A Salon des musiciens au sommet

XXVIII iéme édition du Festival de SALON DE PROVENCE. Lundi 3 Août 2020. Salon de Provence, Château de l’EMPERI. Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Sonate pour deux pianos en ré majeur KV 448/375a ; Frantz SCHUBERT (1797-1828) : Fantaisie pour quatre mains en fa mineur ; Bohuslav MARTINU (1890-1959) : Quatuor H.139 ; Ralph Vaughan WILLIAMS ( 1872-1958) : Quintette fantaisie ; Nino Rota (1911-1979) : Piccola Offerta Musicale ; Albert GUINOVART (né en 1962) : Les Aventures de monsieur Jules Vernes ; Natalia Lomeiko et Daishin Kashimoto, violon ; Joachim Riquelme Garcia et Yuri Zhislin, alto ; Claudio Bohorquez et Aurélien Pascal, violoncelle ; Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Emmanuel Curt, caisse claire ; Éric Lesage, Marie-Josèphe Jude et Albert Guinovart, piano.

Hommage à Maria Curcio

Les grands artistes ne cachent pas ce qu’ils doivent à de grands maitres. Leur rendre hommage est un acte à la fois de fierté et de modestie. Avoir été accompagné par Maria Curcio n’est pas donné à tout le monde et rester humble par rapport à cette grande musicienne permet à son tour de donner à la génération suivante quelque chose de cet héritage. Ce quelque chose d’unique serait la détermination et de ne rien lâcher sur la recherche de beauté. Ce sont peut-être les qualités premières qu’elle a transmises. Son maitre à elle dès l’enfance a été l’immense Arthur Schnabel et parmi ses élèves Radu Lupu est le plus inclassable génie. Nos trois pianistes de ce soir ont également été ses élèves et savent ce qu’ils lui doivent en organisant ce très bel hommage.

Nous avons donc pu nous délecter de duos de piano sublimes pour débuter ce programme.

Marie-Josèphe Jude et Éric Lesage dans la somptueuse sonate pour deux pianos de Mozart ont phrasé admirablement, dans une délicatesse de toucher ravissante. La douceur de Marie-Josèphe Jude a été contagieuse et le jeu des deux pianistes c’est complètement harmonisé.

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Puis Éric Lesage et Albert Guinovart à quatre mains se sont lancés dans la Fantaisie en fa mineur de Schubert. Rien que ces deux œuvres ouvrent les portes de la félicité. D’ailleurs le CD qui reprend ce Mozart à deux pianos et ce Schubert à quatre mains avec Radu Lupu et Murray Perahia est un de mes disques de chevet. Toute interprétation met en lumière un aspect de cette sublime fantaisie. Éric Lesage et Albert Guinovart ont choisi la douceur et l’élégance. Plus de caractère me convainc d’avantage, mais les deux pianistes ont su préserver à chaque moment une beauté de son et une délicatesse des plus rares.

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Le quatuor de Martinu qui rassemble clarinette, violoncelle, cor et caisse claire change complètement l’ambiance. Ce ne sont pas seulement les siècles mais tout une vision qui sépare ces mondes musicaux. La beauté des pianos reste dans nos oreilles quand la caisse claire fait un effet à la fois vaguement inquiétant et grotesque. Rapidement la virtuosité impressionne ainsi que la charge émotionnelle violente que dégage cette partition. Même l’andante est porteur de peur sans apporter de vrai répit. Le final devient presque féroce. Les musiciens très engagés ont offert une interprétation saisissante. Le fort mistral, qui ce soir ne décolérait pas, a ajouté comme de l’inquiétude à cette musique si particulière.

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Le Quintette fantaisie de Ralph Vaughan Williams avec deux altos est une page pleine de profondeur parfois douloureuse. L’alto avec sa voix chaude le débute et aura encore de beaux moments mais c’est le premier violon qui plane haut et atteint au sublime. Il faut reconnaitre bien des qualités rares à la violoniste russe.  Natalia Lomeiko a un son très élégant, d’une grande beauté. Les aigus dans un pianissimo riche et chaud sont particulièrement émouvants. Et son tempérament de feu donne beaucoup d’énergie autours d’elle. Cette fantaisie est habilement construite et la variété des ambiances, la répartition des instruments, le choix de faire taire le violoncelle puis de lui donner des phrases en solo, cet ensemble subtilement agencé, créée une œuvre qui passe sans notion de temps. Nous avons été emportés dans un voyage sans repères. Un beau moment suspendu.

La délicate Piccola  Offerta Musicale de Nino Rota en forme d’hommage à son professeur nous permet de retrouver la flûte magique d’Emmanuel Pahud et son extraordinaire partage avec ses camarades souffleurs. L’esprit est partout, dans chaque note, chaque respiration. Un véritable délice, une sorte de bonbon délicatement acidulé.

Pour finir le concert le pianiste-compositeur catalan Albert Guinovart revient et avec un ensemble de vents et tous interprètent trois extraits de sa composition « Les Aventures de Monsieur Jules vernes ». Cette orchestration pour le Festival met en valeur chacun mais le piano se taille la part du lion. Cette musique est vive, facile, évocatrice elle plait beaucoup au public qui pour la première fois cette année demande et obtient un bis. Ça y est le public ose redevenir exubérant. Il a fallu toutes ces magnifiques énergies musicales, toute cette générosité des instrumentistes pour retrouver l’exubérance de la joie de la musique partagée. Longue vie au festival de salon !

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Hubert Stoecklin