus tout en tutoyant les sommets de la musicalité. Il se range à côté des violonistes historiques les plus extraordinaires dans la discographie pourtant superlative du concerto. Voilà un très grand disque.
Hubert Stoecklin
Critique CD. Nemanja Radulovic et Ensemble Double Sens. Ludwig Van Beethoven (1770 -1827) : Concerto pour violon Op 61 ; Sonate pour violon n°9 “ à Kreutzer », arrangement pour orchestre à cordes de Nemanja Radulovic. CD 5 054 197 743399. Warner Classics. Durée 83’41’. Enregistré en 2023.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023. BACH, PYGMALION, PICHON.
Le Bach festif de Raphaël Pichon est un véritable enchantement
Quel bonheur de retrouver Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion. Chaque fois c’est un grand moment de musique et de théâtre. Les Grands Interprètes les invitent presque chaque année avec le même bonheur. Avec Bach c’est comme si Raphaël Pichon renouvelait ses sensationnels premiers concerts qui d’emblée ont eu un succès gigantesque. Les enregistrements des Messes Brèves de Bach ont tout de suite suivi son entré dans la carrière et datent déjà de 2008. La beauté de la fusion chœur et orchestre n’a pas changée. L’énergie jubilatoire reste identique ce qui a grandi c’est la confiance du geste, la largeur du développement des structures qui à présent dépassent l’entendement humain. Son Bach est grandiose, et tutoie le ciel.
Le concert est construit comme un développement dramatique. Après quelques minutes d’intense concentration le chef d’un geste doux et prudent obtient un début A Capella complètement magique. La précision et la douceur de l’attaque de tout le chœur donne le frisson. La conscience que la beauté va nous envelopper nous permet de nous abandonner. Le Motet de Jean Chrétien Bach Mit Weinen het sich’ an, semble à la fois archaïque et regarde vers Mendelssohn. C’est une musique envoutante sans âge. Le chœur est absolument boulversant. Chaque pupitre est d’une homogénéité renversante. Les nuances sont subtiles, les phrasés infinis et les couleurs d’une variété rare. Ce Motet parle des pleurs qui accompagnent l’homme tout au long de sa vie. Puis La cantate de Bach BWV 25 Es ist nichts Gesundes an meinem Leid nous entraine vers la douleur de la contrition. L’impureté de la chaire comme de l’âme de l’homme sont un sujet mis en musique de manière réthorique. Les phrases descendantes, les timbre graves, les trombones et la couleur abyssale du pupitre des basses, tout parle de douleur extrême. Le récitatif du ténor est très dramatique. L’art du ténor Laurence Kilsby est total : Mots percutants, phrasés subtils, voix de lumière. C’est très, très beau. Puis dans son air, la basse de Christian Immler se désole avec un timbre d’une belle profondeur. Le soprano aérien de Maïlys de Villoutreys a une pureté adamantine qui fait merveille dans son air angélique qui porte l’espoir. Le chœur ouvre et ferme la cantate comme un portique gigantesque et terriblement impressionnant. Sans laisser le public applaudir dans un geste d’une implacable continuité Raphaël Pichon entraine toute son équipe dans la si joyeuse cantate BWV 110, Unser Mund sei voll Lachens, le rire propre de l’homme devient celui de la joie de la rédemption promise. La fusion jubilatoire de l’orchestre du chœur et des voix soliste est tout particulièrement réussie. Cette joie communicative gagne tous les musiciens et le public. La grande ouverture à la française avec trompettes et timbales est à la fois grandiose, spectaculaire et souple. C’est le génie de la direction de Raphaël Pichon d’associer ainsi les qualités inattendues que contient la musique de Bach à la fois savante et dansante, profonde et évidente, grande et simple. Le chœur avec des moments solistes enchâssés n’est que jubilation. Les vocalises fusent les nuances sont extrêmes et semblent faciles. Pygmalion est un chœur d’une ductilité totale et d’une souplesse de félins. Chaque entrée permet de déguster des pupitres totalement unis. La beauté du fini vocal est digne de ce qu’a pu obtenir un John Elliot Gardiner avec son Monteverdi Choir, c’est tout dire…. L’air du ténor avec le délicat trio de flutes douces est un pur moment poésie que la voix solaire et tendre de Laurence Kilsby magnifie. Nous découvrons ensuite avec ravissement le timbre de bronze de l’alto Lucille Richardot. Sa voix homogène a un caractère androgyne qui donne beaucoup d’originalité et de grandeur à son chant. La solidité de l’intonation la précision des mots impressionnent grandement ainsi que la souplesse des phrasés. Dans son air à vocalises redoutables Christian Immler fait merveille. La rivalité avec les trompettes est un grand moment festif. La voix d’airain de la basse semble n’avoir aucune limite. C’est un moment grandiose. Enfin après le dernier choral le public peut applaudir et les commentaires vont bon train à l’entracte tant l’impression est favorable et forte.
La deuxième partie sera comme la première construite d’un seul geste dramatique. La cantate BWV 66 Erfreut euch, ihr Herzen n’est qu’une grande jubilation avec éclats de rires. Les violons jouent debout et dans un tempo d’enfer distillent leurs volutes et leurs tourbillons sans efforts apparents. C’est virevoltant et enivrant comme la joie. La présence du pupitre des basses est jouissive et chacun offre sa vision de la joie, instrumentistes comme chanteurs du chœur ou solistes. Raphaël Pichon garde le tempo sans jamais rien lâcher avec toutefois une souplesse remarquable, c’est terriblement efficace. Qui pourrait douter que le chant choral n’est pas un moment de bonheur absolu en assistant à ce moment de musique magnifique ?
La grande cantate Ein feste Bourg ist mein Gott atteindra un sommet. La fugue immense magnifiquement lancé par un pupitre de ténors fulgurant est escaladée avec une facilité virtuose inouïe. Tout est magnifique les mots ne peuvent décrire cette jubilation qui envahit toute la Halle-aux – Grains ! Cette puissance gracieuse est simplement incroyable. Les solistes se surpassent et la splendeur des timbres, la solidité des vocalises, les phrasés subtiles et les couleurs irisées sont de grands chanteurs mais surtout d’immenses musiciens. Tous les instrumentistes sont magnifiques. La viole de gambe dans les accompagnements est d’une souplesse admirable, les trompettes naturelles rivalisent de précision et de beauté. Sans aucune pause après cette presque demi-heure que dure la cantate le chef entraine tout son monde dans le Sanctus de la Messe en si.
Le portique grandiose ouvre le ciel et rien ne semble pouvoir limiter les artistes qui s’abandonnent au geste puissant de Raphaël Pichon lui-même heureux comme un véritable démiurge. La magnificence de cette fusion orchestrale et chorale ne me semble pas avoir d’équivalent aujourd’hui.
Le concert de ce soir nous fait penser que Raphaël Pichon prolonge le geste dramatique que le chef britannique a offert à la musique de Bach avec son Monteverdi choir en élargissant le propos vers encore d’avantage de contrastes entre jubilation et drame. Offrir tant de bonheur au public méritait bien les ovations sans fin faites aux artistes ce soir
Ce concert est un tout totalement admirable qui justifie pleinement de figurer au firmament des évènements des Grands Interprètes.
CRITIQUE CD. Idylle. Lea Dessandre, Thomas Dunford. D’Ambruys, Hahn, Françoise Hardy, Charpentier, Satie, Messager, Lambert, Visée, Le Camus, Debussy, Barbara, Offenbach.Un CD ERATO n° 5054197751462 ; Enregistré en mai 2023. Durée : 64’23’’.
Luxe, calme, volupté : si j’étais plus heureux je mourrai de plaisir
Quel bonheur du début à la fin. La délicate musicalité des deux musiciens fait de ce récital en CD un véritable hommage à la chanson française par-delà les âges et les styles ; Il n’y a là que du beau, du très beau. Bien sur le cœur du répertoire des deux artistes est baroque. De Visée, Lambert, Charpentier, Le Camus. C’est dans ce répertoire que le théorbe de Thomas et le chant subtil de Léa se marient avec une évidence musicale et stylistique toutes deux parfaites. Mais ce pari d’aller vers la mélodie de Reynaldo Hahn ou d’André Messager, vers l’archaïsme reconstruit de Debussy, vers l’opérette d’Offenbach et le charme des chansons de Françoise Hardy et de Barbara est génial. Il n’y vraiment que de la bonne musique défendue avec cette véritable ivresse par nos deux musiciens hyper sensibles. La délicatesse et la puissance du théorbe de Thomas Dunford rencontrent le chant et surtout l’aisance à dire le texte de Léa Dessandre. Car c’est vraiment cette harmonie délicieuse de la musique et du texte qui nous enchante quel que soit le style et l’époque. A chaque nouvelle écoute c’est un air particulier qui semblera le plus beau. Voilà un CD qui s’écoute avec délectation : au-delà du temps seul compte l’idylle, cet amour léger et heureux. Léa et Thomas, comme ils signent leurs intentions dans la pochette, sont des amoureux de la musique et du texte et cela s’entend. Merci à eux deux qui représentent la quintessence de l’harmonie amoureuse en musique. La Gnosienne et la gymnopédie de Satie au théorbe sont à tomber et la Mélisande de Léa presque a capella est magique. Que dire de Barbara et Françoise Hardy qui ne déméritent pas à coté de Lambert et Charpentier…. Vraiment de surprises en surprises ce CD s’écoute avec un véritable bonheur toujours renouvelé.Un enregistrement qui sera également donné en récital en une vaste tournée au-delà de l’Atlantique. Parions une tournée triomphale ! La prise de son met en valeur les doigts d’or de Thomas (quelle subtilité) et toutes les inflexions de la voix de Léa, (des voix devrais-je écrire). Voilà une véritable bombe de bonheur, toute en fleurs et d’intelligence musicale, de quoi oublier notre monde en guerre si bêtement répétitif. Hubert Stoecklin
Critique. Théâtre. ThéâtredelaCité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia].
Guillaume Séverac-Schmitz propose sa deuxième mise en scène shakespearienne. Ce qui frappe dans sa mise en scène c’est la qualité du travail avec les acteurs qui leur permet un jeu très puissant.
Certes le personnage central s’impose indiscutablement et nous détaillerons cet incroyable Richard III. Toutefois les autres personnages ont également une présence inoubliable. Scéniquement la pièce commence avec une adresse au public qui évacue le troisième mur. Durant la pièce la connivence avec le public, ce jeu sur la fiction théâtrale sera merveilleusement utilisé. La nouvelle traduction de Clément Camar intensifie l’implication du public. Pour le couronnement du monstre le public sera invité (une partie du moins) à monter sur scène. Chacun participe ainsi plus ou moins à la naissance du monstre. Le décor est d’une sobriété et d’une simplicité dépouillées.
Tout est symbolique, beau, souvent élégant et peut aussi suggérer l’horreur avec des moyens aussi modestes que puissants. Les lumières sont subtiles et d’une efficacité redoutable. Les costumes sont simples et semblent confortables pour les acteurs sauf pour le triste héros, nous y reviendrons. La modernité de cette pièce saute aux yeux bien souvent. L’utilisation des mensonges et des fausses nouvelles n’a rien à envier aux modernes fake-news. La soif de pouvoir détruit éternellement toute relation humaine normale. Le conflit des générations explose, la misogynie exsude, la terreur de penser gagne, la séduction par la menace fascine, toutes les violences du monde sont là sous nos yeux. Notre monde contemporain ressemble bien à celui mise en scène par Shakespeare dans cette pièce terrible.
Thibault Perrenoud est un Richard III d’une puissance incroyable.
L’acteur très impliqué va façonner son personnage et nous rend complice de sa métamorphose en un monstre repoussant. Avec une justesse déroutante la difformité s’installe au fur et à mesure que la malfaisance de Richard se développe et agit sur la réalité qu’il manipule.
De la manière dont les attributs du handicap l’habillent, Richard met en scène plus qu’il ne la dévoile la noirceur abyssale de son âme. Il annonce son choix de la méchanceté et de faire le mal et pour cela obtient la complicité du public en voyeurs. Corsets, attelles, fauteuil roulant, rien ne manque à sa panoplie.
Sa fin de vie quasi larvaire, coulé au sol, fascine quand on se rappelle le superbe jeune homme qui avait ouvert la pièce. Ce qui frappe est cette incroyable énergie à la fois jubilatoire et totalement destructrice qui habite le jeu de Thibault Perrenoud.
Pourtant il serait injuste de ne pas décrire les interactions très subtiles entre tous les personnages. Le jeu hyper-construit entre eux et avec Richard est remarquable. Ainsi les Reines de toutes les générations et si maltraitées sortent dignes, majestueuses et au final très belles de cette machinerie mortifère.
La puissance de certaines courtes interventions subjugue et prouve qu’il n’y pas de « petits rôles » . Les images des corps qui s’entrechoquent jusque sur des escaliers-chariots, comme supports des marches du pouvoir sont très puissantes. C’est véritablement un travail de troupe totalement convainquant. Même les machinistes peuvent avoir une présence tragique.
On sort de cette pièce comme lessivé. Sa modernité est magnifiée avec une intelligence aussi tragique que jouissive par le travail de troupe de Guillaume Séverac-Schmitz.
Le comique de ce « méchant par choix » ne fait que rajouter à la modernité de cette tragédie. Voici un Grand spectacle total et superbement shakespearien ! Grand succès à la première ce soir. Courrez-y ! Il reste deux soirs à Toulouse puis en tournée.
Critique. Théâtre. Théâtre de la Cité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III, tragédie. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia] ; Spectacle accompagné par le ThéâtredelaCité ; Avec : Louis Atlan, Martin Campestre, Sébastien Mignard, Guillaume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Nicolas Pirson, Julie Recoing, Anne-Laure Tondu et Gonzague Van Bervesselès ; Scénographie : Emmanuel Clolus ; Conseillère artistique : Hortense Girard ; Création son : Géraldine Belin ; Création lumières : Philippe Berthomé ; Création costumes : Emmanuelle Thomas ; Régie générale : Pierre-Yves Chouin ; Régie lumière : Léo Grosperrin ; Cheffe électricienne : Rachel Dufly ; Régie son : Eric Andrieu et Géraldine Belin ; Régie plateau et percussions : Sébastien Mignard ; Construction du décor dans les : Ateliers du ThéâtredelaCité ; Production : [Eudaimonia]. Photo : Erik Damiano.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 27 octobre 2023. Bach, Hummel, Mozart. Orch et Chœurs du Capitole. J. Martineau, T. Koopman.
Un concert jubilatoire
Ce concert évènement à Toulouse a été auréolé de deux soirs successifs. Ton Koopman est un véritable monument musical à lui seul. Claveciniste et chef célébrissime, il a une carrière époustouflante et sa discographie est pléthorique. Il n’avait pas encore dirigé l’orchestre du Capitole ni son chœur.
La joie mutuelle semblait diffuser de part et d‘autre. Disposant des forces musicales comme il le souhaitait Ton Koopman a associé un orchestre de dimension réduite et un chœur au grand complet. Ce choix au départ un peu surprenant a été payant par une montée en puissance émotionnelle assez exceptionnelle. La troisième suite pour orchestre de Bach en ré majeur est brillante et puissamment articulée. Trompettes et timbales donnent toute la majesté attendue dans l’ouverture à la française. La direction de Ton Koopman obtient des musiciens de l’orchestre un jeu souverain, plein de lumières, de couleurs éclatantes et de nuances subtiles. Car ce qui importe avec un chef aussi charismatique c’est bien ce qui se passe dans l’orchestre. Galvanisé par un chef véritablement aux anges, leur interprétation n‘a rien à envier aux ensembles baroques. Tout est magnifiquement réalisé dans une légèreté aérienne. Puis les sublimes suites de danse défilent avec beaucoup de grâce. Les phrasés subtils des cordes apportent beaucoup de mélancolie ou de joie. Voilà un très beau travail d’orchestre.
La venue du mandoliniste Julien Martineau a ravi le public toulousain qui connaît bien cet enfant du pays à la carrière internationale. Le concerto de Hummel est une œuvre pleine de charmes, le chef qui ne la connaissait pas semble la déguster. Le jeu de Julien Martineau est d’une musicalité consommée. Sa virtuosité décoiffe. La capacité du mandoliniste à chanter sur ses cordes pincées est absolument incroyable. Ce délicat concerto est un moment de charme absolument délicieux. Le public ovationne le divin mandoliniste qui donne un bis subtilement nuancé.
Après cette belle lumière de Bach et cette sensualité du concerto l’entracte permet au chœur du Capitole de s’installer pour la pièce maîtresse du concert : le Requiem de Mozart. L’orchestre s’étoffe avec les clarinettes et les cors, les quatre solistes s’installent derrière l’orchestre et devant le chœur. Le chœur du Capitole semble être au complet. L’équilibre est donc en sa faveur. Ton Koopman de sa direction acérée offre une version très contrastée et très dramatique de ce chef d’œuvre si émouvant. Il tire le chœur vers le plus de légèreté et de virtuosité possible. Les tempi vifs ne les mettent pas en difficulté. Le chef obtient de très belles nuances et des phrasés bien découpés. Tous les pupitres sont homogènes, les couleurs des ténors et des altos touchent au sublime. Les basses sont plutôt claires tout en étant bien présentes. Ce sont les soprano (de chœur d’opéra) qui avec une couleur assez corsée n’atteignent pas le chant diaphane et céleste du Voca me du Confutatis. Les quatre solistes ont été parfaits. Ce qui est attendu d’une rencontre entre un orchestre et un chœur symphonique avec un chef baroque si doué, c’est bien qu’il insuffle à tous son esthétique et son style. Cela a parfaitement fonctionné ce soir et le public a semblé enchanté. Une Halle-aux-Grains pleine à craquer deux soirs de suite leur a fait à chaque fois un véritable triomphe.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains le 27 octobre 2023. Jean- Sébastien Bach ( 1685-1750) : Suite pour orchestre n°3 en ré majeur, BWV 1068 ; Johann Nepomuk Hummel ( 1778-1837) : concert pour mandoline en sol majeur, S 28 ; Wolfgang Amadeus Mozart ( 1756-1791) : Requiem en ré mineur, KV 626 ; Julien Martineau, mandoline ; Elisabeth Breuer, soprano ; Lara Morger, Mezzo-soprano ; Kieran White, ténor ; Benjamin Appl, baryton ; Chœur de l’opéra national du Capitole , chef de chœur Gabriel Bourgoin ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Direction , Ton Koopman. Photos : Romain Alcazar.
CRITIQUE.OPÉRA. TOULOUSE. 5 octobre 2023. GEORGE BIZET : LES PECHEUR DE PERLES. Nouvelle production. Victorien VANOOSTEN. Thomas LEBRUN. Anne-Catherine GILLET. Mathias VIDAL. Alexandre DUHAMEL. Orchestre ballet et chœur du Capitole.
OUVERTURE DE SAISON GRANDIOSE À TOULOUSE
Nous les attendions depuis 2020 ces Pêcheurs de Perles de Bizet. Les interdits puis les restrictions sanitaires avaient conduit Christophe Ghristi à monter avec la même distribution un bien agréable Cosi Fan Tutte.
En trois ans les voix des trois chanteurs principaux ont évolué, ainsi le soprano d’Anne-Catherine Gillet est plus corsé ce qui lui permet un troisième acte très dramatique. Elle garde l’aisance suprême dans les vocalises et les suraigus à l’acte un, le lyrisme romantique de l’acte deux lui permet dans des phrasés amples un beau portrait d’amoureuse. Le personnage de Leïla à l’instar de Violetta dans la Traviata de Verdi demande une évolution vocale que peu de cantatrices maitrisent à ce point. Voilà une belle incarnation vocale et scénique pour Anne-Catherine Gillet.
Le baryton Alexandre Duhamel avec une voix sonore et bien timbrée trouve des accents très dramatiques dans l’acte trois. Son air cornélien est absolument superbe et le duo violent qui l’oppose à Leïla trouve avec ces deux interprètes engagés une très belle évolution dramatique. La puissance de la musique de Bizet en est magnifiée.
En Nadir Mathias Vidal n’est pas indigne mais n’est pas à la hauteur de ses collègues. Le chant est soigné, c’est le timbre si clair et qui manque de chaleur qui ne permet pas un bon équilibre avec le Zurga d’Alexandre Duhamel et la chaleur amoureuse ne fonctionne pas suffisamment avec la Leïla si vibrante d’Anne-Catherine Gillet. Ce n’est pas la puissance de la voix qui est en cause car dans les ensembles il est bien présent mais de couleur trop blanche.
Jean-Fernand Seti en Nourabad est parfait d’autorité tant vocale que scénique. Les chœurs très sollicités sont superbes tout du long. Nuance subtiles, couleurs changeantes, le travail avec leur nouveau chef de chœur, Gabriel Bourgoin, est magnifique. Les petits décalages dans le lointain sont de peu d’importance dans une prestation si excellente de bout en bout. L’orchestre du Capitole semble fait pour cette musique tant leur bonheur semble total. Les bois ont des couleurs subtiles, les cordes diaphanes ou puissante sont impeccables, les cuivres colorent sans excès de puissance. La direction de Victorien Vanoosten est souple et puissante. Les tempi allants permettent à l’action dramatique d’avancer. Il sait demander à l’orchestre de belles nuances et obtient des couleurs absolument magiques. Cette belle partition de Bizet prouve, avec ces interprètes si inspirés, toute sa valeur.
Coté visuel les décors d’Antoine Fontaine sont agréables sans véritable originalité ; le bambou est de rigueur, il n’y a pas d’orientalisme pesant non plus. Les lumières de Patrick Meuus transforment agréablement les ambiances mais la lumière sur les héros n’est pas suffisamment précise, ils leur arrivent d’avoir le visage dans le noir pendant qu’ils chantent.
Les costumes de David Belugou sont très lumineux évoquant les soieries aux couleurs éclatantes qui sont celles attendues en Inde ou Ceylan. La mise en scène de Thomas Lebrun est d’un chorégraphe avant tout. Ses danseurs trop présents encombrent la vue des chanteurs et surtout du chœur. Pour sa première grande mise en scène d’opéra il n’a pas su diriger les chanteurs ou créer de scène de foule. Il a préféré la prudence de beaux tableaux statiques hormis les danseurs parfois peu élégants.
CRITIQUE. OPÉRA.TOULOUSE. Théâtre du Capitole, Le 5 octobre 2023. GEORGES BIZET (1838-1875) : les Pêcheurs de Perles. Mise en Scène et Chorégraphie, THOMAS LEBRUN ; Décors, ANTOINE FONTAINE ; Costumes, DAVID BELUGOU ; Lumières, PATRICK MEEUS ; Distribution : ANNE-CATHERINE GILLET, Leïla ; MATHIAS VIDAL, Nadir ; ALEXANDRE DUHAMEL, Zurga ; JEAN-FERNAND SETI, Nourabad ; ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE ; Chœur du Capitole (Chef de chœur, GABRIEL BOURGOUIN) ; BALLET DU CAPITOLE (BEATE VOLLACK ; directrice de la danse) ; Direction : VICTORIEN VANOOSTEN.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Couvent des Jacobins, le 26 septembre 2023. KABELAC, JANACEK, SMETANA, J. BARTOS (piano).
Piano Jacobins a fait découvrir en première audition française un pianiste rare et précieux. Jan Bartos vient offrir au public trois pages majeures de la musique de son pays. Originaire de Prague il propose en début de concert les Huit préludes de Miloslav Kabelac. Ce compositeur inconnu en France a porté haut dans son pays un art musical varié. Symphonies, musique de chambre, musique de piano, musique religieuse il a abordé avec grand succès tous les genres. Ces huit préludes demandent au pianiste des moyens techniques considérables et une grande force expressive. Jan Bartos avec une énergie magnifique en offre une interprétation charpentée et très nuancée. Les couleurs sont vives, les nuances très creusées entre pianissimi diaphanes et fortissimi telluriques. C’est un magnifique piano extraverti et puissant.
Puis avec la sonate 1 X 1905 de Janacek c’est le drame, l’angoisse et la mort qui s’invitent. Jan Bartos avec une concentration extrême offre cette musique comme si sa vie en dépendait. Les prémonitions du premier mouvement avec des couleurs subtilement éclairées distillent une angoisse sourde. Puis le drame de la mort explose et nous terrasse. C’est vraiment avec une force dramatique peu commune que Jan Bartos nous interprète cette sonate ; il y met comme une revendication. L’hommage de Janacek a cet ouvrier, Frantisek Pavlik, jeune victime de la tyrannie d’état, semble vivifié par cet interprète si engagé.
La dernière œuvre au programme, toujours de musique Tchèque détend l’ambiance avec des partitions très subtiles de Smetana. Dreams permet au pianiste d’utiliser des touchers plus subtils avec une grande variété de nuances. C’est vraiment très poétique et très beau.
Ce programme concentré sur la musique Tchèque permet à Jan Bartos de démontrer bien des qualités magnifiques. Cet artiste encore inconnu en France et que sa carrière internationale va conduire aux États-Unis a un nom à retenir. Une telle hauteur de vue, un tel engagement sont des qualités aussi rares que précieuse. Le public applaudit généreusement et obtient un beau bis: un extrait du sentier herbeux de Janacek.
Merci à Catherine d’Argoubet d’avoir fait découvrir Jan Bartos, un artiste considérable, au public de Piano Jacobins.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, 44ème Festival Piano aux Jacobins / Cloître des Jacobins, le 26 septembre 2023. Miloslav Kabelac (1908-1979) : Huits Préludes op.30 ; Leos Janacek (1854-1928) : Sonate 1 X 1905 en mi bémol mineur ; Bedrich Smetana (1824-1884) : Dreams. Jan Bartos, piano.
CRITIQUE, concert, TOULOUSE, Couvent des Jacobins, le 13 septembre 2023. SCHUBERT, A.M. Mc Dermott (piano).
Anne-Marie Mc Dermott la brillante
Et ce concert est déjà le sixième de cette 44e édition de piano Jacobins. L’américaine Anne-Marie Mc Dermott dans un programme tout Schubert avec deux vastes sonates la D 850 et la D960 propose son jeu intense et brillant au public toulousain. Tout dans sa personnalité et son jeu est lumière, ses rythmes sont serrés et les accords répétés prennent un caractère obsédant et parfois violent. Des sortes d’à-coups font avancer d’avantage que des phrasés profonds. C’est un Schubert très « pianistique » qui nous est proposé ce soir. La générosité des sonorités, toujours éclatantes, donne un caractère victorieux aux deux sonates. Les répétitions amplifient le propos. Les nuances sont plutôt forte et les piani rares. Ce jeu très maitrisée et extraverti à la fois donne un coté guindé aux partitions. Point de recherche de caractère populaire aux Ländler, les divines longueurs sont plutôt vivifiées que mélancoliques.
Anne-Marie Mc Dermott ne s’autorise pas de rubato ou de souplesse, elle met beaucoup de rigueur et de poids dans les phrasés. Ce Schubert est particulièrement solide et sonore. Le public a apprécié la vigueur de ce jeu et l’intensité qui s’en dégage. Les applaudissements sont nourris et deux bis sont obtenus. D’abord un extrait vif et brillant d’une suite anglaise de Bach. C’est dans ce répertoire au disque que la réputation de la pianiste américaine s’est assise en 2005. Puis le Lied Wiedmung de Schumann revu par Liszt dans lequel le chant s’efface devant la virtuosité.
En ambassadrice de la brillante école américaine, Anne-Marie Mc Dermott a séduit le public de Piano Jacobins ce soir.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, 44ème Festival Piano aux Jacobins / Cloître des Jacobins, le 13 septembre 2023. Frantz Schubert (1797-1828) Sonates en ré majeur D850 et en si bémol D960. Anne-Marie Mc Dermott, piano. Photos (c) Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert, TOULOUSE, le 6 septembre 2023. Schumann, Liszt, Brahms, Scriabine, G. Gigashvili.
Une ouverture en fanfare !
Pari gagné et c’est un public très nombreux qui est venu fêter l’ouverture des 44 ans de Piano Jacobins. Cette ouverture se fait avec le choix de la grande jeunesse. Car le pianiste géorgien Giorgi Gigashvili n’a que 22ans. Auréolé de nombreux prix il est venu se présenter au public toulousain avec une partie du programme du Concours Géza Anda ou il a été primé ( lien vers Liszt et Brahms) . Le concert a débuté avec Kreisleriana de Schumann, et dès les premières notes se remarquent des contrastes puissamment mis en lumières.
Les moyens pianistiques sont considérables autorisant des nuances très impressionnantes. Les contrastes parfois abrupts donnent beaucoup de vigueur à son Schumann. Puis le mystérieux début de la sonate en si mineur de Liszt est bien rendu et c’est ensuite un piano athlétique et puissant qui se déploie. Les nuances toujours extrêmes sont impressionnantes. La virtuosité est assumée avec panache. Ce piano conquérant est vivifiant et souvent on devine le plaisir qu’a l’interprète dans la modernité de la partition qu’il souligne et met en valeur dès qu’il le peut. C’est très athlétique assurément ! Dans les intermezzi de Brahms, pris dans un tempo allant, le pianiste géorgien ne nous convainc pas vraiment, il manque tout un pan de poésie et de délicatesse de phrasé à ces pages délicates. Le jeu est élégant mais l’interprétation est trop discrète. Pour finir ce programme généreux le jeune musicien choisi une partition spectaculaire de Scriabine. Cette 9ème sonate est assez courte. Elle nous permet de retrouver une virtuosité éclatante qui convient bien aux doigts agiles de Giorgi Gigashvili. A nouveau cette puissance digitale impressionne.
Le public conquis acclame le jeune pianiste et obtient un bis de sa composition sur un thème populaire. Voilà une belle ouverture pour cette 44ème édition de Piano Jacobins. Ce concert évenement a été retransmis par France Musique.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE,concert.44ème FESTIVAL PIANO JACOBINS. Cloître des Jacobins, le 6 septembre 2023. Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Sonate pour piano en si mineur S 178 ; Johannes Brahms (1833-1897) : 3 intermezzi op.117 ; Alexandre Scriabine (1871-1915) : Sonate n°9, messe noire op.68 ; Giorgi Gigashvili, piano.
CRITIQUE, concerts, LA ROQUE D‘ANTHERON, les 7 et 8 Août 2023, Intégrale Cto. Piano Rachmaninov, KANTOROW, GOUIN, MALOFEEV, SINFONIA VARSOVIA, SCHOKHAKIMOV.
Une intégrale des concertos de Rachmaninov contrastée et
toujours virtuose !
Nous avons pu assister aux deux premiers concerts de l’intégrale des concertos de piano composés par Rachmaninov. Il est passionnant d’entendre trois concertos ou équivalent par trois pianistes aux styles si différents. Alexandre Kantorow tout auréolé du succès de sa carte blanche fait salle comble une nouvelle fois. Le premier concerto lui va comme un gant. Avec une assurance confondante il en assume toute la virtuosité en rajoutant continuellement une dimension musicale qui rend son interprétation absolument passionnante. Car Rachmaninov a souffert un temps d’une image de pur technicien aux effets faciles pour le public. Si les thèmes sont toujours immédiatement repérables et sembler faciles il n’en est rien ; ce concerto est très habilement construit. Dès le début le thème très romantique donne beaucoup de profondeur au propos. Alexandre Kantorow s’en empare et avance vers toujours plus de finesse interprétative. Son piano est extrêmement nuancé, toujours plein de couleurs variées et la puissance se mêle à la poésie de la plus belle manière. Le Sinfonia Varsovia dans les divers solos est très impliqué et offre de beaux moments chambristes au pianiste. Le chef ouzbèke Aziz Shokhakimov a une conception de l’orchestre particulière basée sur la puissance et même une certaine violence dans sa manière de diriger. Les effets orchestraux sont toujours tirés vers le spectaculaire. Il n’est pas du tout certain que c’est le partenaire le plus à même de dialoguer avec le piano si sensible de Kantorow. Dans les forte orchestraux un peu brutaux Alexandre Kantorow tient le choc sans siller mais finalement pourquoi tant de bruit ? La musique de Rachmaninov en sort-t-elle grandie ?
La cadence du premier mouvement permet au tempérament romantique et poétique de Kantorow de s’épanouir enfin. Le deuxième mouvement est le plus réussi, l’orchestre plus subtil dialogue amicalement avec le pianiste rasséréné. C’est très beau de sentir le pianiste heureux et autorisé à nuancer finement, de phraser délicatement et de colorer subtilement son piano. Il chante à cœur ouvert et l’orchestre lui répond. Le final reprend un ton martial du côté de l’orchestre et le pianiste se raidit un peu. La virtuosité explose de toute part. C’est très brillant. Puis la partie centrale s’apaise et la course poursuite finale est jubilatoire. Le public exulte et fête Alexandre Kantorow en prince du piano. Un public aussi enthousiaste dans une salle archi pleine en est le signe. Deux bis vont enchanter le public une valse triste de Vecsey arrangée par Cziffra, pour un moment très romantiquement échevelé et de Mompou la chanson et danse n°6 d’une délicate mélancolie.
Le lendemain c’est Nathanaël Gouin qui s’empare des variations rhapsodiques sur un thème de Paganini. On peut dire que c’est le dernier concerto de Rachmaninov. Le pianiste français progresse régulièrement et sa carrière internationale s’intensifie. Ses derniers enregistrements sont plébiscités. De Rachmaninov il a enregistré le premier concerto et les variations Paganini. Il propose donc au public une version murie par des recherches approfondies. Son jeu est analytique, très pur et sa lecture éclaire d’un jour intéressant la vaste partition. La virtuosité ne le met pas en difficulté et une poésie distanciée va bien à cette musique. Le hiatus vient de la direction du chef qui reste dans sa vision de recherche de puissance dès qu’il le peut. Le soliste et le chef restent chacun sur leur planète et ne se rencontrent pas. Les solistes de l’orchestre eux arrivent dans les moments solos à partager la musique avec Nathanaël Gouin. Le beau piano pur et analytique de Nathanaël Gouin trouvera avec un chef plus délicat à approfondir son propos particulièrement intéressant. Dans deux bis intelligents il ravit le public par ce même jeu très élégant. D’abord une paraphrase virtuose de sa main de l’air de Nadir des Pécheurs de Perles de Bizet. Puis un prélude de Rachmaninov très lyrique.
Le deuxième concerto de Rachmaninov est un tube qui se retrouve partout au cinéma et dans les publicités. Cela n’enlève rien à sa beauté intrinsèque toujours révélée dans chaque nouvelle interprétation. Ce soir le jeune Alexander Malofeev du haut de ses 22 ans va affronter le monument pianistique !
Ce jeune pianiste russe est en fait un colosse dès qu’il touche un piano. Le début mythique du concerto repose sur un savant crescendo des accords du pianiste. Ce jeune homme semble pouvoir faire un crescendo infini et l’orchestre n’arrivera pas à le faire disparaitre dans son fortissimo, même si Aziz Shokhakimov s’y emploie avec application ! Le reste du concerto sera grandiose, le pianiste russe a des moyens colossaux et au jeu du plus fort le chef perd sans jamais arriver à le couvrir, le combat bon enfant est tout de même assez terrifiant par instants. Heureusement le mouvement lent magique permettra un rêve de paix et de pure beauté. Le piano de Malofeev est incroyablement large et le son est plein y compris dans les pianissimi, c’est un piano de première grandeur. Les longues phrases se déplient lyriques et pleines, les nuances sont incroyablement creusées. La virtuosité est sidérante, la solidité rythmique quasi surhumaine. Avec l’expérience de rencontres musicales au sommet, qu’il mérite de faire, ce jeune artiste va devenir un des plus grands pianistes de sa génération.
Lors des bis et c’est un signe les musiciens du Varsovia restent sans bouger comme ils l’avaient fait pour Kantorow. Ces deux bis sont aussi spectaculaires que la prestation dans le concerto. Une main gauche d’acier exulte dans le prélude pour la main gauche de Scriabine puis dans une toccata absolument diabolique de Prokofiev le jeu staccato et roboratif d’Alexander Malofeev fait merveille.
En deux soirs nous avons bénéficié de trois concertos avec des pianistes aux personnalités très différents, la Roque propose des moments pianistiques vraiment très stimulants ! Coté chef c’est autre chose …
Hubert Stoecklin
Critique. Concerts. La Roque d’Anthéron. Parc du Château Florans les 7 et 8 Aout 2023. Intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov soirées 1 et 2. Sergeï Rachmaninov (1873-1943) ; Concerto pour piano n°1 en fa dièse mineur op.1 ; Concerto pour piano n°2 en ut mineur op.18 ; Rhapsodie sur un thème de Paganini op. 42 ; Grazyna Bacewicz (1909-1969) : Ouverture pour orchestre symphonique ; Nicola Rimski-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade suite symphonique op.35 ; Alexandre Kantorow, Nathanaël Gouin et Alexander Malofeev : piano ; Sinfonia Vasovia ; Aziz Shokhakimov, direction.
Un Final en fête pour la trentième édition du Festival
Pas de doute pour terminer en beauté la trentième édition c’est le nombre qui a été le mot d’ordre. Le plus de musiciens amis possible sur scène dans des œuvres originales et rares. Quelle fête du beau son, de l’émotion et du style ! Le quintette de Granados avec piano et cordes est une œuvre solaire, et heureuse. Elle ouvre le concert avec audace.
Franck Braley au piano est certes masqué (quelque méchant virus ?) mais en pleine forme et son piano sera généreux, vif et ingénieux. Le violon de Natalia Lomeiko est une force qui avance toujours avec panache. Lilli Maijala à l’alto est souveraine du beau son. Marie Viard au violoncelle a le regard partout pour soutenir un collège, chanter à tue-tête, ou dialoguer avec exactitude. En deuxième violon Yuri Zhislin ne s’en laisse pas conter et est très présent. Le premier mouvement d’une énergie débordante avance avec une force commune épatante, le mouvement lent avec le violon en sourdine pour commencer a toute la magie requise en ce moment de lumière qui descend. C’est un moment très beau sous le ciel provençal. Le final avec ses variations qui mettent en valeur chaque musicien a une allure de galop dansant endiablé. Les cinq musiciens sont applaudis de belle manière.
Une autre équipe de corde set tous les vents se retrouvent pour le Nonette de Louise Farrenc. Œuvre absolument géniale qui est une sorte de petite symphonie pleine d’esprit. Pour mémoire c’est cette composition qui a décidé la direction du Conservatoire de Paris de lui donner le même salaire que ses collègues hommes, comme professeur de piano ! Le charme de cette œuvre est sans égal, c’est élégant, bien charpenté et plein de délicieuses trouvailles. Chaque musicien a son moment de gloire et l’ensemble est plein de force. Le charme des bois français est élégant. Emmanuel Pahud, François Leleux et Paul Meyer sont des complices qui savent trouver une harmonie parfaite. Lisa Batiashivili a un violon lumineux qui survole aisément les phrases.
L’alto de Gareth Lubbe met une chaleur bienvenue dans l’ensemble et le violoncelle de Claude Bohorquez semble plein de bonheur. Gilbert Audin au basson soutient les autres bois ou les cordes avec le même bonheur et dans ses solos nous livre une qualité de son peu commune. La contrebasse d’Olivier Thiery donne toute sa solidité à l’ensemble avec un vrai bonheur.
Le plaisir des musiciens se lit dans leurs attitudes et le public charmé fait une ovation aux 9 musiciens. Voilà assurément une œuvre qui mérite de prendre plus de places dans les concerts.
En deuxième partie l’installation de la harpe, à la nuit tombée, apporte un peu de magie et suscite les interrogations du public. Entendre de la harpe à Salon c’est inhabituel. Les Danse sacrée et profane pour harpe de Debussy peuvent être accompagnée par plusieurs formations. Le quatuor à cordes est choisi ce soir. L’effet est magique, hors du temps et de l’espace. La harpe subtile d’Ananëlle Tourret a un charme indéfinissable et le soutient des cordes est à la fois chaleureux, discret et réconfortant. C’est un très bel équilibre qui est construit devant nous et le public complètement sous le charme applaudit avec joie à cette partition si originale et si agréablement présentée.
En final du final le Nonette de Spohr est un moment de partage de bonheur irrésistible. On peut compter sur la fine équipe du festival pour nous faire exulter. Cette musique charmante, entrainante et si bien écrite est une bénédiction et nos musiciens sont si heureux de la jouer ensemble qu’ils se dépassent et nous enchantent. Un vrai bonheur en musique ! Belle fin pour cette belle édition du Festival du Salon de Provence , oui les meilleurs solistes du monde étaient là ! Bravo aux artistes et à un public nombreux ce soir !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. 30 ième Festival de Salon de Provence, Château de l’Empéri, le 5 Aout 2023 ; Enrique Granados (1867-1916) : Quintette en sol mineur op.59 ; Louise Farrenc (1804-1875) : Nonette en mi bémol majeur, op.38 ; Claude Debussy (1862-1918) : Deux danses. Danse sacrée et dans et danse profane ; Louis Spohr (1784-1859) : Nonette en fa majeur ; Natalia Lomeiko, Yuri Zhilslin et Lisa Batiashvili, violon ; Lilli Maijala et Gareth Lubbe, alto ; marie Viard et Claude Bohorquez, violoncelle ; Olivier Thiery, contrebasse ; Emmanuel Pahud, flûte ; François Leleux, hautbois ; Paul Meyer, clarinette ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Anaëlle Tourret, harpe ; Franck Braley, piano.
CRITIQUE, concert, Salon de Pce, le 5 Août 2023, Schumann, Prokofiev, Debussy, PETROVA, LE SAGE.
Liya Petrova est une violoniste flamboyante
Le Festival de Salon de Provence propose des concerts toute la journée cela permet de proposer jusqu’à 23 concerts sur cette 30 ième édition. Le concert de Midi dans la petite église de Ste Croix au sein d’une superbe Abbaye convertie en hôtel de charme, est toujours un moment rare. Si le public est certes peu nombreux, il bénéficie toutefois d’une grande proximité avec les artistes et d’une acoustique idéale qui permet une écoute extrêmement précise. Le duo en sonate violon et piano semble bénéficier ici du lieu idéal avec cette acoustique généreuse et précise à la fois.
Le duo formé par Liya Petrova et Éric Lesage fonctionne bien. Les deux artistes étaient la veille avec le même programme au Festival de Menton.
Dès le début de la sonate de Schumann, l’énergie de la violoniste galvanise le pianiste. Cette interprétation sera très engagée, virtuose et romantique. La colère du début se transforme petit à petit en de belles nuances du violon. Les sonorités chaudes de Liya Petrova sur les cordes graves sont absolument superbes, le geste est large et la plainte devient celle d’une souveraine. Puis le caractère plus populaire du deuxième mouvement, allège le ton avec de belles envolées dans l’aigu nourri de la violoniste. Le final caracole et sous les doigts de Liya Petrova les envolées du violon deviennent grâcieuses en leur alacrité. Les changements d’humeur rapides, les nuances creusées et l’énergie toujours renouvelée sont d’un Schumann bien rendu par des artistes fins connaisseurs. Cette vibrante interprétation est applaudie vigoureusement.
La sonate de Prokofiev débute de manière très dramatique sur un mouvement lent. Liya Petrova met beaucoup de poids sur son archet pour donner le caractère dramatique à ce début très inhabituel. A nouveau nous pouvons admirer l’opulence de sonorités graves qu’elle obtient de son violon. L’allegro allège l’ambiance et la violoniste éclaire son jeu. Cela devient brillant et dans le final la virtuosité assumée permet d’admirer un art du violon complet. C’est vraiment très beau. Éric Le Sage est un partenaire réactif qui amplifie les intentions de la violoniste, il semble vraiment tirer le meilleur de la généreuse énergie de Liya Petrova. La sonate de Prokofiev scelle un duo qui fonctionne admirablement.
En fin de concert la Sonate de Debussy devait offrir un contraste qui n’a pas été au rendez-vous. Si Liya Petrova joue plus clair et dans des phrasés plus subtiles, le piano d’Éric Le Sage reste droit et forte sans chercher les subtilités debussystes. Le violon reste un peu seul pour cette sonate et l’accord avec le pianiste ne se trouve pas. Je reste un peu sur ma faim quand d’habitue cette sonate m’apporte plus d’originalité avec des éléments très diaphanes, des rythmes surprenants. Certes la beauté du violon de Liya Petrova, la grande subtilité des notes suraiguës pianissimo, les longues phrases sinueuses nous enchantent mais à elle seule elle ne peut porter toute la sonate, le poids constant du piano de Le sage restera un mystère, comment a-t-il pu rester insensible aux propositions de la violoniste ?
Le concert a permis de déguster le jeu vibrant de Liya Petrova, son engagement généreux et la beauté de sonorités sur toute la tessiture. Le romantisme partagé avec Éric Le Sage dans Schumann restera le moment le plus abouti du concert.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. 30 iéme Festival de Salon de Provence. Abbaye de Ste Croix, chapelle, le 5 aout 2023. Robert Schumann (1810-1856) : Sonate n°1 pour violon et piano en la mineur, op.105 ; Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur, op.80 ; Claude Debussy (1862-1918) : Sonate pour violon et piano. Liya Petrova, violon ; Éric Le Sage, piano.
CRITIQUE, concert, SALON DE PROVENCE, le 3 Août 2023, Prokofiev, Flament, Verdi, Dohnanyi, MEYER, PAHUD, LE SAGE, LOMEIKO.
Le Festival de Salon de Provence offre des découvertes sensationnelles
Le Festival de Salon de Provence fête cette année ses 30 ans ! Les trois amis qui l’ont créé n’ont rien perdu de leur complicité bien au contraire Emmanuel Pahud à la flûte, Éric Le Sage au piano et Paul Meyer à la clarinette se renouvellent sans cesse. Les amis qu’ils invitent sont tout aussi fidèles et chaque année de jeunes talents les rejoignent. Sur une semaine environ les concerts s’enchainent et ne se ressemblent pas. Le rituel du soir permet de commencer le concert avec la lumière du jour pour se terminer en pleine nuit. C’est absolument magique sous le ciel provençal cette lente descente du soleil et ce lever de lune durant un concert.
Ce soir concert surprise ! Aucune œuvre proposée ne m’était connue ou du moins dans la forme proposée.
Le Quintette de Prokofiev est une véritable farce musicale, une pocharde. De cette commande purement alimentaire pour un ballet Prokofiev a décidé de tirer une partie purement musicale. Il n’y a donc aucune dramaturgie, aucune direction à cette composition. Si elle n’était si peu harmonieuse on pourrait parler de musique pure. En fait c’est tout à fait désopilant tant la difficulté technique de la partition est fulgurante afin que chacun joue exactement faux et tienne un rythme complètement instable et surtout donne l’impression de jouer que pour lui alors que la connexion aux autres est vitale. Avec les mimiques d’Olivier Thiery à la contrebasse ou de Gareth Lubbe à l’alto le spectacle dans le spectacle construit une mise en abyme hilarante. Bravo à tous ces musiciens qui tiennent bon dans cette cacophonie savante.
Le Quatuor de Verdi est une œuvre de désœuvré. En panne avant la création d’Aïda Verdi en dilettante écrit ce quatuor qui restera sa seule œuvre de musique de chambre. L’adaptation pour quintette de vents est d’un grand bassoniste et arrangeur : Mordechai Rechtman. Je dois dire que la métamorphose du quatuor le rend plus verdien ! En effet je dois reconnaitre y avoir d’avantage entendu des éléments verdiens appartenant à des ensembles, des couleurs connues dans ses opéras car il a toujours su utiliser les bois avec art. Et je dois dire combien la séduction de ce Verdi décalé a fonctionné avec des moments me rappelant souvent le Bal Masqué. Nos musiciens ont su avec art donner toute une dramaturgie à ces pages musicales très richement colorées.
Après l’entracte deux compositeurs inconnus sont proposés. Le talentueux Édouard Flamant a écrit un Septet extrêmement riche et beau. Le seul regret est qu’il soit si court et que les véritables trouvailles de thèmes ou d’associations d’instruments, les rythmes originaux ne donnent pas lieu à des développements. D’autres compositeurs auraient su en tirer près d’une heure de musique tant il y a de richesse qui passent sans revenir dans cette pièce fulgurante (moins de 10 minutes).
En final c’est le septuor pour piano, cordes clarinette et cor qui est une découverte inouïe. Comment une si belel écriture a pu tomber dans l’oubli ? Une si belle construction, des mélodies si fines, des utilisations de timbre si surprenantes ? Cette œuvre tient du chef d’œuvre inconnu et Ernö Dohnanyi est un compositeur hongrois à découvrir d’urgence.
Merci aux artistes généreux et si doués chacun pour leur instrument d’avoir su nous offrir avec cette amitié évidente ces œuvres si belles et variées. Je voudrais tous les citer ils sont tous impeccables et souverains, la liste est en bas ci-dessous.
Critique. Concert. Festival de Salon. Château de l’Empéri, le 3 Aout 2023. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Quintette op.39 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : Quatuor en mi, arrangement pour quintette à vent de Mordechai Rechtman ( 1926-2023) ; Édouard Flament (1880-1958) : Septet fantasia con fuga op28 ; Ernö Dohnanyi ( 1877-1960) : Sextuor en ut majeur op.37 ; François Meyer, hautbois, cor anglais ; Paul Meyer, clarinette ; Maja Avramovic et Natalia Lomeiko, violon ; Gareth Lubbe et Lilli Maijala , alto ; Olivier Thiery , contrebasse ; Emmanuel Pahud, flûte ; François Laleux, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Astrid Siranossian, violoncelle ; Éric Le sage, piano.
CRITIQUE, Concert, La Roque d’Anthéron, Parc du château, le 2 août 2023, Beethoven, Schubert, Kantorow, Petrova, Pascal, Despeyroux, Dobost, Sinfonia Varsovia, Nikolitch.
Carte Blanche à Alexandre Kantorow = Maxi Schubertiade.
Ce soir ce n’est pas la réincarnation de Liszt qui est là mais Schubert le compositeur qui avait deux passions : l’amitié autant que la musique. C’est exactement ce qui vient à l’esprit en regardant le programme concocté par Alexandre Kantorow, d’une rare générosité et ne comprenant qu’un morceau en solo.
D’abord Beethoven pour rendre hommage au père bien aimé pour la première partie de la nuit. Le compositeur de la musique du bonheur dans le choix de deux œuvres solaires, heureuses et enthousiasmantes.
Ce trio encore très mozartien est déjà bien rythmé et avec ses quatre mouvements se dégage du modèle classique. Grâce de cette musique, la complicité entre les musiciens et le silence des cigales semblent faire de ces instants un exemple de bonheur sur terre, c’est la preuve que l’amitié et la musique se donnent la main. Le piano d’Alexandre Kantorow cherche constamment l’équilibre parfait avec les cordes. Ses regards attentifs sont éloquents. Aurélien Pascal que nous avions entendu à Salon de Provence il y a quelques années, a beaucoup changé et en affirmant une personnalité musicale plus sure d’elle il donne à son jeu tout en finesse un peu plus d’éloquence. Liya Petrova que nous découvrons a une assurance qui donne à son jeu, lumière et brillant mais sans ostentation. De ce fait l’équilibre entre les trois est constamment parfait. C’est la violoniste qui a la position du centre qui fait avancer les choses. La beauté de chaque instrument, les nuances communes, les phrasés complices, la fusion, tout est pur bonheur. Le public est charmé totalement.
Puis avec l’entrée du Sinfonia Varsovia dirigé par le premier violon, Gordan Nikolitch, fait sensation. Le violoncelle monte sur une estrade, la violoniste reste debout. D’évidence nous montons d’un cran. Les sonorités se développent afin de créer un bien bel équilibre face à l’orchestre.
Liya Petrova avec un jeu plus extraverti offre des sonorités riches et des nuances subtiles. La beauté des sonorités est un enchantement.
Aurélien Pascal qui dans la composition a un rôle plus moteur s’engage avec panache. La beauté des sonorités, la largeur des phrasés et la variété des nuances sont idéales. Ce n’est pas un violoncelle conquérant, au contraire c’est la voix de l’amitié.
Et Alexandre Kantorow de couver les deux autres solistes du regard et d’ajuster les équilibres sonores amoureusement. Sourires aux lèvres, il semble vivre un grand moment de bonheur. Il faut dire que cet orchestre est celui avec lequel il a fait ses débuts à 16 ans ! Il est ce soir entouré de vrais amis.
Le public exulte et fait un triomphe à tous les musiciens, solistes comme ceux de l’orchestre. Le Sinfonia Varsovia a été d’une précision admirable. La grande phrase d’entrée si éloquente a donné le frisson a plus d’un, tant le rythme était souple dans une beauté sonore parfaite.
Pour la deuxième partie entièrement consacrée à Schubert, Alexandre Kantorow a choisi de se présenter seul avec la Wanderer-Fantaisie. Il en offre une version brillante et il obtient des sons orchestraux de son piano. Les rythmes peuvent être d’une précision terrible, les couleurs sont d’une beauté renversante et l’énergie est totalement romantique. Alexandre Kantorow se jette dans cette ballade avec audace osant des nuances extrêmes.
Les plans sonores sont brillamment mis en valeur à chaque instant. C’est limpide, exaltant et enthousiasmant. Le chant éperdu entrecoupé des moments très rythmés sont opposés de manière sensationnelle. C’est vraiment un piano élégant et audacieux à la fois.
L’adagio permet à une émotion délicate de diffuser dans un récitatif éloquent et un chant émouvant. Les coulées perlées sont de la magie pure avec Alexandre le bien heureux. On sent combien il aime cette partition et s’en délecte. Le Presto et le Final sont des moments de pur bonheur sous des doigts si inspirés et virtuoses. La fugue est construite avec puissance et rigueur. Les moyens phénoménaux d’Alexandre Kantorow donnent une dimension démiurgique à ce final. Le public exulte, un piano si riche avec une puissance quasi orchestrale c’est beau et rare. Le public fin connaisseur de La Roque le fait savoir avec reconnaissance.
La Truite de Schubert c’est le bonheur sur terre !
Après ce moment d’émotions l’installation des musiciens du Quintette apportent de la diversion. L’altiste et la contrebasse trouvent leur place au sein du trio et la magie de « La Truite » peut se dérouler. Cette œuvre, la plus jubilatoire de Schubert, apporte toujours une joie particulière partagée par les musiciens et le public.
Les amis d’Alexandre ce soir sont partout sur scène et dans le parc. Le pianiste épatant est aux anges et semble particulièrement apprécier les interventions de ses collègues, le violoncelle heureux d’Aurelien Pascal, le violon si beau de Liya Petrova, l’alto moelleux de Violaine Despeyroux , la contrebasse goguenarde de Yann Dubost.
On ne peut plus parler simplement de complicité entre eux ou d’admiration réciproque, ce sont l’amitié et la joie de faire de la si belle musique ensemble qui s’incarnent sous les yeux du public réellement aux anges. Que de joie partagée sous le ciel provençal et les arbres augustes. Cette magie de la Roque prend une dimension universelle avec de tels musiciens en fête. Bien évidemment le temps passe trop vite alors que le concert a duré près de trois heures !
Le thème de La Truite si jubilatoire est bissé par les artistes, puis c’est la remise des fleurs et afin de ne pas se quitter tout de suite il se passe un moment de pure magie. L’amitié s’invite avec évidence lorsque Liya et Violaine s’asseyent serrées l’une contre l’autre sur un tabouret, qu’Aurélien s’alanguit sur un autre tabouret et que Yann prend le troisième tout proche du piano. Et Alexandre de chercher dans sa tablette une pièce à jouer à la demande de ses amis qui veulent l’écouter !
Le vrai amitié pour le bis offert par Alexandre Kantorow
Il choisit l’Intermezzo à la mélancolie si douce de la troisième sonate de Brahms. Cela diffuse un grand moment d’émotion que chacun déguste et les musiciens sur scène ne le cachent pas. Oui de vrais amis ont fait de la musique ensemble et pour nous. Le bonheur est total je vous l’assure !
Ce concert enregistré par France Musique sera diffusé ne le ratez pas, il est certain que cet amour passera les ondes ! Et cette musique est si belle !!
Merci à René Martin qui dans une confiance visionnaire a reconnu en Alexandre le Grand qu’il est et de lui donner Carte Blanche qu’il a si bien employée ce soir.
Hubert Stoecklin
Toutes les Photos : Valentine Chauvin La Roque 2023
sauf les deux avant-dernières : DR
Critique. Concert. 43 ième Festival de la Roque d’Anthéron ; Parc du Château de Florans, le 2 Aout 2023. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Trio pour piano et cordes n°1 en mi bémol majeur, op.1 n°1 ; Triple concerto pour piano, violon et violoncelle en ut majeur, op.56 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Wanderer-Fantaisie, op. 15 D. 760 ; Quintette pour piano et cordes en la majeur, op.114 D.667 « La Truite » ; Alexandre Kantorow, piano ; Liya Petrova, violon ; Violanie Despeyroux, alto ; Aurélien Pascal, violoncelle ; Yann Dubost, contrebasse ; Sinfonia Varsovia ; Direction, Gordan Nikolich.
CRITIQUE, concert, PRADES, le 31 juillet 2023, Purcell, Ligeti, Schumann, QUATUOR EBENE.
Les Ébènes : Un quatuor d’une puissance rare
En trois soirs la diversité des genres musicaux est un enchantement au Festival de Prades. Un grand soir de quatuor est toujours passionnant. Le Quatuor Ébène gravit toutes les marches de l’excellence à la vitesse de l’éclair et sa réputation est grande. Une intégrale discographique des quatuors de Beethoven est parue chez Érato, elle a été enregistrée en concerts durant une tournée mondiale ! Leur année de résidence à Radio France montre l’admiration dont ils bénéficient. Tout auréolés de cette excellence ils se sont présentés ce soir au public du festival de Prades avec un programme à la fois exigeant et difficile d‘accès.
L’adaptation de pièces de violes d’Henry Purcell est très surprenante. Avec cet équilibre parfait entre les quatre instruments, il est possible de déguster la beauté de jeu de chaque musicien dans des phrasés évanescents et des nuances très subtiles. Il n’y a pas de mélodie dominante ni d’instrumentiste accompagnant, cette égalité des voix demande une écoute différente qui livre une pulsation interne paisible, des moments dansants, une harmonie délicieuse de tous les instants. C’est très, très beau. La deuxième œuvre au programme crée un contraste absolument saisissant.
Le quatuor de Ligeti est certes une œuvre de jeunesse encore prudente mais tout de même elle demande à l’auditeur beaucoup d’attention. Et l’interprétation demeure une gageure. Les musiciens du Quatuor Ébène montrent une cohésion de chaque instant, une réactivité sidérante qui permet une interprétation d’une précision diabolique avec des nuances extrêmes, des ruptures saisissantes et des couleurs instrumentales passant d’une sorte de saturation aveuglante à une texture diaphane. La violence de certains moments saisit tandis que la délicatesse d’autres adoucit notre écoute. La manière dont le Quatuor Ébène saisit notre intérêt est très exigeante et l’écoute d’une telle œuvre ainsi offerte est une expérience particulière ; l’engagement vertigineux et la concentration extrême des interprètes étant eux-mêmes particulièrement saisissants. L’entracte est bienvenu afin qu’interprètes et public se rassérénèrent.
La deuxième partie est consacrée au premier quatuor de Robert Schumann. Œuvre solaire et généreuse que les musiciens du Quatuor Ébène vont magnifier. La beauté du son de ce quatuor est superlative, leur puissance étonne. Chaque instrumentiste a une aura particulière qui culmine dans la construction du son commun qui envahit toute l’abbaye avec facilité. C’est vraiment une puissance inouïe pour un quatuor. Leur Schumann est généreux, beau, élégant et émouvant. Le mouvement lent touche au sublime et le final est brillantissime. Le public est grisé et applaudit avec enthousiasme. C’est alors que l’annonce est faite par un membre du quatuor : la nécessaire recomposition du Quatuor Ébène suite au départ de son violoncelle leur a demandé beaucoup de répétitions et cela ne leur permet pas de jouer un bis. La nouvelle nous surprend car la connexion entre les musiciens a été absolument parfaite. Dans un programme aussi exigeant nous ne pouvons qu’admirer ce violoncelliste qui a su ainsi s’intégrer si admirablement.
Longue vie et belle route au Quatuor Ébène, nul doute que leur avenir sera radieux après cette période de difficulté qui n‘a en tout cas aucune incidence sur l’excellence de leurs interprétations.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Festival de Prades. Abbaye saint Michel de Cuxa, le 31 juillet 2023. Henry Purcell (1659-1695) : Cinq fantatsias ; György Ligeti (1923-2006) : Quatuor à cordes n°1 « Métamorphoses nocturnes » ; Robert Schumann (1810-1856) : Quatuor à cordes en la mineur op.41 n°1 ; Quatuor Ébène : Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure, violons, Marie Chilem, Alto ; Aleksey Shadrin, violoncelle.
CRITIQUE, concert, FESTIVAL DE PRADES, Église de Collioure, le 30 juillet 2023, Piazzolla, Paganini, Beethoven, Calace, Munier, MOURATOGLOU/MARTINEAU.
La fine musicalité de la Mandoline de Julien Martineau enchante
La petite église de Collioure qui nécessite de vastes travaux de restauration est partenaire du Festival de Prades et cette collaboration rappelle combien Pablo Casals a œuvré dans toute la Catalogne non seulement comme musicien mais également comme homme bon et généreux.
Le concert de ce soir est placé sous le sceau du charme et de la musicalité la plus délicate qui soit. Julien Martineau sur sa mandoline est un véritable magicien nous le savons, chaque concert, chaque enregistrement le prouve.
Avec un complice particulièrement accordé ce soir, le guitariste Philippe Mouratoglou il forme un accord parfait. Les deux amis offrent un véritable festival de beauté musicale dans une véritable recherche commune. Avec une grande simplicité et une écoute mutuelle totale la guitare et la mandoline en véritables sœurs d’âmes mêlent leurs sonorités fraiches ou mélancoliques afin de créer un univers musical des plus subtils.
La pièce maîtresse du concert est cette inénarrable « histoire du Tango » d’Astor Piazzola. Les deux musiciens en offrent une version absolument virtuose et pleine de rythmes fous comme d’envolées lyriques. C’est véritablement grisant cette alliance de virtuosité la plus assumée, de chaloupé subtil et de musicalité chantante. De manière élégante et sympathique le virtuose de la mandoline nous offre des moments absolument incroyables dans des pièces de Paganini et Calace. Ces deux compositeurs étaient de fins mandolinistes et ont écrit des pages virtuoses et pleines de charme.
Julien Martineau chante avec le charme d’un ténor italien et ce légato avec un instrument si peu capable de garder un son tient du miracle. La beauté du son est également incroyable.
A la guitare Philippe Mouratoglou est un musicien sensible et virtuose qui toujours avec beaucoup de talent dialogue avec son partenaire.Ses sonorités très épurées sont claires, lumineuses et il est capable d’ombres quand il le faut.
Sa vivacité rythmique dans Piazzolla est remarquable. Dans l’église il règne une chaleur éprouvante, toutefois la beauté sonore, la fraicheur de l’interprétation, tout semblant toujours facile, restent un enchantement pour le public. Une très discrète sonorisation aidait les spectateurs du fond de l’église car ce concert a affiché complet.
La finesse de la musicalité des deux artistes, l’intelligence de leur programme, tout a été un enchantement. Les applaudissements ont été généreux et deux bis ont prolongé ce bonheur partagé. D’abord un pot-pourri de musique de Nino Rota dont un air du Parrain délicieusement mélancolique et en hommage à Pablo Casals le chant des oiseaux dans la version peut être la plus aérienne du répertoire ; la délicatesse des deux musiciens évoquant clairement la gente ailée. Voilà du grand art et la preuve que la belle mélodie immortelle de Casals peut toujours nous mettre la larme à l’œil du moment que les musiciens l’interprètent avec leur cœur.
Il est incroyable d’entendre ainsi comme la mandoline et la guitare sont amies et peuvent offrir sous des doigts si habiles tant de musique et de chant.
Hubert Stoecklin
Critique concert. Festival de Prades. Église de Collioure le 30 juillet 2023. Astor Piazzolla (1921-1992) : Histoire du Tango en quatre parties ; Nicolo Paganini (1782-1840) : Cantabile MS 109, Sonata per Rovene, Romanza, Serenata ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Adagio ma non troppo ; Raffaele Calace (1863-1934) : Mazurka VI op. 141, Saltarello op.79 ; Carlo Munier (1859-1911) : Capriccio spagnolo ; Philippe Mouratoglou, guitare ; Julien Martineau, mandoline.
CRITIQUE, concert, PRADES, Abbaye St. Michel de Cuxa, le 29 juillet 2023, Brahms, Orchestre du Festival, Renaud Capuçon, Juila Hagen, Pierre Bleuse.
Grandiose concert d’ouverture du festival de Prades avec Brahms
Pierre Bleuse nouveau directeur artistique du Festival Pablo Casals a non seulement un profond respect pour l’un des plus vieux festivals de France et son créateur et une audace indéniable qui fait évoluer les choses. Ainsi la création de l’orchestre du Festival qui ne cesse de progresser. Pour sa troisième programmation Pierre Bleuse propose pour le concert d’ouverture de diriger deux œuvres emblématiques de Johannes Brahms. L’orchestre du Festival est constitué de très jeunes musiciens et de quelques anciens.
Ce savant mélange intergénérationnel donne une fougue et une solidité à cet orchestre qui laissent très admiratif et ne va pas sans rappeler le feu qu’obtenait Pablo Casals en dirigeant l ‘orchestre. L’audace paye et Pierre Bleuse a gagné son pari. L’orchestre sonne admirablement dans la belle acoustique de L’abbaye. Seules deux contrebasses assurent avec toute la puissance requise cette sensationnelle pulsation grave de la musique symphonique de Brahms sur laquelle tout l’édifice repose. Les deux contrebasses face à face sur la droite semblent ne vouloir ne faire qu’une et cela sonne admirablement. L’autre exigence de la musique symphonique de Brahms et qui met en difficulté bien de bons orchestres est le besoin de violons à la fois puissants et délicats. Dès les premières mesures nous savons que nous allons entendre un Brahms symphonique de haut vol. Le son est généreux, rond et profond. Les bois sont clairs et les cuivres puissants. La direction de Pierre Bleuse est très charpentée, rendant évidentes toutes les belles structures tout en phrasant éperdument. Dans cet écrin romantique confortable les deux solistes du double concerto n’ont plus qu’à participer à cette fête musicale.
Avec un tempérament généreux la toute jeune violoncelliste Julia Hagen donne le frisson par son jeu si beau. C’est rond, chaud, puissant et subtilement phrasé. Voilà une soliste qui va enchanter tous les publics. L’énergie et cette pointe de sensualité qui émanent de son jeu sont des qualités rares. Renaud Capuçon fidèle à lui-même participe poliment sans trouver la même énergie que le chef et la violoncelliste. Tout auréolé de ses succès, le violoniste hyper présent partout, repart vite vers là où il est attendu. C’est bien le souvenir du violoncelle vibrant et émouvant (le début du deuxième mouvement a été renversant !) de la superbe Julia Hagen qui restera la plus belle découverte de la soirée.
Pour la deuxième partie du concert Pierre Bleuse a osé proposer la quatrième symphonie de Brahms, celle en mi mine »ér si pleine de mélancolie et très exigeante.
Dès les premières mesures à la fois dansantes et tristes le charme brahmsien opère. Les musiciens de cet orchestre du festival ont su trouver une cohésion incroyable et Pierre Bleuse a sous sa main un vrai orchestre capable de jouer un Brahms généreux et réconfortant. Et le travail de l’orchestre et du chef n’a duré que 2 jours ! Le résultat obtenu par Pierre Bleuse en si peu de temps est renversant.
Toute la symphonie verra des solistes de haut vol régaler le public de leurs interventions parfaites. Les cors, la trompette, le hautbois et la flûte seront les plus inouïs. Les applaudissements entre les mouvements révèlent l’admiration et l’enthousiasme éprouvés par le public ému. Tout est là dans cette interprétation : structure contrapuntique assumée, larges phrasés, nuances très creusées, silences habités et moments de mystère envoûtants. Les violons sont hallucinants d’homogénéité pour un orchestre si jeune. Et les violoncelles offrent des moments de grand bonheur. C’est vraiment une très belle quatrième de Brahms qui nous a été offerte ce soir. L’engagement de tous les musiciens, la générosité de la battue du chef ont créé une osmose particulière. Que de sourires partagés !
La chaconne finale est flamboyante. Les applaudissements fusent et un bis emblématique est offert, le Chant des oiseaux, composé par Pablo Casals et arrangé de manière hollywoodienne savante fait merveille et donnera la larme à l’œil à plus d’un.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Festival Pablo Casals de Prades. Abbaye Saint Michel de Cuxa, le 29 juillet 2023. Johannes Brahms (1833-1897) : Double concerto pour violon et violoncelle op.102 ; Symphonie n°4 en mi mineur op.98 ; Renaud Capuçon, violon, Julia Hagen, violoncelle, Orchestre du Festival ; Pierre Bleuse, direction.
CRITIQUE, Concert, LA ROQUE d’ANTHERON, le 27 juillet 2023, Rameau, Grieg, Tharaud, Beethoven, Alexandre THARAUD, piano.
Le piano lumineux d’Alexandre Tharaud à La Roque
Dans ce parc aux arbres centenaires le plaisir est toujours grand de revenir l’été. Notre premier récital de la 43 ième édition ne déroge pas aux attentes. Le plaisir est grand de retrouver Alexandre Tharaud au jeu si élégant et que le monde entier acclame. Dans un programme original et défendu avec panache le pianiste français apparemment très détendu semble beaucoup prendre de plaisir à partager son art avec le public.
En débutant avec des extraits de la suite de danse en La de Rameau, il aborde son récital avec brio. Le jeu droit et très articulé permet à la musique de Rameau de briller de mille feux. C’est joyeux, beau et festif. Puis dans les pièces lyriques de Grieg le jeu se fait plus nuancé et plus sensible, tout en conservant une grande clarté de lignes. L’élégance est constante et tout semble couler avec facilité des doigts virtuoses du pianiste. La dernière pièce « Jour de Noces » retrouve en le développant le caractère festif si présent chez Rameau. La première partie du concert se termine sur des applaudissements nourris.
Après l’entracte l’interprète nous joue quelques pièces de sa composition. Petites pièces écrites au gré de ses voyages qui mettent en scène tout ce que des doigts et des mains virtuoses peuvent faire sur les touches du piano. C’est brillant et plein de surprises.
Pour finir son récital particulièrement généreux Alexandre Tharaud offre sa vision de la dernière sonate de Beethoven. Cette œuvre si particulière est à la fois un testament, un enterrement de la forme et une ouverture vers la musique de l’avenir. Elle peut sonner très différente selon les choix interprétatifs sans que jamais une version définitive ne puisse en dominer la forme et encore moins le fond. Ce soir sur le piano Yamaha choisi par l’interprète le son est particulièrement éclatant. Alexandre Tharaud dès les premiers accords joue large et met en valeur tous les plans avec une lumière presque crue. Ce Beethoven est assez surprenant par la seule utilisation de moyens pianistiques pour l’aborder. Alexandre Tharaud semble éviter toute recherche de sentiments, de recherche philosophique ou même de doutes. Il joue dans des tempi vifs sans s’appesantir sur les silences mettant en évidence toute la puissance, la virtuosité et la force de la partition. Les moyens du pianiste sont considérables. La force de la partition exulte. D’autres mettent en évidence la recherche, les doutes, les questions posées par Beethoven, notre interprète lui aborde en musicien cette partition inouïe et fonce tout droit. Le jeu limpide, les équilibres exacts entre les plans donnent une grande force constante et inattendue à cette sonate si particulière. Il n’y aura pas de dimension cosmique, de questions métaphysiques mais une puissance créatrice magnifiée par un art du piano peu commun. Le public de la Roque acclame l’interprète validant ainsi ses choix musicaux si originaux.
En bis Alexandre Tharaud retrouve sa joie d’un piano solaire avec une sonate de Scarlatti brillantissime. Puis reprenant un extrait de son dernier enregistrement Cinéma il nous touche avec une interprétation sensible du thème de la Liste de Schindler de John Williams.Alexandre Tharaud est un artiste qui sait nouer avec le public un lien particulier avec son jeu élégant et séduisant. Ce soir il est apparu particulièrement lumineux.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. La Roque d’Anthéron 43 ième édition. Parc du château de Florans, le 27 juillet 2023. Récital de piano. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Suite en La, ext. ; Edvard Grieg (1843-1907) : Pièces lyriques, ext. ; Alexandre Tharaud (né en 1968) : Corpus volubilis, ext. ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur op.111. Alexandre Tharaud, piano.
CRITIQUE, concert, Orange, Théâtre Antique le 24 juillet 2023, Gala Verdi, Netrebko, Eyvazov, Orchestre phil. Nice, Mazza.
Anna Netrebko la FANTASTICA subjugue le public du Théâtre Antique.
Ce théâtre qui a vu et entendu tant de Divas s’est réveillé ce soir comme cela faisait longtemps. L’enthousiasme du public (près de 5000 personnes) tout du long et parfois de manière intempestive, sacre Anna Netrebko en Diva Fantastica, car La Splendida ne suffit plus à honorer dignement une telle artiste. Entendre une telle plénitude vocale dans cette acoustique sensationnelle tient du miracle. Et nombreux sont ceux qui s’en sont rendus compte et l’ont manifesté.
Dès son entrée en scène avec le premier air de Lady Macbeth, elle prend possession de la scène et du cœur du public.
La lecture de la lettre suscite une écoute très attentive et ensuite le slancio verdien prend une dimension cosmique dès ses premières phrases chantées d’une voix pleine et vibrante. Car ce n’est pas seulement un timbre unique, une homogénéité sur toute la tessiture et une puissance qui semble infinie qui nous subjuguent. C’est l’instinct musical surnaturel qui lui permet d’aborder avec exactitude toute musique indépendamment des classifications.
La Diva russe possède une voix qui évolue vers de plus en plus d’opulence et de si riches harmoniques inouïes que je crois qu’aucune autre soprano ne peut et n’a pu s’enorgueillir d’une telle évolution. Au stade de sa carrière un sommet semble atteint et le Verdi de la maturité est au cœur de ses possibilités. Son art du chant est tout simplement sidérant. L’élan qu’elle donne à chaque intervention, les infinies nuances, les couleurs multiples tout est d’un Verdi de haute lignée comme au temps historique des Ponselle, Callas, Price, Vischnevskaïa. Et avec cette qualité d’angélisme et de pureté que des voix de cette ampleur conservent rarement, même Caballe a été entachée de certaines duretés avec le temps.
L’autre air du récital est un Pace, pace de la Force du destin qui laisse pantois. La maîtrise de la ligne vocale est parfaite et elle sait donner à chaque Pace une couleur, une nuance différente. C’est un art du chant grandiose qui culmine avec un Pace pianissimo quasi surnaturel face au mur. Cet art de la scène l’habite au plus au point et lui permet de se déplacer avec une aisance parfaite sur toute la large scène, de gravir les marches centrales, de se déplacer étole au vent dans sa première robe rouge et toutes voiles irradiantes dehors pour la deuxième partie qui donne une dimension angélique à son Aïda.
Dans les duos son art du challenge lui permet non seulement d’irradier mais de porter son partenaire à se dépasser. Ainsi le duo d’Aïda avec le ténor Yusif Eyvazov nous offre une osmose délicate. Des voix si larges capables de cette délicatesse dans cette acoustique si fidèle offrent un plaisir suave aux spectateurs. La voix de la princesse Amnéris par Elena Zhikova est hélas trop discrète.
Avec le baryton Elchin Azizov dans le superbe duo du Trouvère, Mira d’accerba lacrime, la pulsation intraitable devient diabolique avec des vocalises à pleine voix parfaites. A nouveau ce slancio verdien si rare est hypnotisant. Dans le final du Trouvère de l’acte un et qui termine le concert, les trois voix (soprano, ténor, baryton) s’interpénètrent dans un festival d’harmoniques rares. Quel swing entre ces trois artistes galvanisés par l’immense Anna !
Pour ma part c’est dans le duo final d’Aïda, opéra que les deux chanteurs donnent à Vérone cet été (prochaines représentations le 30 juillet et le 2 Août) que le sommet me semble atteint tant Yusif Eyvazov se hisse au niveau de son épouse et partenaire. Ce chant éthéré et pianissimo reste comme un rêve éveillé. Dans le quatuor de Rigoletto l’équilibre n’a pas été parfait car dès que la voix de Netrebko, même dans une nuance piano se révèle, elle éclipse par sa richesse harmonique toutes les autres alors que le début permettait à la mezzo Elena Zhidkova de s’imposer de manière satisfaisante.
Rendons toutefois hommage à Yusif Eyvazov dont la voix de ténor claire et pure fait merveille dans le Duc de Mantoue. Le chant soutenu par une belle émotion lui permet de gagner la sympathie du public dès son premier air. Pour ma part son deuxième air, celui si sombre d’Alvaro dans la Force du destin, n’a pas les ombres si indispensables à décrire la souffrance du héros contre lequel le sort s’acharne. Plus de nuances et de couleurs auraient enrichi l’interprétation trop lumineuse du ténor azerbaïdjanais. Dans le duo du dernier acte de la Force du destin l’opposition de couleurs avec son compatriote le baryton Elchin Azizov en Carlo fonctionne parfaitement offrant un beau succès aux deux voix masculines. Précédemment le baryton jouant de sa voix sonore n’a pas semblé vouloir rendre les subtils tourments de Renato dans son air de l’acte deux du Bal Masqué, Eri Tu. Un son généreux et un chant assez martial a semblé assez hors contexte dramatique même si dans cet air ses moyens considérables resplendissaient. Il nous reste à rapidement évoquer la mezzo-soprano Elena Zhidkova qui de toute évidence nous a paru souffrante et ne disposait pas de tous ses moyens ce soir. Nous reparlerons d’elle dans des conditions plus normales.
L’orchestre de Nice et le chef Michelangelo Mazza ont tout fait pour être à la hauteur de l’événement, sans génie mais avec efficacité. Le ballet extrait d’Othello est certes plus apte à mettre en valeur l’orchestre, il ne m’a pas charmé outre mesure. Des petits décalages n’ont pas été évités par le chef italien avec un ténor parfois alangui sur les notes longues et un baryton parfois trop pressé. Seule Anna Netrebko telle un caméléon a un sens du tempo surnaturel qui avec un art félin lui permet de toujours être exacte.
Voilà un Gala Verdi de haute tenue galvanisé par une Anna Netrebko en très, très grande forme, irradiant de théâtralité verdienne et de charme : Anna la Fantastica !
En bis tout ce petit monde, public en frappant dans les mains a dégusté un Brindisi de la Traviata rappelant quel a été le succès de Netrebko dans ce rôle aujourd’hui abandonné par la Diva.
Espérons que dans les années prochaines elle offrira aux chorégies d’Orange un de ces immenses rôles verdiens qui conviennent si idéalement à ses moyens vocaux et son art du
Critique. Concert. Chorégies d’Orange. Théâtre antique, le 24 juillet 2023. Gala Verdi. Airs duo, trios, quatuor, extraits d’opéras de Verdi. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Macbeth, Rigoletto, Il Trovatore, La Forza del destino, Un Ballo in maschera, Aïda : ext. Anna Netrebko, soprano ; Yusif Eyvazov, ténor ; Elena Zhidkova, mezzo-soprano ; Elchin Azizov, baryton. Orchestre philharmonique de Nice. Micelangelo Mazza, direction.
CRITIQUE, Opéra, ORANGE, le 8 Juillet 2023, Bizet, Carmen, Grinda/Cafiero, Lemieux, Borras, D’Arcangelo.
La Carmen d’Orange par Grinda semble aseptisée
Une seule représentation, un seul opéra mais de nombreux concerts : Les Chorégies d’Orange 2023 assurent un retour à l’équilibre financier et le Théâtre antique avec ses presque 10 000 places est rempli à ras bord ce soir pour la Carmen de Bizet. Pari tenu le public est venu en masse à l’appel de l’opéra des opéras ! Les applaudissements ont été généreux mais pas bien longs au souvenir d’autres soirées en ces lieux. Comment expliquer ce demi succès ?
La conception de Jean-Louis Grinda est connue depuis Monaco et Toulouse. Cette proposition qui scénarise sur plusieurs plans la mise à mort de Carmen, le personnage chantant et une danseuse de flamenco, dans un dispositif scénique minimaliste a plutôt convaincu sur les scènes à l’Italienne. Moi-même à Toulouse j’ai été conquis par ce choix radical. Il se trouve que ce n’est pas ce que le public d’Orange attendait. Et je fais partie de ceux qui sont restés sur leur faim. Le dispositif scénique fait de deux quarts de conques parait sur la large scène du Théâtre Antique bien trop discret car trop central tout en paraissant bien lourd pour ceux qui les mobilisent. Les costumes sont très beaux mais un peu « collet monté ». Les lumières sont subtiles mais trop sombres pour le public éloigné aux acte deux et trois. Les ombres portées sur les éléments de décors sont par contre toujours très réussies.
La Flamenca, Irene Olvera est sensationnelle, pourtant comme petite sœur de Carmen (Irene a 15 ans) elle parait une silhouette trop fragile sur l’immense plateau d’Orange. Et surtout ce seul élément authentiquement sévillan est bien trop discret même si chacune de ses danses est un moment de pure grâce. Car en effet c’est là que le bât blesse à Orange en plein air dans l’air chaud d’un été au ciel étoilé, l’Espagne est attendue plus franchement, il y a comme un rendez-vous manqué.
Les chœurs ont une belle présence et les tableaux sont souvent très beaux. Une Carmen sans Espagne scéniquement peut encore se colorer grâce à l’orchestre et un chef qui le souhaite.
La cheffe Clelia Caferio a une gestuelle dynamique certes mais n’obtient pas de couleurs contrastées de l’orchestre de Lyon. Le nuances également sont limitées à celles naturelle de la subtile orchestration de Bizet. Sans caractère particulier l’orchestre participe de cette musicalité générique, polie et sans surprise bien éloignée de la vision d’une partition de Carmen originale voire révolutionnaire. Et la cheffe ne propose rien comme idées personnelles.
Il ne reste plus de la latinité possible du côté des solistes. La non plus rien de passionnel, de torride ou de désespéré. La Carmen de Marie-Nicole Lemieux est engagée, scéniquement elle bouge avec expressivité mais reste dans un « quant-à-soi » de bonne éducation. La voix est somptueuse de timbre, la conduite de la ligne vocale est subtile, la précision des vocalises et des trilles est aussi exemplaire que rare dans ce rôle. Vocalement elle est une grande Carmen. Le pathos de la scène des cartes n’est pas convainquant car excessif par rapport à une absence de soumission au destin dans les scènes suivantes. Marie-Nicole Lemieux a la voix et les qualités d’une belle Carmen qui semblent un peu sous employées ce soir.
Jean-François Borras est un Don José intéressant. La voix me semble fatiguée probablement par la série de Mefistofele à Toulouse qui s’est achevée seulement il y quelques jours. Je l’avais trouvé plus épanoui et plus rayonnant dans le rôle de Faust alors. cf ci dessous . La voix est juvénile et le personnage un peu enfant irascible et violent. L’usage de la voix mixte et de la voix de tête pour la fin de l’air la fleur sont du plus bel effet pour un personnage plus subtil et fragile que d’habitude.
L’Escamillo d’Ildebrando D’Archangelo est un personnage trop sérieux et manque de brillant. En tous cas vocalement il est plus basse que baryton et chante impeccablement.
La Micaëla d’Alexandra Marcellier est un personnage volontaire. Sa voix corsée et large et un timbre ingrat n’en font pas une Micaëla vocalement assez séduisante.
Frasquita, Charlotte Despaux et Mercedes, Eleonore Pancrazi ne sont pas très remarquables sauf la voix de Charolotte Despaux qui dans les ensembles est particulièrement présente.
Tous les petits rôles masculins sont bien campés et bien chantants. Les chœurs sont très précis et ont une belle présence. Tout particulièrement la maitrise qui offre des moments plein d’émotions.
Cette année ne sera pas placée sous le signe de l’exceptionnel mais de la prudence, un seul opéra en une seule représentation. J’espère que l’année 2024 pourra être théâtralement plus audacieuse.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Chorégies d’Orange. Théâtre Antique, le 8 juillet 2023. Georges Bizet (1838-1875) : Carmen, opéra-comique en quatre actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Rudy Sabounghi ; Costumes : François Raybaud et Rudy Sabounghi ; Lumières : François Castaingt ; Chorégraphies : Eugène Andrin ; Vidèos : Gabriel Grinda ; Distribution : Carmen, Marie-Nicole Lemieux ; Don José, Jean-François Borras ; Escamillo, Ildebrando D’Archangelo ; Micaela, Alexandra Marcellier ; Zuniga, Luc Bertin-Hugault ; Morales, Pierre Doyen ; Lilas Patia, Frank T’Hezan ; Frasquita, Charlotte Despaux ; Mercedes, Eleonore Pancrazi ; Le Dancaïre, Lionel Lhote ; Le Remendado, Jean Miannay ; La Flamenca Irene Olvera ; Chœurs de L’Opéra de Monte-Carlo (chef de chœur, Stefano Visconti) ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon (chef de chœur, Aurora Marchand) ; Maitrise de l’Opéra Grand Avignon (direction, Goyon Pogemberg) ; Orchestre national de Lyon ; Direction : Clelia Cafiero.