RUSALKA ressuscitée au Capitole de Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 14 octobre 2022.  ANTONIN DVORAK. RUSALKA. S. PODA. A. HARTING. P. BUSZEWSKI. ONCT. F. BEERMANN.

SUBLIME RUSALKA au Capitole !

Aussi incroyable qu’injuste, il a fallu attendre 2022 pour voir à Toulouse cette Rusalka de Dvorak. La partition de 1901 est d’une beauté farouche, la dramaturgie est efficace et cinq rôles sont absolument majeurs et permettent aux chanteurs de s’exprimer pleinement vocalement. Rajoutons combien l’orchestre également est sollicité par le compositeur de la symphonie du Nouveau Monde. Afin de rendre hommage comme il convient à ce chef d’œuvre, Christophe Ghristi, directeur du Capitole, a donné tous les moyens nécessaires, y compris une ouverture de saison, afin d’enchanter le public. Théâtres pleins, applaudissements passionnés, le succès est total car le résultat est je dois dire sidérant. Il est difficile de rendre compte de la magie d’une production réussie sans l’affadir, je vais toutefois détailler les éléments de cette réussite totale. Je commencerai par l’Orchestre, cela sera la porte d’entrée pour beaucoup car Dvorak est très connu comme compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme dans la musique symphonique l’orchestre de Rusalka est complet, puissant, subtil, très émouvant. La direction de Frank Beermann est idéale. Il connaît bien l’orchestre du Capitole, sa direction est très belle, elle laisse les musiciens s’épanouir en particulier les bois tout en maintenant une ligne de direction déterminée qui nous entraine dans le voyage et le drame. L’Orchestre du Capitole est conscient de la beauté de la partition et s’engage avec une ardeur magnifique. La beauté sonore de l’orchestre, sa délicatesse et les émotions qu’il porte laissent sans voix. Tous les musiciens sont superbes. Avec une mise en valeur particulière des bois et de la harpe. Coté distribution la même perfection se retrouve. Chacun est magnifique y compris les plus petits rôles comme par exemple les Nymphes. Valentina Fedeneva est une première Nymphe puissante avec une voix riche et nuancée. Citons-les tous : Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton. Aucune faiblesse ce sont de beaux artistes avec de très belles voix, arrivant chacun à créer une belle présence scénique. Les rôles principaux sont d’un niveau international avec une puissance expressive totale.

Aleksei Isaev est un Ondin parfait avec une prestance de dieu et une tristesse de père très troublante. La voix puissante sait se fragiliser pour exprimer sa peine.

En sorcière Jézibaba, Claire Barnet-Jones joue avec intensité et chante admirablement. La voix est sombre et inquiétante et la cantatrice est aidée par un costume spectaculaire.

Béatrice Uria-Monzon dans un rôle assez court arrive avec une voix très timbrée et puissante, un jeu subtil et un port de reine, à donner beaucoup de présence à son personnage de Princesse Étrangère.

Le couple maudit est particulièrement bine distribué en therme de scène et de voix. Piotr Buszewski est un prince idéal à la fois physiquement et vocalement. Timbre clair, voix dardée comme une fusée et un engagement total tant sur le plan vocal que dramatique. Pour une fois que le ténor a un vrai physique de jeune premier et une voix magnifique, nous avons un vrai Prince charmant ! 

Anita Hartig est une Rusalka désarmante et troublante. Le jeu modeste au début s’anime et la voix est somptueuse, riche en harmonique, ductile, nuancée à souhait. Les aigus sont purs et sonores, le medium est riche et gourmand et les graves pulpeux et onctueux.

Sur toute la vaste tessiture elle chante avec un bonheur total. La puissance qu’elle garde pour le duo final est bouleversante. Ce duo final avec le prince est un grand moment. Lui aussi oscille entre puissance et fragilité sur toute la tessiture. Elle tient une terrible ligne vocale sans siller.

L’opéra se termine en apothéose. Les chœurs ont de belles parties. Hors de scène le plus souvent, chacune de leurs interventions est remarquable. 

Les danseurs, tous cités dans la distribution sont des artistes époustouflants semblant encore plus à l’aise dans l’eau que dans le salon de Prince c’est dire le travail extraordinaire réalisé. Leurs mouvements dans la grande mare sur scène apportent beaucoup à la magie du spectacle. Des conditions probablement très complexes ont été dépassées pour arriver à ce résultat sidérant de beauté. Bravo, bravissimo !

Pour tout le coté visuel il faut reconnaître que la cohérence du propos est admirable. C’est l’autodidacte Stefano Poda qui a tout conçu et a fait un travail absolument remarquable. En, ce qui concerne la scène tout est organisé autour d’un décor complexe. Une scène gorgée d’eau, offre une vaste étendue sur et dans laquelle des danseurs représentent les créatures élémentaires marines qui entourent Ondin et sa fille Rusalka. La magie du théâtre est complète et chacun peut croire que la mare est posée sur la scène et que les créatures peuvent y plonger et ressortir pour chanter. Trois murs transparents et liquides ferment l’espace. Ondin et Rusalka se déchirent à projos du désir de Rusalka. Celle-ci tombée est amoureuse d’un mortel veut changer d’état et en devenant humaine veut acquérir une âme.  Le dialogue avec la sorcière Jézibaba est terrible mais la nymphe obtient gain de cause, elle va quitter le calme de son immortalité pour découvrir la passion du corps et la mort. La symbolique de Poda est assez simple et efficace. Le premier décor est celui de la nature belle et immaculée. Le deuxième acte nous plonge dans l’envers du monde, celui de la fabrication humaine, des jeux pervers entre les gens, de la pollution. Le décor mural sera comme une carte mère géante, le sol est fait de promontoires. Les danseurs forment des couples violents, ce ne sont plus les corps qui parlent mais les costumes. La violence de la chorégraphie ne cache pas la perversion des relations sexuelles. Le prince et Rusalka se conforment visuellement à ce modèle et petit à petit sur l’intervention de la violence de la Princesse étrangère la relation du prince avec sa bien-aimée qui reste muette se dégrade. La souffrance du prince qui veut mais ne peut supporter le silence de sa belle est très perceptible. L’incommunicabilité est fatale.

Sa fuite dans le badinage avec la Princesse Étrangère n’est pas légère mais désespérée. Rusalka retrouve la voix et un chant désespéré pour terminer l’acte. Le drame est scellé. Le troisième acte nous fait retrouver l’eau magique. Rusalka y entrainera dans une étreinte mortelle son bien aimé qui lui offre sa vie. A défaut de se comprendre les amants se lient dans la mort. La nature comme abimée retrouve l’espoir de la croissance. Des nymphes déplacent de petits pots bien modestes mais qui formeront de grands arbres. Cette opposition, cette incompréhension entre le mode des simples de nature et les créateurs de la civilisation de labeurs est symbolisée par le couple impossible Rusalka la nymphe et le Prince. Des mains gigantesques embarrassent le ciel ou l’eau. L’effet est redondant, la symbolique des mains comme pire et meilleures amies de l’homme est trop encombrante. A vouloir trop montrer Poda s’enlise sur ce point. Ce reste hérité de sa rencontre avec Beni Montresor dont des décors et costumes très riches et des images belles mais toujours lourdes est dommageable. Car Beni Montresor travaillait avec des metteurs en scène. Je me souviens très bien de son Nabucco en 1979 à Paris à la beauté écrasante. Certes les personnages peuvent être réduits à des abstractions dans ce conte symboliste mais à trop penser aux décors, costumes et effets scéniques, le jeu des corps humains a été délaissé. La mise en scène de ce point de vue est déficiente. En tout cas même à ce prix la magie a ravi le public car c’était un décor vraiment spectaculaire. Musicalement l’émotion était bien présente par la partition, brillamment défendue par la qualité des voix et un orchestre parfaitement dirigé par Frank Beermann.  

Les photos illustrant la critique ne rendent compte que d’une partie de la magie car la beauté des mouvements des corps des danseurs, surtout dans l’eau ne peut qu’être imaginée.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra.  TOULOUSE, le 16 octobre 2022. Théâtre du Capitole. Antonin Dvorak (1841-1904) : Rusalka. Conte lyrique en trois actes. Crée le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague.

Stefano Poda : Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie ; Paolo Giani cei, collaboration artistique ; Distribution : Anita Hartig, Rusalka ; Piotr Buszewski, Le Prince ; Aleksei Isaev, Ondin ; Béatrice Uria-Monzon, La Princesse étrangère ; Claire Barnet-Jones, Jézibaba ; Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton ; Danseurs : Jorge Calderon, Maud Boissière, Juliette César, Arthur Delorme, Xavier-Gabriel Gocel, Elise Griffon, Izaskun Insausti Lorente, Marine Jardin, Antoine Lecouteux, Grégoire Lugué-Thébaud, Steven Nacolis, Léa Pérat, Florian Perez, Marion Pincemaille, Sophie Planté, Cyril Vera-Coussieu. Orchestre National du Capitole ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, Gabriel Bourgoin, chef de chœur. Direction : Franck Beermann.  Photos Mirco Magliocca.

Sur un Cactus à l’entracte ça discute ferme de cette mise en scène

Le Requiem de Brahms sans frissons hélas…

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur :  Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.

Un petit Requiem en concert

Ein Deutsches Requiem de Brahms est une œuvre singulière qui n’a rien de comparable avec d’autres Messe des Morts. L’émotion qu’il dispense repose sur la sincérité avec laquelle il a été écrit et demande la même qualité chez les interprètes. Rien de démonstratif mais rien de retenu non plus.

David Reiland
David Reiland

Ce soir cet équilibre émotionnel n’a pas été trouvé. David Reiland dirige avec précaution et semble très soucieux du chœur. Il construit un équilibre sonore parfait évitant toute difficulté aux solistes comme au chœur. Chaque partie sera entendue comme il convient. Il y un vrai sens de l’équilibre des plans sonores chez le chef Belge. L’orchestre du Capitole est ductile sans engagement véritable ce soir. Le Chœur du Capitole est sonore, peu enclin aux nuances. Les sopranos n’ont pas la qualité angélique attendue avec des aigu forte assez durs et les basses trop discrètes n’apportent pas le réconfort habituel par manque de rondeur. Les solistes sont inégaux. Le jeune baryton Johann Kristinssohn a une fraicheur et une simplicité qui convient bien à son texte et sa ligne de chant est élégante. La soprano Sunhae Im a une voix élimée qui peine à rester stable. La difficulté de son chant, l’acidité du timbre, ne permettent pas d’atteindre la consolation attendue dans cet air sublime de simplicité.

Ce concert a été une simple exécution musicale, sans chaleur, ni tension. Cela produit l’impression d’un concert de jolie musique non pas d’une Messe des Morts.

On peut me rétorquer que la Halle-Aux-Grains convient mal à une œuvre sacrée. Certes mais je fais partie de ceux qui ont eu la chance d’entendre cette œuvre deux fois en 2011 et 2016 dirigée par Tugan Sokhiev avec le chœur Orfeo Donostiarra et des chanteurs adéquats et à chaque fois toutes les émotions ont été au rendez-vous. Cela n’a donc rien d’impossible… Cela ne semble pas avoir été l’option choisie ce soir. Je fais partie de ceux qui ont regretté d’avoir assisté à un simple concert. Les temps changent assurément !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur :  Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.

La Kabylie rêvée d’Amel Brahim-Djelloul

La Kabylie rêvée d’Amel Brahim-Djelloul et ses amis est un enchantement !

Cantatrice franco-algérienne, soprano lumineuse baroque et mozartienne, Amel Brahim-Djelloul a bien des cordes à son arc et fait une très belle carrière. Le confinement lui a donné le temps de construire son projet alliant ses racines algériennes et lyriques françaises pour un projet très personnel dédié à la Kabylie. S’entourant de musiciens de grands talents, dont son frère Rachid, d’un véritable arrangeur compositeur, Thomas Keck, et d’une poète kabyle Rezki Rabia, elle a enregistré une heure de musique entièrement dédiée à cette montagne aux magnifiques paysages, un peu magiques avec un coté parfois inquiétant au nord de l’Algérie. C’est ainsi que se succèdent dans une harmonie parfaite des musiques, de variété, des musiques anciennes et des compositions modernes. L’instrumentarium est des plus variés, des instruments modernes : cordes, guitare, clarinette, mandoline, harpe ; plus anciens :  viole de gambe, ney, oud, cithare, mandole ; ou plus traditionnels encore : derbouka, daf, bendir, tar … Le mariage est très heureux et le disque s’écoute comme un voyage très agréable.  La langue kabyle travaillée avec le poète Rezki Rabia coule dans la voix d’Amel avec facilité. Son amour pour la poésie de cette langue se devine à chaque instant, les émotions variées contenues dans les textes sont facilement reconnues, c’est la fête, les retrouvailles, le temps qui passe, la vie qui va, les départs, les séparations, la peur, la joie. La délicatesse du texte dans les A Capella est un enchantement. Savoir ainsi créer une osmose de cette qualité avec tous ces artistes amis est vraiment remarquable. Le résultat passe évidemment par la belle voix d’Amel Brahim Djelloul mais chacun, musicien ou poète est un acteur fondamental. Les racines rêvées de leur Kabylie de paix et de mystère permettent un voyage musical délassant.

Le dialogue orient- occident de la musique ancienne m’est bien connu avec les remarquables concerts construits par Jordi Savall et régulièrement enregistrés : le oud, le ney et la viole de gambe sont des instruments souvent rencontrés. Le travail dans cet enregistrement est tout autre : c’est une recréation de pure poésie ouvrant sur les époques et les genres musicaux divers.

Ainsi les chansons d’Idir sont magiques dans cette voix si pure. Des sonorités qu’Oum Kalthoum ou Fayruz, deux divas chantant en arabe, n’auraient pas désavouées inscrivent certains moments dans un vrai langage musical populaire. Celles écrites pour l’enregistrement par Thomas Keck sur des poèmes de Rezki Rabbia ont un charme intemporel et complètent admirablement le programme. Le confinement a été prolifique car ce projet a pu se fortifier et s’enregistrer en suivant.

Les photos du très beau livret des musiciens masqués rappellent cette époque si étrange. Le résultat est un Chemin qui monte vers des lieux de paix et de bonheur. La qualité précise de l’enregistrement ajoute au charme de l’écoute et les traductions du livret permettent de comprendre la poésie subtile des textes. Une série de concerts est programmée, nous savons que le succès sera au rendez-vous !

Un lien vers une vidéo de l’enregistrement

Le site de la cantatrice

Critique. CD. Amel Brahim -Djelloul, soprano. Les Chemins qui montent. Thomas Keck, arrangements, composition, guitare. Rezki Rabia, textes, et traductions kabyles. Instrumentistes divers.  Klarthe Records. Avril 2021. 15 pistes. Durée 60’. Numéro : 3 760330 961 1682.

Claudio Arreau en 24 CD magnifiques chez Warner Classics

CRITIQUE. COFFRET CD. CLAUDIO ARREAU (1903-1991). The Complete WARNER CLASSICS recordings. 24 CD. Enregistrements de 1920 à 1962.

CLAUDIO ARREAU : Le Maître de la pondération et de l’élégance.

Né au tout début du XXème siècle ce pianiste légendaire fait partie du Brelan d’As du piano occidental avec Wladimir Horowitz son quasi jumeau, lui aussi né en 1903 et Arthur Rubinstein plus âgé né en 1887. A eux trois ils ont dominé le piano du XXème siècle en occident. Carrières fantastiques, enregistrements pléthoriques : ils ont offert leur art pour la postérité étant eux-même des héritiers du XIXème siècle. Il n’est pas question de comparer vainement trois artistes si immenses mais je crois pouvoir dire que l’art de Claudio Arreau est celui de la pondération et de l’élégance. Qualités rares et surtout qui n’ont rien à voir avec de la tiédeur mais relèvent du plus grand respect. Respect du compositeur d’abord avec une précision et une rigueur stylistique dans l’exécution absolument sidérantes ; son jeu est toujours impeccable. Il y a également le respect du public auquel l’interprète offre sa sensibilité, son jeu n’est jamais distant, sa proposition interprétative est complexe mais sans jamais l’encombrer de la moindre trace d’histrionisme. Les moyens techniques de Claudio Arreau sont inouïs. Il a eu comme seul enseignement celui de Martin Krause (1853-1918) détenteur d’une technique sensationnelle qu’il avait lui-même hérité directement de Frantz Liszt. Cette technique Arreau l’a appliquée à toute nouvelle œuvre travaillée et lui a permis de tout jouer avec le même bonheur. Songeons qu’il a joué l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Bach, l’intégrale des sonates de Beethoven et de Mozart en concerts dès les années 50 ! Jamais, même dans sa jeunesse, Claudio Arreau n’a joué au virtuose, au grand jamais ; il a toujours été avant tout un musicien. C’est d’ailleurs ce qui semble lui avoir déplu aux USA où la recherche du sensationnel était une qualité. Le legs discographique de Claudio Arreau est considérable, il a changé de maison d’enregistrement avec le temps. Cet artiste avait certainement le répertoire le plus vaste possible. Les enregistrements dont il sera question ici sont ceux réalisés entre 1920 (il avait 17 ans) et 1962 au sommet de son art. Warner Classics a regroupé tout ce qui n’était pas dans le coffret Decca-Phillips (qui lui comprend 80 CD de ses enregistrements plus tardifs). Ce sont donc avec Warner ces premiers 24 CD, tous magnifiques et dont l’écoute est passionnante. On peut faire un parallèle entre le développement de la carrière du pianiste Chilien et les progrès de l’enregistrement.  En 1920 Arreau est un jeune pianiste, ex-enfant prodige. Il est plein de doutes mais joue dans la cour des grands. Vocalion avec prudence lui fait enregistrer pour un disque 78 tours des courtes pièces. Une valse de Chopin et un moment musical de Schubert. C’est beau, sensible, élégant mais le son est embrumé. Après avoir gagné le concours de Genève il enregistre en Allemagne pour Electrola dans la fin des années 20 encore du Chopin (études), du Liszt. Pour avoir son Debussy si subtil et la première œuvre conséquente, Le Carnaval de Robert Schumann, il faudra attendre la fin des années 30 dans la qualité d’enregistrement pour le microsillon. C’est véritablement à partir de cette période que l’accord entre la qualité du jeu du pianiste et la fidélité de la restitution des enregistrements va vers la perfection. Les enregistrements des années 50 sont faits chez EMI à Londres avec la belle qualité que nous leur connaissons. Le grand Walter Legge en a produit plusieurs. C’est Beethoven qui va devenir le compositeur fétiche de Claudio Arreau au disque. Les sonates et tous les concertos de piano sont des grands moments de musique. Les enregistrements plus tardifs en stéréo sont peut-être plus extraordinaires mais le charme des premiers enregistrements mono est inestimable. Le jeu lumineux, charpenté et s’écoulant naturellement de Claudio Arreau est magnifique. Les qualités de l’interprète sont majeures il joue Beethoven comme s’il comprenait chaque note et toute la construction de chaque partition. Ce qui me frappe c’est la capacité à rendre dans une musicalité très pure la dimension spirituelle, voire surnaturelle qui affleure à certains moments dans la musique de Beethoven. Je songe aux dernières sonates, au quatrième concerto de piano. Il y a une magie propre à la qualité de son jeu qui me fascine. L’accord également avec certains chefs est hallucinant ; ainsi Alceo Galliera, le compagnon le plus sensible est le plus présent, avec Otto Klemperer dans un Concerto l’Empereur ils atteignent une puissance rare et l’entente avec Carlo Maria Giulini pour la version Stéréo des concertos de Brahms reste inoubliable, avec une qualité métaphysique de la musique faite ensemble en harmonie qui est bouleversante.  Le Philharmonia Orchestra est toujours ductile et particulièrement phonogénique. Ailleurs la fluidité de son Schubert, sa franche lumière, ombrée juste ce qu’il faut, tout cela est incroyable : des Moments musicaux de rêve, une Wanderer Fantaisie magique. Dans Chopin il restitue une musicalité pure qui fait de sa version de la sonate n°3 une référence et avec lui les Études qui peuvent être si austères gagnent en beauté et inventivité. Les perles rares d’autres Debussy, d’un peu de Granados rappellent combien cet artiste savait trouver des couleurs inouïes dans ce répertoire plus contemporain. Le Concerto n°1 de Tchaïkovski est impérial, le ConcertStuck de Carl Maria Von Weber est d’une poésie rare. Les concertos de Grieg et Schumann ne cèdent rien à d’autres versions discographiques au sommet. Arreau peut tout jouer, à chaque fois il suscite l’intérêt et gagne l’approbation du musicophile. Ce coffret Warner Classics est sensationnel, il accompagne dans des œuvres toutes sublimes l’émergence d’un artiste inoubliable avec une qualité de prise de son qui frôle la perfection. Il convient de signaler que la remasterisation d’après les enregistrements originaux est très remarquable, elle permet de déguster la qualité du jeu du pianiste qui est d’une pureté cristalline. Les nuances sont très creusées et la précision digitale limpide.

Un beau coffret qui permet de passer de très beaux moments musicaux avec un Artiste irremplaçable.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Enregistrements. Coffret Warner Classics. CLAUDIO ARREAU (1903-1991), piano. Enregistrements de 1920 à 1962. 24 CD. Beethoven. Mozart. Chopin. Schubert. Schumann. Brahms. Tchaïkovski. Grieg etc… Philharmonia Orchestra ; Alceo Galliera, Otto Klemperer, Caro Maria Giulini : chefs. Parution 14 Octobre 2022.

NEMANJA RADULOVIC : SON DERNIER CD, ROOTS NOUS ENCHANTE

CRITIQUE. CD. ROOTS. NEMANJA RADULOVIC, violon. ENSEMBLE CONTRE SENS. WARNER CLASSICS. 

Nemanja Radulović chausse les bottes de sept lieux et nous entraine…

Quels beaux moments et qui passent comme un songe lors de l’écoute de cet enregistrement : La magie de la musique sans frontières, comme nous en avons tant besoin, est toujours exceptionnelle ! Nemanja Radulović l’explique très bien. Durant la pandémie il n’a pu jouer en public et a pris le temps d’écouter des tas de choses en famille. L’envie de faire de la musique avec les amis de son ensemble Double Sens ne pouvait se faire uniquement avec de la musique classique. Il voulait faire davantage pour son retour à l’enregistrement. En effet le violon est un instrument universel et le violoniste a cherché sans tabous ce qui lui plaisait. L’Europe des Balkans, bien sûr a la part belle. Nemanja est originaire de Serbie, sa sensibilité le pousse vers cette Europe Centrale avec des influences de l’Est, puis il nous entraine également en Chine, en Amérique du Sud, en Europe du Sud en Irlande et vers les musiques de film. Chacun aura son morceau préféré à un moment ou l’autre tant la pure beauté émeut, je ne sais quel moment je préfère. Les émotions sont si variées que la rencontre avec sa propre sensibilité peut varier à chaque nouvelle écoute. Car tout est beau, entrainant et en un mot irrésistible. La voix étrangement mature de Ksenija Milosević, premier violon de l’orchestre, semble intemporelle. Le violon de Nemanja Radulović est à l’aise dans toute musique, il semble pouvoir tout faire avec son violon, doubles cordes, harmoniques, pizzicati et même jouer avec un plectre… 

Pour son premier enregistrement chez Warner Classics un nouveau monde semble s’ouvrir au-delà de ce que la musique classique peut représenter de fermé.

C’est LA MUSIQUE du violon et sans frontières. Les musiciens de Double Sens sont partie prenante de ce projet et leur joie de la découverte sans limites est communicative.  Quel beau voyage ! Il n’y a que de la bonne musique et des musiciens d’exception. Les racines de la musique sont faites de joie, de liberté et de partage. Merci à Nemanja Radulović et ses amis de nous les offrir de manière si limpide !

Hubert Stoecklin

Critique CD. ROOTS. Compositeurs divers dont : Manuel de Falla, Aleksandar Sedlar, Jonče Hristovski, Žarko Jovanović, Chen Gang, He Zhanhao, Eliyahu Gamliel, Matityahu Shelem, Luiz Bonfá, Tony Muréna, Joseph Colombo, Dámaso Pérez Prado…  Nemanja Radulović, violon. Double Sens.

Warner Classics. Enregistré en 2022, sortie le 7 octobre.

Durée 60’08’’. 17 pistes . Code : 0109296198397.

Ici Nemanja explique avec délicatesse son projet de CD ROOTS

Nelson Goerner à Piano Jacobins

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. 43 ième FESTIVAL PIANO JACOBINS.

30 sept. 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. I.ALBENIZ. F. CHOPIN.

Nelson Goerner éblouissant à Piano Jacobins

Nelson Goerner a fermé avec un éclat particulier la 43° édition de Piano Jacobins. Le pianiste argentin a atteint un statut de démiurge qui se confirme à chaque apparition. Cet été à La Roque d’Anthéron déjà nous avions été éblouis. Ce soir dans la magnifique et chatoyante acoustique de la salle capitulaire du Cloitre des Jacobins il ne se perdait pas la plus petite nuance, l’inflexion du phrasé la plus subtile, comme les couleurs les plus chatoyantes. Le jeu de Nelson Goerner dans les ballades de Chopin est comme improvisé avec une puissance créatrice inouïe. Il s’approprie ces pages si personnelles de Chopin, tellement différentes et totalement surprenantes avec une évidence quasi surnaturelle. Aucune séduction facile, un jeu exigeant obtenant une écoute concentrée. Chopin est sous ses doigts un compositeur innovant requérant des moyens considérables. Nelson Goerner interprète ces quatre ballades avec une apparente facilité. Il est étourdissant ! Après un court entracte il choisit les derniers cahiers d’Ibéria d’Albeniz. La peut-être encore d’avantage que chez Chopin, il semble chez lui. L’ampleur des sonorités qu’il trouve font exploser les timbres et s’iriser les couleurs d’une Espagne plus idéalisée que folklorique. Quel beau piano, quelle belle musique ! Nelson Goerner est animé d’une sorte de gourmandise et communique au public son amour pour cette musique aux harmonies si surprenantes, aux rythmes si inventifs et à la virtuosité si grisante. Il domine si superbement ces partitions et nous fait oublier leur incroyable difficulté. Il peut tout jouer, il a la puissance et la grâce du dieu Apollon. Il fait un lien direct entre les compositeurs et le public comme si son jeu était juste celui plein d’humilité d’un passeur.  Le voir si souriant et rayonnant en fin de concert est si agréable que le public lui fait une ovation et obtient évidemment avec des bis de prolonger l’harmonie de la musique partagée sur ces sommets. Nelson Goerner est un musicien géant, son jeu au piano est aussi humble que magnifique !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 30 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert. Frédéric Chopin (1810-1849) : Quatre Ballades. Isaac Albeniz (1860-1909) : Iberia, Cahiers III et IV. Nelson Goerner, piano.

Lien vers Chopin Nocturne par N.Goerner :

Piano féminin à Piano Jacobins

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 21 sept. 2022. Récital Marie VERMEULIN, piano. V. MOREL. Ch. SOPHY. M.BONIS. 

La délicatesse et la charme pour le récital de Marie Vermeulin

Piano aux Jacobins en partenariat avec le Palazetto Bru-Zane reçoit ce soir une artiste délicate dans un programme particulièrement original. Marie Vermeulin a choisi trois compositrices françaises du XIXe siècle. Le patient travail de redécouverte, édition et enregistrements fait par cette fondation basée à Venise au Palazetto Bru-Zane est remarquable et comble un manque cruel. La saison du Palazetto Bru-Zane est internationale et depuis peu une radio en ligne permet de découvrir des œuvres aussi belles que rares. Ce magnifique récital va donc certainement être enregistré et chacun pourra découvrir combien ces compositrices sont talentueuses. Avec un naturel et une amabilité très remarquables Marie Vermeulin donne quelques informations sur l’œuvre qu’elle va interpréter. Ainsi la première compositrice, élève au conservatoire de Louise Farenc, a écrit ces études mélodiques avec une intelligence sidérante. Le terme mélodique est investi totalement par Marie Vermeulin et son interprétation est lyrique et pure à la fois. La mélodie est toujours au premier plan et les éléments virtuoses au second. Cela produit un effet de pureté et de modestie qui met la poésie de la musique à l’honneur. Un jeu nuancé et fluide nous permet de déguster des œuvres toutes agréables, surprenantes et passionnantes. Il est impensable que ces études ne trouvent pas leur place dans les récitals habituels. La génération 1810, ne rougirait pas de la compagnie des études de Virginie Morel. La deuxième compositrice est tout aussi peu connue. Charlotte Sophy a pu être jouée de son vivant et a bénéficié d’un début de reconnaissance même si trop souvent elle ne disait pas que le Ch. de son prénom n’était pas Charles mais Charlotte. Sa sonate est remarquable par sa concision et sa richesse harmonique. Les thèmes sont charpentés et vibrent, les rythmes peuvent être d’une complexité redoutable. Le jeu de Marie Vermeulin gagne en largeur et en puissance. Le final sur une danse bretonne endiablée est enthousiasmant. Le public ravi fait une ovation à l’interprète et semble conquis par cette œuvre. Comment a-t-on pu l’ignorer si longtemps ?

Mel Bonis est mieux connue et bénéficie d’une notoriété enviable pour ses consœurs. Les pièces réunies de manière posthume sous le titre « femmes de légendes » commence à prendre part dans les récitals. Marie Vermeulin distille chaque portrait avec une délicatesse extrême. Son jeu varié et virtuose arrive à nous éblouir, nous émouvoir et nous faire rêver. Il serait tout à fait injuste de cantonner le piano de Mel Bonis à du piano de salon. Cette œuvre remarquable a un pouvoir d’évocation tout à fait troublant lorsque la force de l’interprétation est si belle.

Compositrice grande amie de Debussy, Mel Bonis a une musicalité délicieuse. Le côté impressionniste et symbolique de certains moments musicaux, par exemple dans le portrait de Mélisande, sont de grandes qualités. Marie Vermeulin trouve dans ce répertoire à mettre en lumière toutes ses qualités lumineuses de virtuosité et de poésie. Voilà une très belle artiste dans un répertoire passionnant enfin redécouvert.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert.  Virginie Morel (1799-1869) : Huit études mélodiques :  Introduction, La calma, La disprezata, La berceuse, L’intercezza, Barcarolle, Romanza, Le papillon ; Charlotte Sophy (1887-1955) : Sonate ; Mel Bonis (1858-1937) : Femmes de légendes : Ophélie, Viviane, Phoebe, Salomé, Omphale, Mélisande, Desdemone. Marie Vermeulin, piano.

La nouvelle trompette d’Alison Balsom

CRITIQUE ENREGISTREMENT. ALISON BALSOM : QUIET CITY. WARNER CLASSICS/ERATO. Août 2022.

ALISON BALSOM ouvre un autre monde, une autre galaxie à la Trompette

La trompette classique est un instrument aimé pour son brillant, son audace, ses traits aigus virtuoses (des concertos de Haydn à Poulenc) et ses joutes à fleuret moucheté avec la voix (pensons à Haendel et à Bach). Alison Balsom y excelle depuis ses débuts fracassants en 2000. Ses concerts mettent le public a ses genoux (nous-même en 2017). Ses enregistrements sont tous des références. La trompettiste anglaise est encore bien plus musicienne que cela et avec cet enregistrement somptueux elle ouvre un autre monde, une autre galaxie à son instrument. En rendant un hommage ému aux trompettistes de jazz elle joue des pièces arrangées pour l‘immense Miles Davis. Dans ce CD elle ose tout simplement chercher un autre monde sonore pour la trompette. Un monde de demi-teintes, de brumes, de clair-obscur ou de nuit. Elle ose des notes graves de pure poésie et des phrasés d’une délicatesse de camée.  Ce jeu avec la lumière est fascinant et le programme qui débute avec la pièce éponyme Quiet City de Copland a une véritable cohérence artistique alors que les éléments peuvent paraître disparates. C’est le ton, la poésie qui font l’évidence du programme à l’écoute. Elle s’entoure de musiciens aussi doués qu’elle avec un orchestre d’élites : le Britten Sinfonia dirigé subtilement par Scott Stroman. Et les arrangements et transcriptions sont diaboliquement réalisés et permettent de redécouvrir avec une subtilité éloquente les œuvres si connues comme Rhapsody in Blue, le Concerto Aranjuez ou My Ship de Kurt Weil. Au Centre du récital the Unanswered Question de Charles Ives, autre œuvre originale pour la trompette, est peut-être le joyau en termes de sonorités inouïes, nuances infimes et phrasés de pure poésie.

La virtuosité est tout autre mais non moins spectaculaire : qui aurait imaginé possible un glissando si sensuel pour ouvrir la Rhapsody in Blue ? Qui pensait possibles des volutes pianissimo sur toute la tessiture ? Qui imaginait un souffle si long ? Qui osait rêver cette fragilité qui devient force ? Voilà un travail d’orfèvre avec des complices de génie.

Ce CD est absolument indispensable à tout amoureux de la musique, celui qui l’aime dans ses lumières variées !

Un tel jeu de trompette c’est de la très, très grande classe ; cela grandi l’instrument !

Hubert Stoecklin

QUIET CITY : ALISON BALSOM, TROMPETTE. BRITTEN SINFONIA. SCOTT STROMAN : direction.

7 pistes. 54’06’’. Aaron Copland (1900-1990): Quiet City ; Leonard Bernstein ( 1918-1990) : Lonely Town : Pas de deux (arr. Alison Bolsom) ; George Gershwin ( 1898-1937) : Rhapsody in Blue ( arr. Simon Wright) ; Charles Ives (1874-1954) : The Unanswered Question ; Joachim Rodrigo ( 1901-1999) : Concierto de Aranjuez : Adagio ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis) ; Kurt Weil ( 1900-1950) : My Ship ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis).

Christian Zacharias offre un magnifique récital à Piano Jacobins 2022.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 14 sept. 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano TCHAIKOVSKI. SCHUBERT

C’est un vrai bonheur de retrouver le Cloitre des Jacobins avec un récital d’un musicien si merveilleux. Christian Zacharias nous a offert une soirée de rêve comme il en a le secret. 

Nous avions été subjugués le mois dernier à La Roque d’Anthéron, il jouait et dirigeait avec tant d’élégance le concerto Jeunehomme de Mozart. Ce soir son récital frôle la perfection. Je ne sais quoi préférer. Le programme si bien construit, le jeu naturel et évidant du pianiste, l’ambiance magique du lieu ? Quoi qu’il en soit le public a été unanime qui a fait une ovation tonitruante au musicien. Le concert était annoncé complet et le silence du public qui retenait son souffle a été souvent remarquable par une qualité d’écoute très spéciale. L’alchimie entre le musicien, le public et le lieu a été parfaite.

Les saisons de Tchaïkovski est une œuvre qui renoue avec le succès public et le mérite. Sous les doigts de Christian Zacharias l’œuvre déploie un charme plein de naturel, de surprises avec des nuances très riches, des couleurs variées et des phrasés subtiles. Tout cela avec une facilité déconcertante. Christian Zacharias est un pianiste aux moyens phénoménaux toujours offerts avec naturel et élégance. Jamais aucun effet démonstratif, aucun soulignement des efforts, tout coule sous les doigts de la Musique. L’impression que cet homme EST La Musique se confirme. Il nous offre une courte pièce, probablement de Tchaïkovski, en bis de la première partie.  

Après une courte pose l’artiste se lance dans une interprétation inoubliable de la sonate de Schubert en ré majeur D. 850. Je connais bien sa manière si exquise d’aborder les sonates de Schubert car j’ai écouté tant de fois son intégrale gravée en 1985. Ce soir il a un tempo légèrement plus retenu que dans son enregistrement. Cela lui permet surtout d’être d’une souplesse admirable tout en gardant un rythme implacable. Cette sonate est comme un ruisseau qui coule avec son thème qui la parcourt et revient sans cesse. L’élément liquide que contient le jeu du pianiste convient admirablement à cette sonate du bonheur. Le ré majeur exulte et le chant est celui de la joie. Le dialogue contenu dans le deuxième mouvement est absolument délicieux, plein de tendresse et de délicatesse d’âme. Bien sûr cette musique contient des parts d’ombres mais si infimes et si vite rendues à la lumière solaire que l’impression finale est une joie humaine communicative irrépressible. L’humour du dernier mouvement si proche de l’enfance avec ses toutes dernières notes comme évanouies laisse le public sans voix. Quel chic, quelle classe, quelle perfection ! Le merci à Christian Zacharias prend l’allure d’une cataracte d’applaudissements nourris. Le musicien dans un français exquis offre deux bis en expliquant combien il est quasi impossible du jouer quelque chose après cette sonate, même du Schubert…. Il va toutefois offrir des variations élégantes et légères de Beethoven, puis un extrait de Scarlatti.

Comme rajeuni après ce récital si généreux le musicien de 72 ans quitte le Cloître avec son allure de jeune homme espiègle.  

Un vrai bonheur a irradié ce soir dans le Cloître des Jacobins pour fêter la 43 ième édition de ce si beau festival. Juste débutée le 9 septembre dernier il promet d’autres merveilles !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 14 septembre 2022. Cloitre des Jacobins. Concert.  Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Les saisons Op. 37b ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°17 en ré majeur Op. 53D, D.850. Christian Zacharias, piano.

Mes trois derniers concerts à La Roque de 2022

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Photo de Valentine Chauvin

Mes trois derniers concerts à La Roque d’ Anthéron pour cette 42 deuxième édition prouvent la variété des propositions. Trois concerts on ne peut plus différents. Le récital plein de charme et un jeu très sensuel du pianiste espagnol Luis Fernando Pérez, bien connu des Toulousains. Marc-André Hamelin qui va venir à Piano Jacobins mérite toute notre attention par un jeu précis et une intelligence sidérante. Cela dit c’est un peu au dépend de l’émotion toutefois.

Et en Concert Final, l’Orchestre de Chambre de Lausanne en majesté et la découverte d’un pianiste au timbre ensorceleur et au jeu chaud et incarné : Jorge GONZALES BUAJASAN. Renaud Capuçon artiste médiatisé à outrance est un partenaire au violon du meilleur niveau mais se révèle un bien piètre chef d’orchestre…

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital Luis Fernando PEREZ, piano. BACH. MONPOU. GRANADOS.

Luis Fernando Pérez toute l’élégance du piano hispanique

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Photo Christophe Grémiot 2019

Pour ce concert de 11 h la salle est bien pleine et la rencontre entre le public et le pianiste dès son entrée en scène est très franche. Dans un français délicieux, il explique un léger changement de programme et son besoin de la partition tant la composition de Mompou est complexe. Nous voulons bien le croire mais son jeu est si élégant tout du long qu’aucune difficulté ne semble le limiter. Il est souverain dans cette partition complexe aux harmoniques improbables et aux rythmes déstructurés. La modernité de l’œuvre rend le thème méconnaissable bien souvent, mais le retrouver même devenu grotesque est un jeu intéressant. Puis il se lance dans la Grande Chaconne de Bach revue par Busoni. C’est un grand moment de piano dans lequel virtuosité et beauté se donnent la main. Avec un art très serein Pérez en donne une interprétation précise et d’une grande profondeur. La virtuosité est assumée dans cette élégance suprême qui caractérise le jeu de cet artiste.

Pour terminer son récital Luis Fernando Pérez choisit une œuvre qu’il connaît particulièrement bien et qui met en valeur toutes ses qualités : les Escenas Romanticas de Granados.  Sans rien y mettre de folklorique il en rend toute l’hispanité avec une évidence de chaque instant. Ce piano est fluide, nuancé et chaloupé. Les couleurs sont innombrables et toujours l’attention est stimulée par la variété du jeu. La douceur de certains phrasés est une délectation et les rythmes bien charpentés sont tonifiants. La douce mélancolie de certains moments, la douleur d’autres et la gaité parfois, tout se suit comme dans la vie. Le naturel avec lequel ce musicien interprète ces pièces nous fait penser qu’il les connaît comme si c’était lui qui les avait composées. L’appropriation est d’une évidence sidérante. Il est chez lui dans cette musique et nous invite avec la noblesse et la simplicité d’un grand seigneur.

Le succès est grand et le public plébiscite un artiste qu’il apprécie toujours énormément. Avec beaucoup de gentillesse il nous offre un bis, qu’il a choisi pour La Roque : Mamboco, une Danse précolombienne. Cet air populaire prend sous ses doigts une grande élégance et devient une musique délicieuse. Le musicien quitte son public bien aimé dans un large sourire. Le bonheur était partout dans la salle et chez l’artiste. Très beau concert à 11 h avec un artiste très attachant.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium Centre Marcel Pagnol. Récital de Luis Fernando PEREZ, piano. Jean-Sébastien BACH (1685-1750) / F. BUSONI (1686-1924) : Chaconne de la partita pour violon n°2 BWV 1004 ; Federico MONPOU (1893-1987) : Variations sur un thème de Chopin ; Enrique Granados (1867-1916) : Escenas Romanticas. Crédit photo : Christophe  Gremiot 2019.

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. BACH. HAMELIN. BEETHOVEN. 

Le pianiste canadien sensationnel à connaître!

Marc André Hamelin 14 © Valentine Chauvin 2022
Photo : valentine-chauvin-2022

Venu du Canada Marc-André Hamelin fait l’actualité au disque avec un enregistrement mémorable de Sonates de Carl-Philipe Emmanuel Bach, encensé par la critique.  La sonate Württembourgeoise qui ouvre son récital est une œuvre magnifique originale et qui fait un beau portrait de ce fils Bach si doué. Une certaine modernité, un chant éperdu dans l’andante et une virtuosité assumée. Marc-André Hamelin est parfait. Style impeccable, son généreux et legato supérieur. Il semble très à l’ais avec ce compositeur dont il rend les beautés très désirables.

Puis Le compositeur-interprète se révèle. Avec beaucoup de délicatesse il nous offre sa dernière œuvre, une suite de danse à l’ancienne qui semble sœur de Ravel et Debussy lorsqu’ils se livrent à des hommages au style ancien. La fraicheur de l’invention et la virtuosité sont très intéressantes. Ce jeu impeccable, ces nuances subtiles et ces couleurs variées sont des qualités très remarquable. Hamelin interprète rend très vivante la composition de Hamelin compositeur. Il renoue avec tous ces virtuoses-compositeurs avec talent.

Pour finir son récital le pianiste Canadien se lance dans une interprétation très originale de la sonate « Hammerklavier » de Beethoven que je n’ai jamais entendu sonner ainsi. C’est comme si Hamelin la jouait en compositeur qui en apprécie toute la construction. Il nous la rend limpide, joue droit et certains tempi sont très rapides. Cette virtuosité impeccable a quelque chose d’un peu froid, il n’y a rien d’expressif dans ce jeu, rien de romantique. Tout est mis en perspective absolument tout. Il n’y a jamais d’ombres, tout est lumineux. Cette lecture analytique et parfaite déroute, elle fait redécouvrir l’œuvre.

L’effet sur le public est électrisant. Ce n’est pas tous les jours qu’un tel chef d’œuvre nous est révélé autrement.

Le succès considérable de l’artiste réchauffe l’ambiance et il offre trois bis à son public conquis.

Sa lecture d’Images, Reflets dans l’eau de Debussy est tout aussi iconoclaste, révélant la modernité de l’œuvre plus que sa poésie. Cet artiste a une énorme culture pianistique entre Europe et Amériques. Il propose deux œuvres très rares de William Bolcom, compositeur américain avec  deux Rag plein de vie.

Marc-Antoine Hamelin est un artiste original et attachant que la Roque nous a fait découvrir ce soir, un grand merci !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. Carl Philippe Emmanuel BACH (1714-1788) : Sonate Württembourgeoise en la bémol majeur Wq 49/2 ; Marc-André HAMELIN (né en 1961) : Suite à l’ancienne ; Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Sonate pour piano n°29 « Hammerklavier » Op.106.

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 20 août 2022. Concert. Jorge GONZALES BUAJASAN, piano. Orchestre de Chambre de Lausanne. Renaud CAPUCON. MENDELSSOHN.

Concert de clôture festif pour la 42ième édition du Festival de La Roque d’Anthéron.

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©VALENTINE CHAUVIN 2022

Il y a deux jours nous avons pu voir le chef charismatique qui avait eu en charge l’Orchestre de Chambre de Lausanne de 2000 à 2013. Christian Zacharias a laissé une forte empreinte à ce bel orchestre. Ce soir l’orchestre est dirigé par un chef récemment installé à sa tête : Renaud Capuçon qui s’improvise ainsi chef d’orchestre. Il ne nous a pas convaincus un instant. Il n’a aucune qualité pour cela et semble même perdu lorsqu’il joue et doit reprendre la direction de l’orchestre. C’est étrange comme ce violoniste de talent peut se fourvoyer ainsi. Cela n’a pas eu de conséquences car l’orchestre sait jouer seul avec des regards constants entre les quatre chefs de pupitres du quatuor à cordes. Ce programme tout Mendelssohn rend hommage à ce très grand compositeur bien trop négligé. Le concerto pour piano et violon est très bien écrit proposant des moments originaux entre le passage d’une forme sonate à des moments d’orchestre avec instruments obligés. C’est très souple, la virtuosité est musicalement agréable et les mouvements s’enchaînent avec facilité. Le jeu de pianiste cubain Jorge Gonzales Buajasan est très intéressant. Une belle pâte avec une noblesse de ton et une souplesse admirable. Les couleurs sont belles, les nuances subtiles et les doigts du musicien sont très agiles. Voilà un pianiste aux qualités remarquables, nous le retrouverons avec plaisir.

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©VALENTINE CHAUVIN 2022

Renaud Capuçon est un violoniste impeccable qui est un partenaire sûr et dont le jeu est à la hauteur des exigences de la partition. Il s’agit d’un bien beau concerto qui aurait sa place plus régulièrement dans la programmation des salles de concerts. Pour la deuxième partie la joyeuse symphonie Ecossaise de Mendelssohn est une bonne idée pour finir en beauté un festival heureux qui après deux années terribles a retrouvé son large public. Oui c’était la fête à La Roque car le pari de René Martin est gagné ; sa détermination et son organisation parfaite ont ravi le public venu très nombreux et également ce soir pour fêter la Musique.  Cette symphonie avec les belles couleurs de l’Orchestre de Chambre de Lausanne est un enchantement. Précision, nuances et élégants phrasés, rien ne manque à l’orchestre. Heureusement Renaud Capuçon les a laissé jouer, se contentant de gestes généraux sans rien leur demander en particulier. Ils avaient tout le plaisir du monde à jouer et ne s’en sont pas privé. Nous avons entendu une symphonie magnifiquement sonore avec un final enthousiasmant. Rarement à la Roque d’Anthéron les derniers sons n’auront pas été ceux d’un piano solo ; ce soir ce sont les cors qui resteront en mémoire comme une joyeuse expression de liberté. Vive la Musique et la liberté ! Le public enthousiaste a obtenu le bis du deuxième mouvement de la symphonie. Pour ma part je serai bien resté avec le son si joyeux des cors dans le final de la symphonie comme un hymne.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 20 aout 2022. Auditorium du Parc. Concert Jorge GONZALES BUAJASAN, piano. Renaud CAPUCON, violon et direction. Orchestre de Chambre de Lausanne. Félix MENDELSSOHN (1809-1847) : Concerto pour piano, violon et cordes en ré majeur ; Symphonie N°3 en la mineur Op.56 « Ecossaise ». Photo : © Valentine Chauvin.

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Ces trois critiques ont été rédigées pour CLASSIQUENEWS.COM

Christian ZACHARIAS l’Homme Musique !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano et direction. Orchestre National d’Auvergne. MOZART. HAYDN.

Christian ZACHARIAS l’Homme Musique !

Enfin nous l’avons eu l’orchestre digne de la délicatesse de Mozart et de Haydn. Après beaucoup de difficultés avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov (concerts des 5, 8 et surtout 11 août) cela a fait l’effet d’un véritable réconfort pour une bonne partie du public. Dès les toutes premières mesures de la délicieuse symphonie n°43 de HAYDN la grâce a inondé le parc du Château. La nuit n’avait pas le caractère apaisant des autres soirs mais un coté magique plus inquiétant avec un orage tout proche. Christian Zacharias n’est pas un simple chef d’orchestre, c’est un fabricant de Musique. Sa gestuelle est des plus personnelles, il n’y a pas de battue métronomique, il n’utilise pas de baguettes, mais au contraire des gestes gracieux construisant dans l’espace la musique à naître que le son des instrumentistes concrétise concomitamment. Cette magie est fascinante et apporte une sérénité inouïe. L’Orchestre National d’Auvergne se révèle être d’une précision horlogère, d’une pureté de sonorité rarissime et d’une souplesse admirable. Haydn est un artisan de l’orchestre des plus soigneux et sait profiter de chaque instrument. Deux hautbois, deux cors et un basson en plus des cordes pour ce soir. Christian Zacharias sait mettre en lumière chaque niveau d’écriture, chaque phrasé, chaque nuance avec un art de chaque instant. Tout est magnifique, avance et raconte quelque chose de la beauté du monde. Le final de cette symphonie, qui lui a donné son nom (Mercure), fuse et explose de joie. Un monde de joie et de beauté nous a été offert par ces artistes magnifiques.

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 7 © Valentine Chauvin 2022

Le temps d’installer le piano et voici Christian Zacharias dos au public pour diriger l’orchestre et jouer. Ce concerto « Jeune homme » de MOZART est une merveille en tout point. L’interprétation de ce soir est à marquer d’une pierre blanche tant la perfection est partout. Orchestre de vif argent, de douceur et de pureté toujours impeccable en tout et le piano si inventif et juste de Christian Zacharias. Il met tout son art du toucher en forme et toute son inventivité dans de nombreuses cadences et abellimenti comme un chanteur d’opéra.

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 21 © Valentine Chauvin 2022

C’est absolument divin. Un moment le danger de l’orage s’est matérialisé et a interrompu pour un court instant la fête du final du concerto. En étant de dos, ne voyant pas exactement ce qui se passait (des trombes d’eau sur le public) et entendant un bruit grandissant Christian Zacharias avec sa sensibilité en effervescence a dû s’arrêter n’arrivant plus à se concentrer sur son piano, le jeu de l’orchestre et la conduite à bon port de ses cadences. Après un court instant, sur les conseils en coulisse de Richard Martin, il a repris et tout s’est terminé dans une allégresse totale. Nous étions mouillés mais pas trempés car protégés par les capes distribuées en début de concert.  Ah que ce festival est bien organisé, comme les bénévoles savent être attentifs et prévenants !

Christian Zacharias, Orchestre National D Auvergne 17 © Valentine Chauvin 2022

Chacun rassuré sur le passage de l’orage, le concert a pu reprendre avec la symphonie des adieux qui commence sur une énergie si noble et digne. Un Orchestre qui sonne n’a pas besoin du nombre car l’allure obtenue par Christian Zacharias est magnifique de carrure et de noblesse. Les plans s’articulent avec naturel, les nuance sont somptueuses, les attaques hyper précises, et les chants éperdus. Cet orchestre est absolument magnifique. Que ne l’avons eu plus tôt ! Son travail avec Christian Zacharias ne date que d’une année mais on devine un partage de musique au sommet. En discutant avec des instrumentistes après le concert ils sont unanimes Zacharias est un musicien d’exception et tout à fait enthousiasmant. Quand on sait que d’abord il a eu une carrière de pianiste si riche avec des enregistrements de références dans Schubert en particulier (ses sonates !) et que sa carrière de chef est déjà si riche il est bien plus qu’un pianiste et un chef. A 72 ans il a une vivacité, un allant, une souplesse de tout jeune homme. Longue vie à cet artiste entièrement fait de musique qui sait si bien la partager. Nous le retrouverons en soliste musicien à Toulouse à Piano Jacobins et justement dans Schubert…

Le concert se termine dans l’allégresse avec deux bis. D’abord Zacharias au piano dans un délicieux Rondo en ré majeur de Mozart, frais et irradiant. Puis avec l’orchestre un extrait de la Petite Musique de Nuit de Mozart. Une élégance totale, une précision enthousiasmante et une jubilation souveraine. Un véritable enchantement avec une œuvre archi connue qui sous les doigts de ses musiciens de grand talent et ainsi dirigée revit plus belle que jamais.

Ce concert restera exceptionnel a plus d’un titre pour la beauté de l’orchestre, la richesse de l’interaction chef, pianiste, l’orchestre si sublime et cet orage spectaculaire et si peu grave, protégé que nous étions par les prévenances des bénévoles de l’association. La vie est belle à La Roque d’Anthéron !

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Concert.  Joseph HAYDN (1732-1809) : Symphonie n°43 en mi bémol majeur « Mercure », Symphonie n°45 en fa dièse mineur « Les adieux » ; Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Concerto pour piano n°9 en mi bémol majeur K.271 « Jeunehomme » ; Orchestre national d’Auvergne ; Christian Zacharias, piano et direction. Photos Valentine Chauvin.

Critique rédigée pour Classiquenews.com

Somptueux hommage à Radu Lupu par Nelson Goerner

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. CHOPIN.SCHUMANN.

Nelson Goerner le plus grand pianiste-musicien ?

Oui certainement ce soir à La Roque d’Anthéron !

Le programme d’une grande cohérence fait se suivre 4 Ballades de Chopin puis les Études Symphoniques de Schumann. Programme athlétique s’il en est !  Sinon jumeaux de 1810 du moins amis partageant une admiration réciproque, Chopin et Schumann, ont chacun été des compositeurs inoubliables pour le piano. Chopin avec son côté exclusif a écrit des pages parmi les plus géniales pour le piano. Schumann a su ouvrir à d’autres instruments sa muse mais au début de sa vie il s’est tout entier abandonné au piano. Sa folie de l’excès l’a conduit à s’imposer une attelle en cuir et métal en voulant des doigts trop obéissants pour la virtuosité, il en a résulté une blessure digitale définitive qui lui a interdit la carrière de pianiste.

Le piano des Ballades et des Études Symphoniques se ressemblent par une forme d’absolu que partagent leurs compositeurs.

Nelson Goerner 2 © Valentine Chauvin 2022

Les quatre Ballades sont des pièces autonomes, libres et superbement construites dans leurs allures insaisissables. En débutant par celle en sol mineur Nelson Goerner savait que les deux musiciens admiraient cette œuvre, Chopin aurait dit à Schumann que c’était sa composition préférée. Nelson Goerner s’y engage avec toute son âme en faisant presque son propre portrait pianistique : largeur de ton, ampleur des sonorités, couleurs irisées, nuances infinies. Ce piano vit toutes les émotions et la technique sublime se met au service de cette musique sublime. C’est immense ! Quelle puissance digitale !

Nelson Goerner 9 © Valentine Chauvin 2022

Les trois autres Ballades soulignent tel ou tel aspect, développent des directions diverses mais tout était déjà évoqué dans la première ballade. Leur enchainement nous fait vivre un moment qui nous fait perdre le souffle tant la beauté de ce piano nous envoûte et la subtilité du musicien nous fait fondre. Comment ce diable de Nelson, que pourtant je connais bien, arrive-t-il ce soir à gravir encore plus haut l’échelle vers la perfection ? Est-il galvanisé par l’hommage qu’il veut rendre à son ami Radu Lupu ? C’est probable.

Après une courte pause Nelson Goerner va en véritable athlète nous faire entendre les Études Symphoniques de Schumann dans leur intégralité et dans un même geste interprétatif. La musique sublime de Schumann rencontre en Nelson Goerner un interprète idéal. Il a tout, la vaillance et l’héroïsme, la force des forte semblant dévastatrice et la délicatesse des piani est à la limite de l’audible, toujours avec une incroyable richesse en harmoniques. Les couleurs qu’il trouve sur tout l’ambitus du clavier sont ahurissantes. Tant de richesse, tant de puissance et avec cette simplicité, cette évidence… Nelson Goerner a des moyens phénoménaux tant pianistiques que musicaux, il nous offre un programme idéal de beauté interprété dans une dimension apollinienne. Après son concert Nelson Goerner a pu dire quelques mots sur l’hommage qu’il a souhaité rendre à son ami et ce génie du piano. Il a semblé être soulagé, souriant, heureux. Ce bonheur il l’a partagé avec un public enthousiaste applaudissant sans fin qui a obtenu quatre bis inénarrables. Humour, vélocité, sensibilité, puissance, il a tout osé. Jugez : Intermezzo en la majeur de Brahms comme Radu Lupu (à pleurer de tendresse), l’étude le torrent de Chopin (dans un tempo d’enfer), L’andante de la sonate en la majeur de Schubert (dans un toucher exquis) et pour achever la soirée sur un exploit plus fou encore, La Rhapsodie Hongroise N°6 de Liszt dans laquelle semblent se trouver toutes les difficultés inimaginables. Nelson Goerner atteint une plénitude de moyens artistiques qui en font ce soir un Apollon du piano venu apporter par la beauté une consolation aux auditeurs du Parc Florans. Merci !

Hubert Stoecklin

Nelson Goerner 18 © Valentine Chauvin 2022

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de piano de Nelson Goerner en hommage à Radu Lupu. Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Ballades n°1 en sol mineur Op.23, n°2 en fa majeur Op.38, n°3 en la bémol majeur Op.47, n°4 en fa mineur Op.52 ; Robert Schumann (1810-1856) : Études Symphoniques Op.13.

Critique rédigée pour Classiquenews.com

Marie-Ange Gnuci artiste rare

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON 42ième édition , le 12 août 2022.

Récital Marie-Ange NGUCI, piano.

RACHMANINOV, SCRIABINE, PROKOFIEV.

Depuis 2020 le Festival International de La Roque d’Anthéron a expérimenté des concerts le matin à 11h. Le soleil se levant sur le grand amphithéâtre ne permettait pas au public venu en nombre d’être à son aise. Et en cet été de canicule cela aurait été tout à fait impossible. L’auditorium Marcel Pagnol dans les hauteurs de La Roque, à la place de l’ancienne piscine (regrets ?), est un lieu idéal. Frais et confortable le public était nombreux pour le récital de la pianiste albano-française Marie-Ange Nguci (prononcer Gucci). Cette toute jeune femme hyper douée et très diplômée fera parler d’elle, c’est certain. Nous l’avions découverte bouleversée et bouleversante, il y a quelques jours, lors de la soirée d’hommage à Nicholas Angelich / soirée spéciale “Les amis de Nicholas”, 10 août 2022.

Magnifique récital de Marie-Ange NGUCI

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Admise dans sa classe à 13 ans, elle a bénéficié de son enseignement une année. Visiblement elle en a beaucoup appris. Comme lui, elle fait avant tout de la musique en se servant de son instrument, le piano, cherchant toute la musique cachée jusque dans la virtuosité la plus folle. Comme lui elle a un toucher capable de légèreté elfique. Son récital d’œuvres rares et belles est somptueux. Avec une maîtrise technique absolue, elle interprète chaque pièce avec une délicatesse inouïe, cherchant tout de la construction de l’œuvre afin de la rendre limpide.

Marie Ange Nguci, Hommage À Nicholas Angelich 3 © Valentine Chauvin


Car si les Variations d’après Chopin de Rachmaninov gardent du thème choisi une certaine séduction, on ne peut pas dire que la Sonate de Scriabine ou celle de Prokofiev sont des œuvres faciles pour le public. Rachmaninov sonne avec des couleurs qui peuvent être éclatantes mais surtout les clairs-obscurs sont délicieusement mis en valeur. Quelles beautés dans la variété de la palette sonore de son piano !
La 5ème sonate de Scriabine est redoutablement complexe. Marie-Ange Nguci nous la rend limpide. Elle sait en tirer toute la musique cachée sous les méandres de tonalités fugaces, les rythmes variés. Quel staccato, quel toucher délicat, quelle puissance. La richesse de son toucher est vertigineuse.

Marie Ange Nguci, Hommage À Nicholas Angelich 8 © Valentine Chauvin


Dans la Sonate n°6 de Prokofiev, la pianiste rajoute la noirceur, la méchanceté et la cruauté de la guerre comme le sarcasme propre à la musique de Prokofiev. Mais là également la musique règne et jusqu’à la toute dernière goutte, la musique de ces pages vertigineuses est débusquée par cette interprète incroyablement perspicace.
Marie- Ange Nguci a 24 ans. Elle est une musicienne accomplie, son jeu est d’une richesse incroyable. Nous la suivrons et vous entendrez parler d’elle, c’est certain, Marie-Ange Nguci voici un nom à retenir !

Critique rédigée pour Classiquenews.com

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHÉRON, le 12 août 2022. Auditorium Centre Marcel Pagnol. Récital Marie-Ange NGUCI, piano. Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin Op.22 ; Alexandre Scriabine (1872-1915) : Sonate n° 5 en fa dièse majeur Op.53 ; Serge Prokofiev (1891-1953) : Sonate n°6 en la majeur Op.82.  Photo : © Valentine Chauvin

Le concerto de Clara Schumann redécouvert grâce à David Kadouch

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 11 août 2022. Concert David KADOUCH. Tanguy de WILLIENCOURT, piano. SINFONIA VARSOVIA. Azis SHOKHAKIMOV. SCHUMAAN. WIECK-SCHUMANN.

Le Premier Concerto de Clara enfin révélé : il est magnifique !

L’an dernier ici même David Kadouch nous avait fait découvrir son travail original autour d’Emma Bovary et des compositrices romantiques empêchées de s’exprimer pleinement pour des raisons socio-familiales, mais ayant composé de magnifiques œuvres. Son dernier CD est d’ailleurs en vente depuis peu reprenant  ce programme avec des compositions de Fanny Mendelssohn et de Clara Schumann en particulier. Il est tout naturel qu’il vienne défendre le premier concerto de Clara Wieck-Schumann. L’œuvre est magnifique. Pas juste intéressante, mais magnifique. D’une patte originale mais peut-être plus proche de Chopin que de Schumann, si je peux me permettre cette idée un peu réductrice. Les mouvements sont enchaînés.  Son premier mouvement a de l’allure et permet un dialogue franc entre le piano et l’orchestre avec des moments de très grande virtuosité. Le deuxième mouvement débute sans se faire remarquer comme l’émanation d’une immense cadence, l’effet est très original. Ce mouvement est plein de délicates volutes, de demi teintes et de couleurs diaphanes et offre un magnifique duo avec le violoncelle. Le final joyeux a des allures de polonaise. Le charme indéniable de cette œuvre mérite de renter au répertoire des salles de concerts. La virtuosité est toujours musicale et les effets de doigts ou de manches ne sont pas là pour satisfaire les pianistes narcissiques. Venant d’une grande virtuose comme l’était Clara Wieck la suprématie de la musique sur la technique enchante.  Le seul regret est que ce concerto ne dure pas 20 minutes, mais est-ce si important ?  Le jeu de David Kadouch est un enchantement. Le toucher est exquis, les nuances subtiles et les couleurs irisées. Son jeu mieux que virtuose est lumineux, plein d’élégance et semble facile. La gourmandise des phrasés rend vraiment justice à l’œuvre de Clara Wieck-Schumann. L’orchestre est un peu abrupt parfois mais le chef semble prendre plaisir à cette œuvre jusque-là inconnue. Les instrumentistes sont très engagés surtout le violoncelle solo qui se révèle admirable : le dialogue amoureux entre le piano et le violoncelle est très émouvant. C’est vraiment la découverte et la parfaite interprétation du concerto de Clara qui fait tout le prix de ce concert.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 20 © Valentine Chauvin
David Kadouch sous le charme de la musique de Clara

Car l’orchestre avait débuté en « massacrant » l’ouverture Op. 42 de Robert Schumann.  Est-ce dû à un manque de cohésion ou à la fatigue, ce que laissent supposer les quelques soucis de justesse.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 16 © Valentine Chauvin
Tanguy De Williencourt et Aziz Shokhakimov tonitruants

Je n’ai pas envie de détailler non plus le concerto de Robert Schumann joué par Tanguy de Williencourt. Le choix d’un piano brillant et le jeu « tutta forza » du jeune homme, soutenu par le chef comme pour réveiller son orchestre, ne sont pas de nature à mettre en valeur les subtiles humeurs du concerto de Robert Schumann, ses nuances, ses moments chambristes, ses couleurs… Son concerto ce soir a sonné comme n’importe quel concerto brillant, sous des doigts virtuoses…  No comment !

Ah comme Clara et David Kadouch en fin de concert ont su nous transporter !

Les bis de David Kadouch également avec une mélodie magnifique de Fanny Mendelssohn puis en partageant son succès, un duo à quatre mains de Dvorak, offrant à Tanguy de Williencourt l’occasion de faire un peu de musique ce soir.

David Kadouch, Tanguy De Williencourt Avec L Orchestre Sinfonia Varsovia Sous La Direction D Aziz Shokhakimov 34 © Valentine Chauvin
Tanguy de Williencourt et David Kadouch

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 11 août 2022. Auditorium du Parc. Concert. David KADOUCH et Tanguy de WILLIENCOURT, piano. Sinfonia Varsovia. Direction : Azis SHOKHAKIMOV. Robert Schumann (1810-1856) : Ouverture, scherzo et finale Op.42 ; Concerto pour piano et orchestre en la mineur Op.54 ; Clara Wieck-Schumann (1819-1896) : Concerto pour piano et orchestre n°1 en la mineur Op.7 ; Photo : © Valentine Chauvin

Critique rédigée pour classiquenews.com

Très émouvant hommage à NICHOLAS ANGELICH

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Récital en hommage à NICHOLAS ANGELICH. Gabriele CARCANO. Violaine DEVEBER. Jean-Baptiste FONLUPT. François-Frédéric GUY. Etsuko HIROSE. Marie-Ange NGNUCI. Bruno RIGUTTO.

Le concert des amis de Nicholas      

                            

Soirée très particulière marquée par une émotion forte autant sur scène que dans le public. En tant que témoin critique j’ai fait partie des plus émus. Je ne souhaite donc par rédiger une critique habituelle. Ce soir ce terme est tout à fait inconvenant. Je veux simplement témoigner de ce qui s’est passé sur scène ce soir. Nicholas Angelich est mort le 18 avril 2022 à 51 ans. L’âge de la plénitude artistique où l’équilibre entre force de virtuosité et délicatesse d’interprétation s’épousent pour ne cesser de s’épanouir. Le dernier concert auquel je l’ai entendu m’avait marqué par une sorte de transe dans laquelle je le voyais nous offrir la musique de Beethoven comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Même ses collègues l’avaient félicité pour ce qu’il avait fait d’inouï dans la dernière sonate de Beethoven lors du marathon de l’année 2020 à La Roque. Donc ce concert hommage a eu lieu pour beaucoup là-même où ils avaient entendu Nicholas pour la dernière fois !  Car le grand artiste avait été très rare sur scène ensuite. Il a fallu beaucoup du courage à la jeune Violaine Debever pour débuter ce concert dans cette ambiance si particulière. Scarlatti était un choix idéal. Sans enjeux affectif sa musique pure a permis de débuter ce qui allait être une aventure périlleuse pour les artistes.

Violaine Debever, Hommage À Nicholas Angelich 4 © Valentine Chauvin
Violaine Debever

N’oublions pas que ce qui les lie est cette recherche constante d’équilibre entre perfection instrumentale et émotion partagée. Ce soir les attitudes et les mimiques, le jeu même, étaient souvent significatifs de cet équilibre sur le point de se perdre mais jamais lâché. Quel courage et quelle maîtrise sont les leurs ! La deuxième musicienne courageuse a été Etsuko Hirose. Cheveux cachant son visage au début, elle s’est lancée crânement dans un Brahms au romantisme éperdu. Puis c’est le jeune Gabriele Carcano qui avec un legato suprême chantait Schubert revu par Liszt. La plus vulnérable a certainement été Marie-Ange Nguci qui a joué du Rachmaninov magnifiquement, comme sur un fil, c’était tout à fait bouleversant. Chaque artiste a lutté à sa manière pour accepter cette émotion sans la laisser diriger leur jeu. Ainsi ce qui était particulièrement touchant sont les œuvres interprétées à plusieurs claviers à 2, 3 ou 4 sur un ou deux pianos. Même les plus aguerris comme Bruno Rigutto et François-Frédéric Guy ont d’abord joué à deux pianos. Ainsi Bruno Rigutto a-t-il débuté avec Jean-Baptiste Fontlup dans deux Rachmaninov sensibles et pudiques.

Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlupt, Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin
Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlup

Bruno Rigutto nous a ensuite émus avec un Nocturne de Chopin en ut mineur avec cette alternance de tension puis de relâchement dont il a le secret. François-Frédéric Guy lui n’a joué qu’en deuxième partie. D’abord avec Marie-Ange Nguci dans un soutien mutuel visible et touchant.

Il faut dire qu’il a eu la merveilleuse idée ensuite de jouer le deuxième mouvement de la sonate Op.111 de Beethoven : celle-là même que Nicholas Angelich avait jouée pour son dernier concert à La Roque ! Très certainement cela aura été très coûteux pour lui et très bouleversant pour nous de l’entndre jouer les même dernières notes que Nicolas Angelich ici même en l’été 2020. Jean-Baptiste Fontlup a proposé « La vallée d’Obermann » de Liszt dans des sonorités riches, des lignes puissamment charpentées et une belle virtuosité. Chacun a donné ce qu’il pouvait faire de mieux en solo en un soir pareil, mais ce sont les ensembles qui ont vraiment montré cette fraternité musicale qui les unit, qui les renforce y compris dans la danse macabre de Saint-Saëns à 4 sur deux pianos !

Gabriele Carcano, Etsuko Hirose, Hommage À Nicholas Angelich © Valentine Chauvin
Gabriele Carcano, Etsuko Hirose

Et quel final ce Rachmaninov à six mains ! Les yeux au ciel, la main tendue vers le ciel en cette nuit de lune, tous saluent à leur manière l’âme musicale de Nicholas, musicien si délicat, prince si aimé et parti trop tôt, avant de devenir roi alors qu’il en avait tous les moyens.  Un bouquet de fleur en fond de scène représentait cette âme musicale de Nicholas Angelich aujourd’hui devenue ange.

Hommage À Nicholas Angelich 1 © Valentine Chauvin

Un lien pour voir et entendre Nicholas Angelich parler de La Roque d’Anthéron

Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Auditorium du Parc. Récital en hommage à Nicholas Angelich. Jean-Baptiste FONLUPT ; Marie-Ange NGNUCI ; François-Frédéric GUY ; Etsuko HIROSE ; Bruno RIGUTTO ; Gabriele CARCANO ; Violaine DEVEBER, piano. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonate en ré mineur K. 213; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV1061, 2ème mouvement; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur opus 111, 2ème mouvement ; Frantz Schubert (1797-1828) : Der Müller und der Bach” extrait de La Belle meunière D. 795, “ Gretchen am Spinnrade”  D. 118; Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne en ut mineur opus 48 n°1 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Vallée d’Obermann, extrait des Années de pèlerinage ;  Johannes Brahms( 1833-1897) : Thème et variations en ré mineur d’après le Sextuor à cordes opus 18, Sonate pour deux pianos en fa mineur opus 34b, 1er mouvement; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Danse macabre ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin opus 22, Suite n°1 pour deux pianos opus 5 “Fantaisie-tableaux”, 1er et 2ème 3ème et 4ème mvts, Romance en la majeur pour piano à six mains ; Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l’Oye.  Photo : © Valentine Chauvin

Et ici Nicholas Angelich nous console

MOZART est chez lui à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Concert Anne Queffélec, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. MOZART. DVORAC.

Concert enthousiasmant coté piano comme orchestre

Anne Queffélec fidèle parmi les fidèles revient à La Roque avec Mozart pour un concert donné à guichet fermé. Son Mozart est si merveilleusement évident que le charme a complètement envoûté le public. Le concerto offert ce soir est le 27ième, le dernier composé par Mozart et semble-t-il celui qui lui permît sa dernière apparition publique. Il est porteur d’une certaine gravité et d’un côté sérieux, moins séduisant que d’autres. Pourtant on y trouve de très belles mélodies et un tricotage, orchestre-piano serré. Anne Queffélec a toutes les qualités de probité et de modestie pour donner sa noblesse et ses couleurs à ce concerto. Ses mouvements de tête lorsque l’orchestre joue seul, montrent bien comment elle est habitée par cette belle musique et fait corps avec toute la partition. Jeu perlé, équilibre exact entre les plans, tout est merveilleux et la musique coule sans entrave. L’orchestre est un partenaire attentif et prudent. Les instruments solistes dialoguent amoureusement avec la pianiste. Le chef, Aziz Shokhakimov sait garder le bon équilibre tout du long. Que dire de plus ?  C’est le bonheur parfait : Mozart en plein air sous les frondaisons, même les cigales se sont tues.

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 13 © Valentine Chauvin

En début de programme la soprano Marion Tassou s’était  lancée dans le magnifique air de concert « ch’io mi scordi di te » dans lequel Mozart s’est écrit une partie de piano obligé comme une déclaration d’amour. Ce soir c’est cette déclaration, magnifiquement phrasée par Anne Queffélec qui nous enchante. La voix peu séduisante de la soprano ne peut vraiment s’imposer.

La deuxième partie de programme sera comme une toile à l’huile après un pastel subtil. La symphonie du nouveau monde de Dvorac est une partition brillante qui permet à tout orchestre de montrer ses qualités et au chef de s’exprimer. Le bonheur y est partout même dans le deuxième mouvement où la délicate cantilène du cor anglais se pare de mélancolie un temps avant que les autres bois n’éclairent l’horizon. Le Sinfonia Varsovia montre toutes les qualités de ses solistes et surtout sa capacité à suivre l’énergie bouillonnante demandée par le chef. Aziz Shokhakimov avec une gestuelle singulière et expressive semble habité par cette musique des grands espaces qui sous sa direction exulte de joie. Les tutti des cuivres sont puissants, les cordes se galvanisent pour phraser large, les bois sont expressifs et les cors apportent une belle couleur. Les violoncelles et surtout son soliste phrasent admirablement leurs moments lyriques avec de belles couleurs ombrées. Tous les musiciens participent très activement à cette fête même le plus modeste triangle !

M Tassou, A Queffélec, Sinfonia Varsovia, A Shokhakimov 19 © Valentine Chauvin

Cet orchestre en résidence qui joue presque chaque soir est comme galvanisé et déchargé de toute fatigue accumulée. Car la chaleur en journée est épuisante pour chacun et les soirs sous les projecteurs sont également porteur de fatigue inévitable. Le bonheur à voir saluer Aziz et son orchestre et l’exaltation du public ont balayé tout cela. Le vrai bonheur c’est le partage de la musique dans cette belle nuit provençale.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 8 aout 2022. Auditorium du Parc. Concert Anne QUEFFELEC, piano. Marion TASSOU, soprano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz SHOKHAKIMOV. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791 : Air de concert, «Ch’io mi scordi di te ? » K.505 ; Concerto pour piano et orchestre, n°27 en si bémol majeur K.595. Anton Dvorak (1841-1904) : Symphonie n°9 en mineur, Op.95 « Du nouveau monde ».

Photo : © Valentine Chauvin.

La Gioconda à Orange

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Amilcare PONCHIELLI. LA GIOCONDA. Csilla BORROS. Stefano LA COLLA. Clémentine MARGAINE. Jean-Louis GRINDA. Daniele CALLEGARI. 

UNE GIOCONDA BIEN TROP SAGE À ORANGE

L’opéra le plus connu de Ponchielli, Gioconda n’est pourtant pas vraiment un opéra favori du public. Plusieurs raisons me semblent expliquer ce malentendu. Même si le livret de Boïto est d’après Hugo, l’intrigue tarde à avancer et les incohérences sont nombreuses. La partition mis à part deux airs (Enzo et Gioconda) et un duo ( Gioconda-Laura) et surtout sa musique du ballet des heures n’est pas si connu. Cet opéra, les lyricophiles en ont davantage entendu parler qu’ils ne le connaissent vraiment.

Ce soir le théâtre Antique était loin d’être plein. Le public présent a semblé par ses applaudissements satisfait mais pas absolument conquis. La mise en scène grandiose et spectaculaire de Jean-Louis Grinda est tout à fait adaptée au lieu. Les vidéos d’ Etienne Guiol et Arnaud Pottier sont somptueuses avec lagunes, palais, mer et bateaux projetés et sols luxueux. Les lumières sont très expressives et les costumes superbes, riches et prenant bien la lumière. Le jeu des chanteurs est simple et crédible sans trop d’emphase. Le tableau avec le ballet est grandiose.

Les voix des héros sont sonores en ce qui concerne Gioconda, Enzo, Laura et la Cieca. Barnaba et Alvise semblant plus étriqués dans la vaste acoustique.

Csilla Borros, Gioconda, sauve la production in extremis, elle est particulièrement engagée dans un personnage noble et fier au chant victorieux s’imposant face aux difficultés du rôle. Des sons piano et un beau legato lui permettent de résister toute la soirée. Elle semble bien à l’aise dans ce rôle épuisant.

Stefano La Colla est un Enzo élégant et bien chantant. En Laura, Clémentine Margaine offre son mezzo cuivré et chante avec puissance ce rôle sans toutefois faire tout à fait le poids scéniquement dans son opposition à Gioconda. Leur duo, qui doit être spectaculaire ne décollera pas vraiment.

Alexander Vinogradov, en Alvise n’a pas le charisme d’un noble altier et peine à s’imposer, semblant bien trop fragile. La Cieca de Marianne Cornetti est parfaite de noblesse et de modestie pieuse, la voix belle et longue sonne avec facilité, ses interventions portent à chaque fois une très belle émotion. La grande déception vient du Barnaba de Claudio Sgura. Toute l’action repose sur la terreur que doit imposer ce personnage entièrement noir. A chercher à le banaliser, l’action ne démarre pas vraiment. La voix n’a pas l’ampleur terrible attendue. Le jeu est trop sage. Il incarne un méchant trop poli en somme !

Le reste de la distribution ne pose pas de problème et chacun s’impose sans difficulté dans la vastitude du théâtre Antique. Citons-les tous : Jean-Marie Delpas en Zuante, Przemyslaw Baranek en chanteur, Jean Miannay en Isépo, Walter Barbaria le timonnier, Serban Vasile un barnabotto, Vincenzo Di Nocera, une voix, Pasquale Ferraro, une autre voix. Les chœurs associés de nos régions Sud sont impeccables, vivants, sonores et impliqués.

La plus grande réussite aura pour moi été le ballet absolument enthousiasmant, brillant, virtuose et vivant. Reste peut-être le plus délicat à écrire : l’orchestre de Nice plutôt efficace n’a pas eu l’occasion de vraiment briller car la direction, molle et sans nerf de Daniele Callegari était bien décevante. Gioconda a besoin d’un chef et d’un vrai. Et comme aucune voix n’était de nature à briser les cœurs le drame n’a pas pris. Jolie musique un peu compassée alors que Gioconda peut être de feu et de sang.

L’aspect scénique et surtout le ballet, magnifique chorégraphie de Marc Ribaud et du ballet de l’Opéra Grand Avignon, ont permis de passer une bonne soirée mais bien trop sage par ailleurs.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, opéra. CHOREGIES D’ORANGE, le 6 août 2022. Théâtre Antique. Amlicare PONCHIELLI (1834-1886) : LA GIOCONDA, Opéra en 4 Actes. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Jean-Louis Grinda et Laurent Castaingt ; Costumes : Jean-Pierre Capeyront ; Lumières : Laurent Castaingt ; Chorégraphie : Marc Ribaud ; Vidéo : Etienne Guiol et Arnaud Pottier ; Distribution : Csilla Borros, Gioconda ; Clémentine Margaine, Laura ; Stefano La Colla, Enzo ; Alexander Vinogradov, Alvise ; Marianne Cornetti, La Cieca ; Cladio Sgura, Barnaba ; Jean-Marie Delpas, Zuane, matelot ; Przemyslaw Baranek, un chanteur ; Jean Miannay, Isépo ; Walter Barbaria, le timonnier ;  Serban Vasile, un barnabotto ; Vincenzo Di Nocera, une voix, ; Pasquale Ferraro,  une autre voix ;  Orchestre Philharmonique de Nice ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon , Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Chœur de l’Opéra National du Capitole de Toulouse ; Coordination des Chœurs, Stefano Visconti. Ballet de l’Opéra Grand Avignon. Direction : Daniele Callegari.

Photos : Gromelle

Alexandre le Grand à La Roque !

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Aziz SCHOKHAKIMOV. TCHAÏKOVKI. LISZT.

ALEXANDRE KANTOROW SUPER-HEROS A LA ROQUE

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia 2 © Valentine Chauvin

Jeune, fringant et courageux Alexandre Kantorow a ce soir subjugué le public en interprétant d’affilée sans ciller deux concertos hyper virtuoses. Son partenaire le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov ne l’a pas ménagé. Dès la première intervention de l’orchestre fortissimo, le ton était donné. Le deuxième concerto de Tchaïkovski n’est pas le plus réussi et ne sonne pas vraiment comme du Tchaïkovski et ce soir moins que jamais. Disons-le clairement le côté « pompier » et tonitruant de cet orchestre n’était pas de nature à déranger un Alexandre Kantorow aux moyens souverains, mais cela a nui à sa recherche constante de musicalité. Ce concerto est celui avec lequel le tout jeune Alexandre a remporté le concours Tchaïkovski. Il en maîtrise absolument toutes les difficultés et arrive à nuancer de fort belle manière dès qu’il en la possibilité. Les échanges avec la flûte solo dans le premier mouvement, les échanges avec le violon et le violoncelle en solo dans le deuxième mouvement sont des oasis de beauté et de délicatesse. Le reste du temps le combat entre l’orchestre et le chef ne laisse aucun vainqueur et peut sembler vain à des oreilles délicates. Les traits de Kantorow peuvent être fulgurants, les battues d’une puissance athlétique et la liberté dans les moments rhapsodiques caractérisent son jeu de super héros qui ne lâche rien.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 22 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov jeune chef de 34 ans demande toute sa force au Sinfonia Varsovia et l’obtient dans des tutti supersoniques. Nous avions découvert Alexandre Kantorow dans ce concerto à Toulouse dirigé par un chef bien plus convaincant avec un résultat tout différent. Car ce soir hélas l’ensemble sonne au final « assez pompier ». Après une infime pause Alexandre Kantorow avec un panache souverain s’engage dans le deuxième concerto de Liszt qui heureusement sera bien plus nuancé du côté de l’orchestre. Le prodigieux jeune homme se permet des nuances subtiles et des phrasés chantants tout en habillant les plus terribles traits de toute la grâce possible. Les moyens techniques d’Alexandre Kantorow semblent infinis. Tout lui semble facile et pourtant quelle folie contenue dans ce concerto ! Les moments chambristes du concerto sont joués avec une gourmandise adorable par le pianiste. On devine un vrai amour pour le dialogue musical.

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 4 © Valentine Chauvin

Aziz Shokhakimov garde en général une attention particulière au brillant et à la puissance qu’il obtient de l’orchestre mais arrive à ménager des moments de détente dans lesquels la musique peut s’épanouir plus sereinement. En comparant avec son enregistrement de 2015 réalisé par le tout jeune Alexandre dans lequel son père dirige subtilement le Tapiola Sinfonietta, l’équilibre orchestre-piano y est plus naturel et le dialogue bien plus musical. Notons toutefois que le jeune pianiste a gagné une force et une aisance remarquables. Cette version a quelque chose de sauvage et d’indomptable. Indiscutablement peu de si jeunes pianistes sont capables de venir à bout de deux concertos si virtuoses et Alexandre Kantorow est probablement le plus intéressant du moment. Est-ce vraiment ce que nous pouvons demander de mieux à ce musicien exceptionnel ? La réponse il la donne dans son premier bis. En rendant hommage à Nelson Freire, dont c’était le bis favori, il offre au public une interprétation bouleversante des ombres heureuses de l’Orphée de Gluck, mélodie arrangée pour le piano par Sgambati. Hommage à Nelson Freire avec encore davantage de tendresse si c’est possible ! Puis un Sonnet de Pétrarque offert comme un véritable opéra chanté, avec un chant éperdu comme suspendu.  Le final de l’oiseau de feu sera brillant mais moins réussi que d’autre fois. C’est dans ces trois bis que le talent le plus rare d’Alexandre Kantorow se révèle, de l’avis d’aucuns il est à lui tout seul un orchestre. Alexandre Kantorow a fini ravi et comme régénéré par la force du partage musical, ce concert marathonien avec sprint final, dans une chaleur particulièrement étouffante. Il a assurément tout donné à son public ! Un héros vous dis-je !

Alexandre Kantorow Sinfonia Varsovia Direction Aziz Shokhakimov 15 © Valentine Chauvin

France Musique était là pour garder mémoire de ce concert donné à guichet fermé ce soir à la Roque.  Il est possible de le réécouter durant les six prochains mois.

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 5 août 2022. Auditorium du Parc. Concert Alexandre KANTOROW, piano. SINFONIA VARSOVIA. Direction, Aziz Shokhakimov. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en sol majeur Op.44 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Concerto pour piano et orchestre n°2, en la majeur. Photo : © Valentine Chauvin.

Critique écrite pour Classiquenews.com

Salon de Provence la magie de la nuit provençale

CRITIQUE. Concert. 30ème FESTIVAL DE SALON. SALON DE PROVENCE. CHATEAU DE L’EMPERI. Le 30 Juillet 2022. N. RIMSKY-KORSAKOV. F. POULENC. R. IMBERT. E. PAHUD. E. LESAGE. P. MEYER. F. MEYER. B. DE BARSONY.  G. AUDIN.  R. IMBERT.  P.F. BLANCHARD.

30 ans : Age magique pour le Festival de Salon De Provence.

Concert d’ouverture magique ce soir dans la sublime acoustique de la cour du Château de l’Empéri.

Rien, pas même le coronavirus, n’avait pu freiner l’enthousiasme qui caractérise ce festival de Musique de Chambre. Mais ce soir sans masque, sans pass sanitaire et sans jauge limitée, le public a pu s’installer bien confortablement. La chaleur de la journée cédant, un léger vent offrait une température proche de l’idéal.  Les trois musiciens fondateurs, Emmanuel Pahud, Paul Meyer et Éric Lesage, sont entrés entourés de leurs fidèles amis Benoit De Barsony et Gilbert Audin pour le Quintette de Rimsky-Korsakov.

Élégance, précision et admiration mutuelle leur ont permis de défendre cette partition mal connue avec un panache tout à fait extraordinaire. Certes il ne s’agit pas de la partition la plus typique de Rimsky-Korsakov. Seule une forme de mélancolie dans le mouvement lent entrouvrait la porte vers l’âme russe du compositeur, mais l’écriture de cette pièce est brillante, sensible et de bonne facture. Rien ne justifie le quasi oubli dans lequel elle s’installerait sans des interprétations si stimulantes, nous rappelant ces beautés. Les cinq musiciens ont chacun apporté le plus grand soin et la plus belle énergie dans cette fulgurante interprétation. Chacun avait des moments d’ouverture ou de virtuosité, c’est toutefois la flûte d’Emmanuel Pahud qui a apporté une touche remarquable par son élégance.

Le hautboïste François Meyer les a rejoints pour offrir au public une interprétation anthologique du sextuor de Poulenc. Avec une complicité de chaque instant, une précision absolue, et chic fou, ils ont su mettre dans cette pièce si contrastée toute une gouaille, si chère au Poulenc de la belle époque. Cette virtuosité de notes et de ton a fait souffler un vent de fraîcheur incroyable. Le public a fait une véritable ovation à cette fête musicale si réussie.

Pour la deuxième partie de concert, le contraste a été savamment préparé. Le saxophoniste Raphaël Imbert et le pianiste Pierre-François Blanchard sont entrés en scène dans une attitude intrigante. D’aucuns ne savaient qu’il s’agissait de musiciens de jazz. Peu importe une fois la surprise passée c’est le charme absolu de leur poésie faite musique qui a opéré. Le temps s’est suspendu, le chant a volé haut, le rythme du piano a transfiguré espace et temps.

Les présentations précises et pleines d’humour de Raphael Imbert nous permettaient de revenir un peu sur terre avant le prochain voyage. Ces deux musiciens, improvisateurs d’exception, nous ont offert des instants de poésie absolument magiques. Le « chant de l’étoile » de Richard Wagner et « A la musique » de Frantz Schubert avec de tels passeurs deviennent de vrais standards de jazz s’envolant sans limite sous le ciel étoilé de Provence. Le temps et l’espace abolis, n’est-pas cela le cœur de la poésie et de la musique ?

Quelle ouverture les amis pour ce festival qui vit sa trentième édition dans une plénitude jubilatoire.

A très vite la suite…

Hubert Stoecklin

 Critique. Concert. 30ème Festival International de Salon-de-Provence. Château de l’Empéri, le 30 juillet 2022. Nikolaï Rimsky-Korsakov (1844-1908) : Quintette en si bémol majeur ; Francis Poulenc (1899-1963) : Sextuor ; Raphaël Imbert (né en 1974) : Improvisations. Emmanuel Pahud, flûte ; Paul Meyer, clarinette ; François Meyer, hautbois ; Gilbert Audin, basson ; Benoit de Barsony, cor ; Éric Lesage piano. Raphaël Imbert : saxophone et clarinette basse ; Pierre-François Blanchard, piano.

Benjamin Grosvenor retrouve La Roque

CRITIQUE. Concert. LA ROQUE D’ANTHERON. Auditorium du parc, le 31 juillet 2022. C. FRANCK. I. ALBENIZ.  A. GINASTERA.  M.RAVEL.  B. GROSVENOR.

Benjamin Grosvenor souverain parfaitement serein

Cela fait la troisième année que je retrouve Benjamin Grosvenor à La Roque d’Anthéron et je me réjouissais beaucoup. A mon grand damne je dois reconnaître que je n’ai pas retrouvé cet émerveillement vécu lors du concert de 2019. Le programme n’est peut-être pas aussi séduisant et reste un peu décousu et sans charme particulier. Certes le final est grandiose avec une Valse de Ravel éblouissante mais il n’y a pas de construction d’ensemble ni de véritable progression. Le prélude, choral et fugue de César Franck ouvre le récital. Nous connaissons la rigueur, la précision et la grande clarté de l’interprétation de Benjamin Grosvenor depuis le concert de l’an dernier et surtout son enregistrement de 2016. La précision avec laquelle il détaille tous les plans est sensationnelle et rien ne vient entraver son jeu absolument souverain. Le déroulé est implacable avec une certaine maîtrise des divagations que d’autres peuvent jouer avec davantage de méditation. Puis le livre premier d’Iberia d’Albéniz n’aura aucune « couleur locale » et sous les doigts imperturbables de Benjamin Grosvenor la musique pure prend beaucoup de hauteur. C’est un piano précis, impeccablement nuancé et phrasé mais sans aucune chaleur. Le bel canto dont le pianiste anglais est capable sera idéal dans le Corpus Christi en Sevilla. Le chant du choral se déploie avec une élégance bouleversante.

Pour la suite du programme le piano sera changé : Il n’y a qu’à La Roque que j’ai vu cela. Il faut dire que c’est le luxe unique qui prévaut ici : un choix est offert aux artistes parmi de nombreux pianos à queue, tous présents sur site dès le début du Festival.

Benjamin Grosvenor 26 © Valentine Chauvin
© Valentine Chauvin

Avec cet autre instrument, le jeu de Benjamin Grosvenor reste avant tout maîtrisé et les Danses Argentines de Ginasteras n’iront certainement pas s’encanailler sous ces doigts si pudiques. Le jeu est souverain, puissant, charpenté, l’apparente facilité avec laquelle Benjamin Grosvenor joue cette musique complexe est en soi un exploit des plus rares.

C’est avec les deux pièces de Ravel que les moyens pianistiques trouvent un épanouissement complet avec une musicalité délicate qui anime constamment le propos. Les Jeux d’eau trouvent des échos liquides et évaporés sous les doigts subtils de Benjamin Grosvenor, les trouvailles du jeune pianiste sont des pépites. Dans la valse il trouve le déséquilibre parfait qui fait chavire l’auditeur. Quelle aisance avec ce rythme diabolique, quelle noirceur dans certains retours du thème, quel humour avec ce rythme comme décalé par moments. La valse ainsi interprétée devient dangereuse et fascinante. Ce grand moment de musique en fin de programme nous a rappelé comment cet artiste peut nous ravir. Il est envisageable d’accepter qu’à ce stade de sa carrière le jeune prodige, plus mature, joue pour lui, pour ses recherches et nous prépare de futures merveilles. La maîtrise technique absolue reste très impressionnante, c’est l’émotion qui cède la place ce soir. Il faut signaler une touffeur inhabituelle dans le parc avec un côté un peu oppressant et étonnamment un public clairsemé. Les applaudissements nourris ont obtenu deux bis de l’artiste : Dany Boy en arrangement d’après le folklore anglais et le chant du soir op.85 n°12 de Schumann.

Benjamin Grosvenor 25 © Valentine Chauvin
© Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. La Roque d’Anthéron. Auditorium du Parc, le 31 Juillet 2022. César Franck (1822-1890) : Prélude, choral et fugue ; Isaac Albéniz (1860-1909) : Iberia, livre 1.  Alberto Ginastera (1916-1983) : Danses Argentines ; Maurice Ravel (1875-1937) : Jeux d’eau, la Valse ; Benjamin Grosvenor, piano.

Article écrite pour classiquenews.com

Un Barbier de Séville tout en énergies à Toulouse

CRITIQUE. OPERA. TOULOUSE, THEATRE NATIONAL DU CAPITOLE, le 24 mai 2022. J.E. KÖPPLINGER. A. CREMONESI. F. SEMPEY. E. ZAÏCIK. K. AMIEL. ONCT.

Un barbiere di qualita, di qualita, si, si !!!!

Cette coproduction capitoline se veut bouffe scéniquement et sacrément belle musicalement. Nous avons entendu la première distribution mais la seconde semble tenir le rang sans craintes. Le Barbier de Séville est un « Melodramma buffo » comme souhaité par Rossini lui-même qui porta ce genre au pinacle. Le décor et les costumes se veulent de la plus délirante fantaisie tout en gardant une certaine élégance. La mise en scène de Josef Ernst Köpplinger reste dans cette ligne comique avec une grande efficacité. Un décor tournant du plus bel effet et sur deux étages, rend presque véridiques les grands imbroglios, les parties de cache-cache et les apartés. La vivacité de la partition trouve son tempo sur scène tout du long sans jamais de temps morts. Tout cela virevolte et séduit par des mouvements permanents. Il faut dire que le Figaro de Florian Sempey a une énergie comique insatiable et sophistiquée digne de la cage aux folles.  Kevin Amiel est un Comte qui s’encanaille au fur et à mesure juste à la limite du trop.  Paolo Bordigna en docteur Bartolo, et Andrea Soare en Berta, mais surtout l’immense Roberto Scandiuzzi en Basilio sont des partenaires admirables. Seule la Rosine d’Eva Zaïcik garde une certaine retenue. Les costumes d’Alfred Mayerhofer participent par leurs couleurs à donner beaucoup de vie aux acteurs. Les lumières sont subtilement discrètes.

Barbier De Séville 2

Coté musical l’orchestre est de vif argent sous la baguette alerte d’Attilio Cremonesi. L’orchestration de Rossini, il faut le reconnaître, est particulièrement succulente dans ce Barbier avec de tels musiciens ! Le chœur, surtout les hommes, s’amuse avec aisance et chante avec plaisir.  Les petits rôles sont parfaitement distribués. Les louanges pour les voix des rôles principaux ne peuvent qu’être totalement heureuses. Florian Sempey est un Barbier si bien chantant et qui joue si habilement qu’il est LE BARBIER du moment. C’est probablement le rôle qu’il chante le plus souvent. Eva Zaïcik a la voix parfaite pour Rosine, le style, les roulades et les trilles, les aigus brillants et des graves admirables. Roberto Scandiuzzi est un Basilio quasi surdimensionné à la voix somptueuse et au jeu pénétrant entre menaces et haut comique.

Barbier De Séville

Paolo Bordigna a une voix agréable et son chant reste toujours élégant ; ce n’est pas le vieux barbon ridicule mais un docteur dans la force de l’âge créant une menace bien crédible pour les deux amants. Reste à évoquer le peu d’adéquation vocale de Kevin Amiel avec la tessiture d’Almaviva et le style rossinien. La voix du ténor est toujours aussi séduisante mais l’aigu ne semble pas aussi facile que dans les rôles lyriques et il n’a pas l’aisance vocale de ses comparses dans le style rossinien si redoutable pour les ténors. S’il est certes un Almaviva agréable, Kevin Amiel n’atteint pas tout à fait le sommet vocal des autres chanteurs.

Ce barbier toulousain est plein de panache, de vie et de beau chant. Il a fait le bonheur du public, ainsi une salle comble a fait savoir son approbation par des applaudissements nourris, per un barbiere di qualita, di qualita !

Hubert Stoecklin


Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 Mai 2022. Gioachino Rossini (1792-1868) : Le Barbier de Séville, melodramma buffo en deux actes ; Livret de Cesare Sterbini d’après Beaumarchais. Créé le 20 février 1816 à Rome. Coproduction Théâtre National du Capitole de Toulouse, Staatsteater am Gärtnerplatz de Munich, Fundacio del Gran Teatre del Liceu de barcelone. Josef Ernst Köpplinger, mise en scène et lumières ; Alfred Mayerhofer, costumes ; Johannes Leiacker, décors ; Michael Heidinger, lumières ; Distribution : Florian Sempey, Figaro ; Eva Zaïcik, Rosina ; Kévin Amiel, le Comte Almaviva; Paolo Bordigna, le Docteur Bartolo ; Roberto Scandiuzzi, Don Basilio ; Edwin Fardini, Fiorello ; Andrea Soare, Berta ; Bruno Vincent, l’Officier ; Frank Berg, Ambrogio ; Orchestre et chœur du Capitole de Toulouse (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Direction Attilio Cremonesi.

Tiago Rodrigues questionne le prix de la vie

Chronique. Théâtre. Toulouse. ThéatredelaCité, le 6 Avril 2022. TIAGO  RODRIGUES : Dans la mesure de l’impossible. Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues ; Gabriel Ferrandini : musicien.

 

Tiago Rodrigues ou le génie d’être pleinement de son temps

Sensibilisé au soin par le fait d’être fils d’une mère médecin, Tiago Rodrigues ne cache pas dans son texte de présentation de sa pièce combien aider l’autre, par le geste de soigner et soulager représente pour lui « la seule vraie profession ». Le parti pris théâtral de construire un spectacle sur la vie de soignants du CICR, Comité International de la Croix Rouge, aurait pu être vain ou décalé. Tiago Rodrigues fait dans un même geste acte de création théâtrale et de philosophie politique. Dans ce sens il est fidèle à ses deux parents car son père est journaliste de profession.

L’objet théâtral est consistant, structuré et solidement articulé, comme le propos politique implacable sous-jacent.

Quatre acteurs et un musicien sont sur scène : quatre personnages sensés parler de ce qu’ils font, comprennent, vivent lors de leurs missions pour le Comité International de la Croix Rouge. Le texte est beau, international (français, anglais, portugais) toujours traduit avec une grande efficacité.

Sans Titre

Chacun des quatre acteurs (deux hommes et deux femmes) a son style et crée un personnage crédible. Le travail de réécriture en mêlant des histoires vraies est assez fascinant tant chaque personnage est cohérent au point de devenir plus ou moins proche, avec son langage qui sonne vrai. Dès les premiers instants de la pièce le public est pris à parti. Jouant face au public les acteurs s’adressent en fait à Tiago Rodrigues (et à nous) précisant leurs réticences et envies de participer à cette création théâtrale. Non sans humour la première actrice dit tout net qu’elle « n’aime pas le théâtre ».  C’est d’autant plus savoureux que c’est peut-être à elle que revient la performance d’actrice la plus spectaculaire parlant aussi bien anglais que français et portant énormément d’émotions dans ses interventions. Le cadre est donc posé il s’agira de tranches de vie, de paroles, de souvenirs de gens de terrain qui ont pratiqué depuis longtemps déjà ces Territoires de l’Impossible à savoir ces lieux de non civilisation que sont les zones de guerre, ces lieux où la paix est impossible et qui sont uniques et si semblables.   Puis tout s’enchaîne sans solution de continuité. Au niveau du décor le grand drap qui cache les quelques éléments et surtout le musicien que l’on entend bien avant de le voir, va être levé à vue petit à petit par les acteurs permettant ne nous faire voyager. Les lumières de Rui Monteiro participent activement à la création d’espaces où l’imagination  du spectateur peut voir des tentes, des dunes, des montagnes, du ciel, de la fumée, des gravats…

31012022 Dans La Mesure Du

La musique de Gabriel Ferrandini qui joue des percussions multiples a la charge complexe de triturer l’espace et le temps

La seule musique apaisante viendra du chant désolé de Beatriz Brás qui interprète avec beaucoup d’émotions le chant de Medo d’Alain Oulman d’après un poème de Reinaldo Ferreira.

Gabriel Ferrandini, le compositeur-percussionniste est un torrent d’énergie, de violence et de fureur qui se dévoile aux multiples sens du terme. Car invisible d’abord il va petit à petit être dévoilé par les acteurs comme sont dévoilées par le texte toutes les abominations sociétales enchâssées comme des poupées russes à toutes les strates de la société. Il est la guerre et sa bêtise, la destruction jusqu’aux ruines de la civilisation, le bruit des bombes, les cris des mourants. Le son si puissant, comme les bombes a un impact physique dans la poitrine et l’abdomen. La folie de ses improvisations, la virtuosité technique, laissent pantois. La puissance du son en fin de spectacle m’a obligé à me boucher les oreilles. Peut-il en être autrement quand avec cette acuité nous est présentée la guerre au moment où l’Ukraine est victime des bombes et des abominations humaines. Le CICR peut-elle intervenir en Ukraine ?

Impossible

Quel voyage en enfer… Quelle folie que notre monde…. Quelle beauté en cette folie humaine qui consiste à vouloir sauver un homme alors que des milliers sont tués. Les « histoires » racontées sont pour le moins édifiantes et pour beaucoup des révélations terribles. Je ne souhaite pas « spoiler » ce magnifique spectacle qui va toucher le spectateur très fort, l’emmener émotionnellement très loin …. En ce qui concerne la majorité du public toulousain de la première, le choc a été accepté et il y a eu une standing ovation en fin de spectacle tant l’émotion a été forte.

La lutte entre la puissance de mort et les forces de vie est terrible dans ces zones de l’Impossible paix. Cela se rapproche de nous… Ce spectacle inouï nous le rend compréhensible par notre intellect, nos sens, notre cœur et notre corps. Tiago Rodrigues a écrit un très grand texte, a construit un très grand moment de théâtre engagé et terriblement moderne. Merci à lui et à son équipe soudée incroyable d’engagement.

Hubert Stoecklin

Chronique. Théâtre. Toulouse. ThéatredelaCité, le 6 Avril 2022. Tiago RODRIGUES : Dans la mesure de l’impossible. Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues ; Traduction : Thomas Resendes ; Scénographie : Laurent Junod ; Composition musicale : Gabriel Ferrandini ; Lumière : Rui Monteiro ; Son : Pedro Costa ; Costumes et collaboration artistique : Magda Bizarro ; Assistanat à la mise en scène : Lisa Como ; Avec : Adrien Barazzone, Beatriz Brás : chant de Medo d’Alain Oulman d’après un poème de Reinaldo Ferreira, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov ; Gabriel Ferrandini : musicien.

Les dates de la tournée