la sincérité du jeu d’Adam Laloum subjugue le public de La Roque

Compte-rendu concert. Quarantième Festival International de Piano. La Roque d’Anthéron. Parc du château de Florans. Auditorium, le 18 Août 2020.  Frantz Schubert (1797-1828) : Sonates pour piano D.0959 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate n°3 en fa mineur op.5. Adam Laloum, piano.

Adam Laloum clôt avec de belles émotions

le Quarantième Festival de Piano

de La Roque d’Anthéron.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Ce Quarantième Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron restera dans les mémoires comme celui du courage, de la détermination et de l’émotion. La crainte qu’il n’ait pas lieu a été levée, le plaisir d’écouter de la musique vivante côté public a mis les larmes aux yeux de plus d’un, mais également les artistes étaient émus de retrouver la scène, le rapport avec le public et entre eux, nous l’avons déjà décrit. Comme ce confinement aura été cruel pour tous mais très particulièrement pour les artistes isolés et bâillonnés et encore dans une grande incertitude.

Adam Laloum, frêle silhouette, dégage une sensation de grâce et de mélancolie discrète. Il débute son récital par la sublime sonate D.959 de Schubert. Nous l’avons entendue sous ses doigts à deux reprises à Piano Jacobin l’an dernier et au Théâtre des Champs Élysées en février 2020, un de nos derniers concerts mémorables avant l’abominable confinement.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Retrouver Adam Laloum avec cette sonate qu’il interprète avec une telle évidence rajoutait une émotion particulière, celle de la mémoire de l’avant, du temps de l’insouciance. Je ne peux que confirmer mon admiration pour cet interprète si proche de Schubert qu’il semble invité à ses côtés quand il joue sa musique. Cette âme si tendre qui dans le malheur et la conscience de sa mort proche donnait tant de belles partitions. Cette sonate D.959 date de moins d’un an avant la mort de Schubert. Elle est pleine d’un bonheur surhumain et pourtant la tristesse est tapie dans l’ombre. Ainsi Adam Laloum sait-il doser parfaitement ces jeux de lumières, cette irisation des couleurs et ces contrastes étonnants. Il sait mettre en valeur tous les niveaux de la partition, et déplier les divers niveaux de sens : la joie sait ce qu’elle doit à la douleur et dans la peine la conscience du bonheur possible est tapie. La main gauche est ferme et ronde, jamais dure, les aigus tintent et sont joie pure. Le deuxième mouvement qui pour moi est irremplaçable est un vrai moment halluciné. L’émotion provoquée par le balancement du rythme de barcarolle triste avance tranquillement. C’est le souvenir d’un bonheur pas si ancien et qui pourrait revenir. La partie centrale orageuse est terrifiante et fantasque sous les doigts d’Adam Laloum dans un élan passionné inégalable. Le Scherzo passe vite, lumineux mais subtilement assombri. Quant au rondo final il ne cesse de nous inviter dans un mouvement joyeux qui va vers ce bonheur tant attendu et qui bien évidement s’échappe pour mieux réapparaitre. Une si belle interprétation nous voudrions l’entendre toujours et que cet instant ne s’arrête pas, aussi est-ce un délice que cette fin qui ne se termine pas… pour s’excuser pianissimo, avant de conclure fortissimo….

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Puis nouvelle œuvre à son répertoire, Adam Laloum se lance dans la troisième sonate de Brahms. La fougue et la passion de cette interprétation sont incroyables. C’est une sonorité large, profonde et ronde qui sort des doigts magiques d’Adam Laloum. Nous savions sa compréhension de Brahms dès son plus jeune âge et sa passion pour ses concertos de piano, enregistrés récemment.  Son premier CD, le récital Brahms, a été très bien accueilli et en concerts ce compositeur est régulièrement présent à ses programmes. Mais cette autorité, cet engagement passionné, cette puissance expressive si généreusement offerte, nous ne la connaissions pas. L’interprète a pris de l’assurance et arrive à donner une dimension symphonique large et ronde dans plusieurs moments incroyablement passionnés. La main gauche tout particulièrement a pris du poids et sait être un soutien tellurique incroyablement sûr. Le discours est particulièrement limpide, les plans se déploient avec évidence, la riche harmonie irradie de puissance expressive.

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Le public est subjugué et retient son souffle. Adam Laloum a gravi un niveau dans la sûreté et la puissance, cette sonate semble tout à fait proportionnée à ses moyens actuels. La tendresse du deuxième mouvement est traversée de phrasés incroyablement creusés et de nuances poussées à l’extrême de la douceur comme de la force. Et toujours dans un legato d’une beauté rare. Le final est également d’un très beau lyrisme exprimant une ascension jubilatoire. Le public émerveillé a fait quasiment une standing-ovation au jeune homme. Quel contraste entre sa silhouette et sa puissance expressive !

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Adam Laloum, photo de Christophe GREMIOT

Ce dernier rendez-vous restera dans les mémoires comme un des plus émouvants. Adam Laloum offre quatre bis au public de La Roque, tous les quatre offerts avec naturel et bienveillance. Comme si Adam Laloum prenait plaisir à s’attarder en ce lieu magique, sous la frondaison sombre des platanes dans la belle nuit étoilée de Provence. C’est ainsi qu’il reste fidèle à Brahms trois Intermezzi extraits des op.116, 117 et 118 et à Schubert avec l’andante de la sonate D.664.

Rien que de la musique apaisante et incroyablement belle !  Il s’agit là d’un choix d’artiste sensible en non de pianiste voulant briller. En mettant ainsi l’émotion à un si haut niveau pour la terminer, « cette édition si particulière » a une fin tout à fait admirable. Elle restera dans les mémoires comme précieuse entre toutes parmi tous ces beaux moments volés à la peur et à la folie qu’elle engendre dans le monde. Quelle belle édition 2020 du Festival International de la Roque d’Anthéron !!!

Hubert Stoecklin