Compte rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans, le 8 Aout 2020. Intégrale des 32 sonates de Ludwig Van BEETHOVEN (1770-1827). Nour Ayadi ; Claire Désert ; Kojiro Okada ; Jean-Efflam Bavouzet ; François-Frédéric Guy.
Quatrième concert : Espace Florans, 17 h.
Sonates 23 ;24 ; 25 ; 26 ;27 ; 28. Les grandes sonates titrées
A nouveau le public retrouve les charmes de l’Espace Florans avec cette vue si belle sur l’allée de platanes faisant comme une nef. La toute jeune pianiste marocaine de 21ans se lance dans une très belle interprétation de la sonate « Appassionata ». Le jeu est élégant, la virtuosité assumée et le sentiment d‘urgence du premier mouvement tout à fait intéressant. La tension retombe dans l’apaisement de l’andante et le chant se déploie avec liberté. Le final avec ses salves est énergique à souhait dans une belle maitrise du tempo. Cette jeune pianiste a des choses à dire et sait trouver facilement le contact avec le public.
Claire Désert va nous transporter dans les univers très différents de deux sonates que nous pourrions évoquer comme plus sentimentales. « A Thérèse » et surtout « Les adieux ». Sonates respectivement numérotées 24 et 26. Le jeu délicat de Claire Désert est un régal de poésie en musique. La technique est toujours mise au service de l’expression et le voyage dans les humeurs variées beethoveniennes est très prenant. Claire Désert sait dire sa vision de ces sonates si connues et avec sa personnalité sensible sait tenir son public en haleine.
La sonate 25 revient au jeune Kojiro Okada qui l’aborde avec élégance et souplesse. Le « presto alla tedesca » avance avec facilité de manière mozartienne toute en délicatesse et les nuances sont très bien réalisées. La touche de mélancolie de l’andante est très agréablement nuancée par Kojiro Okada. Il sait mettre la technique nécessaire dans le final sans en faire trop, gardant toujours une suprême élégance. C’est bien ce qui caractérise le jeu de ce jeune homme, l’élégance et la mesure.
La sonate 27 porte les titres des mouvements en allemand et pourrait bien parler d’une histoire d’amour dont la fin ne serait pas malheureuse. François-Frédéric Guy sait nous y entrainer avec un sens aigu de la rhétorique et une noblesse de ton, une musicalité toujours émouvante. La beauté du son, sa profondeur font de ces belles mélodies un vrai bonheur. La toute fin pianissimo et s’évaporant est d’une délicatesse exquise.
La sonate 28 malgré des indications de « ma non troppo », qui reviennent deux fois, deviennent une scène de théâtre pleine d’excès sous les doigts de Jean-Efflam Bavouzet. Est-ce cette pondération, cette élégance et cette noblesse des interprètes précédents qui nous ayant charmé nous gâche les effets de Jean-Efflam Bavouzet ou est-ce vraiment ce jeu extraverti, pourtant efficace, qui ne nous plait pas ?
Le cadre noble et émouvant de la cathédrale de platanes est peut-être pour quelque chose dans ce inadéquation ressentie à l’écoute du jeu de Jean-Efflam Bavouzet. Car le charme de ce coin de parc est très prenant comme un lieu de musique quasi improvisé, propices aux confidences plus qu’aux effusions bruyantes.
A nouveau au matin l’Auditorium s’ensoleille petit à petit. Le public tient bon devant le risque d‘insolation. Mais cette intégrale est si passionnante, c’est si extraordinaire de pouvoir suivre l’évolution de Beethoven, les pianistes sont si investis que la passion fait tenir la plus grande partie du public même en plein soleil. Beethoven virtuose d’abord, expérimentant les possibilités du pianiste. Puis déplaçant les formes, en inventant de nouvelles, essayant là une fin tonitruante, ici une autre à la pointe des doigts, cherchant des résolutions harmoniques nouvelles, attendues, retardées, déplacées, s’appuyant sur des danses, nobles ou parfois populaires. De deux à cinq mouvements. Il y a tant et tant de choses dans ces sonates au fur et à mesure de l’évolution de son génie ! Au lieu de penser qu’il y a des petites sonates et des grandes nous avons compris hier que chacune est importante, aucune n’est négligeable.
A présent Claire Désert nous propose sa version de la dix-septième sonate, la sonate « La Tempête ». Débutant délicatement comme à son accoutumée, c’est toute en sensibilité que la musicienne va aborder cette tempête qui sera toute intérieure. Pas de rugissements terribles, rien n’est au premier degré tout est plus subtilement suggéré. Souvent le premier mouvement éclipse les suivants. Il n’en est rien avec Claire Désert, elle nous fait comprendre toute la sonate comme une construction parfaite avec la perception de l’âme au travail avec ses multiples sentiments contradictoires. Les nuances sont subtilement construites sur des pianissimi impalpables. Dans les emportements pianistiques elle sait garder une mesure humaine très émouvante.
Tout est à l’opposé avec Jean-Efflam Bavouzet. Son jeu extraverti attendu lui fait jouer fort, vite et cette dix-huitième sonate a tout d’une chasse à courre royale. On cherchera en vain le gracioso dans le menuet. Par contre le fuoco du presto brûle comme le soleil qui darde, ce final passe en force avec effets de manche et de mèche.
François-Frédéric Guy enchaîne sobrement les deux sonates dix-neuf et vingt chacune en deux mouvements. Le jeu du musicien est élégant et porteur d’une belle capacité de réthorique dans ces deux sonates assez ingrates.
Nicholas Angelich en remplacement d’Emmanuel Strosser qui avait joué la veille au soir nous régale d’une Waldstein d’anthologie. Cette sonate vingt-et-une est magistralement construite et Nicholas Angelich à sa manière la dissèque pour nous la rendre limpide. La beauté du son, la richesse des harmoniques, la subtilité des nuances et une capacité à mobiliser notre imagination sont un pur bonheur. La musique irradie des doigts agiles de Nicholas Angelich, comme en état de grâce. Nous vivons avec lui un très grand moment.
La pauvre vingt-deuxième sonate semble superfétatoire sous les doigts guerriers de Jean-Efflam Bavouzet après ce grand moment de La Waldstein. C’est le seul moment où le découpage des concerts est discutable.
Le public est heureux mais reste sous l’impression profonde faite par la Waldstein.
Compte rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans, le 7 Août 2020.
Intégrale des 32 sonates de Ludwig Van BEETHOVEN (1770-1827).
Nicholas Angelich ; Emmanuel Strosser ; Jean-Efflam Bavouzet.; Yiheng Wang.
Troisième concert Auditorium du Parc 21 h. Sonates 12 ; 13 ; 14 ; 15 ; 16.
L’expérimentation de la forme et du fond.
Le soir la magie de La Roque opère en plein. L’air est doux, les cigales se font plus discrètes, la nuit tombe délicieusement sous les larges frondaisons.
Nicholas Angelich, de sa démarche si particulière entre en scène et calmement, posément se lance dans la douzième sonate qui débute avec un andante et variations. Il semble se délecter de les déplier tour à tour, sans se presser comme s’il expérimentait lui même le procédé. C’est ainsi que devient pour moi l’évidence de cette écoute chronologique des sonates. Beethoven expérimente la forme et s‘autorise des essais très variés. Ainsi de ces variations, mais également la marche funèbre du troisième mouvement. Sonate expérimentale qui semble faire les délices de Nicholas Angelich.
L’arrivée de Jean-Efflam Bavouzet est bien différente. Le fringant pianiste semble décidé à nous convaincre de sa fougue et se lance dans une interprétation fulgurante de la treizième sonate. C’est spectaculaire, très rapide ou très lent, très fort ou très doux. Il peut tout faire mais c’est la manière qui devient prévisible. Tout sert à démontrer sa virtuosité. Ce jeu brillant plait à une partie du public.
L’arrivée du pianiste chinois Yiheng Wang est remarquable. Souple et lourd comme un sumo il prend tout son temps pour saluer et s’installer au piano. Très concentré il débute la fameuse sonate « Au clair de lune » que bien des amateurs peuvent jouer. Le legato est bien conduit, le son est rond, les nuances bien dosées. Tout est bien réalisé. L’allegretto avance avec facilité, le jeu est fluide. Et le final, qu’aucun amateur ne peut jouer, fuse sous ses doigts agiles. Le jeu de ce jeune homme de 24 ans est spectaculaire. L’ expression de sentiments et l’évocation lunaire, c’est autre chose.
Emmanuel Strosser n’a pas de mal à nous convaincre qu’il est le plus merveilleux ce soir. Avec la quinzième sonate dite « la pastorale » puis la seizième appelée « la boîteuse » en France, il brosse un portrait complet du génie pianistique de Beethoven. Sérieux et profond puis d’un humour inhabituel mais savoureux. Le jeu est apollinien, il semble faire ce qu’il veut de son instrument, le son est puissant sans dureté. Les couleurs sont variées et toutes superbes. Son jeu est d’une grande évidence. La soirée se termine sur ce délicieux sentiment d’écouter la plus belle interprétation qui soit, dans un lieu idéal.
Nous sommes en une journée et trois concerts au mitan du marathon.
Compte rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’ Anthéron. Parc du château de Florans, le 7 Août 2020.Intégrale des 32 sonates de Ludwig Van BEETHOVEN (1770-1827).Deuxième concert. Parc du Château, Espace Florans 17 h .Sonates 6 ; 7 ; 8 ; 9 ; 10 ; 11. La virtuosité se complexifie.Claire Désert. Emmanuel Strosser. François-Frédéric Guy. Manuel Viellard. Jean-Efflam Bavouzet.Pour se prémunir de la chaleur, le concert de 17 h se déroule au fond du parc dans un espace où le soleil ne darde jamais. Une scène est comme improvisée face à une superbe allée de platanes. Il est difficile de voir le pianiste car il n’y a pas de gradins, une petite sonorisation discrète aide l’oreille pour les spectateurs du fond du parc. L’air est doux, la lumière superbe. Claire Désert avec discrétion et pudeur s’engage dans la sixième sonate, œuvre pas vraiment géniale mais explorant une forme en trois mouvements au lieu de quatre. Les phrasés sont souples, l’élégance est de mise avec cette interprète sensible.Puis Emmanuel Strosser dans la septième sonate nous séduit par un équilibre sonore parfait. Le legato dans le largo est somptueux. La virtuosité du rondo final exulte.C’est François Frédéric Guy qui se lance dans la sonate faisant partie des plus célèbres, la huitième, nommée « Pathétique ». Et les trois mouvements se déroulent avec beaucoup d’émotion. François-Frédéric Guy vient de graver une intégrale des sonates de Beethoven remarquable et a fait une tournée de concert avec l’intégrale de ces sonates. Il a un sens du discours beethovénien qui semble évident, il donne à cette sonate la dimension exacte, celle du génie mais qui a encore de la marge. Ainsi il est capable de nuances bien organisées, le tempo est mesuré, les couleurs superbes. Il phrase avec générosité, respire et donne à comprendre toute la structure. C’est un piano limpide, franc, généreux et simple.Emmanuel Strosser revient pour la neuvième sonate dans une interprétation équilibrée, sans surprise, confortable. Le temps s’écoule avec facilité en si bonne compagnie.François Frédéric Guy revient pour la dixième sonate, avec sérénité et calme, il pondère une interprétation somptueuse.Terminer le concert revient au jeune Manuel Vieillard avec la onzième sonate. Il joue avec une très belle fluidité et son piano chante. Le bel canto est aussi présent dans le piano de Beethoven ! Ce jeune homme nous le rappelle avec art. Il équilibre parfaitement son interprétation entre virtuosité et sentiment. Il n’est pas évident pour un jeune pianiste de faire sa place si bellement après les trois « grands » de l’après-midi. Il convainc le public qui l’applaudit chaleureusement. Manuel Vieillard est un artiste à suivre assurément !Hubert Stoecklin
Compte rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans, le 7 Août 2020.
Intégrale des 32 sonates de L. V. BEETHOVEN (1770-1827).
Premier concert Auditorium du Parc 10 h. Sonates 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5. Kojiro Okada. Nicholas Angelich. Jean-Efflam Bavouzet. Claire Désert.
Le virtuose compose : les cinq premières sonates.
Le jeune pianiste Kojiro Okada né à Bordeaux ouvre donc ce marathon qui va nous permettre d’écouter sur deux jours en 6 concerts les 32 sonates de Beethoven. Ce qui est particulier dans cette intégrale c’est que chaque sonate est interprétée par un pianiste différent. Bien des « grands spécialistes » de Beethoven sont présents et ils vont jouer plusieurs sonates. Chaque « grand » a proposé un jeune pianiste de sa connaissance, un de ses élèves, pour participer à ce challenge. Je crois qu’il y a 20 ans le même challenge avait été proposé ici avec en plus Franck Braley. Et le « jeunes » se seraient partagé les sonates de ce pianiste absent.
Notre écoute sera donc passionnante. Découvrir le mouvement dans lequel Beethoven, tout au long de sa vie, a composé pour l’instrument en construction passant du clavicorde, pour aller vers le piano-forte et le début du piano actuel. Il est peu de dire que Beethoven dans ses sonates a anticipé les possibilités de cet instrument roi. Nous allons pouvoir aussi comparer les choix interprétatifs, le son propre à chaque pianiste. Car l’instrument est le même et a été choisi pour tous. Un match à égalité en somme. Même acoustique, même instrument, à armes égales pour des interprétations très contrastées. Il fallait donc du cran à ce jeune homme pour se lancer dans l’ouverture de ce marathon avec la sonate numéro un qui n’est pas la plus facile pour faire état de ses talents. Le jeune pianiste de 21 ans s’en sort admirablement ; il a bien des qualités pianistiques et il est passionnant de se dire que ce jeune homme nous donne envie de l’entendre et dans d’autres programmes et dans d’autres sonates de Beethoven. Il a un toucher franc, une grande lisibilité au niveau de la structure et un très bel équilibrage du son, une belle rondeur et de belles nuances. Il sait admirablement développer les phrasés et nuancer son propos afin de nous faire découvrir les beautés de cette première sonate de Beethoven.
Pour la sonate numéro deux c’est le grand Nicholas Angelich qui est venu nous régaler car dans un équilibre parfait des dons du ciel il peut à la fois être d’une grande délicatesse et d’une grande puissance sans jamais utiliser ce que je nommerai ailleurs de la force. C’est cela la puissance interprétative : avoir la capacité à nous émouvoir par des moments de grande délicatesse des doigts qui provoque un véritable perlé de notes, ou une force de démiurge qui peut nous impressionner. Mais toujours avec une grande souplesse et une science des équilibres, des phrasés développés largement et une conscience de la structure de la sonate entière comme de chaque mouvement. Nicholas Angelich ou l’équilibre parfait des dons du piano. Nous avons déjà eu deux sonates ce jour la deux et la cinq et aurons d’autres fois l’occasion de commenter le jeu de ce géant de délicatesse.
Le troisième pianiste ce matin est Jean-Efflam Bavouzet. Il nous a ouvert un autre monde, a présenté un autre visage de Beethoven. Il a un jeu puissamment théâtral fait de contrastes marqués, parfois abrupts en termes de nuance et même de phrasé. Le son est magnifique, les nuances extrêmes. C’est du grand et beau piano mais cela convient-il à la troisième sonate ? Voilà un parti pris authentique et réalisé avec des moyens conséquents. Jean-Efflam Bavouzet va certainement nous révéler d’autres aspects dans les sonates plus tardives.
Claire Désert est à l’opposé toute de délicatesse et de subtilité. Son jeu est intériorisé, habité. Elle respecte la partition, en révèle bien des beautés sans vouloir la pousser vers ce que donneront les inventions de Beethoven plus tard dans les prochaines sonates. La fragilité assumée est un atout. La quête et le sens de la rhétorique installent un beau dialogue avec l’auditeur qui se laisse entraîner dans cette poésie musicale. C’est avec plaisir que nous écouterons d’autres sonates par Claire Désert. Pour ce premier concert dans l’auditorium petit à petit dardé de soleil, les conditions « extrêmes » pour le public sont un peu particulières. Mais il est passionnant d’écouter ces premières sonates souvent dédaignées. Elles sont d’un Beethoven qui développe une virtuosité importante dès la deuxième sonate. Il était à l’époque lui-même un virtuose admiré, explorant les possibilités digitales de l’interprète et sonores de l’instrument.
Pour le détail des sonates je propose de lire sur le site du festival pour les indications exactes. Je garderai le numéro tout simplement, pour la lisibilité du texte.
XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Lundi 3 Août 2020. Salon de Provence, Château de l’EMPERI. Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Sonate pour deux pianos en ré majeur KV 448/375a ; Frantz SCHUBERT (1797-1828) : Fantaisie pour quatre mains en fa mineur ; Bohuslav MARTINU (1890-1959) : Quatuor H.139 ; Ralph Vaughan WILLIAMS ( 1872-1958) : Quintette fantaisie ; Nino Rota (1911-1979) : Piccola Offerta Musicale ; Albert GUINOVART (né en 1962) : Les Aventures de monsieur Jules Vernes ; Natalia Lomeiko et Daishin Kashimoto, violon ; Joachim Riquelme Garcia et Yuri Zhislin, alto ; Claudio Bohorquez et Aurélien Pascal, violoncelle ; Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Emmanuel Curt, caisse claire ; Éric Lesage, Marie-Josèphe Jude et Albert Guinovart, piano.
Hommage à Maria Curcio
Les grands artistes ne cachent pas ce qu’ils doivent à de grands maitres. Leur rendre hommage est un acte à la fois de fierté et de modestie. Avoir été accompagné par Maria Curcio n’est pas donné à tout le monde et rester humble par rapport à cette grande musicienne permet à son tour de donner à la génération suivante quelque chose de cet héritage. Ce quelque chose d’unique serait la détermination et de ne rien lâcher sur la recherche de beauté. Ce sont peut-être les qualités premières qu’elle a transmises. Son maitre à elle dès l’enfance a été l’immense Arthur Schnabel et parmi ses élèves Radu Lupu est le plus inclassable génie. Nos trois pianistes de ce soir ont également été ses élèves et savent ce qu’ils lui doivent en organisant ce très bel hommage.
Nous avons donc pu nous délecter de duos de piano sublimes pour débuter ce programme.
Marie-Josèphe Jude et Éric Lesage dans la somptueuse sonate pour deux pianos de Mozart ont phrasé admirablement, dans une délicatesse de toucher ravissante. La douceur de Marie-Josèphe Jude a été contagieuse et le jeu des deux pianistes c’est complètement harmonisé.
Puis Éric Lesage et Albert Guinovart à quatre mains se sont lancés dans la Fantaisie en fa mineur de Schubert. Rien que ces deux œuvres ouvrent les portes de la félicité. D’ailleurs le CD qui reprend ce Mozart à deux pianos et ce Schubert à quatre mains avec Radu Lupu et Murray Perahia est un de mes disques de chevet. Toute interprétation met en lumière un aspect de cette sublime fantaisie. Éric Lesage et Albert Guinovart ont choisi la douceur et l’élégance. Plus de caractère me convainc d’avantage, mais les deux pianistes ont su préserver à chaque moment une beauté de son et une délicatesse des plus rares.
Le quatuor de Martinu qui rassemble clarinette, violoncelle, cor et caisse claire change complètement l’ambiance. Ce ne sont pas seulement les siècles mais tout une vision qui sépare ces mondes musicaux. La beauté des pianos reste dans nos oreilles quand la caisse claire fait un effet à la fois vaguement inquiétant et grotesque. Rapidement la virtuosité impressionne ainsi que la charge émotionnelle violente que dégage cette partition. Même l’andante est porteur de peur sans apporter de vrai répit. Le final devient presque féroce. Les musiciens très engagés ont offert une interprétation saisissante. Le fort mistral, qui ce soir ne décolérait pas, a ajouté comme de l’inquiétude à cette musique si particulière.
Le Quintette fantaisie de Ralph Vaughan Williams avec deux altos est une page pleine de profondeur parfois douloureuse. L’alto avec sa voix chaude le débute et aura encore de beaux moments mais c’est le premier violon qui plane haut et atteint au sublime. Il faut reconnaitre bien des qualités rares à la violoniste russe. Natalia Lomeiko a un son très élégant, d’une grande beauté. Les aigus dans un pianissimo riche et chaud sont particulièrement émouvants. Et son tempérament de feu donne beaucoup d’énergie autours d’elle. Cette fantaisie est habilement construite et la variété des ambiances, la répartition des instruments, le choix de faire taire le violoncelle puis de lui donner des phrases en solo, cet ensemble subtilement agencé, créée une œuvre qui passe sans notion de temps. Nous avons été emportés dans un voyage sans repères. Un beau moment suspendu.
La délicate Piccola Offerta Musicale de Nino Rota en forme d’hommage à son professeur nous permet de retrouver la flûte magique d’Emmanuel Pahud et son extraordinaire partage avec ses camarades souffleurs. L’esprit est partout, dans chaque note, chaque respiration. Un véritable délice, une sorte de bonbon délicatement acidulé.
Pour finir le concert le pianiste-compositeur catalan Albert Guinovart revient et avec un ensemble de vents et tous interprètent trois extraits de sa composition « Les Aventures de Monsieur Jules vernes ». Cette orchestration pour le Festival met en valeur chacun mais le piano se taille la part du lion. Cette musique est vive, facile, évocatrice elle plait beaucoup au public qui pour la première fois cette année demande et obtient un bis. Ça y est le public ose redevenir exubérant. Il a fallu toutes ces magnifiques énergies musicales, toute cette générosité des instrumentistes pour retrouver l’exubérance de la joie de la musique partagée. Longue vie au festival de salon !
XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Dimanche 2 Août 2020. Salon de Provence, Château de l ‘EMPERI. Nino Rota (1911-1979) : Trio pour clarinette, violoncelle et piano ; Leo SMIT (1900-1943) : Sextuor ; Witold LUTOSLAWSKI (1913-1994) : Variations sur un thème de Paganini pour deux pianos ; Karol BEFFA né en 1973 : Double REED Loop, création ; Camille SAINT SAENS (1835-1921) : Le Carnaval des Animaux, Grande fresque zoologique, texte de Francis Blanche. Natacha Reignier, récitante ; Daishin Kashimoto, Maja Avramovic, violon ; Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Claudio Bohorquez et Aurélien Pascal, violoncelle ; Olivier Thiery, contrebasse ; Emmanuel Curt, xylophone ; Éric Lesage, Lucille Chang et Alessio Bax, piano ;
L’ Humour en musique dans tous ses états
Le concert de dimanche soir a été coloré par l’humour de bout en bout. Dès le début du trio de Nino Rota son style si impertinent et très aimé par Fellini a fait merveille. C’est surtout Paul Meyer à la Clarinette qui a porté la partition tant dans les moments joyeux que dans la mélancolie inattendue de l’andante. Couleurs variées, nuances généreuses et phrasés éblouissants de verve ou de profondeur, Paul Meyer a été particulièrement inspiré soutenu par des partenaires plus prudents.
Le Sextuor de Leo Smit est une véritable découverte et une vraie merveille sauvée de la guerre et de l’oubli. Sous une apparence de légèreté et même de musique de variété, s‘entend un compositeur très sensible à son époque (Les années 30) avec une vraie personnalité. La solution finale nazie a éliminé un artiste doué et sensible. Éliminé physiquement comme tant d’autres mais immortel par sa musique…. Ce Sextuor de sa période heureuse est un bijou. Un grand merci tant pour cette découverte que pour une interprétation particulièrement brillante. Le gang des vents de Salon de Provence est inénarrable dans cette surenchère d’humour et de perfection instrumentale.
Le couple glamour au piano comme à la ville : Lucie Chang et Alessio Bax a été totalement éblouissant dans les variations de Lutoslawski sur le thème de Paganini déjà utilisé par Rachmaninov. Cette très rare partition, une des seules sauvées de Lutoslawski, a été ardemment défendue par ce duo énergique et aux moyens phénoménaux.
La création de Karol Beffa pour clarinette et basson est toute pleine d’humour et de saveur délicatement piquante. Paul Meyer et Gilbert Audin ne cachent pas leur plaisir à ce duel d’anches à fleuret moucheté.
Le final avec tous les musiciens, augmentés de la contrebasse et du xylophone va nous entraîner dans un voyage plein d’humour et d’émotions. La partition de Saint-Saëns est virtuose, scintillante, d’une inventivité constante. Le charme de Natacha Reignier a éclairé le texte de Francis Blanche et a participé au succès de ce final. Chacun jouant des possibilités de son instrument brillamment utilisées par Saint-Saëns pour évoquer ces animaux si humains.
Impossible de retenir un moment plus qu’un autre, tout a été absolument parfait. Un bonheur absolu. Oui les meilleurs solistes sont à Salon mais surtout de grands musiciens tous en pleine forme.
XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Salon de Provence, Samedi premier Août 2020. Château de l ‘EMPERI. Camille SAINT SAENS (1835-1921) :Tarentelle en la mineur ; Gioachino Rossini (1792-1868) : Sonata a quattro n°1 en sol majeur (Arrangement pour quatuor à vents) ; Ludwig van Beethoven ( 1770-1827) Trio en sol majeur WoO 37 ; Quintette en mi bémol majeur op.16 ; Johannes Brahms (1822-1897) : Trio op.40 ; Daishin Kashimoto , violon ; Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Éric Lesage et Alessio Bax, piano.
Faire fi de l’orage pour la Musique !
Pour son ouverture en grand dans la cour du Château de l’Empéri, le Festival de Salon a montré sa détermination et sa confiance dans l’avenir. Comme annoncé, en maintenant le projet du Festival aux pires heures de confusion en disant tout simplement : les Artistes seront là !
Et les autorisations sont arrivées permettant à la programmation, presque identique aux prévisions, de trouver son public. Hélas la peur excessive autant que le manque de vacanciers ne permet pas de faire le plein de la cour du Château de l’Empéri à chaque concert. C’est bien dommage car la programmation est de grande qualité et les artistes tous survoltés.
Ce concert d’ouverture en grand a été menacé par un orage qui a tourné autour de Salon mais personne n’a rien lâché et le concert a pu se dérouler avec cette sensation d’urgence sublimée par des interprétations très engagées. Ordre du programme parfait qui a été en progression constante vers un final éblouissant avec le trio pour cor, violon et piano de Brahms, musique nocturne sublime. Une interprétation plus tonique et moins embrumée que celle qui fait référence dans ma discothèque. Alessio Bax est au piano très présent, phrasant large et capable de nuances très subtiles. Un toucher franc qui met en lumière sa partie et offre un très beau support tant au violon qu’au cor. Le cor de Benoît de Barsony est lui aussi large et puissant, plus affirmé et lumineux que d’habitude. Au violon Daishin Kashimoto tient sa partie afin de suivre sur leurs hauteurs ses deux collègues.
Ce point d’orgue du concert ne saura pas nous faire oublier le reste du programme. La grande souplesse et l’amabilité, la beauté des lignes et la richesse des accords de sonorités prodiguées par les vents dans cette adaptation de la sonate n°1. de Rossini ont fait merveille. La recherche du même velours par la flûte d’Emmanuel Pahud et la clarinette de Paul Meyer est d’une grande subtilité. La présence chaude du basson de Gilbert Audin et la rondeur de son du Cor de Benoît de Barsony rendent cette interprétation particulièrement savoureuse. L’œuvre qui a donné son titre à la soirée est « la tarentelle pour flûte, clarinette et piano », œuvre rare et pleine de charme. Le piano d’Éric Lesage tient un tempo inflexible sur lequel les deux bois rivalisent de charme. Très belle œuvre, pleine de bonheur, que les trois fondateurs du festival ont su faire briller de mille feux. Le plaisir de faire de la musique ensemble reste intact après 28 années de Festival ! Le Trio en sol majeur de Beethoven, œuvre de jeunesse, rend hommage à Mozart jusque dans le choix des instruments. Emmanuel Pahud est mozartien jusqu’au bout des doigts, Alessio Bax a un jeu très clair et précis et Gilbert Audin au basson apporte des touches d’humour irrésistibles. Le quintette de Beethoven pour clarinette, hautbois, basson, cor et piano, est un hommage à Mozart, qui a écrit pour la même formation mais assurément le ton est beethovenien. La complicité entre les musiciens est totale, pour une interprétation passionnante.
Ce concert gagné contre les menaces de pluie et contre la peur du Coronavirus, a été très applaudi par un public ému d’être, après une trop longue « diète », en présence d’artistes si doués et généreux.
Thierry d’Argoubet, responsable de la programmation de l’orchestre, ne pouvait mieux choisir pour le dernier concert de la saison de l’orchestre avant l’été. Le confinement nous a privé de très nombreux concerts, je n’y reviendrai pas, le vide a été énorme. Ainsi la réouverture de la Halle-aux-Grains au public avait déjà été un rêve en soi. Nous avons dit combien le concert de retrouvaille avec l’orchestre et Tugan Sokhiev avait été un vrai bonheur. (Voir notre chronique précédente).
Mais ces concerti de Bach pour deux, trois et quatre claviers sont un vrai bonheur à eux seuls. Cette musique dansante, charmante, charpentée et aérienne est un miracle de perfection. La manière dont les pianos ont su s’approprier ses partitions écrites pour le clavecin tient de la fête. Chaque fois qu’il est possible de les entendre c’est un moment de musique inoubliable.
Ce soir le propos est encore plus éclatant, véritable manifeste pour la vie. Nos quatre amis pianistes ont tous été confinés et c’est leur premier concert avec du public depuis cette triste période. Quatre mois sans jouer en public ! Il est facile d’imaginer la joie de jouer ces partitions et ensemble ! Le bonheur était évident, et l’orchestre de cordes issu du Capitole également semblait heureux de participer à cette fête. Ensemble tous les musiciens nous ont donné une interprétation toute de fine musicalité, de phrasés élégants, de nuances subtiles et de doigts légers. Un piano « tout simple » qui sans effets inutiles donne vie à la danse heureuse contenue dans ces partitions ; les mouvements lents tout empreins de tendresse et de retenue sont des moments précieux. Jacques Rouvier le professeur des trois autres pianistes est celui qui semble le plus amusé par la situation et la déguste avec une sorte de gourmandise. Emmanuel Christien et Audray Vigouroux sont plus concentrés mais le sourire aux lèvres est présent avec un jeu toujours expressif. Quand à David Fray son jeu est très habité, le jeune musicien semble traversé par une urgence. Ses gestes de direction sont plutôt des relances et des encouragements mais on devine bien qu’il cherche à garder tous en lien et qu’il porte le projet. Les cordes sont très présentes avec beaucoup de légèreté et de précision. Le moindre pizzicato est plein d’intention. Nous avons eu un beau concert de partage et d’écoute mutuelle, de recherche de légèreté et d’élégance dans ce monde meurtri par la peur : nous ne pouvions rêver d’avantage. C’est exactement ce qu’il nous fallait : la musique du bonheur retrouvé et surtout partagé. Le public (toujours masqué et un peu plus nombreux) a exulté et a obtenu deux bis : les deux mouvements extrêmes du concerto à 4 pianos ; celui que Bach a adapté d’après Vivaldi à l’origine pour quatre violons.
Et nous pouvons retrouver ces musiciens attachants dans ce beau programme avec leur CD qui reste l’un des plus stimulants que je connaisse.
Compte rendu Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 2 Juillet 2020. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour quatre pianos en la mineur BWV1065 ; Concerto pour trois pianos en ré mineur BWV 1063 ; Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV 1061 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur BBV 1060 ; David Fray, Jacques Rouvier, Emmanuel Christien, Audray Vigouroux : piano ; Cordes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, direction.
XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Vendredi 31 JUILLET 2020. Abbaye de Sainte Croix. Camille SAINT SAENS (1835-1921) : Odelette op.162 ; Romance op. 37 ; César CUI (1835-1918) : 5 petites pièces op.56 ; Frantz SCHUBERT (1797-1828) : Sonate pour arpeggione et piano en la mineur D. 821 (arrangement Emmanuel Pahud) ; Maja Avramovic, violon ; Emmanuel Pahud, flûte ; Alessio Bax, piano.
Le retour à la VRAIE VIE
Ça y est l’été a enfin débuté. Comment imaginer un été sans musique et sans festival ? La Provence sans musique en été ça n’existe pas. C’est pourtant ce que l’épidémie de coronavirus a failli obtenir… Car sans le festival d’Avignon et sans les Chorégies d’Orange le début d’été a été bien triste. Et sans bien d’autres festivals ou concerts, tous annulés. C’est conscient de cette fatalité désolante pour les artistes réduits au silence et le public privé de spectacle vivant, que l’émotion m’a gagné en arrivant dans la délicate Chapelle de Sainte-Croix à Salon de Provence. Tout nous prête à la prise de hauteur en ce lieu majestueux. Le promontoire d’où peuvent se contempler les cultures en verger et la nature encore préservée de la plaine de Salon, le soleil qui y cogne dure partout et ici ce sable blanc qui avec détermination nous enfarine les chaussures. La délicate chapelle accueille ce jour un public très réduit et la porte est restée grande ouverte durant le concert invitant le chant rythmé des sympathiques cigales. Les consignes sanitaires sont ainsi respectées, le masque est porté par tout le public et les distances permettent de limiter les contacts. Happy few, but very happy, sous nos masques…
Lorsque Emmanuel Pahud entre sur scène avec son complice Alessio Bax l’émotion est perceptible dans la salle. Oui ce n’est pas un rêve les artistes sont véritablement là, comme promis. Jamais probablement la délicieuse Odellette de Saint-Sains n’a fait un tel effet. Les larmes sont monté aux yeux de plus d’un tant la beauté de cette musique a semblé bouleversante. Emmanuel Pahud détendu, concentré et olympien a trouvé un son d’un velours délicat, tandis que le jeu très présent d’Alessio Bax donne un relief concertant à sa partie, bien loin d’être un simple accompagnateur. Ce jeu partagé, cette écoute admirative de part et d’autre nous offre un duo au sommet de la musicalité. Plus émouvante encore sera la Romance op. 37, pleine de mélancolie et de charmes permettant un délicat équilibre entre le chant éperdu de la flûte et la profondeur harmonique du piano. Nos deux complices rivalisent de finesse et de beauté de sonorité. Dans des phrasés éperdus ils donnent beaucoup de puissance d’évocation à cette trop courte pièce. Entre ces deux belles partitions de Saint-Saëns les cinq petites pièces de César Cui pour violon, flûte et piano sont une totale découverte. César Cui parfait contemporain de Saint-Saëns est connu pour avoir écrite le manifeste du Groupe des cinq. Ces 5 pièces de charme sont agréables et très variées, faussement simples et faciles. Elles sont très bien écrites en équilibrant très agréablement les trois instruments offrant à chacun des moments dans lesquels briller. Les trois musiciens dans une complicité de chaque instant se régalent et nous régalent. La troisième pièce est peut-être la plus « Russe » avec cette mélodie mélancolique offerte au violon et les commentaires légers de la flûte, tandis que le piano tient dans une danse lente et triste tout l’ensemble. La musicalité et l’écoute des trois musiciens permet d’atteindre un équilibre délicat. Le violon sensible à la sonorité pleine et riche de Maja Avramovic fait merveille , le piano toujours juste sachant capter chaque variation de caractère d’Alessio Bax donne beaucoup de force à la partition, tandis qu‘Emmanuel Pahud avec une aisance souveraine semble surfer avec une totale liberté, tout heureux de ce partage entre fins musiciens. Le public accueille très chaleureusement ces cinq pièces rares.
Car ce que j’aime aussi beaucoup à Salon c’est la qualité de la programmation avec chaque année son lot de découvertes et de raretés. César Cui sort ainsi des livres d’histoires de la musique et a repris vie ce midi à Salon.
La partition emblématique qui termine le concert vaut à elle seule le déplacement. La sonate arpeggione de Schubert est une véritable merveille et la version à la flûte est particulièrement séduisante.
La complicité entre Alessio Bax et Emmanuel Pahud nous offre une interprétation très équilibrée entre les deux instruments; très mobile et vivante. La souplesse des tempi apporte beaucoup de vie et même de truculence. Comme souvent la danse s’invite dans le jeu du flutiste et la même capacité se retrouve dans le jeu de Bax. Le final gagne ainsi en vie et en liberté. C’est vraiment ainsi que nous imaginons Schubert, capable d’aimer la vie en toute simplicité dans les moments de détresse, lui qui écrivit cette incroyable partition pour un instrument mort-né : l’arpeggione. La mélancolie la plus délicate rencontre une sorte de liberté simple capable d’humour potache. Les rubati esquissé dans les premiers mouvements sont irrésistibles dans le final. Emmanuel Pahud et Alessio Bax partagent une capacité d’inventions et d’audaces qui fait la vraie originalité des interprètes : par exemple, les phrasés plus profondément creusés, les nuances plus appuyées, la danse plus physiquement présente. C’est cela qui fait le prix des concerts. Ce sont des rencontres qui permettent de bouger les lignes d’interprétations certes merveilleuses mais figées au disque. La musique vit et nous donne de la vie. Le public plus sage qu’à l’accoutumée, c’est un effet du post confinement je pense, a applaudi copieusement les interprètes. Le festival de Salon démarre bien. L’été est ( enfin) là !
Étrange entrée dans la salle qui peut accueillir 2000 spectateurs et ce soir aura une jauge du seul quart ! Tous masqués les spectateurs dégustaient des yeux d’abord leur orchestre retrouvé. Et d’aucun de se dire comment avons-nous pu attendre si longtemps quand il est si naturel de retrouver ces silhouettes connues, ces visages aimés et ces artistes magnifiques ! Et lorsque Tugan Sokhiev est arrivé non par l’arrière mais en face par le parterre déserté quelle émotion. Alerte, dans un français à présent sans accent, il s’est amusé de retrouver son public « tous bleus » (masque oblige). Et de dire combien un musicien ne peut télétravailler et ne fait véritablement son métier qu’en présence du public !
L’orchestre était très étalé. Quel son dès les premières mesures de l’orchestre ! Et oui durant le confinement des merveilles d’interprétations enregistrées ont ravi mes oreilles mais rien ne vaut le concert. C’était limpide ! Cette qualité d’écoute incroyable qui permet à l’œil et l’oreille en fusion de détailler tel instrument, d’analyser tel thème, tel contre chant tout à sa guise. Cette respiration du son encore plus large ce soir par le peu de public et l’étalement des instrumentistes. L’ouverture des Hébrides est un vaste geste symphonique pictural. Le vent, la mer, les embruns, les falaises, la grotte sculptée par les âges, tout un paysage romantique se dévoile sous la direction enthousiaste de Tugan Sokhiev. Les musiciens semblent hors d’eux tant leur plaisir de jouer éclate. Le souffle de cette version est prodigieux.
Cette ouverture ouvre grand nos oreilles.
Pour le concerto en sol de Ravel, l’arrivée de Bertrand Chamayou déclenche des applaudissements nourris. Le jeune homme est ici dans son pays et il est aimé à la folie. Il faut dire que son jeu ne cesse de gagner en maturité tout en gardant une simplicité humble chez cet artiste d’exception. Bertrand Chamayou tout en rythme précis sait faire chanter son piano, trouve des nuances inouïes et offre une puissante interprétation de ce superbe concerto. Le mouvement central tout de poésie permet au pianiste un somptueux dialogue avec l’orchestre. Nous aimons particulièrement la trompette, le basson et le cor anglais. Ce moment de pure grâce débouche sur un final au rythme enivrant. Tugan Sokhiev est un partenaire de premier ordre demandant à l’orchestre de suivre au cordeau son pianiste. L’accord entre le chef et le soliste est total conférant une grande puissance à ce concerto. Le succès est grand et toute la salle vibre. Bertrand Chamayou offre alors en bis une « Pavane pour une infante défunte » à la fois émouvante et envoûtante. Ceci nous rappelle qu’il a enregistré une intégrale du piano de Ravel qui a très justement un grand succès.
Pour finir le concert nous revenons à Félix Mendelssohn en Italie cette fois-ci. Cette quatrième symphonie est celle du bonheur, de la jubilation tant orchestrale que de la découverte de l’Italie. Impossible de détailler une interprétation sublime de précision, d’une tension impeccablement construite et qui aboutit en un final de braise. La virtuosité instrumentale est ce soir transcendantale. C’est la joie pure, celle de Mendelssohn fou de l’Italie, celle de Tugan Sokhiev ivre de diriger une telle œuvre et celle de l’orchestre survolté qui semble avide de jouer pour le public. Et que dire du public qui se délecte d’être là, bien vivant et privilégié. Oui la musique est vivante dans le partage. Les musiciens reposés et attentifs ont magnifiquement retrouvé leur public. Et le public sagement masqué a applaudi et crié sa joie et sa reconnaissance dans des bravi généreux.
Un programme parfait pour renouer des liens que le confinement n’a fait que raffermir. Après le théâtre du Capitole c’est la Halle-aux-Grains qui a retrouvé la musique. Que la vie est belle ainsi ! Que la saison sera belle en 2020/2021. Ce sera encore une saison avec Tugan Sokhiev. Ne laissons rien nous gâcher ce pur bonheur qui nous est promis !
Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 26 juin 2020. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Les Hébrides, ouverture, op.26 ; Symphonie n°4 « Italienne » en la majeur, op.90 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano en sol majeur. Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, Direction.
COMPTE-RENDU, Concert. PARIS, THEATRE DES CHAMPS ELYSEES, le 5 fév. 2020. SCHUBERT. LALOUM.
Adam Laloum est un immense schubertien Adam Laloum, longue silhouette fragile avec son allure de statue de Giacometti, se glisse vers le piano sur la large scène du Théâtre des Champs Elysées dans une lumière tamisée avec derrière lui l’or chaud du rideau de scène. Il ne faut pas se fier à la vue car la puissance du pianiste n’est pas un vain mot quand on pense au programme titanesque qui attend le jeune musicien trentenaire. En effet les trois dernières sonates de Schubert dans un programme de plus de deux heures mettent à nue l’interprète.
D’autres pianistes s’y sont risqués, techniquement impeccables mais malhabiles à tenir sur toute cette longueur la richesse des images de Schubert, son besoin d’émotions perpétuellement changeantes et une capacité à tenir en haleine le public sur un temps si long. Adam Laloum ce soir a gravi plusieurs marches, non seulement celle de la qualité pianistique d’un jeu résistant mais surtout celle d’un interprète d’une poésie rare et d’une profondeur insondable. La sonate D. 958 je l’avais déjà entendue sous ses doigts à La Roque d’Anthéron en 2017. L’évolution de son interprétation dans ce vaste cycle va vers davantage de contrastes et des nuances plus subtiles encore. Les grands emportements sont maitrisés et la fantasmagorie par moment inquiétante n’est pas tragique, l’humour pointe son nez dans le scherzo et surtout dans le final qui malgré sa longueur passe trop vite dans un étourdissement délicieux. Ainsi la sonate en do mineur ouvre déjà un pan entier de romantisme passant de la violence à la tendresse la plus émue. Mais c’est dans la D.959 que le musicien avance encore vers davantage d’émotions. Cette extraordinaire capacité à habiter les silences émeut, il ose varier des tempi mouvants comme la vie.
À Piano aux Jacobins cette année il avait déjà joué cette sonate avec des qualités rares, l’évolution est pourtant là et il se rapproche encore davantage de Schubert. Un Schubert qui, à deux mois de sa mort ose une partition de près d’une heure, y dit tout son amour de la vie comme ses angoisses face à la mort. Mais d’une manière que seule Mozart savait, avec une élégance et une politesse d’âme d’enfant. La légèreté des doigts de la main droite d’Adam Laloum évoque des papillons pour la grâce et un colibri pour la précision. Les contrastes sont saisissants et les phrasés amples et plein de profondeur. Le voyage musical est amical, généreux et enthousiasmant. Le deuxième mouvement si extraordinaire devient une ode à la joie de vivre consciente de sa fragilité et menacée par la sauvagerie du moment central. La reprise en est encore plus émouvante dans des nuances toujours plus subtiles. J’avais évoqué le chant pianissimo ineffable de la regrettée Montserrat Caballé avec son extraordinaire plénitude de timbre et c’est à nouveau ce qui m’a ravi. Un chant éploré mais toujours élégant dans une concentration de timbre rare. Par rapport au Cloître des Jacobins il ose dans l’acoustique plus vaste du Théâtre des Champs Elysées des nuances piano encore plus ténues, provoquant chez le public une écoute totale, un silence rare et probablement beaucoup de souffles retenus. L’avancée à travers les paysages de Schubert semble d’une ouverture constante vers des horizons nouveaux et une variété d’états d’âme infinis. On retrouve les qualités des plus grands interprètes de Schubert de tous les temps. La troisième sonate, la D.960 encore plus longue, demande un renouvellement du propos qu’Adam Laloum organise avec une grande intelligence. Le voyage ouvre d’autres espaces, les couleurs sont plus riches et l’harmonie va vers des contrées du futur. La puissance du jeu d’Adam Laloum est de tenir ainsi la public en haleine, de lui révéler Schubert avec un sentiment de proximité rarissime.
La puissance pianistique n’étant qu’un moyen pas un but. Cette émotion au bord des larmes, cet amour de la vie et cette remémoration consciente du temps de l’enfance si caractéristique des grands poètes sont de la pure magie. Le pari fou de jouer ainsi les trois dernières sonates de Schubert est gagné haut la main par Adam Laloum, Primus inter pares au firmament des interprètes de Schubert. Un Grand concert dans un cadre prestigieux a révélé de manière incontestable la maturité artistique d’Adam Laloum. Son dernier CD est dédié à Schubert. Il est de toute beauté avec la D.894 et la D. 958. Toutes ses qualités sont là mais l’émotion du concert, cette capacité à capter l’attention du public, rajoute à la beauté de l’interprétation. Espérons qu’il enregistrera les deux dernières sonates de Schubert avec son nouveau Label car vraiment il s’agit d’un immense interprète de Schubert que le monde entier doit saluer.
Compte-rendu concert. Paris Théâtre des Champs Elysées, le 5 février 2020. Frantz Schubert (1797-1828) : Sonates pour piano n° 21 en ut mineur D.958, n° 22 en la majeur D.959, n° 23 en si bémol majeur D. 960 ; Adam Laloum, piano.
Chronique concert sans public. Toulouse. Halle-aux-Grains, le samedi 30 Janvier 2021. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon et orchestre n°2 en mi mineur, op.64 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°5 en do diese mineur. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Daniel Lozakovich, violon ; Kahchun Wong, direction.
Un concert lumineux dans le noir sinistre du quotidien
Happy few sont les journalistes qui peuvent assister dans la Halle-aux-Grains aux concerts donnés en huis clos ! Un peu comme dans une maison close, un lieu confisqué au public juste entrouvert pour un soir de temps en temps …. Savourer ce qui est perdu mais reviendra ….
Car le malaise sous la joie n’est pas loin. Surtout au moment des applaudissements. Quels tristes claps quand une ovation tonitruante ne serait pas déméritée. Et juste quelques collègues pour échanger son bonheur. C’est pingre, cela fait retomber de haut, quitter une si belle lumière en rentrant dans l’inhumain vide de Toulouse la nuit. Qu’elle est étrange notre vie de l’Année 01 du Covid ! Il nous appartient de ne pas oublier, de témoigner que la vie culturelle continue en sous-marin. Les artistes de l’Orchestre du Capitole ont une chance, celle de travailler et de jouer gardant leur passion intacte. A un rythme bien moins élevé mais tout de même ce soir le concert est grandiose. Le programme les met en vedette. La puissance de ces musiciens est considérable car les deux œuvres sont très exigeantes à des degrés divers.
Le deuxième concerto pour violon de Mendelssohn est un bijou de finesse, d’élégance et de beauté hiératique. Jamais aucune brutalité ne vient gâcher la joie du jeu musical. Le violon plane haut et touche au cœur. L’orchestre doit être présent sans écraser jamais la voix du soliste, sans brutalité jamais. Ce chant planant sur le cœur battant des cordes de l’orchestre est un début magique inoubliable. Le public est toujours très sensible à cette douce mélancolie et les violonistes se régalent des volutes et courbes envoûtantes que Mendelssohn a écrit pour leur instrument. Il y a quelque chose d’une grâce céleste dans ce chef d’œuvre. Daniel Lozakovich est à 20 ans l’incarnation idéale de cette grâce. La dernière fois que nous l’avions vu à Toulouse il avait encore quelque chose de la beauté de l’enfant prodige, ce soir c’est la puissance naissante du jeune homme qui séduit. Avec cette délicatesse de phrasé, cette élégance du geste souverain et cet engagement de tout son être dans son jeu. Son interprétation est toute faite de lumière, de facilité apparente et de musicalité délicieuse. La puissance du jeu est parfaitement assumée et maitrisée. Il a une sonorité riche et pleine mais la texture reste légère et jamais la moindre dureté ne se devine.
Ce violon comme aérien est pourtant charnellement habité. Une sorte d’impossible alliage. L’or de ce violon comme adouci par la texture d’un velours profond. Le jeu est lumineux mais également contrasté et nuancé. L’orchestre le soutient magnifiquement dans des couleurs d’une rare intensité. Les instruments dialoguent avec art. Le chef laisse jouer et cherche un soutien franc pour permettre au soliste de planer haut. J’aurais aimé qu’il aille plus loin et réponde aux propositions du soliste si enclin à nuancer en profondeur, en demandant encore plus de douceur à l’orchestre. Les musiciens de l’orchestre le peuvent. C’est un peu dommage cette sage mise en place à côté du feu ardent du soliste, au jeu si inspiré. La beauté de Daniel Lozakovich est bien filmée et vous pourrez succomber au charme de ce jeune homme qui joue si admirablement de son violon. Il offre une interprétation idéale de ce concerto de Mendelssohn.
La 5ème symphonie de Mahler est un chef d’œuvre de grande modernité toute en expérimentations audacieuses.. Elle offre à un bel orchestre symphonique l’occasion de briller en terme de nombreux soli mais également une virtuosité d’ensemble à la difficulté incroyable. Le scherzo est si compliqué à mettre en place dans le tempo exact !
Dès le début le solo de trompette est absolument envoûtant. Hugo Blacher est magnifique et tout au long du concert reste d’une solidité et d’une élégance rares. La direction de Kahchun Wong qui nous avait parue trop précautionneuse dans le concerto se détend un peu. La gestuelle du chef est très appuyée, il y a prépondérance de sa main droite qui tient la baguette. La main gauche est moins investie. Cette attitude donne un coté prudent comme pour privilégier la mise en place. Le risque n’est pas autorisé et l’interprétation garde de cette maitrise constante une certaine rigidité. La qualité du chef est la grande clarté du discours jusque dans les moments les plus complexes. La brillance des sonorités est magnifiquement rendue. Mais dans la marche funèbre cette lumière et cette puissance manquent de contrastes. Les nuances si fondamentales dans cette musique sont présentes, comme a minima, elles auraient pu être plus approfondies. Le premier tutti est déjà très fort, la marge de manœuvre s’en trouve réduite. La lumière crue dans le premier mouvement pourtant si complexe a tendance à le compacter dans le fort et le brillant. C’est très efficace mais un peu monolithique. Le scherzo est réussi à la perfection. Les qualités de la direction de Kahchun Wong sont précieuses, un tel mouvement virtuose. La précision, le parfait ordonnancement des plans, les couleurs si complexes de ce mouvement comme un kaléidoscope enivrant, tout est parfaitement rendu. La virtuosité des musiciens de l’orchestre est un régal. Le cor de Jacques Delelancque, qui se tient debout comme un soliste, est majestueux et noble. Cette véritable horlogerie infernale est parfaitement organisée et l’effet est saisissant, la virtuosité individuelle, comme celle de l’ensemble est confondante. Quel mouvement incroyablement inventif !
Le sensuel Adagietto est de toute beauté mais trop sage à notre goût et pas assez nuancé. Ce clair de pleine lune éblouit mais ne touche pas l’âme comme il est possible.
Le final qui reprend tant de thèmes et fuse vers le bonheur est mené d’une main de maître par Kahchun Wong. Sa direction est enthousiasmante, il laisse sonner l’orchestre dans sa majesté et toute sa puissance (quels cuivres !). Il offre une interprétation brillante et joyeuse sans arrières pensées. Le bonheur d’être là et de partager la joie de cette musique est total. C’est à la fin que les applaudissements ont terriblement manqué ; devant tant de splendeur sonore comment ne pas exulter ? C’est peut-être là que le sous-texte anxieux et dépressif de Mahler, absent de l’interprétation ce soir, sur le chemin du retour nous rattrape. Toulouse transformée en ville fantomatique et triste à la nuit tombée….
Le nombre de spectateurs devant leur écran peut consoler un peu de l’absence de public et les progrès de la diffusion sont notables. Le film est vraiment agréable, surtout dans les gros plans des musiciens. N’hésitez pas à le regarder, notre orchestre est en pleine forme et quand nous le retrouverons tous, il sera encore plus resplendissant car la chaleur du public lui manque. Elle lui permettra de reluire encore davantage.
COMPTE-RENDU, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 novembre 2019. Henri Dutilleux (1916-3013) : Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle ; Gustav Holst (1874- 1934) : Les Planètes ; Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Orfeon Donostaria, chef de choeur : José Antonio Sainz-Alfaro ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, Direction. Illustration : Julien-Lafferiere (DR)
Victor Julien-Laferrière est un jeune musicien d’exception dont la carrière a pris un élan incroyable depuis son prix du concours Reine Elisabeth de Belgique en 2017. Une grande tournée de concerts avec Valery Gergiev a été triomphale. Il est un soliste recherché et un chambriste accompli auréolé de succès publics et critiques en compagnie d’Adam Laloum et dans son trio « Des Esprits ». Ce soir dirigé par Tugan Sokhiev, chef attentif et partenaire protecteur, le jeune soliste a été d’une extraordinaire délicatesse dans le Concerto pour violoncelle de Dutilleux. Cette oeuvre dédiée à Mtislav Rostropovich est inspirée d’un poème de Baudelaire. Très intellectuelle, la partition reste distante de l’émotion et de toute forme de passion, recherchant une allure française basée sur l’originalité des sonorité (à la Debussy), tout en réservant une grande place aux percussions. Le violoncelliste doit tenir sa sonorité dans les limites d’une parfaite maitrise de chaque instant. Victor Julien-Laferrière a toutes les qualité pour offrir une interprétation magistrale de ce concerto. La finesse du jeu, rencontre la beauté de la sonorité et la fluidité des lignes. L’Orchestre du Capitole offre une pureté de sonorité et une précision rythmique parfaite. La direction de Tugan Sokhiev est admirable de précision et de finesse. Les grandes difficultés de la partition sont maitrisées par tous afin de proposer une interprétation toute en apparente facilité. Tout va vers le rêve et l’ailleurs comme le suggère le poème de Baudelaire. L’écoute de l’oeuvre en est facilitée et le public fait un triomphe au jeune violoncelliste. Il revient saluer plusieurs fois et propose en bis une délicate allemande d’une suite pour violoncelle de Bach (la troisième). Sonorité soyeuse et legato subtil sont comme un enchantement prolongeant le voyage onirique précédent.
En deuxième partie de concert, Tugan Sokhiev retrouve son orchestre élargi pour un voyage interplanétaire grâce aux Planètes de Holst. Cette oeuvre du compositeur anglais reste le parangon de toute oeuvre symphonique hollywoodienne. Les effets très efficaces de l’orchestration de Gustave Holst font toujours recette chez bien des compositeurs de musiques de films. Tugan Sokhiev prend les rennes avec élégance et ne lâche plus ses musiciens jusqu’à la dernière note. L’orchestre est rutilant ; chaque soliste est prodigieux de splendeur sonore. Ainsi des cuivres bien ordonnés sur deux rangs au fond juste devant les nombreuses percussions sauront-ils nuancer habilement toutes leurs interventions. Le chef les laisse jouer sans vulgarité dans les moments pompiers. Les forte éclatent de santé et de générosité. Nous soulignerons tout particulièrement la beauté du son mais surtout l’élégance du phrasé et la longueur de souffle de Jacques Deleplancques au cor. Mais comment de pas citer le splendide solo du violoncelle de Sarah Iancu ou la flûte de François Laurent, le hautbois de Louis Seguin et la clarinette de David Minetti ?; qui sont les chambristes et solistes accomplis de cette superbe saga galactique.
Tugan Sokhiev joue à plein les différences de chaque partition dédiée à une planète mais garde une unité stylistique magnifique à cet ensemble. Le long silence par lequel il clôt son interprétation a pu paraitre un peu emphatique pour certains spectateurs mais qu’il est bon qu’ un véritable chef charismatique arrive a retarder les applaudissements afin de respecter le silence qui suit la musique et en fait partie quoi qu’en pensent les spectateurs trop zélés a frapper des mains et des pieds parfois en même temps que la dernière note du concert. Ce soir le concert a été placé sous le signe de la plénitude et de la délicatesse. Il n’y a a pas eu besoin d’un bis après tant de splendeur musicale. Là aussi le chef a su résister à cette habitude du « jamais assez » que le public insatiable voudrait prendre.
COMPTE-RENDU, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 novembre 2019. Henri Dutilleux (1916-3013) : Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle ; Gustav Holst (1874- 1934) : Les Planètes ; Victor Julien-Laferrière, violoncelle. Orfeon Donostaria, chef de choeur : José Antonio Sainz-Alfaro ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, Direction. Illustration : Julien-Lafferiere (DR)
COMPTE-RENDU, concert. Festival Piano aux Jacobins. Cloître, le 25 septembre 2019. BEETHOVEN. E. LEONSKAJA.
LA LIONNE-SKAJA FACE À BEETHOVEN EN SON HIMALAYA
Nous avons eu la chance cette année de pouvoir écouter plusieurs grands pianistes capables de se lancer dans une intégrale des sonates de Beethoven au concert, en plus d’admirables versions isolées bien entendu. Mais ce soir ce qui vient à l’esprit de plus d’un, est de savoir comment la grande Elisabeth Leonskaja va s’y prendre pour jouer en un concert les trois dernières sonates de Beethoven. Les banalités fusent dans le milieu du piano classique comme celle de dire qu’à cet Himalaya du piano est dû un respect admiratif qui frise la dévotion.
Disons le tout de go : la Leonskaja se transforme en Lionne-Sakja et ne fait qu’une bouchée de cet Himalaya. Daniel Barenboim a une tout autre attitude lui qui, à la Philharmonie de Paris, nous a régalés dans d’autres sonates par un patient travail sur le style, les couleurs et le toucher exact entre classicisme et romantisme. François Frédéric Guy à La Roque d’Anthéron est tout entier au service du message beethovenien, si humain et émouvant par la lutte qu’il a mené pour vivre en sa dignité de génie mutilé. Elisabeth Leonskaja arrive en majesté sur la scène du Cloitre des Jacobins. Elle demandera au public une concentration extrême en jouant d’affilée les trois dernières sonates sans entracte. Le choc a été atomique. En Lionne affamée elle se jette sur les sonates et avec voracité ose les malmener pour en extraire une musique cosmique. Comme une lionne qui le soir après la chasse, après s’être repue et s’être désaltérée au fleuve, regarde le ciel et tutoie les étoiles dans un geste de défi inouï. La grandeur de la vie avec sa finitude qui exulte face à l’immanence ! De ce combat il n’est pas possible de dire grand chose comme d’habitude ; décrire des mouvements, des thèmes, des détails d’interprétation en terme de nuances, couleurs, touchers, phrasés.… Si une intégrale en disques se fait dans cette condition d’urgence il sera possible d’analyser à loisir. Pour moi ce soir est un défit lancé par la Grande Musicienne au public et à la critique : osez seulement dire quelque chose après ça ! Oui Madame j’ose dire que votre grande carrière est couronnée par cette audace interprétative. Nous avons beaucoup aimé vos concertos de Beethoven avec Tugan Sokhiev les années précédentes et attendons l’intégrale promise en CD. Nous savons que vous enregistrez beaucoup et en même temps pas assez pour vos nombreux admirateurs. Nous avions eu la chance de nous entretenir avec vous et vous nous aviez dit que pour vous la plus grande qualité de l’interprète est de savoir donner sans compter tout au long de sa carrière.
Ce soir vous avez donné sans retenue, sans prudence, sans le garde-fou de la recherche d’exactitude stylistique. Ce concert a été hors normes. Vous avez prouvé une nouvelle fois que Sviatoslav Richter, qui vous a admirée dès vos débuts, avait vu juste. Il savait que vous aviez cette indomptabilité totale tout comme lui.
Le tempo, les nuances, la pâte sonore, la texture harmonique, vous avez tout bousculé, tout agrandi, tout magnifié et Beethoven en sort titanesque et non plus simplement humain. Une musique des sphères, d’au-delà de notre système d’entendement et pourtant jouée par deux mains de femme et composée par les deux mains d’un simple mortel. Ce fût un choc pour le public, un choc salvateur pour sortir d’une écoute élégante, polie et qui endort les angoisses de l’âme. Ce soir, de cette salvatrice bousculade émotionnelle vous pouvez être fière. Vous avez tutoyé le cosmos et nous avons essayé de vous suivre. Bravo Sacrée LIONNE-SKAJA.
Hubert Stoecklin
Compte-rendu concert. Toulouse. 40 ème Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 25 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate pour piano n° 30 en mi majeur, Op.109 ; Sonate pour piano n° 31 en la bémol majeur, Op.110 ; Sonate pour piano n° 32 en ut mineur Op.111 ; Elisabeth Leonskaja, piano.
Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.
Adam Laloum en poète sensible habité par la musique.
Pour ce Quarantième festival de Piano aux Jacobins les grands pianistes se succèdent à un rythme soutenu et même en choisissant avec soin, la splendeur continuellement renouvelée, ( cf. nos quatre chroniques précédentes), semble un miracle de stabilité dans notre monde en folie : une différente sorte d’excellence chaque soir ! De telles soirées aident à supporter les journées ….
Adam Laloum est peut-être parmi ces immenses artistes celui qui se tient à une place à part, celle du cœur. Du moins pour moi ce concert l’aura été. Je connais bien la musicalité fine de ce pianiste depuis bientôt dix ans et je sais comment chaque fois j’en suis émerveillé. Que ce soit en soliste, en chambriste, en concertiste. Le récent festival de Lagrasse le montre en délicat chambriste, son récent concert de concertos de Mozart à la Roque d’Anthéron en a ébloui plus d’un par sa musicalité mozartienne épanouie, (concert à la réécoute sur France Musique). Ce soir dans l’auguste Cloître des Jacobins après tant de somptueux artistes, Adam Laloum a offert un concert parfaitement construit, dans un répertoire qui lui convient à la perfection. Ce concert est frère de celui de Silvacane en 2017, (voir notre compte rendu) entre Beethoven et Schubert. La sonate n° 28 de Beethoven est une grande sonate, une œuvre de la maturité de toute beauté. Le grand final en forme de fugue est une véritable apothéose. Adam Laloum en domine parfaitement toutes les fulgurances en rajoutant une qualité de nuances et de couleurs d’une infinie variété. Le Beethoven de Laloum a toujours la primauté du sens sans rien lâcher sur la forme. Il cisèle chaque phrase et l’enchâsse dans le mouvement puis dans la sonate entière. Cette conscience de la structure sur tous ces niveaux, la lisibilité qu’il apporte au public, sont des qualités bien rares. À présent la pâte sonore d’Adam Laloum a gagné en richesse. La beauté des sons sur tout l’ambitus est proprement incroyable. La rondeur des graves, leur puissance sans aucune violence fait penser à l’orgue. Après cet hommage au véritable père de la Sonate pour piano, la Grande Humoresque de Schumann ouvre un pan entier au romantisme le plus sublime. Le début dans une nuance piano aérienne nous fait entrer dans la magnifique vie imaginaire de Schumann. Le bonheur, la paix puis la fougue, la passion malheureuse.
Pièce rarement jouée en concert, elle met en valeur les extraordinaires qualités d’Adam Laloum. Il en avait déjà offert une belle version au disque mais ce soir l’évolution de l’interprétation est majeure. Capable de nous livrer et la structure quadripartite de l’œuvre et sa fantaisie débridée nécessitant beaucoup d’invention dans le jeu pianistique. Les partis pris du jeune musicien tombent chaque fois à propos avec une beauté à couper le souffle. Un vrai engagement d’interprète et une virtuosité totalement maitrisée rendent l’instant sublime. Mais ce qui va véritablement faire chavirer le public est son interprétation unique de l’avant dernière sonate de Schubert. La D.959 est jouée avec une fougue et une tendresse incroyables. Schubert, qui dans le deuxième mouvement chante le bonheur à porté de main mais qui s’enfuit, trouve dans le jeu d’Adam Laloum une deuxième vie. Les nuances sont subtilement dosées et le cantabile se déploie comme le faisait Montserrat Caballe avec ses phrases de pianissimi sublimes dans Bellini et Donizetti. Car les pianissimi sont d’une couleur suave certes mais surtout d’une plénitude incroyable. Jamais de dureté ou d’acidité. Toujours une onctuosité belcantiste. Ce deuxième mouvement Andantino, l’un des plus beaux de Schubert, avec sa terrible tempête centrale, est un pur moment de magie sous les mains si expertes d’Adam Laloum. Le Scherzo nous entraine dans quelques danses qui deviennent véritablement fougueuses et heureuses à force de tournoyer sur elles même dans des variations que l’on aimerait perpétuelles tant elles sont belles. Le long rondo final n’est que tourbillon de gaieté et d’envie de vivre. Tout coule, avance et les nuances pleinement assumées, les phrasés variés à l’envie en font une vraie musique du bonheur que quelques modulations assombrissent un court instant. Le bonheur de Schubert est aussi vaste que sa mélancolie. Adam Laloum est probablement le plus émouvant interprète de Schubert contemporain. Un vrai compagnon d’âme du Frantz Schubert que ses amis aimaient tant lors des shubertiades.
Dans les rappels du public qui se terminent en standing ovation il revient à Schubert. Un vrai bonheur partagé !
Compte-rendu concert. Toulouse. 40iéme Festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 19 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°28 en la bémol majeur,Op.101 ; Robert Schumann (1810-1856) : Grande Humoresque en si bémol majeur ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°22 en la majeur, D.959 ; Adam Laloum, piano.
Ce coffret Rossini est une fête. Celle de son 150 iéme anniversaire de naissance d’abord mais c’est également l’occasion de retrouver de beaux enregistrements rossiniens au firmament comme de découvrir des titres peu connus à coté du Barbier qui reste son plus grand succès. Nous allons survoler les versions choisies par Warner Classics dans plusieurs catalogues. Précisons d‘abord que le choix de ranger les œuvres chronologiquement est intéressant . Le coffret comprend déjà 50 CD il n’était pas possible d’être exhaustif.
Des œuvres de jeunesse pour commencer
L’Ingano felice est une œuvre de toute première jeunesse. La présence de la jeune Annick Massis est délicieuse elle est très bien entourée et dirigée par Mark Minkowski que nous n’attendions pas si habile dans ce répertoire. Cet opéra en un acte contient déjà tout le génie de Rossini avant que ces « ficelles « ne soient plus visibles, ici tout va vite et avance sans lourdeur. La Scala di seta, en enregistrement live est efficace et a comme mérite de nous faire entendre la capacité du jeune Rossini de s’emparer du moule en trois actes avec une facilité déconcertante. La distribution ne comprend personne de vraiment remarquable et la direction de Gabriele Ferro est un peu lourde. C’est avec Tancredi que Rossini a atteint une notoriété internationale faisant se pâmer Stendhal et il faut écrire que Wagner lui même appréciait cet opéra séria un peu boursouflé mais si séduisant. Le chant rossinien prend un envol jamais atteint et certains airs restent des « tubes » dans les récitals lyriques. L’orchestre gagne en richesse et les finals sont grandioses. La distribution est dominée par une Cecilia Gasdia absolument idéale en Aménaïde. Le Tancredi de Fiorenzza Cossoto est placide et si la voix est immense les nuances et les intentions sont rares. La prise de son est grandiose avec un orchestre énergique et la direction de Gabriele Ferro fait avancer le drame avec efficacité.
Les deux TURQUERIES de Rossini
D’abord le Turc en Italie puis l’ Italienne à Alger sont comme un chassé croisé en miroir. D’abord le Turc débarque en Italie et tombe sous le charme de Fiorilla puis c’est la belle Isabella qui va à Alger et ridiculise Mustapha. C’est dans ces deux ouvrages que l’humour et l’esprit vif de Rossini s’épanouissent le mieux. Maria Callas en une version historique du Turc en Italie donne son rôle comique le plus abouti avec des moyen vocaux somptueux et une voix parfaitement maitrisée, son jeu de couleurs est infini et vocalement tout est d’une rare délicatesse. Elle est entourée d’un Gedda parfait en poète et entre son mari et son Turc le jeux est hilarant. L’enregistrement mono de 1954 a été très agréablement restauré mais reste mat. L’enregistrement de l’Italienne à Alger est une référence. La distribution ne contient que des voix inouïes et tout le monde semble s’amuser dans cette oeuvre à l’humour touchant à une sorte de folie burlesque. Marilyn Horne domine le plateau avec sa voix solide et son tempérament de feu Samuel Ramey est un turc à la vocalitée somptueuse, Ernesto Palacio est un Lindoro à la voix de velours toute de charmes latins, le Taddeo de Domenico Trimarchi est impayable aussi à l’aise vocalement qu’à camper un personnage inoubliable. En Elvira de grand luxe Kathleen Battle avec une voix toute de fraicheur et de fruit sucré donne beaucoup de relief à ce rôle souvent sacrifié mais important. La direction de Claudio Scimone est jubilatoire, ses Solisti Veneti et le choeur sont parfaits.
Le Barbier de Séville est l’opéra le plus connu, il est présenté dans une version interessante et qui est agréable en raison de son énergie communiquée par la direction théâtrale de James Levine. Les solistes sont d’excellents acteurs chanteurs aux voix chevronnées. Seule Sills avec son large vibrato dans le médium et le grave pourra ne pas plaire à tous, mais qui résistera au Basilio de Raimondi, au Comte de Gedda ou au figaro de Milnes ?
La Cenerentola modèle de poésie fine est offert dans la version de Vittorio Gui montée sous les auspices de Glyndebourne. Seule le fait que la prise de son soit mono réduit un intense plaisir théâtral et musical. La distribution est idéale de voix, de technique mais surtout de théâtre et de poésie.
D’autre raretés
Ermione de 1819 nous montre la grandeur de ton dont Rosssini est déjà capable annonçant son Guillaume Tell. La distribution est excellente sous la baguette idéale de Claudio Scimone. CeciliaGasdia est royale de timbre et intense d’engagement. Chris Merritt avec une quinte aiguë héroïque est sensationnel en Oreste et chaque chanteur est impeccable et mériterait d’être cité. Bianca et Falliero nous permet d’admirer Katia Ricciarelli,Chris Merritt et Marylin Horne. Dans Zelmira nous retrouvons la sensationnelle Cecilia Gasdia et un Chris Merritt déchaîné. Dans ces deux derniers opéra napolitains, Rossini est plus habile faiseur que génial inventeur.
Sémiramide pour Venise marque un indéniable renouveau d’écriture et la célébrité de cet opus est bien méritée. La version solide, virtuose et bien dirigée par Alberto Zedda, n’atteint pas l’émotion d’autres versions de studio (Horne et Sutherland) mais la prise sur le vif et les applaudissements nourris font sensation ! Et Les aigus de Grégory Kunde sont très excitants, d’avantage que le chant un peu sage des dames. L’ Assedio di Corinto est en fait une véritable pépite. Sans s’occuper des versions diverses, siège de Corinthe, siège de Granada, Maometto II, cette version-çi contient de véritables merveilles avec en particulier un troisième acte sublime de tout en tout. La magnifique voix de Shirley Verrett dans un ambitus incroyable soutient le drame et avec une énergie farouche fait de Neocle une composition de héros inoubliable. Toute la distribution (Sills et Diaz en particulier) tient son rang au zénith et la direction de Thomas Schippers est drame profond et énergie vive. Avec le Comte Ory en français dans la version de Vittorio Gui nous retrouvons la théâtralité et la folie drôle de sa Cenerentola. La qualité de la direction est enthousiasmante dans les grands ensembles et la distribution est solide. Un petit coté suranné convient pas si mal à cette histoire sinon démodée du moins improbable. La version de Guillaume Tell choisie est historique avec Caballe, Gedda et Bacquier ayant chacun marqué leur rôle. La direction efficace de Lamberto Gardelli sans finesse stylistique nous entraine vite et loin dans cette partition fleuve sans lendemain.
Coté musique religieuse de beaux moments
Le Stabat Mater est de grande classe avec une distribution de braise : Anna Netrebko, Joyce Di Donato, Lawrence Brownlee et Ildebrando D’Arcangelo, le chœur et l’orchestre de l’Académie Santa Cecila de Rome d’une ductilité totale sous la direction pleine d’esprit et aux phrasés subtiles d’Antonio Pappano. La « Petite messe » par le même chef est également parfaite. De même que la Messa di Gloria.
Et pour finir des RÉCITALS
Pour terminer le coffret en beauté ce sont de nombreux récitals qui nous sont offerts. Car Rossini c’est le culte des voix belles et aux possibilités poussées à dépasser toutes normes. Ainsi Joyce Di Donato, Marilyn Horne, Rockwell Black ( quatre CD) , Nicolas Ghiuselev et tant d’autres font étal de leurs voix incroyables et de leur technique hors du commun. Si un seul récital doit être retenu comme consubstentiel du génie de Rossini je crois que Joyce Di Donato dans son hommage à Colbran la muse de Rossini, est inoubliable. La voix est somptueuse le drame de chaque mot irradie d’intelligence, mais surtout des phrasés souples comme un félin et une précision de vocalises d’horlogerie suisse sont un sommet inégalé. Puis quelques pièces instrumentales et des pêchers de vieillesse complètent un portrait varié sans rien ajouter au génie de Rossini.
Voici un grand et beau coffret qui met bien en valeur les voix rossiniennes et tout un pan du répertoire du cygne de Pesaro, certes non exhaustif, mais tout à fait significatif et pour un prix très attractif. Hubert Stoecklin
Coffret de 50 CD Warner Classics : 190295611156. Compilation de 2018. Stéréo principalement. Durée totale 53h20m.
Compte rendu CD. Requiem The Pity of war. Mélodies de George Butterwort (1885-1916) ; Rudi Stephan (1887-1915) ; Kurt Weil (1900-1950) ; Gustav Mahler ( 1860-1911) ; IAN BOSTRIDGE, ténor; ANTONIO PAPPANO, piano. 1 CD Warner Classics 1 9029566156 4. Stéréo DDD. Durée : 58’24’’. Enregistré du 25 au 28/2/2018, Church of St.John-on-the- hill, Hamstead Garden Suburb, London.
Chacun le sait, les commémorations du centenaire de l’Armistice de 14-18 n’ont pas été à la hauteur de la condamnation franche et sans appel des horreurs de la guerre due à l’humanité bafouée.
Deux artistes me semblent avec leurs armes aller vers cette condamnation sans appel attendue. En écoutant ce CD, dont l’intelligence du titre m’a interpellé, j’ai été pris par une forte émotion et l’impression qu’enfin ce qu’il faut percevoir des effets dévastateurs de la guerre peuvent être ressentis par des femmes et des hommes qui ont la chance de ne pas avoir connu directement de telles abominations.
Les deux artistes sont de fins musiciens et des grands virtuoses. La voix de Ian Bostridge reste lumineuse et haute, capable à présent de graves soutenus. Son art du dire reste un exemple indépassable et son art du chant tient du sublime, avec des nuances et des couleurs incroyablement variées. Le piano d’Antonio Pappano est orchestral, riche et mouvant, plein de vie. L’entente entre les deux artistes est parfaite. Le court texte qui accompagne l’enregistrement est de Ian Bostridge, sans lourdeur et avec précision il situe poètes et musiciens choisis dans leur rapport à la guerre.
La construction du programme et d’une force sidérante. Les 6 mélodies de George Butterwort en apparence simples ont une richesse harmonique préparant la modernité tout en respectant des mélodies très pures. Les thèmes de nature et de rapport au temps et à la mort, préparent notre réflexion et aiguisent nos émotions.
Puis en complète opposition les 6 mélodies de Rudi Stephan sur des textes subtilement érotiques de la poétesse Gerda von Robertus donnent la parole à Eros, seul capable de lutter contre Thanatos.
Ensuite des mélodies de Kurt Weill attaquent au coeur et touchent l’âme en ménageant mélodie et harmonie dans le chant et offrant la fureur du piano qui gronde, pleure, crie. La puissance des textes de Walt Whitman est inouïe en sa simplicité. Les deux artistes, d’un seul mouvement artistique et théâtral fondu, nous confrontent à la force de la mort, sa bêtise et son obscénité, surtout lorsqu’elle est organisée par les humains pour leurs semblables. Difficile de rester de marbre devant les effets de la mort pour les survivants, comme de ne pas partager l’immense pitié pour les mourants conscients du gâchis de leur vie. La mort du Capitaine, celle du père et du fils ou du fils unique puis de la mère. Voilà qui touche au coeur de notre humanité et pose la seule question. Qu’est-ce qui peut pousser des Hommes à accepter cela ?
Les trois mélodies de Mahler sont plus connues extraites des Knaben Wuderhorn. Elles enfoncent le clou. L’interprétation de Ian Bostridge et Antonio Pappano est sensationnelle de puissance et de fragilité mêlées. La voix peut aller jusqu’au cri, le piano peut tempêter. Mais les pleurs se trouvent dans la voix comme le piano et la dérision mahlerienne sourde à chaque instant comme rarement. Le texte mieux que ciselé par le ténor, est comme aiguisé pour mieux blesser.
Voici un magnifique enregistrement, plein de beauté et d’intelligence, de musique et de théâtre.
La prise de son au plus près des inflexions du chanteur et de la profondeur du piano fait merveille. Le livret bien construit offre une traduction intelligente des poèmes anglais et allemands en français. Un très beau travail éditorial rend ainsi justice à la qualité artistique et philosophique du propos.
Un Requiem pour la pitié de la guerre… si seulement Mars pouvait être enterré un jour pour de bon …..
Compte-rendu Coffret de CD. Sergiu
CELIBIDACHE (1912-1996) : The Munich Years. Enregistrements Live de 1979
à 1996 sauf CD 49 de 1948.Enregistrements Stéréo sauf CD 49. Coffret
Warner Classics 019029558154.Compilation de 2018. Münchner
Philharmoniker, solistes nombreux; Sergiu Celibidache, direction.
CELIBIDACHE le musicien philosophe irremplaçable !
Ce coffret est un véritable événement pour plusieurs raisons.
Le chef roumain Sergiu Celibidache est rarissime au disque. De son fait principalement car il a toujours refusé d’enregistrer alors que les majors vivaient leur époque la plus florissante. En effet seule la musique en concert l’intéressait. Pour lui la musique n’existait que dans l’instant de sa création, en fonction du lieu, des musiciens et du public présent. Heureusement après une période nomade des plus riches mais sans témoignages enregistrés officiellement, en dehors des concerts radiodiffusés, il a su s’attacher à l’orchestre Philharmonique de Munich : le Münchner Philharmoniker. En collaboration avec la Radio bavaroise tous les concerts , ou presque, ont été enregistrés de 1979 à 1996. Sage philosophe pratiquant le Zen, le respect était au centre de l’éthique du chef. Ainsi durant les 17 ans de leur collaboration l’humanité de leurs échanges et la rigueur du travail toujours approfondi et les longes répétitions partagées ont offert au public munichois des concerts inoubliables. Le legg a été validé par les héritiers et ce coffret très soigneusement organisé et présenté avec soin est ainsi offert à la postérité.
Au travers du parcours d’écoute de ce fascinant coffret, au delà de la caricature des tempi lents, une sorte d’évidence s’impose. Il y a quelque chose d’organique, voir d’océanique dans la direction de Celibidache. Très régulièrement des vagues se lèvent du fond de l’orchestre et toujours respirent amplement. La relative lenteur permet une écoute comme libérée d’une urgence hystérique qu’une certaine tradition héritée de Karajan a valorisé. Ici c’est la direction de la musique, le parcours qu’elle prend, l’endroit ou elle va, qui guident notre oreille, avec des phrasés amples et généreux et ainsi nait une écoute renouvelée. Mais l’humour n’est pas absent, ainsi l’ouverture de la Chauve Souris pour nous en persuader, avec son basson goguenard… et son rubato…
Une autre constance est la perfection des sonorités et des nuances qu’il obtient de son orchestre. Le Münchner Philharmoniker était déjà merveilleux lorsqu’il en a pris la tête mais qui il ne va cesser de progresser au point de devenir l’un des tous meilleurs du monde. Mais sans cette sorte de couleur ripolinée des grands orchestres enregistrés, ou ces nuances gonflées par les techniciens. Tous les concerts enregistrés ici sont fascinants, parfois inoubliables, nous en détaillerons certains. Le naturel qui diffuse à l’écoute est très particulier. La respiration de la direction rencontre l’air libre de la prise de son. Le répertoire est centré par la musique symphonique germanique, car c’est l’ ici et maintenant du chef munichois. Tout Bruckner mais également tous les extraits symphoniques de Wagner avec un sens du phrasé, des nuances et des silences absolument prodigieux. De son passage à l’Orchestre National de France il reste Ravel, Debussy, Roussel et Milhaud dans des interprétations incroyablement belles. Les compositeurs Russes sont aussi explorés avec bonheur. Ainsi Tchaïkovski avec émotion, fermeté et sans pathos excessif, Chostakovitch moderne et hyper coloré. Mais le cœur du corpus est donc germanique avec une admiration au père fondateur Beethoven. Ce sont les symphonies de Bruckner qui sont la spécialité de Celibidache là ou sa musicalité et sa philosophie se rencontrent au point d’offrir des interprétations quasi hypnotiques. Emi avait déjà diffusé certaines symphonies. Elle sont toutes dans ce coffret sauf les deux premières. Avec la 3 ème Messe de Bruckner et son Te Deum nous tenons là, la première raison qui fait de ce coffret un absolu. Impossible de ne pas écouter ces concerts historiques avec reconnaissance. Mais d’autres moments inoubliables nous attendent.
Les classiques Mozart et Haydn sont interprétés avec un grand sérieux et une pondération mettant particulièrement en lumière la perfection formelle. Beethoven est magnifié rythmiquement et nuancé avec art. Nous préférons les 3,5,6 et 9. Les trois Symphonies de Schumann sont admirables. Brahms avec majesté et une splendeur formelle est phrasé avec magnificence. Schubert est aussi splendidement romantique. Le Scheherazade de Rimsky-Korsakov donne toute ses lettres de noblesses et un final cosmique inouï à une partition trop souvent galvaudée dans ses effets faciles. Le répertoire choral est abordé avec respect et majesté. Si la Messe en si de Bach est discutable son credo nous entraine entre terre et cosmos et il ne peut laisser indifférent. Le Requiem de Verdi est fascinant par certains partis pris, le Requiem de Mozart surnaturel, avec des découvertes dans l’orchestration tout à fait prodigieuses, mais c’est le Requiem de Brahms qui atteint des sommets avec une Margaret Price idéale. Le Requiem de Fauré convainc par une inhabituelle grandeur et aucune autre soprano que Margaret Price ne pouvait habiter jusqu’au fond les immenses phrases du tempo large du Pie Jesu. Son souffle immense, la richesse de son timbre et les nuances incroyables font de ce moment soliste du Requiem de Faure un des moments de grâce absolue de la musique. Il n’est pas possible de détailler d’avantage un tel coffret, je pense que les amateurs de musique seront sensibles à cette vision si noble du chef Roumain, qui au delà des modes a su diffuser sa pensée musicale à des sommets géniaux qui sont très nombreux dans ce magnifique coffret.
La prise de son est très naturelle, une très belle stéréo aérée. Le public, un peu enrhumé parfois, est très chaleureux dans les applaudissements laissés comme pour rappeler que ce sont avant tout des concerts et non des enregistrements. Celi,c’est le surnom donné au chef par certains musiciens et ses intimes, reste présent avec sa spiritualité profonde pour l’éternité grâce à ce coffret dont la dimension historique est incontestable et fascinante. Enfin un large public pourra apprécier tout ce que ce chef si singulier a apporté à la musique en concert.
Compte-rendu concert.Toulouse. La Halle-aux-Grains,les 19 et 20 décembre 2018. John Williams (né en 1932) et Michael Giacchino (né en 1967): STAR WARS musique de la Saga de Georges Lucas. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.
Avec Tugan Sokhiev le public décolle dans l’univers de Star Wars
Deux concerts événements à Toulouse probablement uniques en France car entièrement consacré à la musique de Star Wars. John Williams est un immense compositeur dont la science et le génie dépassent la seule musique de film. La qualité des partitions écrites pour Star Wars lui a valu l’admiration du monde entier et une célébrité intergalactique.
Le jeune Michael Giacchino a emboité les pas de son ainé avec admiration et respect de son style mais pas avec le même génie mélodique ou rythmique dans Rogue One. Les concerts ont donc été entièrement consacrés à la musique de Star Wars en passant par tous les opus ou presque. Il manquait en tout cas le 3 qui réclame très souvent des chœurs. Et ce sera ma demande devant le succès inouï et l’excellence du résultat. Que le prochain concert SW soit bientôt fait avec le chœur du Capitole. Car les partitions de John Williams avec chœur, très spectaculaires dans l’épisode 3, sont toutes également très belles. Le succès a été gigantesque, 2 concerts hors abonnement à guichets fermés, dans la salle des générations mêlées, des petits enfant aux grands parents quatre générations de fans de Star Wars se sont régalés. Le public de la Halle-aux-grains a été rajeuni de 40 ans avec un grand nombre d’enfants tous attentifs parfois bouche bée. Et oui ce public nouveau pour l’orchestre est son avenir. Il ne sera pas possible à ce nouveau public d’oublier l’excellence de l’orchestre du Capitole et la passion avec laquelle ils l’ont jouée sous la direction miraculeuse de Tugan Sokhiev. La musique de John Williams encore plus émouvante et plus belle que dans les enregistrements enregistrés sous la baguette du compositeur.
Pour en savoir d’avantage sur ces deux concerts l’émission d’Eric Duprix à la minute 27’20 » de son émission Mélomanie op.57 reviens sur eux, et j’y étais !<figure><iframe src= »https://www.radiopresence.com/embed-article49667.html » width= »100% » height= »330″></iframe></figure>
COMPTE RENDU, concert. TOULOUSE, le 8 déc 2018. Lopez. Korngold. Stravinski. Akiko Suwanai. Orch Nat du Capitole / K Mäkelä.
COMPTE RENDU, concert. TOULOUSE, le 8 déc 2018. Lopez. Korngold. Stravinski. Akiko Suwanai. Orch Nat du Capitole / K Mäkelä.
Parmi les chefs invités par l’Orchestre du Capitole, il y en a de
toutes sortes. Ce n’est pas fréquent qu’un chef aussi jeune, 23 ans ,
fasse une impression aussi consensuelle et évidente sur d’autres
qualités que la jeunesse. Le très jeune chef finlandais Klaus Mäkelä est
déjà un très grand chef. Il est nommé à Oslo l’année prochaine, hélas
pour le reste du monde car il sera très pris et a dû renoncer à des
engagements (dont deux concerts à Toulouse prévus la saison prochaine).
Les génies de la baguette sont rares et les plus audacieux ont su se
l’attacher. Qu’apporte ce chef de si génial ? Une autorité bienveillante
et naturelle, des gestes très clairs et dont la souplesse révèle une
belle musicalité. Cet artiste est également un violoncelliste de grand
talent ! La précision de la mise en place, la clarté des plans sont
sidérantes.
Klaus Mäkelä, jeune maestro superlatif
Le génie n’attend pas le nombre des années
Il encourage l’orchestre et ne le bride
pas. Il faut dire que l’Orchestre du Capitole atteint un niveau
d’excellence qui permet à un chef musicien d’atteindre de suite des
sommets.
La première pièce du concert est une nouveauté pour le public comme pour l’orchestre, une pièce en forme de poème symphonique de Jimmy Lopez.
La difficulté est comme un jeu entre le chef et l’orchestre qui dans
une véritable flamboyance de chaque instant nous régale. Pourtant le
propos du compositeur est polémique car il parle de l’esclavage qui a
conduit les victimes à inventer des instruments et un style musical avec
les moyens du bord. L’homme est incroyablement créatif dans l’adversité
et la souffrance. Ainsi en fine suggestion plusieurs instruments à
percussion ont intégré ceux d’un grand orchestre symphonique gagnant
ainsi leurs titres de noblesse. La mâchoire d’âne étant la plus
singulière et la plus emblématique de ce génie humain dans le malheur.
Magnifique œuvre mettant donc en valeur tous les pupitres de l’orchestre
et la technique impeccable des musiciens et du chef. Les rythmes
populaires intégrés permettant rubato et swing à l’envie.
Soliste
invitée, la violoniste Akiko Suwanai, toute d’élégance féminine
bleutée en une robe de ciel étoilé, a auréolé la salle de son charme.
Le violon dont elle joue a appartenu à un prince, un poète du violon,
Jascha Heifetz. Elle retrouve les qualités esthétiques faites de pureté
de son, de grain noble du timbre et d’un exquis moelleux des lignes,
comme le maestro et ce fameux « Dolphin » de 1714. L’interprétation du Concerto pour violon de Korngold
est lumineuse, planante et délicatement phrasée. Tout coule et rien ne
fait aspérité. Peut être un léger manque de contraste et d’émotion
peuvent diminuer l’intense plaisir hédoniste que le jeu de la violoniste
offre au public. En bis, la violoniste offre avec une déconcertante
facilité, le final de la Sonate pour violon seul d’Ysaÿ mêlant Bach et
le Dies Irae.
Après l’entracte, le chef dirige avec un réel plaisir communicatif la pièce de Stravinski qu’il préfère, Petrouchka.
Il faut reconnaître que son interprétation est marquée par une
confiance absolue et une solidité remarquable. Rien ne vient ternir une
énergie invincible. L’orchestre du Capitole répond comme un seul à cette
direction précise et le résultat est particulièrement lumineux et même
éclatant. Chaque instrumentiste est parfait. Il manque juste un peu de
farce et d’humour à ce ballet facétieux et même mélancolique en second
degré. Pour l’heure, le chef finlandais est tout à son admiration pour
cette partition exubérante, haute en couleurs, et pour les qualités de
l’orchestre du Capitole très à l’aise dans ce répertoire.
Avec le temps viendront le sens du théâtre et le burlesque que Stravinski a mis dans sa partition qui à l’origine est un ballet.
Un très beau concert qui révèle les
qualités d’un véritable génie de la baguette et la confirmation de
l’exceptionnelle virtuosité de la violoniste nippone. De son côté, notre
Orchestre du Capitole poursuit son excellence comme partenaire
idéal des plus grands musiciens.
Le jeune maestro travaille avec le Turku Music Festival, le Tapiola Sinfonietta. Il est chef principal invité du Swedish Radio Symphony Orchestra, et deviendra à partir de la saison 2020 / 2021 (dès septembre 2020) : directeur musical du Philharmonique d’Oslo / Chief Conductor & Artistic Advisor: Oslo Philharmonic Orchestra – une personnalité désormais à suivre, héritier d’une déjà riche tradition de chef finnois. En particulier dans le cycle des symphonies de son compatriote Sibelius, immense génie symphoniste encore trop peu joué…
Le dernier CD de David Fray est peut être son meilleur et certainement mon préféré !
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto pour quatre pianos en la
mineur BWV1065 ; Concerto pour trois pianos en ré mineur BWV 1063 ;
Concerto pour deux pianos en ut mineur BWV 1062 ; Concerto pour deux
pianos en ut majeur BWV 1061 ; Concerto pour deux pianos en ut mineur
BBV 1060 ; David Fray, Jacques Rouvier (BWV 1065,1063,1061) ; Emmanuel
Christien (BWV 1065,1063,1060) ; Audray Vigouroux (BWV 1065,1062) :
piano ; Cordes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. David
Fray, direction.
Enregistré durant l’été 2018 ce CD garde de cette saison la chaleur
et la lumière. La beauté de la Chapelle des Carmélites aux plafonds
peints resplendissants ont inspiré certainement nos artistes durant
l’enregistrement. Car l’Italie est présente dans ce premier concerto
pour quatre claviers adapté par Bach avec un génie merveilleux d’un
concerto de Vivaldi pour quatre violons. Les pianos sonnent avec
énergie, alacrité et un esprit de danse communicatif. La souplesse des
cordes, leur allant et leur précision font merveille. C’est l’énergie de
David Fray qui a fédéré ce projet de l’amitié et de la filiation. Nous
savons l’admiration réciproque entre le maitre et l’élève. David Fray a
gravé avec Jacques Rouvier un très bel enregistrement de la fantaisie de
Schubert à quatre mains avec son maitre et professeur d’autrefois. Il
avance plus loin dans son hommage à son maitre et à ce temps
d’apprentissage si fécond au Conservatoire en invitant deux collègues et
amis : Audray Vigouroux et Emmanuel Christien.
Certes chaque artiste a son jeu, ses qualités intrinsèques et sa
personnalité artistique mais un petit quelque chose fait lien entre eux.
Oui la fine musicalité de Jacques Rouvier, une certaine tenue et une
agréable élégance dans leurs jeux ainsi qu’un certain rapport plein de
respect à leur instrument sont perceptibles. Il se partagent ensuite les
autres concertos à 3 ou 2 pianos avec la même joie communicative et un
toucher franc, clair et souple, des nuances délicates et des phrasés
dansants. Les cordes de l’Orchestre du Capitole avec Daniel Rossignol en
premier violon sont de parfaits chambristes. Précision et élégance sont
au rendez vous. Ces œuvres sont jubilatoires et les mouvements lents
sont des moments de suspension d’une plénitude réconfortante.
Ces mêmes concertos ont été donnés en concert à la Halle-aux-Grains
le 23 novembre 2018. Le succès remporté est grand et le même sentiment
de bonheur se diffuse à la salle entière. Et quel spectacle que ces
superbes Steinway en scène !
Les pianistes sont pleins de charme. Le jeu noble de Jacques Rouvier
atteint une belle plénitude. Encore plus élégante de geste et ronde de
son, Audray Vigouroux est une merveilleuse musicienne. Emmanuel
Christien semble déguster particulièrement les échanges chambristes et
bien évidemment le jeu de David Fray est brillant et emporte l’adhésion.
Ses gestes de direction sont rares, il joue dans tous les concertos, ce
sont plus des relances qu’une véritable direction car il est évident
que les cordes et les pianistes savent prendre une direction commune,
celle de la musique souple et dansée au soleil de la joie.
Ce concert donné le 23 novembre au profit de la recherche pour le cancer en partenariat avec les Rotary Clubs de Midi-Pyrénées
a été un moment de partage et de joie dans un monde inquiet. Mais les
espoirs dans la recherche sont associés pleinement à cette joie
musicale. Les deux se construisant sur l’excellence et un travail
acharné.
Ce CD mérite une large diffusion pour tout le bien que son écoute procure.