Très émouvant hommage à NICHOLAS ANGELICH

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Récital en hommage à NICHOLAS ANGELICH. Gabriele CARCANO. Violaine DEVEBER. Jean-Baptiste FONLUPT. François-Frédéric GUY. Etsuko HIROSE. Marie-Ange NGNUCI. Bruno RIGUTTO.

Le concert des amis de Nicholas      

                            

Soirée très particulière marquée par une émotion forte autant sur scène que dans le public. En tant que témoin critique j’ai fait partie des plus émus. Je ne souhaite donc par rédiger une critique habituelle. Ce soir ce terme est tout à fait inconvenant. Je veux simplement témoigner de ce qui s’est passé sur scène ce soir. Nicholas Angelich est mort le 18 avril 2022 à 51 ans. L’âge de la plénitude artistique où l’équilibre entre force de virtuosité et délicatesse d’interprétation s’épousent pour ne cesser de s’épanouir. Le dernier concert auquel je l’ai entendu m’avait marqué par une sorte de transe dans laquelle je le voyais nous offrir la musique de Beethoven comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Même ses collègues l’avaient félicité pour ce qu’il avait fait d’inouï dans la dernière sonate de Beethoven lors du marathon de l’année 2020 à La Roque. Donc ce concert hommage a eu lieu pour beaucoup là-même où ils avaient entendu Nicholas pour la dernière fois !  Car le grand artiste avait été très rare sur scène ensuite. Il a fallu beaucoup du courage à la jeune Violaine Debever pour débuter ce concert dans cette ambiance si particulière. Scarlatti était un choix idéal. Sans enjeux affectif sa musique pure a permis de débuter ce qui allait être une aventure périlleuse pour les artistes.

Violaine Debever, Hommage À Nicholas Angelich 4 © Valentine Chauvin
Violaine Debever

N’oublions pas que ce qui les lie est cette recherche constante d’équilibre entre perfection instrumentale et émotion partagée. Ce soir les attitudes et les mimiques, le jeu même, étaient souvent significatifs de cet équilibre sur le point de se perdre mais jamais lâché. Quel courage et quelle maîtrise sont les leurs ! La deuxième musicienne courageuse a été Etsuko Hirose. Cheveux cachant son visage au début, elle s’est lancée crânement dans un Brahms au romantisme éperdu. Puis c’est le jeune Gabriele Carcano qui avec un legato suprême chantait Schubert revu par Liszt. La plus vulnérable a certainement été Marie-Ange Nguci qui a joué du Rachmaninov magnifiquement, comme sur un fil, c’était tout à fait bouleversant. Chaque artiste a lutté à sa manière pour accepter cette émotion sans la laisser diriger leur jeu. Ainsi ce qui était particulièrement touchant sont les œuvres interprétées à plusieurs claviers à 2, 3 ou 4 sur un ou deux pianos. Même les plus aguerris comme Bruno Rigutto et François-Frédéric Guy ont d’abord joué à deux pianos. Ainsi Bruno Rigutto a-t-il débuté avec Jean-Baptiste Fontlup dans deux Rachmaninov sensibles et pudiques.

Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlupt, Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin
Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlup

Bruno Rigutto nous a ensuite émus avec un Nocturne de Chopin en ut mineur avec cette alternance de tension puis de relâchement dont il a le secret. François-Frédéric Guy lui n’a joué qu’en deuxième partie. D’abord avec Marie-Ange Nguci dans un soutien mutuel visible et touchant.

Il faut dire qu’il a eu la merveilleuse idée ensuite de jouer le deuxième mouvement de la sonate Op.111 de Beethoven : celle-là même que Nicholas Angelich avait jouée pour son dernier concert à La Roque ! Très certainement cela aura été très coûteux pour lui et très bouleversant pour nous de l’entndre jouer les même dernières notes que Nicolas Angelich ici même en l’été 2020. Jean-Baptiste Fontlup a proposé « La vallée d’Obermann » de Liszt dans des sonorités riches, des lignes puissamment charpentées et une belle virtuosité. Chacun a donné ce qu’il pouvait faire de mieux en solo en un soir pareil, mais ce sont les ensembles qui ont vraiment montré cette fraternité musicale qui les unit, qui les renforce y compris dans la danse macabre de Saint-Saëns à 4 sur deux pianos !

Gabriele Carcano, Etsuko Hirose, Hommage À Nicholas Angelich © Valentine Chauvin
Gabriele Carcano, Etsuko Hirose

Et quel final ce Rachmaninov à six mains ! Les yeux au ciel, la main tendue vers le ciel en cette nuit de lune, tous saluent à leur manière l’âme musicale de Nicholas, musicien si délicat, prince si aimé et parti trop tôt, avant de devenir roi alors qu’il en avait tous les moyens.  Un bouquet de fleur en fond de scène représentait cette âme musicale de Nicholas Angelich aujourd’hui devenue ange.

Hommage À Nicholas Angelich 1 © Valentine Chauvin

Un lien pour voir et entendre Nicholas Angelich parler de La Roque d’Anthéron

Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Auditorium du Parc. Récital en hommage à Nicholas Angelich. Jean-Baptiste FONLUPT ; Marie-Ange NGNUCI ; François-Frédéric GUY ; Etsuko HIROSE ; Bruno RIGUTTO ; Gabriele CARCANO ; Violaine DEVEBER, piano. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonate en ré mineur K. 213; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV1061, 2ème mouvement; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur opus 111, 2ème mouvement ; Frantz Schubert (1797-1828) : Der Müller und der Bach” extrait de La Belle meunière D. 795, “ Gretchen am Spinnrade”  D. 118; Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne en ut mineur opus 48 n°1 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Vallée d’Obermann, extrait des Années de pèlerinage ;  Johannes Brahms( 1833-1897) : Thème et variations en ré mineur d’après le Sextuor à cordes opus 18, Sonate pour deux pianos en fa mineur opus 34b, 1er mouvement; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Danse macabre ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin opus 22, Suite n°1 pour deux pianos opus 5 “Fantaisie-tableaux”, 1er et 2ème 3ème et 4ème mvts, Romance en la majeur pour piano à six mains ; Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l’Oye.  Photo : © Valentine Chauvin

Et ici Nicholas Angelich nous console

MOZART est chez lui à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Concert Anne Queffélec, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. MOZART. DVORAC.

Concert enthousiasmant coté piano comme orchestre

Anne Queffélec fidèle parmi les fidèles revient à La Roque avec Mozart pour un concert donné à guichet fermé. Son Mozart est si merveilleusement évident que le charme a complètement envoûté le public. Le concerto offert ce soir est le 27ième, le dernier composé par Mozart et semble-t-il celui qui lui permît sa dernière apparition publique. Il est porteur d’une certaine gravité et d’un côté sérieux, moins séduisant que d’autres. Pourtant on y trouve de très belles mélodies et un tricotage, orchestre-piano serré. Anne Queffélec a toutes les qualités de probité et de modestie pour donner sa noblesse et ses couleurs à ce concerto. Ses mouvements de tête lorsque l’orchestre joue seul, montrent bien comment elle est habitée par cette belle musique et fait corps avec toute la partition. Jeu perlé, équilibre exact entre les plans, tout est merveilleux et la musique coule sans entrave. L’orchestre est un partenaire attentif et prudent. Les instruments solistes dialoguent amoureusement avec la pianiste. Le chef, Aziz Shokhakimov sait garder le bon équilibre tout du long. Que dire de plus ?  C’est le bonheur parfait : Mozart en plein air sous les frondaisons, même les cigales se sont tues.

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 13 © Valentine Chauvin

En début de programme la soprano Marion Tassou s’était  lancée dans le magnifique air de concert « ch’io mi scordi di te » dans lequel Mozart s’est écrit une partie de piano obligé comme une déclaration d’amour. Ce soir c’est cette déclaration, magnifiquement phrasée par Anne Queffélec qui nous enchante. La voix peu séduisante de la soprano ne peut vraiment s’imposer.

La deuxième partie de programme sera comme une toile à l’huile après un pastel subtil. La symphonie du nouveau monde de Dvorac est une partition brillante qui permet à tout orchestre de montrer ses qualités et au chef de s’exprimer. Le bonheur y est partout même dans le deuxième mouvement où la délicate cantilène du cor anglais se pare de mélancolie un temps avant que les autres bois n’éclairent l’horizon. Le Sinfonia Varsovia montre toutes les qualités de ses solistes et surtout sa capacité à suivre l’énergie bouillonnante demandée par le chef. Aziz Shokhakimov avec une gestuelle singulière et expressive semble habité par cette musique des grands espaces qui sous sa direction exulte de joie. Les tutti des cuivres sont puissants, les cordes se galvanisent pour phraser large, les bois sont expressifs et les cors apportent une belle couleur. Les violoncelles et surtout son soliste phrasent admirablement leurs moments lyriques avec de belles couleurs ombrées. Tous les musiciens participent très activement à cette fête même le plus modeste triangle !

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 19 © Valentine Chauvin

Cet orchestre en résidence qui joue presque chaque soir est comme galvanisé et déchargé de toute fatigue accumulée. Car la chaleur en journée est épuisante pour chacun et les soirs sous les projecteurs sont également porteur de fatigue inévitable. Le bonheur à voir saluer Aziz et son orchestre et l’exaltation du public ont balayé tout cela. Le vrai bonheur c’est le partage de la musique dans cette belle nuit provençale.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Auditorium du Parc. Concert Anne QUEFFELEC, piano. Marion TASSOU, soprano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz SHOKHAKIMOV. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791 : Air de concert, «Ch’io mi scordi di te ? » K.505 ; Concerto pour piano et orchestre, n°27 en si bémol majeur K.595. Anton Dvorak (1841-1904) : Symphonie n°9 en mineur, Op.95 « Du nouveau monde ».

Photo : © Valentine Chauvin.

Alexandre le Grand à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. TCHAÏKOVKI. LISZT.

ALEXANDRE KANTOROW SUPER-HEROS A LA ROQUE

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia 2 © Valentine Chauvin

Jeune, fringant et courageux Alexandre Kantorow a ce soir subjugué le public en interprétant d’affilée sans ciller deux concertos hyper virtuoses. Son partenaire le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ne l’a pas ménagé. Dès la première intervention de l’orchestre fortissimo, le ton était donné. Le deuxième concerto de Tchaïkovski n’est pas le plus réussi et ne sonne pas vraiment comme du Tchaïkovski et ce soir moins que jamais. Disons-le clairement le côté « pompier » et tonitruant de cet orchestre n’était pas de nature à déranger un Alexandre Kantorow aux moyens souverains, mais cela a nui à sa recherche constante de musicalité. Ce concerto est celui avec lequel le tout jeune Alexandre a remporté le concours Tchaïkovski. Il en maîtrise absolument toutes les difficultés et arrive à nuancer de fort belle manière dès qu’il en la possibilité. Les échanges avec la flûte solo dans le premier mouvement, les échanges avec le violon et le violoncelle en solo dans le deuxième mouvement sont des oasis de beauté et de délicatesse. Le reste du temps le combat entre l’orchestre et le chef ne laisse aucun vainqueur et peut sembler vain à des oreilles délicates. Les traits de Kantorow peuvent être fulgurants, les battues d’une puissance athlétique et la liberté dans les moments rhapsodiques caractérisent son jeu de super héros qui ne lâche rien.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 22 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov jeune chef de 34 ans demande toute sa force au Sinfonia Varsovia et l’obtient dans des tutti supersoniques. Nous avions découvert Alexandre Kantorow dans ce concerto à Toulouse dirigé par un chef bien plus convaincant avec un résultat tout différent. Car ce soir hélas l’ensemble sonne au final « assez pompier ». Après une infime pause Alexandre Kantorow avec un panache souverain s’engage dans le deuxième concerto de Liszt qui heureusement sera bien plus nuancé du côté de l’orchestre. Le prodigieux jeune homme se permet des nuances subtiles et des phrasés chantants tout en habillant les plus terribles traits de toute la grâce possible. Les moyens techniques d’Alexandre Kantorow semblent infinis. Tout lui semble facile et pourtant quelle folie contenue dans ce concerto ! Les moments chambristes du concerto sont joués avec une gourmandise adorable par le pianiste. On devine un vrai amour pour le dialogue musical.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 4 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov garde en général une attention particulière au brillant et à la puissance qu’il obtient de l’orchestre mais arrive à ménager des moments de détente dans lesquels la musique peut s’épanouir plus sereinement. En comparant avec son enregistrement de 2015 réalisé par le tout jeune Alexandre dans lequel son père dirige subtilement le Tapiola Sinfonietta, l’équilibre orchestre-piano y est plus naturel et le dialogue bien plus musical. Notons toutefois que le jeune pianiste a gagné une force et une aisance remarquables. Cette version a quelque chose de sauvage et d’indomptable. Indiscutablement peu de si jeunes pianistes sont capables de venir à bout de deux concertos si virtuoses et Alexandre Kantorow est probablement le plus intéressant du moment. Est-ce vraiment ce que nous pouvons demander de mieux à ce musicien exceptionnel ? La réponse il la donne dans son premier bis. En rendant hommage à Nelson Freire, dont c’était le bis favori, il offre au public une interprétation bouleversante des ombres heureuses de l’Orphée de Gluck, mélodie arrangée pour le piano par Sgambati. Hommage à Nelson Freire avec encore davantage de tendresse si c’est possible ! Puis un Sonnet de Pétrarque offert comme un véritable opéra chanté, avec un chant éperdu comme suspendu.  Le final de l’oiseau de feu sera brillant mais moins réussi que d’autre fois. C’est dans ces trois bis que le talent le plus rare d’Alexandre Kantorow se révèle, de l’avis d’aucuns il est à lui tout seul un orchestre. Alexandre Kantorow a fini ravi et comme régénéré par la force du partage musical, ce concert marathonien avec sprint final, dans une chaleur particulièrement étouffante. Il a assurément tout donné à son public ! Un héros vous dis-je !

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 15 © Valentine Chauvin

France Musique était là pour garder mémoire de ce concert donné à guichet fermé ce soir à la Roque.  Il est possible de le réécouter durant les six prochains mois.

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Auditorium du Parc. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz Shokhakimov. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en sol majeur Op.44 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en la majeur. Photo : © Valentine Chauvin.

Critique écrite pour Classiquenews.com

Salon de Provence la magie de la nuit provençale

CRITIQUE. Concert. 30ème FESTIVAL DE SALON. SALON DE PROVENCE. CHATEAU DE L’EMPERI. Le 30 Juillet 2022. N. RIMSKY-KORSAKOV. F. POULENC. R. IMBERT. E. PAHUD. E. LESAGE. P. MEYER. F. MEYER. B. DE BARSONY.  G. AUDIN.  R. IMBERT.  P.F. BLANCHARD.

30 ans : Age magique pour le Festival de Salon De Provence.

Concert d’ouverture magique ce soir dans la sublime acoustique de la cour du Château de l’Empéri.

Rien, pas même le coronavirus, n’avait pu freiner l’enthousiasme qui caractérise ce festival de Musique de Chambre. Mais ce soir sans masque, sans pass sanitaire et sans jauge limitée, le public a pu s’installer bien confortablement. La chaleur de la journée cédant, un léger vent offrait une température proche de l’idéal.  Les trois musiciens fondateurs, Emmanuel Pahud, Paul Meyer et Éric Lesage, sont entrés entourés de leurs fidèles amis Benoit De Barsony et Gilbert Audin pour le Quintette de Rimsky-Korsakov.

Élégance, précision et admiration mutuelle leur ont permis de défendre cette partition mal connue avec un panache tout à fait extraordinaire. Certes il ne s’agit pas de la partition la plus typique de Rimsky-Korsakov. Seule une forme de mélancolie dans le mouvement lent entrouvrait la porte vers l’âme russe du compositeur, mais l’écriture de cette pièce est brillante, sensible et de bonne facture. Rien ne justifie le quasi oubli dans lequel elle s’installerait sans des interprétations si stimulantes, nous rappelant ces beautés. Les cinq musiciens ont chacun apporté le plus grand soin et la plus belle énergie dans cette fulgurante interprétation. Chacun avait des moments d’ouverture ou de virtuosité, c’est toutefois la flûte d’Emmanuel Pahud qui a apporté une touche remarquable par son élégance.

Le hautboïste François Meyer les a rejoints pour offrir au public une interprétation anthologique du sextuor de Poulenc. Avec une complicité de chaque instant, une précision absolue, et chic fou, ils ont su mettre dans cette pièce si contrastée toute une gouaille, si chère au Poulenc de la belle époque. Cette virtuosité de notes et de ton a fait souffler un vent de fraîcheur incroyable. Le public a fait une véritable ovation à cette fête musicale si réussie.

Pour la deuxième partie de concert, le contraste a été savamment préparé. Le saxophoniste Raphaël Imbert et le pianiste Pierre-François Blanchard sont entrés en scène dans une attitude intrigante. D’aucuns ne savaient qu’il s’agissait de musiciens de jazz. Peu importe une fois la surprise passée c’est le charme absolu de leur poésie faite musique qui a opéré. Le temps s’est suspendu, le chant a volé haut, le rythme du piano a transfiguré espace et temps.

Les présentations précises et pleines d’humour de Raphael Imbert nous permettaient de revenir un peu sur terre avant le prochain voyage. Ces deux musiciens, improvisateurs d’exception, nous ont offert des instants de poésie absolument magiques. Le « chant de l’étoile » de Richard Wagner et « A la musique » de Frantz Schubert avec de tels passeurs deviennent de vrais standards de jazz s’envolant sans limite sous le ciel étoilé de Provence. Le temps et l’espace abolis, n’est-pas cela le cœur de la poésie et de la musique ?

Quelle ouverture les amis pour ce festival qui vit sa trentième édition dans une plénitude jubilatoire.

A très vite la suite…

Hubert Stoecklin

 Critique. Concert. 30ème Festival International de Salon-de-Provence. Château de l’Empéri, le 30 juillet 2022. Nikolaï Rimsky-Korsakov (1844-1908) : Quintette en si bémol majeur ; Francis Poulenc (1899-1963) : Sextuor ; Raphaël Imbert (né en 1974) : Improvisations. Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Éric Lesage piano. Raphaël Imbert : saxophone et clarinette basse ; Pierre-François Blanchard, piano.

Benjamin Grosvenor retrouve La Roque

CRITIQUE. Concert. LA ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du parc, le 31 juillet 2022. C. FRANCK. I. ALBENIZ.  A. GINASTERA.  M.RAVEL.  B. GROSVENOR.

Benjamin Grosvenor souverain parfaitement serein

Cela fait la troisième année que je retrouve Benjamin Grosvenor à La Roque d’Anthéron et je me réjouissais beaucoup. A mon grand damne je dois reconnaître que je n’ai pas retrouvé cet émerveillement vécu lors du concert de 2019. Le programme n’est peut-être pas aussi séduisant et reste un peu décousu et sans charme particulier. Certes le final est grandiose avec une Valse de Ravel éblouissante mais il n’y a pas de construction d’ensemble ni de véritable progression. Le prélude, choral et fugue de César Franck ouvre le récital. Nous connaissons la rigueur, la précision et la grande clarté de l’interprétation de Benjamin Grosvenor depuis le concert de l’an dernier et surtout son enregistrement de 2016. La précision avec laquelle il détaille tous les plans est sensationnelle et rien ne vient entraver son jeu absolument souverain. Le déroulé est implacable avec une certaine maîtrise des divagations que d’autres peuvent jouer avec davantage de méditation. Puis le livre premier d’Iberia d’Albéniz n’aura aucune « couleur locale » et sous les doigts imperturbables de Benjamin Grosvenor la musique pure prend beaucoup de hauteur. C’est un piano précis, impeccablement nuancé et phrasé mais sans aucune chaleur. Le bel canto dont le pianiste anglais est capable sera idéal dans le Corpus Christi en Sevilla. Le chant du choral se déploie avec une élégance bouleversante.

Pour la suite du programme le piano sera changé : Il n’y a qu’à La Roque que j’ai vu cela. Il faut dire que c’est le luxe unique qui prévaut ici : un choix est offert aux artistes parmi de nombreux pianos à queue, tous présents sur site dès le début du Festival.

Benjamin Grosvenor 26 © Valentine Chauvin
© Valentine Chauvin

Avec cet autre instrument, le jeu de Benjamin Grosvenor reste avant tout maîtrisé et les Danses Argentines de Ginasteras n’iront certainement pas s’encanailler sous ces doigts si pudiques. Le jeu est souverain, puissant, charpenté, l’apparente facilité avec laquelle Benjamin Grosvenor joue cette musique complexe est en soi un exploit des plus rares.

C’est avec les deux pièces de Ravel que les moyens pianistiques trouvent un épanouissement complet avec une musicalité délicate qui anime constamment le propos. Les Jeux d’eau trouvent des échos liquides et évaporés sous les doigts subtils de Benjamin Grosvenor, les trouvailles du jeune pianiste sont des pépites. Dans la valse il trouve le déséquilibre parfait qui fait chavire l’auditeur. Quelle aisance avec ce rythme diabolique, quelle noirceur dans certains retours du thème, quel humour avec ce rythme comme décalé par moments. La valse ainsi interprétée devient dangereuse et fascinante. Ce grand moment de musique en fin de programme nous a rappelé comment cet artiste peut nous ravir. Il est envisageable d’accepter qu’à ce stade de sa carrière le jeune prodige, plus mature, joue pour lui, pour ses recherches et nous prépare de futures merveilles. La maîtrise technique absolue reste très impressionnante, c’est l’émotion qui cède la place ce soir. Il faut signaler une touffeur inhabituelle dans le parc avec un côté un peu oppressant et étonnamment un public clairsemé. Les applaudissements nourris ont obtenu deux bis de l’artiste : Dany Boy en arrangement d’après le folklore anglais et le chant du soir op.85 n°12 de Schumann.

Benjamin Grosvenor 25 © Valentine Chauvin
© Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc, le 31 Juillet 2022. César Franck (1822-1890) : Prélude, choral et fugue ; Isaac Albéniz (1860-1909) : Iberia, livre 1.  Alberto Ginastera (1916-1983) : Danses Argentines ; Maurice Ravel (1875-1937) : Jeux d’eau, la Valse ; Benjamin Grosvenor, piano.

Article écrite pour classiquenews.com

Kissin le magnifique à Toulouse

CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE. HALLLE-AUX-GRAINS, le 18 janvier 2022. J.S. BACH. W.A. MOZART. L.V. BEETHOVEN. F. CHOPIN. E. KISSIN.

Phénoménal Evgeny Kissin !

Quelle chance pour les toulousains

Les Grands Interprètes Evgeny Kissin

Les Grands Interprètes ont su avec génie inviter l’immense pianiste d’origine Russe, Evgueny Kissin, entre ses concerts en Espagne, celui à Paris puis en Autriche et en Allemagne avant les États Unis. Cette vaste tournée avec ce beau programme va enchanter le public partout où il est attendu.  On ne présente plus le phénoménal pianiste à la carrière internationale triomphante et à la discographie généreuse et encensée.

Né en 1971 il a la plénitude de moyens inouïs et de sa musicalité hors pair. Il se dégage de son jeu une concentration inimaginable tout du long de son récital. Tout semble être pesé, parfaitement maîtrisé mais sans froideur tant son jeu est incandescent. Le programme est « classique », chronologique parcourant ses compositeurs de prédilection de Bach à Chopin. Dès les premiers accords de Toccata et fugue de Bach, un monde sonore d’une profondeur rare s’ouvre sous ses doigts :  des graves abyssaux, un medium d’une puissance incroyable et des aigus fuselés et planants. Un Grand orgue en somme ! Et une ligne directrice qui nous entraîne dans cette immensité musicale sans possibilité de résister.  L’Adagio de Mozart en si mineur prend un ton très dramatique, le phrasé est élégant, les doigts capables de la plus grande douceur. Et à nouveau ces notes graves incroyablement présentes, nobles et belles. Cela nous rappelle combien le Mozart de Kissin, particulièrement dans les concertos, est célèbre et apprécié dans sa discographie. Le monde si complexe de l’avant dernière sonate de Beethoven, l’opus 110 va devenir lumineux sous les doigts incroyables de Kissin. C’est du très beau et du très grand piano, majestueux, profondément phrasé absolument magnifique. Le final avec son incroyable fugue tient du génie interprétatif tant le discours est clair, tous les plans précis et la direction incroyablement fédératrice :  Kissin nous entraîne où il veut. La beauté de son piano envoûte et la vigueur de ses phrasés nous emporte sans efforts. Et toujours cette maîtrise incroyable de l’interprète, maîtrise supra humaine, que seules des syncinésies du visage révèlent à nos yeux. Le public applaudit généreusement avant le court entracte qui pour beaucoup est une simple parenthèse d’attente émue. Car la deuxième partie est consacrée au compositeur chéri de l’interprète comme du public : Frédéric Chopin.  Largement enregistré et joué par Evgeny Kissin depuis le début de sa carrière, la musique de Chopin lui va comme une évidence. Car depuis son début de carrière il est capable d’en offrir un parfait équilibre entre la virtuosité transcendantale et la mélancolie. Le choix de 7 mazurkas variées et de plusieurs époques propose un palmarès de ce que Chopin a écrit de plus personnel.

La manière d’aborder les rythmes, parfois superposés donne une grande modernité à cette musique intemporelle. La beauté sonore répond à la beauté des phrasés et aux audaces du rubato. Le tout avec un goût exquis car n’oublions pas que ces danses fort savantes sont partagées par tous en Pologne au XIXième siècle tant dans les salons que dans les campagnes et les salles de bal. Chopin en a sublimé les tempi mouvants binaires et ternaires. Evgeny Kissin est un interprète très inspiré qui met en valeur toutes leurs richesses. L’andante spianato et la Grande Polonaise permettent une montée en puissance de l’interprète qui termine avec une virtuosité triomphante.

Evgeny Kissin © F Broede : EMI

Le public explose de joie et lui fait un triomphe proche de la standing ovation. La séparation avec le public tout autour de lui s’est faite doucement avec quatre magnifiques bis qui ont prolongé la magie de ce concert. Signalons que cette tournée est dédiée à la grande pédagogue Anna Pavlovna Kantor (1923-2021) qui a été la seule professeure de Kissin et qui est restée proche de lui. Laissons la parole à Evgeny Kissin « Tout ce que je peux faire au piano je le lui dois » : Bravo madame Kantor  !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 18 janvier 2022. Jean -Sébastien Bach (1685-1750) transcription de Carl Tausig (1841-1871): Toccata et Fugue BWV 565 ; Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791) : Adagio pour piano en si mineur K.540 ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827 ) : Sonate pour piano n° 31 en la majeur Op.110 ; Fréderic Chopin (1810-1849) : 7 Mazurkas : Op.7 n°1,Op.24 N° 1 et 2, Op.30 N° 1 et 2, Op.33 N°3 et 4 ;  Andante spianato en mi bémol majeur et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur Op.22. Evgeny Kissin, piano.

Lio Kuokman et Michael Barenboim entente au sommet de la musicalité

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 15 Octobre 2021. Q. CHEN. F. MENDELSSOHN. M. MOUSSORGSKI / M. RAVEL. O. N. CAPITOLE. M. BAREMBOIM. L KUOKMAN.

Une association de musiciens au sommet comme dans un rêve.

Je ne crois pas au hasard et pourtant. Il y a un an le concert du chef  avait été le dernier avant la deuxième fermeture des salles de spectacles pour raisons d’épidémie virale. Pour moi le concert de ce soir est le retour à la vie musicale après des soucis de santé dont le Coronavirus. Et quel concert !

Lio Kuokman dégage dès son entrée une énergie heureuse et communicative qui galvanise l’orchestre et subjugue le public. La courte partition de Qigang Chen créée en 1998 semble avoir été très appréciée et a recueilli un grand succès. Il faut dire que l’écriture est brillante et magnifique d’originalité de timbre, de rythme et de nuances subtiles. Les très courts mouvements se complètent et se répondent avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Les solistes de l’orchestre sont superbement mis en valeur de même que les subtilités d’une orchestration aux limites de la tonalité avec beaucoup d’hédonisme. La mise en place complexe est réalisée avec une simplicité déconcertante par le chef dont les gestes sont limpides et souples. La difficulté de la partition avec Lio Kuokman est comme un jeu et le public est subjugué. C’est bien davantage sur une pièce contemporaine qu’il est possible de dire combien Lio Kuokman est un fin musicien qui communique magnifiquement tant avec l’orchestre que le public.

Michael Barenboim © Marcus Hoehn
Michael Barenboim © Marcus Hoehn

Après ce beau succès l’entrée du violoniste Michael Barenboim est également énergique et joyeuse. Le subtil 2ième concerto de Mendelssohn débute comme un rêve avec un legato du violon, un son plein et délicatement nuancé qui est un véritable ravissement. L’équilibre avec l’orchestre est parfait. Lio Kuokman dans sa direction est le tact même permettant à Michael Barenboim de nuancer avec la plus grande délicatesse sans jamais risquer d’être couvert par l’orchestre pourtant très présent. Cette alchimie musicale si passionnante dans ce magnifique concerto fonctionne à merveille. Le deuxième mouvement plane haut et le final est une véritable joie partagée. Dans le bis offert par le violoniste son humour se révèle. Ce jeune musicien fils de Daniel Barenboim et d’Elena Bashkirova est né sous des étoiles musicales éblouissantes. Tout est musique en lui, tout lui est facile, comme évidant et la plus grande virtuosité n’est que pure émotion musicale, sans jamais la moindre ostentation. Quelle relève dans ces enfants de grands musiciens. Michael Barenboim n’a pas de difficulté à se faire un prénom et je rappelle cet été les immenses qualités d’Alexandre Kantorow et de Paolo Rigutto à la Roque d’Anthéron, dignes fils musiciens de parents également doués d’une génération à l’autre.

Lio Kuokman

Après une courte pause le jeune chef revient et dirige par cœur les somptueux Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski dans la sensationnelle orchestration de Maurice Ravel. Dès l’introduction de la promenade par la trompette solo le ton est donné, liberté et beauté sonore. Le chef lâche la bride et le trompettiste joue magnifiquement dans un phrasé de rêve. Puis le chef prend toute la main pour obtenir de l’orchestre en très grande forme une interprétation tout à fait remarquable. Le mélange de souplesse, de précision et de gourmandise dans la direction de Lio Kuokman est passionnant à observer pour le public tant il semble annoncer ce que l’oreille va entendre. L’écoute et le regard se rencontrent comme rarement en assistant à un concert dirigé par ce jeune chef tout à fait séduisant.  Que dire de cette fin de soirée si ce n’est que la jubilation était partout. La construction de chaque « tableau », de chaque « promenade » s’inscrit dans la totalité de l’œuvre avec ce magnifique crescendo final dans la « Grande porte de Kiev ». Mais avant le « Veccio Castello » permet une fusion parfaite du rare saxophone dans les sonorités confortables du basson puis les bois : la poésie irradie. « Le ballet des poussins » est une horlogerie suisse parfaitement réglée. La magnificence des gros cuivres dans « Catacombes » est terriblement impressionnante. La puissance et la précision des contrebasses dans « La cabane sur des pattes de poules » provoquent un effet délicieusement effrayant. Vraiment une très belle interprétation signant une vraie fusion musicale entre les musiciens de l’orchestre et le chef.

Si Lio Kuokman n’était pas déjà si engagé dans de nombreux projets il serait possible de penser à lui pour l’avenir de l’Orchestre du Capitole. Tout du moins nous l’espérons comme chef régulièrement invité !

Hubert Stoecklin


Orchestre national du Capitole

Orchestre Du Capitole Lio Kuokman

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2021. Qigang Chen (né en 1951) : Wu Xing ; Félix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon n°2 en mi mineur op.64 ; Modeste Moussorgski (1839-1881) / Maurice Ravel (1875-1937) : Les Tableaux d’une exposition ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Michael Barenboim, violon ; Lio Kuokman, direction.

Adam Laloum à bas bruit en concerts quasi privés

Expérience musicale. Toulouse. Théâtre Garonne, les galeries. Du 26 Aout au 6 Septembre 2020. Adam Laloum, piano. Mi-Sa Yang, violon.

A bas bruit la musique fait son retour à Toulouse grâce au Théâtre Garonne

On le sait la culture doit rentrer en résistance pour subsister après le Covid. On ne compte plus les artistes malheureux, les projets annulés, les spectacles ajournés, les déplacements, annulations, réductions, et que sais-je encore. Des saisons amputées, des Festivals laminés, des morts et aussi  des résistants.

Nous avons eu la chance d’aller à Salon de Provence et à la Roque d’ Anthéron. Et à Toulouse la Musique en dialogue à la Chapelle des Carmélites ( tous les compte rendu dans les articles ci dessous).

Les organisateurs de spectacle ont dû avaler des couleuvres, faire et refaire des plans de salle selon des directives aussi arbitraires que délétères.  A Salon le port du masque durant les concerts en plein air et des places vides partout. A la Roque un plan millimétré privant des deux tiers des places, mais autorisant d’enlever le masque durant les concerts, en plein air tout de même ! Et toujours une organisation parfaite, des bénévoles experts dans l’art de diriger un public impatient mais docile. Et combien y a-t-il eu de réunions, de négociations… de travail fastidieux souvent inutilisable, de tracas, de peurs et de moments de désolation….  Jamais je ne serai assez reconnaissant à ces résistants qui portent haut l’étendard de la liberté de l’expression artistique malgré toute la bureaucratie maudite. Le travail de toutes les personnes « autours » des artistes a été remarquable, absolument fondamental. Merci à tous.

Les artistes étaient tous émus d’enfin jouer pour le public, dans des retrouvailles très émouvantes. La plupart ont évolué durant ce confinement, certains abordant de nouveaux répertoires. Les organisateurs de spectacles ont osé et ont réussi des paris parfois improbables. Il en est ainsi du Théâtre Garonne à Toulouse qui a fait sa rentrée à « BAS BRUIT » dans ses souterrains.

On ne peut pas trouver idée plus symbolique pour évoquer ce qui se passe. Il faut retrouver le gout du partage du beau à petite dose, sans faire de bruit, mais pas sans passion. Ainsi le pianiste Adam Laloum a-t-il enchanté les lieux souterrains avec des moments rares. De trois à cinq petits concerts par jour. Cela permettait au public de venir petit à petit. Pour certains de revenir avec un gout de plaisir défendus.  Certes il n’y avait que 20 personnes à la fois mais enfin 20 qui nageaient dans le bonheur, à côté du musicien et dans une plénitude sonore presque impudique. Le piano demi-queue sonnait puissant dans cette acoustique si particulière de ces boyaux de brique qui autrefois conduisaient de puissantes eaux venues de la Garonne toute proche.

Lieu magique, formule inouïe, et artiste complètement en transe. Le résultat ne peut se raconter tant ce qui a été vécu a été fort. Durant les trois premiers jours il y avait quatre concerts de piano solo de 30 minutes en moyenne qui alternaient.

Adam Laloum 2 Photo Carole Bellaiche C Mirare 0
Adam Laloum © Carole Bellaiche
  1. La Sonate de Berg (11’) et la sonate D.664 de Schubert (25’).

Adam Laloum aborde cette unique sonate de Berg en post romantique encore sensible au lyrisme. Il fait chanter son piano et dans une clarté de jeu rare nous révèle tous les plans de cette partition. Le jeu limpide, les phrases sculptées et les rythmes précis créent un moment inoubliable. Puis la délicate et joyeuse sonate D.664 de Schubert n’est que bonheur partagé. Elle semble facile coulant sous des doigts légers.

  1. La sonate D.959 de Schubert (42’)

Cette sonate est d’une beauté incroyable dans l’interprétation qu’en fait Adam Laloum nous l’avons écrit, il y rencontre le génie de Schubert et le tutoiement est évident. Il y a comme une fusion fraternelle entre un compositeur et un musicien à travers les siècles. Une entente  comme il y en a peu car basée sur un partage de la même sensibilité et de la même poésie du monde entre joies et peines. Adam Laloum est le Schubertien dont on rêve depuis Rudolf Serkin et plus loin encore, Arthur Schnabel. Le deuxième mouvement «  Andantino » à chaque fois me transporte. C’est si beau, si puissant émotionnellement et la proximité du piano permet de rentrer dans le son si riche d’Adam Laloum comme jamais dans une vaste salle de concert. Tant dans le suave de ses pianissimi que dans la puissance émotionnelle de ses forte. La tempête centrale est dévastatrice, mais la tendresse qui suit est une consolation aimante qui fait tout oublier.

  1. La troisième sonate de Brahms en fa mineur op.5 (37’)

Cette œuvre nous la devons au confinement. Elle convient parfaitement aux moyens actuels du pianiste nous l’avons dit lors de sa venue à La Roque cet été. Il domine complètement la puissance de cette œuvre, la plus épanouie en terme lyrique et émotionnelle. Pouvoir l’écouter de si près permet de se rendre compte de l’ampleur phénoménale des nuances. C’est parfois presque trop intime de voir Adam Laloum donner tant dans son jeu. Il part quelque part et nous entraine avec lui. Il utilise ses recherches sur les sonorités du piano. Il colore, il sculpte le son et met tout cela au service d’une émotion irrésistible. Le jeu est émotionnel certes, mais également très maitrisé avec une constante lisibilité des plans, des structures et de la construction générale. Que ses graves ont beaux, chauds, profonds ! Et les aigus peuvent s’envoler avec légèreté ! Dans le deuxième mouvement « Andante espressivo » Adam Laloum sembler nager, comme flotter dans l’harmonie à la manière d’un poisson dans l’eau. Il semble nous amener à traverser la texture harmonique pour nous en délecter autant que lui.

Adam Laloum
  1. Schumann Kreisleriana op.16 (33’)

J’aime ce recueil et ce que nous offre Laloum ne ressemble à rien de ce que je connais. Il sait donner une sorte d’évidence à ce kaléidoscope émotionnel et pianistique. Tout est là sans heurts sans violences dans des oppositions et des contrastes qui se répondent plus qu’ils ne s’opposent. Des nuances incroyablement creusées, des couleurs innombrables et des traits précis, phrasés avec une sorte de largesse pleine de générosité toute schumanienne. Du beau piano mais surtout de la très, très belle musique !

  1. Deux sonates pour violon et piano de Brahms op.100 et op.108. Avec la délicieuse Mi-Sa Yang.

L’amie violoniste n’est pas arrivée comme prévu le mercredi 2 Septembre retenue par des exigences Covid…. Nous craignions le pire pour elle espérant toutefois qu’elle pourrait venir. Avec vaillance Adam Laloum a repris son programme soliste et c’est avec un immense plaisir que nous avons pu entendre une nouvelle fois la troisième Sonate de Brahms dans une interprétation peut être encore plus passionnée voire hallucinée.  Mais le lendemain elle est arrivée… Et tous les deux en fusion comme nous le savons ils se sont lancés dans ces deux extraordinaires sonates de Brahms. Bien évidement l’op.108 avec son lyrisme débordant restera dans les mémoires. Ces deux artistes qui font de la musique ensemble depuis leurs études partagent la même vision poétique, la même fine musicalité qui va droit à l’expression sans se soucier de la virtuosité autrement que comme moyen. Aimez-vous Brahms ? Il est difficile de ne pas adhérer totalement à cette musique avec des interprètes si doués.

Adam Laloum avec ces trois compositeurs, Schubert, Schumann et Brahms est au cœur de son répertoire, c’est un grand romantique dont l’évolution est passionnante. Aussi à l’aise seul qu‘ en musique de chambre et si dieu veut nous le retrouverons avec l’Orchestre du Capitole à la Halle-aux-Grain le 7 Janvier 2021 dans le concerto de Schumann ! Justement le concerto le plus chambriste du répertoire….

Hubert Stoecklin

Théâtre Garonne saison à Bas Bruit

Benjamin Grosvenor en parfait gentleman musicien

CRITIQUE. Concert. LA ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du parc, le 11 Août 2021. LISZT. A. GINASTERA. M.RAVEL. B. GROSVENOR.

 

Benjamin Grosvenor est la perfection digitale.

Découvert ici même en 2019 Benjamin Grosvenor nous avait conquis. Cf Chronique. Sa discographie a toutes les faveurs de la rédaction de Classique news. Ce récital reprend pour moitié le dernier CD qu’il a enregistré pour Decca, sobrement intitulé : Liszt.

Dès les premières notes des sonnets de Pétrarque le ton est donné, celui d’une lecture châtiée, élégante et d’une précision incroyable. La virtuosité intrinsèque chez Liszt trouve en Benjamin Grosvenor un interprète idéal qui rend musical tout trait, même le plus virtuose. D’autres mettent davantage le chant en avant, car ces sonnets sont premièrement des lieder. Ici le parti pris peut sembler plus intellectuel que sensuel et permet une mise en valeur de la grande complexité des partitions.  Puis la sonate en si mineur si expérimentale prend sous les doigts de Benjamin Grosvenor une dimension quasi cosmique. Les tempi sont élastiques, les nuances hyper creusées, les couleurs infiniment chatoyantes ; cela permet de mettre en lumière des aspects incroyablement variés de cette partition tout à fait inclassable. C’est bien cette dimension de totale liberté, reposant sur une technique superlative faisant penser que « tout, absolument tout est possible » à cet artiste qui fait de cette interprétation une référence qui fera date. La maturité acquise par ce jeune homme de 29 ans laisse pantois.

Benjamin Grosvenor 4 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Une courte pause, mais sans entracte (interdiction préfectorale) et voilà notre artiste qui nous entraîne avec cette précision diabolique dans l’univers peu contrôlé de Ginastera et ses « danzas argentinas ». Des doigts qui semblent se démultiplier, des bras qui semblent s’allonger chez le pianiste, un piano qui semble développer des sonorités nouvelles.  Un incroyable mélange de brillant et de virtuosité nous est offert dans ces partitions complexes sans aller jusqu’à la folie latine.

Ravel et son si difficile « Gaspard de la nuit » va constituer l’apothéose de ce concert virtuose.

Gaspard de la nuit, spécialité de Martha Arguerich, semble trouver en Benjamin Grosvenor un digne héritier de cette virtuosité sidérante faite expression musicale totale. Chez Benjamin Grosvenor Ondine est un piano fait en élément liquide avec le brillant des rayons de lune dans l’eau. C’est incroyablement précis et flou en même temps afin de créer une dimension onirique. Un piano entre rêve et réalité, absolument magique. Le Gibet avec des sonorités d’un froid glacial change totalement le son du piano. Benjamin Grosvenor ose des effets de grande inquiétude. C’est Scarbo qui offre la plus grande virtuosité et exige le plus de mise en scène musicale. Benjamin Grosvenor comme dans ses Liszt garde la tête froide et les doigts souverains. Rien ne lui échappe et la clarté du jeu permet de tout entendre dans cette partition pourtant tout à fait diabolique. Comment est-il possible d’obtenir cette précision à cette vitesse ? Voilà un secret bien gardé par le jeune homme si doué et aussi appliqué dans sa recherche de perfection. Avec peu de sorties de disques, des concerts reprenant un répertoire bien travaillé Benjamin Grosvenor est un sage parmi les jeunes pianistes plus frénétiques.

Benjamin Grosvenor 14 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Le public très enthousiaste obtient deux bis. Liszt avec un diabolique Sherzo, Gnomenreigen, grand cousin de Scarbo.  Ginastera avec une Danza de la moza donoza op.2 n°2 toute de délicatesse.

Voilà un grand musicien virtuose de l’avenir car sa toute jeune maturité ne peut que se développer.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc. Frantz Liszt (1811-1886) : Sonate en si mineur ; Années de pèlerinage, 2 ième année (Italie) Sonnets de Pétrarque 104 et 123 ; Alberto Ginastera ( 1916-1983) : Danzas argentinas op.2 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Gaspard de la nuit ; Benjamin Grosvenor, piano.

PHOTOS : Valentine Chavin

Père et fils les Kantorow : quel bonheur !

CRITIQUE. Concert. La ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du Parc, le 7 Août 2021. D. CHOSTAKOVITCH. C. SAINT-SAENS. SINFONIA VARSOVIA. J.J KANTOROW. A. KANTOROW.

Kantorow père et fils sont toute musique !

Concert attendu dans la peur de l’orage qui a su rester à distance fort heureusement. Le ciel est favorable à la musique et le parc après l’orage a vu quelques étoiles briller en fin de soirée.  Le génie musical de Jean-Jacques Kantorow, violoniste et chef d’orchestre à la renommée planétaire reprenait ce soir la baguette d’un orchestre qu’il a dirigé souvent et qu’il connaît bien. Un enregistrement des concertos de Camille Saint-Saëns avec Alexandre Kantorow il y a quelques années est une véritable pépite et prouve le lien qui les unit.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 8 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Le Sinfonia Varsovia est ce soir présent en formation réduite et jouera deux adaptations de Daniel Walter. Le Quatuor à cordes n°3 de Dimitri Chostakovitch dans sa transcription pour quintette à vent et quintette à cordes est donc proposé dans une formation type orchestre Mozart. Jean-Jacques Kantorow garde une allure dynamique et lorsqu’il dirige semble retrouver toute sa jeunesse. La grande bienveillance qui se dégage de sa direction ne laisse rien passer et obtient une précision parfaite de la part de chaque instrumentiste. L’orchestration est particulièrement réussie qui donne aux vents et au cor toutes les particularités que Chostakovitch leur donne dans ses partitions d’orchestre. La direction de Jean-Jacques Kantorow est précise, claire et très efficace. La partition se développe avec efficacité et l’énergie est constamment renouvelée par le chef. L’osmose entre le chef et l’orchestre est magnifique et la partition de Chostakovitch devient limpide avec de tels interprètes. Un grand moment de musicalité très efficace et émouvant découle de l’écoute de ce quatuor transformé si intelligemment et si habilement joué.

Les qualités instrumentales du Sinfonia Varsovia sont tout à fait excellentes avec des bois particulièrement beaux et des solistes de chaque famille de cordes magnifiques. Insistons sur la qualité du chef et celle de ce magnifique orchestre car lorsque le concerto se déroulera le soliste va par son jeu intense prendre la première place au risque de les éclipser. Il ne faudrait pas penser que l’orchestre va juste accompagner le génie pianistique d’Alexandre Kantorow, bien au contraire le Sinfonia Varsovia est, même dans cette dimension réduite, de tout premier plan et Jean-Jacques Kantorow est un chef extrêmement vigilant à tout ce qui se passe, sans autoritarisme il arrive à obtenir ce qu’il veut de chacun.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 15 © Valentine Chauvin 2021
Alexandre KANTOROW Photo Valentine Chauvin

L’entrée du jeune Alexandre Kantorow (23 ans) est très émouvante; l’orchestre le regarde avec une bienveillance rare et le chef, son père, l’accompagne sur scène avec une joie non dissimulée. Détendu en apparence mais déjà très concentré, Alexandre se jette dans le début très rhapsodique du terrible deuxième concerto de Camille Saint-Saëns avec une autorité sidérante. Le geste large, des sonorités d’orgue, une maîtrise rythmique toute en souplesse font de cette « prise en main » un moment sidérant. La réponse de l’orchestre dans la même manière donne le frisson. Nous sommes bien devant une rencontre entre génies qui va faire date.  Tout ce qui va suivre va être difficilement analysable tant les interprètes vont toucher à la perfection sur tous les plans. Alexandre Kantorow a acquis une autorité sidérante, la puissance digitale s’est encore affirmée donnant plus de présence à son jeu avec une recherche de sonorités amples et majestueuses admirablement adaptées à ce premier mouvement. L’orchestre participe avec la même ampleur puis le dialogue plus mélancolique se déploie et l’osmose entre tous devient d’une rare évidence. La partition de Saint-Saëns s’en trouve magnifiée. Jean-Jacques Kantorow couve le pianiste du regard et semble avoir l’œil sur chaque musicien de l’orchestre, il est partout et entretient des liens avec chacun. Le résultat est une parfaite connivence musicale qui magnifie le jeu du pianiste comme les solos de l’orchestre.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 11 © Valentine Chauvin 2021
Valentine Chauvin : Photo

Le deuxième mouvement, sorte de scherzo, permet à Alexandre Kantorow d’alléger son jeu avec une précision incroyable, il invente des notes perlées comme rebondies. La précision est partout dans le moindre trait du pianiste et chaque intervention de l’orchestre. C’est une véritable orfèvrerie suisse. La mécanique est absolument impeccable avec un véritable sens de l’humour partagé. La délicatesse du toucher d’Alexandre Kantorow a quelque chose de féérique. Après le deuxième mouvement le regard du père à son fils semble dire c’était magnifique es-tu vraiment prêt pour le final ? Tous vont s’engager dans la virevoltante tarentelle finale qui caracole à toute vitesse. C’est vertigineux, magnifique, sublime et l’humour des syncopes, rythmes décalés, enchantent les musiciens. Tout tombe à la perfection, cela avance sans prendre de repos, en entrainant le public avec lui dans la joie la plus grande. Ce mouvement final devient absolument jubilatoire avec des interprètes si doués.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 6 © Valentine Chauvin 2021
L’osmose père fils
merveilleuse photo de Valentine Chauvin

Alexandre Kantorow trouve une ressource incroyable donnant toute son énergie dans ses traits virtuoses incroyables. Ses doigts volent, ses mains s’allongent, rien ne semble pouvoir limiter le jeu du pianiste. La joie explose de toute part sur scène comme dans la salle. Nous venons de vivre un moment exceptionnel et chacun en est bien conscient. Le public en transe obtient d’Alexandre Kantorow très épanoui et heureux trois extraordinaires bis d’une belle générosité.

Le mouvement lent de la troisième sonate de Brahms est d’une beauté à faire fondre les cœurs de pierre les plus durs. La danse finale de l’oiseau de feu atteint sous ses doigts à une puissance orchestrale. La délicatesse et la mélancolie d’une ballade de Brahms permettent de laisser le public partir sur des sentiments plus apaisés. Chacun sait qu’il a vécu un instant magique en sortant du parc. Le Château de Florans, dont le parc est un oasis de bonheur,  a été béni des dieux une fois de plus.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 14 © Valentine Chauvin 2021
Photo de Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) /Daniel Walter (né en 1958) : Quatuor à cordes n° » en fa majeur op.73, transcription pour quintette à vents et quintette à cordes ; Camille Saint-Saëns (1835-1921) / Daniel Walter (né en 1958) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en sol mineur op.22, transcription pour piano et petit orchestre ; Sinfonia Varsovia ; Alexandre Kantorow, piano ; Jean-Jacques Kantorow, direction.

Un GRAND BRAVO à la jeune photographe du Festival : Valentine Chauvin !

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 16 © Valentine Chauvin 2021
Photo Valentine Chauvin

Musique en dialogue aux Carmélites Honore Jean De La Fontaine

CRITIQUE concert. TOULOUSE. CHAPELLE DES CARMELITES. Le 18/07/2021. LE BESTIAIRE BAROQUE DE LA FONTAINE. ENSEMBLE FAEZA. M. HORVAT.

Crédit Photos : J.J. Ader

Nous fêtons cette année le quatre-centième anniversaire de naissance de Jean de La Fontaine. Musique en dialogue aux Carmélites consacre sa saison à cet événement avec cinq concerts. L’Ensemble Faeza dirigé par Marco Horvat est à géométrie variable et se réclame du chant auto accompagné. Seule la claveciniste reste sur son unique instrument.

Ce concert d’un étonnant Bestiaire Baroque fait la part belle aux textes des fables de La Fontaine. Les musiciens des XVII et XVIII ièmes siècles n’ont pas tari de références à la nature sous toutes ses formes. Nous retrouvons parmi les plus célèbres compositeurs François Couperin et Marin Marais, les plus rares sont par exemple Jacques-Martin de Hautteterre, François Campion, Jean-Baptiste Drouart de Bousset. Tous ces compositeurs ont beaucoup d’esprit et une fantaisie débridée pour illustrer la nature. L’agencement du concert est habile et Marco Horvat et son équipe rivalisent de bonne humeur et de fantaisie. Ce projet de chant accompagné est très baroque en lui-même et permet aux cinq musiciens des effets très variés. Chant seul a capella, chant accompagné, polyphonies, pièces pour clavecin seul, pièces instrumentales, pièces pour voix et instruments,  tout se complète avec art pour nous offrir un voyage très instructif dans ce bestiaire baroque. Les fables de La Fontaine parfois très rares portent toujours aussi haut qu’à leur création leurs précieux messages. Celle qui ouvre le concert des « grenouilles qui demandent un roi » peut avoir une allure très contemporaine.

L’esprit est donc l’élément marquant de ce concert. Chaque musicien se distingue par sa finesse, sa virtuosité et son partage généreux.  Les deux sopranos Olga Pitarch et Sarah Lefeuvre sont des diseuses délicates avec des voix très musicales et très pures. Marco Horvat a une voix de baryton naturelle avec une diction admirable. Les flûtes et la cornemuse sont très agréables et évoquent un coté champêtre très bien venu. Le clavecin donnant la couleur aristocratique qui revient à La Fontaine homme de cours.

La Chapelle des Carmélites demeure un écrin idéal pour des concerts si subtils entre mots et notes.

D’autres concerts seront consacrés par Musique en Dialogue au grand La Fontaine dont on ne peut se lasser de la sagesse aujourd’hui comme de tous temps. Que n’avons nous un La Fontaine pour nous parler, grâce à nos amis les animaux, de nos réactions parfois si insensées face à un certain virus venu de Chine ?

Hubert Stoecklin

Le fable à méditer

Critique concert. Toulouse. Chapelle des Carmélites, le 18/07/2021. Musique en dialogue aux Carmélites. Le Bestaire Baroque de Jean de Lafontaine. Musiques diverses des XVII et XVIIIe siècles.

Ensemble Faenza, direction Marco Horvat ; Sarah Lefeuvre, chant et flûtes ; Hermine Martin, flûtes et musette ; Olga Pitarch, chant, danse et ottavio ; Ayumi Nakagawa, clavecin ; Marco Horvat, chant, archiluth et guitare.

Dialogue des âmes musicales avec Danil Trifonov

Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 15 Juin 2021. Karol Szymanowski (1892-1937) : Sonate pour piano n°3 op.36 ; Claude Debussy (1862-1918) : Pour le piano L.95 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n°3 en fa mineur op.5 ; Daniil Trifonov, Piano.

Tant d’humanité et ce jeune homme n’a que trente ans !

La venue de Daniil Trifonov à Toulouse pour un récital solo tient de l’évènement. Les Grands Interprètes savent inviter les artistes incontournables et avec un tel interprète le bonheur est total. Retrouver enfin des concerts est un bonheur en soi mais reprendre les concerts des Grands Interprètes avec Daniil Trifonov est un privilège inouï.

Le pianiste russe est un phénomène dont j’avais déjà rendu compte en 2018 à La Roque d’Anthéron. Je pourrai me contenter de reprendre cet article dithyrambique et qui rapportait l’effet produit par la rencontre de ce génie. Il n’est pas facile de rendre compte d’un tel choc avec de simples mots. Car Daniil Trifonov, qui a tout juste trente ans, a une maturité musicale incandescente. La flamme qui l’habite et le ronge est perceptible dans chaque répertoire abordé.  Il semble changer de piano au cours du même concert tant il peut obtenir une variété de sonorités. Chaque compositeur sera proposé dans un univers sonore propre.

Daniil Trifonov © Dario Acosta
Daniil Trifonov © Dario Acosta

La terrifiante 3ème sonate de Karol Szymanowski met bien des pianistes en difficulté. Daniil Trifonov ne fait qu‘une bouchée ce cette œuvre virtuose. Le jeu est souverain avec des nuances incroyablement creusées. Les pianissimi perlés sont surnaturels. La manière dont il fait sonner les graves est absolument unique. La sonate de Karol Szymanowski laisse sans voix. L’engagement du soliste est total. Il donne à l’œuvre une dimension cosmique.  La manière dont Trifonov joue est comme remplie de modestie et de respect pour le compositeur. Il n’y a jamais dans le jeu cette recherche d’admiration si répandue. Il se donne comme mission de défendre avec sa vie, sa vision de l’œuvre et rend compte au public de son extraordinaire travail de recherche.

TRIFONOV 2017 5678 Dario Acosta Scaled
Photo : Dario Acosta

La sonate de Karol Szymanowski est assez courte mais Trifonov abolit le temps, il varie tellement son jeu que nous avons l’impression d’un monde infini. La manière dont il enchaine sans vraiment de temps de repos, va nous offrir un moment d’une rare profondeur. Il nous fait plonger dans ce Debussy de la première période qui n’est pas encore « impressionniste ». Trifonov va en magnifier la force rythmique. Il nuance avec subtilité et phrasé de manière très personnelle. Tout cela renouvelle notre écoute.  Là également il n’y a aucune recherche d’effet, rien d’une séduction qu’un tel jeu en sa perfection n’aurait aucun mal à convoquer. Non un artiste intègre qui se lance à corps perdu dans son interprétation. Il est probable que c’est cette mise à nue de l’interprète, le don total de sa personne qui produit cette écoute si particulière du public. Il y a quelque chose de chamanique dans l’attitude de Trifonov. Il nous ouvre à un niveau supérieur de compréhension des œuvres. Cela sera encore plus puissant pour moi avec la troisième sonate de Brahms que j’aime beaucoup et que j’écoute toujours avec grand intérêt. Est-ce si étonnant que Trifonov m’en révèle des moments nouveaux alors que je croyais si bien la connaître ? Là aussi le don total de l’interprète, ses propositions interprétatives si personnelles obtiennent une adhésion sans réticence. La puissance du jeu permet une écoute comme facilitée. Tout étant possible aux doigts du prodige russe, la sonate semble d’une facilité extrême. C’est tout dire ! La modernité éclate comme une évidence. Le souffle romantique est aussi puissant qu’un tsunami qui balaye toute référence à une autre interprétation. Il s’agit d’autre chose. Peut-être est-ce dû au partage de la vision d’un interprète en transe qui sait par sa sincérité nous embarquer avec lui dans un voyage fabuleux. Cette inestimable artiste ne permet pas d’analyser ses interprétations il me convainc de le suivre sans résistances. Il a tout ce dont un virtuose du piano peut rêver mais surtout il a une chaleur dans son interprétation de cette sublime sonate de Brahms qui est celle d’un poète. Et cette manière de changer le son de son piano est très impressionnante dans cette dernière œuvre. Pour Brahms il acquiert comme des sonorités d’orgue avec des graves d’une profondeur abyssale. Il ose tordre certaines phrases pour leur donner un poids expressif inconnu. Comme il est vain d’essayer de parler du génie d’un interprète ! Daniil Trifonov est un homme d’une richesse et d’une générosité uniques. Tant de dons, tant de recherche et de travail, tant de beauté et bonté en une seule personne semble un rêve. Avec des moyens moins extraordinaires je connais des pianistes doués qui auraient obtenus une standing ovation dans un partage hystérique. Rien de tel ce soir, des applaudissements, des mercis hurlés mais également un immense respect. C’est ainsi que Trifonov en nage, après un programme si conséquent joué sans entractes, offre deux bis à son public. Un mouvement évanescent, avec des notes perlées délicatement ciselées et beaucoup d’humour, qui après les fulgurances brahmsiennes sont comme un bonbon et démontre la maitrise totale dont Trifonov est capable. Puis la sublime adaptation par Myra Hess de « Jésus que ma joie demeure » interprétation simple et belle comme l’évidence de la grâce partagée.

Daniil Trifonov © Dario Acosta Deutsche Grammophon

Plus qu‘un pianiste virtuose, ou un musicien de génie, Daniil Trifonov est un grand homme qui en partageant ainsi son humanité rend meilleur celui qui l’écoute et qui arrive à sentir son âme s’accorder à la sienne. Tant d’humanité et ce jeune homme n’a que trente ans !

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Trifonov © Christophe GREMIOT

Hubert Stoecklin

Lien vers la chronique de 2018 à La Roque


Les Grands Interprètes

Affiches Artistes

Concert toujours sans public mais qui maintient le lien par la visio-diffusion

Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 6 mars 2021. Richard Wagner (1813-1883) : Prélude et mort d’Isolde, extrait de Tristan et Isolde ; Richard Strauss (1864-1949) : Also sprach Sarathoustra, poème symphonique. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Thomas Guggeis, direction.

Un Concert au sommet !

Les concerts retransmis en direct puis en « replay » de l’Orchestre du Capitole se poursuivent favorisant ce frêle lien avec les critiques présents et le public derrière ses écrans. Le succès est majeur et l’orchestre se maintient ainsi à son niveau d’excellence, les chefs peuvent partager avec cet orchestre si engagé des moments fondateurs et le public peut se régaler des images proposées sur Youtube. Ces ersatz sont succulents et méritent toute notre reconnaissance mais quand retrouverons-nous cette alchimie si particulière entre l’orchestre et son public toulousain ? Quand la Musique renaitra-t-elle à la vraie vie ?

GUGGEIS
Thomas Guggeis avant de diriger le prélude de Tristan se concentre

Ce que je peux dire c’est qu’en tant que privilégié présent en chair et en os, j’arrive mieux à vivre l’absence du public. Après tout il y a de sacrés avantages, pas de toux, de bruits de papiers de bonbons, de bruits de bijoux et autres joyeusetés. La musique est d’avantage respectée ainsi pas d’applaudissements impatients non plus en fin de morceau. Mais quelle tristesse toutes ces places vides !

Le tout jeune chef d’origine allemande Thomas Guggeis a dirigé ce soir un concert d’anthologie. Le chef de tout juste 27 ans est un musicien hors pair capable de donner des ailes à l’orchestre. Le programme exigeant est de toute beauté. D’abord sans rupture de la solution de continuité le prélude de Tristan et la mort d’Isolde en version purement orchestrale. Cette pièce de concert nommée « Prélude et mort d’Isolde » est un véritable monument, très aimé des chefs comme du public. Rarement la voix aura si peu manqué dans le lied final tant l’orchestre a chanté avec passion et a chanté haut et fort. Le grand crescendo est magnifiquement conduit par le chef. Les risques pris sont aigus et le résultat assumé est ce grand vol d’un vaisseau puissant et qui malgré sa taille décolle tout là-haut.

T.Guggeis
L’envol de la musique avec T.Guggeis

Jouer ces deux extrêmes de l’opéra fleuve de Wagner nous fait vivre de manière fulgurante cette passion mortelle inouïe. Toutes les questions harmoniquement irrésolues du prélude, tous ces chromatismes tristaniens qui ont tant plu et qui irritent tant, sont une magie dont le jeune Thomas Guggeis comprend tous les arcanes. Et leur résolution dans ce dernier accord est une jouissance suprême. La manière sure et généreuse dont le chef aborde ces deux pages liées pour l‘éternité est un régal sur tous les plans. La perfection instrumentale, l’équilibre des nuances, les phrasés amples et les couleurs mélancoliques d’une douleur infinie, puis dans la mort d’Isolde cette puissance de la transfiguration amoureuse avec ces coups de boutoirs si puissants, font une impression profonde. Les contre-chants si lisibles, les interventions subtiles de la harpe, tout est pleinement présent jusqu’à cette fin magique parfaitement réalisée ce soir. Un très grand chef de théâtre ce jeune homme, qui en quelques minutes nous résume tout le drame de Tristan et comment !

Thomas Guggeis
Thomas Guggeis dirigeant l’Orchestre du Capitole le 6 Mars 21

Et que dire à présent de la manière dont Thomas Guggeis empoigne le Sarathoustra de Strauss ? Il semble changer d’orchestre, le son gagne en brillant, en acuité et les instrumentistes comme galvanisés rivalisent de beauté sonore. Dès le splendide lever des cuivres encouragés par la timbale, la puissance et la grandeur coupent le souffle. Toute la partition restera à cette hauteur et dans une infinie variété de nuances et de couleurs va nous faire vivre un voyage enchanté à travers toute l’humanité, ses réalisations les plus spectaculaires, ses aspirations les plus hautes, mais sa vulnérabilité la plus bouleversante aussi et même sa petitesse. Richard Strauss a composé une suite de mouvements absolument virtuoses qui permettent à l’orchestre de briller à chaque instant. Il est impossible de citer chacun mais admettons que les cuivres se taillent une part de lion dans une puissance renversante. Le violon solo de Kristi Gjezi est d’une présence envoûtante. Il serait injuste d’oublier les bois si émouvants, ni les cordes dans une soie si brillante et un moelleux si chaud. Les percussions sont exquises de précision et pimentent le tout.

Thomas Guggeis et L’Orchestre du Capitole : quelle interprétation !

L’ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE est un Grand Orchestre magnifique en tout. La réécoute de la vidéo est un précieux régal mais avouons que l’effet est autrement troublant en face des déferlantes des plus de 100 musiciens de l’orchestre si admirablement dirigés.  Disposés si confortablement dans la Halle-aux-Grains les sonorités somptueuses se développent incroyablement. Le confinement permet aux musiciens de jouer avec peut-être plus de concentration et moins la pression de répétitions harassantes. Je les  trouve reposés, impliqués et d’autant plus généreux. Le son de ce soir est tout à fait unique c’est vraiment du grand art. Bravo à tous y compris au programmateur qui a su trouver ce jeune chef, Thomas Guggeis, un nom qu’il faudra suivre et un chef qu’il est souhaitable de voir et revoir à Toulouse tant au concert qu’à l’opéra.

Hubert Stoecklin

lien vers le concert attention ça plane haut !

Orchestre national du Capitole

Concert d’un nouveau type : sans public !

Compte rendu Concert. Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 6 Février 2021. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concert pour piano et orchestre n°20 en ré mineur, K.466 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Symphonie n°9 en ut majeur, D. 944, « La Grande » ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, piano ; Direction : Leo McFall.

Concert jubilatoire sans public mais très regardé !

C’est le paradoxe incroyable de cette époque. Pas de concert pour le fidèle public mais des captations vidéo et des rediffusions qui permettent à un très grand nombre d’écouter la beauté pure.

Au moment où j’écris ce texte, soit trois jours après le concert, il a été vu plus de 7200 fois ! C’est bien plus que lors de concerts mais l’émotion peut-elle être comparable ?  C’est un immense plaisir de le voir ou le revoir mais le concert est un rituel public ne l’oublions pas. Sans public le sens du partage est juste tué.

ONCT

La presse a pu être présente, je peux donc vous assurer que l’émotion est particulière en ce moment. Sentiment d’extraordinaire privilège et de profonde tristesse d’être face à une vaste salle entièrement vide.

Le début du 20ème concerto de Mozart, avec cette phrase si dramatique évoquant l’ouverture de Don Juan, fait monter les larmes aux yeux. Quelle beauté sonore, quelle puissance expressive, quelle théâtralité fabuleuse !  Le jeune chef anglais, Leo McFall, prend possession de la partition avec un sens du théâtre magnifique. Ce chef est très intéressant car il prend un parti pris très engagé. Il dirige ce concerto comme un opéra, avec un sens des nuances, des couleurs et du phrasé d’une musicalité tout à fait délicieuse. Les gestes eux-mêmes sont d’une grâce, d’une élégance et d’un pouvoir expressif rares. Il donne beaucoup de liberté aux solistes de l’orchestre, et donne aux interventions de l’orchestre un beau relief. Ce concerto, en ré mineur a une grande profondeur et ressemble à une conversation mondaine parfaitement organisée. Ainsi l’orchestre débute majestueusement, le piano répond, puis ils créent ensemble un dialogue respectueux de belle hauteur dans une parfaite lisibilité. Le chef est admirable de présence pour le pianiste comme pour ses musiciens. Sa direction est belle et d’une grande efficacité.

David Fray

David Fray, qui hélas reste masqué, participe à la dramatisation de l’interprétation tout en osmose avec la vision orchestrale dramatique du début. L’entente entre le pianiste et le chef permet de très beaux échanges. Le jeu de David Fray est franc, précis, parfois un peu sec. Il a tendance à se précipiter dans les cadences qu’il a choisies avec une belle virtuosité. Dans le premier mouvement il semble puiser dans plusieurs propositions :  Clara Haskil, Paul Badura-Skoda et Beethoven. Dans le dernier mouvement il ose la cadence tempétueuse d’Edwin Fischer. La théâtralité partagée est reine et le concerto sonne magnifiquement bien : un vrai bonheur !

Leo McFall un chef à suivre de près !

Leo McFall © Ville Hautakangas
Leo McFall © Ville Hautakangas un chef très attentionné

Pour la deuxième partie du programme la « grande symphonie » de Schubert nous permet de jauger Leo McFall tant cette œuvre mérite un chef « qui a quelque chose à dire ». Sa longue construction, ses très nombreuses reprises et sa structure complexe méritent une « grande baguette ».

Avec des gestes toujours aussi élégants, le chef semble prendre totalement confiance avec l’orchestre, laisse jouer les solos librement (les hautbois méritent une citation) et personne ne cache son plaisir. Leo McFall obtient des nuances très creusées, des couleurs magnifiques et il sait phraser admirablement avec beaucoup de subtilité. Il donne beaucoup de caractère aux différents mouvements et  semble tous les mettre sous le signe de la danse. Jamais je n’avais remarqué comme bien mieux que la septième de Beethoven cette neuvième symphonie de Schubert mériterait le titre d’apothéose de la danse. L’élégance des marches, la joie des valses, la puissance des cavalcades, l’humour aussi dans les reprises, tout fait de cette symphonie pleine de contrastes un grand mouvement dansé de toute les manières possibles.

Il y a comme une sorte de gourmandise dans les nombreuses reprises et la symphonie avance avec célérité vers le final qui est une véritable apothéose. Leo McFall est un chef passionnant. Sa direction permet à la musique de couler avec beaucoup de vie et l’orchestre a magiquement profité de cette personnalité musicale hors des sentiers battus. Il sait créer un climat surnaturel ou un silence angoissant : c’est un chef qui comprend le théâtre. N’oublions pas qu’il est chef d’opéra et symphonique et également violoniste et pianiste… …  Ce grand musicien qui semble s’entendre admirablement avec l’orchestre du Capitole doit revenir vite et pourquoi pas se fidéliser à Toulouse !  Leo McFall un nom à retenir, il est facile de se faire une idée,  regardez sur youtube….

Hubert Stoecklin

Orchestre National du Capitole

Adam Laloum et Maxim Emelyanitchev en osmose

Compte rendu Concert. Toulouse, le 8 Janvier 2021. Halle-Aux-Grains. Robert Schumann (1810-1856) : Ouverture de Genoveva ; Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54 ; Symphonie n°4 en ré mineur, op. 120 ; Adam Laloum, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Maxim Emelyanychev, direction.

Schumann comme épuré

Onct 7 Janvier 2020

Ce concert est exceptionnel sur bien des plans.  Déjouant le sort qui semble vouloir tuer la culture vivante, les organisateurs ont convié les journalistes. Ainsi une poignée de chroniqueurs a pu, en ordre dispersé, assister à un concert filmé par Médici TV avec la mission d’en faire un retour. Car les journalistes artistiques eux aussi sont contraints au silence par manque de concerts.

C’est donc ma plume joyeuse qui retrouve le clavier !

Quoi qu’il en soit, l’Orchestre du Capitole a su développer une politique volontaire depuis le début de la fermeture de la Halle-Aux-Grains. Les concerts ont eu lieu et ont été filmés et diffusés en direct sur les réseaux sociaux. Ils sont ensuite disponibles à la revoyure (pour être vus et revus) et peut être qu’au final leur audience dépassera le public habituel de la Halle avec ses 2000 places. Peut-être qu’au final aussi un nouveau public viendra écouter l’Orchestre en concert.

L’équipe vidéo de l’Orchestre a ainsi pu prendre du galon et nous constatons de captations en captations les progrès. Mais ce soir c’est la Rolls de la vidéo musicale qui se charge du film, tous dans cette équipe de Medici TV sont des artistes magiques dirigés par Jean-Pierre Loisil. Chaque instrument soliste est vu au bon moment, les regards sont complices, les gestes du chefs enthousiastes et le jeu du pianiste d’une sensibilité rare. Et ce programme tout Schumann quelle belle idée !

Emelyanychev Maxim Jeune Maestro Il Pomo Doro

L’ouverture de Genoveva est une grande et belle pièce de concert qui développe une théâtralité passionnée sous la direction d’un Maxim Emelyanitchev particulièrement inspiré. Le final est enthousiaste et plein d’une passion délirante.

Puis l’arrivée du soliste est toujours un moment émouvant, la lente et élégante installation du piano d’abord puis les deux jeunes musiciens entrent en scène dans un même élan. Emelyanitchev dans une énergie elfique et Laloum comme un Giacometti vivant. Le concerto de Schumann est une œuvre à la fois très inspirée et homogène dans sa qualité constante. Le premier mouvement composé d’abord comme une pièce indépendante s’intègre à la perfection dans ce concerto en trois mouvements, tous fondus entre eux. Dès les premiers instants nous percevons que l’entente entre les deux musiciens est totale. Les regards, les égards, tout est recherche de partage et d’harmonie. La manière dont les nuances piano sont construites ensemble, puis le délicat crescendo permet de déguster comme rarement la finesse d’écriture de Schumann. La délicatesse du toucher d’Adam Laloum quasiment mozartien trouve un écrin élégant dans l’orchestre dirigé par Emelyanitchev. Le premier mouvement permet un dialogue d’amour entre musiciens qui renouvelle complètement la notion de concerto. Il n’y a jamais rien de démonstratif mais rien que du partage, de l’écoute comme une communion. Comment le hautbois et le piano se répondent, comment la clarinette et le basson colorent le propos et comment le piano se moule dans leurs sonorités veloutées, vous pouvez le retrouver dans le vidéo. Dans le deuxième mouvement c’est le beau chant des violoncelles qui émeut et le final est d‘une flamboyance rare. Un concerto de Schumann comme dégraissé est rendu à un naturel de pureté. Schumann y offre à sa chère Clara un dialogue digne de la musique de chambre, y associant une virtuosité toujours musicalement justifiée. L’amour de la musique, rien que de l’amour jamais de combat ou d’opposition.

Adam Laloum©Harald Hoffman

La jeunesse de cette partition rendue à sa pureté par l’osmose entre le chef et le soliste est un moment béni. Laloum est dans son répertoire de prédilection et son sens du phrasé, sa compréhension de toutes les facettes de l’œuvre, font de son interprétation la plus éloquente que j’ai jamais entendue. Emelyanitchev dirige comme par magie avec des gestes doux et jamais violents. Il obtient avec cette douceur plus de feu et d’âme que bien d’autres chefs. Et les musiciens de l’orchestre partagent avec joie cette vision lumineuse et joyeuse. C’est un véritable enchantement qui lie ainsi ces artistes. Quel dommage que le public n’aie pu, après avoir partagé ce moment, manifester avec reconnaissance sa joie dans des applaudissements généreux.

La dernière œuvre du concert est la quatrième symphonie de Schumann, celle que le compositeur voulait la plus expérimentale en liant sans silence les mouvements.  Œuvre qui coule, qui avance et exprime le plaisir de vivre. La passion de la vie dont regorge cette belle partition trouve en Emelyanitchev un chef qui en comprend toute la profondeur. Il obtient des musiciens de l’orchestre un jeu vibrant et plein de vie à chaque instant, jamais rien de lourd même dans les moments où la puissance se développe. Il y a vraiment quelque chose d’inspiré et de magique dans la direction de ce jeune chef. L’enthousiasme est communicatif mais sans précipitation. Il sait déguster la beauté de la musique et nous la rend limpide. Chaque musicien mérite d’être cité. Ils ont tous été merveilleux. Chacun a semblé donner ce qu’il peut de mieux et que le résultat est beau !

Un mot encore sur le plaisir des oreilles dans la vaste Halle-Aux-Grains silencieuse. Le son est pur, précis et l’équilibre sonore est absolument sidérant. La distance entre les musiciens, leur disposition germanique avec les contrebasses de face au fond, les violons 1 et 2 de part et d’autre du chef et la timbale au niveau des bois créent une ambiance merveilleuse. Cela fonctionne parfaitement et la précision de la direction, la finesse du jeu du pianiste trouvent ici un écrin parfait. La joie d’entendre un orchestre en liberté même si en période de disette, les enregistrements écoutés au salon sont un vrai bonheur tout de même … ce soir c’est un rappel à la vie !

Hubert Stoecklin

Lio Kuokmann chef pianiste fédérateur

Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 16 octobre 2020. Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : triple concerto pour violon, violoncelle et piano en do majeur, op.56 ; Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Suite orchestrale « Beaucoup de bruit pour rien » de William Shakespeare, op.11 ; Richard Strauss (1864-1949) :  Le Chevalier à la rose « grande suite » ; Kristi Gjezi, violon, Marc Coppey, violoncelle ; Lio Kuokman, direction et piano.

La musique entre liberté et joie : éternellement jeune.

Quel concert exceptionnel ! Le dernier à une heure habituelle « 20h » avant cette sinistre période de couvre-feu.

Que la culture va-t-elle devenir ? Toujours plier sous le joug administratif ! Toujours s’adapter pour ne pas être exterminée ! LA CULTURE va « dérouiller » encore et encore, car comment va-t-elle trouver son public en lui offrant la certitude d’être chez soi à 21h ?  Débuter les spectacles à 18h30 ? 18H ? Encore faudra-t-il que les employeurs soient très conciliants et que la circulation s’assagisse à cette heure de folie sur le périph.

Lio Kuokman
Lio Kuokman

Ce soir pas de soucis de ce genre, le concert a débuté à l’horaire habituel, avec 1000 spectateurs seulement, distanciation sanitaire oblige. Ce soir des spectateurs potentiels sont restés dehors…

L’engouement pour le triple concerto de Beethoven est bien réel. Cette œuvre brillante et profonde permet un dialogue intense entre les instruments et l’orchestre. Plus symphonie concertante que simple concerto, l’œuvre permet à la virtuosité de s’exhaler et à l’émotion d’éclore. Ce soir le chef est également au piano, assurant une parfaite union entre l’orchestre et les solistes. Lio Kuokman est aussi brillant pianiste que chef doué. Cet homme a une direction élégante et obtient de l ’orchestre une musicalité délicate. Des phrases amples, des nuances finement dosées. Les couleurs de l’orchestre sont magnifiques. Il fait de la musique avec ses pairs avec autant de bonheur que tout l’orchestre qui le suit avec un plaisir non dissimulé tant il se dégage de son geste une générosité irrésistible. Au violon, Kristi Gjezi, quitte un temps son poste de premier violon super-soliste de l’orchestre. Un peu inquiet il a toutefois tout dans son jeu pour faire honneur à sa partie.

Kristi Gjezi Pierre Beteille 768x768
Kristi Gjezi © Pierre Beteille

Il faut dire que l’aisance aristocratique de Marc Coppey au violoncelle est incroyable. Cet artiste que nous aimons beaucoup, a une grâce dans son jeu, une bonté qui émeut. Il y a comme du velours épais et chaud dans sa sonorité qui nous enveloppe. Et quelle simplicité dans ses échanges avec les musiciens à l’entour !

Marc Coppey © Kyoko Homma

Lio Kuokman joue sa partie avec gourmandise et dirige quand il le peut avec énergie et générosité. L’interprétation est parfaitement équilibrée, chacun à son meilleur. Le public fait un véritable triomphe et obtient en bis la dernière partie du final lancée par Kristi Gjezi dans un tempo d’enfer. Comme dégagé d’un certain stress le violoniste semble voler avec une facilité déconcertante. Le bonheur de faire de la si belle musique ensemble est flagrant. La joie déborde entre les solistes comme entre les musiciens de l’orchestre. Que c’est beau cette communion avec un public enthousiaste.  Rien qu’un moment comme celui-là prouve combien la mission des musiciens est VITALE ! La joie du partage existe encore !  Et comment !!

Lio Kuokman
Lio Kuokman

Pour la deuxième partie du programme les deux œuvres choisies gardent cette liberté de ton et cette beauté. Kornglod a su mettre en musique l’esprit léger et la jeunesse de Shakespeare. L’orchestre est comme allégé sans contrebasses. Le piano y joue une partie virtuose et prépondérante. Mais la virtuosité de chaque groupe instrumental est un véritable régal. L’orchestration est riche et originale. Lio Kuokman sculpte le son avec art, obtenant le meilleur des instrumentistes radieux.

Lio Kuokman
Lio Kuokman

Mais c’est dans la « Grande suite du Chevalier à la rose » que la direction de Lio Kuokman nous démontre sa capacité dramatique. C’est un chef prisé à l’opéra, nul doute possible avec cette manière de donner à chaque thème sa dimension dramatique et son espace exact. Quelle aventure que ce « digest » du Chevalier à la Rose. La valse finale est véritablement enlevée avec des gestes du chef comme pour battre de la crème fouettée. Et le bis, avec ces « voix du printemps » de Johann Strauss fils, est un hymne à la vie ! Affreux printemps 2020, que sera celui de 2021 ? Quelle élégance dans la direction, quelle capacité de lien avec les musiciens comme avec le public.  Lio Kuokman a bien des qualités musicales et humaines qui en font ce soir un vrai espoir dans la succession si complexe de Tugan Sokhiev.

Concert unique de pré « couvre-feu » véritable hymne à la jeunesse et la liberté !

Hubert Stoecklin

lien vidéo vers le Triple concerto quelques jours auparavant ainsi que la suite du Chevalier à la rose à Hong Kong

LA MUSIQUE contre la peur !

Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le samedi 3 Octobre 2020. Joseph Haydn : Symphonie n°95 ; Ludwig Van Beethoven : Concerto pour piano et orchestre n°4 ; Symphonie n°8 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Ishay Shaer, piano ; Maxim Emelyanychev, direction.

Maxim Emelyanychev

Maxim Emelyanychev

L’énergie inépuisable de Maxim Emelyanychev nous emporte !

La grâce d’ Ishay Shaer nous enchante !

A Haydn, professeur de Beethoven il est rendu hommage avec une de ses symphonies londoniennes mais c’est bien le géant de Bonn, Beethoven, qui domine le programme de ce beau concert. Malgré ses 20 minutes la symphonie n°95 de Haydn passe sans laisser grande impression. Si, bien sûr, une belle mise en espace, de larges phrasés et une énergie débordante, toutes dues à la direction sensationnelle du chef russe. Mais cela fait figure de hors d’œuvre pour la suite car ces mêmes qualités seront encore plus présentes. En effet les deux œuvres de Beethoven sont si puissantes qu’elles rendent un vibrant hommage au génie de Beethoven. Le quatrième concerto pour piano de Ludwig Van Beethoven est peut-être mon préféré. Son équilibre parfait entre orchestre et piano le rend particulièrement émouvant. L’entrée du piano solo suivi par la longue introduction orchestrale saisit l’auditeur par son audace et la puissance de son développement orchestral véritablement symphonique. Puis le dialogue si intimement noué avec le pianiste nous emporte. La qualité de l’équilibre entre le soliste, le chef et l’orchestre se révèle ainsi dès ces premières mesures. Et nous aurons ce soir une entente musicale étonnante. Elle fonctionne à merveille entre un pianiste solaire, dépouillé et mesuré et un chef débordant de vitalité, capable de brusquer les nuances, contorsionner les lignes chantantes et exacerber les rythmes. Le premier mouvement élégant et puissant, avance avec sérénité. Les solistes instrumentaux de l’orchestre dialoguent avec feu avec un pianiste très à l’écoute. Le jeu est égal entre tous, sans recherche de leadership. La musique se déploie somptueuse et rayonnante de bonheur. Le jeu d’Ishay Shaer est très clair, souple et délicat. Jamais de recherche de force, tout lui semble d’une facilité déconcertante. Trilles, fusées, longues phrases, rythmes charpentés tout ce que nous attendons de Beethoven est là. Le chef avance avec vigueur et sait relancer les phrasés avec efficacité. C’est le deuxième mouvement, celui qui organise un face à face unique entre un piano orant et un orchestre tonnant, qui permet aux artistes de théâtraliser leur propos. La délicatesse de la sonorité et la subtilité des phrasés d’Ishay Shaer construisent une prière irrésistible. La méchanceté et la violence de l’orchestre de Maxim Emelyanychev, sa sècheresse, nous font peur et nous permettent une identification immédiate au piano. La mort renonce (provisoirement) et le chant du piano sera vainqueur. Quel moment émouvant !

Ishay Shaer © David Jacobs

Ishay Shaer © David Jacobs

Jamais une telle opposition, douloureusement enfoncée jusqu’à la garde ne m’avait été donnée d’entendre dans ce mouvement si admirable dont le début prend ce soir une dimension planétaire, avec cette peur qui gouverne le monde. C’est toute l’opposition des tempéraments, leurs qualités se renforçant mutuellement qui fait le prix de cette rencontre de musiciens d’exceptions. L’Orchestre du Capitole, témoin de cette rencontre inoubliable fonce dans la mêlée avec un amour du beau son et de la puissance des sonorités. Le dialogue entre le piano et l’orchestre est d’une intelligence souveraine. La soudaineté du final libère la tension acculée dans cet andante nourrit d’émotions puissantes. Le final caracole avec une vivacité réjouissante. Nous avons le bonheur de trouver dans la vivacité le plaisir du partage entre virtuoses. Le public frémit de plaisir, il s’est reconnu dans cette musique d’oppositions et espère cette joie finale. Chacun veut la fin du cauchemar qu’a fait naître un petit virus couronné relayé et amplifié par nos décideurs. La prière du piano avait quelque chose de très personnel ce soir. Alors la joie du final est notre espoir à tous, et dans cette interprétation la vivacité des traits du pianiste est sidérante, associée à l’énergie sans limite de la direction du chef. Les dernières mesures sont quasiment de l’électricité pure et en haute tension !  Le public exulte à deux pas de la standing ovation.

Le délicat pianiste israélien, tous sourires, revient saluer et offre un bis d’une grande beauté comme la suite de la cadence du concerto allant vers l’une des plus sublimes œuvres de Bach. Le Choral « Jésus que ma joie demeure » immortalisé par l’adaptation de Myra Hess provoque une belle et vaste émotion. Ce choix de fin musicien est digne de cet artiste sensible. C’est la musique de la beauté et de l’espoir en ses plans qui se mêlent et se respectent :  chant de la joie de vivre que rien ne peut contraindre. Et il lie ainsi Bach, Haydn et Beethoven : le graal germanique de la musique classique….

Après tant d’émotions contrastées, la dernière œuvre va nous entraîner vers la joie pure. La huitième symphonie de Beethoven est relativement courte et avance sans relâche. Elle ne comporte pas de mouvement lent et semble au sein de ces neuf symphonies la plus heureuse. Le rythme y est très présent et Maxim Emelyanychev semble en apprécier toutes les facettes. Parfois il va jusqu’à une forme de brutalité tant l’énergie semble cogner contre la structure. Mais il est impossible de résister au séisme musical déclenché par le bouillonnant chef russe. Cette manière d’exacerber les contrastes et les nuances a indéniablement quelque chose de baroque. N’oublions pas que le jeune chef si doué est un grand amateur de musiques baroques et joue du cornet à bouquin. L’humour avec cette moquerie du métronome dans le deuxième mouvement est un vrai régal musical. Cette symphonie moins grandiose et moins connue du public est en tout cas sous une direction si énergique une œuvre inestimable, surtout en ces temps incertains. Une œuvre si engagée et enthousiaste est une bénédiction face à la terreur que les politiques et les médias nous distillent sans pudeur. Voilà un programme de concert thérapeutique. Nous avons besoin de cette énergie sans masques, de cette beauté sans concession et de cette volonté indomptable de croire au bonheur sans faiblesse.

Emelyanychev 3oct

Maxim Emelyanychev est un chef généreux qui encourage les musiciens ; l’orchestre du Capitole se régale et montre le meilleur de lui-même avec un chef d’une telle trempe et surtout qui ne cache pas son plaisir. Concert qui se termine en apothéose du bonheur du partage, sans peur et sans regrets, face à l’adversité. Après tout, même masqué le public fait de la résistance en allant écouter des artistes générant du bonheur si puissant dans un partage sage mais enthousiaste. C’est une grande chance d’avoir retrouvé notre orchestre en cette belle Halle-aux-Grains qui, avec bien des places vides, arrive toujours à applaudir avec force des artistes magnifiques. Vive la musique, vive la vie !  Merci à ce chef elfique que nous retrouverons avec joie dans la saison de l’orchestre plusieurs fois. Dont le concerto de Schumann avec Adam Laloum très bientôt… ce sera à nouveau de la magie !

Hubert Stoecklin

Compte rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le samedi 3 Octobre 2020. Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonie n°95 en ut mineur, Hob.1 : 95 ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°4 en sol majeur Op. 58 ; Symphonie n°8 en fa majeur, Op.93 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Ishay Shaer, piano ; Maxim Emelyanychev, direction

Piano Jacobins la magie contre le virus

Compte rendu concert. 41 ième festival Piano aux Jacobins. Cloître des Jacobins, le 9 septembre 2020. C. DEBUSSY. M. RAVEL. F. LISZT. B. CHAMAYOU.

Bertrand  CHAMAYOU ami fidèle de Piano aux Jacobins.

Catherine d’Argoubet est une femme opiniâtre et très courageuse qui avec sa vaillante équipe a maintenu le Festival Piano Aux Jacobins contre vents et marées virales et administratives. Sa passion pour la musique reste intacte et ses capacités d’organisation sont exemplaires.  Et il en faut du courage en ces temps incertains pour prendre les risques  nécessaires afin d’organiser un festival aussi complexe que Piano Aux Jacobins.

Nous y étions ce soir, le résultat est là : la magie du lieu a fonctionné parfaitement. C’est cela aussi : une étape importante d’un retour à la vie normale que bien du monde attendait à Toulouse. Je dis Toulouse mais pas seulement Toulouse car Piano aux Jacobins a une aura internationale. N’oublions pas que ce festival s’exporte en Chine.

Piano Jacobins 41 Ans

Émotion forte donc que de pénétrer dans la vaste église des Jacobins, avec toujours un coup d’œil vers cet incroyable Palmier. Puis aller vers la partie des places qui vous sont destinées. Impeccable organisation, gentillesse des placeurs, public très respectueux des modalités de distanciation, tout est là pour que le plaisir musical soit intact sans risques inutiles. Pour ma part je m’installe dans le Cloître, juste après la pluie, face au piano et mon bonheur est extrême.

La veille, soir d’ouverture le grand Kovacevich n’avait pu venir de l’étranger. C’est là le seul hic pour ce festival international, tout comme la Roque d’Anthéron cet été : il a fallu compter sur les pianistes géographiquement proches, indépendamment de leur fidélité et renoncer au plus lointains.  Il n’y a pas de soucis, la qualité des musiciens est là. Nicholas Angelich, ami fidèle a offert hier un concert splendide consacré à Beethoven. Nous n’en doutons pas un instant après avoir eu la chance d’écouter cet été ses incroyables interprétations de Beethoven à La Roque !

Ce soir c’était un grand ami du Festival, un grand fidèle, presque le fils prodigue du festival. En effet il a fait des débuts très remarqués à ce festival tout jeune, il y a déjà presque une vingtaine d’années. Bertrand Chamayou est chez lui et à Toulouse ne l’oublions pas. Il y avait donc tout un public acquis d’avance et il était réconfortant de voir la salle capitulaire et le porche du Cloître et même quelques personnes dans le Cloître, tous se concentrer vers le jeu du jeune Chamayou. Impassible il se lance dans son programme avec calme impressionant.  Il ne fait qu’une bouchée de la Cathédrale engloutie, puis de la terrasse des audiences. Du beau piano, sonore et sans oublier une note. La maitrise du jeu ne permet pas d’expression superflue. C’est dans Feu d’Artifice, toujours de Debussy, que son jeu est le plus mis en valeur. Fusées, explosions, fulgurances, sureté absolue des doigts, son Feu d’Artifice est époustouflant. Dans Miroirs de Ravel le parti pris ne change pas, les sonorités non plus. Le jeu est lisse, sonore et parfaitement maitrisé. Certains n’entendent pas Debussy et Ravel en frères siamois comme Chamayou le propose ce soir.

Le programme remanié pour les raisons sanitaires ne permet pas d’entractes et nous passons à la deuxième partie consacrée à Liszt. Jeux d’eau de la Villa d’Este est perlé et jaillissant à souhait. La Berceuse est adorable. Mais c’est dans le trio Gondoliera, Canzone et Tarantella que l’énergie italienne fait trouver à Bertand Chamayou des accents plus chaleureux. La fabuleuse virtuosité impressionne toujours autant le public. Dans notre souvenir il était plus inventif lors de son intégrale des Années de Pèlerinage en 2011.  Avec générosité, adulé par les Toulousains, Bertrand Chamayou offre une série de bis toujours avec une virtuosité très pure, de Ravel, Liszt et Saint-Saëns. C’est un grand plaisir d’entendre le piano ainsi enchanter la nuit toulousaine en ce cloître si beau. Longue vie à Piano Jacobins.

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Hubert Stoecklin

A Toulouse des concerts en catimini !

Expérience musicale. Toulouse. Théâtre Garonne, les galeries. Du 26 Aout au 6 Septembre 2020. Adam Laloum, piano. Mi-Sa Yang, violon.

A bas bruit la musique fait son retour à Toulouse grâce au Théâtre Garonne

On le sait la culture doit rentrer en résistance pour subsister après le Covid. On ne compte plus les artistes malheureux, les projets annulés, les spectacles ajournés, les déplacements, annulations, réductions, et que sais-je encore. Des saisons amputées, des Festivals laminés, des morts et aussi  des résistants.

Nous avons eu la chance d’aller à Salon de Provence et à la Roque d’ Anthéron. Et à Toulouse la Musique en dialogue à la Chapelle des Carmélites ( tous les compte rendu dans les articles ci dessous).

Les organisateurs de spectacle ont dû avaler des couleuvres, faire et refaire des plans de salle selon des directives aussi arbitraires que délétères.  A Salon le port du masque durant les concerts en plein air et des places vides partout. A la Roque un plan millimétré privant des deux tiers des places, mais autorisant d’enlever le masque durant les concerts, en plein air tout de même ! Et toujours une organisation parfaite, des bénévoles experts dans l’art de diriger un public impatient mais docile. Et combien y a-t-il eu de réunions, de négociations… de travail fastidieux souvent inutilisable, de tracas, de peurs et de moments de désolation….  Jamais je ne serai assez reconnaissant à ces résistants qui portent haut l’étendard de la liberté de l’expression artistique malgré toute la bureaucratie maudite. Le travail de toutes les personnes « autours » des artistes a été remarquable, absolument fondamental. Merci à tous.

Les artistes étaient tous émus d’enfin jouer pour le public, dans des retrouvailles très émouvantes. La plupart ont évolué durant ce confinement, certains abordant de nouveaux répertoires. Les organisateurs de spectacles ont osé et ont réussi des paris parfois improbables. Il en est ainsi du Théâtre Garonne à Toulouse qui a fait sa rentrée à « BAS BRUIT » dans ses souterrains.

On ne peut pas trouver idée plus symbolique pour évoquer ce qui se passe. Il faut retrouver le gout du partage du beau à petite dose, sans faire de bruit, mais pas sans passion. Ainsi le pianiste Adam Laloum a-t-il enchanté les lieux souterrains avec des moments rares. De trois à cinq petits concerts par jour. Cela permettait au public de venir petit à petit. Pour certains de revenir avec un gout de plaisir défendus.  Certes il n’y avait que 20 personnes à la fois mais enfin 20 qui nageaient dans le bonheur, à côté du musicien et dans une plénitude sonore presque impudique. Le piano demi-queue sonnait puissant dans cette acoustique si particulière de ces boyaux de brique qui autrefois conduisaient de puissantes eaux venues de la Garonne toute proche.

Lieu magique, formule inouïe, et artiste complètement en transe. Le résultat ne peut se raconter tant ce qui a été vécu a été fort. Durant les trois premiers jours il y avait quatre concerts de piano solo de 30 minutes en moyenne qui alternaient.

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Adam Laloum © Carole Bellaiche
  1. La Sonate de Berg (11’) et la sonate D.664 de Schubert (25’).

Adam Laloum aborde cette unique sonate de Berg en post romantique encore sensible au lyrisme. Il fait chanter son piano et dans une clarté de jeu rare nous révèle tous les plans de cette partition. Le jeu limpide, les phrases sculptées et les rythmes précis créent un moment inoubliable. Puis la délicate et joyeuse sonate D.664 de Schubert n’est que bonheur partagé. Elle semble facile coulant sous des doigts légers.

  1. La sonate D.959 de Schubert (42’)

Cette sonate est d’une beauté incroyable dans l’interprétation qu’en fait Adam Laloum nous l’avons écrit, il y rencontre le génie de Schubert et le tutoiement est évident. Il y a comme une fusion fraternelle entre un compositeur et un musicien à travers les siècles. Une entente  comme il y en a peu car basée sur un partage de la même sensibilité et de la même poésie du monde entre joies et peines. Adam Laloum est le Schubertien dont on rêve depuis Rudolf Serkin et plus loin encore, Arthur Schnabel. Le deuxième mouvement «  Andantino » à chaque fois me transporte. C’est si beau, si puissant émotionnellement et la proximité du piano permet de rentrer dans le son si riche d’Adam Laloum comme jamais dans une vaste salle de concert. Tant dans le suave de ses pianissimi que dans la puissance émotionnelle de ses forte. La tempête centrale est dévastatrice, mais la tendresse qui suit est une consolation aimante qui fait tout oublier.

  1. La troisième sonate de Brahms en fa mineur op.5 (37’)

Cette œuvre nous la devons au confinement. Elle convient parfaitement aux moyens actuels du pianiste nous l’avons dit lors de sa venue à La Roque cet été. Il domine complètement la puissance de cette œuvre, la plus épanouie en terme lyrique et émotionnelle. Pouvoir l’écouter de si près permet de se rendre compte de l’ampleur phénoménale des nuances. C’est parfois presque trop intime de voir Adam Laloum donner tant dans son jeu. Il part quelque part et nous entraine avec lui. Il utilise ses recherches sur les sonorités du piano. Il colore, il sculpte le son et met tout cela au service d’une émotion irrésistible. Le jeu est émotionnel certes, mais également très maitrisé avec une constante lisibilité des plans, des structures et de la construction générale. Que ses graves ont beaux, chauds, profonds ! Et les aigus peuvent s’envoler avec légèreté ! Dans le deuxième mouvement « Andante espressivo » Adam Laloum sembler nager, comme flotter dans l’harmonie à la manière d’un poisson dans l’eau. Il semble nous amener à traverser la texture harmonique pour nous en délecter autant que lui.

Adam Laloum
  1. Schumann Kreisleriana op.16 (33’)

J’aime ce recueil et ce que nous offre Laloum ne ressemble à rien de ce que je connais. Il sait donner une sorte d’évidence à ce kaléidoscope émotionnel et pianistique. Tout est là sans heurts sans violences dans des oppositions et des contrastes qui se répondent plus qu’ils ne s’opposent. Des nuances incroyablement creusées, des couleurs innombrables et des traits précis, phrasés avec une sorte de largesse pleine de générosité toute schumanienne. Du beau piano mais surtout de la très, très belle musique !

  1. Deux sonates pour violon et piano de Brahms op.100 et op.108. Avec la délicieuse Mi-Sa Yang.

L’amie violoniste n’est pas arrivée comme prévu le mercredi 2 Septembre retenue par des exigences Covid…. Nous craignions le pire pour elle espérant toutefois qu’elle pourrait venir. Avec vaillance Adam Laloum a repris son programme soliste et c’est avec un immense plaisir que nous avons pu entendre une nouvelle fois la troisième Sonate de Brahms dans une interprétation peut être encore plus passionnée voire hallucinée.  Mais le lendemain elle est arrivée… Et tous les deux en fusion comme nous le savons ils se sont lancés dans ces deux extraordinaires sonates de Brahms. Bien évidement l’op.108 avec son lyrisme débordant restera dans les mémoires. Ces deux artistes qui font de la musique ensemble depuis leurs études partagent la même vision poétique, la même fine musicalité qui va droit à l’expression sans se soucier de la virtuosité autrement que comme moyen. Aimez-vous Brahms ? Il est difficile de ne pas adhérer totalement à cette musique avec des interprètes si doués.

Adam Laloum avec ces trois compositeurs, Schubert, Schumann et Brahms est au cœur de son répertoire, c’est un grand romantique dont l’évolution est passionnante. Aussi à l’aise seul qu‘ en musique de chambre et si dieu veut nous le retrouverons avec l’Orchestre du Capitole à la Halle-aux-Grain le 7 Janvier 2021 dans le concerto de Schumann ! Justement le concerto le plus chambriste du répertoire….

Hubert Stoecklin

Théâtre Garonne saison à Bas Bruit

Musique en dialogue aux Carmélites tient bon !

Compte- rendu concert. Toulouse. Chapelle des Carmélites, le 29 août 2020.

BACH père et fils. Musiques de Johann Sebastian Bach (1685-1750) ; Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) ; Carl Philippe Emmanuel Bach (1714-1788) ; Georg Philipp Telemann (1681-1767) ; Dietrich Buxtehude (1637-1707) ; Ensemble FILIGRANE ; Etienne Mangot, violoncelle et viole de Gambe ; Franck Marcon, clavecin ; Laurent Montel, comédien.

Crédit Photo : J.J. Ader

Bach en famille, quels tempéraments !!

Catherine Kauffmann-Saint-Martin est la directrice artistique de Musique en Dialogue aux Carmélites. Si son caractère bien trempé a su en faire une attachée de presse exceptionnelle, ses qualités de détermination et de professionnalisme lui sont bien utiles afin de maintenir la saison des concerts de fin d’été de Musique en Dialogue aux Carmélites.  On ne rappellera pas les concerts reportés, annulés, déplacés, modifiés, les tractations avec les autorités administratives, sanitaires…

Quoi qu’il en soit le résultat est là et c’est l’émotion dans la voix et les larmes au bord des yeux que nous avons pu participer à ce premier concert de cette belle série 2020.

Il sera étonnant lors de ce premier concert de constater combien le monde change si peu !

Dans un voyage plein d’humour nous avons embarqué pour un dialogue entre la musique de Jean-Sébastien Bach, de ses fils et des textes plutôt modernes et pourtant tirés  de lettres, notes et comptes- rendus d’époque. Et il n’y a qu’un Jean-Sébastien Bach dans l’humanité : le père fondateur de toute la musique occidentale, qui en a fait à la fois la synthèse et le renouvellement dans des développements et des avancées fantastiques.

Nous sommes tous confondus d’admiration pour ce génie qui a su écrire pour tous les instruments et tous les genres musicaux. Puiser dans son catalogue est toujours passionnant ce que confirment bien des extraits interprétés ce jour.

Mais quelle surprise ! L’administration allemande du XVIIIe siècle et celle de France aujourd’hui n’ont rien à s’envier pour leur exigences tatillonnes face au génie. Le second degré de ses dialogues entre les rapports administratifs allemand et la situation actuelle en France avait un goût légèrement amer.

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Les trois artistes, photo de J.J. Ader

Mais je remercie donc les artistes de n’avoir pas cherché à gommer l’aspect insupportable des textes administratifs et de les avoir livrés tels quels.  La musique du Cantor de Leipzig n’en était que plus majestueuse, vivifiante, inventive et au final délicieuse. L’administration est intemporelle et peut être une plaie pour le bonheur de vivre.

Il y avait deux musiciens mais en fait trois instrumentistes car Etienne Mangot joue non seulement magnifiquement du violoncelle baroque mais également de la Viole De Gambe. Cet artiste nous le connaissons bien pour sa participation tout à fait remarquable dans l’orchestre des passions baroques de Jean-Marc Andrieu. Il est extrêmement à l’écoute de son partenaire, le claveciniste Franck Marcon.

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Etienne Mangot à la viole de gambe et Franck Marcone au clavecin , photo : J.J. Ader

Les regards précis et attentifs entre les deux musiciens sont un enchantement de chaque instant. Les choix musicaux sont excellents, évidemment Jean-Sébastien Bach est majoritaire et les musiques de ses fils sont de belles factures sans toutefois atteindre au génie du père. Buxtehude, le maître et Telemann le collègue sont également présents à bon escient.

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Franck Marcone, photo de J.J.Ader

Ce spectacle, créé ce jour sous nos yeux, a bien des qualités ; il représente un moment absolument délicieux pour commencer une reprise de concerts en douceur. Qui mieux que Bach et ses fils pouvaient ainsi nous réconforter ?

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Etienne Mangot au violoncelle, Photo de J.J. Ader

La voix sonore de Laurent Montel tour à tour autoritaire, moqueuse ou pleine de second degré  a permis de mettre en lumière le génie de Bach qui a été mis à mal par l’adversité mais a tenu face à toutes sortes de difficultés matérielles et la médiocrité ambiante.  De même les organisateurs de spectacles aujourd’hui ne se laisseront pas mettre à mal par des règles administratives parfois peu claires, injustes et liberticides. Ce premier concert de la saison de musique en dialogue est un franc succès et le public a très chaleureusement applaudi les artistes. Longue vie à la musique, tout particulièrement au si intéressant concept de musique en dialogue aux Carmélites et  mort rapide  à la Coronaconnerie !!!

Hubert  Stoecklin

Musique en dialogue aux Carmélites

Bruno Rigutto, les Nocturnes de Chopin dans la nuit de la Roque !

Compte-rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans. Auditorium, le 18 Août 2020. Frédéric Chopin (1810-1849) : Intégrale des Nocturnes. Bruno Rigutto, piano.

Bruno Rigutto chante et nous enchante avec les Nocturnes sous le ciel étoilé.

Sur le papier ce concert a tout pour faire rêver. Le lieu, magique autant le jour que la nuit, en tous cas inoubliable de nuit. Le compositeur, Frédéric Chopin qui a dédié sa vie au piano. L’œuvre en particulier : l’intégrale des Nocturnes est sensationnelle. Quand un groupe de Nocturnes peut créer une ambiance spéciale dans un récital et faire se pâmer le public dans un bis quel effet peut faire une telle intégrale ? Et surtout ce soir nous espérons avoir l’interprète idéal :  Bruno Rigutto qui vient d’oser une nouvelle intégrale des Nocturnes au disque, plus intense et à la fois plus fragile que sa première version de 1980.

Toutefois l’effet d’annonce est dangereux car l’idéal convoqué ne va pas de soi. Écouter des Nocturnes la nuit bien joués ne fait pas obligatoirement le bonheur. Car la structure d’un Nocturne tel que Field l’a plus ou moins inventée et que Chopin a fait sienne est assez répétitive. Souvent une basse plutôt dansante à la main gauche et une main droite qui chante et semble improviser. Le génie de Chopin durant toute sa vie est d’avoir accepté cette simplicité de départ pour en varier les possibilités à l’infini tant en termes de complexité rythmique, de chant éploré et de virtuosité délicate dans des moment parfois théâtraux. Lui qui aimait tant le bel canto et admirait le chant des divas.

Bruno Rigutto est tout acquis à ces Nocturnes qui l’accompagnent régulièrement. Il a un répertoire très vaste mais Chopin est associé spécialement pour moi à cet artiste. Il dit lui-même avoir voulu réenregistrer ces Nocturnes afin de montrer qu’il était devenu plus sensible. C’est cela être artiste, vivre avec les chefs d’œuvres et les interpréter différemment chaque fois, tout en maintenant un cap.

Bruno Rigutto 2 © Christophe Grémiot 2020
Bruno Rigutto © Christophe Grémiot

Ce concert a été marqué par une écoute particulièrement délicate du public. Bruno Rigutto s’est présenté avec les partitions ; en « tourneuse de pages », l’accompagnait son épouse, présence tutélaire apaisante et concentrée, aux gestes élégants et sûrs.

Cet appui sur la partition donnait une sorte de tenue, de sérieux qui a aidé à canaliser l’émotion. Ce qui a paru un peu étrange au début s’est révélé très important. La facilité apparente de ces nocturnes, la forme répétitive dont je parlais, se révèle redoutable en fait. Et justement parce que la plupart des Nocturnes sont connus par cœur par l’auditeur, il faut se méfier de cette apparente facilité. Le respect dont fait preuve Bruno Rigutto est donc visuellement clair et cela met en alerte l’oreille qui peut se délecter de toute la richesse qui se développe sous les doigts experts. Bruno Rigutto évite tous les effets extérieurs qui peuvent polluer ces pages. Il les tient dans une main de fer mais sait les rendre souples avec un velours de sonorité d’une profondeur rare. Le chant se déploie avec élégance et émotion contenue, comme à fleur de doigts. Chaque nocturne est magnifié et apporte sa particularité à cet ensemble considérable.

En somme le cap gardé est celui du respect et du bel canto. Deux des racines de Bruno Rigutto aux origines italiennes en ce qui concerne le rapport au chant et qui a été le seul élève de Samson François en ce qui concerne la hauteur de vue et le respect de la musique. Je rajouterai une manière de rendre limpide la richesse de la partition en tant que compositeur lui-même.

Bruno Rigutto 11 © Christophe Grémiot 2020
Bruno Rigutto © Christophe Grémiot

Le public a été très heureux et l’a manifesté par des applaudissements nourris ; avec gourmandise Bruno Rigutto a offert une délicieuse valse de Schubert et une mélodie Napolitaine de sa composition, joyeuse et dansante à souhait mettant bien en valeur le piano, pour un grand moment de joie partagée.

Ces éléments permettent de comprendre pourquoi ce concert a été marqué du sceau de l’exceptionnel. La magie espérée a été présente. J’ai participé à un grand moment de partage de confiance et de foi en la beauté du monde, en ces temps si incertains qui limitent les plaisirs du partage mais ne les annihilent pas, c’est vital, absolument vital !!!!

Merci au Festival, merci à Chopin et merci à Bruno Rigutto.

Hubert Stoecklin

la sincérité du jeu d’Adam Laloum subjugue le public de La Roque

Compte-rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans. Auditorium, le 18 Août 2020.  Frantz Schubert (1797-1828) : Sonates pour piano D.0959 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate n°3 en fa mineur op.5. Adam Laloum, piano.

Adam Laloum clôt avec de belles émotions

le Quarantième Festival de Piano

de La Roque d’Anthéron.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Ce Quarantième Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron restera dans les mémoires comme celui du courage, de la détermination et de l’émotion. La crainte qu’il n’ait pas lieu a été levée, le plaisir d’écouter de la musique vivante côté public a mis les larmes aux yeux de plus d’un, mais également les artistes étaient émus de retrouver la scène, le rapport avec le public et entre eux, nous l’avons déjà décrit. Comme ce confinement aura été cruel pour tous mais très particulièrement pour les artistes isolés et bâillonnés et encore dans une grande incertitude.

Adam Laloum, frêle silhouette, dégage une sensation de grâce et de mélancolie discrète. Il débute son récital par la sublime sonate D.959 de Schubert. Nous l’avons entendue sous ses doigts à deux reprises à Piano Jacobin l’an dernier et au Théâtre des Champs Élysées en février 2020, un de nos derniers concerts mémorables avant l’abominable confinement.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Retrouver Adam Laloum avec cette sonate qu’il interprète avec une telle évidence rajoutait une émotion particulière, celle de la mémoire de l’avant, du temps de l’insouciance. Je ne peux que confirmer mon admiration pour cet interprète si proche de Schubert qu’il semble invité à ses côtés quand il joue sa musique. Cette âme si tendre qui dans le malheur et la conscience de sa mort proche donnait tant de belles partitions. Cette sonate D.959 date de moins d’un an avant la mort de Schubert. Elle est pleine d’un bonheur surhumain et pourtant la tristesse est tapie dans l’ombre. Ainsi Adam Laloum sait-il doser parfaitement ces jeux de lumières, cette irisation des couleurs et ces contrastes étonnants. Il sait mettre en valeur tous les niveaux de la partition, et déplier les divers niveaux de sens : la joie sait ce qu’elle doit à la douleur et dans la peine la conscience du bonheur possible est tapie. La main gauche est ferme et ronde, jamais dure, les aigus tintent et sont joie pure. Le deuxième mouvement qui pour moi est irremplaçable est un vrai moment halluciné. L’émotion provoquée par le balancement du rythme de barcarolle triste avance tranquillement. C’est le souvenir d’un bonheur pas si ancien et qui pourrait revenir. La partie centrale orageuse est terrifiante et fantasque sous les doigts d’Adam Laloum dans un élan passionné inégalable. Le Scherzo passe vite, lumineux mais subtilement assombri. Quant au rondo final il ne cesse de nous inviter dans un mouvement joyeux qui va vers ce bonheur tant attendu et qui bien évidement s’échappe pour mieux réapparaitre. Une si belle interprétation nous voudrions l’entendre toujours et que cet instant ne s’arrête pas, aussi est-ce un délice que cette fin qui ne se termine pas… pour s’excuser pianissimo, avant de conclure fortissimo….

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Puis nouvelle œuvre à son répertoire, Adam Laloum se lance dans la troisième sonate de Brahms. La fougue et la passion de cette interprétation sont incroyables. C’est une sonorité large, profonde et ronde qui sort des doigts magiques d’Adam Laloum. Nous savions sa compréhension de Brahms dès son plus jeune âge et sa passion pour ses concertos de piano, enregistrés récemment.  Son premier CD, le récital Brahms, a été très bien accueilli et en concerts ce compositeur est régulièrement présent à ses programmes. Mais cette autorité, cet engagement passionné, cette puissance expressive si généreusement offerte, nous ne la connaissions pas. L’interprète a pris de l’assurance et arrive à donner une dimension symphonique large et ronde dans plusieurs moments incroyablement passionnés. La main gauche tout particulièrement a pris du poids et sait être un soutien tellurique incroyablement sûr. Le discours est particulièrement limpide, les plans se déploient avec évidence, la riche harmonie irradie de puissance expressive.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Le public est subjugué et retient son souffle. Adam Laloum a gravi un niveau dans la sûreté et la puissance, cette sonate semble tout à fait proportionnée à ses moyens actuels. La tendresse du deuxième mouvement est traversée de phrasés incroyablement creusés et de nuances poussées à l’extrême de la douceur comme de la force. Et toujours dans un legato d’une beauté rare. Le final est également d’un très beau lyrisme exprimant une ascension jubilatoire. Le public émerveillé a fait quasiment une standing-ovation au jeune homme. Quel contraste entre sa silhouette et sa puissance expressive !

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Ce dernier rendez-vous restera dans les mémoires comme un des plus émouvants. Adam Laloum offre quatre bis au public de La Roque, tous les quatre offerts avec naturel et bienveillance. Comme si Adam Laloum prenait plaisir à s’attarder en ce lieu magique, sous la frondaison sombre des platanes dans la belle nuit étoilée de Provence. C’est ainsi qu’il reste fidèle à Brahms trois Intermezzi extraits des op.116, 117 et 118 et à Schubert avec l’andante de la sonate D.664.

Rien que de la musique apaisante et incroyablement belle !  Il s’agit là d’un choix d’artiste sensible en non de pianiste voulant briller. En mettant ainsi l’émotion à un si haut niveau pour la terminer, « cette édition si particulière » a une fin tout à fait admirable. Elle restera dans les mémoires comme précieuse entre toutes parmi tous ces beaux moments volés à la peur et à la folie qu’elle engendre dans le monde. Quelle belle édition 2020 du Festival International de la Roque d’Anthéron !!!

Hubert Stoecklin