Contes et légendes de Joël Pommerat Wouahhh !

Critique. Théâtre. Toulouse. Théatredelacité, le 1 Avril 2022. Contes et légendes texte et mise en scène : Joël Pommerat.

Le Fabuleux théâtre moderne de Joël Pommerat.

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La fiction du théâtre garde une part de magie indéfinissable et immortelle. Dans son dernier spectacle très original Joël Pommerat joue sur tous les plans de la fiction. Ce spectacle impeccablement construit laisse sans voix les spectateurs tant la joie de la manipulation est complète. Impossible de savoir l’âge des acteurs, ce sont 8 ados de moins de 15 ans que nous avons vu jouer avec seulement deux adultes. Il y a un authentique robot humanoïde mais il y en avait certainement bien davantage ou peut être aucun. Ces courtes scènes sont à la fois  autonomes et toutes liées. Chaque moment théâtral bénéficie de son rythme, de son décor, de ses acteurs, de sa lumière et à la manière du cinéma débute et finit avec une précision d’arrêt sur image. Les thèmes abordés sont tous à la fois naturels, jamais l’auteur ne prend la pose, les sujets sont éternels et absolument nouveaux. Ainsi les relations parents-enfants sont éternelles dans les attentes impossibles des deux côtés et très modernes dans cet abandon parental de leurs précieux rejetons au monde virtuel ici représenté par des robots-humains. Les relations entre ados, entre garçons et filles, individu et groupe : tout se fait dans le langage cru actuel. La quête affective, le besoin d’amour représentent les questions centrales avec en filigrane l’idée que le compagnon virtuel ancillaire serait plus tendre et plus gentil que les autres humains. Jamais rien n’est lourd, tout est suggéré, tout est toujours vivant. L’humour de Pommerat est arc en ciel : noir souvent, parfois cinglant, tendre parfois et même il peut être très délicat.

Être garçon devenir homme, être fille devenir femme voie homme, comme de robot s’humaniser et en croisement de toutes ces métamorphoses rien ne semble interdit ou presque. Il s’agit bien de contes, de fables, de mythe même. Ce mythe de la construction de soi impossible sans amour, qui à aimer de la matière plus que du vivant. Et l’autre mythe qui en découle, celui de créer une personne artificielle, de posséder un robot humanoïde afin de se croire aimé.

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Pommerat s’est entouré d’artistes exceptionnels qu’il faudrait tous citer, absolument tous, je le fais dans l’immense chapeau de cette critique. Décors, costumes, perruques, musiques tout ce qui constitue le mouvement scénique a une perfection incroyable. Les acteurs et les actrices, sans âges ni sexes comme la pièce nous donne à le croire sont attachants, irritants, toujours justes : du grand art, du bluff total c’est parfait… Ils ont entre dix et quinze ans, on n’en doute pas un instant, vraiment, c’est inouï !

Je ne dévoilerai que la première scène qui pose tout l’air de rien.  On y découvre un garçon de 15 ans pas plus, parler comme le plus vil des proxénètes, manipulant son « copain » avec méchanceté et s’adressant à une femme qu’il prend pour un robot avec dégoût et envie entremêlées. Toute cette ambiguïté de l’adolescence est là. Enfant et adulte à la fois, violent et rempli de peurs, vivant ou virtuel, mais seul, complètement seul pour aborder ses difficultés.

Dans ce spectacle de Joël Pommerat il y a une sorte de conscience directe de ce que les adolescents d’aujourd’hui vivent ; à la fois dans cette modernité où le virtuel les enivre, tout en n’arrivant pas à occulter cette recherche de toute éternité de ce qu’est l’amour. Amour qui repose sur la bienveillance avec soi-même, à condition que les parents aient mis en place cette graine d’amour eux même, ou par virtuel interposé ?

Courrez voir cette merveilleuse pièce, courrez, adultes, ados, enfants ! La tournée n’est pas terminée. Contes et légendes ferait également un très beau film en sketches au cinéma ou à la télévision, ou sur un quelconque réseau social…. Toutefois c’est bien le théâtre avec son impact direct qui en révèle, par sa magie, la puissance dans cette beauté inoubliable. Le public en rangs serrés a participé au spectacle et a applaudi après chaque scène. Le succès a été au rendez-vous à Toulouse comme partout.

Cie Louis Et Brouillard Scène Nationale De La Rochelle " Contes Et Légendes " Création De Joël Pommerat

 » Contes et Légendes  » Création de Joël Pommerat
Avec Prescillia Amany Kouamé, Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Marion Levesque, Angeline Pelandakis, Mélanie Prezelin

Critique. Théâtre. Toulouse. Théatredelacité, le 1 Avril 2022. Contes et légendes texte et mise en scène : Joël Pommerat. Avec : Prescillia Amany Kouamé ; Jean-Edouard Bodziak ; Elsa Bouchain ; Léna Dia ; Juliet Doucet ; Angélique Flaugère ; Lucie Grunstein ; Lucie Guien ; Marion Levesque ; Angeline Pelandakis ; Lenni Prézelin. Dramaturgie : Marion Boudier.

Assistante dramaturgie et documentation : Roxane Isnard ; Scénographie et lumière : Eric Soyer ;

Recherches / Création costumes : Isabelle Deffin ; Création perruques et maquillage : Julie Poulain ; Son : François Leymarie, Philippe Perrin ; Création musicale : Antonin Leymarie ; Musique originale enregistrée par : Eve Rissier, Clément Petit, Isabelle Sorling, Benjamin Bailly, Justine Metral, Hélène Marechaux ; Direction technique : Emmanuel Abate ; Régie son : Philippe Perrin ; Régie lumière : Gwendal Malard ; Régie plateau : Olivier Delachavonnery, Héloïse Fizet, Pierre-Yves Le Borgne, Damien Ricau, ; Habillage : Claire Lezer ; Perruques : Jean-Sébastien Merle ; Construction décors : Ateliers de Nanterre-Amandiers ; Construction mobilier : Thomas Ramon – Artom ; Renfort dramaturgie : Elodie Muselle ; Assistante observatrice : Daniely Francisque ; Habillage – Création : Tifenn Morvan, Karelle Durand, Lise Crétiaux ; Production : Compagnie Louis Brouillard ; Coproduction : Nanterre-Amandiers – Centre dramatique national, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, la Comédie de Genève, La Criée – Théâtre National Marseille, La Filature – Scène nationale de Mulhouse, Le Théâtre Olympia – Centre dramatique national de Tours, Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, Théâtre français du Centre national des Arts du Canada – Ottawa, Bonlieu – Scène nationale d’Annecy, L’Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne, La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne, Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes, L’Estive – Scène nationale de Foix et de l’Ariège, la MC2 – Scène nationale de Grenoble, Le Théâtre des Bouffes du Nord, le Théâtre National de Bruxelles ; Les textes de Joël Pommerat sont édités chez Actes Sud-Papiers.

Hubert Stoecklin

Photos : Elisabeth Carecchio

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Le concert parti en fumées….

Critique concert, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022.  Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev

Il paraît impossible de rendre compte de l’effet produit par cette superbe interprétation de la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Ce fut un évènement planétaire.

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Tugan Sokhiev © Marc Brenner

Tugan Sokhiev a dirigé magistralement une partition titanesque en rendant évidentes bien de ses subtilités, jusque dans les sentiments contradictoires qu’elle produit. La beauté sonore des instrumentistes de l’Orchestre National du Capitole, a été somptueuse et les nombreux moments solistes ont été galvanisés. Les timbres des cuivres ont été comme chauffés à blanc, les violons dans le final ont été épais comme des glaces semblant éternelles, la chaleur des alti et des violoncelles a été réconfortante, la puissance des contrebasses hors des habitudes, mais surtout c’est la délicatesse des bois et des harpes qui a porté haut l’émotion… on reste éperdus de reconnaissance devant la qualité purement instrumentale de chacun. Mais cela n’est que peu de choses, car l’essentiel se situe ailleurs.

Cette interprétation superlative nous permet sans ambiguïté de comprendre la philosophie du chef et de ses musiciens, celle-là même du compositeur audacieux alors aux mains des bourreau bolcheviques. C’est l’intime de l’horreur, voire de la haine de la guerre, associé à l’admiration pour la résistance et l’enthousiasme des humains en situation extrême. Justement ce qui se passait à Leningrad sous les attaques nazies comme aujourd’hui à Kiev assiégée par l’armée Russe en masse. C’est un moment d’une rare ambivalence et incroyablement puissant de sentir combien la musique apolitique et messagère de paix peut le faire avec cette acuité en ces temps troublés par la guerre.

Malaise envoûtant de la Symphonie Leningrad

Un malaise viscéral profond, allié à la jouissance d’une beauté sonore totalisante, naît de la direction absolument fantastique de Tugan Sokhiev. Haine de la guerre et Amour des hommes. L’Amour de la vie simple est évoqué lors des réminiscences des bonheurs d’autrefois si délicats (flûtes et picolo, harpes, hautbois et cor anglais, violon solo !). C’est chaque fois à faire pleurer des pierres. Impossible de sortir indemne d’un tel concert à la puissance émotionnelle dévastatrice. Oui, l’homme est vraiment capable du meilleur comme du pire et cela a été le cas à Saint-Pétersbourg, devenue Leningrad, durant plus des 900 jours de siège nazi où 1 800 000 personnes périrent. C’est comparable à ce qui se passe ces jours-ci à Kiev, ville jumelée de Toulouse.,. Que d’énergies dans cette partition ! Quelle puissance dans ce long crescendo qui de la simple et sublime caisse claire en sa solitude existentielle arrive avec toute la détermination de la Force de la Vie à entrainer tout un orchestre, et ce soir il n’y avait pas loin de 140 instrumentistes sur scène ! Certes cette partition composée et donnée en 1941 durant le siège, et qui fut envoyée de suite par microfilms à Toscanini aux USA, est symbole de résistance au nazisme. Peut-on oublier que la folie des hommes, l’amour de certains pour la guerre, l’aveuglement d’un grand nombre qui donne le pouvoir à ceux qui haïssent la vie, peut nous reconduire à nouveau en un tel enfer ? De tels moments de désespoirs, tant de morts de faim et de froid, sont-ils indispensables afin que naisse un chef d’œuvre aussi puissant ? Le prix n’est-il pas trop lourd ? C’est entre bien d’autres, la question, quasi insondable, qui naît à l’écoute de l’interprétation si fulgurante de cette septième symphonie de Chostakovitch à Toulouse, pendant que Kiev plie sous les bombes russes.

Orchestre National Du Capitole Tugan Sokiev Baiba Skride 699x1024

Le peuple ukrainien par la voix de son président a adressé de chaleureux remerciements aux toulousains en début de semaine. Puis dans un communiqué commun entre la mairie de Toulouse et celle de Kiev, il a été précisé combien un tel concert permet de sceller des liens forts entre les deux villes comme entre les deux pays et entre toutes les forces de démocraties européennes face à la tyrannie poutinienne. Il a été levé un malentendu en disant clairement qu’ils appréciaient qu’un chef russe aussi talentueux que Tugan Sokhiev dirige la symphonie de l’héroïsme des peuples et se sont félicités de la diffusion du concert sur le réseau internet. Ainsi la planète entière a pu recevoir ce message de paix par la musique et de valorisation de la force des peuples pour conserver leur liberté. Il a également été dit combien ce sont les peuples qui souffrent mais pas eux qui décident la guerre. Que rien ne séparerait les peuples amoureux de la musique comme la France, l’Ukraine et la Russie. Que ce concert est un symbole fort d’union et non de ségrégation entre les peuples. Que la Musique est art de Paix totale.

Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022.  Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.

Las, las ce compte rendu est un rêve éveillé. Le concert de la symphonie Leningrad de Chostakovitch a eu lieu en 2017 et devait se dérouler ce 18 mars 2022. Le danger existe pour ceux qui prennent position rien qu’en nommant la guerre en Ukraine. Les choses n’ont pas changé et le danger de s‘exprimer en Russie est grand sous l’ère poutine comme au temps des purges staliniennes.

Comme ce rêve était beau cependant et le souvenir de cette interprétation merveilleuse de 2017 laisse supposer ce que Tugan et ses musiciens toulousains auraient pu en faire dans ce contexte si douloureux !  Certainement encore d’avantage qu’en 2017…. L’habileté de l’équipe Vidéo du Capitole (qui a tant progressé durant le Covid) aurait su faire un « Live » historique…

Cette chronique reprend celle faite en 2017 (presque prémonitoire !) avec l’ajout de la fausse conférence de presse ukraino-toulousaine écrite en s’inspirant de ce que pourrait être l’actualité.

D’abord je vous offre un peu de fiction poétique en forme d’humoresque avec cette fake-chronique …

Et n’hésitez pas à regarder la vidéo de 2017. Au disque je suis un inconditionnel de la version de Rostropovitch à la tête de l’Orchestre de National de Washington. Un Russe expatrié, ami de Chostakovitch, dirigeant un orchestre américain ! Quand je vous dis que la musique est art de paix dépassant les  nationalités.

Hubert Stoecklin

La disparition du paysage étranges moments offerts par Aurélien Bory et Jean-Philippe Toussaint

Critique. Théâtre. Toulouse. ThéâtredelaCité, le 15 mars 2022. La Disparition du Paysage. Texte de Jean-Philippe Toussaint. Scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory. Avec Denis Podalydès de la Comédie Française. Lumières : Arno Veyrat ; Musique : Joan Cambon ; Co-scénographie : Pierre Dequive ; Costumes : Manuela Agnesini ; Collaborateur artistique et technique : Stéphane Chipeaux-Dardé ; Régie générale : Marie Bonnier et Sylvain Saysana ; Régie plateau : Nicolas Marchand ; Régie Lumières : Aliénor Lebert ; Régie son : Antoine Reibre.

La disparition du Paysage évacue le corps mortel, trop mortel…

Sur la grande scène du théâtre de la cité les toulousains ont pu apprécier ce spectacle très abouti que les parisiens avaient pu voir au Bouffes du Nord fin 2021. Le dispositif scénique est central et avec une fausse simplicité va se révéler d’une complexité pleine de surprises. Aurélien Bory a un gout insatiable pour les belles machines, huilées et dociles. Le dispositif en fond de scène est une apparente fenêtre mais sera tour à tours appareil photo, guillotine ou miroir brisé. La fluidité des mouvements, leur rapidité, leur coordination parfaite avec les lumières d’Arno Veyrat, cet ensemble avec la musique également produit sur le public plusieurs moments très forts. Ainsi ressentir le choc de l’explosion de l’attentat, ou voir le personnage passer de l’autre côté du miroir.

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Disparition Photo Emblematique

Car si la dramaturgie est floue avec un texte très ambigu, il s’agit bien d’une mort dans un attentat. Les métaphores pour ne pas aborder la mort directement sont nombreuses et plus ou moins habiles. Quoi qu’il en soit le texte de Jean-Philippe Toussaint est brillant, plein de suggestions, il évite le niveau affectif pour rester dans un discours très intellectuel autours de la mort. Cette froideur retrouvée tant dans le texte que dans la dramaturgie donne à ce spectacle une absolue contemporanéité. A « tourner autour du pot » avec tant d’intelligence c’est comme si le corps, l’humanité et la chaleur de la vie étaient évacuées.

Dans ce sens le fait que Denis Podalydès joue de dos dans son fauteuil tout le début de la pièce évacue bien la question du corps.  Pourtant Denis Podalydès est un acteur qui impacte le public par une présence forte, il faut juste s’habituer à ne pas le voir, pour mieux entendre cette voix très reconnaissable et cette diction si précise. Cela donne de la puissance au propos.  Comme si une partie de la réussite de ce spectacle reposait sur cet acteur si puissant renonçant à une partie importante de ses possibilités.

Cette pièce parfaitement jouée et montée laisse le spectateur en alerte et l’explosion produit un choc puissant, magnifique réussite visuelle et auditive. Les applaudissements mettent du temps à monter mais font un vrai succès aux artistes.

La Disparition Du Paysage

La disparition du paysage, est un théâtre avec « grosses machines » et « grand acteur » qui avec une grande modernité rejoint une catégorie de spectacles qui impressionnent plus qu’ils ne touchent. Il illustre bien le rapport contemporain à la mort. La mort est non taboue, car elle est parlée, mais en évacuant la question du corps et de la souffrance.  Et cela dans un esthétisme du haut vol.

Hubert Stoecklin

Lien vers les informations sur le spectacle.

Un Cactus à l’Entracte rend compte de l’activité théâtrale au sens large à Toulouse. Nous y avons parlé de ce spectacle et d’autres aussi.

La Folie dans PLATÉE de RAMEAU

Le sort cruel de Platée

Grâce à Platée, Rameau permet d’approfondir la compréhension de la représentation de la folie à l’âge classique. Non seulement le personnage de la nymphe offre un cas pathologique complet d’érotomanie, mais surtout la Folie est sur scène l’un des personnages les plus importants (actes II et III).

Le livret avait été racheté par Rameau à un poète fort doué : Jacques Autreau. Les retouches nécessaires furent minimes. Et certaines, comme l’introduction du rôle de la Folie, sont dues au compositeur lui-même. La collaboration du musicien et du secondlibrettiste, Adrien Joseph Le Valois d’Orville, a été très étroite. Plein d’esprit, de rythme et d’élégance, ce texte sait également être féroce et cruel.

Autreau a tiré son sujet de la plus pure tradition mythologique, mais l’originalité et la réussite de l’œuvre résident dans le ton délibérément parodique et bouffon qu’il adopte. L’Olympe est ici entraîné dans une farce burlesque. Cet « esprit » singulier de l’opéra de Rameau est certainement à l’origine de la mauvaise volonté montrée par les solistes de renom de l’Académie royale qui voulaient briller dans des rôles « sérieux ». En effet, la « Tragédie en Musique », création de Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault, reste l’aune à laquelle se mesure encore toute production de théâtre musical depuis le grand siècle.

Le prologue, intitulé : « La naissance de la comédie », débute par un chœur joyeux à la gloire de Bacchus et des vendanges. Momus, Thalie et Thespis s’entendent avec l’Amour pour railler le ridicule des hommes et des dieux. Dans cet esprit, ils vont conter l’histoire de Platée et le stratagème par lequel Jupiter tenta de guérir la jalousie aussi légendaire que fondée de Junon, son auguste épouse.

À l’acte I, le spectateur fait la connaissance de Platée, nymphe de Béotie, reine des marais et des grenouilles. Cette nymphe a deux particularités : physiquement elle est « ridicule », avec « des traits comiques », et son caractère est celui d’une vieille fille romanesque intimement persuadée que nul homme ne peut la contempler sans tomber immédiatement amoureux d’elle. C’est ainsi qu’elle poursuit de ses assiduités, Cithéron, roi de Grèce, en qui elle voit un amoureux trop timide à son goût. Le pauvre Cithéron ne sait pas comment sortir de ce mauvais pas lorsque Mercure descend des cieux. Il est porteur d’un message d’amour de Jupiter pour… Platée ! Elle oublie immédiatement Cithéron, pour s’abandonner à la joie de cette union future, avec de grandes marques d’impatience. Elle va même jusqu’à dire qu’elle ne craint pas la rage de Junon devant la perspective d’un tel bonheur. Nymphes et Naïades accourent à cette nouvelle, entonnent un chœur et dansent plusieurs ballets.

L’acte II montre la séduction risible et facile de Platée par Jupiter, qui offre à sa bien-aimée un divertissement organisé de main de maître par la Folie. Ce divertissement pétillant, mêlant plusieurs niveaux d’humour, est tout à fait savoureux. La Folie est représentée par une femme exubérante et primesautière, dont l’esprit vif enchante.

            Le troisième acte débute par un air de colère de Junon qui cherche à confondre Jupiter. Elle se cache pour mieux le surprendre. Platée entre en scène sur un char, elle porte le voile nuptial… La cérémonie débute au milieu de toute une cour. Jupiter faisant traîner les choses attend Junon avec impatience. Celle-ci surgit et se jette sur Platée afin de se venger. Lorsqu’elle lui arrache son voile, sa rage se transforme en un grand éclat de rire communicatif. Platée comprend tout et, furieuse, regagne le fond de son marais en promettant de se venger. Réconciliés, Jupiter et Junon regagnent l’Olympe.

Ainsi, le rire qui se dégage de cette comédie est-il cruel et même féroce. Platée est ridicule, elle semble sans esprit et se rend compte trop tard qu’elle a été bernée. C’est justement cette bêtise associée à un trouble du jugement, qui représente le point de départ de sa folie. Lorsqu’elle paraît sur scène, son ridicule et sa mythomanie doivent frapper le spectateur. Puis, lorsqu’elle parle d’elle, le déni de ses disgrâces a un effet amusant et signe sa pathologie. Cette négation est entretenue par toute la cour. À aucun moment, avant la fin de la pièce, on ne parle de sa laideur. Tout juste le mot « comique » s’entend-il dans un chœur. Le rire final devient une insulte d’autant plus cruelle que tout le monde a entretenu Platée dans son délire mégalomaniaque.

En ce qui concerne son amour pour Cithéron, Platée présente un véritable délire érotomaniaque, dont l’évolution est en tous points classique. Gaétan de Clérambault a décrit finement « cette illusion délirante d’être aimée ». Platée est tout à fait représentative de ces femmes convaincues d’être aimées en secret par un personnage socialement valorisé, ici un roi puis un dieu ! Dès son entrée en scène, Platée n’est pas dans la réalité. Son délire est interprétatif et intuitif. Elle est certaine que Cithéron l’aime, et toutes les réactions de ce dernier sont interprétées comme des preuves d’amour, ce qui est tout à fait significatif chez l’érotomane. Même les dénégations de Cithéron n’y font rien, elle y voit une preuve de timidité… Platée évolue dans son délire érotomaniaque et le passage de la première phase d’espoir à celle du dépit apparaît. Cela donne d’ailleurs lieu à des échanges hautement comiques entre Cithéron et Platée qui culminent sur les « Quoi ? Quoi? »syncopés de Platée, nymphe des grenouilles qui coasse en musique. Rameau ne résiste pas au bonheur d’écrire ici une page humoristique tout à fait géniale :

Cithéron : L’amour audacieux…
Platée : Le vôtre est circonspect !
Cithéron: Il est vrai, je le vois, que chacun vous adore
Et mon profond respect…
Platée : Quoi du respect encore ! (suivant de près Cithéron)
Qu’il est fatigant ce respect Qu’il est suspect Je m’attendris !
Cruel tu ris ! Je vois à tes mines ! Que tu me devines !
Ah ! Ah ! Charmant vainqueur, Ne veux-tu point ?
Non, non tu dédaignes mon cœur ! Serais-tu si timide ?
(Irritée des refus obstinés de Cithéron) Non ! Tu n’es qu’un perfide !
Un perfide avec moi ! (le poursuivant avec fureur)
Dis donc, dis donc pourquoi ? Quoi ? Quoi ?
Dis donc pourquoi ? Quoi ? Quoi ?  
Le chœur : Quoi, Quoi….

On ne sait ici « quoi » admirer le plus : le comique des rimes, l’humour de la parodie, la gaîté de la musique, ou… la justesse de la description clinique ! Seule l’arrivée de Mercure empêche Platée d’évoluer vers la troisième phase du délire, celle de la rancune. En fait, elle arrivera plus tard, après l’intermède de Jupiter.

Platée a en effet la particularité de pouvoir changer l’objet de son délire érotomaniaque. Ou plus exactement, avec Jupiter, Platée ne délire pas vraiment. Elle est plutôt crédule et sera victime des manipulations du dieu et de son manque de recul. Car la cour que lui fait Jupiter est si grotesque qu’elle devrait douter de sa sincérité. En effet, les métamorphoses burlesques (un âne et un hibou) devant lesquelles Platée se pâme sont risibles, humour au deuxième degré qui écorne l’image du plus grand des dieux, en présence du plus grand des rois dans la salle… Platée ne doute à aucun instant de l’amour de Jupiter. Elle aura même des marques d’impatience, voulant sans doute consommer au plus vite les délices de cet amour divin. La musique accompagne tout le piquant des situations avec finesse et humour.

La chute n’en est que plus cruelle, et Platée est d’abord sans voix à la découverte de la forfaiture de tous ceux qui l’entourent. Elle se fâche ensuite et dirige sa colère contre Cithéron, évoluant vers le troisième stade de son délire érotomaniaque : la phase terminale de rancune avec des menaces et des passages à l’acte agressifs. Mais Platée est un personnage comique et ses menaces sont vaines.

Le choix d’une voix de haute-contre pour chanter ce rôle féminin est un parti pris éloquent. Dans les tragédies lyriques, c’était à ce type de voix qu’étaient réservés les premiers rôles masculins, et non pas aux castrats. Ici, ce ne sont pas la brillance et l’élégance de ce type de voix qui sont recherchées mais l’effet étrange et grotesque dû à la tension de la tessiture, et l’ambiguïté masculin-féminin. L’humour de ce contre-emploi ne pouvait échapper au public. En 1735, le Mercure de France avait écrit : « La dignité de notre Théâtre ne soutient pas la lâcheté d’un homme travesti en femme. Cet avilissement du sexe supérieur affadit l’âme du spectateur. » Rameau osait s’attaquer à une vision du rapport des sexes jusque-là sans nuances…

La ligne mélodique qui est confiée à Platée est par ailleurs très ornée et la préciosité de la diction égale celle du chant. Toutefois, très souvent, les accents sont déplacés, les vocalises se développent sur des voyelles inattendues ou des mots sans importance. Enfin, certaines onomatopées sont irrésistibles (« Quoi, Quoi, Ouff, Fy, Pfuii… »). Lors de la cour que Jupiter lui fait, l’orchestre accentue toutes les inconvenances de Platée. Son extase grandiloquente devant la métamorphose de l’âne est suivie par un braiment réalisé par les violons en doubles cordes fortissimo. Les vocalises censées illustrer la métamorphose du hibou donnent lieu à un exercice de gamme laborieux, auquel l’orchestre répond par un véritable charivari que la nymphe aura beaucoup de mal à calmer.

Par ailleurs, une note de Rameau indique que Platée fait sonner tous les « t ». En un sens, Platée viole en permanence le code des bonnes manières, par son aspect, son comportement, son langage, son chant, sa revendication physique d’être aimée, et jusqu’à son souhait d’échapper à sa condition en épousant un roi ou un dieu. Ce fameux bon goût français, inexplicable, lui est absolument étranger. Il est évident que si elle parle « faux », c’est qu’elle ressent tout aussi « faux ».

Costumes et jeux de scènes doivent renforcer le caractère burlesque de ce rôle. Tout s’accorde pour qu’à aucun moment le personnage n’ait de caractère tragique. La folie de Platée est le résultat d’une erreur de pensée et n’est que déraison. Voltaire écrit dans son dictionnaire de philosophie : « Nous appelons folie, cette maladie des organes du cerveau qui empêche un homme nécessairement de penser et d’agir comme les autres. » Le fou, c’est l’autre (au sens de l’exception) par rapport aux autres (au sens de l’universel).

Ce qui est cruel dans Platée, c’est que cette différence qui insulte au bon goût est basée sur des caractéristiques physiques, psychologiques et un manque d’éducation du personnage. Pour les courtisans, formés par le long règne de Louis XIV, la pire des disgrâces est de ne pas savoir se tenir, de ne pas être jugé digne d’occuper un rang à la cour et d’être renvoyé au fond de sa province. Un autre degré d’humour se retrouve ici. Rameau se moque de l’esprit courtisan. Retourner « dans son trou » est exactement le sort de la nymphe Platée.

Sa revendication d’être aimée comme les autres, d’évoluer vers la lumière, de s’élever n’a rien de blâmable en soi, mais elle ne peut être tolérée car elle ne semble pas accepter les règles implicites des courtisans. Or les manquements de Platée sont liés à une pathologie délirante. Leur rejet illustre le sort réservé aux malades mentaux autant que l’implacable lutte des classes. Certains voient même en Platée le symbole du peuple oppressé par le pouvoir : surtout que chacun reste à sa place. Et il n’y a pas de place en vue pour les fous.

L’autre éclairage sur la place de la déraison en ce XVIIIe siècle français vient de la présence de la Folie sur scène. Ce personnage est, certes, nouveau à l’opéra, mais il n’était pas totalement inconnu du public parisien. La folie était présente déjà dans des ballets sous Henri IV et Louis XIII. Louis XIV, soucieux de briller lui-même, préférera l’exiler : elle se nommera la Pazzia et chantera en italien. La folie heureuse d’Érasme n’aura pas sa place dans la très sérieuse tragédie lyrique. Seule celle, tragique, d’Atys ou de Roland est autorisée à l’Académie royale de musique.

Rameau ose donc ressusciter la Folie charmante et toujours vive qui, depuis Érasme, enchante les beaux esprits. Louis XV le Bien-aimé lui fait un bien meilleur accueil que son arrière-grand-père…

Dès que la Folie entre en scène, la musique est pleine d’une joyeuse énergie : « Mon avis, à moi, Folie, est que plus on est fou, plus on est heureux », écrivait Érasme. Rameau va l’utiliser exactement comme Érasme. Il va en faire son ambassadrice, son avocate. Ainsi, dans Platée, elle sera Musique. Elle l’annonce : « C’est moi, c’est la Folie, qui vient de dérober la lyre d’Apollon ! » Et dans sa mise en scène d’avril 1999, à l’Opéra Garnier, Laurent Pelly l’a parfaitement représentée : élégantissime, dans sa robe à paniers, confectionnée de partitions qu’elle s’arrache lorsque l’inspiration risque de lui faire défaut !

Une si brillante interprète, mais pour défendre quelles thèses ? Qu’exprime-t-elle que Rameau, musicien officiel et respecté ne peut pas dire lui-même ? Écoutons (et regardons) la Folie de Rameau. Elle entre en scène accompagnée de fous tristes et de fous gais. Chaque groupe est caractérisé par une danse. Pour les fous tristes une gigue lente (loure) en sol mineur, pour les fous gais le rayonnant sol majeur. D’emblée, la Folie donne le ton ; entre ces deux extrêmes tout lui sera possible.

Le premier air qu’elle chante est un pastiche d’air italien vif, entraînant, dont les excès sont pleins de charmes. Pourtant le texte, évoquant le sort de Daphné, en est triste. Ainsi la musique commande-t-elle au sens du texte. Le deuxième air est un pastiche du style français. Sur un texte badin, en soignant sa « symphonie », la Folie agrémente tant son chant qu’elle en arrive à « attrister l’allégresse même ». À Paris, l’opposition entre la valeur de la musique française et celle de la musique italienne était déjà vive. La naissance de la tragédie lyrique avait eu un support politique autant qu’artistique. La querelle des Bouffons éclatera en 1752. Rameau sera choisi comme représentant des partisans de la musique française alors que, à ses débuts, on lui avait reproché d’être trop italien… Si l’on écoute bien Platée, on peut savoir ce qu’il en pense, lui qui les renvoie dos-à-dos. Peu importe le style de musique, ce qui compte c’est le talent du musicien ! En effet, la Folie termine sa démonstration en un « coup de génie » sur le « chef-d’œuvre de l’harmonie ». Avec humour, l’auteur du savant et révolutionnaire, Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, compose un final d’acte étincelant. Après une introduction en ré mineur, riche en accords surprenants, la Folie, Momus, Cithéron et Platée joignent leurs voix au chœur pour finir en ré majeur, dans une danse endiablée.

La preuve est ainsi apportée. Grâce à la musique, Rameau peut tout : prima la musica doppo le parole. La Folie lui permet de prendre parti dans la querelle qui enflammera pendant des siècles les amateurs de musique vocale, visant à déterminer qui, de la musique ou de la poésie, est primordiale à l’opéra. Ce dilemme ne trouvera sa résolution qu’en 1942 dans Capriccio de Richard Strauss…

Pour l’heure, la conclusion appartiendra à Marc Minkowski. « La Folie, c’est Rameau. Car elle nous démontre que l’art des sons est plus fort que l’art des mots. À travers elle, le compositeur règle ses comptes avec ses adversaires qui lui reprochaient le pouvoir de mettre en musique la Gazette de Hollande. Et il s’amuse à prouver qu’il a le pouvoir de faire intervenir un personnage énigmatique, sorte de décalage hystérique de la Musica dans l’Orfeo, au beau milieu d’un ouvrage afin d’en arrêter le cours et d’en prolonger le propos. »

Kliniken cette folie c’est un peu nous tous

CRITIQUE. THEATRE. TOULOUSE. THEATRE DE LA CITE.2/2/22. KLINIKEN.  L. NOREN. J. DUCLOS.

Synopsis :

Kliniken se passe dans un hôpital psychiatrique. Les patients se côtoient et tentent de cohabiter, de coexister. Ils et elles sont d’âges et d’horizons très différents, et n’auraient pas dû, a priori, se rencontrer. Dans l’hôpital de Kliniken, les pathologies ne sont pas « regroupées » ; anorexie, autisme, schizophrénie, perversion, psychopathie, effets traumatiques et dépression se côtoient, sans échelle de valeur ou de gravité. Ici, chacun défend son histoire, Lars Norén ne juge personne. Les patients semblent livrés à eux-mêmes et s’engluent dans leur souffrance sous nos yeux.

Kliniken est une belle réflexion salutaire sur le monde dans lequel nous vivons et l’époque que nous traversons.

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Kliniken photo de Simon Gosselin

Cette pièce suédoise de 1993 est à la fois ancrée dans le temps et le pays d’origine avec en particulier des références cinématographiques un peu opaques pour les français mais surtout elle a quelque chose d’universel et d’intemporel. Lars Norén dans son écriture reste simple afin que les malades nous soient très proches. La pièce est construite sur le modèle tragique avec unité de temps et de lieu. Nous sommes dans une salle de séjour d’un hôpital psychiatrique du matin au soir. Il y a onze malades et deux professionnels (un aide-soignant et un veilleur de nuit).

Au-delà de la découverte progressive d’une part de l’histoire de chaque patiente et patient, cette pièce nous parle du vide. Du vide existentiel, du vide intérieur et de l’absence de soin. Ce service qui reçoit des patients de toutes pathologies correspond à une sorte de banalité en services de psychiatrie. Les pathologies sont réalistes et n’ont rien de particulier non plus. Le manque de personnel n‘étonnera pas d’avantage, tant le contexte actuel est délétère en France. Les locaux assez froids et fonctionnels sont plutôt en bon état ce qui est plus rare dans l’hexagone.

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Plusieurs questions peuvent interpeller les spectateurs. La première pourrait être la perception de la fragilité de la frontière entre le normal et le pathologique. Frontière poreuse quand on voit le comportement de l’aide-soignant du matin ou encore lorsque qu’on entend la pertinence et la sagesse de certaines paroles des patients. La pièce de Lars Norén ne cherche pas à montrer l’aspect thérapeutique, ni ne cherche à développer la clinique pathologique, ni de montrer la construction de liens forts entre les patients. Il nous met face à l’ennui et le vide. Cet ennui si terrible qui nous fait agir quand nous sommes libres et qui prend une tout autre dimension lors d’une hospitalisation. Le miroir particulier en période Covid nous rappelle le temps pas si lointain du confinement. Tout ce temps dont disposent les malades, comme les confinés en ont disposé et qui force à fuir d’une manière ou d’une autre le douloureux face à face avec soi-même. La première action est de fumer pour les tabagiques, se gaver de TV pour certains, de rester dans le silence pour les plus rares et d’émettre une parole en boucle pour la plupart. C’est de cette parole sans surprise pour celui qui parle que naissent les bribes d’histoires de chacun.

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Kliniken photo de Simon Gosselin

Mais ces histoires sont fermées et tournent en boucle de manière mortifère.  En négatif se fait entendre par son absolue absence cette parole libre, pleine de surprises qui est recherchée au niveau thérapeutique. Comme en négatif l’absence du psychiatre qui vient le lundi, celle des psychologues dont personne ne parle ou des infirmiers.  C’est le grand vide au niveau du soin hormis la protection des murs. La série sur Arte, Thérapy, est le négatif de Kliniken. Thérapy nous faisait assister au travail psychothérapique. De nombreux films parlent de psychiatrie comme « Folles de joie », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », ou décrivent plus finement le fonctionnement mental, « Psychose » du grand Hitchcock, les interactions entre malades ou encore le  travail institutionnel . Cet ennui nous gagne aussi en tant que public et semble fatal à certains (très peu nombreux) qui quittent la salle. Il n’y a donc pas de voyeurisme dans cette pièce, rien de spectaculaire ou de vraiment monstrueux sinon celui des effets de l’ennui universel. Les « histoires » de chaque patient sont représentatives de ce qui peut arriver dans la « vraie vie » :   des parents dépassés ou maltraitants, une société qui ne protège pas vraiment, des séquelles indélébiles de traumatisme, un besoin de temps pour « digérer » ainsi que cette peur de l’avenir et ce mal de vivre aux formes si diverses avec cet attrait si fort pour la mort.  Toutes ces questions sont comme bloquées chez ces malades mais en fait elles nous concernent plus ou moins tous. Le ton est plutôt calme et les moments violents sont rares et liés à la même jeune femme mélancolique, Sofia qui veut disparaître à tout prix. C’est la prise obligée de médicaments et sa mort qui sont terribles. La violence est immense lors de la prise forcée du traitement et cela semble précipiter son passage à l’acte.

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C’est bien la mort qui se cache derrière tous les troubles. Et c’est bien par cette peur de la mort que nous acceptons des aménagements diaboliques. La prise forcée de médicaments nous rappelle plusieurs choses. D’abord que le champ de la psychiatrie est le seul encadré par la justice pour imposer un traitement à un patient se mettant en danger ou mettant en danger la société. L’hospitalisation en psychiatrie et son cortège de traitements imposés est légalement très encadré et semblait un fait unique. La pandémie a fait voler en éclat cette exception. Avec en premier temps l’interdiction faite à des médecins de soigner leurs malades en les enjoignant à fermer leurs cabinets. C’est la négation du devoir de soigner (précepte du serment d’Hippocrate). Cela n’a pu être accepté que par le climat de terreur « panmondiale ». Ensuite une obligation de traitement non psychiatrique et donc non encadrée par la loi, a été installée avec les injections contre le Coronavirus qui ont été inexactement nommées « vaccins».  Ce traitement qui par des mesures de pressions très subtiles force la population à le prendre sans véritable consentement ne renvoie-t-il pas à ce qui se passe dans Kliniken ?  Combien de Sofia dans notre pays ? Dans le monde ?

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La mort de la jeune femme fera vaciller la fausse tranquillité des résidants. Et montre bien que rien hélas ne peut contrer la force du désir de mort quand il est chevillé au corps à ce point.

Le décor simple et efficace, les lumières discrètes font leur travail d’atténuation et alimentent la fausse tranquillité de cet hôpital. Des projections en direct de patients en leur intime solitude donnent un peu d’émotion au lieu.

Le jeu des acteurs est tout à fait admirable car il ne singe pas la maladie mentale. Le respect habite les comédiens et c’est précieux. C’est le plus grand compliment qui peut être fait à des acteurs jouant la folie :  chacun défend avec conviction son personnage et lui offre des moments d’émotion et de sagesse. La mise en scène est simple et très lisible. Le jeu est naturel et sans emphase. Tout ceci évacue le spectaculaire facile afin de nous aider à nous concentrer sur ces notions de vide et d’ennui.

Voici une pièce qui complète les nombreux films, séries et romans qui parlent de la psychiatrie. Mettre ainsi en lumière les moments les moins spectaculaires est une audace que le travail de Julie Duclos et ses acolytes sur scène et à la technique a très bien rendu. Dans cette nouvelle production de Kliniken de Lars Norén il y a un très beau travail d’équipe au service d’une réflexion salutaire sur le monde dans lequel nous vivons et l’époque que nous traversons.

Hubert Stoecklin

Critique. Théâtre. Théâtre de la Cité, le 2 février 2022. Lars Norén : Kliniken (pièce de 1993) ; Traduction : Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli et Arnaud Roig-Mora ; Mise en scène : Julie Duclos ; Avec : Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Émilie Incerti Formentini, Manon  Kneusé, Yohan  Lopez, Stéphanie Marc, Cyril Metzger,  Leïla Muse,  Alix Riemer, Émilien Tessier, Maxime Thebault et Étienne Toqué.

Photos : Simon Gosselin


ThéâtredelaCité

Théatre De La Cité Kliniken

Lien vers l’Emission « Un Cactus à l’entracte « ou je suis l’invité de Jérôme Gac. J’y parle de Kliniken et d’autres pièces avec mes complices.

Anja Rilling tire une énorme sonnette d’alarme

Critique. Théâtre. Toulouse. Théâtre de la Cité, le 27 Janvier 2022. Anja Hilling. NOSTALGIE 2175. Mise en scène :  Anne Monfort.  Musique : Nuria Gimenez Comas. Avec Judith Henry : Pagona, Jean-Baptiste Verquin : Posch, Mohand Azzoug : Taschko.

NOSTALGIE 2175  OU PHILOSOPHIE POLITIQUE EN POÉSIE.

Contexte de la pièce d’Anja Hilling :

 En 2175, dans un monde où la température avoisine les 60°C et où l’humain ne cesse de s’adapter à un environnement particulièrement hostile, Nostalgie 2175 nous raconte une histoire d’amour et de vie entre trois protagonistes, Pagona, Taschko et Posch. Pagona tombe enceinte, ce qui n’arrive plus depuis des décennies. Le poème que Pagona adresse à sa fille est dit face au public. A côté s’entrecoupent des scènes de flash-back racontant l’histoire de cette grossesse et des deux hommes qui l’entourent, sur fond de peintures, de désir, de nostalgie. Une plongée dans un univers dystopique et poétique qui interroge notre rapport à la planète, aux autres et au sens à donner à la vie dans un monde qui paraît voué à la disparition.

Critique :

Il est des spectacles qui vous laissent KO et qui sont aussi beaux que violents. Le coup de chaud qui m’a saisi ce soir a été fort et sera probablement inoubliable. En cet hiver glacial, seul élément de notre quotidien qui est à sa place, recevoir cette insolation étouffante marque corps, cœur, esprit et fait vibrer l’âme. Merci à ces artistes qui dans un travail infiniment précis ont su rendre compte de la puissance de ce texte incroyable de l’autrice allemande Anja Hilling datant déjà de 2008 et qui vient d’être traduit. Ce texte gagne une puissance extraordinaire dans cette période Covid marquée par le repli catastrophique des liens humains réels.  Tout ce qui est présenté dans ce spectacle complexe va tout droit toucher le spectateur là où il ne s’y attend pas : exactement là où IL FAUT.

Dans notre époque déglinguée où il est possible de prévoir de piquer les gens tous les 4 mois, où dans des media on peut entendre des prétendus « responsables » évoquer des refus de soins sur une catégorie de personnes, cette pièce semble salutaire. Entendre cette idée de refus de soins et cela sans émotions, et en France, tient de l’abîme en éthique. La question du rapport des générations entre elles est central dans cette pièce et est totalement inversée à ce qui se passe à notre époque où des enfants sont pris en otages par les générations d’au-dessus inconséquentes. Alors que dans la pièce il est question de sacrifice maternel non religieux, nous sommes loin de notre époque qui sacrifie sans vergogne les générations à venir pour ne pas déranger les générations actuelles irresponsables. La seule question politique contemporaine et de la plus grande importance : réduire la destruction de la biodiversité, est évacuée du débat politique actuel.  Anja Hilling (née en 1975), non sans humour noir, nous évoque le dernier moustique et la dernière mort par malaria.

Cette pièce de 2008 nous parle de tout ce que notre époque devenue autiste et perverse à la fois, refuse de comprendre. Il est question de l’AMOUR qui peut s’adapter à toute situation et qui reste notre seule raison de vivre. Il est question du TOUCHER qui devenu impossible, fabrique une société de morts-vivants. Il est question d’AIR qui en simple T-shirt caresse la peau comme fantasme impossible. Rilling nous parle de dérèglement climatique, de catastrophe totale et de vie impossible à donner « naturellement ». Le texte est virtuose entre soliloque de l’héroïne et scènes jouées à trois. La musique participe en quatrième personnage avec une force à la limite du supportable. Le travail entremêlé de la compositrice Nuria Gimenez Comas sur une commande de l’IRCAM avec la régie-son hyper sensible de Guillaume Blanc est aussi efficace que signifiante de la chaleur torride qui submerge les personnages. Les lumières sont subtilement organisées et le décor extrêmement simple d’aspect est d’une grande richesse. Les partis pris de la metteuse en scène Anne Monfort sont aussi sérieux qu’inventifs. Les éléments de la dystopie futuriste sont suggérés et non illustrés ou montrés. Le texte est très légèrement coupé certes, toutefois le respect du sens profond est complet. Les acteurs sont épatants. Chacun trouve un jeu sans contact physique et pourtant « très physique ».

Le rôle principal est donné à Judith Henry, actrice sensible qui a été pour les cinéphiles la révélation du film « la discrète » irradiante face à Fabrice Luchini. Ses tonalités douces et mélancoliques lorsqu’elle s’adresse à son futur bébé (quand elle sera adulte) et à nous, contrastent avec sa violence des scènes jouées à trois. De même les hommes, Jean-Baptiste Verquin, Mohand Azzoug passent d’une présence muette parfois très forte à un jeu puissant dans des scènes variées allant jusqu’à une grande violence. Cette grande subtilité du jeu est d’autant plus remarquable qu’aucun contact n’a jamais lieu entre eux. La place de l’artiste Taschko, est également centrale avec en dimension politique cette main mise sur le travailleur traumatisé physique et psychique, handicapé du corps comme de l’esprit.   Il a été victime d’ une attaque-viol avec  mise en danger de mort par contact de sa peau avec l’air ambiant mortel. Cela ne suffit pas , de plus il y a la transformation de cet être souffrant et toxicomane en artiste de génie reconnu mondialement sous la férule du «patron», Posch,  qui empoche tous les bénéfices,  exemple de maitrise perverse magistrale. Même le traitement médicamenteux de Taschko  c’est Posch  qui le détient afin de maintenir le jeune homme  en dépendance absolue. Taschko est donc pris en étaux entre son « maître » et la femme qu’il a rencontrée fortuitement, qu’il aime et qui l’aime éperdument et qui pourtant ne deviendra jamais sa maîtresse charnelle. Si besoin était de mesurer leur amour c’est leurs changements à chacun qui témoigneraient. Pagona donne sa vie et donne La Vie et Taschko se révolte, se libère de la toxicomanie. Ils se retrouvent tous les deux dans la mort, comme un couple tragique. Posch, la figure du pouvoir,  va prendre encore une dimension supérieure lorsque l’on apprend que c’est lui le père de l’enfant conçu dans un viol plus ou moins « consenti ». L’ambiguïté des désirs est complète dans un trouble savamment entretenu tant par la violence du texte que le jeu subtil des acteurs. Finalement le monde post apocalyptique reste le même sous le joug du puissant qui détient la richesse financière, lui donnant accès à la jouissance sur le corps de l’autre. L’acceptation de Pagona et sa compréhension du « système », sa manière de le dépasser en « tombant enceinte naturellement » (le 9ième cas depuis 100 ans), est la gageure de cette pièce : le Sacrifice Profane d’Amour Total au prix de sa vie. Pagona trouve le moyen unique de donner à l’homme qu’elle aime le bébé qu’il ne peut lui faire, et mettant également un terme à la frustration que lui inflige malgré lui Taschko qui ne peut s’offrir à elle charnellement ;  elle accepte la mort.

Nostalgie 2175

Nostalgie 2175 ouvre la porte à la plus grande poésie sans rien céder à une vision politique d’une grande pertinence dans une atmosphère mélancolique aux charmes infernaux.

Hubert Stoecklin

Lien vers le dossier du spectacle :

https://theatre-cite.com/programmation/2021-2022/spectacle/nostalgie-2175/

Photos : Christophe Raynaud de Lage

Kissin le magnifique à Toulouse

CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE. HALLLE-AUX-GRAINS, le 18 janvier 2022. J.S. BACH. W.A. MOZART. L.V. BEETHOVEN. F. CHOPIN. E. KISSIN.

Phénoménal Evgeny Kissin !

Quelle chance pour les toulousains

Les Grands Interprètes Evgeny Kissin

Les Grands Interprètes ont su avec génie inviter l’immense pianiste d’origine Russe, Evgueny Kissin, entre ses concerts en Espagne, celui à Paris puis en Autriche et en Allemagne avant les États Unis. Cette vaste tournée avec ce beau programme va enchanter le public partout où il est attendu.  On ne présente plus le phénoménal pianiste à la carrière internationale triomphante et à la discographie généreuse et encensée.

Né en 1971 il a la plénitude de moyens inouïs et de sa musicalité hors pair. Il se dégage de son jeu une concentration inimaginable tout du long de son récital. Tout semble être pesé, parfaitement maîtrisé mais sans froideur tant son jeu est incandescent. Le programme est « classique », chronologique parcourant ses compositeurs de prédilection de Bach à Chopin. Dès les premiers accords de Toccata et fugue de Bach, un monde sonore d’une profondeur rare s’ouvre sous ses doigts :  des graves abyssaux, un medium d’une puissance incroyable et des aigus fuselés et planants. Un Grand orgue en somme ! Et une ligne directrice qui nous entraîne dans cette immensité musicale sans possibilité de résister.  L’Adagio de Mozart en si mineur prend un ton très dramatique, le phrasé est élégant, les doigts capables de la plus grande douceur. Et à nouveau ces notes graves incroyablement présentes, nobles et belles. Cela nous rappelle combien le Mozart de Kissin, particulièrement dans les concertos, est célèbre et apprécié dans sa discographie. Le monde si complexe de l’avant dernière sonate de Beethoven, l’opus 110 va devenir lumineux sous les doigts incroyables de Kissin. C’est du très beau et du très grand piano, majestueux, profondément phrasé absolument magnifique. Le final avec son incroyable fugue tient du génie interprétatif tant le discours est clair, tous les plans précis et la direction incroyablement fédératrice :  Kissin nous entraîne où il veut. La beauté de son piano envoûte et la vigueur de ses phrasés nous emporte sans efforts. Et toujours cette maîtrise incroyable de l’interprète, maîtrise supra humaine, que seules des syncinésies du visage révèlent à nos yeux. Le public applaudit généreusement avant le court entracte qui pour beaucoup est une simple parenthèse d’attente émue. Car la deuxième partie est consacrée au compositeur chéri de l’interprète comme du public : Frédéric Chopin.  Largement enregistré et joué par Evgeny Kissin depuis le début de sa carrière, la musique de Chopin lui va comme une évidence. Car depuis son début de carrière il est capable d’en offrir un parfait équilibre entre la virtuosité transcendantale et la mélancolie. Le choix de 7 mazurkas variées et de plusieurs époques propose un palmarès de ce que Chopin a écrit de plus personnel.

La manière d’aborder les rythmes, parfois superposés donne une grande modernité à cette musique intemporelle. La beauté sonore répond à la beauté des phrasés et aux audaces du rubato. Le tout avec un goût exquis car n’oublions pas que ces danses fort savantes sont partagées par tous en Pologne au XIXième siècle tant dans les salons que dans les campagnes et les salles de bal. Chopin en a sublimé les tempi mouvants binaires et ternaires. Evgeny Kissin est un interprète très inspiré qui met en valeur toutes leurs richesses. L’andante spianato et la Grande Polonaise permettent une montée en puissance de l’interprète qui termine avec une virtuosité triomphante.

Evgeny Kissin © F Broede : EMI

Le public explose de joie et lui fait un triomphe proche de la standing ovation. La séparation avec le public tout autour de lui s’est faite doucement avec quatre magnifiques bis qui ont prolongé la magie de ce concert. Signalons que cette tournée est dédiée à la grande pédagogue Anna Pavlovna Kantor (1923-2021) qui a été la seule professeure de Kissin et qui est restée proche de lui. Laissons la parole à Evgeny Kissin « Tout ce que je peux faire au piano je le lui dois » : Bravo madame Kantor  !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 18 janvier 2022. Jean -Sébastien Bach (1685-1750) transcription de Carl Tausig (1841-1871): Toccata et Fugue BWV 565 ; Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791) : Adagio pour piano en si mineur K.540 ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827 ) : Sonate pour piano n° 31 en la majeur Op.110 ; Fréderic Chopin (1810-1849) : 7 Mazurkas : Op.7 n°1,Op.24 N° 1 et 2, Op.30 N° 1 et 2, Op.33 N°3 et 4 ;  Andante spianato en mi bémol majeur et Grande Polonaise brillante en mi bémol majeur Op.22. Evgeny Kissin, piano.

Somptueuse production de Wozzeck à Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 19 Novembre 2021. A. BERG. WOZZECK. M.FAU. S. DEGOUT. S. KOCH. O. N. CAPITOLE. L. HUSSAIN.

SPLENDEUR VOCALE, MUSICALE ET SCÉNIQUE !

Stéphane Degout (Wozzeck), Sophie Koch (Marie) © Mirco Magliocca

Cette nouvelle production capitoline met en valeur toutes les qualités maison. La qualité du travail en amont permet un approfondissement de la production qui accède à une cohérence et une perfection qui laissent le public sans voix entre les actes pour exploser au final.

Wozzeck en véritable Opéra au Capitole

Les maitres d’œuvre, Michel Fau et Leo Hussain, main dans la main guident les artistes de la production vers la lumière d’une interprétation particulièrement aboutie. Le parti pris de Michel Fau est génial. Il ose saisir le chef d’œuvre de modernité de Berg pour l’ouvrir vers l’onirique. Toute l’histoire tragique du soldat Wozzeck est vécue par l’enfant qu’il a eu avec Marie. En insistant ainsi sur les douleurs de l’enfant, le tragique un peu abstrait de cet opéra de la noirceur de l’âme humaine, devient plus proche de nous et la plus grande compassion nous saisit souvent. Le décor magnifique en sa fausse naïveté est d’une intelligence remarquable. La misère de la chambre de l’enfant est terrible, ses peurs d’enfants premières ne sont que bien menues à coté de toutes les atrocités auxquelles il va devoir assister de force. En mettant ainsi le focus sur les effets sur un enfant innocent des persécutions dont son père est victime et des douleurs de sa mère, tout nous est plus proche et plus insupportable encore. Comme dans les rêves se sont les images qui prennent tant de place l’utilisation de costumes beaux et colorés permet des tableaux de grande émotion. Les personnages sont comme des images d’Épinal avec des attitudes proches de marionnettes. Le jeu des acteurs est remarquable, très précis et maitrisé. Le jeu de l’enfant, est particulièrement touchant et entendre enfin sa délicate voix à la toute fin de l’opéra nous rappelle qu’il a été muet tout du long et pourtant si expressif. Dimitri Doré est un jeune acteur remarquable.

Le Wozzeck de Stéphane Degout est une prise de rôle très aboutie.

Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

La cohérence vocale et physique est totale. La beauté de la voix fait irradier l’humanité et la gestuelle si artificielle illustre la douleur interne de sa folie. Le jeu de l’acteur est si accompli qu’il arrive à illustrer le fond de la pathologie schizophrénique dont souffre notre héros. Il arrive à vivre deux émotions contradictoires en même temps ; son sourire désespéré et heureux avant de tuer celle qu’il aime tant est absolument renversant. Le résultat est tout à fait bouleversant. Quel artiste complet ! Marie, sa bien-aimée qui lui est ravie avec tant de perfidie, est sur le même registre de perfection vocale. Sophie Koch également fait une prise de rôle tout à fait remarquable.

Sophie Koch (Marie) © Mirco Magliocca

Poupée, femme enfant, mère tendre, âme trop confiante, Marie est vue par les yeux de son enfant : maman est la plus belle. La tragédie de son destin n’en ressort qu’avec davantage de force. Son jeu met en évidence la force de vie qui anime le personnage. Tout en lui demandant ce jeu de marionnette qui la laisse désarticulée lorsqu’elle est abandonnée sur le lit (de son fils) par la Tambour major après son trivial exploit sexuel et par Wozzeck qui lui donne la mort dans un sourire. La voix de Sophie Koch est d’une splendeur totale. Les persécuteurs pervers qui démolissent ce couple sont traités avec la même fausse naïveté d’image d’Épinal. Le tambour-Major est beau comme un soldat de plomb, ivre de sa puissance virile. Nikolai Schukoff donne à ce rôle bien court une puissance folle avec sa voix de stentor et son jeu brutal. Le Capitaine de Wolfgang Ablinger-Sperrhake est beau comme un sou neuf, vain comme une image de papier glacé et personnifie la suffisance narcissique dévastatrice. Sa voix est admirablement conduite dans cette tessiture impossible. Il est un personnage délicatement odieux. Mais la violence et la perversion du médecin sont bien plus angoissantes encore avec un jeu qui révèle sa folie irrécupérable.

Falk Struckmann (Le M‚decin), Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

La composition de Falk Struckmann est un tout, absolument parfait et ce personnage est carrément terrifiant.  Thomas Bettinger en Andres a une belle voix qui convient bien à sa véritable sympathie pour Wozzeck. Anaïk Morel en Margret est un véritable luxe. Belle poupée avec une voix qui mérite un bien plus grand rôle pour pouvoir l’apprécier vraiment.  Les Costumes de David Belugou sont de toute beauté et prennent bien la lumière, illuminant toute la scène.

Wozzeck Dimitri Dor‚ (L'Enfant De Marie), Sophie Koch (Marie) © Magliocca

Les lumières et tout particulièrement les ombres dans leur dimension cauchemardesque si importante sont magistrales de précision et d’efficacité. Joël Fabing réalise un éminent travail à la précision parfaite. Les chœurs et la maitrise sont impeccables dans leurs courtes mais décisives interventions dans des costumes somptueux.

Stéphane Degout (Wozzeck), Dimitri Dor (L'Enfant De Marie), Wolfgang Ablinger Sperrhacke (Le Capitaine) © Mirco Magliocca

Le reste de la distribution tient bien ses parties on ne peut que féliciter l’engagement généreux de Mathieu Toulouse et Guillaume Andrieux en ouvriers et Kristofer Lundin en idiot.

L’autre personnage principal de cet Opéra est l’orchestre, un orchestre du Capitole en forme somptueuse. On sait que Berg demande beaucoup de concentration, la grande complexité de la partition est bien connue. Avec les musiciens de Toulouse la beauté sonore de chaque instant illumine la partition. La direction de Leo Hussain semble à la fois obtenir la plus grande précision, toute en agrégeant les éléments si composites de la partition dans une avancée terrible. Le drame avance inexorable, et chaque élément est d’une précision parfaite. Il est bien rare d’entendre Berg si clairement sur tous les plans.  Voilà un chef majeur dans un répertoire difficile.

Au total cette production est d’une cohérence parfaite et permet d’ouvrir ce chef d’œuvre noir à une lumière tragique avec une audace enrichissante et une vocalité plus développée que l’habitude qui privilégie le sprechgesang.  Le parti pris de Michel Fau est magistral, il a su fédérer tout son plateau (de premier plan) et la fosse (musiciens suprêmes). Si une partie du public a pu sembler inquiète par la difficulté de l’ouvrage, cette production démontre que Wozzeck est un vrai opéra.   Un Grand Bravo à toutes et tous !

Dimitri Dor‚ (L'Enfant De Marie), Stéphane Degout (Wozzeck), Thomas Bettinger (Andres) © Mirco Magliocca

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Opéra. Théâtre du Capitole, le 19 Novembre 2021. Alban Berg (1885-1935) : Wozzeck. Opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après la pièce de Georg Büchner. Mise en scène : Michel Fau ; Décors : Emmanuel Charles ; Costumes : David Belugou ; Lumière : Joël Fabing ; Distribution : Wozzeck, Stéphane Degout ; Marie, Sophie Koch ; Le Tambour-Major, Nikolai Schukoff ; Andres, Thomas Bettinger ; Le Capitaine, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke ; Le Médecin, Falk Struckmann ; Premier Ouvrier, Mathieu Toulouse ; Deuxième Ouvrier, Guillaume Andrieux ; Un idiot, Kristofer Lundin ; Margret, Anaïk Morel ; L’Enfant de Marie, Dimitri Doré ; Orchestre national du Capitole ; Chœur et Maitrise du Capitole (chef de chœur, Gabriel Bourgoin) ; Direction musicale : Leo Hussain.

Nicolai Schukoff (Le Tambour Major), Stéphane Degout (Wozzeck) © Mirco Magliocca

Photos de Mirco Magliocca

Lio Kuokman et Michael Barenboim entente au sommet de la musicalité

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 15 Octobre 2021. Q. CHEN. F. MENDELSSOHN. M. MOUSSORGSKI / M. RAVEL. O. N. CAPITOLE. M. BAREMBOIM. L KUOKMAN.

Une association de musiciens au sommet comme dans un rêve.

Je ne crois pas au hasard et pourtant. Il y a un an le concert du chef  avait été le dernier avant la deuxième fermeture des salles de spectacles pour raisons d’épidémie virale. Pour moi le concert de ce soir est le retour à la vie musicale après des soucis de santé dont le Coronavirus. Et quel concert !

Lio Kuokman dégage dès son entrée une énergie heureuse et communicative qui galvanise l’orchestre et subjugue le public. La courte partition de Qigang Chen créée en 1998 semble avoir été très appréciée et a recueilli un grand succès. Il faut dire que l’écriture est brillante et magnifique d’originalité de timbre, de rythme et de nuances subtiles. Les très courts mouvements se complètent et se répondent avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Les solistes de l’orchestre sont superbement mis en valeur de même que les subtilités d’une orchestration aux limites de la tonalité avec beaucoup d’hédonisme. La mise en place complexe est réalisée avec une simplicité déconcertante par le chef dont les gestes sont limpides et souples. La difficulté de la partition avec Lio Kuokman est comme un jeu et le public est subjugué. C’est bien davantage sur une pièce contemporaine qu’il est possible de dire combien Lio Kuokman est un fin musicien qui communique magnifiquement tant avec l’orchestre que le public.

Michael Barenboim © Marcus Hoehn
Michael Barenboim © Marcus Hoehn

Après ce beau succès l’entrée du violoniste Michael Barenboim est également énergique et joyeuse. Le subtil 2ième concerto de Mendelssohn débute comme un rêve avec un legato du violon, un son plein et délicatement nuancé qui est un véritable ravissement. L’équilibre avec l’orchestre est parfait. Lio Kuokman dans sa direction est le tact même permettant à Michael Barenboim de nuancer avec la plus grande délicatesse sans jamais risquer d’être couvert par l’orchestre pourtant très présent. Cette alchimie musicale si passionnante dans ce magnifique concerto fonctionne à merveille. Le deuxième mouvement plane haut et le final est une véritable joie partagée. Dans le bis offert par le violoniste son humour se révèle. Ce jeune musicien fils de Daniel Barenboim et d’Elena Bashkirova est né sous des étoiles musicales éblouissantes. Tout est musique en lui, tout lui est facile, comme évidant et la plus grande virtuosité n’est que pure émotion musicale, sans jamais la moindre ostentation. Quelle relève dans ces enfants de grands musiciens. Michael Barenboim n’a pas de difficulté à se faire un prénom et je rappelle cet été les immenses qualités d’Alexandre Kantorow et de Paolo Rigutto à la Roque d’Anthéron, dignes fils musiciens de parents également doués d’une génération à l’autre.

Lio Kuokman

Après une courte pause le jeune chef revient et dirige par cœur les somptueux Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski dans la sensationnelle orchestration de Maurice Ravel. Dès l’introduction de la promenade par la trompette solo le ton est donné, liberté et beauté sonore. Le chef lâche la bride et le trompettiste joue magnifiquement dans un phrasé de rêve. Puis le chef prend toute la main pour obtenir de l’orchestre en très grande forme une interprétation tout à fait remarquable. Le mélange de souplesse, de précision et de gourmandise dans la direction de Lio Kuokman est passionnant à observer pour le public tant il semble annoncer ce que l’oreille va entendre. L’écoute et le regard se rencontrent comme rarement en assistant à un concert dirigé par ce jeune chef tout à fait séduisant.  Que dire de cette fin de soirée si ce n’est que la jubilation était partout. La construction de chaque « tableau », de chaque « promenade » s’inscrit dans la totalité de l’œuvre avec ce magnifique crescendo final dans la « Grande porte de Kiev ». Mais avant le « Veccio Castello » permet une fusion parfaite du rare saxophone dans les sonorités confortables du basson puis les bois : la poésie irradie. « Le ballet des poussins » est une horlogerie suisse parfaitement réglée. La magnificence des gros cuivres dans « Catacombes » est terriblement impressionnante. La puissance et la précision des contrebasses dans « La cabane sur des pattes de poules » provoquent un effet délicieusement effrayant. Vraiment une très belle interprétation signant une vraie fusion musicale entre les musiciens de l’orchestre et le chef.

Si Lio Kuokman n’était pas déjà si engagé dans de nombreux projets il serait possible de penser à lui pour l’avenir de l’Orchestre du Capitole. Tout du moins nous l’espérons comme chef régulièrement invité !

Hubert Stoecklin


Orchestre national du Capitole

Orchestre Du Capitole Lio Kuokman

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2021. Qigang Chen (né en 1951) : Wu Xing ; Félix Mendelssohn (1809-1847) : Concerto pour violon n°2 en mi mineur op.64 ; Modeste Moussorgski (1839-1881) / Maurice Ravel (1875-1937) : Les Tableaux d’une exposition ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Michael Barenboim, violon ; Lio Kuokman, direction.

Adam Laloum à bas bruit en concerts quasi privés

Expérience musicale. Toulouse. Théâtre Garonne, les galeries. Du 26 Aout au 6 Septembre 2020. Adam Laloum, piano. Mi-Sa Yang, violon.

A bas bruit la musique fait son retour à Toulouse grâce au Théâtre Garonne

On le sait la culture doit rentrer en résistance pour subsister après le Covid. On ne compte plus les artistes malheureux, les projets annulés, les spectacles ajournés, les déplacements, annulations, réductions, et que sais-je encore. Des saisons amputées, des Festivals laminés, des morts et aussi  des résistants.

Nous avons eu la chance d’aller à Salon de Provence et à la Roque d’ Anthéron. Et à Toulouse la Musique en dialogue à la Chapelle des Carmélites ( tous les compte rendu dans les articles ci dessous).

Les organisateurs de spectacle ont dû avaler des couleuvres, faire et refaire des plans de salle selon des directives aussi arbitraires que délétères.  A Salon le port du masque durant les concerts en plein air et des places vides partout. A la Roque un plan millimétré privant des deux tiers des places, mais autorisant d’enlever le masque durant les concerts, en plein air tout de même ! Et toujours une organisation parfaite, des bénévoles experts dans l’art de diriger un public impatient mais docile. Et combien y a-t-il eu de réunions, de négociations… de travail fastidieux souvent inutilisable, de tracas, de peurs et de moments de désolation….  Jamais je ne serai assez reconnaissant à ces résistants qui portent haut l’étendard de la liberté de l’expression artistique malgré toute la bureaucratie maudite. Le travail de toutes les personnes « autours » des artistes a été remarquable, absolument fondamental. Merci à tous.

Les artistes étaient tous émus d’enfin jouer pour le public, dans des retrouvailles très émouvantes. La plupart ont évolué durant ce confinement, certains abordant de nouveaux répertoires. Les organisateurs de spectacles ont osé et ont réussi des paris parfois improbables. Il en est ainsi du Théâtre Garonne à Toulouse qui a fait sa rentrée à « BAS BRUIT » dans ses souterrains.

On ne peut pas trouver idée plus symbolique pour évoquer ce qui se passe. Il faut retrouver le gout du partage du beau à petite dose, sans faire de bruit, mais pas sans passion. Ainsi le pianiste Adam Laloum a-t-il enchanté les lieux souterrains avec des moments rares. De trois à cinq petits concerts par jour. Cela permettait au public de venir petit à petit. Pour certains de revenir avec un gout de plaisir défendus.  Certes il n’y avait que 20 personnes à la fois mais enfin 20 qui nageaient dans le bonheur, à côté du musicien et dans une plénitude sonore presque impudique. Le piano demi-queue sonnait puissant dans cette acoustique si particulière de ces boyaux de brique qui autrefois conduisaient de puissantes eaux venues de la Garonne toute proche.

Lieu magique, formule inouïe, et artiste complètement en transe. Le résultat ne peut se raconter tant ce qui a été vécu a été fort. Durant les trois premiers jours il y avait quatre concerts de piano solo de 30 minutes en moyenne qui alternaient.

Adam Laloum 2 Photo Carole Bellaiche C Mirare 0
Adam Laloum © Carole Bellaiche
  1. La Sonate de Berg (11’) et la sonate D.664 de Schubert (25’).

Adam Laloum aborde cette unique sonate de Berg en post romantique encore sensible au lyrisme. Il fait chanter son piano et dans une clarté de jeu rare nous révèle tous les plans de cette partition. Le jeu limpide, les phrases sculptées et les rythmes précis créent un moment inoubliable. Puis la délicate et joyeuse sonate D.664 de Schubert n’est que bonheur partagé. Elle semble facile coulant sous des doigts légers.

  1. La sonate D.959 de Schubert (42’)

Cette sonate est d’une beauté incroyable dans l’interprétation qu’en fait Adam Laloum nous l’avons écrit, il y rencontre le génie de Schubert et le tutoiement est évident. Il y a comme une fusion fraternelle entre un compositeur et un musicien à travers les siècles. Une entente  comme il y en a peu car basée sur un partage de la même sensibilité et de la même poésie du monde entre joies et peines. Adam Laloum est le Schubertien dont on rêve depuis Rudolf Serkin et plus loin encore, Arthur Schnabel. Le deuxième mouvement «  Andantino » à chaque fois me transporte. C’est si beau, si puissant émotionnellement et la proximité du piano permet de rentrer dans le son si riche d’Adam Laloum comme jamais dans une vaste salle de concert. Tant dans le suave de ses pianissimi que dans la puissance émotionnelle de ses forte. La tempête centrale est dévastatrice, mais la tendresse qui suit est une consolation aimante qui fait tout oublier.

  1. La troisième sonate de Brahms en fa mineur op.5 (37’)

Cette œuvre nous la devons au confinement. Elle convient parfaitement aux moyens actuels du pianiste nous l’avons dit lors de sa venue à La Roque cet été. Il domine complètement la puissance de cette œuvre, la plus épanouie en terme lyrique et émotionnelle. Pouvoir l’écouter de si près permet de se rendre compte de l’ampleur phénoménale des nuances. C’est parfois presque trop intime de voir Adam Laloum donner tant dans son jeu. Il part quelque part et nous entraine avec lui. Il utilise ses recherches sur les sonorités du piano. Il colore, il sculpte le son et met tout cela au service d’une émotion irrésistible. Le jeu est émotionnel certes, mais également très maitrisé avec une constante lisibilité des plans, des structures et de la construction générale. Que ses graves ont beaux, chauds, profonds ! Et les aigus peuvent s’envoler avec légèreté ! Dans le deuxième mouvement « Andante espressivo » Adam Laloum sembler nager, comme flotter dans l’harmonie à la manière d’un poisson dans l’eau. Il semble nous amener à traverser la texture harmonique pour nous en délecter autant que lui.

Adam Laloum
  1. Schumann Kreisleriana op.16 (33’)

J’aime ce recueil et ce que nous offre Laloum ne ressemble à rien de ce que je connais. Il sait donner une sorte d’évidence à ce kaléidoscope émotionnel et pianistique. Tout est là sans heurts sans violences dans des oppositions et des contrastes qui se répondent plus qu’ils ne s’opposent. Des nuances incroyablement creusées, des couleurs innombrables et des traits précis, phrasés avec une sorte de largesse pleine de générosité toute schumanienne. Du beau piano mais surtout de la très, très belle musique !

  1. Deux sonates pour violon et piano de Brahms op.100 et op.108. Avec la délicieuse Mi-Sa Yang.

L’amie violoniste n’est pas arrivée comme prévu le mercredi 2 Septembre retenue par des exigences Covid…. Nous craignions le pire pour elle espérant toutefois qu’elle pourrait venir. Avec vaillance Adam Laloum a repris son programme soliste et c’est avec un immense plaisir que nous avons pu entendre une nouvelle fois la troisième Sonate de Brahms dans une interprétation peut être encore plus passionnée voire hallucinée.  Mais le lendemain elle est arrivée… Et tous les deux en fusion comme nous le savons ils se sont lancés dans ces deux extraordinaires sonates de Brahms. Bien évidement l’op.108 avec son lyrisme débordant restera dans les mémoires. Ces deux artistes qui font de la musique ensemble depuis leurs études partagent la même vision poétique, la même fine musicalité qui va droit à l’expression sans se soucier de la virtuosité autrement que comme moyen. Aimez-vous Brahms ? Il est difficile de ne pas adhérer totalement à cette musique avec des interprètes si doués.

Adam Laloum avec ces trois compositeurs, Schubert, Schumann et Brahms est au cœur de son répertoire, c’est un grand romantique dont l’évolution est passionnante. Aussi à l’aise seul qu‘ en musique de chambre et si dieu veut nous le retrouverons avec l’Orchestre du Capitole à la Halle-aux-Grain le 7 Janvier 2021 dans le concerto de Schumann ! Justement le concerto le plus chambriste du répertoire….

Hubert Stoecklin

Théâtre Garonne saison à Bas Bruit

Benjamin Grosvenor en parfait gentleman musicien

CRITIQUE. Concert. LA ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du parc, le 11 Août 2021. LISZT. A. GINASTERA. M.RAVEL. B. GROSVENOR.

 

Benjamin Grosvenor est la perfection digitale.

Découvert ici même en 2019 Benjamin Grosvenor nous avait conquis. Cf Chronique. Sa discographie a toutes les faveurs de la rédaction de Classique news. Ce récital reprend pour moitié le dernier CD qu’il a enregistré pour Decca, sobrement intitulé : Liszt.

Dès les premières notes des sonnets de Pétrarque le ton est donné, celui d’une lecture châtiée, élégante et d’une précision incroyable. La virtuosité intrinsèque chez Liszt trouve en Benjamin Grosvenor un interprète idéal qui rend musical tout trait, même le plus virtuose. D’autres mettent davantage le chant en avant, car ces sonnets sont premièrement des lieder. Ici le parti pris peut sembler plus intellectuel que sensuel et permet une mise en valeur de la grande complexité des partitions.  Puis la sonate en si mineur si expérimentale prend sous les doigts de Benjamin Grosvenor une dimension quasi cosmique. Les tempi sont élastiques, les nuances hyper creusées, les couleurs infiniment chatoyantes ; cela permet de mettre en lumière des aspects incroyablement variés de cette partition tout à fait inclassable. C’est bien cette dimension de totale liberté, reposant sur une technique superlative faisant penser que « tout, absolument tout est possible » à cet artiste qui fait de cette interprétation une référence qui fera date. La maturité acquise par ce jeune homme de 29 ans laisse pantois.

Benjamin Grosvenor 4 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Une courte pause, mais sans entracte (interdiction préfectorale) et voilà notre artiste qui nous entraîne avec cette précision diabolique dans l’univers peu contrôlé de Ginastera et ses « danzas argentinas ». Des doigts qui semblent se démultiplier, des bras qui semblent s’allonger chez le pianiste, un piano qui semble développer des sonorités nouvelles.  Un incroyable mélange de brillant et de virtuosité nous est offert dans ces partitions complexes sans aller jusqu’à la folie latine.

Ravel et son si difficile « Gaspard de la nuit » va constituer l’apothéose de ce concert virtuose.

Gaspard de la nuit, spécialité de Martha Arguerich, semble trouver en Benjamin Grosvenor un digne héritier de cette virtuosité sidérante faite expression musicale totale. Chez Benjamin Grosvenor Ondine est un piano fait en élément liquide avec le brillant des rayons de lune dans l’eau. C’est incroyablement précis et flou en même temps afin de créer une dimension onirique. Un piano entre rêve et réalité, absolument magique. Le Gibet avec des sonorités d’un froid glacial change totalement le son du piano. Benjamin Grosvenor ose des effets de grande inquiétude. C’est Scarbo qui offre la plus grande virtuosité et exige le plus de mise en scène musicale. Benjamin Grosvenor comme dans ses Liszt garde la tête froide et les doigts souverains. Rien ne lui échappe et la clarté du jeu permet de tout entendre dans cette partition pourtant tout à fait diabolique. Comment est-il possible d’obtenir cette précision à cette vitesse ? Voilà un secret bien gardé par le jeune homme si doué et aussi appliqué dans sa recherche de perfection. Avec peu de sorties de disques, des concerts reprenant un répertoire bien travaillé Benjamin Grosvenor est un sage parmi les jeunes pianistes plus frénétiques.

Benjamin Grosvenor 14 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Le public très enthousiaste obtient deux bis. Liszt avec un diabolique Sherzo, Gnomenreigen, grand cousin de Scarbo.  Ginastera avec une Danza de la moza donoza op.2 n°2 toute de délicatesse.

Voilà un grand musicien virtuose de l’avenir car sa toute jeune maturité ne peut que se développer.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc. Frantz Liszt (1811-1886) : Sonate en si mineur ; Années de pèlerinage, 2 ième année (Italie) Sonnets de Pétrarque 104 et 123 ; Alberto Ginastera ( 1916-1983) : Danzas argentinas op.2 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Gaspard de la nuit ; Benjamin Grosvenor, piano.

PHOTOS : Valentine Chavin

Père et fils les Kantorow : quel bonheur !

CRITIQUE. Concert. La ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du Parc, le 7 Août 2021. D. CHOSTAKOVITCH. C. SAINT-SAENS. SINFONIA VARSOVIA. J.J KANTOROW. A. KANTOROW.

Kantorow père et fils sont toute musique !

Concert attendu dans la peur de l’orage qui a su rester à distance fort heureusement. Le ciel est favorable à la musique et le parc après l’orage a vu quelques étoiles briller en fin de soirée.  Le génie musical de Jean-Jacques Kantorow, violoniste et chef d’orchestre à la renommée planétaire reprenait ce soir la baguette d’un orchestre qu’il a dirigé souvent et qu’il connaît bien. Un enregistrement des concertos de Camille Saint-Saëns avec Alexandre Kantorow il y a quelques années est une véritable pépite et prouve le lien qui les unit.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 8 © Valentine Chauvin 2021
Photo : Valentine Chauvin

Le Sinfonia Varsovia est ce soir présent en formation réduite et jouera deux adaptations de Daniel Walter. Le Quatuor à cordes n°3 de Dimitri Chostakovitch dans sa transcription pour quintette à vent et quintette à cordes est donc proposé dans une formation type orchestre Mozart. Jean-Jacques Kantorow garde une allure dynamique et lorsqu’il dirige semble retrouver toute sa jeunesse. La grande bienveillance qui se dégage de sa direction ne laisse rien passer et obtient une précision parfaite de la part de chaque instrumentiste. L’orchestration est particulièrement réussie qui donne aux vents et au cor toutes les particularités que Chostakovitch leur donne dans ses partitions d’orchestre. La direction de Jean-Jacques Kantorow est précise, claire et très efficace. La partition se développe avec efficacité et l’énergie est constamment renouvelée par le chef. L’osmose entre le chef et l’orchestre est magnifique et la partition de Chostakovitch devient limpide avec de tels interprètes. Un grand moment de musicalité très efficace et émouvant découle de l’écoute de ce quatuor transformé si intelligemment et si habilement joué.

Les qualités instrumentales du Sinfonia Varsovia sont tout à fait excellentes avec des bois particulièrement beaux et des solistes de chaque famille de cordes magnifiques. Insistons sur la qualité du chef et celle de ce magnifique orchestre car lorsque le concerto se déroulera le soliste va par son jeu intense prendre la première place au risque de les éclipser. Il ne faudrait pas penser que l’orchestre va juste accompagner le génie pianistique d’Alexandre Kantorow, bien au contraire le Sinfonia Varsovia est, même dans cette dimension réduite, de tout premier plan et Jean-Jacques Kantorow est un chef extrêmement vigilant à tout ce qui se passe, sans autoritarisme il arrive à obtenir ce qu’il veut de chacun.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 15 © Valentine Chauvin 2021
Alexandre KANTOROW Photo Valentine Chauvin

L’entrée du jeune Alexandre Kantorow (23 ans) est très émouvante; l’orchestre le regarde avec une bienveillance rare et le chef, son père, l’accompagne sur scène avec une joie non dissimulée. Détendu en apparence mais déjà très concentré, Alexandre se jette dans le début très rhapsodique du terrible deuxième concerto de Camille Saint-Saëns avec une autorité sidérante. Le geste large, des sonorités d’orgue, une maîtrise rythmique toute en souplesse font de cette « prise en main » un moment sidérant. La réponse de l’orchestre dans la même manière donne le frisson. Nous sommes bien devant une rencontre entre génies qui va faire date.  Tout ce qui va suivre va être difficilement analysable tant les interprètes vont toucher à la perfection sur tous les plans. Alexandre Kantorow a acquis une autorité sidérante, la puissance digitale s’est encore affirmée donnant plus de présence à son jeu avec une recherche de sonorités amples et majestueuses admirablement adaptées à ce premier mouvement. L’orchestre participe avec la même ampleur puis le dialogue plus mélancolique se déploie et l’osmose entre tous devient d’une rare évidence. La partition de Saint-Saëns s’en trouve magnifiée. Jean-Jacques Kantorow couve le pianiste du regard et semble avoir l’œil sur chaque musicien de l’orchestre, il est partout et entretient des liens avec chacun. Le résultat est une parfaite connivence musicale qui magnifie le jeu du pianiste comme les solos de l’orchestre.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 11 © Valentine Chauvin 2021
Valentine Chauvin : Photo

Le deuxième mouvement, sorte de scherzo, permet à Alexandre Kantorow d’alléger son jeu avec une précision incroyable, il invente des notes perlées comme rebondies. La précision est partout dans le moindre trait du pianiste et chaque intervention de l’orchestre. C’est une véritable orfèvrerie suisse. La mécanique est absolument impeccable avec un véritable sens de l’humour partagé. La délicatesse du toucher d’Alexandre Kantorow a quelque chose de féérique. Après le deuxième mouvement le regard du père à son fils semble dire c’était magnifique es-tu vraiment prêt pour le final ? Tous vont s’engager dans la virevoltante tarentelle finale qui caracole à toute vitesse. C’est vertigineux, magnifique, sublime et l’humour des syncopes, rythmes décalés, enchantent les musiciens. Tout tombe à la perfection, cela avance sans prendre de repos, en entrainant le public avec lui dans la joie la plus grande. Ce mouvement final devient absolument jubilatoire avec des interprètes si doués.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 6 © Valentine Chauvin 2021
L’osmose père fils
merveilleuse photo de Valentine Chauvin

Alexandre Kantorow trouve une ressource incroyable donnant toute son énergie dans ses traits virtuoses incroyables. Ses doigts volent, ses mains s’allongent, rien ne semble pouvoir limiter le jeu du pianiste. La joie explose de toute part sur scène comme dans la salle. Nous venons de vivre un moment exceptionnel et chacun en est bien conscient. Le public en transe obtient d’Alexandre Kantorow très épanoui et heureux trois extraordinaires bis d’une belle générosité.

Le mouvement lent de la troisième sonate de Brahms est d’une beauté à faire fondre les cœurs de pierre les plus durs. La danse finale de l’oiseau de feu atteint sous ses doigts à une puissance orchestrale. La délicatesse et la mélancolie d’une ballade de Brahms permettent de laisser le public partir sur des sentiments plus apaisés. Chacun sait qu’il a vécu un instant magique en sortant du parc. Le Château de Florans, dont le parc est un oasis de bonheur,  a été béni des dieux une fois de plus.

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 14 © Valentine Chauvin 2021
Photo de Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) /Daniel Walter (né en 1958) : Quatuor à cordes n° » en fa majeur op.73, transcription pour quintette à vents et quintette à cordes ; Camille Saint-Saëns (1835-1921) / Daniel Walter (né en 1958) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en sol mineur op.22, transcription pour piano et petit orchestre ; Sinfonia Varsovia ; Alexandre Kantorow, piano ; Jean-Jacques Kantorow, direction.

Un GRAND BRAVO à la jeune photographe du Festival : Valentine Chauvin !

A Kantorow Sinfonia Varsovia JJ Kantorow 16 © Valentine Chauvin 2021
Photo Valentine Chauvin

Musique en dialogue aux Carmélites Honore Jean De La Fontaine

CRITIQUE concert. TOULOUSE. CHAPELLE DES CARMELITES. Le 18/07/2021. LE BESTIAIRE BAROQUE DE LA FONTAINE. ENSEMBLE FAEZA. M. HORVAT.

Crédit Photos : J.J. Ader

Nous fêtons cette année le quatre-centième anniversaire de naissance de Jean de La Fontaine. Musique en dialogue aux Carmélites consacre sa saison à cet événement avec cinq concerts. L’Ensemble Faeza dirigé par Marco Horvat est à géométrie variable et se réclame du chant auto accompagné. Seule la claveciniste reste sur son unique instrument.

Ce concert d’un étonnant Bestiaire Baroque fait la part belle aux textes des fables de La Fontaine. Les musiciens des XVII et XVIII ièmes siècles n’ont pas tari de références à la nature sous toutes ses formes. Nous retrouvons parmi les plus célèbres compositeurs François Couperin et Marin Marais, les plus rares sont par exemple Jacques-Martin de Hautteterre, François Campion, Jean-Baptiste Drouart de Bousset. Tous ces compositeurs ont beaucoup d’esprit et une fantaisie débridée pour illustrer la nature. L’agencement du concert est habile et Marco Horvat et son équipe rivalisent de bonne humeur et de fantaisie. Ce projet de chant accompagné est très baroque en lui-même et permet aux cinq musiciens des effets très variés. Chant seul a capella, chant accompagné, polyphonies, pièces pour clavecin seul, pièces instrumentales, pièces pour voix et instruments,  tout se complète avec art pour nous offrir un voyage très instructif dans ce bestiaire baroque. Les fables de La Fontaine parfois très rares portent toujours aussi haut qu’à leur création leurs précieux messages. Celle qui ouvre le concert des « grenouilles qui demandent un roi » peut avoir une allure très contemporaine.

L’esprit est donc l’élément marquant de ce concert. Chaque musicien se distingue par sa finesse, sa virtuosité et son partage généreux.  Les deux sopranos Olga Pitarch et Sarah Lefeuvre sont des diseuses délicates avec des voix très musicales et très pures. Marco Horvat a une voix de baryton naturelle avec une diction admirable. Les flûtes et la cornemuse sont très agréables et évoquent un coté champêtre très bien venu. Le clavecin donnant la couleur aristocratique qui revient à La Fontaine homme de cours.

La Chapelle des Carmélites demeure un écrin idéal pour des concerts si subtils entre mots et notes.

D’autres concerts seront consacrés par Musique en Dialogue au grand La Fontaine dont on ne peut se lasser de la sagesse aujourd’hui comme de tous temps. Que n’avons nous un La Fontaine pour nous parler, grâce à nos amis les animaux, de nos réactions parfois si insensées face à un certain virus venu de Chine ?

Hubert Stoecklin

Le fable à méditer

Critique concert. Toulouse. Chapelle des Carmélites, le 18/07/2021. Musique en dialogue aux Carmélites. Le Bestaire Baroque de Jean de Lafontaine. Musiques diverses des XVII et XVIIIe siècles.

Ensemble Faenza, direction Marco Horvat ; Sarah Lefeuvre, chant et flûtes ; Hermine Martin, flûtes et musette ; Olga Pitarch, chant, danse et ottavio ; Ayumi Nakagawa, clavecin ; Marco Horvat, chant, archiluth et guitare.

L’ ELEKTRA terrassante de Michel Fau !

Compte rendu opéra ; Toulouse. ;  Théâtre du Capitole,  les 2  et 4 Juillet 2021 ; Richard Strauss (1864-1949) : Elektra ; Tragédie  en un acte ; Livret  de Hugo von Hofmannsthal ; Création  le 25 janvier 1909 au Semperoper de Dresde ; Michel Fau,  mise en scène ; Hernán Peñuela,  scénographie ; Phil Meyer,  sculpture et peinture ; Christian Lacroix,  costumes ; Joel Fabing,  lumières ; Ricarda Merbeth : Elektra ; Johanna Rusanen : Chrysothémis ; Violeta Urmana : Clytemnestre ; Matthias Goerne :  Oreste ; Frank van Aken : Égisthe ; Sarah Kuffner : La Confidente, la Surveillante ; Svetlana Lifar,  Première Servante ; Grace Durham,  Deuxième Servante ; Yael Raanan-Vandor :  Troisième Servante, La Porteuse de Traîne ; Axelle Fanyo : Quatrième Servante ; Marie-Laure Garnier : Cinquième Servante ; Valentin Thill : Un Jeune Serviteur ; Barnaby Rea,  Le précepteur d’Oreste ; Thierry Vincent : Un vieux Serviteur ; Zena Baker, Mireille Bertrand, Catherine Alcoverro, Judith Paimblanc, Biljana Kova, Stéphanie Barreau : Six servantes ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole, Alfonso Caiani  direction; Frank Beermann,  direction musicale

Cette réouverture à un spectacle lyrique complet était tant attendue que les chances de nous satisfaire étaient mises à rude épreuve. Mais le Capitole est une grande maison et avec toutes ses forces sous la direction avisée de Christophe Gristi elle a produit un chef d’œuvre, un spectacle total comme il arrive peu de fois dans une vie lyrique de la vivre. J’ai du voir deux fois ce spectacle pour en approcher la richesse et la complexité. Extraordinaire travail d’équipe. Mise en scène très aboutie de Michel Fau, entouré d’artistes merveilleux, distribution parfaite, orchestre somptueux et chef survolté.

Toute l’ « affaire » Elektra est soumise à son père Agamemnon. Son lien morbide hystérique à son père est fatal on le sait. Jamais il n’a été si fortement maladif, car Elektra dans cette production porte une robe de mariée…

Toutes le photos sauf celle de la Statue dans l’escalier sont de Mirco Magliocca.

Ricarda Merbeth (Elektra) © Mirco Magliocca

On voit sur cette photo le jeu extraordinaire de Riccarda Merbeth très expressive avec  ses regards hallucinés . On voit également le grand corps malade et abattu après avoir été mutilé du Roi  Agamemnon. Riccarda Merbeth EST ELEKTRA. Voix colossale, jeux expressifs, endurance , elle a tout.

Cette extraordinaire présence est due à l’art de Phil Meyer qui signe également le rideau de fond de scène. Une statue plus petite mais érigée accueillait, si l’on peut dire,  les spectateurs au haut du grand escalier du Capitole.

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L’ idée de cet Agamemnon qui prend toute la place physiquement permet de comprendre combien  le monde intérieur d’Elektra est envahi.

Tous les autres personnages sont gênés par cette statue abattue mais si envahissante. Egisthe ira jusqu’à y trébucher dangereusement.

Les autres rôles sont distribués à la perfection.

La Chrisothémis de Johanna Rusanen  est  » HENORME » . Véritable sœur d’Elektra elle pourra en assumer le rôle bientôt. Voix puissante et charge expressive impressionnante.

La rivalité entre les sœurs en devient mortelle.

Ricarda Merbeth (Elektra), Johanna Rusanen (Chrysoth‚mis) © Mirco Magliocca

La terrible mère qui ne sait comment vivre après son crime est Violetta Urmana, dans une somptueuse robe rouge, elle vocifère, écarlate de colère et de honte.

Violeta Urmana (Clytemnestre) © Mirco Magliocca

L’affrontement Mère-fille est épouvantable à souhait

Elektra Capitole Toulouse Tragedie Blanc Rouge
ELEKTRA 7

Le seul moment de tendresse en devient bouleversant par la présence si digne d’Oreste. C’est l’immense Matthias Goerne qui fait une prise de rôle magistrale.

Ricarda Merbeth (Elektra), Matthias Goerne (Oreste) © Mirco Magliocca

Les costumes de Lacroix sont tous, comme espérés, absolument somptueux.

L’orchestre placé en fond de scène est d’une présence terrible mais la direction magistrale de Frank Beermann  évite toute mise en danger des voix.

Aux saluts le dispositif complet :

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Un spectacle magistral je vous dis.

Hubert Stoecklin 

Critique détaillée sur Classiquenews.com

Il sera possible d’écouter cette version historique sur France Musique.


Théâtre du Capitole

Elektra 2021

Dialogue des âmes musicales avec Danil Trifonov

Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 15 Juin 2021. Karol Szymanowski (1892-1937) : Sonate pour piano n°3 op.36 ; Claude Debussy (1862-1918) : Pour le piano L.95 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n°3 en fa mineur op.5 ; Daniil Trifonov, Piano.

Tant d’humanité et ce jeune homme n’a que trente ans !

La venue de Daniil Trifonov à Toulouse pour un récital solo tient de l’évènement. Les Grands Interprètes savent inviter les artistes incontournables et avec un tel interprète le bonheur est total. Retrouver enfin des concerts est un bonheur en soi mais reprendre les concerts des Grands Interprètes avec Daniil Trifonov est un privilège inouï.

Le pianiste russe est un phénomène dont j’avais déjà rendu compte en 2018 à La Roque d’Anthéron. Je pourrai me contenter de reprendre cet article dithyrambique et qui rapportait l’effet produit par la rencontre de ce génie. Il n’est pas facile de rendre compte d’un tel choc avec de simples mots. Car Daniil Trifonov, qui a tout juste trente ans, a une maturité musicale incandescente. La flamme qui l’habite et le ronge est perceptible dans chaque répertoire abordé.  Il semble changer de piano au cours du même concert tant il peut obtenir une variété de sonorités. Chaque compositeur sera proposé dans un univers sonore propre.

Daniil Trifonov © Dario Acosta
Daniil Trifonov © Dario Acosta

La terrifiante 3ème sonate de Karol Szymanowski met bien des pianistes en difficulté. Daniil Trifonov ne fait qu‘une bouchée ce cette œuvre virtuose. Le jeu est souverain avec des nuances incroyablement creusées. Les pianissimi perlés sont surnaturels. La manière dont il fait sonner les graves est absolument unique. La sonate de Karol Szymanowski laisse sans voix. L’engagement du soliste est total. Il donne à l’œuvre une dimension cosmique.  La manière dont Trifonov joue est comme remplie de modestie et de respect pour le compositeur. Il n’y a jamais dans le jeu cette recherche d’admiration si répandue. Il se donne comme mission de défendre avec sa vie, sa vision de l’œuvre et rend compte au public de son extraordinaire travail de recherche.

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Photo : Dario Acosta

La sonate de Karol Szymanowski est assez courte mais Trifonov abolit le temps, il varie tellement son jeu que nous avons l’impression d’un monde infini. La manière dont il enchaine sans vraiment de temps de repos, va nous offrir un moment d’une rare profondeur. Il nous fait plonger dans ce Debussy de la première période qui n’est pas encore « impressionniste ». Trifonov va en magnifier la force rythmique. Il nuance avec subtilité et phrasé de manière très personnelle. Tout cela renouvelle notre écoute.  Là également il n’y a aucune recherche d’effet, rien d’une séduction qu’un tel jeu en sa perfection n’aurait aucun mal à convoquer. Non un artiste intègre qui se lance à corps perdu dans son interprétation. Il est probable que c’est cette mise à nue de l’interprète, le don total de sa personne qui produit cette écoute si particulière du public. Il y a quelque chose de chamanique dans l’attitude de Trifonov. Il nous ouvre à un niveau supérieur de compréhension des œuvres. Cela sera encore plus puissant pour moi avec la troisième sonate de Brahms que j’aime beaucoup et que j’écoute toujours avec grand intérêt. Est-ce si étonnant que Trifonov m’en révèle des moments nouveaux alors que je croyais si bien la connaître ? Là aussi le don total de l’interprète, ses propositions interprétatives si personnelles obtiennent une adhésion sans réticence. La puissance du jeu permet une écoute comme facilitée. Tout étant possible aux doigts du prodige russe, la sonate semble d’une facilité extrême. C’est tout dire ! La modernité éclate comme une évidence. Le souffle romantique est aussi puissant qu’un tsunami qui balaye toute référence à une autre interprétation. Il s’agit d’autre chose. Peut-être est-ce dû au partage de la vision d’un interprète en transe qui sait par sa sincérité nous embarquer avec lui dans un voyage fabuleux. Cette inestimable artiste ne permet pas d’analyser ses interprétations il me convainc de le suivre sans résistances. Il a tout ce dont un virtuose du piano peut rêver mais surtout il a une chaleur dans son interprétation de cette sublime sonate de Brahms qui est celle d’un poète. Et cette manière de changer le son de son piano est très impressionnante dans cette dernière œuvre. Pour Brahms il acquiert comme des sonorités d’orgue avec des graves d’une profondeur abyssale. Il ose tordre certaines phrases pour leur donner un poids expressif inconnu. Comme il est vain d’essayer de parler du génie d’un interprète ! Daniil Trifonov est un homme d’une richesse et d’une générosité uniques. Tant de dons, tant de recherche et de travail, tant de beauté et bonté en une seule personne semble un rêve. Avec des moyens moins extraordinaires je connais des pianistes doués qui auraient obtenus une standing ovation dans un partage hystérique. Rien de tel ce soir, des applaudissements, des mercis hurlés mais également un immense respect. C’est ainsi que Trifonov en nage, après un programme si conséquent joué sans entractes, offre deux bis à son public. Un mouvement évanescent, avec des notes perlées délicatement ciselées et beaucoup d’humour, qui après les fulgurances brahmsiennes sont comme un bonbon et démontre la maitrise totale dont Trifonov est capable. Puis la sublime adaptation par Myra Hess de « Jésus que ma joie demeure » interprétation simple et belle comme l’évidence de la grâce partagée.

Daniil Trifonov © Dario Acosta Deutsche Grammophon

Plus qu‘un pianiste virtuose, ou un musicien de génie, Daniil Trifonov est un grand homme qui en partageant ainsi son humanité rend meilleur celui qui l’écoute et qui arrive à sentir son âme s’accorder à la sienne. Tant d’humanité et ce jeune homme n’a que trente ans !

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Trifonov © Christophe GREMIOT

Hubert Stoecklin

Lien vers la chronique de 2018 à La Roque


Les Grands Interprètes

Affiches Artistes

Enfin le Capitole rouvre avec la Force du Destin pas moins ! En avons nous fini avec le couvre feu ???

Compte rendu concert. Théâtre du Capitole de Toulouse, le 23 mai 2021. Opéra en version de concert en raison des exigences sanitaires. Giuseppe Verdi ( 1813-1901) : La Forza del Destino, Opéra en trois actes ; Livret de Francesco Maria Piave ;  Distribution : Catherine Hunold, Leonora di Vargas ; Amadi Lagha , Don Alvaro ; Gezim Myshketa, Don Carlos di Vargas ; Roberto Scanduzzi, Le marquis de Caltrava et Padre Guardiano ; Racham Brydce-Davis, Prezosilla ; Sergio Vitale, Fra Melitone ; Roberto Covatta, Trabuco ; Cécile Gallois, Curra ; Barnby Rea , lcade et Chirurgico ; Chœur du Capitole (Direction : Alfonso Caiani) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction musicale : Paolo Arrivabeni.

Le Capitole tient face au destin commun crânement

Nous n’en pouvions plus ! La limite était atteinte. Plus rien au Capitole depuis Octobre 2020 avec un Cosi aussi merveilleux que malmené avec un orchestre covidé après la première ! Plus rien quand la saison devait être merveilleuse !  Les titres les uns après les autres enterrés ! Un Eugene Onéguine parfaitement répété et très prometteur, annulé à la dernière minute, puis le néant des annulations les unes après les autres. Malheur pour la maison vouée au silence, malheur pour les artistes rendus muets, mais malheur aussi au public. C’est de ces malheurs qu’il fallait s’extraire et le choix de la Force du Destin de Verdi est tout à fait excellent. Grande fresque « romanticofantastique » composée pour Saint-Petersbourg, cet opéra fleuve a une place particulière dans le cœur des amateurs d’opéras. N’est-ce pas ce thème du destin qui façonne « E La nave va » le film de Fellini dans lequel un aéropage de fous d’opéra font une croisière en hommage à une grande Cantatrice, la Tetua, dont les cendres sont jetées dans la mer. L’ouverture est présente dans le film « Le Parrain » « Manon des sources », etc…. Cet opéra contient bien des pages connues du grand public. Les amateurs d’opéras eux sont encore aujourd’hui à la recherche d’un enregistrement tout à fait satisfaisant. Croyez-moi il n’y en a pas encore un qui me satisfasse tant il y a toujours quelque chose qui résiste. Là un chef trop vulgaire, là trop indifférent, là un ténor trop héroïque, là pas assez poète. Là une Leonora bien chantante mais sans feu, là trop de voix, là trop de dureté dans l’aigüe, là trop de graves poitrinés et finalement avec une voix imparfaite, seule Callas fait de Leonora un vrai personnage. Presque toujours une Prezosilla insatisfaisante… Car la particularité de cet opéra est une dramaturgie entièrement musicale. En effet l’intrigue est absurde prise au premier degré. Et ce ne sont pas de vrais personnages engagés dans un conflit racinien ou amoureux. Ce sont des entités abstraites. Leonora la femme-enfant emprisonnée dans une position de fille et de sœur dont elle ne veut pas s’extraire, incapable de se donner à celui qu’elle prétend aimer. Alvaro, le Malheur personnifié et magnifié dans l’un des plus beaux airs de Verdi.  Carlo le monomaniaque de la vengeance, véritable thanatophore aveugle. Des abstractions qui chantent pourtant et incarnent des émotions fortes sans liens.

Le retour à l’opéra avec un tel ouvrage était donc gagné d’avance. Et la mise en scène (pourtant de Nicolas Joël) oubliée pour raisons covid, l’avouerons-nous, ne nous a pas manqué une seule fois. Cet opéra si grandiose se suffit à lui même pour faire avancer la théâtralité par la musique. Il faut dire que l’orchestre a été un partenaire de premier ordre. Superbes de timbre, d’énergie et d’engagement les musiciens de l’orchestre ont tous été merveilleux et les bois à la fête ont été particulièrement émouvants (l’air d’Alvaro !). La direction de Paolo Arrivabeni est très équilibrée. Dans un tempo plutôt allant le chef Italien fait avancer le drame sans temps morts. Les équilibres sont toujours parfaitement réalisés avec un chant éperdu toujours soutenu. Il sait offrir aux chanteurs la sécurité dont ils ont besoin tout en les entraînant sans temps morts. Les chanteurs idéalement placés en avant-scène sont face au chef et là où la voix s’entend le mieux. C’est donc un plateau parfaitement équilibré en termes de puissance qui va pouvoir nous faire vivre ce drame de l’absurde. Le héros incontestable de l’opéra est le ténor Amadi Lagha. Ce jeune homme a une voix d’airain homogène sur toute la tessiture. Les riches harmoniques du grave évoluant délicatement vers la lumière solaire d’aigus semblant faciles. La diction est souveraine, ce chanteur sait ce qu’il chante ! Voilà un Alvaro proche de l’idéal capable d’emportements sauvages et de noblesse d’âme. Il est un poète de la nuit dans un air d’anthologie à l’acte 3.  L’énergie qu’il met dans ses duos avec Carlo est incroyablement communicative. Grande et belle voix mais surtout interprète d’une rare intelligence dramatique. Nous le reverrons dans Don José l’an prochain au Capitole il y sera très attendu !

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Son amoureuse, Leonora, a la voix de Catherine Hunold. Verdi n’est pas le compositeur habituel de cette grande voix un peu dure dans l’aigu. Cette prise de rôle la montre encore prudente mais avec de beaux atouts. Ne doutons pas qu’avec le temps elle saura trouver des accents plus justes. La ligne verdienne lui convient bien et l’homogénéité des registres est un atout pour ce rôle très central. Plus d’aisance dans les aigus surtout piano enrichirait le personnage.

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Photo de David HERRERO

En Frère monomaniaque de la vengeance le baryton Gezim Myshketa fonce tête baissée dans la mort. Timbre sombre, chant mordant, il a bien des qualités du baryton Verdi. Dans les scènes avec Alvaro il tient face à l’incroyable voix d’Amadi Lagha, ce qui n’est pas peu dire.

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Photo : D.HERRERO

Seul à être un habitué des rôles, Roberto Scanduzzi, est celui qui se passe de partitions. Son aisance scénique avec peu de gestes lui confère chaque fois toute l’autorité attendue. Rajoutant raideur et inflexibilité au Marquis et ajoutant bonté et rondeur au Padre.   Un grand artiste qui à lui seul avec ce jeu si sobre, se fait théâtre. Et quelle belle voix !

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Photo : D.HERRERO

Les autres rôles plus anecdotiques ne déméritent pas avec une Prezosilla très intéressante, vivante et sans trop d’effets appuyés. Racham Brydce-Davis a de la gouaille mais aucune vulgarité, écueil dans lequel bien des grandes voix du passé sont tombées au disque.

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photo :D.HERRERO

Le Melitone de Sergio Vitale garde lui aussi une certaine hauteur tout en arrivant à faire comprendre l’humour attendu du personnage sans la vulgarité trop souvent surjouée. Roberto Covattaen en Trabuco, Cécile Gallois en Curra et Barnby Rea en lcade et Chirurgo sont à la hauteur. Avec des artistes de cette valeur comme partenaires principaux c’est mieux que bien !

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Photo : D.HERRERO

Le chœur étalé sagement sur la scène et partiellement masqué est  majestueux. En grand nombre il fait honneur aux magnifiques pages écrites par Verdi. Chœurs d’hommes, de femmes et mixtes, tous colorés et fort vivants, sont magnifiques. Grâce à l’excellent travail de cohésion vocale d’Alfonso Caiani, la magie du chœur verdien plein d’énergies et de magnifiques couleurs se développe tout le long du drame.

La version de concert de la Force du Destin proposée à Toulouse ne fait pas regretter la mise en scène. Même si c’est bien dommage que l’hommage à Nicolas Joël qui avait mis en scène l’ouvrage en 1999 lorsqu’il était le directeur de la maison n’ait pas été complet. Nous savons qu’il aurait approuvé une distribution si homogène lui qui savait aussi choisir si bien les chanteurs. Les Toulousains en tout petit nombre (un tiers de jauge, disciplinés et masqués) ont fait un triomphe à ce retour à la vie lyrique. Bravo aux chanteurs tout particulièrement qui se sont présentés au public en pleine possession de leurs moyens alors qu’ils n’ont pas pu chanter depuis des mois …. Et que les metteurs en scène redeviennent un peu plus modestes : c’est bien les voix et l’orchestre qui font le drame ! La liaison scène-fosse a été parfaite ! Verdi y a tout gagné !

Cette première de la Force du Destin a été un triomphe mérité ! Le public a exulté !

Avec Elektra mise en scène le mois prochain le bonheur sera complet et une émotion à couper le souffle est attendue avec un chef d’œuvre si noir.

Hubert Stoecklin


Théâtre du Capitole

Musicales Franco-Russe : un final en apothéose !

Compte rendu concert. Toulouse.  Musicales Franco-Russes. Halle-aux-Grains, le premier avril 2021. Olivier Messiaen (1908-1992) : Les Offrandes oubliées, méditation symphonique pour orchestre ; Franz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en mi bémol majeur S.124 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°5 en mi mineur op.64 ; Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.

Tugan Sokhiev

Avec une diffusion en direct sur France musique et sur MediciTV on ne pouvait rêver plus grandes marques de reconnaissance pour ce dernier concert des Musicales Franco Russes. Il faut dire que la détermination de Tugan Sokhiev et de l’équipe municipale a de quoi forcer la plus grande admiration. Dans ce contexte si néfaste pour la culture la tenue de cette manifestation est un prodigieux exploit !

Nous avons rendu compte de deux concerts et plus rapidement de l’académie d’orchestre. Être présent à ce concert c’est pouvoir témoigner de l’alchimie naturelle et évidente entre le chef et son orchestre. Ce qui se passe est incroyable et même un concert confiné (pour les seules cameras et micros) leur permet de se retrouver avec chaleur.  Ce concert de clôture des Franco Russes est une véritable merveille de musicalité au sommet.  Le son de l’orchestre dans la Halle-aux-Grains vide, avec les musiciens étalés permet une ampleur sonore alliée à la plus grande précision, toutes deux proches de l’idéal. Je ne sais si la superbe prise de son rend vraiment l’effet dans la salle. En tous cas nous tenons un grand enregistrement et une captation visuelle de superbe allure. Le travail de Medici est à la hauteur de la qualité musicale, un sommet assurément !

 C’est avec beaucoup de respect et de retenue, une mise en place impeccable et un bel équilibre que Tugan Sokhiev dirige la courte partition de Messiaen. Proche de ses maitres le jeune compositeur de 22 ans écrit une partition encore tonale, pleine de couleurs pastel très françaises et déjà emprunte de la grande foi religieuse et la mystique qui le caractériseront toute sa vie.  La fin lumineuse, avec des cordes surnaturelles est magnifique et très apaisante ainsi amenée.

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Le pianiste toulousain Bertrand Chamayou est un partenaire régulier de l’Orchestre du Capitole. Sa carrière internationale brimée par la situation sanitaire nous permet de le retrouver ce soir. L’entente avec Tugan Sokhiev est admirable. Leur interprétation de ce premier concerto de Liszt est à marquer d’une pierre blanche. Le pianiste toujours parfait techniquement est ce soir particulièrement inspiré et finira comme en transe. Ce supplément d’engagement à la limite de la folie donne une tension à son jeu qui décuple l’entente musicale avec le chef et l’orchestre. Les solistes de l’orchestre dans le même engagement visionnaire permettent des moments de musique de chambre fusionnels. La beauté plastique du son, la précision rythmique (le triangle !) et l’ampleur des nuances donnent un relief très impressionnant à cet partition hybride. Le coté improvisé et comme composé sur le moment est tout à fait fascinant. Tant de musicalité et virtuosité associées ! Il y avait quelque chose de magique dans cette interprétation en parfaite osmose. La captation sur Medici en permet la compréhension avec des échanges de regards éloquants. Les applaudissements enthousiastes de l’orchestre sont à la hauteur des regards admiratifs du chef et du bonheur affiché du pianiste. Je gage que chacun se remémora ce concerto comme un sommet particulier dans sa carrière. Un Grand Moment capté pour l’éternité.

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P.NIN

Mais le plus incroyable reste à venir avec la cinquième symphonie de Tchaïkovski.

Ce n’est pas un mystère Tugan Sokhiev adore la musique de Tchaïkovski et la dirige magnifiquement. Nous avons eu la chance de l’entendre dans de nombreux opéras et sa musique symphonique. Un enregistrement de cette même symphonie a été réalisé pour Naïve en 2011. Enregistrement tout à fait estimable et que j’ai réécouté avant le concert. Le choc de cette interprétation a été grand. Comment ne pas penser qu’en dix ans il y a passage d’une belle interprétation à une interprétation géniale. La maturité de Tugan Sokhiev est manifeste et celle de l’orchestre également. Je pense que la fréquentation des opéras de Tchaïkovski qui a opéré cette évolution magnifique. Il m’a semblé que Tugan Sokhiev donnait quelque chose d’organique à son interprétation quelque chose de vivant, fulgurant qui avance avec une évidence sidérante. Pas une note en trop, par une répétition qui ne soit indispensable. L’équilibre constamment trouvé jamais perdu et toujours nouveau. La partition si émouvante trouve dans une perfection formelle de chaque instant un poids émotionnel inoubliable.  Ce qui semble plus incroyable est une manière subtile de construire les phrasés comme une véritable confession. Dans le deuxième mouvement si mélancolique les cordes sont dirigées comme des voix humaines avec des nuances incroyables. Tugan Sokhiev laisse sa baguette et de sa main droite semble malaxer le son comme un magicien. Le cor solo auquel il laisse beaucoup de liberté, dégage une émotion terrassante. La valse triste du troisième mouvement détrône celle de Sibelius avec une élégance suprême. Mais c’est peut-être la construction si parfaite du final, son équilibre émotionnel et technique fusionné qui atteint des sommets de musicalité. C’est également dans ce mouvement que l’entente entre les musiciens et le chef est surnaturelle. Mêlant plaisir et admiration réciproques c’est une liaison d’amour qui s’exprime. Les progrès de l’orchestre ne sont pas en reste. Je ne sais pas comment cela s’est déroulé mais je suis certain que les cordes ont fait un travail considérable pour arriver à ce niveau de présence et d’émotions bouleversantes.

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P.NIN

Tant en délicatesse dans le deuxième mouvement qu’en puissance dans les terribles fusées du final. Les violons n’ont plus rien à envier à d’autres orchestres. Déjà les bois étaient superlatifs à Toulouse. Jacques Deleplanque au cor solo, un modèle dans le début du deuxième mouvement, est tellement plus émouvant ce soir. Les violons ce soir se sont surpassés. Il semble s’être passé quelque chose de déterminant. Est-ce l’acoustique modifiée évoquée plus haut ? Pas seulement, et j’ai vraiment hâte de retrouver l’orchestre en concert « pour de Vrai ». La qualité de cette interprétation semble ouvrir un nouvel espace avec davantage d’originalité comme par exemple le chant au cor si mélancolique de Jacques Deleplanque. Il est probable que ce soit cette confiance et cette admiration mutuelles qui scellent la belle harmonie entre le chef et son orchestre. Il manque seulement le public, le troisième élément de ce cercle vertueux.  Aussi est-ce avec joie que j’ai appris que Tugan Sokhiev, sur le départ, avait décidé de rester un an de plus à Toulouse. Il aurait été vraiment dommage de laisser le public sur sa faim. Ne doutons pas un instant que la prochaine saison verra une fréquentation du public décuplée.

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Concert final des Musicales Franco-Russes qui atteint un véritable sommet. Ne boudez pas votre plaisir il est possible d’en avoir quelque chose dans une excellente prise de son et une mise en image merveilleuse qui permet de voir l’engagement et la beauté des musiciens (même masqués) et la direction chorégraphique d’un Tugan Sokhiev en état de grâce. Sans oublier un Bertrand Chamayou particulièrement inspiré dans une version fulgurante du premier concerto de Liszt…

Hubert Stoecklin

Lien concert de France Musique

Lien vers Medici TV

Sokhiev : Le retour ! Tout Chostakovitch !!

Compte rendu concert. Toulouse.  Halle-aux-Grains, le 27 mars 2021. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Concerto pour violon n°2 en ut dièse mineur op. 129 ; Symphonie n°5 en ré mineur op. 47 ; Vadim Gluzman, violon ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.

Tugan Sokhiev admirablement accompagné par toute la municipalité et son cher Orchestre ne lâche rien. Il a partagé, lors de cette nouvelle Académie d’orchestre 2021, sa passion pour la direction d’orchestre avec de jeunes chefs et cheffes. Medici TV a mis ses caméras et le résultat est passionnant. Dans cette académie d’orchestre on y apprend la quintessence de la musique par des remarques parfois sans ménagement mais toujours d’une grande bienveillance. Maitre Tugan n’hésite pas à confier son extraordinaire orchestre, tous musiciens d’exception, à de très jeunes baguettes (l’une d’elles ne dirige que depuis un an !). C’est absolument irrésistible de courage pour les jeunes, de patience et de professionnalisme passionné pour les musiciens et de génie d’enseignement pour Tugan Sokhiev qui avec générosité propose aux jeunes impétrants d’oser beaucoup de liberté afin de chercher la musique du cœur. Deux périodes durant lesquelles les progrès sont visibles et audibles. Et l’orchestre est d’une gentillesse incroyable toujours très engagé même en répétant quelques mesures inlassablement. On ressort de cette écoute complètement enthousiaste. Il FAUT que de tels artistes retrouvent en vérité leur public et vite… très vite…

Cette Académie sur Medici TV .

CONCERT TOUT CHOSTAKOVITCH :

Tous contaminés !

Franco Russes Gluzman

Le concert du samedi nous a permis de retrouver le grand chef et son orchestre dans des œuvres de Chostakovitch. Quelles retrouvailles ! L’osmose perdure comme aux premiers jours. A présent les musiciens de l’Orchestre sont très à l’aise dans les partitions de Chostakovitch. Le deuxième concerto pour violon dans la rare tonalité de do mineur est une œuvre courageuse. Chostakovitch dans la Russie soviétique si dangereuse, voire hostile utilise les techniques de compostions les plus modernes au nez de la censure. Il compose une musique atonale, avec des accords étranges et des modulations audacieuses. Les rythmes sont incroyablement complexes. Il n’offre pas au violon une virtuosité facile mais lui permet des effets rares et surprenants. Composé en trois parties c’est bien la seule chose cédée à la tradition par un Chostakovitch très exigeant tant pour les musiciens que le public. Cette partition est compacte et dense, complexe et profonde. Rien que le deuxième mouvement tire du violon et de l’orchestre une angoisse titanesque. Le dialogue avec le cor est particulièrement réussi dans une même recherche de beauté sonore et de phrasés assortis. Jacques Deleplanque est au cor un musicien suprême, partenaire idéal pour Vadim Gluzman. Vadim Gluzman et Tugan Sokhiev s’entendent à merveille et offrent une interprétation ciselée, très en place et l’orchestre participe pleinement à cette extraordinaire fête de la précision rythmique. L’originalité de ce concerto est grande, cela nous change des concertos hyper connus. Ce concerto même s’il ne plaira pas à tous est en tout cas un grand moment de partage et l’émotion qui nait de cette inestimable complicité artistique est rare. Le son de Vadim Gluzman est d’une profondeur incroyable sur toute la tessiture avec des graves et un medium très chaud. Les aigus sont rayonnants, solaires, sans dureté jamais. La souplesse de ce son qui irradie est un vrai bonheur. Les couleurs irisées de l’orchestre participent à cette fête.

Franco Russes Sokhiev

La cinquième symphonie de Chostakovitch est peut-être la plus jouée. Tugan Sokhiev et son orchestre l’ont déjà interprétée il y a trois ans. Largement autobiographique cette symphonie se masque sous une sorte de soumission. En fait c’est un manifeste qui parle de la vie sous le régime soviétique au temps des purges staliniennes. L’angoisse est diffuse dès les premiers accords. Ce premier mouvement pourrait suggérer dans son entier cette tension d’angoisse qui s’insinuait partout et enveloppait Chostakovitch qui longtemps a dormi tout habillé, de peur d’une arrestation nocturne imminente. L’orchestre joue admirablement, chaque pupitre est excellent. Tugan Sokhiev a un sens du détail aigu, il organise un discours très puissamment charpenté. Il amène avec beaucoup de subtilité la fin de l’angoisse vers ces notes de célesta si oniriques. Le deuxième mouvement est un scherzo sarcastique dont Chostakovitch a le secret. Sous une musique parfois facile se cache une acidité, une dérision subtile qui fait mouche. Oui le régime populaire était ridiculement boursouflé d’orgueil. Tugan Sokhiev arrive à faire vivre une certaine fraicheur dans les thèmes populaires tout en mettant en valeur les sarcasmes avec un grand art des demi-teintes. Le troisième mouvement est dirigé dans une tension quasi insoutenable de douleur. Les couleurs de l’orchestre sont mélancoliques. La douleur morale sue d’entre les notes et la plainte suit les lignes mélodiques. Le final, celui d’un bonheur ostensiblement flagorneur a toute l’ambiguïté voulue par le compositeur soviétique révolté. Comment peut-on prendre au premier degré ce final bêtement tonitruant après ce troisième mouvement si extraordinairement douloureux ? C’est que Tugan Sokhiev le construit admirablement et que les musiciens de l’orchestre semblent dans cette musique comme des poissons dans l’eau. Avec une ironie autorisée par la musique de Chostakovitch, je devine combien chaque musicien de l’orchestre est complètement contaminé par leur chef du « Virus Chostakovitch ». Et la personne ne souhaite de vaccin ! Car le public va être bientôt lui aussi contaminé et je rêve d’une pandémie Chostakovitch ! L’enregistrement de ce concert fabuleux pour Warner Classic permettra à l’automne de trouver chez votre disquaire préféré le CD de cette sensationnelle Cinquième Symphonie de Chostakovitch. Je prédis un enregistrement de « référence ». Pour l’heure n’hésitez pas à regarder le concert.  Il sera également diffusé sur France Musique le 12 avril dans le concert du soir.

Hubert Stoecklin


Orchestre National du Capitole  •   Les Franco-russes

Franco Russes21

Musicale Franco-Russe 2021 toute en finesse sur les réseaux sociaux …

Compte rendu concert. Toulouse.  Halle-aux-Grains, le 19 mars 2021. Sergeï Prokofiev (1891-1953) : Symphonie N° 1 « Classique » en ré majeur Op.25 ; Concerto pour violon N°2 en sol mineur Op.63 ; Benjamin Atthair (né en 1989) : 117 : 2C (création mondiale) ; Piot Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Romeo et Juliette ouverture fantaisie ; Aylen Pritchin, violon ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Maxim Emelyanytchev.

Franco Russes 2021 quelle élégance !

Maxim Emelyanytchev est un musicien fantastique qui est très aimé à Toulouse et cela se comprend. Ce soir il a dirigé un concert jubilatoire et d’une élégance rare pour célébrer les musicales Franco-Russes 2021. Le virus ignoble nous avait privé de l’édition 2020 de ces Musicales Franco-Russes, si chères à Tugan Sokhiev. Il n’était pas question de renoncer cette année et les concerts donnés en Live sur les réseaux sociaux permettent cet ersatz salutaire. Salutaire pour l’orchestre qui ne perd pas en qualité bien au contraire et salutaire pour le public afin de ne pas mourir d’ennui. Merci aux organisateurs si déterminés, efficaces et résistants à la morosité !

Ce concert sera également diffusé sur France Musique le 12 avril prochain. Les commentaires sur YouTube prouvent combien il a été suivi mondialement : Une très belle audience.

L’allure primesautière du jeune chef russe est celle d’un Elfe et il se lance dans la petite symphonie classique de Prokofiev avec panache. Quel humour, quelle joie dans cette musique. Maxim Emelyanytchev en ciselait les moindres notes tout en organisant une lecture absolument parfaite techniquement. Rythmée, dansante, chantante cette symphonie, sorte de pastiche-hommage à Mozart et Haydn, est un régal de chaque instant avec des interprètes si engagés. La précision est ce soir mariée au sentiment du bonheur.

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Le concerto pour violon N°2 de Prokofiev est plus complexe allant jusqu’au sombre. Le chef russe ajoute de la profondeur à certains moments et sait ouvrir une forme de douleur et de mélancolie. Ainsi le mouvement lent est une plainte lancinante. Le violoniste Aylen Pritchin, russe également, est mondialement acclamé. Il joue avec engagement dans une sonorité riche et profonde. L’aisance est totale et il semble complètement dominer la partition si exigeante. Voici une interprétation magistrale car l’Orchestre du Capitole est totalement sur la même cime que les deux artistes russes.

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Le concert est généreux et la création du Jeune Benjamin Attahir, commande de l’orchestre, porte un titre en chiffre, c’est bien abscons (117 : 2C). Construit en deux moments qui semblent et s’affronter et se compléter, il permet aux cordes de donner libre court à leurs possibilités. D’abord cette précision et cette rapidité d’adaptation propre au violon avec des rythmes détachés d’une complexité redoutable. Les musiciens de l’orchestre du Capitole n’en font qu’une bouchée, concentrés et motivés. Puis se déroule une sorte de combat entre ces rythmes implacables, des pizzicati et des phrases lyriques. Mais l’issue du combat est incertaine et le calme semble abrupt évoquant plus un chaos qu’un retour au calme. L’œuvre est stimulante et ne manque pas de séduction. L’interprétation est ébouriffante.

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P.Nin

Pour finir le concert c’est le plus émouvant des compositeurs russes qui nous est offert. Dans une œuvre assez courte mais si pleine du drame de Roméo et Juliette : son ouverture fantaisie. Les couleurs chaudes du choral des bois et cors qui débute l’ouverture est caractéristique de cette qualité émotionnelle de la musique de Tchaïkovski. Les thèmes se suivent dans le plus bel effet dramatique. Maxim Emelyanytchev ne cherche pas à éviter les effets de pathos et le drame prend tout son aise. Le très grand chant d’amour éperdu est irrésistible. Cette mélodie si belle est inoubliable ainsi développée et phrasée. Quel magnifique final permettant à la plus belle émotion de se développer. Véritable festival de rythmes de couleurs et de nuances. Tout est mis au service de ce drame d’amour mythique. L’orchestre est merveilleux à chaque instant. Comme les vibrants applaudissements du public ont manqués ! J’imagine facilement une standing ovation après une interprétation aussi brillante. Quand retrouveras-tu ton public magnifique orchestre, à présent tu es aussi russe que français ! Le prochain concert tout Chostakovitch avec maitre Sokhiev sera un sacré choc !

Hubert Stoecklin

Orchestre National du Capitole

Concert toujours sans public mais qui maintient le lien par la visio-diffusion

Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 6 mars 2021. Richard Wagner (1813-1883) : Prélude et mort d’Isolde, extrait de Tristan et Isolde ; Richard Strauss (1864-1949) : Also sprach Sarathoustra, poème symphonique. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Thomas Guggeis, direction.

Un Concert au sommet !

Les concerts retransmis en direct puis en « replay » de l’Orchestre du Capitole se poursuivent favorisant ce frêle lien avec les critiques présents et le public derrière ses écrans. Le succès est majeur et l’orchestre se maintient ainsi à son niveau d’excellence, les chefs peuvent partager avec cet orchestre si engagé des moments fondateurs et le public peut se régaler des images proposées sur Youtube. Ces ersatz sont succulents et méritent toute notre reconnaissance mais quand retrouverons-nous cette alchimie si particulière entre l’orchestre et son public toulousain ? Quand la Musique renaitra-t-elle à la vraie vie ?

GUGGEIS
Thomas Guggeis avant de diriger le prélude de Tristan se concentre

Ce que je peux dire c’est qu’en tant que privilégié présent en chair et en os, j’arrive mieux à vivre l’absence du public. Après tout il y a de sacrés avantages, pas de toux, de bruits de papiers de bonbons, de bruits de bijoux et autres joyeusetés. La musique est d’avantage respectée ainsi pas d’applaudissements impatients non plus en fin de morceau. Mais quelle tristesse toutes ces places vides !

Le tout jeune chef d’origine allemande Thomas Guggeis a dirigé ce soir un concert d’anthologie. Le chef de tout juste 27 ans est un musicien hors pair capable de donner des ailes à l’orchestre. Le programme exigeant est de toute beauté. D’abord sans rupture de la solution de continuité le prélude de Tristan et la mort d’Isolde en version purement orchestrale. Cette pièce de concert nommée « Prélude et mort d’Isolde » est un véritable monument, très aimé des chefs comme du public. Rarement la voix aura si peu manqué dans le lied final tant l’orchestre a chanté avec passion et a chanté haut et fort. Le grand crescendo est magnifiquement conduit par le chef. Les risques pris sont aigus et le résultat assumé est ce grand vol d’un vaisseau puissant et qui malgré sa taille décolle tout là-haut.

T.Guggeis
L’envol de la musique avec T.Guggeis

Jouer ces deux extrêmes de l’opéra fleuve de Wagner nous fait vivre de manière fulgurante cette passion mortelle inouïe. Toutes les questions harmoniquement irrésolues du prélude, tous ces chromatismes tristaniens qui ont tant plu et qui irritent tant, sont une magie dont le jeune Thomas Guggeis comprend tous les arcanes. Et leur résolution dans ce dernier accord est une jouissance suprême. La manière sure et généreuse dont le chef aborde ces deux pages liées pour l‘éternité est un régal sur tous les plans. La perfection instrumentale, l’équilibre des nuances, les phrasés amples et les couleurs mélancoliques d’une douleur infinie, puis dans la mort d’Isolde cette puissance de la transfiguration amoureuse avec ces coups de boutoirs si puissants, font une impression profonde. Les contre-chants si lisibles, les interventions subtiles de la harpe, tout est pleinement présent jusqu’à cette fin magique parfaitement réalisée ce soir. Un très grand chef de théâtre ce jeune homme, qui en quelques minutes nous résume tout le drame de Tristan et comment !

Thomas Guggeis
Thomas Guggeis dirigeant l’Orchestre du Capitole le 6 Mars 21

Et que dire à présent de la manière dont Thomas Guggeis empoigne le Sarathoustra de Strauss ? Il semble changer d’orchestre, le son gagne en brillant, en acuité et les instrumentistes comme galvanisés rivalisent de beauté sonore. Dès le splendide lever des cuivres encouragés par la timbale, la puissance et la grandeur coupent le souffle. Toute la partition restera à cette hauteur et dans une infinie variété de nuances et de couleurs va nous faire vivre un voyage enchanté à travers toute l’humanité, ses réalisations les plus spectaculaires, ses aspirations les plus hautes, mais sa vulnérabilité la plus bouleversante aussi et même sa petitesse. Richard Strauss a composé une suite de mouvements absolument virtuoses qui permettent à l’orchestre de briller à chaque instant. Il est impossible de citer chacun mais admettons que les cuivres se taillent une part de lion dans une puissance renversante. Le violon solo de Kristi Gjezi est d’une présence envoûtante. Il serait injuste d’oublier les bois si émouvants, ni les cordes dans une soie si brillante et un moelleux si chaud. Les percussions sont exquises de précision et pimentent le tout.

Thomas Guggeis et L’Orchestre du Capitole : quelle interprétation !

L’ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE DE TOULOUSE est un Grand Orchestre magnifique en tout. La réécoute de la vidéo est un précieux régal mais avouons que l’effet est autrement troublant en face des déferlantes des plus de 100 musiciens de l’orchestre si admirablement dirigés.  Disposés si confortablement dans la Halle-aux-Grains les sonorités somptueuses se développent incroyablement. Le confinement permet aux musiciens de jouer avec peut-être plus de concentration et moins la pression de répétitions harassantes. Je les  trouve reposés, impliqués et d’autant plus généreux. Le son de ce soir est tout à fait unique c’est vraiment du grand art. Bravo à tous y compris au programmateur qui a su trouver ce jeune chef, Thomas Guggeis, un nom qu’il faudra suivre et un chef qu’il est souhaitable de voir et revoir à Toulouse tant au concert qu’à l’opéra.

Hubert Stoecklin

lien vers le concert attention ça plane haut !

Orchestre national du Capitole

Concert d’un nouveau type : sans public !

Compte rendu Concert. Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 6 Février 2021. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concert pour piano et orchestre n°20 en ré mineur, K.466 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Symphonie n°9 en ut majeur, D. 944, « La Grande » ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Fray, piano ; Direction : Leo McFall.

Concert jubilatoire sans public mais très regardé !

C’est le paradoxe incroyable de cette époque. Pas de concert pour le fidèle public mais des captations vidéo et des rediffusions qui permettent à un très grand nombre d’écouter la beauté pure.

Au moment où j’écris ce texte, soit trois jours après le concert, il a été vu plus de 7200 fois ! C’est bien plus que lors de concerts mais l’émotion peut-elle être comparable ?  C’est un immense plaisir de le voir ou le revoir mais le concert est un rituel public ne l’oublions pas. Sans public le sens du partage est juste tué.

ONCT

La presse a pu être présente, je peux donc vous assurer que l’émotion est particulière en ce moment. Sentiment d’extraordinaire privilège et de profonde tristesse d’être face à une vaste salle entièrement vide.

Le début du 20ème concerto de Mozart, avec cette phrase si dramatique évoquant l’ouverture de Don Juan, fait monter les larmes aux yeux. Quelle beauté sonore, quelle puissance expressive, quelle théâtralité fabuleuse !  Le jeune chef anglais, Leo McFall, prend possession de la partition avec un sens du théâtre magnifique. Ce chef est très intéressant car il prend un parti pris très engagé. Il dirige ce concerto comme un opéra, avec un sens des nuances, des couleurs et du phrasé d’une musicalité tout à fait délicieuse. Les gestes eux-mêmes sont d’une grâce, d’une élégance et d’un pouvoir expressif rares. Il donne beaucoup de liberté aux solistes de l’orchestre, et donne aux interventions de l’orchestre un beau relief. Ce concerto, en ré mineur a une grande profondeur et ressemble à une conversation mondaine parfaitement organisée. Ainsi l’orchestre débute majestueusement, le piano répond, puis ils créent ensemble un dialogue respectueux de belle hauteur dans une parfaite lisibilité. Le chef est admirable de présence pour le pianiste comme pour ses musiciens. Sa direction est belle et d’une grande efficacité.

David Fray

David Fray, qui hélas reste masqué, participe à la dramatisation de l’interprétation tout en osmose avec la vision orchestrale dramatique du début. L’entente entre le pianiste et le chef permet de très beaux échanges. Le jeu de David Fray est franc, précis, parfois un peu sec. Il a tendance à se précipiter dans les cadences qu’il a choisies avec une belle virtuosité. Dans le premier mouvement il semble puiser dans plusieurs propositions :  Clara Haskil, Paul Badura-Skoda et Beethoven. Dans le dernier mouvement il ose la cadence tempétueuse d’Edwin Fischer. La théâtralité partagée est reine et le concerto sonne magnifiquement bien : un vrai bonheur !

Leo McFall un chef à suivre de près !

Leo McFall © Ville Hautakangas
Leo McFall © Ville Hautakangas un chef très attentionné

Pour la deuxième partie du programme la « grande symphonie » de Schubert nous permet de jauger Leo McFall tant cette œuvre mérite un chef « qui a quelque chose à dire ». Sa longue construction, ses très nombreuses reprises et sa structure complexe méritent une « grande baguette ».

Avec des gestes toujours aussi élégants, le chef semble prendre totalement confiance avec l’orchestre, laisse jouer les solos librement (les hautbois méritent une citation) et personne ne cache son plaisir. Leo McFall obtient des nuances très creusées, des couleurs magnifiques et il sait phraser admirablement avec beaucoup de subtilité. Il donne beaucoup de caractère aux différents mouvements et  semble tous les mettre sous le signe de la danse. Jamais je n’avais remarqué comme bien mieux que la septième de Beethoven cette neuvième symphonie de Schubert mériterait le titre d’apothéose de la danse. L’élégance des marches, la joie des valses, la puissance des cavalcades, l’humour aussi dans les reprises, tout fait de cette symphonie pleine de contrastes un grand mouvement dansé de toute les manières possibles.

Il y a comme une sorte de gourmandise dans les nombreuses reprises et la symphonie avance avec célérité vers le final qui est une véritable apothéose. Leo McFall est un chef passionnant. Sa direction permet à la musique de couler avec beaucoup de vie et l’orchestre a magiquement profité de cette personnalité musicale hors des sentiers battus. Il sait créer un climat surnaturel ou un silence angoissant : c’est un chef qui comprend le théâtre. N’oublions pas qu’il est chef d’opéra et symphonique et également violoniste et pianiste… …  Ce grand musicien qui semble s’entendre admirablement avec l’orchestre du Capitole doit revenir vite et pourquoi pas se fidéliser à Toulouse !  Leo McFall un nom à retenir, il est facile de se faire une idée,  regardez sur youtube….

Hubert Stoecklin

Orchestre National du Capitole

Adam Laloum et Maxim Emelyanitchev en osmose

Compte rendu Concert. Toulouse, le 8 Janvier 2021. Halle-Aux-Grains. Robert Schumann (1810-1856) : Ouverture de Genoveva ; Concerto pour piano et orchestre en la mineur, op. 54 ; Symphonie n°4 en ré mineur, op. 120 ; Adam Laloum, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Maxim Emelyanychev, direction.

Schumann comme épuré

Onct 7 Janvier 2020

Ce concert est exceptionnel sur bien des plans.  Déjouant le sort qui semble vouloir tuer la culture vivante, les organisateurs ont convié les journalistes. Ainsi une poignée de chroniqueurs a pu, en ordre dispersé, assister à un concert filmé par Médici TV avec la mission d’en faire un retour. Car les journalistes artistiques eux aussi sont contraints au silence par manque de concerts.

C’est donc ma plume joyeuse qui retrouve le clavier !

Quoi qu’il en soit, l’Orchestre du Capitole a su développer une politique volontaire depuis le début de la fermeture de la Halle-Aux-Grains. Les concerts ont eu lieu et ont été filmés et diffusés en direct sur les réseaux sociaux. Ils sont ensuite disponibles à la revoyure (pour être vus et revus) et peut être qu’au final leur audience dépassera le public habituel de la Halle avec ses 2000 places. Peut-être qu’au final aussi un nouveau public viendra écouter l’Orchestre en concert.

L’équipe vidéo de l’Orchestre a ainsi pu prendre du galon et nous constatons de captations en captations les progrès. Mais ce soir c’est la Rolls de la vidéo musicale qui se charge du film, tous dans cette équipe de Medici TV sont des artistes magiques dirigés par Jean-Pierre Loisil. Chaque instrument soliste est vu au bon moment, les regards sont complices, les gestes du chefs enthousiastes et le jeu du pianiste d’une sensibilité rare. Et ce programme tout Schumann quelle belle idée !

Emelyanychev Maxim Jeune Maestro Il Pomo Doro

L’ouverture de Genoveva est une grande et belle pièce de concert qui développe une théâtralité passionnée sous la direction d’un Maxim Emelyanitchev particulièrement inspiré. Le final est enthousiaste et plein d’une passion délirante.

Puis l’arrivée du soliste est toujours un moment émouvant, la lente et élégante installation du piano d’abord puis les deux jeunes musiciens entrent en scène dans un même élan. Emelyanitchev dans une énergie elfique et Laloum comme un Giacometti vivant. Le concerto de Schumann est une œuvre à la fois très inspirée et homogène dans sa qualité constante. Le premier mouvement composé d’abord comme une pièce indépendante s’intègre à la perfection dans ce concerto en trois mouvements, tous fondus entre eux. Dès les premiers instants nous percevons que l’entente entre les deux musiciens est totale. Les regards, les égards, tout est recherche de partage et d’harmonie. La manière dont les nuances piano sont construites ensemble, puis le délicat crescendo permet de déguster comme rarement la finesse d’écriture de Schumann. La délicatesse du toucher d’Adam Laloum quasiment mozartien trouve un écrin élégant dans l’orchestre dirigé par Emelyanitchev. Le premier mouvement permet un dialogue d’amour entre musiciens qui renouvelle complètement la notion de concerto. Il n’y a jamais rien de démonstratif mais rien que du partage, de l’écoute comme une communion. Comment le hautbois et le piano se répondent, comment la clarinette et le basson colorent le propos et comment le piano se moule dans leurs sonorités veloutées, vous pouvez le retrouver dans le vidéo. Dans le deuxième mouvement c’est le beau chant des violoncelles qui émeut et le final est d‘une flamboyance rare. Un concerto de Schumann comme dégraissé est rendu à un naturel de pureté. Schumann y offre à sa chère Clara un dialogue digne de la musique de chambre, y associant une virtuosité toujours musicalement justifiée. L’amour de la musique, rien que de l’amour jamais de combat ou d’opposition.

Adam Laloum©Harald Hoffman

La jeunesse de cette partition rendue à sa pureté par l’osmose entre le chef et le soliste est un moment béni. Laloum est dans son répertoire de prédilection et son sens du phrasé, sa compréhension de toutes les facettes de l’œuvre, font de son interprétation la plus éloquente que j’ai jamais entendue. Emelyanitchev dirige comme par magie avec des gestes doux et jamais violents. Il obtient avec cette douceur plus de feu et d’âme que bien d’autres chefs. Et les musiciens de l’orchestre partagent avec joie cette vision lumineuse et joyeuse. C’est un véritable enchantement qui lie ainsi ces artistes. Quel dommage que le public n’aie pu, après avoir partagé ce moment, manifester avec reconnaissance sa joie dans des applaudissements généreux.

La dernière œuvre du concert est la quatrième symphonie de Schumann, celle que le compositeur voulait la plus expérimentale en liant sans silence les mouvements.  Œuvre qui coule, qui avance et exprime le plaisir de vivre. La passion de la vie dont regorge cette belle partition trouve en Emelyanitchev un chef qui en comprend toute la profondeur. Il obtient des musiciens de l’orchestre un jeu vibrant et plein de vie à chaque instant, jamais rien de lourd même dans les moments où la puissance se développe. Il y a vraiment quelque chose d’inspiré et de magique dans la direction de ce jeune chef. L’enthousiasme est communicatif mais sans précipitation. Il sait déguster la beauté de la musique et nous la rend limpide. Chaque musicien mérite d’être cité. Ils ont tous été merveilleux. Chacun a semblé donner ce qu’il peut de mieux et que le résultat est beau !

Un mot encore sur le plaisir des oreilles dans la vaste Halle-Aux-Grains silencieuse. Le son est pur, précis et l’équilibre sonore est absolument sidérant. La distance entre les musiciens, leur disposition germanique avec les contrebasses de face au fond, les violons 1 et 2 de part et d’autre du chef et la timbale au niveau des bois créent une ambiance merveilleuse. Cela fonctionne parfaitement et la précision de la direction, la finesse du jeu du pianiste trouvent ici un écrin parfait. La joie d’entendre un orchestre en liberté même si en période de disette, les enregistrements écoutés au salon sont un vrai bonheur tout de même … ce soir c’est un rappel à la vie !

Hubert Stoecklin