Musicales Franco-Russe : un final en apothéose !

Compte rendu concert. Toulouse.  Musicales Franco-Russes. Halle-aux-Grains, le premier avril 2021. Olivier Messiaen (1908-1992) : Les Offrandes oubliées, méditation symphonique pour orchestre ; Franz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en mi bémol majeur S.124 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°5 en mi mineur op.64 ; Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.

Tugan Sokhiev

Avec une diffusion en direct sur France musique et sur MediciTV on ne pouvait rêver plus grandes marques de reconnaissance pour ce dernier concert des Musicales Franco Russes. Il faut dire que la détermination de Tugan Sokhiev et de l’équipe municipale a de quoi forcer la plus grande admiration. Dans ce contexte si néfaste pour la culture la tenue de cette manifestation est un prodigieux exploit !

Nous avons rendu compte de deux concerts et plus rapidement de l’académie d’orchestre. Être présent à ce concert c’est pouvoir témoigner de l’alchimie naturelle et évidente entre le chef et son orchestre. Ce qui se passe est incroyable et même un concert confiné (pour les seules cameras et micros) leur permet de se retrouver avec chaleur.  Ce concert de clôture des Franco Russes est une véritable merveille de musicalité au sommet.  Le son de l’orchestre dans la Halle-aux-Grains vide, avec les musiciens étalés permet une ampleur sonore alliée à la plus grande précision, toutes deux proches de l’idéal. Je ne sais si la superbe prise de son rend vraiment l’effet dans la salle. En tous cas nous tenons un grand enregistrement et une captation visuelle de superbe allure. Le travail de Medici est à la hauteur de la qualité musicale, un sommet assurément !

 C’est avec beaucoup de respect et de retenue, une mise en place impeccable et un bel équilibre que Tugan Sokhiev dirige la courte partition de Messiaen. Proche de ses maitres le jeune compositeur de 22 ans écrit une partition encore tonale, pleine de couleurs pastel très françaises et déjà emprunte de la grande foi religieuse et la mystique qui le caractériseront toute sa vie.  La fin lumineuse, avec des cordes surnaturelles est magnifique et très apaisante ainsi amenée.

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Le pianiste toulousain Bertrand Chamayou est un partenaire régulier de l’Orchestre du Capitole. Sa carrière internationale brimée par la situation sanitaire nous permet de le retrouver ce soir. L’entente avec Tugan Sokhiev est admirable. Leur interprétation de ce premier concerto de Liszt est à marquer d’une pierre blanche. Le pianiste toujours parfait techniquement est ce soir particulièrement inspiré et finira comme en transe. Ce supplément d’engagement à la limite de la folie donne une tension à son jeu qui décuple l’entente musicale avec le chef et l’orchestre. Les solistes de l’orchestre dans le même engagement visionnaire permettent des moments de musique de chambre fusionnels. La beauté plastique du son, la précision rythmique (le triangle !) et l’ampleur des nuances donnent un relief très impressionnant à cet partition hybride. Le coté improvisé et comme composé sur le moment est tout à fait fascinant. Tant de musicalité et virtuosité associées ! Il y avait quelque chose de magique dans cette interprétation en parfaite osmose. La captation sur Medici en permet la compréhension avec des échanges de regards éloquants. Les applaudissements enthousiastes de l’orchestre sont à la hauteur des regards admiratifs du chef et du bonheur affiché du pianiste. Je gage que chacun se remémora ce concerto comme un sommet particulier dans sa carrière. Un Grand Moment capté pour l’éternité.

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P.NIN

Mais le plus incroyable reste à venir avec la cinquième symphonie de Tchaïkovski.

Ce n’est pas un mystère Tugan Sokhiev adore la musique de Tchaïkovski et la dirige magnifiquement. Nous avons eu la chance de l’entendre dans de nombreux opéras et sa musique symphonique. Un enregistrement de cette même symphonie a été réalisé pour Naïve en 2011. Enregistrement tout à fait estimable et que j’ai réécouté avant le concert. Le choc de cette interprétation a été grand. Comment ne pas penser qu’en dix ans il y a passage d’une belle interprétation à une interprétation géniale. La maturité de Tugan Sokhiev est manifeste et celle de l’orchestre également. Je pense que la fréquentation des opéras de Tchaïkovski qui a opéré cette évolution magnifique. Il m’a semblé que Tugan Sokhiev donnait quelque chose d’organique à son interprétation quelque chose de vivant, fulgurant qui avance avec une évidence sidérante. Pas une note en trop, par une répétition qui ne soit indispensable. L’équilibre constamment trouvé jamais perdu et toujours nouveau. La partition si émouvante trouve dans une perfection formelle de chaque instant un poids émotionnel inoubliable.  Ce qui semble plus incroyable est une manière subtile de construire les phrasés comme une véritable confession. Dans le deuxième mouvement si mélancolique les cordes sont dirigées comme des voix humaines avec des nuances incroyables. Tugan Sokhiev laisse sa baguette et de sa main droite semble malaxer le son comme un magicien. Le cor solo auquel il laisse beaucoup de liberté, dégage une émotion terrassante. La valse triste du troisième mouvement détrône celle de Sibelius avec une élégance suprême. Mais c’est peut-être la construction si parfaite du final, son équilibre émotionnel et technique fusionné qui atteint des sommets de musicalité. C’est également dans ce mouvement que l’entente entre les musiciens et le chef est surnaturelle. Mêlant plaisir et admiration réciproques c’est une liaison d’amour qui s’exprime. Les progrès de l’orchestre ne sont pas en reste. Je ne sais pas comment cela s’est déroulé mais je suis certain que les cordes ont fait un travail considérable pour arriver à ce niveau de présence et d’émotions bouleversantes.

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P.NIN

Tant en délicatesse dans le deuxième mouvement qu’en puissance dans les terribles fusées du final. Les violons n’ont plus rien à envier à d’autres orchestres. Déjà les bois étaient superlatifs à Toulouse. Jacques Deleplanque au cor solo, un modèle dans le début du deuxième mouvement, est tellement plus émouvant ce soir. Les violons ce soir se sont surpassés. Il semble s’être passé quelque chose de déterminant. Est-ce l’acoustique modifiée évoquée plus haut ? Pas seulement, et j’ai vraiment hâte de retrouver l’orchestre en concert « pour de Vrai ». La qualité de cette interprétation semble ouvrir un nouvel espace avec davantage d’originalité comme par exemple le chant au cor si mélancolique de Jacques Deleplanque. Il est probable que ce soit cette confiance et cette admiration mutuelles qui scellent la belle harmonie entre le chef et son orchestre. Il manque seulement le public, le troisième élément de ce cercle vertueux.  Aussi est-ce avec joie que j’ai appris que Tugan Sokhiev, sur le départ, avait décidé de rester un an de plus à Toulouse. Il aurait été vraiment dommage de laisser le public sur sa faim. Ne doutons pas un instant que la prochaine saison verra une fréquentation du public décuplée.

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Concert final des Musicales Franco-Russes qui atteint un véritable sommet. Ne boudez pas votre plaisir il est possible d’en avoir quelque chose dans une excellente prise de son et une mise en image merveilleuse qui permet de voir l’engagement et la beauté des musiciens (même masqués) et la direction chorégraphique d’un Tugan Sokhiev en état de grâce. Sans oublier un Bertrand Chamayou particulièrement inspiré dans une version fulgurante du premier concerto de Liszt…

Hubert Stoecklin

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