Le Viol de Lucrèce à Toulouse : fascinant !

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 22 mai 2023.BRITTEN : Le Viol de Lucrèce. Rehlis, Rock, Dubois, Garnier. Delbée/Stieghorst.

Toute l’ambiguïté de partition de Britten magnifiée à Toulouse

Après la deuxième guerre mondiale, au retour de sa visite des camps de la mort nazis, Benjamin Britten totalement bouleversé a pris deux décisions : Créer une petite compagnie d’opéra et composer pour elle des œuvres de tailles réduites. Sa première partition sera ce viol de Lucrèce. Cette œuvre très originale est remplie de cette douleur et de ces espoirs d’un monde nouveau après la grande horreur. Car cette partition, virtuose, belle et inouïe est également extrêmement ambiguë.

Les toulousains ne la connaissaient pas et Christophe Ghristi n’a pas lésiné sur les moyens afin de provoquer un choc pour le public. A son habitude il a engagé une distribution parfaite, nous y reviendrons en détail. Le fait d’offrir à la grande artiste Anne Delbée une nouvelle mise en scène d’opéra est absolument remarquable. Le dispositif scénique est très habile, les décors suggestifs, les costumes somptueux, les lumières très subtiles. L’œil est à la fête et voyage du jour à la nuit, de l’intime au public, de la noirceur à la lumière de l’âme, c’est fascinant. La direction d’acteurs est très précise et la manière dont chaque chanteur se meut est remarquable par la différenciation faite entre les personnages.

Hiératique et pudique la Lucrèce d’Agnieska Rehlis est sublime de beauté puis sera détruite par le viol avant de se métamorphoser en Sainte Martyre. La pulsionnalité ravageuse de Tarquin est parfaitement rendue par Duncan Rock.

De ce fait le choc de leurs oppositions devient radical. Ils apparaissent comme n’appartenant pas à la même planète. Dominic Barberi en Collatin le mari est d’abord un soldat quelconque avant de devenir un mari aimant d’une générosité absolue et pourtant totalement impuissante à sauver sa femme tant aimée. Il a un jeu subtil et son changement est d’une grande vérité éthique.

En politique retors le Junius de Philippe-Nicolas Martin est aussi vil que poli. C’est en fait lui qui est le monstre qui provoque le drame. Il nous reste à évoquer le Chœur Antique voulu par Britten. Confié à un homme et une femme la richesse de leurs commentaires fait tout le prix de cette partition.

Le jeu de Marie-Laure Garnier, chœur féminin, est marmoréen et d’une humanité troublante. Toute de noblesse et de retenue elle personnifie la compassion et l’admiration.

Plus volage Cyril Dubois en chœur masculin est proche d’un papillon qui voltige sur scène cherchant à faire vivre l’action qu’il raconte ; c’est plus extérieur, plus contemporain.

Entre ce classicisme marmoréen du chœur féminin, que rappelle également un élément de décor fait d’une tête de statue à demi visible posée au sol et l’agitation hystérique du chœur masculin associé à la richesse du costume tout en or de Tarquin, le conflit masculin-féminin explose et travaille à une opposition qui petit à petit deviendra complémentarité. D’aucun reprocheraient à Anne Delbée d’en avoir trop montré… Moi j’ai beaucoup apprécié cette richesse de sens multiples de sa conception car elle nous amène à nous questionner, nous le public, sur notre gout du luxe et notre délectation à voir toutes ces héroïnes sacrifiées à l’opéra.

Le travail vocal et scénique des chanteurs est tout à fait convainquant dans la manière dont l’identité vocale de chacun participe activement à construire les personnages. La distribution est donc admirable en tout. Toutes les voix sont superbes y compris les plus petits rôles. L’orchestre du Capitole avec ses 13 musiciens est d’une réactivité sidérante, il est presque incroyable qu’ils soient en si petit nombre tant les effets sont riches. La direction de Marius Stieghorst est magistrale, souple et pleine de nuances. Le drame se déploie sans temps morts et le public sort de cette heure et 40 minutes de musique, complètement bouleversé et en ayant l’impression d’avoir traversé un océan de larmes. L’ambiguïté de la partition dans sa beauté ravageuse ne cesse de hanter le spectateur-auditeur fort longtemps.

La pirouette finale voulue par Britten qui très artificiellement lie l’histoire de Lucrèce à celle du Christ est très dérangeante dans le sens ou la religion ne sert qu’à donner un prétexte obscur aux souffrances des innocents comme Lucrèce.

Cet opéra très puissant a fait une entrée remarquable au répertoire du Capitole. Ce fut une incroyable découverte.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 23 mai 2023. Benjamin Britten (1913-1976) : Le Viol de Lucrèce, Opéra en deux actes. Mise en scène : Anne Delbée ; Collaboration artistique : Émilie Delbée ;  Collaboration à la mise en scène : Arthur Campardon ; Décors : Hernan Panuela ; Costumes : Mine Vergez ; Assistante aux costumes : Marie-Christine Franc ; Lumières : Jacopo Pantani ; Distribution : Agnieska Rehlis, Lucrèce ; Duncan Rock, Tarquin ; Dominic Barberi, Collatin ; Philippe-Nicolas Martin, Junius ; Juliette Mars, Bianca ; Céline Laborie, Lucia ; Marie-Laure Garnier, chœur féminin ; Cyrille Dubois, chœur masculin ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Marius Stieghorst. 

Odysée du Ring : l’hommage de Joseph Swensen à Wagner !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Wagner/Swensen, Odyssée du Ring, Orch Nat  Capitole, Libor, Elsner, Gastl, Swensen.

Joseph Swensen construit une odyssée du Ring cosmique !

Arthur Rackham

Durant le confinement Joseph Swensen après un grand découragement a construit une réduction de la Tétralogie de Wagner en pensant à Toulouse. Le travail conséquent que le violoniste, chef d’orchestre et compositeur a réalisé est considérable. Car les choix opérés dans les quatre œuvres qui forment cette tétralogie sont très convaincants. Respectant un temps pour chaque œuvre il assure des passages entre les moments choisis absolument géniaux. Même pour un connaisseur des leitmotivs l’enchaînement de certains d’entre eux peut se révéler savoureux et permet par le retour subit d’un thème de mieux supporter les indispensables coupures. C’est vraiment brillant.

Le choix de Swensen est de célébrer l’amour qui sauvera le monde. Ainsi les amoureux ont la part belle : toute la longue fin du duo d’amour de Siegmund et Sieglinde puis le duo d’amour de rencontre entre Siegfried et Brunehilde et leur séparation au début du crépuscule. Le monologue d’adieux plein d’amour de Wotan à sa fille est hélas coupé et seul l’appel de Logue subsiste.

Arthur Rakham

La mort du dragon Fafner et l’appel de Hagen permettent à la clef de fa (Damien Gastl) de s’exprimer, toutefois ceux sont le ténor, Christian Elsner et surtout la soprano, Christiane Libor qui chantent le plus. L’orchestre du Capitole est soumis à une sorte de surexposition constante. C’est peut-être ce qui représentera les limites de ce concept. La richesse de cette partition fleuve de quatorze heures de musique, réduites à trois ne comprend que des moments géniaux mettant en lumière cette symbiose incroyable entre l’orchestre et les chanteurs. Il n’y a pas de pose et le spectateur est lui-même sur-stimulé ce qui ne va pas sans occasionner une sorte de vertige, voir de fatigue auditive devant tant de puissance. Car si l’Orchestre du Capitole sait son Wagner, la taille de l’orchestre est très différente de celui présent dans la fosse au théâtre. Ce soir ne sont pas moins de cent musiciens avec huit contrebasses devant le public. Cela sonne bien et les forte sont assourdissants. Les cuivres sont à la fête comme jamais ! Les bois sont magiques, les deux harpes légères et aériennes, les cordes surchauffées diffusent la passion des héros. Et n’oublions pas les percussions si précieuses pour des effets extraordinaires. C’est ainsi du vrai grand Wagner symphonique … Côté vocal nous l’avons dit le baryton-basse Damien Gastl n’intervient que peu mais avec une voix de stentor tout à fait effrayante dans l’appel de Hagen. La réponse du chœur d’hommes est terrifiante. La très courte intervention du chœur est tout à fait spectaculaire !

Le Siegmund et le Siegfried de Christian Alsner ont toute la vaillance attendue et beaucoup de poésie dans la manière dont le ténor phrase. Il y a des nuances très délicates et de belles couleurs vocales chez ce ténor. C’est la soprano Christiane Libor qui restera comme un monstre d’endurance. Elle sera Siegliende et Brünnhilde trois fois.

Dans la Walkyrie Swensen lui demande de chanter au moins sept fois le cri de la Walkyrie chantant son cri et ceux de ses sœurs en un enchaînement diabolique. Les aigus fusent ! Dans le duo de rencontre avec Siegfried elle irradie vocalement et son jeu de regards avec son partenaire est éloquent. Dans le Crépuscule elle passe du bonheur des adieux à la scène finale sans efforts. La résistance de cette cantatrice est extraordinaire elle termine sa prestation très engagée et horriblement exigeante sans paraître fatiguée. C’est tout à fait exceptionnel !

Rajoutons que la direction de Joseph Swensen est très spectaculaire. Il demande une énergie constamment renouvelée à l’orchestre et obtient une beauté et une urgence incroyable de chaque instrumentiste. C’est absolument grisant. Il garde pour la fin une manière absolument exquise de faire advenir le thème de l’amour qui sauve le monde comme dans un rêve. Cette fin est magique !

Joseph Swensen et l’orchestre du Capitole se connaissent depuis longtemps avec Mahler et Bruckner, ce temps wagnérien scelle un nouvel accord artistique au sommet.

Le public abasourdi, comme sonné, fait un triomphe à toute cette splendide équipe au service de la puissance du drame wagnérien. Seule une salle de concert et un orchestre symphonique de cette trempe peuvent offrir à la partition sensationnelle de Wagner sa dimension cosmique. Ce fut un moment fulgurant sans temps morts !

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Richard Wagner (1813-1883) / Joseph Swensen : Le Ring des Nibelungen ext. Avec : Christiane Liebor, soprano ; Christian Elsner, ténor ; Damian Gastl, basse ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Joseph Swensen.

Beau succès pour la TRAVIATA à Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. VERDI : Traviata. Rambert/Spotti. Pavone. Dran. Solari.

Triomphe total pour cette reprise de Traviata à Toulouse

Cela devient une habitude à Toulouse. Les places sont prises d’assaut à l’opéra et dès la première tout se joue à guichet fermé. Nous l’avions déjà signalé avec Tristan et Isolde. Pour la Traviata c’est encore plus clair. Cette production de grande qualité date de 2018, c’est la dernière mise en scène de Pierre Rambert aujourd’hui décédé.   Pour ce qui est de cette belle production je renvoie à ce que j’ai écrit en 2018. Je rajouterai qu’elle n’a pas pris une ride.

Musicalement la fête est complète. Christophe Gristi a renouvelé son exploit. Il a mis au point deux distributions exceptionnelles. J’ai vu la « deuxième » distribution et je dois dire que j’ai été totalement comblé.

La Violetta de Claudia Pavone est particulièrement attachante. Scéniquement elle a beaucoup de caractère et d’énergie, luttant avec beaucoup de franchise face à la maladie et au drame de sa vie.

Même si la direction d’acteur est assez minimaliste l’actrice est crédible et extrêmement émouvante dans chaque acte. Sa voix est corsée, ductile et très belle. Les aigus sont aisés et ses nuances piano absolument magiques. Il y a beaucoup de délicatesse, de finesse dans ses phrasés. Le dite alla giovane sur un fil de voix qui plane sans effort est un moment magique. La mort entre révolte et abattement un grand moment d’opéra.

Son amoureux Alfredo est le ténor Julien Dran. Bel homme mince et très élégant, il campe un « provincial » réservé qui évolue rapidement en amoureux éperdu, puis jaloux maladif, enfin au dernier acte il gagne en lucidité et son désespoir est émouvant.

La voix est harmonieuse et je dois dire que bien des ténors qui souvent dans ce rôle se contentent d’exhiber un bel organe ne chantent pas avec autant de délicatesse que Julian Dran.

Ce chant élégant et précis, ces phrasés subtils donnent bien du relief à ce personnage qui peut paraître fade. Quand on dispose d’une Violetta et d’un Alfredo de cette qualité le chef d’œuvre de Verdi nous émeut totalement.

Le Germont de Dario Solari est de la même eau. Belle voix, chant parfaitement conduit, seul le jeu est plus convenu, le personnage étant moins riche.

La Flora de Victoire Bunel est parfaite, amicale et pleine d’esprit. Les autres personnages de moindre importance sont tous des chanteurs très présents. Les ensembles sont ainsi idéalement équilibrés. Citons : Cécile Galois en Annina, Pierre-Emmanuel Roubet en Gastone, Jean-Luc Ballestra en Baron Douphol, Guilhem Worms en Marquis d’Aubigny et Sulkhan Jaini en Docteur Granvil.

Acte 1 Chez Flora

Tous participent efficacement à ce drame inexorable.  Deux danseurs dans des costumes de squelettes apportent beaucoup d’élégance et un humour distancié au drame, il s’agit de François Auger et Natasha Henry. Le chœur d’une parfaite efficacité est assez statique. La mise en scène demande la plupart du temps de beaux tableaux, bien ordonnés pour le grand final du deuxième acte en particulier. L’orchestre du Capitole est somptueux. Le travail avec le jeune chef italien Michele Spotti apporte beaucoup de précision à la partition. Nous sommes loin de la « grande guitare » que certains commentateurs et une certaine tradition paresseuse ont réservé à la partition. L’orchestre avec cette direction si précise est plein de moment de grande subtilité. En particulier Michele Spotti soigne les contre-chants et les équilibres.  Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole sont merveilleux ; les violons pleurent et savent disparaître dans des murmures diaphanes, les bois chantent et les cuivres tonnent. Le résultat est particulièrement vivant et le drame avance inexorablement. Le tempo est tenu évitant les ports de voix, ralentis exagérés et les aigus tenus ad libitum. Remarquons que la soirée passe très vite alors que le chef n’a semble-t-il fait aucune des coupures « traditionnelles », gardant tous les airs avec leurs reprises. J’aime particulièrement la deuxième strophe de Violetta dans son addio del passato du dernier acte.

Cette Traviata est un vrai succès populaire qui prouve que le public de tous âges est là pour les chefs d’œuvres du répertoire quand ils sont présentés avec cette qualité totalement convaincante.

Une bien belle soirée d’Opéra au Capitole en sa plénitude artistique qui remporte un grand succès

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Théâtre du Capitole, le 26 avril 2023. Giuseppe Verdi (1810-1901) : La Traviata. Co-production avec l’Opéra de Bordeaux. Mise en scène : Pierre Rambert ; Collaboration artistique : Stephen Taylor ; Costumes : Franck Sorbier ; Décors : Antoine Fontaine ; Lumières : Joël Fabing ; chorégraphie : Laurence Fanon. Distribution : Claudia Pavone, Violetta Valery ; Julien Dran, Alfredo Germont ; Dario Solari, Giorgo Germont ; Victoire Bunel, Flora ; Cécile Galois, Annina ; Pierre-Emmanuel Roubet, Gastone ; Jean-Luc Ballestra, Baron Douphol ; Guilhem Worms, Marquis d’Aubigny ; Sulkhan Jaini, Docteur Granvil ; François Auger, Natasha Henry, danseurs ; Orchestre national du Capitole ; Chœurs de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur, Gabriel Burgoin) ; Direction : Michele Spotti.

Photos : Mirco Magliocca

Cinq prises de rôles réussies à Toulouse pour un Tristan idéal

Cet article écrit pour Classiquenews devait être complété par l’ajout de la description de la quatrième représentation de Tristan le 7 mars 2023. En effet les artistes de cette production faisaient pour les principaux des prise de rôle attendues par toute la planète lyrique. Et dans des prise de rôle de cette ampleur il est fascinant de suivre l’évolution en 10 jours et quatre levés de rideaux. L’assurance prise par le Tristan de Nicolai Schukoff a été constante avec une forme vocale inaltérable et de plus en plus spectaculaire. Sophie Koch en Isolde se révélant d’une fascinante sensibilité variant chaque soir les subtilités d’un personnage compris avec une grande profondeur. Un soir plus sensuelle dans l’acte deux, l’autre soir plus vipérine dans la colère du premier acte , mais toujours extrêmement émue et émouvante dans le Liebestod final et les répliques le précédent. La matinée du dimanche quatre mars se révélant la plus aboutie et la plus passionnelle à l’acte deux. Nous attendions donc une montée en beauté pour la quatrième le mardi 7 mars. S’était sans compter les effets dévastateurs de la colère sociale. La grève décidée par l’orchestre à quelques minutes du lever de rideaux a été vécue comme un attentat au subtil travail collectif  qu’a été cette aventure colossale. Avce le départ de la fosse des musiciens entrain de s’échauffer.

En effet « monter » Tristan pour un Théâtre de province, même si il est National, est un engagement presque déraisonnable en terme de couts et cette production avec un plateau monumental mobilise des moyens techniques complexes et pour toute l’équipe de longs jours de répétition. Quatre représentations c’est peu, alors une de gâchée sur quatre c’est beaucoup. Mais à chaque malheur une forme  de résilience est possible. Ainsi des très larges extraits ont été donnés avec un piano droit dans la fosse sans éclairages et sans mouvements de plateau. Autant dire que Tristan et Isolde sans orchestre ni scène mobile ne rendait pas justice à Wagner ni au travail d’équipe absolument sensationnel réalisé jusque là. Il a toutefois été possible d’éouter plus attentivement les voix. Ainsi la subtilité du chant ciselé de Sophie Koch confirme bien une Isolde considérable et très originale s’appuyant ainsi sur un texte limpide avec une voix homogène et sombre donnant au personnage une dimension tragique et sensuelle rarement associées à ce point. Le Tristan de Nicolai Shukoff est sidérant de puissance émotionnelle héroïque. Lui aussi s’appuyant avec limpidité sur le très beau texte de Wagner.

Mais la tristesse de cette version de poche amputée d’un orchestre consubstantiel au drame restera un souvenir amer surtout pour les spectateurs venus de l’étranger pour ces prises de rôle historiques.

Le conflit cornélien social actuel, aux enjeux sociétaux majeurs, restera aussi et bien d’avantage dans la mémoire collective. La bulle opératique n’aura pas été épargnée à Toulouse ce soir là.

CRITIQUE, Opéra.TOULOUSE, Capitole, les 26 fev. 1 et 4 mars 2023. R WAGNER : Tristan et Isolde. N Joel / F Beermann. S Koch. N Schukoff. Orch nat Cap.

Pour quatre représentations les sortilèges de la vaste partition de Wagner ont animé (et comment !), le Capitole toulousain. C’est un évènement tout à fait remarquable et le public l’a compris qui a fait salle comble à chaque fois. Dès avant le lever du premier rideau il était bien difficile de trouver encore un billet bien placé. On a frôlé le « à guichet fermé ». Pour La Bohème et Les Noces de Figaro ce n’était pas surprenant, pour un ouvrage long et difficile comme Tristan et Isolde c’est très réconfortant.  Ce n’est pas la mise en scène déjà ancienne de Nicolas Joël, datant de 2007 et revue avec plaisir en 2015, cette fois ranimée par Emilie Delbée, qui nous motivera en premier. Elle a comme mérite d’être extrêmement dépouillée, de ne pas distraire l’oreille des splendeurs vocales et orchestrales, de proposer un symbolisme discret, des images fort belles et surtout de mettre en valeur la musique. Ce qui dans le contexte actuel est une sacrée chance pour le public car tant d’horreurs ont cours sur les scènes lyriques (dont la production aixoise donnée au Luxembourg actuellement). Pour la mise en scène de Nicolas Joël je propose de Relire mon analyse de 2015.

Nous concentrerons notre critique sur l’extraordinaire réussite musicale et vocale qui a coupé le souffle à plus d’un.

L’Orchestre du Capitole d’abord car sa magnificence est un sacré atout. Les sonorités subtiles ou rutilantes de cet orchestre symphonique superlatif font merveille dans la fosse du Capitole. Les solos sont d’une beauté et d’une émotion à faire pleurer de bonheur. Gabrielle Zaneboni au cor anglais fait des merveilles à l’acte trois. Cette mélancolie indicible est fulgurante. Mais il serait injuste de ne pas signaler les moments clefs de l’alto solo, du violon solo et du violoncelle solo. Porteurs chacun de la plus juste émotion dans une beauté de son supérieure. Les bois et les cuivres sont à la fête et les contrebasses si intenses également. Cet orchestre porte tout le drame à un niveau d’incandescence rarement atteint. Il faut dire que l’osmose avec la direction superbe de Franck Beermann, attendue après tant de réussites in loco (souvenons-nous de son Parsifal ), aura tout dépassé. Les sourires qui diffusent entre le chef et les instrumentistes révèlent une confiance mutuelle au sommet. Dans des tempi plutôt rapides Beermann dès le prélude sait donner aux silences un poids dramatique sidérant. Les nuances subtilement dosées sont saisissantes. La mort des longues phrases des violons est d’une émotion à peine soutenable. Dès la fin de prélude chacun sait qu’il va vivre un moment rare. Tout le drame est annoncé, toute la douleur jubilatoire de la partition du sorcier Wagner est là. Le délicieux poison du désir de fusion amoureuse qui va vers la mort dans une dimension métaphysique est superbement présenté. En fait la direction de Franck Beermann est si sûre que le drame va se construire de manière inexorable et jamais ne nous lâchera. Les quatre heures de musique vont passer comme par magie. Jamais le moindre relâchement, le moindre zest d’ennui n’apparaît. Et c’est là qu’il faut souligner le génie de Christophe Ghristi qui a su construire ce Cast idéal avec sa seule intuition. Qui d’autre avec un tel succès peut proposer cinq prises de rôle dans Tristan, qui est peut-être l’opéra le plus complexe à distribuer ?  Ce qui va se passer ensuite demande une analyse fouillée. Par ordre d’entrée en scène le premier chant du Jeune Matelot est intense et beau. Valentin Thill reviendra en Berger à l’acte III avec un jeu sobre et une émotion vraie et bouleversante. Pour l’heure il ouvre la voie et arrive à mettre dans son chant tout le second degré demandé.

L’Isolde de Sophie Koch rentre dans la liste des immenses Isolde mezzo-soprano comme Astrid Varnay ou Waltraud Meyer. Elle s’installe d’emblée sur un sommet. Le personnage d’Isolde qu’elle incarne trouve une complexité rarement atteinte. Au premier acte la colère aristocratique de la princesse fait froid dans le dos, sa violence relativement maîtrisée rend perceptible une douleur profonde, une jalousie destructrice, comme la face inversée de son amour pour Tristan que le filtre ne fera que révéler. Sagace, hautaine, à la limite de la perfidie, la manière dont elle distille le texte du premier acte est vipérine. A l’acte II la femme amoureuse est impérieuse en exprimant à sa suivante un désir irrépressible presque violent. Elle reste princesse et devient femme amoureuse à l’arrivée de son amant. Quel beau couple ils forment !  L’explosion des retrouvailles est jubilation pure. Tout le jeu dans le long duo est ensuite une construction très aboutie avec son partenaire. Les regards, les sourires, les tendresses, les caresses tout suggère les montées du désir de cet amour fusionnel.

On savait depuis Parsifal en 2020 la sensualité troublante qui peut émaner du jeu de ces deux artistes, elle va beaucoup plus loin dans ce deuxième acte avec une dimension érotique poétique. Avoir deux chanteur-acteurs aussi crédibles scéniquement dans ces rôles d’amants superbes et éternels n’est pas si fréquent ! Au troisième acte en robe rouge somptueuse Isolde-Sophie n’est qu’amour et embrasse la mort, souriante afin d’atteindre une forme de plénitude éternelle. Son Liebestod est fébrile et porté par une fragilité humaine désarmante. La voix surfe avec puissance sur les vagues orchestrales sublimes. Vocalement Sophie Koch couvre toute la vaste tessiture, sa voix d’airain passe l’orchestre sans soucis. A mon sens c’est sa diction, sa manière de ciseler le texte si beau qui fait le plus grand prix de son interprétation. Vocalement elle est à l’aise sans soucis pour les contre-ut.  En approfondissant le rôle et en se l’appropriant, sa voix va s’assouplir et se déployer. La performance est déjà tout à fait remarquable et le public reconnaissant est enthousiaste aux saluts. Isolde est bien une prise de rôle qui correspond aux moyens actuels de Sophie Koch et à sa belle maturité. Toulouse a beaucoup de chance !

La Brangäne d’Anaïk Morel est également une prise de rôle. La voix est somptueuse, le legato à l’acte II est souverain. Le jeu est convainquant et le personnage est cohérant. Voilà un rôle en or pour la jeune Anaïk Morel. En Kurwenal, Pierre -Yves Pruvost fait également une prise de rôle remarquable.

Personnage tout entier et peu nuancé c’est le portrait de la fidélité absolue. La voix sonore et l’émission droite conviennent bien à cette conception du personnage. Il n’est pas de Tristan qui vaille sans un héros charismatique. Comment décrire le Tristan de Nicolai Schukoff ? Il EST Tristan à ce stade de sa carrière. C’est le bon moment.

Son physique est rare pour un  ténor, proche de la perfection. Grand et élancé il incarne une forme d’héroïsme charismatique rien que par sa seule présence. Le jeu altier au début de l’acte I s’évanouit avec l’effet du philtre et il n’est plus que ravissement à l’amour. Le jeu à l’acte II nous l’avons dit, est avec sa partenaire d’une grande sensualité. Face au Roi Marke ses accents sont d’une douleur désenchantée. Il retrouve un instant sa noblesse posturale face à Melot à la fin de l’acte II. Puis il ne sera plus que douleurs. Le jeu et le chant du terrible acte III sont ceux d’un Grand Tristan. La voix reste souveraine tout du long, ce beau métal noble, cette émission droite et franche sont de l’étoffe des héros. Nicolai Schukoff a également l’endurance du rôle. Ce n’est pas un Tristan malade cherchant des couleurs et des nuances extrêmes comme certains. Il meurt d’autre chose non de sa blessure physique avce une voix pleine et forte.  Toulouse a vu la naissance d’un Vrai Tristan ! Il nous reste à évoquer le Roi Marke somptueux de Matthias Goerne : il signe une prise de rôle majestueuse avec une voix souple, sonore et conduite avec art. Le texte est ciselé et le personnage a une bonté absolue.

Marke est un monarque aimant ne revendiquant que d’être aimé et anéanti par les abandons en cascades et les morts qu’il ne peut éviter. Matthias Goerne y met tout son art du lied, colorant chaque mot. Damien Gastl en Melot campe un personnage parfaitement détestable et Matthieu Toulouse rajoute au drame avec sa très courte intervention. La puissance des chœurs d’hommes est appréciable. La cohérence de ce spectacle est digne de la recherche wagnérienne de l’œuvre d’art total et du monument inouï qu’il a érigé à l’amour idéalisé. Voici un spectacle inoubliable pour le public nombreux qui a fait chaque fois un véritable triomphe à tous les artistes, l’orchestre venant également saluer sur scène !  Quel merveilleux travail d’équipe ! Toulouse devient une capitale wagnérienne incontournable.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 26 février 2023. Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde. Mise en scène, Nicolas Joël/ Emilie Delbée ; Décors et costumes, Andrea Reinhardt ; Lumières, Vinicio Cheli ; Avec : Sophie Koch, Isolde ; Nicolai Schukoff, Tristan ; Matthias Goerne, Le Roi Marke ; Anaik Morel, Brangäne ; Pierre-Yves Pruvost, Kurwenal ; Damien Gastl, Melot ; Valentin Thill, un jeune marin/un berger ; Matthieu Toulouse, un pilote. Chœur du Capitole, chef de chœur Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole, Gabrielle Zaneboni, cor anglais ; Direction, Franck Beermann.

Crédit Photo : Mirco-Magliocca

DAFNE génial madrigal-opéra

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre Garonne, le 15 Fev 2023. MITTERER : Dafne.  Les Cris de Paris G Jourdain / A Bory. 

Dafne en Opéra-Madrigal :  Contrafactum sublime

d’après Opitz et Schütz

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

La beauté de ce spectacle d’une rare intelligence n’est pas facile à décrire. Le projet a été fait à trois. Geoffroy Jourdain directeur artistique des Cris de Paris en a d’abord rêvé. De l’opéra de Schutz sur le livret d’Opitz il ne reste plus la musique mais uniquement le poème. Jourdain a demandé à Wolfgang Mitterer de réécrire une partition sur ce livret en fournissant de la musique de Schutz qui lui semblait utile pour le projet. Aurélien Bory a également participé au projet dès le début, séduit par le projet. Il s’agit d’un vrai travail de co-construction. En fusionnant la musique de Schutz (des madrigaux italiens et de la musique religieuse) avec une bande magnétique Wolfgang Mitterer crée quelque chose d’étrange, de dérangeant qui tourne sur lui-même en des volutes complexes. Les bruits de la bande magnétique ne sont pas tous musicaux, et de loin, mais ils sont toujours très intrigants et deviennent obsessionnels à la manière d’une basse continue. Les douze chanteurs des Cris de Paris sont à la fois les interprètes, les commentateurs, les acteurs et les machinistes de la pièce. Le texte en allemand se déploie en madrigal polyphonique, la diction des chanteurs est limpide. Leurs voix sont celles de solistes, belles et sonores. Étant au premier rang mon écoute m’a permis d‘entendre précisément chaque chanteur, plus loin les micros et la diffusion dans les haut-parleurs ont dû d’avantage mêler les voix à l’électronique. L’histoire de Dafne et d’Apollon dans cet Opéra-madrigal d’après Ovide est simple et bien connue, toutefois ce soir le résultat est plus complexe car aucun chanteur n’incarne clairement un personnage. Plusieurs peuvent être Apollon ou Dafne.

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Seul l’Amour par sa taille d’enfant est repérable. Le vertige est assez pernicieux entre l’individu et le groupe, Schütz et Mitterer. L’oreille en devient comme ivre. Schutz est là puis disparaît, tout se transforme en permanence, les solistes font groupe, puis s’isolent. La métamorphose est musicalement permanente. Pourtant ce travail de création se fait à trois avec l’espace travaillé par Aurélien Bory. Son dispositif est simple. Il utilise la scène tournante un dispositif classique inventé en 1617 (date proche de la Dafne de Schütz 1627). Il crée cinq cercles concentriques. La virtuosité dont Aurélien Bory est capable avec les machines de théâtre est bien connue. Il réalise une scénographie subtile et une forme de mouvements vertigineux. Ainsi avec cinq cercles et le centre, les douze chanteurs peuvent être faces au public puis avec la mise en mouvement des cercles indépendants ils se séparent, se croisent, se retrouvent. L’écoute des voix est ainsi plus facile lorsque durant le chant il y a déplacement.

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Ce mouvement permanent crée une sorte d’ivresse J’y voit un hommage aux Derviches Tourneurs de Turquie. La lumière permet de sculpter l’espace et de créer des œuvres en volumes (non de simples tableaux) de toute beauté. Un moment clef est représenté par la course-poursuite de Dafne par Apollon. La musique s’accélère, les respirations halètent les spots lumineux sur un à cinq Apollon au Dafne sont de toute beauté. Il y a vraiment une création à trois dans un espace complet : sonore, visuel et cénesthésique en raison de la profondeur du vertige qui nous prend. Une sorte de confusion sur les objets repérants vient de ce que les trois personnages principaux sont munis d’arcs, de flèches et de carquois.

Ce spectacle de grande virtuosité est assez inouï. La beauté nous y submerge souvent. Le voyage est dans le temps comme dans l’espace. Tout est calé au millimètre tout en laissant une part de mystère. Les chanteurs acteurs sont magnifiques, la direction de Geoffrey Jourdain est superbe, le dispositif scénique d’Aurélien Bory est inoubliable, la musique de Mitterer et celle de Schütz s’épousent ou s’opposent.  La notion d’Opéra au sens d’un spectacle total n’a jamais été aussi proche que dans cette œuvre qui n’est toutefois pas un vrai opéra ! Tout concours à évoquer le vertige de l’amour chanté par le poète… un vertige de l’amour qui n’est pas bien loin !

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Dafné, Madrigal Opéra d’après Heinrich Schütz, Théâtre de l’Athénée, Paris, septembre 2022
conception: Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre Garonne, le 15 février 2023. Wolfgang Mitterer : Dafne. Opéra-Madrigal pour 12 chanteurs d’après Heinrich Schütz livret adapté de Martin Opitz d’après les Métamorphoses d’Ovide. Aurélien Bory conception, mise en scène et scénographie ; Pierre Dequivre : décors ; Alain Blanchot : costumes ; Arno Veyrat : lumières ; Les Cris de Paris : Adéle Carlier, Anne-Emmanuelle Davy, Michiko Takahashi, sopranos ; Jeanne Dumat, Floriane Hassler, mezzo-sopranos ; Clotilde Cantau, contralto ; Safir Belhoul, Constantin Goubet, ténors ; Mathieu Dubroca, baryton ; Virgile Ancely, Renaud Brès, baryton-basses. Direction : Geoffroy Jourdain.

Opéra National Du Capitole Dafné

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre Garonne, le 15 Fev 2023. MITTERER : Dafne.  Les Cris de Paris G Jourdain / A Bory.  Photos : Aglaé Bory

Noces de Figaro de rêve à Toulouse

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 24 janv 2023. MOZART : Les Noces de Figaro. H Niquet / M A Martelli

Des Noces de Figaro de rêve à Toulouse

Nous connaissions cette co-production avec Lausanne vue en 2008 in loco et en savions la beauté. Le public a été conquis d’avance car la billetterie annonçait un remplissage à 100/100 plus un seul strapontin à vendre sur les 6 dates !

Élégance, beauté et efficacité décrivent au plus près cette production pleine de grâces.  Décors simples et de bon goût. Lumières très subtiles et costumes somptueux permettent aux chanteurs-acteurs d’évoluer dans un environnement quasi magique.

La direction d’acteur est exigeante et assume le comique de l’intrigue. Le public rit souvent.

La distribution est d’une homogénéité parfaite.  Rendons hommage à Christophe Gristi qui l’a choisie. Car c’est avec détermination et courage qu’il a fait confiance à des chanteurs jeunes, souvent en prise de rôle dont des toulousains. L’équilibre vocal est superbe avec des voix plus centrales pour les dames, puissantes et sombres chez Figaro et le Comte. Jusqu’aux plus petits rôles l’équilibre est parfait. Ce qui permet aux merveilleux ensembles de sonner parfaitement.

Les chanteurs sont tous des acteurs accomplis qui dansent, roulent par terre, tombent au sol, courent, sautent. Théâtralement c’est un véritable rêve du tandem Mozart-Da Ponte.  Vocalement le Comte de Michael Nagy est puissant, jeune et charmeur. Son jeu vif et sanguin donne au personnage une jeunesse inhabituelle.  Karine Deshayes incarne une très belle Comtesse, la voix est pure, belle et généreuse de timbre sur toute la tessiture. L’évolution sopranisante est certaine, nous le savons depuis sa Donna Elvira à Orange en 2019. Le jeu permet au personnage de gagner en complexité à la fois très enjouée et jeune, teintée d’une délicate mélancolie pudique. Ses deux airs sont admirablement phrasés même si le premier est dans un tempo un peu brusqué par le chef. C’est dans les ensembles (et ils sont nombreux) que la présence vocale de la Comtesse est rayonnante.

Dans cette mise en scène la complicité entre la Comtesse et Suzanne est totale. L’accord vocal avec la Suzanne d’Anaïs Constans est parfait. Anaïs Constans est une Suzanne solide et la beauté vocale est généreuse. Elle aussi a une présence dans le registre central qui lui permet de s‘imposer dans les ensembles. Et la rondeur du timbre, ses harmoniques donnent au personnage une belle sensualité. Son futur mari Figaro a la « bouille » de Julien Véronèse. Figaro tonitruant, dont le charme est fait d’intelligence plus que de beauté. Le couple avec sa Suzanne fonctionne bien vocalement et scéniquement. Les moments d’opposition avec le comte sont marqués par une puissance inhabituelle. Entre ce Comte si élégant à la beauté ravageuse et ce Figaro habile comme un chat, c’est comme un rapport de forces sociales qui s’affirme. Une autre merveille scénique et vocale est créée par Éléonore Pancrazi en Cherubino d’amore. Jeu complètement adolescent androgyne, sa manière de tomber dans le lit de Suzanne puis de la Comtesse est hilarante. Et quelle belle voix timbrée et homogène ! L’émotion est régulièrement partagée avec le public. Le personnage devient un véritable chouchou.  Le Bartolo de Frédéric Caton est effrayant dans la Vendetta, le personnage est ensuite de plus en plus sympathique. Emiliano Gozales Toro est un Don Basilio de luxe. Quel jeu cauteleux !

La grâce délicate de la Barbarina de Caroline Jestaedt est un régal. Ingrid Perruche en Marcellina est truculente. Son jeu d’un comique assumé donne beaucoup de présence au personnage. Matteo Peirone en Antonio, Pierre-Emmanuel Roubet en Don Curzio, Zena Baker et Youngshin Kim en damigelle sont tous admirables de présence. Cela se devine je pense dans ma critique, toute la distribution est en harmonie. Il nous reste à évoquer l’excellence de l’orchestre. Les musiciens du Capitole sont d’excellents mozartiens nous le savons. Avec Hervé Niquet ils atteignent des sommets de musicalité et de théâtralité. La disposition choisie par le chef est aussi surprenante que réussie. Elle permet un lien fosse-scène parfait. Les musiciens sont très hauts. Les bois (si important dans les airs), les cors et même les trompettes sont dos au public en bord de salle et donc voient les chanteurs. Le chef est devant le piano Forte du continuo et regarde la scène tournant le dos aux bois. Les violons et alto à gauche et les violoncelles, contrebasses 2 à l’extrême droite et 2 à gauche . Cette mise en place très baroque est prodigieuse et permet à l’orchestre de sonner généreusement. En cela le volume est très assorti aux belles voix solistes. La direction d’Hervé Niquet avec ses immenses mains est très contrastée avec des tempi plutôt rapides, Figaro dans son premier air et d’une manière plus subtile la Comtesse dans son Porgi Amor seront un peu malmenés. Le théâtre est partout dans cette direction, cela avance sans retard, les différents plans sont limpides. Cet orchestre chante, vit, s’amuse. C’est un véritable festival de joie. Jamais la folle journée n’aura semblé si délicieuse. Le public a exulté aux saluts et a fait une ovation à la troupe. Car ce qui restera c’est justement cet accord total entre les artistes de la scène à la fosse. Et Robert Gonella au piano forte à côté du chef, accompagne les beaux récitatifs avec inventivité et talent. C’est vivant et cela avance à toute vitesse, folle journée l’exige !

Cette production classique est une réussite totale à laquelle le public a adhéré pleinement. C’est beau un théâtre plein à craquer qui exulte !

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 janvier 2023. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Les Noces de Figaro, Opera Buffa en quatre actes. Livret de Lorenzo Da Ponte, d’après Beaumarchais. Mise en scène et scénographie, Marco Arturo Marelli ; Costumes, Dagmar Niefind ; Lumière, Friedrich Eggert ;  Distribution : Michael Nagy, Le Comte ; Karine Deshayes, La Comtesse ; Julien Véronèse, Figaro ; Anaïs Constans, Suzanne ; Éléonore Pancrazi, Cherubino ; Ingrid Perruche, Marcellina ; Frédéric Caton, Bartolo ; Emiliano Gonzales Toro, Don Basilio ; Caroline Jestaedt, Barberina ; Matteo Peirone, Antonio ; Pierre-Emmanuel Roubet, Don Curzio ; Zena Baker et Youngshin Kim, deux dames ; Orchestre National du Capitole ; Robert Gonella, continuo ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur, Gabriel Bourgoin ; Direction, Hervé Niquet.

Crédit photos : Mirco Magliocca

La Vie Parisienne dans la ville Rose : Enregistrement en concert !

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 12 jan 2023. OFFENBACH : La Vie Parisienne. Orch Nat Cap / R Dumas.

Quelle énergie dans cette Vie Parisienne !

Proposée en concert, il n’était pas évident que cette opérette dans une version de plus de trois heures ravisse le public. Et pourtant le succès a été total. Cette longue version remonte aux sources de la création. Le Palazzetto Bru-Zane a financé ce travail éditorial qui réintègre nombreux airs et moments vocaux plus exigeants voir virtuoses qu’Offenbach avait biffés trouvant une distribution plus théâtrale que lyrique lors de la création. Cette version de 1866 n’a donc jamais été entendue par Offenbach et il ne l’a pas validée. Cela correspond à sa composition musicale « pure » sans les modifications d’homme de théâtre qui l’ont conduit au succès que l’on sait. C’est donc un plaisir de musiciens et effectivement certains rôles deviennent plus importants. Le grand gain est de faire de Gabrielle la prima donna assoluta. Le rôle gagne en airs nouveaux mais surtout il a la responsabilité de lancer de nombreux ensembles dont l’inénarrable couplet de la Bouillabaisse. C’est bien la qualité de jeux des chanteurs, leurs mimiques, leurs fragiles accessoires qui ont conduit le public à l’extase. Vocalement toute la distribution est admirable mais surtout l’inventivité musicale et le panache vocal sont augmentés par un engagement théâtral exceptionnel. Ce concert était enregistré pour illustrer la version éditée par le Palazzetto Bru-Zane ainsi chaque chanteur était cantonné à sa place devant son micro ! Leur mérite de faire vivre leur personnage était donc immense et sera je pense perceptible dans l’enregistrement. Le jeune chef Romain Dumas a beaucoup d’énergie et anime toute cette intrigue tarabiscotée avec du panache et de l’humour. Les tempi sont vifs et les enchaînements très vivants.

L’Orchestre du Capitole mange du pain béni et fait feu de toute sa musicalité, sa virtuosité et son humour. C’est véritablement jubilatoire. Le chœur du Capitole débute avec une entrée spectaculaire qui demande beaucoup de concentration entre les nombreux sous-groupes. Ce n’est que petit à petit que la tension baisse et que leur amusement devient partagé.

La distribution est de haut vol. Les hommes d’abord puisque ce sont eux qui entrent en scène en premier. En Bobinet, Marc Mauillon est absolument irrésistible et c’est dommage que le rôle ne nous permette pas de l’entendre davantage. Ses mimiques sont drolatiques et la voix superbement conduite. Son compère plus favorisé dans la partition est Artavazd Sargsyan en Gardefeu. Tout aussi impliqué que Bobinet , il a un humour plus subtil et vocalement les exigences du rôle lui permettent de belles démonstrations de virtuosité. Jérôme Boutillier est un Baron truculent, ridicule et pourtant touchant avec une voix très spectaculaire. Sa Baronne est très assortie vocalement avec la même splendeur sonore et scéniquement un jeu en demi-teinte permet d’apprécier un personnage plus subtil qu’habituellement. En Baronne Sandrine Buendia a un grand talent scénique.

Véronique Gens en Métella promène son élégance lasse ; très concentrée sur sa partie vocale elle maintient son timbre et maîtrise son vibrato grâce à une concentration sans faille. Plus de théâtre lui aurait permis une meilleure intégration car elle a semblé toujours un peu « lointaine ». La grande diva est donc sans contestation Anne-Catherine Gillet en Gabrielle la gantière, une artiste aussi superbe que virtuose. Une énergie qui semble illimitée, des changements de costumes à vue, des sourires charmeurs : son jeu est sensationnel. D’autant je vous le rappelle que cela se passe sur moins d’un mètre carré ! La voix est d’une beauté délicieuse, ronde, irisée de couleurs fleuries avec des aigus cristallins et une homogénéité de tessiture très agréable. Son aisance avec le texte dans une diction parfaite fait également le charme de son personnage. Et son humour est tout à fait jubilatoire.

Pierre Derhet joue plusieurs rôles. Son Frick est spectaculaire mais son Brésilien ne l’est pas moins, il rend sa voix presque méconnaissable. C’est vraiment bleuffant ! Marie Gautrot est une Madame de Quimper-Karadec de haute tenue. Voix large et prestance scénique imposante. Elle joue son texte avec beaucoup d’aisance. Les autres dames créent une énergie d’ensemble assez remarquable, jeu collectif et rares moments de mise en valeur.  C’est également cet esprit collectif qui conduit aux meilleures réussites chez Offenbach. Donc félicitons Elena Galitskaja en Pauline véritable rouée coquine, Louise Pingeot en Clara, Marie Kalinine en Bertha et Caroline Meng en Dame de Folle-Verdure déjantée. Philippe Estéphe en Urbain et Alfred et Carl Ghazarossian complètent avec humour l’équipe gagnante. Ce concert de trois heures-vingt comportait un court entracte. Il me sembla passer très vite grâce à la présence vivifiante des artistes. 

Ne doutons pas qu’au disque cette version ravira la première place tenue pour l’heure par la version de Michel Plasson chez EMI avec une distribution incroyable dont LA METELLA de Régine Crespin et Mady Mesplé en Gabrielle pyrotechnique. L’art de Michel Plasson demeure irremplaçable dans ce répertoire…

En Choisissant Toulouse pour son enregistrement, le Palazzetto Bru-Zane permet un challenge en toute amitié, non sans un certain humour.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 12 janvier 2023. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Vie Parisienne opéra bouffe en cinq actes (version de 1866). Version de concert. Avec : Anne-Catherine Gillet, Gabrielle ; Artavazd Sargsyan, Gardefeu ; Marc Mauillon, Bobinet ; Jérôme Boutillier, Le baron ; Sandrine Buendia, la baronne ; Véronique Gens, Métella ; Pierre Derhet, Le Brésilien, Frick, Gontran ; Elena Galitskaja, Pauline ; Marie Gautrot, Mme De Quimper-Karadec ; Louise Pingeot, Clara ; Marie Kalinine, Bertha ; Caroline Meng Mme de Folle-Verdure. Philippe Estèphe, Urbain, Alfred ; Carl Ghazarossian, Joseph, Alphonse, Prosper ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Romain Dumas.

Crédit photo : Romain Alcaraz

La Bohème à Toulouse

CRITIQUE.OPERA. Toulouse, le 30 Nov. 2022. G. PUCCINI. LA BOHEME. BARBE et DOUCET. A. CONSTANS. A. ZADA. ORCHESTRE NAT DU CAPITOLE. L. PASSERINI.

Une Bohème solide à Toulouse

Les 4 Compères et Benoit

Cet opéra fait toujours salle comble au point d’être probablement celui qui est le plus souvent représenté à Toulouse. Il a même été possible de proposer deux distributions d’égales valeurs. Comme attendu le succès a été au rendez-vous avec cette nouvelle production solide confiée au tandem Barbe et Doucet. En cette très légère adaptation avec beaucoup de références culturelles et des décors très envahissants, l’exiguïté de la scène a été perceptible. Le parti pris de montrer l’opéra dans une carte postale sépia aurait bénéficié de toiles peintes pour donner de l’air dans l’acte deux et trois. Il n’y a donc pas eu de vrai contraste entre les actes intimistes et en plein air. Ceci est véniel car le public a été conquis. Décors complexes, costumes somptueux et lumières subtiles, tout fonctionne à merveille et le drame se développe sans mal. Le rajout d’accordéon et de chant de rue sont élégants mais assez vains. Voilà donc un travail sérieux mais lourd. Comme l’orchestre d’ailleurs. Le chef italien donne préférence au son, le solide son compact, à la subtilité de la partition de Puccini entre subtils pianissimi et forte brutaux.

Lorenzo Passerini ne recherche pas de contrastes, pas plus que d’atmosphères. C’est le ténor qui fera les frais de ce son plein et envahissant car le Rodolfo d’Azer Zada semble être privé d’harmoniques et sonne bien peu à côté de cet orchestre rutilant. Dommage car son chant est sensible. C’est la Mimi d’Anaïs Constans qui éclaire tout le spectacle. Voix solaire et conduite avec sensibilité, sa Mimi est émouvante et vocalement parfaite.

Le Marcello de Jérôme Boutillier a beaucoup de charisme. Avec une belle voix, très bien conduite, un jeu sincère et émouvant, son Marcello est merveilleux. Le duo à la Barrière d’Enfer avec Mimi est un des moments clés de la soirée. Les autres compères sont bien chantants et acteurs subtils. Guilhem Worms en Colline, Edwin Fardini en Schaunard et Matteo Peirone, ce dernier créant des personnages douteux et drôles en Benoît et Alcindoro.

La Musetta d’Andreea Soare, est presque surdimensionnée tant elle pourrait être une Mimi passionnante. Cela équilibre parfaitement les sopranos dans les ensembles. Il est après tout possible de voir en Musetta un personnage aussi intéressant que Mimi lorsqu’une telle artiste complète s’en empare.  Quelle actrice et quelle belle voix chaude et timbrée !

Bravo à toute la troupe car les petits rôles sont parfaitement tenus et le chœur est plein de vie et bien chantant faisant même le poids vocalement face à l’orchestre extraverti de Lorenzo Passerini.  

Beau succès pour cette nouvelle Bohème capitoline qui a obtenu les applaudissements mérités. En particulier la somptueuse Mimi d’Anaïs Constans.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 Novembre 2022. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, scènes lyriques en quatre tableaux sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après Henri Mürger. Mise en scène, décors et costumes : Barbe & Doucet. Lumières : Guy Simard. Avec : Anaïs Constans, Mimi ; Azer Zada, Rodolfo ; Andreea Soare, Musetta ; Jérôme Boutillier, Marcello ; Guilhem Worms, Colline ; Edwin Fardini, Schaunard ; Matteo Peirone, Benoît / Alcindoro ; Alfredo Poesina, Parpignol ; Bruno Vincent, un sergent des douanes ; Thierry Vincent, un douanier ; Claude Minich, le Vendeur de prines ; Michel Glasko, accordéon. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre National du Capitole, direction : Lorenzo Passerini.

PHOTOS : Mirco Magliocca

Cecilia Bartoli- Vivaldi-Les Musiciens du Prince-Monaco ça décoiffe !

CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE, LE 7 Nov. 2022. A. VIVALDI. G.F. HAENDEL. C. BARTOLI. LES MUSICIENS DU PRINCE-MONACO. G. CAPUANO.

Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince : un soleil au firmament

Cecilia Bartoli avec un art souverain semble faire ce qu’elle veut de sa voix. Avec sa technique très particulière elle poursuit une carrière au sommet semblant se jouer du temps. Vivaldi et Haendel ne sont certainement pas les compositeurs baroques les plus faciles. Leurs exigences vocales restent les plus hautes et La Bartoli règne sans grandes rivales parmi leurs œuvres les plus exigeantes. Alternant airs de charme, de tendresse ou de haute virtuosité avec des intervalles de musique orchestrale, le concert donné sans entracte se déroule avec une facilité incroyable.  Dès le premier air, elle joue à l’oiseau et avec une exactitude diabolique elle chante des vocalises d’une précision parfaite. Puis ce sera la délicatesse des phrasés qui enchante, la longueur du souffle qui subjugue et la langueur de la plainte qui émeut. Cet art vocal total, tel un bel canto idéal, appartient à Cecilia Bartoli depuis bientôt 40 ans avec la même splendeur sans que la magie ne soit ternie par les ans. Les couleurs de la voix sont davantage harmonieuses, la puissance vocale s’affine, le tempérament dramatique s’assagit mais le chant ne perd pas en intensité. Ainsi l’artifice convainc toujours autant. Vivaldi coule dans sa voix sans aspérités.

L’orchestre du Prince rassemblé sur les conseils de Cecilia et financé par le Prince de Monaco rassemble la fine fleur des instrumentistes baroques. Instruments baroques et jeux informés, l’accord avec la cantatrice romaine insatiable chercheuse de perfection stylistique est total. La complicité développée avec eux est grande et le chef Gianluca Capuano n’est pas en reste. A n’en pas douter, le partage de la musique, le plaisir de l’offrir au public en sa vérité dramatique est bien le projet commun qu’ils construisent. Il me semble que cette collaboration amicale au sommet apaise la cantatrice qui arrive à mieux canaliser son énergie débordante. Même la robe portée tout le concert, d’un splendide vert Véronèse, n’est pas troquée comme c’était le cas dans le spectacle précédent dans une orgie de changements à vue spectaculaires mais un peu superficiels. La théâtralité de Vivaldi n’en est que davantage émouvante avec ces purs moyens musicaux. Tout au plus signalons le jeux expressif et manquant de pureté des cordes jouant le contraste systématiquement de la rugosité face au legato souple et enveloppant de Cecilia Bartoli.  Le Vivaldi des Musiciens du Prince a une énergie débordante. On pourra avec subtilité les comparer aux Incogniti d’Amandine Beyer qui eux également renouvellent l’interprétation de la musique de Vivaldi. Ils viendront à Saint-Pierre des Cuisines dans les concerts du Musée le 6 Décembre.

Ce soir un son âpre et parfois fruste du plus bel effet mais qui implique un manque de précision et de « propreté » du son est un peu trop systématique. Ce parti pris s’effacera avec la musique du grand Haendel.

La deuxième partie du concert, donné sans véritable entracte, juste un réajustement de l’accord, ouvre le monde plus large et plus noble de Haendel. L’orchestre s’étoffe et le son gagne en profondeur et en largeur. Cecilia Bartoli débute avec la même joie partagée ce jeu de miroir avec un oiseau babillard comme en ouverture de concert chez Vivaldi. Haendel a les mêmes qualités de variété dans les exigences vocales. Cecilia Bartoli a la même aisance dans un art vocal total. Virtuosité diabolique, souffle immense, phrases portées à leur apogée, mélancolie à la noble tristesse, humour taquin, toutes les émotions habitent la cantatrice si bien entourée. Les musiciens solistes rivalisent de complicité : violon solo, flûte, hautbois, trompette. La rivalité jouée entre la cantatrice, le hautbois et la trompette apporte beaucoup de plaisir tant aux musiciens qu’au public. Deux bis, une chanson du XX e siècle et un duel à fleuret moucheté entre la voix et la trompette concluent cette soirée de joie et de beauté. Avec un humour incroyable Cecilia ira dans son duel chercher l’appui de la mélodie sublime Summertime de Gershwin :  elle peut tout chanter la Bartoli !

A l’invitation des Grands Interprètes Cecilia Bartoli et ses Musiciens du Prince-Monaco nous ont offert un concert tout simplement royal !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 7 Novembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Airs et pièces instrumentales ; George Frédéric Haendel (1685-1759) : Ouverture, airs, pièces instrumentales ; Les Musiciens du Prince – Monaco ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Direction : Gianluca Capuano.

RUSALKA ressuscitée au Capitole de Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 14 octobre 2022.  ANTONIN DVORAK. RUSALKA. S. PODA. A. HARTING. P. BUSZEWSKI. ONCT. F. BEERMANN.

SUBLIME RUSALKA au Capitole !

Aussi incroyable qu’injuste, il a fallu attendre 2022 pour voir à Toulouse cette Rusalka de Dvorak. La partition de 1901 est d’une beauté farouche, la dramaturgie est efficace et cinq rôles sont absolument majeurs et permettent aux chanteurs de s’exprimer pleinement vocalement. Rajoutons combien l’orchestre également est sollicité par le compositeur de la symphonie du Nouveau Monde. Afin de rendre hommage comme il convient à ce chef d’œuvre, Christophe Ghristi, directeur du Capitole, a donné tous les moyens nécessaires, y compris une ouverture de saison, afin d’enchanter le public. Théâtres pleins, applaudissements passionnés, le succès est total car le résultat est je dois dire sidérant. Il est difficile de rendre compte de la magie d’une production réussie sans l’affadir, je vais toutefois détailler les éléments de cette réussite totale. Je commencerai par l’Orchestre, cela sera la porte d’entrée pour beaucoup car Dvorak est très connu comme compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme dans la musique symphonique l’orchestre de Rusalka est complet, puissant, subtil, très émouvant. La direction de Frank Beermann est idéale. Il connaît bien l’orchestre du Capitole, sa direction est très belle, elle laisse les musiciens s’épanouir en particulier les bois tout en maintenant une ligne de direction déterminée qui nous entraine dans le voyage et le drame. L’Orchestre du Capitole est conscient de la beauté de la partition et s’engage avec une ardeur magnifique. La beauté sonore de l’orchestre, sa délicatesse et les émotions qu’il porte laissent sans voix. Tous les musiciens sont superbes. Avec une mise en valeur particulière des bois et de la harpe. Coté distribution la même perfection se retrouve. Chacun est magnifique y compris les plus petits rôles comme par exemple les Nymphes. Valentina Fedeneva est une première Nymphe puissante avec une voix riche et nuancée. Citons-les tous : Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton. Aucune faiblesse ce sont de beaux artistes avec de très belles voix, arrivant chacun à créer une belle présence scénique. Les rôles principaux sont d’un niveau international avec une puissance expressive totale.

Aleksei Isaev est un Ondin parfait avec une prestance de dieu et une tristesse de père très troublante. La voix puissante sait se fragiliser pour exprimer sa peine.

En sorcière Jézibaba, Claire Barnet-Jones joue avec intensité et chante admirablement. La voix est sombre et inquiétante et la cantatrice est aidée par un costume spectaculaire.

Béatrice Uria-Monzon dans un rôle assez court arrive avec une voix très timbrée et puissante, un jeu subtil et un port de reine, à donner beaucoup de présence à son personnage de Princesse Étrangère.

Le couple maudit est particulièrement bine distribué en therme de scène et de voix. Piotr Buszewski est un prince idéal à la fois physiquement et vocalement. Timbre clair, voix dardée comme une fusée et un engagement total tant sur le plan vocal que dramatique. Pour une fois que le ténor a un vrai physique de jeune premier et une voix magnifique, nous avons un vrai Prince charmant ! 

Anita Hartig est une Rusalka désarmante et troublante. Le jeu modeste au début s’anime et la voix est somptueuse, riche en harmonique, ductile, nuancée à souhait. Les aigus sont purs et sonores, le medium est riche et gourmand et les graves pulpeux et onctueux.

Sur toute la vaste tessiture elle chante avec un bonheur total. La puissance qu’elle garde pour le duo final est bouleversante. Ce duo final avec le prince est un grand moment. Lui aussi oscille entre puissance et fragilité sur toute la tessiture. Elle tient une terrible ligne vocale sans siller.

L’opéra se termine en apothéose. Les chœurs ont de belles parties. Hors de scène le plus souvent, chacune de leurs interventions est remarquable. 

Les danseurs, tous cités dans la distribution sont des artistes époustouflants semblant encore plus à l’aise dans l’eau que dans le salon de Prince c’est dire le travail extraordinaire réalisé. Leurs mouvements dans la grande mare sur scène apportent beaucoup à la magie du spectacle. Des conditions probablement très complexes ont été dépassées pour arriver à ce résultat sidérant de beauté. Bravo, bravissimo !

Pour tout le coté visuel il faut reconnaître que la cohérence du propos est admirable. C’est l’autodidacte Stefano Poda qui a tout conçu et a fait un travail absolument remarquable. En, ce qui concerne la scène tout est organisé autour d’un décor complexe. Une scène gorgée d’eau, offre une vaste étendue sur et dans laquelle des danseurs représentent les créatures élémentaires marines qui entourent Ondin et sa fille Rusalka. La magie du théâtre est complète et chacun peut croire que la mare est posée sur la scène et que les créatures peuvent y plonger et ressortir pour chanter. Trois murs transparents et liquides ferment l’espace. Ondin et Rusalka se déchirent à projos du désir de Rusalka. Celle-ci tombée est amoureuse d’un mortel veut changer d’état et en devenant humaine veut acquérir une âme.  Le dialogue avec la sorcière Jézibaba est terrible mais la nymphe obtient gain de cause, elle va quitter le calme de son immortalité pour découvrir la passion du corps et la mort. La symbolique de Poda est assez simple et efficace. Le premier décor est celui de la nature belle et immaculée. Le deuxième acte nous plonge dans l’envers du monde, celui de la fabrication humaine, des jeux pervers entre les gens, de la pollution. Le décor mural sera comme une carte mère géante, le sol est fait de promontoires. Les danseurs forment des couples violents, ce ne sont plus les corps qui parlent mais les costumes. La violence de la chorégraphie ne cache pas la perversion des relations sexuelles. Le prince et Rusalka se conforment visuellement à ce modèle et petit à petit sur l’intervention de la violence de la Princesse étrangère la relation du prince avec sa bien-aimée qui reste muette se dégrade. La souffrance du prince qui veut mais ne peut supporter le silence de sa belle est très perceptible. L’incommunicabilité est fatale.

Sa fuite dans le badinage avec la Princesse Étrangère n’est pas légère mais désespérée. Rusalka retrouve la voix et un chant désespéré pour terminer l’acte. Le drame est scellé. Le troisième acte nous fait retrouver l’eau magique. Rusalka y entrainera dans une étreinte mortelle son bien aimé qui lui offre sa vie. A défaut de se comprendre les amants se lient dans la mort. La nature comme abimée retrouve l’espoir de la croissance. Des nymphes déplacent de petits pots bien modestes mais qui formeront de grands arbres. Cette opposition, cette incompréhension entre le mode des simples de nature et les créateurs de la civilisation de labeurs est symbolisée par le couple impossible Rusalka la nymphe et le Prince. Des mains gigantesques embarrassent le ciel ou l’eau. L’effet est redondant, la symbolique des mains comme pire et meilleures amies de l’homme est trop encombrante. A vouloir trop montrer Poda s’enlise sur ce point. Ce reste hérité de sa rencontre avec Beni Montresor dont des décors et costumes très riches et des images belles mais toujours lourdes est dommageable. Car Beni Montresor travaillait avec des metteurs en scène. Je me souviens très bien de son Nabucco en 1979 à Paris à la beauté écrasante. Certes les personnages peuvent être réduits à des abstractions dans ce conte symboliste mais à trop penser aux décors, costumes et effets scéniques, le jeu des corps humains a été délaissé. La mise en scène de ce point de vue est déficiente. En tout cas même à ce prix la magie a ravi le public car c’était un décor vraiment spectaculaire. Musicalement l’émotion était bien présente par la partition, brillamment défendue par la qualité des voix et un orchestre parfaitement dirigé par Frank Beermann.  

Les photos illustrant la critique ne rendent compte que d’une partie de la magie car la beauté des mouvements des corps des danseurs, surtout dans l’eau ne peut qu’être imaginée.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra.  TOULOUSE, le 16 octobre 2022. Théâtre du Capitole. Antonin Dvorak (1841-1904) : Rusalka. Conte lyrique en trois actes. Crée le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague.

Stefano Poda : Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie ; Paolo Giani cei, collaboration artistique ; Distribution : Anita Hartig, Rusalka ; Piotr Buszewski, Le Prince ; Aleksei Isaev, Ondin ; Béatrice Uria-Monzon, La Princesse étrangère ; Claire Barnet-Jones, Jézibaba ; Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton ; Danseurs : Jorge Calderon, Maud Boissière, Juliette César, Arthur Delorme, Xavier-Gabriel Gocel, Elise Griffon, Izaskun Insausti Lorente, Marine Jardin, Antoine Lecouteux, Grégoire Lugué-Thébaud, Steven Nacolis, Léa Pérat, Florian Perez, Marion Pincemaille, Sophie Planté, Cyril Vera-Coussieu. Orchestre National du Capitole ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, Gabriel Bourgoin, chef de chœur. Direction : Franck Beermann.  Photos Mirco Magliocca.

Sur un Cactus à l’entracte ça discute ferme de cette mise en scène

La Gioconda à Orange

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Amilcare PONCHIELLI. LA GIOCONDA. Csilla BORROS. Stefano LA COLLA. Clémentine MARGAINE. Jean-Louis GRINDA. Daniele CALLEGARI. 

UNE GIOCONDA BIEN TROP SAGE À ORANGE

L’opéra le plus connu de Ponchielli, Gioconda n’est pourtant pas vraiment un opéra favori du public. Plusieurs raisons me semblent expliquer ce malentendu. Même si le livret de Boïto est d’après Hugo, l’intrigue tarde à avancer et les incohérences sont nombreuses. La partition mis à part deux airs (Enzo et Gioconda) et un duo ( Gioconda-Laura) et surtout sa musique du ballet des heures n’est pas si connu. Cet opéra, les lyricophiles en ont davantage entendu parler qu’ils ne le connaissent vraiment.

Ce soir le théâtre Antique était loin d’être plein. Le public présent a semblé par ses applaudissements satisfait mais pas absolument conquis. La mise en scène grandiose et spectaculaire de Jean-Louis Grinda est tout à fait adaptée au lieu. Les vidéos d’ Etienne Guiol et Arnaud Pottier sont somptueuses avec lagunes, palais, mer et bateaux projetés et sols luxueux. Les lumières sont très expressives et les costumes superbes, riches et prenant bien la lumière. Le jeu des chanteurs est simple et crédible sans trop d’emphase. Le tableau avec le ballet est grandiose.

Les voix des héros sont sonores en ce qui concerne Gioconda, Enzo, Laura et la Cieca. Barnaba et Alvise semblant plus étriqués dans la vaste acoustique.

Csilla Borros, Gioconda, sauve la production in extremis, elle est particulièrement engagée dans un personnage noble et fier au chant victorieux s’imposant face aux difficultés du rôle. Des sons piano et un beau legato lui permettent de résister toute la soirée. Elle semble bien à l’aise dans ce rôle épuisant.

Stefano La Colla est un Enzo élégant et bien chantant. En Laura, Clémentine Margaine offre son mezzo cuivré et chante avec puissance ce rôle sans toutefois faire tout à fait le poids scéniquement dans son opposition à Gioconda. Leur duo, qui doit être spectaculaire ne décollera pas vraiment.

Alexander Vinogradov, en Alvise n’a pas le charisme d’un noble altier et peine à s’imposer, semblant bien trop fragile. La Cieca de Marianne Cornetti est parfaite de noblesse et de modestie pieuse, la voix belle et longue sonne avec facilité, ses interventions portent à chaque fois une très belle émotion. La grande déception vient du Barnaba de Claudio Sgura. Toute l’action repose sur la terreur que doit imposer ce personnage entièrement noir. A chercher à le banaliser, l’action ne démarre pas vraiment. La voix n’a pas l’ampleur terrible attendue. Le jeu est trop sage. Il incarne un méchant trop poli en somme !

Le reste de la distribution ne pose pas de problème et chacun s’impose sans difficulté dans la vastitude du théâtre Antique. Citons-les tous : Jean-Marie Delpas en Zuante, Przemyslaw Baranek en chanteur, Jean Miannay en Isépo, Walter Barbaria le timonnier, Serban Vasile un barnabotto, Vincenzo Di Nocera, une voix, Pasquale Ferraro, une autre voix. Les chœurs associés de nos régions Sud sont impeccables, vivants, sonores et impliqués.

La plus grande réussite aura pour moi été le ballet absolument enthousiasmant, brillant, virtuose et vivant. Reste peut-être le plus délicat à écrire : l’orchestre de Nice plutôt efficace n’a pas eu l’occasion de vraiment briller car la direction, molle et sans nerf de Daniele Callegari était bien décevante. Gioconda a besoin d’un chef et d’un vrai. Et comme aucune voix n’était de nature à briser les cœurs le drame n’a pas pris. Jolie musique un peu compassée alors que Gioconda peut être de feu et de sang.

L’aspect scénique et surtout le ballet, magnifique chorégraphie de Marc Ribaud et du ballet de l’Opéra Grand Avignon, ont permis de passer une bonne soirée mais bien trop sage par ailleurs.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Théâtre Antique. Amlicare PONCHIELLI (1834-1886) : LA GIOCONDA, Opéra en 4 Actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Jean-Louis Grinda et Laurent Castaingt ; Costumes : Jean-Pierre Capeyront ; Lumières : Laurent Castaingt ; Chorégraphie : Marc Ribaud ; Vidéo : Etienne Guiol et Arnaud Pottier ; Distribution : Csilla Borros, Gioconda ; Clémentine Margaine, Laura ; Stefano La Colla, Enzo ; Alexander Vinogradov, Alvise ; Marianne Cornetti, La Cieca ; Cladio Sgura, Barnaba ; Jean-Marie Delpas, Zuane, matelot ; Przemyslaw Baranek, un chanteur ; Jean Miannay, Isépo ; Walter Barbaria, le timonnier ;  Serban Vasile, un barnabotto ; Vincenzo Di Nocera, une voix, ; Pasquale Ferraro,  une autre voix ;  Orchestre Philharmonique de Nice ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon , Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Chœur de l’Opéra National du Capitole de Toulouse ; Coordination des Chœurs, Stefano Visconti. Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Direction : Daniele Callegari.

Photos : Gromelle

Un Barbier de Séville tout en énergies à Toulouse

CRITIQUE. OPERA. TOULOUSE, THEATRE NATIONAL DU CAPITOLE, le 24 mai 2022. J.E. KÖPPLINGER. A. CREMONESI. F. SEMPEY. E. ZAÏCIK. K. AMIEL. ONCT.

Un barbiere di qualita, di qualita, si, si !!!!

Cette coproduction capitoline se veut bouffe scéniquement et sacrément belle musicalement. Nous avons entendu la première distribution mais la seconde semble tenir le rang sans craintes. Le Barbier de Séville est un « Melodramma buffo » comme souhaité par Rossini lui-même qui porta ce genre au pinacle. Le décor et les costumes se veulent de la plus délirante fantaisie tout en gardant une certaine élégance. La mise en scène de Josef Ernst Köpplinger reste dans cette ligne comique avec une grande efficacité. Un décor tournant du plus bel effet et sur deux étages, rend presque véridiques les grands imbroglios, les parties de cache-cache et les apartés. La vivacité de la partition trouve son tempo sur scène tout du long sans jamais de temps morts. Tout cela virevolte et séduit par des mouvements permanents. Il faut dire que le Figaro de Florian Sempey a une énergie comique insatiable et sophistiquée digne de la cage aux folles.  Kevin Amiel est un Comte qui s’encanaille au fur et à mesure juste à la limite du trop.  Paolo Bordigna en docteur Bartolo, et Andrea Soare en Berta, mais surtout l’immense Roberto Scandiuzzi en Basilio sont des partenaires admirables. Seule la Rosine d’Eva Zaïcik garde une certaine retenue. Les costumes d’Alfred Mayerhofer participent par leurs couleurs à donner beaucoup de vie aux acteurs. Les lumières sont subtilement discrètes.

Barbier De Séville 2

Coté musical l’orchestre est de vif argent sous la baguette alerte d’Attilio Cremonesi. L’orchestration de Rossini, il faut le reconnaître, est particulièrement succulente dans ce Barbier avec de tels musiciens ! Le chœur, surtout les hommes, s’amuse avec aisance et chante avec plaisir.  Les petits rôles sont parfaitement distribués. Les louanges pour les voix des rôles principaux ne peuvent qu’être totalement heureuses. Florian Sempey est un Barbier si bien chantant et qui joue si habilement qu’il est LE BARBIER du moment. C’est probablement le rôle qu’il chante le plus souvent. Eva Zaïcik a la voix parfaite pour Rosine, le style, les roulades et les trilles, les aigus brillants et des graves admirables. Roberto Scandiuzzi est un Basilio quasi surdimensionné à la voix somptueuse et au jeu pénétrant entre menaces et haut comique.

Barbier De Séville

Paolo Bordigna a une voix agréable et son chant reste toujours élégant ; ce n’est pas le vieux barbon ridicule mais un docteur dans la force de l’âge créant une menace bien crédible pour les deux amants. Reste à évoquer le peu d’adéquation vocale de Kevin Amiel avec la tessiture d’Almaviva et le style rossinien. La voix du ténor est toujours aussi séduisante mais l’aigu ne semble pas aussi facile que dans les rôles lyriques et il n’a pas l’aisance vocale de ses comparses dans le style rossinien si redoutable pour les ténors. S’il est certes un Almaviva agréable, Kevin Amiel n’atteint pas tout à fait le sommet vocal des autres chanteurs.

Ce barbier toulousain est plein de panache, de vie et de beau chant. Il a fait le bonheur du public, ainsi une salle comble a fait savoir son approbation par des applaudissements nourris, per un barbiere di qualita, di qualita !

Hubert Stoecklin


Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 Mai 2022. Gioachino Rossini (1792-1868) : Le Barbier de Séville, melodramma buffo en deux actes ; Livret de Cesare Sterbini d’après Beaumarchais. Créé le 20 février 1816 à Rome. Coproduction Théâtre National du Capitole de Toulouse, Staatsteater am Gärtnerplatz de Munich, Fundacio del Gran Teatre del Liceu de barcelone. Josef Ernst Köpplinger, mise en scène et lumières ; Alfred Mayerhofer, costumes ; Johannes Leiacker, décors ; Michael Heidinger, lumières ; Distribution : Florian Sempey, Figaro ; Eva Zaïcik, Rosina ; Kévin Amiel, le Comte Almaviva; Paolo Bordigna, le Docteur Bartolo ; Roberto Scandiuzzi, Don Basilio ; Edwin Fardini, Fiorello ; Andrea Soare, Berta ; Bruno Vincent, l’Officier ; Frank Berg, Ambrogio ; Orchestre et chœur du Capitole de Toulouse (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Direction Attilio Cremonesi.

Somptueuse production de Wozzeck à Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 19 Novembre 2021. A. BERG. WOZZECK. M.FAU. S. DEGOUT. S. KOCH. O. N. CAPITOLE. L. HUSSAIN.

SPLENDEUR VOCALE, MUSICALE ET SCÉNIQUE !

Stéphane Degout (Wozzeck), Sophie Koch (Marie) © Mirco Magliocca

Cette nouvelle production capitoline met en valeur toutes les qualités maison. La qualité du travail en amont permet un approfondissement de la production qui accède à une cohérence et une perfection qui laissent le public sans voix entre les actes pour exploser au final.

Wozzeck en véritable Opéra au Capitole

Les maitres d’œuvre, Michel Fau et Leo Hussain, main dans la main guident les artistes de la production vers la lumière d’une interprétation particulièrement aboutie. Le parti pris de Michel Fau est génial. Il ose saisir le chef d’œuvre de modernité de Berg pour l’ouvrir vers l’onirique. Toute l’histoire tragique du soldat Wozzeck est vécue par l’enfant qu’il a eu avec Marie. En insistant ainsi sur les douleurs de l’enfant, le tragique un peu abstrait de cet opéra de la noirceur de l’âme humaine, devient plus proche de nous et la plus grande compassion nous saisit souvent. Le décor magnifique en sa fausse naïveté est d’une intelligence remarquable. La misère de la chambre de l’enfant est terrible, ses peurs d’enfants premières ne sont que bien menues à coté de toutes les atrocités auxquelles il va devoir assister de force. En mettant ainsi le focus sur les effets sur un enfant innocent des persécutions dont son père est victime et des douleurs de sa mère, tout nous est plus proche et plus insupportable encore. Comme dans les rêves se sont les images qui prennent tant de place l’utilisation de costumes beaux et colorés permet des tableaux de grande émotion. Les personnages sont comme des images d’Épinal avec des attitudes proches de marionnettes. Le jeu des acteurs est remarquable, très précis et maitrisé. Le jeu de l’enfant, est particulièrement touchant et entendre enfin sa délicate voix à la toute fin de l’opéra nous rappelle qu’il a été muet tout du long et pourtant si expressif. Dimitri Doré est un jeune acteur remarquable.

Le Wozzeck de Stéphane Degout est une prise de rôle très aboutie.

Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

La cohérence vocale et physique est totale. La beauté de la voix fait irradier l’humanité et la gestuelle si artificielle illustre la douleur interne de sa folie. Le jeu de l’acteur est si accompli qu’il arrive à illustrer le fond de la pathologie schizophrénique dont souffre notre héros. Il arrive à vivre deux émotions contradictoires en même temps ; son sourire désespéré et heureux avant de tuer celle qu’il aime tant est absolument renversant. Le résultat est tout à fait bouleversant. Quel artiste complet ! Marie, sa bien-aimée qui lui est ravie avec tant de perfidie, est sur le même registre de perfection vocale. Sophie Koch également fait une prise de rôle tout à fait remarquable.

Sophie Koch (Marie) © Mirco Magliocca

Poupée, femme enfant, mère tendre, âme trop confiante, Marie est vue par les yeux de son enfant : maman est la plus belle. La tragédie de son destin n’en ressort qu’avec davantage de force. Son jeu met en évidence la force de vie qui anime le personnage. Tout en lui demandant ce jeu de marionnette qui la laisse désarticulée lorsqu’elle est abandonnée sur le lit (de son fils) par la Tambour major après son trivial exploit sexuel et par Wozzeck qui lui donne la mort dans un sourire. La voix de Sophie Koch est d’une splendeur totale. Les persécuteurs pervers qui démolissent ce couple sont traités avec la même fausse naïveté d’image d’Épinal. Le tambour-Major est beau comme un soldat de plomb, ivre de sa puissance virile. Nikolai Schukoff donne à ce rôle bien court une puissance folle avec sa voix de stentor et son jeu brutal. Le Capitaine de Wolfgang Ablinger-Sperrhake est beau comme un sou neuf, vain comme une image de papier glacé et personnifie la suffisance narcissique dévastatrice. Sa voix est admirablement conduite dans cette tessiture impossible. Il est un personnage délicatement odieux. Mais la violence et la perversion du médecin sont bien plus angoissantes encore avec un jeu qui révèle sa folie irrécupérable.

Falk Struckmann (Le M‚decin), Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

La composition de Falk Struckmann est un tout, absolument parfait et ce personnage est carrément terrifiant.  Thomas Bettinger en Andres a une belle voix qui convient bien à sa véritable sympathie pour Wozzeck. Anaïk Morel en Margret est un véritable luxe. Belle poupée avec une voix qui mérite un bien plus grand rôle pour pouvoir l’apprécier vraiment.  Les Costumes de David Belugou sont de toute beauté et prennent bien la lumière, illuminant toute la scène.

Wozzeck Dimitri Dor‚ (L'Enfant De Marie), Sophie Koch (Marie) © Magliocca

Les lumières et tout particulièrement les ombres dans leur dimension cauchemardesque si importante sont magistrales de précision et d’efficacité. Joël Fabing réalise un éminent travail à la précision parfaite. Les chœurs et la maitrise sont impeccables dans leurs courtes mais décisives interventions dans des costumes somptueux.

Stéphane Degout (Wozzeck), Dimitri Dor (L'Enfant De Marie), Wolfgang Ablinger Sperrhacke (Le Capitaine) © Mirco Magliocca

Le reste de la distribution tient bien ses parties on ne peut que féliciter l’engagement généreux de Mathieu Toulouse et Guillaume Andrieux en ouvriers et Kristofer Lundin en idiot.

L’autre personnage principal de cet Opéra est l’orchestre, un orchestre du Capitole en forme somptueuse. On sait que Berg demande beaucoup de concentration, la grande complexité de la partition est bien connue. Avec les musiciens de Toulouse la beauté sonore de chaque instant illumine la partition. La direction de Leo Hussain semble à la fois obtenir la plus grande précision, toute en agrégeant les éléments si composites de la partition dans une avancée terrible. Le drame avance inexorable, et chaque élément est d’une précision parfaite. Il est bien rare d’entendre Berg si clairement sur tous les plans.  Voilà un chef majeur dans un répertoire difficile.

Au total cette production est d’une cohérence parfaite et permet d’ouvrir ce chef d’œuvre noir à une lumière tragique avec une audace enrichissante et une vocalité plus développée que l’habitude qui privilégie le sprechgesang.  Le parti pris de Michel Fau est magistral, il a su fédérer tout son plateau (de premier plan) et la fosse (musiciens suprêmes). Si une partie du public a pu sembler inquiète par la difficulté de l’ouvrage, cette production démontre que Wozzeck est un vrai opéra.   Un Grand Bravo à toutes et tous !

Dimitri Dor‚ (L'Enfant De Marie), Stéphane Degout (Wozzeck), Thomas Bettinger (Andres) © Mirco Magliocca

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Opéra. Théâtre du Capitole, le 19 Novembre 2021. Alban Berg (1885-1935) : Wozzeck. Opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après la pièce de Georg Büchner. Mise en scène : Michel Fau ; Décors : Emmanuel Charles ; Costumes : David Belugou ; Lumière : Joël Fabing ; Distribution : Wozzeck, Stéphane Degout ; Marie, Sophie Koch ; Le Tambour-Major, Nikolai Schukoff ; Andres, Thomas Bettinger ; Le Capitaine, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke ; Le Médecin, Falk Struckmann ; Premier Ouvrier, Mathieu Toulouse ; Deuxième Ouvrier, Guillaume Andrieux ; Un idiot, Kristofer Lundin ; Margret, Anaïk Morel ; L’Enfant de Marie, Dimitri Doré ; Orchestre national du Capitole ; Chœur et Maitrise du Capitole (chef de chœur, Gabriel Bourgoin) ; Direction musicale : Leo Hussain.

Nicolai Schukoff (Le Tambour Major), Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

Photos de Mirco Magliocca

L’ ELEKTRA terrassante de Michel Fau !

Compte rendu opéra ; Toulouse. ;  Théâtre du Capitole,  les 2  et 4 Juillet 2021 ; Richard Strauss (1864-1949) : Elektra ; Tragédie  en un acte ; Livret  de Hugo von Hofmannsthal ; Création  le 25 janvier 1909 au Semperoper de Dresde ; Michel Fau,  mise en scène ; Hernán Peñuela,  scénographie ; Phil Meyer,  sculpture et peinture ; Christian Lacroix,  costumes ; Joel Fabing,  lumières ; Ricarda Merbeth : Elektra ; Johanna Rusanen : Chrysothémis ; Violeta Urmana : Clytemnestre ; Matthias Goerne :  Oreste ; Frank van Aken : Égisthe ; Sarah Kuffner : La Confidente, la Surveillante ; Svetlana Lifar,  Première Servante ; Grace Durham,  Deuxième Servante ; Yael Raanan-Vandor :  Troisième Servante, La Porteuse de Traîne ; Axelle Fanyo : Quatrième Servante ; Marie-Laure Garnier : Cinquième Servante ; Valentin Thill : Un Jeune Serviteur ; Barnaby Rea,  Le précepteur d’Oreste ; Thierry Vincent : Un vieux Serviteur ; Zena Baker, Mireille Bertrand, Catherine Alcoverro, Judith Paimblanc, Biljana Kova, Stéphanie Barreau : Six servantes ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole, Alfonso Caiani  direction; Frank Beermann,  direction musicale

Cette réouverture à un spectacle lyrique complet était tant attendue que les chances de nous satisfaire étaient mises à rude épreuve. Mais le Capitole est une grande maison et avec toutes ses forces sous la direction avisée de Christophe Gristi elle a produit un chef d’œuvre, un spectacle total comme il arrive peu de fois dans une vie lyrique de la vivre. J’ai du voir deux fois ce spectacle pour en approcher la richesse et la complexité. Extraordinaire travail d’équipe. Mise en scène très aboutie de Michel Fau, entouré d’artistes merveilleux, distribution parfaite, orchestre somptueux et chef survolté.

Toute l’ « affaire » Elektra est soumise à son père Agamemnon. Son lien morbide hystérique à son père est fatal on le sait. Jamais il n’a été si fortement maladif, car Elektra dans cette production porte une robe de mariée…

Toutes le photos sauf celle de la Statue dans l’escalier sont de Mirco Magliocca.

Ricarda Merbeth (Elektra) © Mirco Magliocca

On voit sur cette photo le jeu extraordinaire de Riccarda Merbeth très expressive avec  ses regards hallucinés . On voit également le grand corps malade et abattu après avoir été mutilé du Roi  Agamemnon. Riccarda Merbeth EST ELEKTRA. Voix colossale, jeux expressifs, endurance , elle a tout.

Cette extraordinaire présence est due à l’art de Phil Meyer qui signe également le rideau de fond de scène. Une statue plus petite mais érigée accueillait, si l’on peut dire,  les spectateurs au haut du grand escalier du Capitole.

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L’ idée de cet Agamemnon qui prend toute la place physiquement permet de comprendre combien  le monde intérieur d’Elektra est envahi.

Tous les autres personnages sont gênés par cette statue abattue mais si envahissante. Egisthe ira jusqu’à y trébucher dangereusement.

Les autres rôles sont distribués à la perfection.

La Chrisothémis de Johanna Rusanen  est  » HENORME » . Véritable sœur d’Elektra elle pourra en assumer le rôle bientôt. Voix puissante et charge expressive impressionnante.

La rivalité entre les sœurs en devient mortelle.

Ricarda Merbeth (Elektra), Johanna Rusanen (Chrysoth‚mis) © Mirco Magliocca

La terrible mère qui ne sait comment vivre après son crime est Violetta Urmana, dans une somptueuse robe rouge, elle vocifère, écarlate de colère et de honte.

Violeta Urmana (Clytemnestre) © Mirco Magliocca

L’affrontement Mère-fille est épouvantable à souhait

Elektra Capitole Toulouse Tragedie Blanc Rouge
ELEKTRA 7

Le seul moment de tendresse en devient bouleversant par la présence si digne d’Oreste. C’est l’immense Matthias Goerne qui fait une prise de rôle magistrale.

Ricarda Merbeth (Elektra), Matthias Goerne (Oreste) © Mirco Magliocca

Les costumes de Lacroix sont tous, comme espérés, absolument somptueux.

L’orchestre placé en fond de scène est d’une présence terrible mais la direction magistrale de Frank Beermann  évite toute mise en danger des voix.

Aux saluts le dispositif complet :

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Un spectacle magistral je vous dis.

Hubert Stoecklin 

Critique détaillée sur Classiquenews.com

Il sera possible d’écouter cette version historique sur France Musique.


Théâtre du Capitole

Elektra 2021

Enfin le Capitole rouvre avec la Force du Destin pas moins ! En avons nous fini avec le couvre feu ???

Compte rendu concert. Théâtre du Capitole de Toulouse, le 23 mai 2021. Opéra en version de concert en raison des exigences sanitaires. Giuseppe Verdi ( 1813-1901) : La Forza del Destino, Opéra en trois actes ; Livret de Francesco Maria Piave ;  Distribution : Catherine Hunold, Leonora di Vargas ; Amadi Lagha , Don Alvaro ; Gezim Myshketa, Don Carlos di Vargas ; Roberto Scanduzzi, Le marquis de Caltrava et Padre Guardiano ; Racham Brydce-Davis, Prezosilla ; Sergio Vitale, Fra Melitone ; Roberto Covatta, Trabuco ; Cécile Gallois, Curra ; Barnby Rea , lcade et Chirurgico ; Chœur du Capitole (Direction : Alfonso Caiani) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction musicale : Paolo Arrivabeni.

Le Capitole tient face au destin commun crânement

Nous n’en pouvions plus ! La limite était atteinte. Plus rien au Capitole depuis Octobre 2020 avec un Cosi aussi merveilleux que malmené avec un orchestre covidé après la première ! Plus rien quand la saison devait être merveilleuse !  Les titres les uns après les autres enterrés ! Un Eugene Onéguine parfaitement répété et très prometteur, annulé à la dernière minute, puis le néant des annulations les unes après les autres. Malheur pour la maison vouée au silence, malheur pour les artistes rendus muets, mais malheur aussi au public. C’est de ces malheurs qu’il fallait s’extraire et le choix de la Force du Destin de Verdi est tout à fait excellent. Grande fresque « romanticofantastique » composée pour Saint-Petersbourg, cet opéra fleuve a une place particulière dans le cœur des amateurs d’opéras. N’est-ce pas ce thème du destin qui façonne « E La nave va » le film de Fellini dans lequel un aéropage de fous d’opéra font une croisière en hommage à une grande Cantatrice, la Tetua, dont les cendres sont jetées dans la mer. L’ouverture est présente dans le film « Le Parrain » « Manon des sources », etc…. Cet opéra contient bien des pages connues du grand public. Les amateurs d’opéras eux sont encore aujourd’hui à la recherche d’un enregistrement tout à fait satisfaisant. Croyez-moi il n’y en a pas encore un qui me satisfasse tant il y a toujours quelque chose qui résiste. Là un chef trop vulgaire, là trop indifférent, là un ténor trop héroïque, là pas assez poète. Là une Leonora bien chantante mais sans feu, là trop de voix, là trop de dureté dans l’aigüe, là trop de graves poitrinés et finalement avec une voix imparfaite, seule Callas fait de Leonora un vrai personnage. Presque toujours une Prezosilla insatisfaisante… Car la particularité de cet opéra est une dramaturgie entièrement musicale. En effet l’intrigue est absurde prise au premier degré. Et ce ne sont pas de vrais personnages engagés dans un conflit racinien ou amoureux. Ce sont des entités abstraites. Leonora la femme-enfant emprisonnée dans une position de fille et de sœur dont elle ne veut pas s’extraire, incapable de se donner à celui qu’elle prétend aimer. Alvaro, le Malheur personnifié et magnifié dans l’un des plus beaux airs de Verdi.  Carlo le monomaniaque de la vengeance, véritable thanatophore aveugle. Des abstractions qui chantent pourtant et incarnent des émotions fortes sans liens.

Le retour à l’opéra avec un tel ouvrage était donc gagné d’avance. Et la mise en scène (pourtant de Nicolas Joël) oubliée pour raisons covid, l’avouerons-nous, ne nous a pas manqué une seule fois. Cet opéra si grandiose se suffit à lui même pour faire avancer la théâtralité par la musique. Il faut dire que l’orchestre a été un partenaire de premier ordre. Superbes de timbre, d’énergie et d’engagement les musiciens de l’orchestre ont tous été merveilleux et les bois à la fête ont été particulièrement émouvants (l’air d’Alvaro !). La direction de Paolo Arrivabeni est très équilibrée. Dans un tempo plutôt allant le chef Italien fait avancer le drame sans temps morts. Les équilibres sont toujours parfaitement réalisés avec un chant éperdu toujours soutenu. Il sait offrir aux chanteurs la sécurité dont ils ont besoin tout en les entraînant sans temps morts. Les chanteurs idéalement placés en avant-scène sont face au chef et là où la voix s’entend le mieux. C’est donc un plateau parfaitement équilibré en termes de puissance qui va pouvoir nous faire vivre ce drame de l’absurde. Le héros incontestable de l’opéra est le ténor Amadi Lagha. Ce jeune homme a une voix d’airain homogène sur toute la tessiture. Les riches harmoniques du grave évoluant délicatement vers la lumière solaire d’aigus semblant faciles. La diction est souveraine, ce chanteur sait ce qu’il chante ! Voilà un Alvaro proche de l’idéal capable d’emportements sauvages et de noblesse d’âme. Il est un poète de la nuit dans un air d’anthologie à l’acte 3.  L’énergie qu’il met dans ses duos avec Carlo est incroyablement communicative. Grande et belle voix mais surtout interprète d’une rare intelligence dramatique. Nous le reverrons dans Don José l’an prochain au Capitole il y sera très attendu !

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Son amoureuse, Leonora, a la voix de Catherine Hunold. Verdi n’est pas le compositeur habituel de cette grande voix un peu dure dans l’aigu. Cette prise de rôle la montre encore prudente mais avec de beaux atouts. Ne doutons pas qu’avec le temps elle saura trouver des accents plus justes. La ligne verdienne lui convient bien et l’homogénéité des registres est un atout pour ce rôle très central. Plus d’aisance dans les aigus surtout piano enrichirait le personnage.

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Photo de David HERRERO

En Frère monomaniaque de la vengeance le baryton Gezim Myshketa fonce tête baissée dans la mort. Timbre sombre, chant mordant, il a bien des qualités du baryton Verdi. Dans les scènes avec Alvaro il tient face à l’incroyable voix d’Amadi Lagha, ce qui n’est pas peu dire.

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Photo : D.HERRERO

Seul à être un habitué des rôles, Roberto Scanduzzi, est celui qui se passe de partitions. Son aisance scénique avec peu de gestes lui confère chaque fois toute l’autorité attendue. Rajoutant raideur et inflexibilité au Marquis et ajoutant bonté et rondeur au Padre.   Un grand artiste qui à lui seul avec ce jeu si sobre, se fait théâtre. Et quelle belle voix !

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Photo : D.HERRERO

Les autres rôles plus anecdotiques ne déméritent pas avec une Prezosilla très intéressante, vivante et sans trop d’effets appuyés. Racham Brydce-Davis a de la gouaille mais aucune vulgarité, écueil dans lequel bien des grandes voix du passé sont tombées au disque.

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photo :D.HERRERO

Le Melitone de Sergio Vitale garde lui aussi une certaine hauteur tout en arrivant à faire comprendre l’humour attendu du personnage sans la vulgarité trop souvent surjouée. Roberto Covattaen en Trabuco, Cécile Gallois en Curra et Barnby Rea en lcade et Chirurgo sont à la hauteur. Avec des artistes de cette valeur comme partenaires principaux c’est mieux que bien !

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Photo : D.HERRERO

Le chœur étalé sagement sur la scène et partiellement masqué est  majestueux. En grand nombre il fait honneur aux magnifiques pages écrites par Verdi. Chœurs d’hommes, de femmes et mixtes, tous colorés et fort vivants, sont magnifiques. Grâce à l’excellent travail de cohésion vocale d’Alfonso Caiani, la magie du chœur verdien plein d’énergies et de magnifiques couleurs se développe tout le long du drame.

La version de concert de la Force du Destin proposée à Toulouse ne fait pas regretter la mise en scène. Même si c’est bien dommage que l’hommage à Nicolas Joël qui avait mis en scène l’ouvrage en 1999 lorsqu’il était le directeur de la maison n’ait pas été complet. Nous savons qu’il aurait approuvé une distribution si homogène lui qui savait aussi choisir si bien les chanteurs. Les Toulousains en tout petit nombre (un tiers de jauge, disciplinés et masqués) ont fait un triomphe à ce retour à la vie lyrique. Bravo aux chanteurs tout particulièrement qui se sont présentés au public en pleine possession de leurs moyens alors qu’ils n’ont pas pu chanter depuis des mois …. Et que les metteurs en scène redeviennent un peu plus modestes : c’est bien les voix et l’orchestre qui font le drame ! La liaison scène-fosse a été parfaite ! Verdi y a tout gagné !

Cette première de la Force du Destin a été un triomphe mérité ! Le public a exulté !

Avec Elektra mise en scène le mois prochain le bonheur sera complet et une émotion à couper le souffle est attendue avec un chef d’œuvre si noir.

Hubert Stoecklin


Théâtre du Capitole

Premier lever de rideau post confinement !

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE. CAPITOLE. Le 26/9/2020. W.A. MOZART. COSI FAN TUTTE . I. ALEXANDRE. Orch.Nat CAPITOLE. S. SCAPPUCCI.

Le Cosi de Toulouse nous rend à la vraie vie !

Comment avons-nous pu tolérer cette abomination ?  Rester sans opéra si longtemps et trembler de voir cette soirée annulée. Comment la peur a pu ainsi nous voler notre passion pour l’opéra ? Je me demande si nous n’allons pas, au train où vont les choses, parler d’une aire avant et après Covid en uniformisant le calendrier mondial….

Le personnel de la billetterie doit être félicité pour la patience et la gentillesse de leur accueil tant téléphonique que derrière les guichets. Les placeurs à l’entrée pour leur fermeté bienveillante et leur efficacité. Et quelle sagesse dans le public ! Tous masqué mais pas étouffés et sachant applaudir pour soutenir les chanteurs et la cheffe ! C’était un bonheur de retrouver l’opéra et déjà cela aurait été sensationnel. Mais en plus Christophe Gristi a su choisir un opéra idéal pour fêter des retrouvailles. Le Cosi de Mozart et Da Ponte contient des airs de toute beauté et des ensembles virtuoses. L’émotion amoureuse y passe par tous ses affres en trois heures de musique sublime ! Et l’orchestre n’est pas en reste qui parfois en suggère encore plus que les chanteurs.

Notre bonheur fut total. Car l’œil au grand jamais n’a été meurtri. La beauté des lumières a tout particulièrement magnifié les costumes et le décor. La mise en scène d’Ivan Alexandre est l’élégance même, le bon gout à chaque instant.

Chaque didascalie est respectée, l’esprit de Mozart diffuse avec juste ce qu’il faut de farce. L’émotion amoureuse se déploie avec des chanteurs-acteurs tous magnifiques. Jeunes, beaux, voix équilibrées et jeux de vif-argent nos six solistes sont merveilleux. Le jeu est très travaillé et se sert des particularités physiques de chacun avec intelligence et efficacité. 

L’immense Jean-Fernand Setti du haut de son double-mètre devient de simple entremetteur un inquiétant metteur en scène, démiurge qui semble tout maitriser. La voix de stentor rajoute de la puissance au personnage. Je me plais à l’imaginer en Scarpia tant son physique et son jeu peuvent être inquiétants.

Le Guglielmo d’Alexandre Duhamel a lui aussi une stature imposante, la rondeur du timbre assortie au torse puissant. Voix agréable et bien timbrée il joue avec justesse. En Ferrando, le délicat Mathias Vidal apporte un timbre ensoleillé et conduit son chant avec beaucoup d’émotions. Sa pamoison au moment de la trahison de Dorabella est savoureuse quand il est porté sur les épaules comme un fétu de paille. L’émotion du « Tradito, scernito… »   et surtout son engagement dans le grand duo avec Fiordilgi sont  magnifiques.

Les dames ne sont pas en reste avec des timbres exquis, une élégance de Watteau et une jeunesse réjouissante. Les deux sœurs sont taquines et attachantes. Les timbres se marient à ravir. Duos, trios sont de purs instants de magie. Julie Bouliane a un timbre rond et chaud qui fait de sa Dorabella un tempérament amoureux passionné.  J’y retrouve la rondeur et la richesse harmonique d’une Christa Ludvig. La Despina de Sandrine Buendia est tout simplement parfaite. Voix intéressante et particulièrement bien conduite mais également actrice impayable. Quel personnage incroyable ainsi rendu à une sorte de naturel roué, mêlant ingénuité et malice dans un sourire irrésistible… Ainsi toutes les incohérences du livret s’avalent sans hésiter.

La Fiordiligi d’Anne-Catherine Gillet restera un souvenir lumineux. La franchise de l’émission, payant comptant, le jeu énergique à fleur de peau, font de sa Fiordiligi une vraie amoureuse crucifiée entre devoir et volonté d’un côté et sentiments tendres et corps sensible de l’autre. Le développement de sa voix fruitée de soprano lui permet d’exprimer un tempérament scénique plus vaste. Le rôle de Fiordiligi est un jalon important dans sa carrière. Sa fragile Sophie de Werther a bien grandi sans rien perdre de son charme exquis. Toute la fin de l’opéra lui offre des moments de chant et de théâtre bouleversants, absolument inoubliables.

Le chœur disposé en loges d’avant-scène est bien chantant et d’une présence parfaitement équilibrée.

Dans la fosse l’Orchestre du Capitole est fantastique avec ses bois amoureux des voix, ses cordes de vif-argent et un continuo de grande intelligence. La direction de Speranza Scappucci est théâtrale et avance avec énergie. Elle soigne particulièrement certains contre-chants leur donnant un bel éclairage mélancolique. Car l’orchestre de Mozart est dans Cosi un véritable personnage qui colore le comique de profondeur et allège le drame afin d’éviter le pathos. Ivan Alexandre nous propose un spectacle pirandellien.

La double mise en abyme du spectacle fonctionne parfaitement, il y a le théâtre dans le théâtre sur trois niveaux, c’est assez classique et très efficace ; il y a également le jeu qui est mis en abyme.  Le jeu scénique et le jeu de carte ainsi que le jeu social, tout s’imbrique, s’invite dans le décor et donne une dimension symbolique à tout le spectacle. Le tréteau concentre l’action et l’omniprésence de Don Alfonso sert l’action. Après le temps des costumes, maquillages outrés, masques et perruques du plus haut comique, les hommes se rendent reconnaissables et cela jette encore d’avantage de trouble dans l’action.

Nous avions besoin d’un spectacle comme celui-ci : Beau, intelligent, émouvant, musical.

Le Capitole nous rend à la vie. Comme il nous a manqué cet auguste théâtre ! Il est de retour en sa plénitude.  Il y a résonné les plus beaux chants et le théâtre y a régné sans partage. Grazie mille a tutti ! Bravissimo !

Hubert Stoecklin

Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole le 26 Septembre 2020.Wofgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Cosi Fan Tutte, opéra bouffe en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte ; Mise en scène : Ivan Alexandre ; décors et costumes, Antoine Fontaine ; lumières, Tobias Hagström-Stahl ;  Avec : Anne-Catherine Gillet, Fiordiligi ; Julie Bouliane, Dorebella ; Sandrine Buendia, Despina ; Mathias Vidal, Ferrando ; Alexandre Duhamel, Guglielmo ; Jean-Fernand Setti, Don Alfonso ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole – Alfonso Caiani, direction ;  Speranza Scappucci, direction musicale.

Las la série de représentations a été laminée par le Virus. Pas d’ orchestre complet, puis seulement le continuo, plus que du piano puis stop. Tout le monde en’a pas eu la chance de cette réouverture en grand !

Entre la vie et la mort : l’Opéra ! Hommage à Mady Mesplé.

COMPTE-RENDU, Concert. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE. Le 25/06/2020. F. POULENC. G. FAURE. R. STRAUSS. R. WAGNER. A. CONSTANT. C. HUNOLD. C. LABORIE. S. KOCH. S. DEGOUT. CHOEUR DU CAPITOLE. A. CAIANI.

 

Entre la vie et la mort tout pour la MUSIQUE

Nous étions nombreux à ne plus croire à la réouverture du Capitole avant l’automne en pleurnichant tout bas. La peur de la mort a mis à bas trois productions attendues et de nombreux concerts et ballets. Une saison amputée de son tiers c’est tout à fait incroyable. Exit Platée, Jenufa et Mephistofele ! Un élan brisé ! Des carrières entre parenthèses, des artistes remerciés, des vies vouées à leur art mises au placard ! Et tout ceci par la peur de la mort tapie dans l’air que nous respirons et qui nous a tenus confinés plus de deux mois.

C’est la mort qui finalement a ouvert le Théâtre et de la manière la plus naturelle qui soit. Remercions Chrispohe Ghristi d’être si humain et si habile à déjouer le sort. Une figure Toulousaine tutélaire est morte et rien de plus évident que de lui rendre hommage. S’agissant de Mady Mesplé, quoi de plus naturel que le Théâtre du Capitole lui rende hommage. Mady Mesplé y est née plusieurs fois. Enfant comme spectatrice enthousiaste. Comme pianiste répétitrice ensuite, comme star lyrique suraigüe lors d’une carrière internationale qui la vit rester fidèle à la ville rose qu’elle chérissait et enfin comme dame retirée qui venait aussi souvent que possible comme spectatrice passionnée tant à l’opéra qu’au concert.

Dans des conditions « respectant les normes sanitaires », grâce à la patience des placeurs et des ouvreuses, très lentement le Capitole a bruit de conversations plus sages qu’à l’accoutumée.  Chacun était assez ému pour déguster l’étrangeté de cette soirée. Tous masqués, avec une place vide à son coté, le public avait conscience d’être très privilégié. Les chanteurs ne pouvaient pas non plus cacher leur émotion et leur plaisir d’être là. Et la superbe acoustique du Théâtre de vibrer merveilleusement ! Concert hommage à la voix, à l’émotion, au Théâtre et à la MUSIQUE !

Très bien construit ce programme nous a fait progresser vers le sublime pas à pas. Anaïs Constans, jeune soprano Toulousaine a gardé quelque chose de la timidité de la jeunesse qui crée une émotion délicate. La voix charnue et plus large se déploie avec facilité et la diction est précise.

Stéphane Degout de sa voix chaude et avec générosité a interprété avec émotion et tact les quatre mélodies de cet Horizon Chimérique de Fauré. Noblesse et humour tour à tour présents dans une splendeur de son de chaque instant. Très ému il n’a pas  voulu cacher son large sourire preuve de son bonheur à chanter pour un vrai public.

Le théâtre a fait son entrée avec les larges extraits de la fin du prologue d’Ariadne auf Naxos de Strauss. Avec quelques mouvements, des regards et un déplacement de fauteuil, Sophie Koch a créé un espace scénique crédible, Céline Laborie sachant avec finesse répondre à ses propositions de jeu. Et que dire des voix splendides, larges et ductiles. Si le confinement a eu du bon pour Sophie Koch, c’est de permettre à sa voix si riche de se reposer après la magnifique Kundry in loco en février. Un métal poli aux reflets sombres pour Sophie Koch et de l’argent scintillant pour Céline Laborie. Sophie Koch qui campe Le Compositeur sur les plus grandes scènes prend sous son aile la toute jeune Céline Laborie qui a tout de Zerbinetta. Et le piano de Miles Clery-Fox est tout à fait orchestral et fait de vif argent.  Un vrai bonheur d’opéra recréé pour nous.

Il était bienvenu de repartir vers plus de calme avec la délicate interprétation du Nocturne n°4 « Bal Fantôme » de Poulenc. Christophe Larrieu a trouvé le ton juste entre mélancolie et rêve.

C’est la voix puissante de Catherine Hunold qui nous a ensuite entrainés vers la transfiguration d’Isolde. Certes le piano est un peu mince par rapport à un grand orchestre mais Robert Gonella grand connaisseur des voix et du répertoire a su faire resplendir l’orchestre de Wagner. Catherine Hunold d’une voix d’airain a su nous entraîner loin.

Ainsi c’est le délicat Requiem de Fauré qui a été le moment le plus inoubliable. Le chœur invisible, distanciation oblige, était…. au Paradis ! C’est ainsi que se nomme le dernier cercle avant le plafond. Les voix y montent avec facilité et c’est souvent là que l’acoustique est la plus belle. Ce soir les voix sont descendues du ciel et le résultat a été magique. Tant de beauté et d’émotion tombant du ciel est un cadeau. La magie aurait été totale si la scène où se tenaient les solistes et la pianiste avait également été plongée dans la pénombre…. En l’état la surprise de cette acoustique autrement parfaite, les nuances subtilement perçues et la puissance par moment, tout a été très émouvant. Les solistes : Anaïs Constant et Stéphane Degout ont été au même niveau de beauté et d’émotion dans de très belles nuances. Le Requiem de Fauré a été une fin de concert-hommage de la plus belle musicalité. Car c’est cela qui rassemble autours de Mady Mesplé : elle était musicienne en tout, et sa grande culture musicale lui faisait aimer toutes les partitions. Et quoi de plus gracieux pour l’évoquer au Paradis que le « In Paradisium » qui clôt si magistralement ce Requiem si subtil.

Merci aux forces capitolines pour ce concert avant le long été de fermeture. Vivement la rentrée. Jamais je ne l’aurai attendue dans une telle urgence !

Hubert Stoecklin

Compte rendu concert. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 25 juin 2020. Hommage à MADY MESPLE (1931-2020) ; Gabriel Fauré (1877-1962) : L’horizon Chimérique ; Requiem ; Francis Poulenc (1899-1963) : Montparnasse ; Métamorphoses ; Nocturne n°4 en ut mineur « Bal fantôme » ; Richard Strauss (1864-1949) : Ariade auf Naxos, prologue : duo Compositeur/Zerbinetta, air du Compositeur.  Richard Wagner (1813-1883) : Mort d’Isolde ; Anaïs Constans, Catherine Hunold, Céline Laborie, sopranos ; Sophie Koch, mezzo-soprano ; Stéphane Degout, baryton ; Nino Pavlenichvili, Robert Gonella, Christophe Larrieu, Miles Clery-Fox, piano ; Chœur du Capitole ; Alfonso Caiani, direction.

Kevin Amiel un ténor à retenir !

COMPTE-RENDU, critique opéra. TOULOUSE, le 4 mars 2020. DONIZETTI : L’Elixir d’amore. Amiel, Quatrini… Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons de cette admirable production de 2001 vue et revue avec un immense plaisir. Tout y est suprême élégance, respectant didascalies et toujours musicalement juste. La mise en abyme de la scène comme un immense appareil photo est captivante, la beauté des camaïeux de couleurs, des décors et des costumes, est subtile.

Le Sacre de Kévin Amiel

Kévin Amiel (Nemorino)
Kévin Amiel (Nemorino)

L’humour est de bon ton et la scène vit. Nous avons choisi de venir entendre la seconde distribution car elle comporte un ténor marquant découvert il y a peu : Kévin Amiel, âgé de 31 ans. Il joue aussi bien qu’il chante et nous offre un Nemorino tout de fragilité, de grâce simple et d’humour délicat. La voix est belle, sonore et conduite d’une manière exquise. L’émotion est vraie et l’émotion partagée avec la salle met la larme à l’œil de plus d’un (e) ….
Et ce, pas seulement parce qu’il est toulousain ; ce nom est à retenir il va gravir les plus hautes marches des maisons d’opéras dans le monde. Dans la Traviata, il avait été un Alfredo admirable ; un rôle comme Nemorino met en valeur ses qualités d’acteur, son jeu comique discret et de bon goût.

Kévin Amiel (Nemorino), Gabrielle Philiponet (Adina)
Kévin Amiel (Nemorino), Gabrielle Philiponet (Adina)

Le reste de la distribution ne démérite pas. Son Adina, Gabrielle Philiponet, est bien chantante, aimable garce qui gagne en profondeur quand elle accepte le piège de l’amour. Le Belcore de Ilya Silchukov est bien campé avec toute la suffisance nécessaire et une voix sonore. La faconde dont fait preuve Julien Veronèse en Dulcamara est hilarante.

Kévin Amiel (Nemorino), Julien Véronèse (Dulcamara)
Kévin Amiel (Nemorino), Julien Véronèse (Dulcamara)

Ce grand bonhomme suffisant, hâbleur et prétentieux qui va se transformer en un clown Auguste devient presque attachant. Le personnage est bien présent à la fois menteur et organisateur du bonheur d’autrui. La large voix, qui avait fait merveille dans Titurel il y a peu (Parsifal),  se plie aux exigences de la vocalité délicate de Donizetti avec art. Un vrai potentiel comique est là pour bien des rôle italiens.

Les choeurs comme toujours sont très bien préparés par Alfonso Caïani, avec une vraie aisance scénique, qui ont été parfaits.  L’Orchestre du Capitole est merveilleux, avec des solos de toute beauté. La direction de Sesto Quatrini est efficace ; elle équilibre parfaitement le comique et le presque drame.

Kévin Amiel (Nemorino), Ilya Silchukov (Belcore)
Kévin Amiel (Nemorino), Ilya Silchukov (Belcore)

Cela avance avec naturel, les équilibres sont favorables aux chanteurs, tout est agréablement mis en valeur. Car cette partition contient de vrais grands moments d’opéra tout en ménageant un comique délicat. Cette belle production méritait une reprise et le succès a été au rendez-vous. Kévin Amiel qui irradie en Nemorino va conquérir la planète de l’Opéra : préparez-vous à le suivre. À peine un mois après  l’ HENAURME   PARSIFAL  dans cette salle, ce petit bijou a lui avec éclat. Excellente idée de Christophe Ghristi: du pur bonheur.

Illustration : © P Nin

Posté le par Hubert Stoecklin


Théâtre du Capitole

Elixir Amour

Sensationnel PARSIFAL à TOULOUSE

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 2 fév 2020. WAGNER : Parsifal. BORY / BEERMANN, KOCH, SCHUKOFF.

Peut-on rêver plus extraordinaire production de l’oeuvre si «hors normes» de Richard Wagner ? Les comparaisons avec Strasbourg qui monte sa production au même moment seront certainement intéressantes tant tout semble les différencier. Je dois pourtant reconnaitre que je resterai à Toulouse afin d’assister à plusieurs représentations de ce Parsifal si réussi. Il sera difficile de développer tout ce que j’ai à dire sur ce spectacle total tant il est riche. Je serai moins long sur les voix car ailleurs elles ont été bien analysées. C’est tout simplement le quatuor vocal le plus abouti actuel qui puisse se s’écouter aujourd’hui, pour une version parfaitement cohérente. Voix sublimes de jeunesse, de puissance, de timbres rares et de phrasés somptueux. Chanteurs-acteurs beaux et convaincants. La prise de rôle de Sophie Koch en Kundry est magistrale, de voix, de timbre, de jeux et de style. Tout y est : de la quasi animalité à la plus élégante séduction , en particulier la souffrance contenue dans ce rôle complexe. Sophie Koch est une Kundry qui va conquérir le monde tant elle est déjà accomplie.

PARSIFAL EN MAJESTÉ

La réussite est totale d’autant que son Parsifal, Nikolai Schukoff, est un des plus grands spécialistes actuels du rôle. Je l’avais vu et entendu à Lyon en 2011 déjà magnifique dans ce rôle et nous le connaissons bien à Toulouse dans divers opéras. A présent pour lui, il n’est plus seulement question de rôle, de voix parfaite ou de chant souverain : Nikolai Schukoff EST Parsifal. Il assume la jeunesse du rôle et met en lumière son charisme naissant sous nos yeux dans un jeu fin et émouvant. Et quelle parfaite voix de helden-ténor est la sienne ! Idéalement assortie à celle de Sophie Koch ; ainsi leur duo est vocalement parfaitement équilibré. L’Amfortas de Matthias Goerne est mondialement célèbre ; dans l’extraordinaire mise en scène d’Aurélien Bory, il atteint des sommets de spiritualité toujours avec une voix somptueuse. Peter Rose en Gurnemanz est puits d’humanité dans une voix de toute beauté. Il est peut être possible actuellement de trouver d’autres chanteurs de ce rang pour ces quatre rôles, mais pas un quatuor plus assorti. Tous les autres artiste sont d’un extraordinaire niveau.
L’ élégant Klingsor de Pierre-Yves Pruvot donne beaucoup d’ampleur au rôle. Le Titurel de Julien Véronèse est très impressionnant. Les filles fleurs sont délicieuses et les écuyers bien présents. Les chœurs associés entre Toulouse et Montpellier font honneur à la partition si extraordinaire de Wagner. La spacialisation des chœurs si fondamentale est totalement réussie. Un beau travail d’harmonisation des voix a été fait ; cela sonne puissant avec de belles couleurs et de formidables nuances. Nous savons combien l’Orchestre du Capitole excelle dans la vaste répertoire symphonique comme dans la fosse de l’opéra ; ce soir il est symphonique dans la fosse et absolument incroyable de beauté. Même au disque, il est exceptionnel d’entendre de si belles choses. Il faut reconnaitre que l’alchimie avec le chef Franck Beermann est totale. La perfection instrumentale est mise au service du drame. Franck Beermann tend des arcs musicaux envoûtants. Le tempo semble naturel tout du long, ni rapide ni lent, juste exact. Cela devient le personnage central. Un torrent de beauté et d’intelligence dramatique.

Il est certain que la diffusion sur France Musique le 29 février 2020 permettra d’approfondir la somptuosité musicale et vocale de ce Parsifal. Mais ce qui est le plus extraordinaire dans cette production est la mise en scène d’ Aurélien Bory qui magnifie la dimension symbolique et dramatique du Festival Scénique Sacré wagnérien. Car ce n’est pas un opéra comme les autres, le sens philosophique est partout présent et les personnages sont presque des problématiques humaines incarnées. Aurélien Bory travaille sur l’espace depuis longtemps ; il comprend la dimension fondamentale dans cet ouvrage comme personne. Et il lie cela au temps d’une manière si magistrale que les cinq heures de l’ouvrage passent bien trop vite. L’intelligence du spectateur est réveillée autant que son sens esthétique. La beauté offerte aux yeux, la richesse des symboles et la somptuosié de ce que les oreilles recueillent s’associent dans un tout métaphysique.

Je devine que le travail entre le chef et le metteur en scène a été fait en profondeur. Dès le prélude, les écritures lumineuses sont en phase avec la musique comme un ballet parfaitement réglé.Tout sera ensuite dans ce respect mutuel permettant à la mise en scène d’épouser la partition et inversement. Quand tant de metteurs en scène rajoutent en lui nuisant, des « idées » à la partition, Aurélien Bory épouse les idées wagnériennes en utilisant son propre vocabulaire. La rigueur des déplacements des éléments de décors est fantastique. La subtilité des ombres tient du génie. La mise en scène développe à l’infini la notion de dichotomie qui construit le monde et l’homme. Les couples d’opposés fonctionnent à merveille, blanc/noir, ombre/lumière, nature/culture, orient/occident, horizontal/vertical, lignes droites/lignes courbes, etc…. Cette mise en scène parfaitement huilée faisant un tout avec les décors et les lumières, ainsi que de très beaux costumes, offre des images de grande beauté et riches de sens qui resteront dans les mémoires.

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Ainsi les branches de feuillages enveloppant les hommes, les protégeant ou les gênant représente notre ambivalence par rapport à la nature. L’image d’ Amfortas infirme qui doit mettre toute l’intensité dans sa plainte rend son chant déchirant. Le quadrillage qui de ligne va se projeter en courbes représente à la fois l’enfermement et la libération. Le triangle noir qui interdit à Kundry et Pasifal de se toucher renforce l’érotisme de leur chant puis lorsque la lumière portée par Kundry envoûte Parsifal la révélation maturante résulte d’un choc terrible entre les corps par le baiser. Toute la retenue du duo, toute la séduction centrée dans le chant, toute cette tension explosent avec une puissance magistrale lors de la pénétration dans le triangle interdit. Au dernier acte le retour à Montsalvat  de Parsifal en costume japonais et la lenteur de ses gestes tient de la magie pure. Les lumières en forme de sabre sont tellement intelligentes et belles qu’elle renouvellent l’effet des tubes néons ! Et le Graal dévoilé sous forme de volutes de lumières et d’ombres qui s’épousent est tellement musical en fin de premier acte !
Aurélien Bory a fait un travail d’orfèvre sur scène comme Franck Beermann dans la fosse. Tous les artistes sont engagés totalement dans ce spectacle parfait. Le résultat est tout saisissant et cette production aussi somptueuse musicalement que scéniquement deviendra inoubliable, tant le respect et l’intelligence s’y rencontrent.

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Compte-rendu opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 2 février 2020. Richard Wagner (1813-1883) : Parsifal ; Festival scénique sacré  en trois actes ; Livret  de Richard Wagner ; Création  le 26 juillet 1882 au Festival de Bayreuth; Nouvelle production ;   Aurélien Bory :  mise en scène ; Aurélien Bory, Pierre Dequivre : scénographie ; Manuela Agnesini :  costumes ; Arno Veyrat  : lumières ; Nikolai Schukoff  : Parsifal ; Sophie Koch :  Kundry ; Peter Rose  : Gurnemanz ; Matthias Goerne :  Amfortas ; Pierre-Yves Pruvot  : Klingsor ; Julien Véronèse :  Titurel ; Andreea Soare  : Première Fille-Fleur; Marion Tassou  : Deuxième Fille-Fleur / Premier Écuyer; Adèle Charvet  : Troisième Fille-Fleur; Elena Poesina  : Quatrième Fille-Fleur; Céline Laborie  : Cinquième Fille-Fleur ; Juliette Mars : Sixième Fille-Fleur / Deuxième Écuyer / Voix d’en Haut ; Kristofer Lundin  : Premier Chevalier du Graal; Yuri Kissin  : Deuxième Chevalier du Graal; Enguerrand de Hys  : Troisième Écuyer; François Almuzara  : Quatrième Écuyer;  Choeur et Maîtrise du Capitole ; Choeur de l’Opéra national de Montpellier-Occitanie ; Alfonso Caiani : chef de choeur ; Orchestre national du Capitole ; Direction musicale : Franck Beermann. Photos :  © Cosimo Mirco Magliocca

Retransmission sur France Musique le 29 fév 2020, 19h.

ORFEO Idéal comme à la création !

COMPTE-RENDU. OPERA. TOULOUSE. Le 5 déc 2019 C. MONTEVERDI : ORFEO. E. GONZALES TORRO. I . GEMELLI. T. DUNFORD. Pour seulement deux soirées, Emiliano Gonzales Torro et ses amis ont véritablement enchanté le Théâtre du Capitole. En une incarnation totale, le ténor a su faire revivre la magie de cet opéra des origines. Oui il est commode de dire que l’opéra est né en 1607 avec cet Orfeo même si l’Eurydice de Caccini en un joli hors d’œuvre prépare en 1600 la naissance de ce genre si prolixe. Nous avons donc pu déguster une représentation absolument idéale de beauté et d’émotion mêlées du premier chef d’œuvre lyrique. Un voyage dans le temps, l’espace et la profondeur des sentiments humains. La scénographie toute de grâce et d’élégance permet aux émotions musicales de se développer en une continuité bouleversante. L’orchestre, socle de vie comme d’intelligence, est disposé de part et d’autre de la scène dans les angles comme cela était le cas lors de la création. L’effet visuel est admirable mais surtout les musiciens se regardent à travers la scène et peuvent en même temps suivre les chanteurs et leurs collègues musiciens en un seul coup d’œil. L’effet est sidérant d’évidence et de naturel ; certes on devine bien que le luthiste Thomas Dunford est un moteur puissant mais en fait c’est tout le continuo qui dans un tactus parfait fait avancer le drame. Ce tactus souple et déterminé donne à l’enchaînement de tous les éléments : madrigaux, airs, récitatifs, parlar-cantando, leur naturelle force de vie, s’appuyant sur une rhétorique toujours renouvelée.

A Toulouse, un théâtre du naturel… où règne
l’idéal ORFEO d’Emiliano Gonzales Torro

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Voilà donc un « orchestre » organique, réactif et d’une superbe beauté de pâte sonore qui régale l’auditeur comme rarement. Musicalement cela réalise une sorte de synthèse des versions connues au disque allant vers toutes les subtilités relevées par le regretté Philippe Beaussant dans son superbe essai : « Le chant d’Orphée selon Monteverdi ». Le naturel qui se dégage de ce spectacle est bien l’idéal qui a présidé à la naissance de l’Opéra, art total. Les chanteurs évoluent avec le même naturel, la même élégance devant nous. Ils portent des costumes dans lesquelles ils se meuvent avec facilité. Le blanc, le noir et l’or sont les couleurs principales et la superbe robe verte de l’espérance qui éclaire un moment les ténèbres des enfers est une idée géniale. La mise en espace est plus aboutie que bien des prétendues mises en scène d’opéra. Les personnages vivent, s’expriment et nous paraissent proches. Les éclairages sont à la fois sobres et suggèrent le fabuleux voyage d’Orphée, entre lumière et ombre.

Onze chanteurs se partagent les rôles, les madrigaux et les chœurs. Là aussi le choix est idéal, tous artistes aussi habiles acteurs que chanteurs épanouis. Les voix sont toutes fraîches et belles, sonores et bien timbrées ; les voix de sopranos sont chaudes et lumineuses sans acidité, les basses abyssales et terribles, les ténors élégants et sensibles. Impossible de détailler : chacun et chacune mérite une tresse de lauriers. Emiliano Gonzales Torro a la voix d’Orphée, l’aisance scénique et le port noble du demi-dieu. Dans ce dispositif si intelligent le drame se déploie et les émotions sont portées à leur sommet. Ne serait-ce que la douloureuse sympathie du premier berger qui arrache des larmes après la terrible annonce de la mort d’Eurydice.


Premier nœud du drame, la messagère très impliquée d’Anthea Pichanick, la sidération d’Emiliano Gonzales Torro en Orfeo et ce désespoir amical de Zachary Wilder. Deuxième nœud, la prière si expressive de Mathilde Etienne en Proserpine après la scène si impressionnante avec le Caronte de Jérôme Varnier. Et pour finir ce terrible renoncement d’Orphée à tout bonheur humain avant son départ vers le séjour de félicité des dieux. Tout s’enchaîne avec une évidence précieuse. La beauté est partout, les yeux, les oreilles et l’âme elle-même s’en trouvent transportés hors du monde. Un véritable moment féérique.

Certainement la version la plus complète d’Orfeo à ce jour réalisée.  La tournée de cette production le confirmera par son succès et l’enregistrement annoncé en 2020 sera certainement une référence incontournable. Bravo à une équipe si soudée et au génie d’Emiliano Gonzalez Toro qui semble être une incarnation orphique inégalée.

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Compte-rendu Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 5 XII 2019 ; Claudio Monteverdi (1567-1643) : L’ Orfeo, Opéra (Fable en musique) en cinq actes avec prologue ;  Livret d’Alessandro Striggio ; Création le 24 février 1607 au Palais ducal de Mantoue ; Opéra mis en espace ; Mathilde Étienne :  mise en espace ;  Sébastien Blondin et Karine Godier , costumes ; Boris Bourdet, mise en lumières ; Avec : Emiliano Gonzalez Toro , Orfeo ; Emöke Baráth, Euridice et La Musica ; Jérôme Varnier, Caronte ; Anthea Pichanick,  Messaggiera ; Alix Le Saux,  Speranza ; Fulvio Bettini , Apollo ; Zachary Wilder, Pastore ; Baltazar Zuniga, Pastore ; Mathilde Étienne, Proserpina ; Nicolas Brooymans, Plutone ; Maud Gnidzaz, Ninfa ; Ensemble I Gemelli ; Thomas Dunford luth et direction ; Violaine Cochard assistante direction musicale ; Emiliano Gonzalez Toro : direction musicale. Photo : © P NIN

Le Bolchoï et sa Dame de Pique à Toulouse

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 15 Mars 2019. P.I. TCHAIKOVSKI. La dame de Pique (version de concert). Dolgov. Golovatenko. Manistina. Nechaeva. Kalueva. Orchestre et Choeur du Théâtre du Bolchoï. T. SOKHIEV, Direction.

Une Dame de Pique Historique par le Bolchoï à Toulouse !


Et si la version de concert dans ces conditions exceptionnelles étaient la perfection pour les opéras ? C’est un peu ce qui me parait ce soir en écoutant et en vivant cette Dame de Pique dont la richesse symphonique est desservie dans une fosse.

Tugan Sokhiev avait dirigé la Dame de Pique au Capitole en février 2008, avec un immense succès personnel pour sa parfaite compréhension de toutes les facettes de cet opéra complexe. la mise en scène fait semblé plus discutable à certains. Ce soir avec ses forces du Bolchoï il va encore plus loin et nous entraine encore plus avant dans la compréhension de cet opéra magnifique. L’orchestre du Bolchoï est incroyablement coloré, puissant et compact.

Les solistes n’ont peut être pas tous la délicatesse de ceux du Capitole, mais quelle puissance expressive est la leur ! Plus puissant et parfois plus sauvages, les musiciens moscovites sont pris par le feu absolu qui émane de la direction de Tugan Sokhiev. Le chœur qui nous avait enchanté la veille est ce soir encore plus nombreux ( presque le double) et sans partitions. Il s’amuse et il est facile de deviner que sur scènes ils ont mainte fois joué ces personnages du choeur. Car dès la première scène les groupes sont multiples, et les dames chantent le chœur d’enfants avec des voix plus blanches et une légèreté étonnante quand ont connait leur puissance. En ce qui concerne les chœurs deux moments opposés montrent sa qualité et sa ductilité en même temps que le génie dans la direction de Tugan Sokhiev. Le final du premier tableau de l’acte 2 avec l’arrivée de la tsarine et si imposant et noble que la présence de la Grande Catherine semble vraie. Tant d’ampleur, de puissance et de largeur s’oppose en tout au dernier choeur d’hommes de l’opéra dans la compassion pour Hermann mourant. Cette émotion de sons piano si riches harmoniquement, si timbrés et à la limite de la fragilité des voix fait un effet émotionnel puissant en négatif de la puissance sonore précédente. Entre ces deux niveaux extrêmes toute les palettes musicales et émotionnelles contenues dans la partition enveloppent le public, le fait évoluer et changer. La direction inspirée de Tugan Sokhiev, qui dirige en chantant tout par cœur, se donne totalement à la géniale musique de Tchaikovski, la servant avec passion.

La distribution est sans faux pas, excellente pour des raison différentes. La Liza d’Anna Nechaeva est fleuve vocal. Puissance, homogénéité de timbre, souffle large et timbre émouvant. Son médium charnu et son grave sonore sont parfaits et les aigus lumineux. En Pauline Elena Novak offre une générosité vocale et musicale qui donne envie de l’entendre dans biens d’autres rôles. Le Prince Yeletski d’Igor Golovatenko a toute la noblesse et l’émotion dans sa voix qui rendent ces interventions inoubliables, du lyrisme de son air à la puissance de la scène finale. Nikolay Kazanskiy en Tomski a une voix agréable et un chant plein d’empathie. La Comtesse d’Anna Nechaeva dans un timbre d’une belle plénitude et une noblesse naturelle chante à la perfection une partie complexe que souvent des divas sur le retour ne phrasent pas aussi délicatement. C’est un vrai régal et son extraordinaire tempérament dramatique donne toute la puissance à son personnage qui redevient central. En Hermann le ténor Oleg Delgov renoue avec les attentes de Tchaikovski qui voulait pour son héros une voix lyrique plus que dramatique. En effet la fausse tradition de donner ce rôle à une énorme voix ne tient pas compte de l’italianité que Tchaikovski attendait de son ténor ni et c’est plus gênant de la fragilité mentale extrême du personnage. L’intelligence d’Oleg Delgov force l’admiration tant il fait comprendre la complexité de son personnage. Il a semblé plus dépendant de la partition quand tous ses collègues savaient leur rôle par coeur, mais son Hermann restera dans les mémoires. Le final en particulier a été bouleversant. Il faut préciser que Tugan Sokhiev a terminé épuisé ayant donné au final une dimension métaphysique bouleversante rendant lumineux le rapport au destin et à l’inévitable de la mort pour chacun. Je n’ai jamais entendu ni en disque ni sur scène un dernier tableau si élevé en terme de philosophie en musique et de spiritualité. L’émotion qui a gagné la salle a été si intense que la dernier geste du chef a maintenu un très long silence recueilli avant que les applaudissements et le cris enthousiastes ne remplissent la Halle-Aux-Grains. Enorme succès que nous devons aux Grands Interprètes partenaires de cette remarquable première Musicale Franco-Russe pour ce concert idéal. Tugan Sokhiev comprend et vit cette partition comme personne. Les forces moscovites survoltées, une distribution entièrement russe, un public subjugué, tout a concouru à faire de cette soirée un voyage inoubliable en terre de l’âme russe, du rapport au destin et de ses effets tragiques.


Hubert Stoecklin


Compte rendu Opéra. Toulouse, Halle-aux-Grains le 14 mars 2019. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : La Dame de Pique, Opéra en trois actes et sept tableaux, version de concert. Avec : Oleg Dolgov, Hermann ; Nikolay Kazanskiy, Tomski ; Igor Golovatenko, Prince Yeletski ; Ilya Selivanov, Tchekalinski ; Denis Makarov, Sourine ; Ivan Maximeyko, Tchaplitski / Le maître des cérémonies ; Aleksander Borodin, Narumov ; Elena Manistina, La Comtesse ; Anna Nechaeva, Liza ; Agunda Kulaeva, Pauline ; Elena Novak, La gouvernante ; Guzel Sharipova, Prilepa / Macha ; Orchestre et Choeur du Théâtre du Bolchoï de Russie , chef de choeur Valery Borisov ; Tugan Sokhiev, direction .

Ariane à Naxos somptueuse

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 1er Mars 2019. R.STRAUSS: Ariane à Naxos ( nouvelle production). Fau, Belugou, Fabing, Hunhold, Savage, Morel, Sutphen. Orch National du Capitole. E.ROGISTER, Direction.


Production géniale de L’ Ariane à Naxos de Strauss/Hofmansthal à Toulouse.

Donner l’opéra le plus élégant de Richard Strauss et Hugo von Haufmannstahl, le plus exigeant au niveau théâtral avec des voix hors normes, toutes surexposées, est une véritable gageure que Christophe Ghristi, nouveau directeur de l’auguste maison toulousaine, relève avec brio. Il a trouvé en Michel Fau l’homme de théâtre respectueux de la musique, capable de donner vie à Ariane à Naxos en un équilibre parfait entre théâtre et musique, entre le prologue et l’opéra lui-même.

J’ai toujours jusqu’à présent trouvé que la partie musicale dépassait le théâtre et que des deux parties l’une dominait l’autre. Au disque la musique sublime de bout en bout de l’opéra s’ écoute en boucle et sans limites, à la recherche de timbres rares et de vocalités exactes. A la scène souvent le prologue est trop ceci ou pas assez cela et en fait ne convainc pas et trop souvent et comme l’opéra peut s’enliser. Pourtant je parle de productions au Festival d’ Aix ( Avec l’Ariane de Jessye Normann) ou Paris (Avec la Zerbinetta de Natalie Dessay)… Je dois dire que ce soir le travail extraordinairement intelligent et délicat de Michel Fau mériterait une analyse de chaque minute.

L’humour est d’une subtilité rare et sur plusieurs plans. La beauté des costumes ( David Belugou) et des maquillages ( Pascale Fau) ajoutent une élégance rare à chaque personnage quelque soit son physique. C’est également David Belugou qui a réalisé deux décors intelligents et qui éclairés avec subtilité par Joël Fabing semblent bien plus complexes et profonds qu’ils ne sont. Il est rarissime de trouver à l’opéra travail théâtral si soigné dans un respecte absolu de la musique. Dans la fosse les instrumentistes de l’orchestre du Capitole choisis pour leur excellence jouent comme des dieux sous la baguette inventive et vivante d‘Evan Rogister. Il aborde par exemple le prologue de l’opéra avec une allure presque expressionniste et sèche avant de colorer toute la subtile orchestration de Strauss avec le poids exact. N’oublions pas que les 38 instrumentistes demandés par Strauss sont évidement de parfaites solistes ou chambrites mais ensemble ils sonnent comme un orchestre symphonique complet dans le final. Que dire des chanteurs à présent ?

Ayant chacun les notes incroyables exigées et des timbres intéressants, dans un tel contexte, ils n’ont qu’à chanter de leur mieux pour devenir divins dans un environnement si favorable. Jusqu’aux plus petites interventions chacun est merveilleux. L’Ariane de Catherine Hunold est sculpturale, sa prima Donna caricaturale. En Bachus, le ténor Issachah Savage, est éblouissant de panache vocal avec une quinte aiguë et une longueur de souffle qui tiennent du surnaturel, dans le prologue sa brutalité pleine de morgue un est vrai régal de suffisance pardonnée après le final. Car la puissance du duo final est historique, une telle plénitude sonore dépasse l’entendement. La Zerbinetta d‘ Elisabeth Sutphen mérite des éloges pour un équilibre théâtre-chant de haut vol, alors qu’il s’agit d’une prise de rôle. Elle passe du moqueur au profond en un clin d’ oeuil, virtuose ou languide, elle peut tout. Le trio de voix, rondes et nuancées, qui tiennent compagnie à Ariane sur son rocher sont d’une qualité inoubliable que ce soit Caroline Jestaedt, en Naïade, Sarah Laulan en Dryade ou Carolina Ullrich en Echo. Les quatre messieurs qui accompagnent Zerbinetta ne sont pas en reste au niveau vocal mais jouent également avec beaucoup de vivacité et d’énergie (Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche ; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella). Philippe-Nicolas Martin , en Arlequin ajoutant une belle touche de vraie-fausse mélancolie dans son lied. Le compositeur d’Anaïk Morel est très sympathique c’est vraiment Strauss lui même qui se questionne sur la folie d’oser composer des opéras dans un monde si absurde. La réponse est OUI : la beauté, l’intelligence et la finesse sont le remède à l’absurdité et la bêtise du monde.

Aujourd’hui à Toulouse le flambeau a été rallumé avec panache. Oui en une soirée la beauté peut ragaillardir tout un théâtre et le succès public a été retentissant. Les mines réjouies en quittant la salle du Capitole en disent long sur la nécessité de croire, et ce soir de l’avoir vue réalisée, en cette alchimie subtile qui se nomme opéra. Merci à tous et bravo à cette production qui aborde le rivage de la perfection ! Il teste encore deux représentations à ne pas manquer du chef d’oeuvre de Richard Strauss parfaitement représenté à Toulouse .
Hubert Stoecklin


COMPTE-RENDU, opéra. Toulouse, Capitole, le 1er Mars 2019. RICHARD STRAUSS (1864-1949) : ARIANE à NAXOS, Opera en un acte et un prologue, Livret de Hugo von Hofmannsthal, Création le 4 octobre 1916 au Hofoper de Vienne, Nouvelle production du Théâtre du Capitole/Opéra Orchestre national de Montpellier – Occitanie. Michel Fau, mise en scène ; David Belugou, décors et costumes ; Joël Fabing, lumières ; Pascale Fau , maquillages. Avec : Catherine Hunold, Primadonna / Ariane ; Issachah Savage, Ténor / Bacchus ; Anaïk Morel, Le Compositeur ; Elisabeth Sutphen, Zerbinetta ; Philippe-Nicolas Martin , Arlequin ; Pierre-Emmanuel Roubet, Scaramouche; Yuri Kissin, Truffaldino ; Antonio Figueroa, Brighella ; Caroline Jestaedt, Naïade ; Sarah Laulan, Dryade ; Carolina Ullrich, Echo; Florian Carove, Le Majordome ; Werner Van Mechelen, Le Maître de musique ; Manuel Nuñez Camelino, Le Maître à danser; Alexandre Dalezan, Le Perruquier ; Laurent Labarbe, Un Laquais ; Alfredo Poesina, L’Officier ; Orchestre national du Capitole ; Evan Rogister : direction musicale.