Critique. Coffret de 8 CD. Intégrales des Sonates de Frantz SCHUBERT. Élisabeth LEONSKAJA, piano. Warner Classics.
Le Schubert de Leonskaja maitre du temps.
Voici un beau coffret qui ravira autant les amoureux du jeu sensible d’Élisabeth Leonskaja que ceux qui aiment le piano de Schubert. Pour ma part je fais partie des deux et ce coffret de l’intégrale de ses sonates me ravit.
Une écoute attentive de ce coffret m’a conduite à réécouter la compilation Schubert enregistrée de 1986 à 1997 qui regroupe les sonates tardives, les Impromptus et le Quintet la Truite. Cette écoute minutieuse m’a fait faire une découverte intéressante. Certes le jeu de Leonskaja est égal en termes de perfection technique dans les deux coffrets. Il est d’ailleurs remarquable de constater le soin donné à ces derniers enregistrements : une restitution absolument impeccable et dans une belle prise de son. Car c’est un péché véniel de la grande artiste que de parfois, au concert, ne pas tenir cette technique avec autant de précision. Mais ce qui compte avec cette merveilleuse musicienne c’est la direction qu’elle imprime à la partition et le voyage dans lequel elle nous entraine. Dans ce tout nouveau coffret les dernières sonates de la D. 784 à la D. 960 ont été enregistrées en 2015 et les plus récentes en 2017. L’unité de la prise de son est parfaite, le piano sonne lumineux, précis et nuancé.
Il est paradoxal de parler de sonates de jeunesse pour les premières, Schubert est mort à 31ans ! Ses premières sonates sont certes un peu « beethoveniennes » mais déjà sonnent comme le Schubert des divines longueurs qui va advenir. Élisabeth Leonskaja avec beaucoup de délicatesse et une vision puissante les aborde comme des chefs d’œuvre à part entière. Voilà de bien beaux voyages que la pianiste d’origine russe nous offre. Comment ne pas céder au charme de l’adagio de la troisième sonate D.459. Le legato souverain, la tendresse et la simplicité évidente du jeu de la grande Leonskaja y font merveille.
Pour les sonates tardives, il n’y a pas de doute Élisabeth Leonskaja est un passeur hors pair qui aime Schubert et comprend l’infinie poésie contenue dans son piano. Depuis ces enregistrements des années 1990, en 30 ans, Élisabeth Leonskaja a assoupli considérablement son jeu sans abandonner sa parfaite technique. Le rebondi de certaines notes, la souplesse des phrasés, le coulé des nuances tout est plus souple, plus sensible. Et avec encore davantage d’évidence je ressens à l’écoute de ces très belles interprétations combien la grande dame du piano a percé un mystère particulier de la musique de Schubert. Il y a dans la musique de Schubert un rapport au temps particulier qui est merveilleusement offert au public dans ce coffret. La musique de Schubert joue avec le temps, les répétitions, les reprises, les développements sont nombreux, les moments de danse avancent autrement que les promenades, les accords martelés, les longues cantilènes ont chacun leur temps diversifié. Il y a un temps extérieur car l’espace, et la nature sont présents dans certaines sonates et un temps intime, des états d’âme douloureux ou heureux, des émotions pudiques comme de la joie extravertie de retrouvent dans d’autres mouvements. Les réminiscences et une certaine nostalgie jouent également beaucoup avec la notion de temps. Toujours le présent est fui et pourtant la musique est art du présent.
Ce paradoxe est admirablement résolu par le jeu subtil d’Élisabeth Leonskaja.Elle donne à chaque moment son rapport au temps exact et pourtant nous offre un temps suspendu dans le présent de son jeu. C’est subtilement troublant. Et je ne me lasse pas d’écouter ces sonates dans ces interprétations avec cette sensation du temps toujours différent et invariablement présent et cette musique qui avance vers la vie. Un exemple fort me semble être l’Andantino sublime de la D. 959. Ce n’est pas une question de rubato ou de ralenti ou d’accélération. C’est autre chose, il me semble que c’est là l’un des secrets de la poésie infinie de la musique de Schubert qui sait si bien narrer et chanter la vie. Élisabeth Leonskaja nous fait partager sa belle découverte et nous rapproche de Schubert, si pressé de vivre intensément, comme conscient de sa mort proche.
CRITIQUE.ENREGISTREMENT. INTEGRALE DES SONATES DE FRANTZ SCHUBERT (1797-1828). WARNER CLASSICS. Enregistrements de 2015 et 2017. 8 CD. Code : 0 190296 287855.
CRITIQUE.OPERA. Toulouse, le 30 Nov. 2022. G. PUCCINI. LA BOHEME. BARBE et DOUCET. A. CONSTANS. A. ZADA. ORCHESTRE NAT DU CAPITOLE. L. PASSERINI.
Une Bohème solide à Toulouse
Cet opéra fait toujours salle comble au point d’être probablement celui qui est le plus souvent représenté à Toulouse. Il a même été possible de proposer deux distributions d’égales valeurs. Comme attendu le succès a été au rendez-vous avec cette nouvelle production solide confiée au tandem Barbe et Doucet. En cette très légère adaptation avec beaucoup de références culturelles et des décors très envahissants, l’exiguïté de la scène a été perceptible. Le parti pris de montrer l’opéra dans une carte postale sépia aurait bénéficié de toiles peintes pour donner de l’air dans l’acte deux et trois. Il n’y a donc pas eu de vrai contraste entre les actes intimistes et en plein air. Ceci est véniel car le public a été conquis. Décors complexes, costumes somptueux et lumières subtiles, tout fonctionne à merveille et le drame se développe sans mal. Le rajout d’accordéon et de chant de rue sont élégants mais assez vains. Voilà donc un travail sérieux mais lourd. Comme l’orchestre d’ailleurs. Le chef italien donne préférence au son, le solide son compact, à la subtilité de la partition de Puccini entre subtils pianissimi et forte brutaux.
Lorenzo Passerini ne recherche pas de contrastes, pas plus que d’atmosphères. C’est le ténor qui fera les frais de ce son plein et envahissant car le Rodolfo d’Azer Zada semble être privé d’harmoniques et sonne bien peu à côté de cet orchestre rutilant. Dommage car son chant est sensible. C’est la Mimi d’Anaïs Constans qui éclaire tout le spectacle. Voix solaire et conduite avec sensibilité, sa Mimi est émouvante et vocalement parfaite.
Le Marcello de Jérôme Boutillier a beaucoup de charisme. Avec une belle voix, très bien conduite, un jeu sincère et émouvant, son Marcello est merveilleux. Le duo à la Barrière d’Enfer avec Mimi est un des moments clés de la soirée. Les autres compères sont bien chantants et acteurs subtils. Guilhem Worms en Colline, Edwin Fardini en Schaunard et Matteo Peirone, ce dernier créant des personnages douteux et drôles en Benoît et Alcindoro.
La Musetta d’Andreea Soare, est presque surdimensionnée tant elle pourrait être une Mimi passionnante. Cela équilibre parfaitement les sopranos dans les ensembles. Il est après tout possible de voir en Musetta un personnage aussi intéressant que Mimi lorsqu’une telle artiste complète s’en empare. Quelle actrice et quelle belle voix chaude et timbrée !
Bravo à toute la troupe car les petits rôles sont parfaitement tenus et le chœur est plein de vie et bien chantant faisant même le poids vocalement face à l’orchestre extraverti de Lorenzo Passerini.
Beau succès pour cette nouvelle Bohème capitoline qui a obtenu les applaudissements mérités. En particulier la somptueuse Mimi d’Anaïs Constans.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 Novembre 2022. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, scènes lyriques en quatre tableaux sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après Henri Mürger. Mise en scène, décors et costumes : Barbe & Doucet. Lumières : Guy Simard. Avec : Anaïs Constans, Mimi ; Azer Zada, Rodolfo ; Andreea Soare, Musetta ; Jérôme Boutillier, Marcello ; Guilhem Worms, Colline ; Edwin Fardini, Schaunard ; Matteo Peirone, Benoît / Alcindoro ; Alfredo Poesina, Parpignol ; Bruno Vincent, un sergent des douanes ; Thierry Vincent, un douanier ; Claude Minich, le Vendeur de prines ; Michel Glasko, accordéon. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre National du Capitole, direction : Lorenzo Passerini.
CRITIQUE.CONCERT. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 17 Nov. 2022. A. BRUCKNER. Symph.8. Orchestre National du Capitole de Toulouse. T. SOKHIEV.
Pour un concert Tugan Sokhiev est de retour, musiciens et public exultent !
D’abord les mesures drastiques durant la pandémie ont privé le public d’une grande partie des concerts mais c’est surtout la maladresse impardonnable de la politique locale qui a privé les Toulousains de plusieurs magnifiques concerts avec le Maestro Sokhiev.
L’ovation publique à l’entrée sur scène de Tugan Sokhiev libérait la fin de la rage (d’en avoir été privé) et la joie (de le retrouver) comme rarement lors d’un concert. Tugan Sokhiev sombre et concentré ouvre le concert avec une certaine tension qu’expliquent certes les difficultés de la partition, cette symphonie de Bruckner est un monument dangereux pour les chefs les plus avertis, et surtout la victoire sur lui-même qui lui a permis de revenir là où il avait été insulté. Il a pardonné semble-t-il et revient pour son amour de la musique partagé avec ses amis musiciens et ce public qui l’adore. L’ambiance est changée. Une certaine légèreté un enthousiasme joyeux ne se retrouvera plus, certes Tugan Sokhiev a 45 ans mais ce sont plus les évènements recents qui sont responsables de ce changement, plus que l’âge. Les concerts qu’il donnera avec son « ancien orchestre » sont comptés, il y en aura trois dont celui-là. Et il viendra à Toulouse en Mars comme une revanche avec l’un de orchestres les plus merveilleux du monde : La Philharmonie de Vienne.
Ce soir c’est un magnifique retour avec Bruckner. Le premier mouvement de la 8° symphonie est marqué par une grandeur assumée et une tension ménagée avec art. Un grand chef et un grand orchestre rendent cette partition plus compréhensible, plus clairement charpentée dans une splendeur sonore de chaque instant. Loin des interprétations grandiloquentes qui sont parfois confuses. Avec Tugan Sokhiev tout est clair, limpide et grand. C’est le deuxième mouvement qui permet de retrouver la complicité souriante du chef et des musiciens, la gourmandise aussi. Voir son sourire en lançant les péroraisons des gros cuivres, la malice partagée, la souplesse rythmique sont un vrai bonheur. Ainsi ce Scherzo trouve le caractère que peu de chefs savent lui donner. Le trio central prépare à la mélancolie de l’Andante. Le retour des thèmes vivants et dansants avec ces cuivres farceurs n’en est que d’avantage savoureux. Et les moments de mystères sont savamment amenés par un Tugan Sokhiev qui retrouve sa totale complicité avec les musiciens et le public. Que de félicité partagée !
Le troisième mouvement un Andante immensément long permet au chef une direction d’un raffinement particulier. Ainsi des phrasés enveloppants, des nuances contrastées, un tempo étiré puis raffermit subtilement donnent beaucoup d’émotions à ce mouvement. Tout cela touche au sublime et le ciel s’ouvre avec les violons et les trois harpes célestes. Ce mouvement est bien le centre vital de la symphonie, le moment ou les chefs lourds s’enlisent. La grâce dégagée par l’interprétation de ce soir restera dans les annales : quelle magie infinie, quelle suspension du temps et quel apaisement des peines de l’âme !
Mais tout l’art de Sokhiev ne serait pas complet sans sa gestion incroyable des crescendi. Le final jubilatoire, permettra cela. Les solistes se régalent et jouent leurs plus belles notes. La puissance sans lourdeur trouve l’équilibre parfait entre splendeur des couleurs, irisation des timbres, pleine lumière sur l’empilement des thèmes dont l’enchevêtrement demeure analysable. Tugan Sokhiev connaît par cœur l’acoustique de la salle et ce qu’il peut demander à l’orchestre, la tension est savamment organisée et le crescendo final sera le plus spectaculaire ! C’est carrément euphorisant et le public ne peut attendre la fin de la dernière note pour exploser de joie. Les ovations pour les instrumentistes (il faudrait tous, absolument tous, les citer) et pour le chef enfin retrouvé sembleront sans fin. La soirée se termine par une standing ovation bien méritée. Il faut également dire combien enfin la Halle-aux-Grains a de nouveau été pleine à craquer. Cela aussi n’était plus arrivé depuis longtemps…
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 17 Novembre 2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°8 en ut mineur, A.117 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction, TUGAN SOKHIEV.
Pour ceux qui veulent en savoir d’avantage sur le départ précipité de Tugan Sokhiev
CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE, LE 7 Nov. 2022. A. VIVALDI. G.F. HAENDEL. C. BARTOLI. LES MUSICIENS DU PRINCE-MONACO. G. CAPUANO.
Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince : un soleil au firmament
Cecilia Bartoli avec un art souverain semble faire ce qu’elle veut de sa voix. Avec sa technique très particulière elle poursuit une carrière au sommet semblant se jouer du temps. Vivaldi et Haendel ne sont certainement pas les compositeurs baroques les plus faciles. Leurs exigences vocales restent les plus hautes et La Bartoli règne sans grandes rivales parmi leurs œuvres les plus exigeantes. Alternant airs de charme, de tendresse ou de haute virtuosité avec des intervalles de musique orchestrale, le concert donné sans entracte se déroule avec une facilité incroyable. Dès le premier air, elle joue à l’oiseau et avec une exactitude diabolique elle chante des vocalises d’une précision parfaite. Puis ce sera la délicatesse des phrasés qui enchante, la longueur du souffle qui subjugue et la langueur de la plainte qui émeut. Cet art vocal total, tel un bel canto idéal, appartient à Cecilia Bartoli depuis bientôt 40 ans avec la même splendeur sans que la magie ne soit ternie par les ans. Les couleurs de la voix sont davantage harmonieuses, la puissance vocale s’affine, le tempérament dramatique s’assagit mais le chant ne perd pas en intensité. Ainsi l’artifice convainc toujours autant. Vivaldi coule dans sa voix sans aspérités.
L’orchestre du Prince rassemblé sur les conseils de Cecilia et financé par le Prince de Monaco rassemble la fine fleur des instrumentistes baroques. Instruments baroques et jeux informés, l’accord avec la cantatrice romaine insatiable chercheuse de perfection stylistique est total. La complicité développée avec eux est grande et le chef Gianluca Capuano n’est pas en reste. A n’en pas douter, le partage de la musique, le plaisir de l’offrir au public en sa vérité dramatique est bien le projet commun qu’ils construisent. Il me semble que cette collaboration amicale au sommet apaise la cantatrice qui arrive à mieux canaliser son énergie débordante. Même la robe portée tout le concert, d’un splendide vert Véronèse, n’est pas troquée comme c’était le cas dans le spectacle précédent dans une orgie de changements à vue spectaculaires mais un peu superficiels. La théâtralité de Vivaldi n’en est que davantage émouvante avec ces purs moyens musicaux. Tout au plus signalons le jeux expressif et manquant de pureté des cordes jouant le contraste systématiquement de la rugosité face au legato souple et enveloppant de Cecilia Bartoli. Le Vivaldi des Musiciens du Prince a une énergie débordante. On pourra avec subtilité les comparer aux Incogniti d’Amandine Beyer qui eux également renouvellent l’interprétation de la musique de Vivaldi. Ils viendront à Saint-Pierre des Cuisines dans les concerts du Musée le 6 Décembre.
Ce soir un son âpre et parfois fruste du plus bel effet mais qui implique un manque de précision et de « propreté » du son est un peu trop systématique. Ce parti pris s’effacera avec la musique du grand Haendel.
La deuxième partie du concert, donné sans véritable entracte, juste un réajustement de l’accord, ouvre le monde plus large et plus noble de Haendel. L’orchestre s’étoffe et le son gagne en profondeur et en largeur. Cecilia Bartoli débute avec la même joie partagée ce jeu de miroir avec un oiseau babillard comme en ouverture de concert chez Vivaldi. Haendel a les mêmes qualités de variété dans les exigences vocales. Cecilia Bartoli a la même aisance dans un art vocal total. Virtuosité diabolique, souffle immense, phrases portées à leur apogée, mélancolie à la noble tristesse, humour taquin, toutes les émotions habitent la cantatrice si bien entourée. Les musiciens solistes rivalisent de complicité : violon solo, flûte, hautbois, trompette. La rivalité jouée entre la cantatrice, le hautbois et la trompette apporte beaucoup de plaisir tant aux musiciens qu’au public. Deux bis, une chanson du XX e siècle et un duel à fleuret moucheté entre la voix et la trompette concluent cette soirée de joie et de beauté. Avec un humour incroyable Cecilia ira dans son duel chercher l’appui de la mélodie sublime Summertime de Gershwin : elle peut tout chanter la Bartoli !
A l’invitation des Grands Interprètes Cecilia Bartoli et ses Musiciens du Prince-Monaco nous ont offert un concert tout simplement royal !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 7 Novembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Airs et pièces instrumentales ; George Frédéric Haendel (1685-1759) : Ouverture, airs, pièces instrumentales ; Les Musiciens du Prince – Monaco ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Direction : Gianluca Capuano.
Critique .CD. G.F. HAENDEL. THEODORA. L. OROPESA. J. DI DONATO. P.A. BENOS-DJIAN. M. SPYRES. J. CHEST. IL POMO D ORO. M. EMELYANYCHEV. 3.CD ERATO. 2022.
THEODORA Oratorio mal connu mais superbe dans la meilleure version diponible !
Étrange carrière pour cet Oratorio qui ne trouve jamais vraiment son public. Haendel y tenait et pensait que c’était l’un de ses meilleurs Oratorio même si à chaque reprise le succès n’a pas été au rendez-vous de son vivant. Chaque fois que le public l’entend aujourd’hui il est ému par la simplicité et la beauté des airs et des chœurs. Moi-même en 2012 à la Chaise-Dieu.
Cet enregistrement fait lors de plusieurs concerts en 2021 garde une intensité que seuls les concerts offrent : car tout est vie dans cette version.
Maxime Emelyanychev semble galvaniser chacun, orchestre, chœur et solistes. Sa complicité avec Il Pomo d’Oro, son orchestre, est totale. Avec le chœur également sans contestation mais ce qui se passe avec les solistes est tout simplement fascinant. Chacun dans ses airs développe ses qualités les plus belles sans renoncer à une dimension dramatique soutenue par le chef. Ce sont les humbles qui ont les airs les plus émouvants. Voilà peut-être une explication du manque de succès de l’Oratorio : l’humilité des héros n’est pas assez brillante. Des héros de la modestie en quelque sorte. En tous cas quelles voix dans ce Cast !
Lisette Oropesa a un soprano noble et des phrasés de toute beauté. Le timbre est ombré de belles couleurs et fait merveille dans ce rôle de Noble patricienne devenue chrétienne et qui accepte la mort avec calme, la réclame même et a une hauteur de vue troublante. Sa Théodora est aussi émouvante qu’impressionnante avec une aisance totale dans les exigences vocales que Haendel lui confie. Sa grande scène du début de la partie deux avec plusieurs airs et récitatifs est très impressionnante. Et Haendel lui réserve deux très beaux duos avec Didymus et un autre avec Irène.
Joyce Di Donato au timbre de bronze et aux accents sincères donne beaucoup de puissance au rôle second de l’amie chrétienne, Irène. À elle également Haendel offre des airs absolument magnifiques. L’engagement de Joyce Di Donato ne fait pas mystère, c’est une actrice hors pair et ici la complicité avec le chef est brûlante. Ces airs subtilement nuancés, phrasés avec art sont portés par un orchestre de feu.
Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian au timbre si riche a un rôle dramatique semblant modeste mais les airs et les récitatifs sont si intenses que la magie vocale et dramatique se renforcent mutuellement. Phrasés subtiles, nuances délicates, mélancolie noble ou puissance dans les vocalises, cet artiste a tout d’un haendelien de haut vol. Son Didymus sensible et généreux est idéal.
Si un exemple peut suffire à prouver la valeur de la partition et la suprématie de cet enregistrement, je propose l’écoute du premier duo Didymus-Théodora fin de la scène trois de la deuxième partie avec l’orchestre profond et terrifiant de Maxime Emelyanychev. C’est somptueux en tout, absolument en tout !
Le ténor Michael Spyres est admirable de timbre et de style mais Septimius ne fait pas partie des personnages les plus passionnants.
John Chest a le rôle du méchant personnage, Valens, plus par obéissance à un pouvoir aveugle que par perfidie. Il est tout à fait bien chantant et incarne de manière satisfaisante ce personnage plutôt fade.
Le Chœur incarne les deux peuples : les païens vifs et joyeux et les chrétiens plus tourmentés et idéalistes avec le même bonheur. Maxime Emelyanychev accentue les contrastes d’écritures pour chaque chœur et l’effet en est saisissant.
Voici un enregistrement qui sans difficulté prend la tête des versions de la discographie en raison de la qualité des voix et de la direction dramatique et contrastée du chef. Maxime Emelyanychev demeure un chef baroque des plus merveilleux.
L’enregistrement est très précis, les bruits du public sont très atténués. Rien ne vient limiter le plaisir de l’écoute. L’orchestre et le chœur sont généreux et les voix toutes superlatives. Une grande version discographique qui est le reflet fidèle de grands concerts à la Philharmonie d’Essen en novembre 2021.
Hubert Stoecklin
Critique. CD. Georg Frédéric Haendel (1685-1759): Théodora, Oratorio HWV 68. John Chest, Valens ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Didymus ; Michael Spyres, Septimius ; Lisette Oropesa, Théodora ; Joyce Di Donato, Irène ; Massimo Lombardi, un messager ; Chœur Il Pomo d’Or. Directeur du chœur, Giuseppe Maletto ; Orchestre Il Pomo d’Or. Direction, Maxim Emelyanychev. 3 CD ERATO. Enregistrement à la Philharmonie d’Essen du 26 au 29 XI 2021. Code 5 054197 177910.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 octobre 2022. Concert symphonique. R. VAUGAN-WILLIAMS. E. W. KORNGOLD. D. CHOSTAKOVITCH. ONCT. C. HOOPES, violon. T. PELTOKOSKI.
Tarmo Peltokovski le génie à l’état pur et il n’a que 22 ans !
Quels contrastes ! A une semaine d’intervalle la Halle-Aux-Grains a été réveillée tant coté orchestre que public par un jeune chef de 22 ans. Parcourue par un frisson la salle a été subjuguée par le contraste entre les deux parties de concert. D’abord avec le violoniste Chad Hoopes le jeune chef a créé un duo de rêve, de songe doux, de musique pure dans des nuances sublimissimes de délicatesse. Le jeu de Chad Hoopes est d’une subtilité inimaginable. Tout est ligne de chant de bel canto, les nuances sont incroyablement creusées avec des pianissimi célestes. Dans la courte pièce de Vaughan-Williams, l’envol de l’alouette, il semble sur un fil d’or pouvoir créer le son d’un songe. C’est si délicat et si beau que l’émotion monte en nous. La beauté peut faire pleurer ! Dans le Concerto de Korngold il assume la dimension post romantique allant jusqu’à du pré hollywoodien. C’est incroyablement large, un chant plus verdien voir vériste. Car toujours avec son violon il chante, chante, chante. Le chef finlandais obtient de l’orchestre avec une autorité sidérante un jeu de nuances incroyable et une osmose sans pareil avec le soliste. C’est absolument merveilleux cet accord musical presque fusionnel entre les deux artistes et l’orchestre. Le public conquis fait un triomphe au violoniste si subtil et s’abstient après tant de grâce de demander un bis qui n’aurait pu qu’être vulgairement obtenu.
Pour la deuxième partie du concert l’orchestre s’étoffe comme la partition le réclame. La cinquième symphonie de Chostakovitch nous est bien connue à Toulouse. Tugan Sokhiev a fait aimer Chostakovitch au public comme à l’orchestre et il a joué plusieurs fois cette symphonie dans cette salle. La manière dont Tarmo Peltokoski s’empare de cette vaste partition laisse sans voix. Dirigeant par cœur, il donne une puissance incommensurable à la charge que contient cette partition subtile de Chostakovitch. Sous une facilité formelle apparente, avec des thèmes simples, des harmonies prévisibles, des nuances très marquées et une richesse d’orchestration diabolique Chostakovitch se moque de la censure qui l’avait si terriblement traumatisé avec les remarques acerbes sur sa Lady Macbeth de Mnensk.
Tarmo Peltokoski est effrayant de rigueur, d’audace et d’efficacité. Si son allure a quelque chose d’un premier de classe lorsqu’il entre en scène, il se transforme en un démiurge lorsqu’il dirige. Il est bien rare d’être saisi ainsi au collet par un chef de cette trempe à Toulouse. Ce concert en rattrape bien de trop calmes. Car ce soir tout est bourrasque, tempête, tonnerre et fin du monde. Au dernier accord le public hurle des bravos et une bonne partie de la salle se lève. Le public a vécu un moment rare et l’orchestre tout autant. Tous font un véritable triomphe à ce génie de la baguette de 22 ans !
Le concert est annoncé sur Medici TV et prévu sur Mezzo-Live le 28 octobre 2022, c’est à voir absolument ! Vous n’en croirez pas vos yeux ni vos oreilles, même derrière un écran !
CRITIQUE. CD. CINEMA par ALEXANDRE THARAUD, Piano. 2 CD ERATO.
Quel voyage avec Alexandre Tharaud au cinéma !
A n’en pas douter Alexandre Tharaud est le plus versatile des pianistes. Je me souviens comme il était bien plus qu’un accompagnateur de Juliette Binoche dans un spectacle dédié à Barbara que j’avais vu à Avignon en 2017. Une présence forte en plus d’un piano merveilleusement souple créait une entente exquise avec la belle Juliette Binoche.
Coté enregistrements cet artiste sort régulièrement du carcan classique ou il aurait pu s’enfermer. Ces deux CD sont la preuve et de son amour pour le cinéma, de sa vaste culture et de son gout exquis. Le premier CD piano orchestre trouve en Antonio Pappano mieux qu’un accompagnateur un véritable complice. L’Orchestre de l’Académie Sainte Cécile de Rome brille de mille feux. Quel son enveloppant et brillant au besoin, doux, mélancolique ou drôle ! Le cinéma français a la part belle et les compositeurs français bien évidemment : Michel Legrand, Claude Bolling, Vladimir Cosma, George Delerue, Philippe Sarde, Françis Lay ou Yann Tiersen. Les compositeurs plus internationaux sont représentés par le sublime John Williams et les immenses Ennio Morricone et Nino Rota.Toutes ces belles musiques nous invitent à nous laisser aller, à deviner le film, à se régaler du thème avant de souffrir un peu de le voir se terminer, heureusement le suivant nous console bien vite. C’est le seul petit reproche que je ferai : pour arriver à proposer une cinquantaine de titre ils sont sans développement une fois le thème exposé. Alors que nous pourrions imaginer Alexandre Tharaud développer des digressions délicieuses.
L’orchestre et le piano dans le premier CD s’entendent donc à ravir pour nous faire chavirer. Mais les surprises du deuxième CD ne sont pas moins merveilleuses. En solo ou avec des invités chanteurs ou instrumentistes le voyage se poursuit avec la même générosité.
La complicité est totale que ce soit avec les instrumentistes classiques ou de variété. Retrouver les tous dans le bas de l’article. Une constellation de stars !
La prise de son avec l’orchestre est somptueuse, aérée et large. En musique de chambre la même précision spatiale est un régal.
Critique. Enregistrement. 2 CD. ERATO. CINEMA. Alexandre Tharaud, piano. Les frivolités parisiennes ; Les trilles du diable ; Cornelia Jordana ; Vanessa Paradis ; singer ; Sabine Devielhe, soprano ; Nemanja Radulović, violon ; Michel Portal, clarinette ; Baptiste Dolt, share drum ; Orchestra dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia ; Direction Antonio Pappano. Code : 190296130922.
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 14 octobre 2022. ANTONIN DVORAK. RUSALKA. S. PODA. A. HARTING. P. BUSZEWSKI. ONCT. F. BEERMANN.
SUBLIME RUSALKA au Capitole !
Aussi incroyable qu’injuste, il a fallu attendre 2022 pour voir à Toulouse cette Rusalka de Dvorak. La partition de 1901 est d’une beauté farouche, la dramaturgie est efficace et cinq rôles sont absolument majeurs et permettent aux chanteurs de s’exprimer pleinement vocalement. Rajoutons combien l’orchestre également est sollicité par le compositeur de la symphonie du Nouveau Monde. Afin de rendre hommage comme il convient à ce chef d’œuvre, Christophe Ghristi, directeur du Capitole, a donné tous les moyens nécessaires, y compris une ouverture de saison, afin d’enchanter le public. Théâtres pleins, applaudissements passionnés, le succès est total car le résultat est je dois dire sidérant. Il est difficile de rendre compte de la magie d’une production réussie sans l’affadir, je vais toutefois détailler les éléments de cette réussite totale. Je commencerai par l’Orchestre, cela sera la porte d’entrée pour beaucoup car Dvorak est très connu comme compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme dans la musique symphonique l’orchestre de Rusalka est complet, puissant, subtil, très émouvant. La direction de Frank Beermann est idéale. Il connaît bien l’orchestre du Capitole, sa direction est très belle, elle laisse les musiciens s’épanouir en particulier les bois tout en maintenant une ligne de direction déterminée qui nous entraine dans le voyage et le drame. L’Orchestre du Capitole est conscient de la beauté de la partition et s’engage avec une ardeur magnifique. La beauté sonore de l’orchestre, sa délicatesse et les émotions qu’il porte laissent sans voix. Tous les musiciens sont superbes. Avec une mise en valeur particulière des bois et de la harpe. Coté distribution la même perfection se retrouve. Chacun est magnifique y compris les plus petits rôles comme par exemple les Nymphes. Valentina Fedeneva est une première Nymphepuissante avec une voix riche et nuancée. Citons-les tous : Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton. Aucune faiblesse ce sont de beaux artistes avec de très belles voix, arrivant chacun à créer une belle présence scénique. Les rôles principaux sont d’un niveau international avec une puissance expressive totale.
Aleksei Isaev est un Ondin parfait avec une prestance de dieu et une tristesse de père très troublante. La voix puissante sait se fragiliser pour exprimer sa peine.
En sorcière Jézibaba, Claire Barnet-Jones joue avec intensité et chante admirablement. La voix est sombre et inquiétante et la cantatrice est aidée par un costume spectaculaire.
Béatrice Uria-Monzon dans un rôle assez court arrive avec une voix très timbrée et puissante, un jeu subtil et un port de reine, à donner beaucoup de présence à son personnage de Princesse Étrangère.
Le couple maudit est particulièrement bine distribué en therme de scène et de voix. Piotr Buszewski est un prince idéal à la fois physiquement et vocalement. Timbre clair, voix dardée comme une fusée et un engagement total tant sur le plan vocal que dramatique. Pour une fois que le ténor a un vrai physique de jeune premier et une voix magnifique, nous avons un vrai Prince charmant !
Anita Hartig est une Rusalka désarmante et troublante. Le jeu modeste au début s’anime et la voix est somptueuse, riche en harmonique, ductile, nuancée à souhait. Les aigus sont purs et sonores, le medium est riche et gourmand et les graves pulpeux et onctueux.
Sur toute la vaste tessiture elle chante avec un bonheur total. La puissance qu’elle garde pour le duo final est bouleversante. Ce duo final avec le prince est un grand moment. Lui aussi oscille entre puissance et fragilité sur toute la tessiture. Elle tient une terrible ligne vocale sans siller.
L’opéra se termine en apothéose. Les chœurs ont de belles parties. Hors de scène le plus souvent, chacune de leurs interventions est remarquable.
Les danseurs, tous cités dans la distribution sont des artistes époustouflants semblant encore plus à l’aise dans l’eau que dans le salon de Prince c’est dire le travail extraordinaire réalisé. Leurs mouvements dans la grande mare sur scène apportent beaucoup à la magie du spectacle. Des conditions probablement très complexes ont été dépassées pour arriver à ce résultat sidérant de beauté. Bravo, bravissimo !
Pour tout le coté visuel il faut reconnaître que la cohérence du propos est admirable. C’est l’autodidacte Stefano Poda qui a tout conçu et a fait un travail absolument remarquable. En, ce qui concerne la scène tout est organisé autour d’un décor complexe. Une scène gorgée d’eau, offre une vaste étendue sur et dans laquelle des danseurs représentent les créatures élémentaires marines qui entourent Ondin et sa fille Rusalka. La magie du théâtre est complète et chacun peut croire que la mare est posée sur la scène et que les créatures peuvent y plonger et ressortir pour chanter. Trois murs transparents et liquides ferment l’espace. Ondin et Rusalka se déchirent à projos du désir de Rusalka. Celle-ci tombée est amoureuse d’un mortel veut changer d’état et en devenant humaine veut acquérir une âme. Le dialogue avec la sorcière Jézibaba est terrible mais la nymphe obtient gain de cause, elle va quitter le calme de son immortalité pour découvrir la passion du corps et la mort. La symbolique de Poda est assez simple et efficace. Le premier décor est celui de la nature belle et immaculée. Le deuxième acte nous plonge dans l’envers du monde, celui de la fabrication humaine, des jeux pervers entre les gens, de la pollution. Le décor mural sera comme une carte mère géante, le sol est fait de promontoires. Les danseurs forment des couples violents, ce ne sont plus les corps qui parlent mais les costumes. La violence de la chorégraphie ne cache pas la perversion des relations sexuelles. Le prince et Rusalka se conforment visuellement à ce modèle et petit à petit sur l’intervention de la violence de la Princesse étrangère la relation du prince avec sa bien-aimée qui reste muette se dégrade. La souffrance du prince qui veut mais ne peut supporter le silence de sa belle est très perceptible. L’incommunicabilité est fatale.
Sa fuite dans le badinage avec la Princesse Étrangère n’est pas légère mais désespérée. Rusalka retrouve la voix et un chant désespéré pour terminer l’acte. Le drame est scellé. Le troisième acte nous fait retrouver l’eau magique. Rusalka y entrainera dans une étreinte mortelle son bien aimé qui lui offre sa vie. A défaut de se comprendre les amants se lient dans la mort. La nature comme abimée retrouve l’espoir de la croissance. Des nymphes déplacent de petits pots bien modestes mais qui formeront de grands arbres. Cette opposition, cette incompréhension entre le mode des simples de nature et les créateurs de la civilisation de labeurs est symbolisée par le couple impossible Rusalka la nymphe et le Prince. Des mains gigantesques embarrassent le ciel ou l’eau. L’effet est redondant, la symbolique des mains comme pire et meilleures amies de l’homme est trop encombrante. A vouloir trop montrer Poda s’enlise sur ce point. Ce reste hérité de sa rencontre avec Beni Montresor dont des décors et costumes très riches et des images belles mais toujours lourdes est dommageable. Car Beni Montresor travaillait avec des metteurs en scène. Je me souviens très bien de son Nabucco en 1979 à Paris à la beauté écrasante. Certes les personnages peuvent être réduits à des abstractions dans ce conte symboliste mais à trop penser aux décors, costumes et effets scéniques, le jeu des corps humains a été délaissé. La mise en scène de ce point de vue est déficiente. En tout cas même à ce prix la magie a ravi le public car c’était un décor vraiment spectaculaire. Musicalement l’émotion était bien présente par la partition, brillamment défendue par la qualité des voix et un orchestre parfaitement dirigé par Frank Beermann.
Les photos illustrant la critique ne rendent compte que d’une partie de la magie car la beauté des mouvements des corps des danseurs, surtout dans l’eau ne peut qu’être imaginée.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. TOULOUSE, le 16 octobre 2022. Théâtre du Capitole. Antonin Dvorak (1841-1904) : Rusalka. Conte lyrique en trois actes. Crée le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague.
Stefano Poda : Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie ; Paolo Giani cei, collaboration artistique ; Distribution : Anita Hartig, Rusalka ; Piotr Buszewski, Le Prince ; Aleksei Isaev, Ondin ; Béatrice Uria-Monzon, La Princesse étrangère ; Claire Barnet-Jones, Jézibaba ; Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton ; Danseurs : Jorge Calderon, Maud Boissière, Juliette César, Arthur Delorme, Xavier-Gabriel Gocel, Elise Griffon, Izaskun Insausti Lorente, Marine Jardin, Antoine Lecouteux, Grégoire Lugué-Thébaud, Steven Nacolis, Léa Pérat, Florian Perez, Marion Pincemaille, Sophie Planté, Cyril Vera-Coussieu. Orchestre National du Capitole ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, Gabriel Bourgoin, chef de chœur. Direction : Franck Beermann. Photos Mirco Magliocca.
Sur un Cactus à l’entracte ça discute ferme de cette mise en scène
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur : Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.
Un petit Requiem en concert
Ein Deutsches Requiem de Brahms est une œuvre singulière qui n’a rien de comparable avec d’autres Messe des Morts. L’émotion qu’il dispense repose sur la sincérité avec laquelle il a été écrit et demande la même qualité chez les interprètes. Rien de démonstratif mais rien de retenu non plus.
Ce soir cet équilibre émotionnel n’a pas été trouvé. David Reiland dirige avec précaution et semble très soucieux du chœur. Il construit un équilibre sonore parfait évitant toute difficulté aux solistes comme au chœur. Chaque partie sera entendue comme il convient. Il y un vrai sens de l’équilibre des plans sonores chez le chef Belge. L’orchestre du Capitole est ductile sans engagement véritable ce soir. Le Chœur du Capitole est sonore, peu enclin aux nuances. Les sopranos n’ont pas la qualité angélique attendue avec des aigu forte assez durs et les basses trop discrètes n’apportent pas le réconfort habituel par manque de rondeur. Les solistes sont inégaux. Le jeune baryton Johann Kristinssohn a une fraicheur et une simplicité qui convient bien à son texte et sa ligne de chant est élégante. La soprano Sunhae Im a une voix élimée qui peine à rester stable. La difficulté de son chant, l’acidité du timbre, ne permettent pas d’atteindre la consolation attendue dans cet air sublime de simplicité.
Ce concert a été une simple exécution musicale, sans chaleur, ni tension. Cela produit l’impression d’un concert de jolie musique non pas d’une Messe des Morts.
On peut me rétorquer que la Halle-Aux-Grains convient mal à une œuvre sacrée. Certes mais je fais partie de ceux qui ont eu la chance d’entendre cette œuvre deux fois en 2011 et 2016 dirigée par Tugan Sokhiev avec le chœur Orfeo Donostiarra et des chanteurs adéquats et à chaque fois toutes les émotions ont été au rendez-vous. Cela n’a donc rien d’impossible… Cela ne semble pas avoir été l’option choisie ce soir. Je fais partie de ceux qui ont regretté d’avoir assisté à un simple concert. Les temps changent assurément !
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 15 octobre 2022. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, Op.45. Sunhae Im, soprano ; Johann Kristinsson, baryton ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, chef de chœur : Gabriel Bourgoin ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. David Reiland, direction.
La Kabylie rêvée d’Amel Brahim-Djelloul et ses amis est un enchantement !
Cantatrice franco-algérienne, soprano lumineuse baroque et mozartienne, Amel Brahim-Djelloul a bien des cordes à son arc et fait une très belle carrière. Le confinement lui a donné le temps de construire son projet alliant ses racines algériennes et lyriques françaises pour un projet très personnel dédié à la Kabylie. S’entourant de musiciens de grands talents, dont son frère Rachid, d’un véritable arrangeur compositeur, Thomas Keck, et d’une poète kabyle Rezki Rabia, elle a enregistré une heure de musique entièrement dédiée à cette montagne aux magnifiques paysages, un peu magiques avec un coté parfois inquiétant au nord de l’Algérie. C’est ainsi que se succèdent dans une harmonie parfaite des musiques, de variété, des musiques anciennes et des compositions modernes. L’instrumentarium est des plus variés, des instruments modernes : cordes, guitare, clarinette, mandoline,harpe ; plus anciens : viole de gambe, ney, oud, cithare, mandole ; ou plus traditionnels encore : derbouka, daf, bendir, tar … Le mariage est très heureux et le disque s’écoute comme un voyage très agréable. La langue kabyle travaillée avec le poète Rezki Rabia coule dans la voix d’Amel avec facilité. Son amour pour la poésie de cette langue se devine à chaque instant, les émotions variées contenues dans les textes sont facilement reconnues, c’est la fête, les retrouvailles, le temps qui passe, la vie qui va, les départs, les séparations, la peur, la joie. La délicatesse du texte dans les A Capella est un enchantement. Savoir ainsi créer une osmose de cette qualité avec tous ces artistes amis est vraiment remarquable. Le résultat passe évidemment par la belle voix d’Amel Brahim Djelloul mais chacun, musicien ou poète est un acteur fondamental. Les racines rêvées de leur Kabylie de paix et de mystère permettent un voyage musical délassant.
Le dialogue orient- occident de la musique ancienne m’est bien connu avec les remarquables concerts construits par Jordi Savall et régulièrement enregistrés : le oud, le ney et la viole de gambe sont des instruments souvent rencontrés. Le travail dans cet enregistrement est tout autre : c’est une recréation de pure poésie ouvrant sur les époques et les genres musicaux divers.
Ainsi les chansons d’Idir sont magiques dans cette voix si pure. Des sonorités qu’Oum Kalthoum ou Fayruz, deux divas chantant en arabe, n’auraient pas désavouées inscrivent certains moments dans un vrai langage musical populaire. Celles écrites pour l’enregistrement par Thomas Keck sur des poèmes de Rezki Rabbiaont un charme intemporel et complètent admirablement le programme. Le confinement a été prolifique car ce projet a pu se fortifier et s’enregistrer en suivant.
Les photos du très beau livret des musiciens masqués rappellent cette époque si étrange. Le résultat est un Chemin qui monte vers des lieux de paix et de bonheur. La qualité précise de l’enregistrement ajoute au charme de l’écoute et les traductions du livret permettent de comprendre la poésie subtile des textes. Une série de concerts est programmée, nous savons que le succès sera au rendez-vous !
CRITIQUE. COFFRET CD. CLAUDIO ARREAU(1903-1991).The Complete WARNER CLASSICS recordings. 24 CD. Enregistrements de 1920 à 1962.
CLAUDIO ARREAU : Le Maître de la pondération et de l’élégance.
Né au tout début du XXème siècle ce pianiste légendaire fait partie du Brelan d’As du piano occidental avec Wladimir Horowitz son quasi jumeau, lui aussi né en 1903 et Arthur Rubinstein plus âgé né en 1887. A eux trois ils ont dominé le piano du XXème siècle en occident. Carrières fantastiques, enregistrements pléthoriques : ils ont offert leur art pour la postérité étant eux-même des héritiers du XIXème siècle. Il n’est pas question de comparer vainement trois artistes si immenses mais je crois pouvoir dire que l’art de Claudio Arreau est celui de la pondération et de l’élégance. Qualités rares et surtout qui n’ont rien à voir avec de la tiédeur mais relèvent du plus grand respect. Respect du compositeur d’abord avec une précision et une rigueur stylistique dans l’exécution absolument sidérantes ; son jeu est toujours impeccable. Il y a également le respect du public auquel l’interprète offre sa sensibilité, son jeu n’est jamais distant, sa proposition interprétative est complexe mais sans jamais l’encombrer de la moindre trace d’histrionisme. Les moyens techniques de Claudio Arreau sont inouïs. Il a eu comme seul enseignement celui de Martin Krause (1853-1918) détenteur d’une technique sensationnelle qu’il avait lui-même hérité directement de Frantz Liszt. Cette technique Arreau l’a appliquée à toute nouvelle œuvre travaillée et lui a permis de tout jouer avec le même bonheur. Songeons qu’il a joué l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Bach, l’intégrale des sonates de Beethoven et de Mozart en concerts dès les années 50 ! Jamais, même dans sa jeunesse, Claudio Arreau n’a joué au virtuose, au grand jamais ; il a toujours été avant tout un musicien. C’est d’ailleurs ce qui semble lui avoir déplu aux USA où la recherche du sensationnel était une qualité. Le legs discographique de Claudio Arreau est considérable, il a changé de maison d’enregistrement avec le temps. Cet artiste avait certainement le répertoire le plus vaste possible. Les enregistrements dont il sera question ici sont ceux réalisés entre 1920 (il avait 17 ans) et 1962 au sommet de son art. Warner Classics a regroupé tout ce qui n’était pas dans le coffret Decca-Phillips (qui lui comprend 80 CD de ses enregistrements plus tardifs). Ce sont donc avec Warner ces premiers 24 CD, tous magnifiques et dont l’écoute est passionnante. On peut faire un parallèle entre le développement de la carrière du pianiste Chilien et les progrès de l’enregistrement. En 1920 Arreau est un jeune pianiste, ex-enfant prodige. Il est plein de doutes mais joue dans la cour des grands. Vocalion avec prudence lui fait enregistrer pour un disque 78 tours des courtes pièces. Une valse de Chopin et un moment musical de Schubert. C’est beau, sensible, élégant mais le son est embrumé. Après avoir gagné le concours de Genève il enregistre en Allemagne pour Electrola dans la fin des années 20 encore du Chopin (études), du Liszt. Pour avoir son Debussy si subtil et la première œuvre conséquente, Le Carnaval de Robert Schumann, il faudra attendre la fin des années 30 dans la qualité d’enregistrement pour le microsillon. C’est véritablement à partir de cette période que l’accord entre la qualité du jeu du pianiste et la fidélité de la restitution des enregistrements va vers la perfection. Les enregistrements des années 50 sont faits chez EMI à Londres avec la belle qualité que nous leur connaissons. Le grand Walter Legge en a produit plusieurs. C’est Beethoven qui va devenir le compositeur fétiche de Claudio Arreau au disque. Les sonates et tous les concertos de piano sont des grands moments de musique. Les enregistrements plus tardifs en stéréo sont peut-être plus extraordinaires mais le charme des premiers enregistrements mono est inestimable. Le jeu lumineux, charpenté et s’écoulant naturellement de Claudio Arreau est magnifique. Les qualités de l’interprète sont majeures il joue Beethoven comme s’il comprenait chaque note et toute la construction de chaque partition. Ce qui me frappe c’est la capacité à rendre dans une musicalité très pure la dimension spirituelle, voire surnaturelle qui affleure à certains moments dans la musique de Beethoven. Je songe aux dernières sonates, au quatrième concerto de piano. Il y a une magie propre à la qualité de son jeu qui me fascine. L’accord également avec certains chefs est hallucinant ; ainsi Alceo Galliera, le compagnon le plus sensible est le plus présent, avec Otto Klemperer dans un Concerto l’Empereur ils atteignent une puissance rare et l’entente avec Carlo Maria Giulini pour la version Stéréo des concertos de Brahms reste inoubliable, avec une qualité métaphysique de la musique faite ensemble en harmonie qui est bouleversante. Le Philharmonia Orchestra est toujours ductile et particulièrement phonogénique. Ailleurs la fluidité de son Schubert, sa franche lumière, ombrée juste ce qu’il faut, tout cela est incroyable : des Moments musicaux de rêve, une Wanderer Fantaisie magique. Dans Chopin il restitue une musicalité pure qui fait de sa version de la sonate n°3 une référence et avec lui les Études qui peuvent être si austères gagnent en beauté et inventivité. Les perles rares d’autres Debussy, d’un peu de Granados rappellent combien cet artiste savait trouver des couleurs inouïes dans ce répertoire plus contemporain. Le Concerto n°1 de Tchaïkovski est impérial, le ConcertStuck de Carl Maria Von Weber est d’une poésie rare. Les concertos de Grieg et Schumann ne cèdent rien à d’autres versions discographiques au sommet. Arreau peut tout jouer, à chaque fois il suscite l’intérêt et gagne l’approbation du musicophile. Ce coffret Warner Classics est sensationnel, il accompagne dans des œuvres toutes sublimes l’émergence d’un artiste inoubliable avec une qualité de prise de son qui frôle la perfection. Il convient de signaler que la remasterisation d’après les enregistrements originaux est très remarquable, elle permet de déguster la qualité du jeu du pianiste qui est d’une pureté cristalline. Les nuances sont très creusées et la précision digitale limpide.
Un beau coffret qui permet de passer de très beaux moments musicaux avec un Artiste irremplaçable.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE. Enregistrements. Coffret Warner Classics. CLAUDIO ARREAU (1903-1991), piano. Enregistrements de 1920 à 1962. 24 CD. Beethoven. Mozart. Chopin. Schubert. Schumann. Brahms. Tchaïkovski. Grieg etc… Philharmonia Orchestra ; Alceo Galliera, Otto Klemperer, Caro Maria Giulini : chefs. Parution 14 Octobre 2022.
CRITIQUE. CD. ROOTS. NEMANJA RADULOVIC, violon. ENSEMBLE CONTRE SENS. WARNER CLASSICS.
Nemanja Radulović chausse les bottes de sept lieux et nous entraine…
Quels beaux moments et qui passent comme un songe lors de l’écoute de cet enregistrement : La magie de la musique sans frontières, comme nous en avons tant besoin, est toujours exceptionnelle ! Nemanja Radulović l’explique très bien. Durant la pandémie il n’a pu jouer en public et a pris le temps d’écouter des tas de choses en famille. L’envie de faire de la musique avec les amis de son ensemble Double Sens ne pouvait se faire uniquement avec de la musique classique. Il voulait faire davantage pour son retour à l’enregistrement. En effet le violon est un instrument universel et le violoniste a cherché sans tabous ce qui lui plaisait. L’Europe des Balkans, bien sûr a la part belle. Nemanja est originaire de Serbie, sa sensibilité le pousse vers cette Europe Centrale avec des influences de l’Est, puis il nous entraine également en Chine, en Amérique du Sud, en Europe du Sud en Irlande et vers les musiques de film. Chacun aura son morceau préféré à un moment ou l’autre tant la pure beauté émeut, je ne sais quel moment je préfère. Les émotions sont si variées que la rencontre avec sa propre sensibilité peut varier à chaque nouvelle écoute. Car tout est beau, entrainant et en un mot irrésistible. La voix étrangement mature de Ksenija Milosević, premier violon de l’orchestre, semble intemporelle. Le violon de Nemanja Radulović est à l’aise dans toute musique, il semble pouvoir tout faire avec son violon, doubles cordes, harmoniques, pizzicati et même jouer avec un plectre…
Pour son premier enregistrement chez Warner Classics un nouveau monde semble s’ouvrir au-delà de ce que la musique classique peut représenter de fermé.
C’est LA MUSIQUE du violon et sans frontières. Les musiciens de Double Sens sont partie prenante de ce projet et leur joie de la découverte sans limites est communicative. Quel beau voyage ! Il n’y a que de la bonne musique et des musiciens d’exception. Les racines de la musique sont faites de joie, de liberté et de partage. Merci à Nemanja Radulović et ses amis de nous les offrir de manière si limpide !
Hubert Stoecklin
Critique CD. ROOTS. Compositeurs divers dont : Manuel de Falla, Aleksandar Sedlar, Jonče Hristovski, Žarko Jovanović, Chen Gang, He Zhanhao, Eliyahu Gamliel, Matityahu Shelem, Luiz Bonfá, Tony Muréna, Joseph Colombo, Dámaso Pérez Prado… Nemanja Radulović, violon. Double Sens.
Warner Classics. Enregistré en 2022, sortie le 7 octobre.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. 43 ième FESTIVAL PIANO JACOBINS.
30 sept. 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. I.ALBENIZ. F. CHOPIN.
Nelson Goerner éblouissant à Piano Jacobins
Nelson Goerner a fermé avec un éclat particulier la 43° édition de Piano Jacobins. Le pianiste argentin a atteint un statut de démiurge qui se confirme à chaque apparition. Cet été à La Roque d’Anthéron déjà nous avions été éblouis. Ce soir dans la magnifique et chatoyante acoustique de la salle capitulaire du Cloitre des Jacobins il ne se perdait pas la plus petite nuance, l’inflexion du phrasé la plus subtile, comme les couleurs les plus chatoyantes. Le jeu de Nelson Goerner dans les ballades de Chopin est comme improvisé avec une puissance créatrice inouïe. Il s’approprie ces pages si personnelles de Chopin, tellement différentes et totalement surprenantes avec une évidence quasi surnaturelle. Aucune séduction facile, un jeu exigeant obtenant une écoute concentrée. Chopin est sous ses doigts un compositeur innovant requérant des moyens considérables. Nelson Goerner interprète ces quatre ballades avec une apparente facilité. Il est étourdissant ! Après un court entracte il choisit les derniers cahiers d’Ibéria d’Albeniz. La peut-être encore d’avantage que chez Chopin, il semble chez lui. L’ampleur des sonorités qu’il trouve font exploser les timbres et s’iriser les couleurs d’une Espagne plus idéalisée que folklorique. Quel beau piano, quelle belle musique ! Nelson Goerner est animé d’une sorte de gourmandise et communique au public son amour pour cette musique aux harmonies si surprenantes, aux rythmes si inventifs et à la virtuosité si grisante. Il domine si superbement ces partitions et nous fait oublier leur incroyable difficulté. Il peut tout jouer, il a la puissance et la grâce du dieu Apollon. Il fait un lien direct entre les compositeurs et le public comme si son jeu était juste celui plein d’humilité d’un passeur. Le voir si souriant et rayonnant en fin de concert est si agréable que le public lui fait une ovation et obtient évidemment avec des bis de prolonger l’harmonie de la musique partagée sur ces sommets. Nelson Goerner est un musicien géant, son jeu au piano est aussi humble que magnifique !
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 30 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert. Frédéric Chopin (1810-1849) : Quatre Ballades. Isaac Albeniz (1860-1909) : Iberia, Cahiers III et IV. Nelson Goerner, piano.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 21 sept. 2022. Récital Marie VERMEULIN, piano. V. MOREL. Ch. SOPHY. M.BONIS.
La délicatesse et la charme pour le récital de Marie Vermeulin
Piano aux Jacobins en partenariat avec le Palazetto Bru-Zane reçoit ce soir une artiste délicate dans un programme particulièrement original. Marie Vermeulin a choisi trois compositrices françaises du XIXe siècle. Le patient travail de redécouverte, édition et enregistrements fait par cette fondation basée à Venise au Palazetto Bru-Zane est remarquable et comble un manque cruel. La saison du Palazetto Bru-Zane est internationale et depuis peu une radio en ligne permet de découvrir des œuvres aussi belles que rares. Ce magnifique récital va donc certainement être enregistré et chacun pourra découvrir combien ces compositrices sont talentueuses. Avec un naturel et une amabilité très remarquables Marie Vermeulin donne quelques informations sur l’œuvre qu’elle va interpréter. Ainsi la première compositrice, élève au conservatoire de Louise Farenc, a écrit ces études mélodiques avec une intelligence sidérante. Le terme mélodique est investi totalement par Marie Vermeulin et son interprétation est lyrique et pure à la fois. La mélodie est toujours au premier plan et les éléments virtuoses au second. Cela produit un effet de pureté et de modestie qui met la poésie de la musique à l’honneur. Un jeu nuancé et fluide nous permet de déguster des œuvres toutes agréables, surprenantes et passionnantes. Il est impensable que ces études ne trouvent pas leur place dans les récitals habituels. La génération 1810, ne rougirait pas de la compagnie des études de Virginie Morel. La deuxième compositrice est tout aussi peu connue. Charlotte Sophy a pu être jouée de son vivant et a bénéficié d’un début de reconnaissance même si trop souvent elle ne disait pas que le Ch. de son prénom n’était pas Charles mais Charlotte. Sa sonate est remarquable par sa concision et sa richesse harmonique. Les thèmes sont charpentés et vibrent, les rythmes peuvent être d’une complexité redoutable. Le jeu de Marie Vermeulin gagne en largeur et en puissance. Le final sur une danse bretonne endiablée est enthousiasmant. Le public ravi fait une ovation à l’interprète et semble conquis par cette œuvre. Comment a-t-on pu l’ignorer si longtemps ?
Mel Bonis est mieux connue et bénéficie d’une notoriété enviable pour ses consœurs. Les pièces réunies de manière posthume sous le titre « femmes de légendes » commence à prendre part dans les récitals. Marie Vermeulin distille chaque portrait avec une délicatesse extrême. Son jeu varié et virtuose arrive à nous éblouir, nous émouvoir et nous faire rêver. Il serait tout à fait injuste de cantonner le piano de Mel Bonis à du piano de salon. Cette œuvre remarquable a un pouvoir d’évocation tout à fait troublant lorsque la force de l’interprétation est si belle.
Compositrice grande amie de Debussy, Mel Bonis a une musicalité délicieuse. Le côté impressionniste et symbolique de certains moments musicaux, par exemple dans le portrait de Mélisande, sont de grandes qualités. Marie Vermeulin trouve dans ce répertoire à mettre en lumière toutes ses qualités lumineuses de virtuosité et de poésie. Voilà une très belle artiste dans un répertoire passionnant enfin redécouvert.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 septembre 2022. Cloître des Jacobins. Concert. Virginie Morel (1799-1869) : Huit études mélodiques : Introduction, La calma, La disprezata, La berceuse, L’intercezza, Barcarolle, Romanza, Le papillon ; Charlotte Sophy (1887-1955) : Sonate ; Mel Bonis (1858-1937) : Femmes de légendes : Ophélie, Viviane, Phoebe, Salomé, Omphale, Mélisande, Desdemone. Marie Vermeulin, piano.
CRITIQUE ENREGISTREMENT. ALISON BALSOM : QUIET CITY. WARNER CLASSICS/ERATO. Août 2022.
ALISON BALSOM ouvre un autre monde, une autre galaxie à la Trompette
La trompette classique est un instrument aimé pour son brillant, son audace, ses traits aigus virtuoses (des concertos de Haydn à Poulenc) et ses joutes à fleuret moucheté avec la voix (pensons à Haendel et à Bach). Alison Balsom y excelle depuis ses débuts fracassants en 2000. Ses concerts mettent le public a ses genoux (nous-même en 2017). Ses enregistrements sont tous des références. La trompettiste anglaise est encore bien plus musicienne que cela et avec cet enregistrement somptueux elle ouvre un autre monde, une autre galaxie à son instrument. En rendant un hommage ému aux trompettistes de jazz elle joue des pièces arrangées pour l‘immense Miles Davis. Dans ce CD elle ose tout simplement chercher un autre monde sonore pour la trompette. Un monde de demi-teintes, de brumes, de clair-obscur ou de nuit. Elle ose des notes graves de pure poésie et des phrasés d’une délicatesse de camée. Ce jeu avec la lumière est fascinant et le programme qui débute avec la pièce éponyme Quiet City de Copland a une véritable cohérence artistique alors que les éléments peuvent paraître disparates. C’est le ton, la poésie qui font l’évidence du programme à l’écoute. Elle s’entoure de musiciens aussi doués qu’elle avec un orchestre d’élites : le Britten Sinfonia dirigé subtilement par Scott Stroman. Et les arrangements et transcriptions sont diaboliquement réalisés et permettent de redécouvrir avec une subtilité éloquente les œuvres si connues comme Rhapsody in Blue, le Concerto Aranjuez ou My Ship de Kurt Weil. Au Centre du récital the Unanswered Question de Charles Ives, autre œuvre originale pour la trompette, est peut-être le joyau en termes de sonorités inouïes, nuances infimes et phrasés de pure poésie.
La virtuosité est tout autre mais non moins spectaculaire : qui aurait imaginé possible un glissando si sensuel pour ouvrir la Rhapsody in Blue ? Qui pensait possibles des volutes pianissimo sur toute la tessiture ? Qui imaginait un souffle si long ? Qui osait rêver cette fragilité qui devient force ? Voilà un travail d’orfèvre avec des complices de génie.
Ce CD est absolument indispensable à tout amoureux de la musique, celui qui l’aime dans ses lumières variées !
Un tel jeu de trompette c’est de la très, très grande classe ; cela grandi l’instrument !
Hubert Stoecklin
QUIET CITY : ALISON BALSOM, TROMPETTE. BRITTEN SINFONIA. SCOTT STROMAN : direction.
7 pistes. 54’06’’. Aaron Copland (1900-1990): Quiet City ; Leonard Bernstein ( 1918-1990) : Lonely Town : Pas de deux (arr. Alison Bolsom) ; George Gershwin ( 1898-1937) : Rhapsody in Blue ( arr. Simon Wright) ; Charles Ives (1874-1954) : The Unanswered Question ; Joachim Rodrigo ( 1901-1999) : Concierto de Aranjuez : Adagio ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis) ; Kurt Weil ( 1900-1950) : My Ship ( arr. De Gil Evans pour Miles Davis).
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. FESTIVAL PIANO JACOBINS, le 14 sept. 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano TCHAIKOVSKI. SCHUBERT
C’est un vrai bonheur de retrouver le Cloitre des Jacobins avec un récital d’un musicien si merveilleux. Christian Zacharias nous a offert une soirée de rêve comme il en a le secret.
Nous avions été subjugués le mois dernier à La Roque d’Anthéron, il jouait et dirigeait avec tant d’élégance le concerto Jeunehomme de Mozart. Ce soir son récital frôle la perfection. Je ne sais quoi préférer. Le programme si bien construit, le jeu naturel et évidant du pianiste, l’ambiance magique du lieu ? Quoi qu’il en soit le public a été unanime qui a fait une ovation tonitruante au musicien. Le concert était annoncé complet et le silence du public qui retenait son souffle a été souvent remarquable par une qualité d’écoute très spéciale. L’alchimie entre le musicien, le public et le lieu a été parfaite.
Les saisons de Tchaïkovski est une œuvre qui renoue avec le succès public et le mérite. Sous les doigts de Christian Zacharias l’œuvre déploie un charme plein de naturel, de surprises avec des nuances très riches, des couleurs variées et des phrasés subtiles. Tout cela avec une facilité déconcertante. Christian Zacharias est un pianiste aux moyens phénoménaux toujours offerts avec naturel et élégance. Jamais aucun effet démonstratif, aucun soulignement des efforts, tout coule sous les doigts de la Musique. L’impression que cet homme EST La Musique se confirme. Il nous offre une courte pièce, probablement de Tchaïkovski, en bis de la première partie.
Après une courte pose l’artiste se lance dans une interprétation inoubliable de la sonate de Schubert en ré majeur D. 850. Je connais bien sa manière si exquise d’aborder les sonates de Schubert car j’ai écouté tant de fois son intégrale gravée en 1985. Ce soir il a un tempo légèrement plus retenu que dans son enregistrement. Cela lui permet surtout d’être d’une souplesse admirable tout en gardant un rythme implacable. Cette sonate est comme un ruisseau qui coule avec son thème qui la parcourt et revient sans cesse. L’élément liquide que contient le jeu du pianiste convient admirablement à cette sonate du bonheur. Le ré majeur exulte et le chant est celui de la joie. Le dialogue contenu dans le deuxième mouvement est absolument délicieux, plein de tendresse et de délicatesse d’âme. Bien sûr cette musique contient des parts d’ombres mais si infimes et si vite rendues à la lumière solaire que l’impression finale est une joie humaine communicative irrépressible. L’humour du dernier mouvement si proche de l’enfance avec ses toutes dernières notes comme évanouies laisse le public sans voix. Quel chic, quelle classe, quelle perfection ! Le merci à Christian Zacharias prend l’allure d’une cataracte d’applaudissements nourris. Le musicien dans un français exquis offre deux bis en expliquant combien il est quasi impossible du jouer quelque chose après cette sonate, même du Schubert…. Il va toutefois offrir des variations élégantes et légères de Beethoven, puis un extrait de Scarlatti.
Comme rajeuni après ce récital si généreux le musicien de 72 ans quitte le Cloître avec son allure de jeune homme espiègle.
Un vrai bonheur a irradié ce soir dans le Cloître des Jacobins pour fêter la 43 ième édition de ce si beau festival. Juste débutée le 9 septembre dernier il promet d’autres merveilles !
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 14 septembre 2022. Cloitre des Jacobins. Concert. Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Les saisons Op. 37b ; Frantz Schubert (1797-1828) : Sonate n°17 en ré majeur Op. 53D, D.850. Christian Zacharias, piano.
Mes trois derniers concerts à La Roque d’ Anthéron pour cette 42 deuxième édition prouvent la variété des propositions. Trois concerts on ne peut plus différents. Le récital plein de charme et un jeu très sensuel du pianiste espagnol Luis Fernando Pérez, bien connu des Toulousains. Marc-André Hamelin qui va venir à Piano Jacobins mérite toute notre attention par un jeu précis et une intelligence sidérante. Cela dit c’est un peu au dépend de l’émotion toutefois.
Et en Concert Final, l’Orchestre de Chambre de Lausanne en majesté et la découverte d’un pianiste au timbre ensorceleur et au jeu chaud et incarné : Jorge GONZALES BUAJASAN. Renaud Capuçon artiste médiatisé à outrance est un partenaire au violon du meilleur niveau mais se révèle un bien piètre chef d’orchestre…
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital Luis Fernando PEREZ, piano. BACH. MONPOU. GRANADOS.
Luis Fernando Pérez toute l’élégance du piano hispanique
Pour ce concert de 11 h la salle est bien pleine et la rencontre entre le public et le pianiste dès son entrée en scène est très franche. Dans un français délicieux, il explique un léger changement de programme et son besoin de la partition tant la composition de Mompou est complexe. Nous voulons bien le croire mais son jeu est si élégant tout du long qu’aucune difficulté ne semble le limiter. Il est souverain dans cette partition complexe aux harmoniques improbables et aux rythmes déstructurés. La modernité de l’œuvre rend le thème méconnaissable bien souvent, mais le retrouver même devenu grotesque est un jeu intéressant. Puis il se lance dans la Grande Chaconne de Bach revue par Busoni. C’est un grand moment de piano dans lequel virtuosité et beauté se donnent la main. Avec un art très serein Pérez en donne une interprétation précise et d’une grande profondeur. La virtuosité est assumée dans cette élégance suprême qui caractérise le jeu de cet artiste.
Pour terminer son récital Luis Fernando Pérez choisit une œuvre qu’il connaît particulièrement bien et qui met en valeur toutes ses qualités : les Escenas Romanticas de Granados. Sans rien y mettre de folklorique il en rend toute l’hispanité avec une évidence de chaque instant. Ce piano est fluide, nuancé et chaloupé. Les couleurs sont innombrables et toujours l’attention est stimulée par la variété du jeu. La douceur de certains phrasés est une délectation et les rythmes bien charpentés sont tonifiants. La douce mélancolie de certains moments, la douleur d’autres et la gaité parfois, tout se suit comme dans la vie. Le naturel avec lequel ce musicien interprète ces pièces nous fait penser qu’il les connaît comme si c’était lui qui les avait composées. L’appropriation est d’une évidence sidérante. Il est chez lui dans cette musique et nous invite avec la noblesse et la simplicité d’un grand seigneur.
Le succès est grand et le public plébiscite un artiste qu’il apprécie toujours énormément. Avec beaucoup de gentillesse il nous offre un bis, qu’il a choisi pour La Roque : Mamboco, une Danse précolombienne. Cet air populaire prend sous ses doigts une grande élégance et devient une musique délicieuse. Le musicien quitte son public bien aimé dans un large sourire. Le bonheur était partout dans la salle et chez l’artiste. Très beau concert à 11 h avec un artiste très attachant.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium Centre Marcel Pagnol. Récital de Luis Fernando PEREZ, piano. Jean-Sébastien BACH (1685-1750) / F. BUSONI (1686-1924) : Chaconne de la partita pour violon n°2 BWV 1004 ; Federico MONPOU (1893-1987) : Variations sur un thème de Chopin ; Enrique Granados (1867-1916) : Escenas Romanticas. Crédit photo : Christophe Gremiot 2019.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. BACH. HAMELIN. BEETHOVEN.
Le pianiste canadien sensationnel à connaître!
Venu du Canada Marc-André Hamelin fait l’actualité au disque avec un enregistrement mémorable de Sonates de Carl-Philipe Emmanuel Bach, encensé par la critique. La sonate Württembourgeoise qui ouvre son récital est une œuvre magnifique originale et qui fait un beau portrait de ce fils Bach si doué. Une certaine modernité, un chant éperdu dans l’andante et une virtuosité assumée. Marc-André Hamelin est parfait. Style impeccable, son généreux et legato supérieur. Il semble très à l’ais avec ce compositeur dont il rend les beautés très désirables.
Puis Le compositeur-interprète se révèle. Avec beaucoup de délicatesse il nous offre sa dernière œuvre, une suite de danse à l’ancienne qui semble sœur de Ravel et Debussy lorsqu’ils se livrent à des hommages au style ancien. La fraicheur de l’invention et la virtuosité sont très intéressantes. Ce jeu impeccable, ces nuances subtiles et ces couleurs variées sont des qualités très remarquable. Hamelin interprète rend très vivante la composition de Hamelin compositeur. Il renoue avec tous ces virtuoses-compositeurs avec talent.
Pour finir son récital le pianiste Canadien se lance dans une interprétation très originale de la sonate « Hammerklavier » de Beethoven que je n’ai jamais entendu sonner ainsi. C’est comme si Hamelin la jouait en compositeur qui en apprécie toute la construction. Il nous la rend limpide, joue droit et certains tempi sont très rapides. Cette virtuosité impeccable a quelque chose d’un peu froid, il n’y a rien d’expressif dans ce jeu, rien de romantique. Tout est mis en perspective absolument tout. Il n’y a jamais d’ombres, tout est lumineux. Cette lecture analytique et parfaite déroute, elle fait redécouvrir l’œuvre.
L’effet sur le public est électrisant. Ce n’est pas tous les jours qu’un tel chef d’œuvre nous est révélé autrement.
Le succès considérable de l’artiste réchauffe l’ambiance et il offre trois bis à son public conquis.
Sa lecture d’Images, Reflets dans l’eau de Debussy est tout aussi iconoclaste, révélant la modernité de l’œuvre plus que sa poésie. Cet artiste a une énorme culture pianistique entre Europe et Amériques. Il propose deux œuvres très rares de William Bolcom, compositeur américain avec deux Rag plein de vie.
Marc-Antoine Hamelin est un artiste original et attachant que la Roque nous a fait découvrir ce soir, un grand merci !
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 19 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de Marc-André HAMELIN, piano. Carl Philippe Emmanuel BACH (1714-1788) : Sonate Württembourgeoise en la bémol majeur Wq 49/2 ; Marc-André HAMELIN (né en 1961) : Suite à l’ancienne ; Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827) : Sonate pour piano n°29 « Hammerklavier » Op.106.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 20 août 2022. Concert. Jorge GONZALES BUAJASAN, piano. Orchestre de Chambre de Lausanne. Renaud CAPUCON. MENDELSSOHN.
Concert de clôture festif pour la 42ième édition du Festival de La Roque d’Anthéron.
Il y a deux jours nous avons pu voir le chef charismatique qui avait eu en charge l’Orchestre de Chambre de Lausanne de 2000 à 2013. Christian Zacharias a laissé une forte empreinte à ce bel orchestre. Ce soir l’orchestre est dirigé par un chef récemment installé à sa tête : Renaud Capuçon qui s’improvise ainsi chef d’orchestre. Il ne nous a pas convaincus un instant. Il n’a aucune qualité pour cela et semble même perdu lorsqu’il joue et doit reprendre la direction de l’orchestre. C’est étrange comme ce violoniste de talent peut se fourvoyer ainsi. Cela n’a pas eu de conséquences car l’orchestre sait jouer seul avec des regards constants entre les quatre chefs de pupitres du quatuor à cordes. Ce programme tout Mendelssohn rend hommage à ce très grand compositeur bien trop négligé. Le concerto pour piano et violon est très bien écrit proposant des moments originaux entre le passage d’une forme sonate à des moments d’orchestre avec instruments obligés. C’est très souple, la virtuosité est musicalement agréable et les mouvements s’enchaînent avec facilité. Le jeu de pianiste cubain Jorge Gonzales Buajasan est très intéressant. Une belle pâte avec une noblesse de ton et une souplesse admirable. Les couleurs sont belles, les nuances subtiles et les doigts du musicien sont très agiles. Voilà un pianiste aux qualités remarquables, nous le retrouverons avec plaisir.
Renaud Capuçon est un violoniste impeccable qui est un partenaire sûr et dont le jeu est à la hauteur des exigences de la partition. Il s’agit d’un bien beau concerto qui aurait sa place plus régulièrement dans la programmation des salles de concerts. Pour la deuxième partie la joyeuse symphonie Ecossaise de Mendelssohn est une bonne idée pour finir en beauté un festival heureux qui après deux années terribles a retrouvé son large public. Oui c’était la fête à La Roque car le pari de René Martin est gagné ; sa détermination et son organisation parfaite ont ravi le public venu très nombreux et également ce soir pour fêter la Musique. Cette symphonie avec les belles couleurs de l’Orchestre de Chambre de Lausanne est un enchantement. Précision, nuances et élégants phrasés, rien ne manque à l’orchestre. Heureusement Renaud Capuçon les a laissé jouer, se contentant de gestes généraux sans rien leur demander en particulier. Ils avaient tout le plaisir du monde à jouer et ne s’en sont pas privé. Nous avons entendu une symphonie magnifiquement sonore avec un final enthousiasmant. Rarement à la Roque d’Anthéron les derniers sons n’auront pas été ceux d’un piano solo ; ce soir ce sont les cors qui resteront en mémoire comme une joyeuse expression de liberté. Vive la Musique et la liberté ! Le public enthousiaste a obtenu le bis du deuxième mouvement de la symphonie. Pour ma part je serai bien resté avec le son si joyeux des cors dans le final de la symphonie comme un hymne.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Récital Christian ZACHARIAS, piano et direction. Orchestre National d’Auvergne. MOZART. HAYDN.
Christian ZACHARIAS l’Homme Musique !
Enfin nous l’avons eu l’orchestre digne de la délicatesse de Mozart et de Haydn. Après beaucoup de difficultés avec le Sinfonia Varsovia dirigé par Aziz Shokhakimov (concerts des 5, 8 et surtout 11 août) cela a fait l’effet d’un véritable réconfort pour une bonne partie du public. Dès les toutes premières mesures de la délicieuse symphonie n°43 de HAYDN la grâce a inondé le parc du Château. La nuit n’avait pas le caractère apaisant des autres soirs mais un coté magique plus inquiétant avec un orage tout proche. Christian Zacharias n’est pas un simple chef d’orchestre, c’est un fabricant de Musique. Sa gestuelle est des plus personnelles, il n’y a pas de battue métronomique, il n’utilise pas de baguettes, mais au contraire des gestes gracieux construisant dans l’espace la musique à naître que le son des instrumentistes concrétise concomitamment. Cette magie est fascinante et apporte une sérénité inouïe. L’Orchestre National d’Auvergne se révèle être d’une précision horlogère, d’une pureté de sonorité rarissime et d’une souplesse admirable. Haydn est un artisan de l’orchestre des plus soigneux et sait profiter de chaque instrument. Deux hautbois, deux cors et un basson en plus des cordes pour ce soir. Christian Zacharias sait mettre en lumière chaque niveau d’écriture, chaque phrasé, chaque nuance avec un art de chaque instant. Tout est magnifique, avance et raconte quelque chose de la beauté du monde. Le final de cette symphonie, qui lui a donné son nom (Mercure), fuse et explose de joie. Un monde de joie et de beauté nous a été offert par ces artistes magnifiques.
Le temps d’installer le piano et voici Christian Zacharias dos au public pour diriger l’orchestre et jouer. Ce concerto « Jeune homme » de MOZART est une merveille en tout point. L’interprétation de ce soir est à marquer d’une pierre blanche tant la perfection est partout. Orchestre de vif argent, de douceur et de pureté toujours impeccable en tout et le piano si inventif et juste de Christian Zacharias. Il met tout son art du toucher en forme et toute son inventivité dans de nombreuses cadences et abellimenti comme un chanteur d’opéra.
C’est absolument divin. Un moment le danger de l’orage s’est matérialisé et a interrompu pour un court instant la fête du final du concerto. En étant de dos, ne voyant pas exactement ce qui se passait (des trombes d’eau sur le public) et entendant un bruit grandissant Christian Zacharias avec sa sensibilité en effervescence a dû s’arrêter n’arrivant plus à se concentrer sur son piano, le jeu de l’orchestre et la conduite à bon port de ses cadences. Après un court instant, sur les conseils en coulisse de Richard Martin, il a repris et tout s’est terminé dans une allégresse totale. Nous étions mouillés mais pas trempés car protégés par les capes distribuées en début de concert. Ah que ce festival est bien organisé, comme les bénévoles savent être attentifs et prévenants !
Chacun rassuré sur le passage de l’orage, le concert a pu reprendre avec la symphonie des adieux qui commence sur une énergie si noble et digne. Un Orchestre qui sonne n’a pas besoin du nombre car l’allure obtenue par Christian Zacharias est magnifique de carrure et de noblesse. Les plans s’articulent avec naturel, les nuance sont somptueuses, les attaques hyper précises, et les chants éperdus. Cet orchestre est absolument magnifique. Que ne l’avons eu plus tôt ! Son travail avec Christian Zacharias ne date que d’une année mais on devine un partage de musique au sommet. En discutant avec des instrumentistes après le concert ils sont unanimes Zacharias est un musicien d’exception et tout à fait enthousiasmant. Quand on sait que d’abord il a eu une carrière de pianiste si riche avec des enregistrements de références dans Schubert en particulier (ses sonates !) et que sa carrière de chef est déjà si riche il est bien plus qu’un pianiste et un chef. A 72 ans il a une vivacité, un allant, une souplesse de tout jeune homme. Longue vie à cet artiste entièrement fait de musique qui sait si bien la partager. Nous le retrouverons en soliste musicien à Toulouse à Piano Jacobins et justement dans Schubert…
Le concert se termine dans l’allégresse avec deux bis. D’abord Zacharias au piano dans un délicieux Rondo en ré majeur de Mozart, frais et irradiant. Puis avec l’orchestre un extrait de la Petite Musique de Nuit de Mozart. Une élégance totale, une précision enthousiasmante et une jubilation souveraine. Un véritable enchantement avec une œuvre archi connue qui sous les doigts de ses musiciens de grand talent et ainsi dirigée revit plus belle que jamais.
Ce concert restera exceptionnel a plus d’un titre pour la beauté de l’orchestre, la richesse de l’interaction chef, pianiste, l’orchestre si sublime et cet orage spectaculaire et si peu grave, protégé que nous étions par les prévenances des bénévoles de l’association. La vie est belle à La Roque d’Anthéron !
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 18 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Concert. Joseph HAYDN (1732-1809) : Symphonie n°43 en mi bémol majeur « Mercure », Symphonie n°45 en fa dièse mineur « Les adieux » ; Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791) : Concerto pour piano n°9 en mi bémol majeur K.271 « Jeunehomme » ; Orchestre national d’Auvergne ; Christian Zacharias, piano et direction. Photos Valentine Chauvin.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. CHOPIN.SCHUMANN.
Nelson Goerner le plus grand pianiste-musicien ?
Oui certainement ce soir à La Roque d’Anthéron !
Le programme d’une grande cohérence fait se suivre 4 Ballades de Chopin puis les Études Symphoniques de Schumann. Programme athlétique s’il en est ! Sinon jumeaux de 1810 du moins amis partageant une admiration réciproque, Chopin et Schumann, ont chacun été des compositeurs inoubliables pour le piano. Chopin avec son côté exclusif a écrit des pages parmi les plus géniales pour le piano. Schumann a su ouvrir à d’autres instruments sa muse mais au début de sa vie il s’est tout entier abandonné au piano. Sa folie de l’excès l’a conduit à s’imposer une attelle en cuir et métal en voulant des doigts trop obéissants pour la virtuosité, il en a résulté une blessure digitale définitive qui lui a interdit la carrière de pianiste.
Le piano des Ballades et des Études Symphoniques se ressemblent par une forme d’absolu que partagent leurs compositeurs.
Les quatre Ballades sont des pièces autonomes, libres et superbement construites dans leurs allures insaisissables. En débutant par celle en sol mineur Nelson Goerner savait que les deux musiciens admiraient cette œuvre, Chopin aurait dit à Schumann que c’était sa composition préférée. Nelson Goerner s’y engage avec toute son âme en faisant presque son propre portrait pianistique : largeur de ton, ampleur des sonorités, couleurs irisées, nuances infinies. Ce piano vit toutes les émotions et la technique sublime se met au service de cette musique sublime. C’est immense ! Quelle puissance digitale !
Les trois autres Ballades soulignent tel ou tel aspect, développent des directions diverses mais tout était déjà évoqué dans la première ballade. Leur enchainement nous fait vivre un moment qui nous fait perdre le souffle tant la beauté de ce piano nous envoûte et la subtilité du musicien nous fait fondre. Comment ce diable de Nelson, que pourtant je connais bien, arrive-t-il ce soir à gravir encore plus haut l’échelle vers la perfection ? Est-il galvanisé par l’hommage qu’il veut rendre à son ami Radu Lupu ? C’est probable.
Après une courte pause Nelson Goerner va en véritable athlète nous faire entendre les Études Symphoniques de Schumann dans leur intégralité et dans un même geste interprétatif. La musique sublime de Schumann rencontre en Nelson Goerner un interprète idéal. Il a tout, la vaillance et l’héroïsme, la force des forte semblant dévastatrice et la délicatesse des piani est à la limite de l’audible, toujours avec une incroyable richesse en harmoniques. Les couleurs qu’il trouve sur tout l’ambitus du clavier sont ahurissantes. Tant de richesse, tant de puissance et avec cette simplicité, cette évidence… Nelson Goerner a des moyens phénoménaux tant pianistiques que musicaux, il nous offre un programme idéal de beauté interprété dans une dimension apollinienne. Après son concert Nelson Goerner a pu dire quelques mots sur l’hommage qu’il a souhaité rendre à son ami et ce génie du piano. Il a semblé être soulagé, souriant, heureux. Ce bonheur il l’a partagé avec un public enthousiaste applaudissant sans fin qui a obtenu quatre bis inénarrables. Humour, vélocité, sensibilité, puissance, il a tout osé. Jugez : Intermezzo en la majeur de Brahms comme Radu Lupu (à pleurer de tendresse), l’étude le torrent de Chopin (dans un tempo d’enfer), L’andante de la sonate en la majeur de Schubert (dans un toucher exquis) et pour achever la soirée sur un exploit plus fou encore, La Rhapsodie Hongroise N°6 de Liszt dans laquelle semblent se trouver toutes les difficultés inimaginables. Nelson Goerner atteint une plénitude de moyens artistiques qui en font ce soir un Apollon du piano venu apporter par la beauté une consolation aux auditeurs du Parc Florans. Merci !
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de piano de Nelson Goerner en hommage à Radu Lupu. Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Ballades n°1 en sol mineur Op.23, n°2 en fa majeur Op.38, n°3 en la bémol majeur Op.47, n°4 en fa mineur Op.52 ; Robert Schumann (1810-1856) : Études Symphoniques Op.13.
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON 42ième édition , le 12 août 2022.
Récital Marie-Ange NGUCI, piano.
RACHMANINOV, SCRIABINE, PROKOFIEV.
Depuis 2020 le Festival International de La Roque d’Anthéron a expérimenté des concerts le matin à 11h. Le soleil se levant sur le grand amphithéâtre ne permettait pas au public venu en nombre d’être à son aise. Et en cet été de canicule cela aurait été tout à fait impossible. L’auditorium Marcel Pagnol dans les hauteurs de La Roque, à la place de l’ancienne piscine (regrets ?), est un lieu idéal. Frais et confortable le public était nombreux pour le récital de la pianiste albano-française Marie-Ange Nguci (prononcer Gucci). Cette toute jeune femme hyper douée et très diplômée fera parler d’elle, c’est certain. Nous l’avions découverte bouleversée et bouleversante, il y a quelques jours, lors de la soirée d’hommage à Nicholas Angelich / soirée spéciale “Les amis de Nicholas”, 10 août 2022.
Magnifique récital de Marie-Ange NGUCI
Admise dans sa classe à 13 ans, elle a bénéficié de son enseignement une année. Visiblement elle en a beaucoup appris. Comme lui, elle fait avant tout de la musique en se servant de son instrument, le piano, cherchant toute la musique cachée jusque dans la virtuosité la plus folle. Comme lui elle a un toucher capable de légèreté elfique. Son récital d’œuvres rares et belles est somptueux. Avec une maîtrise technique absolue, elle interprète chaque pièce avec une délicatesse inouïe, cherchant tout de la construction de l’œuvre afin de la rendre limpide.
Car si les Variations d’après Chopin de Rachmaninov gardent du thème choisi une certaine séduction, on ne peut pas dire que la Sonate de Scriabine ou celle de Prokofiev sont des œuvres faciles pour le public. Rachmaninov sonne avec des couleurs qui peuvent être éclatantes mais surtout les clairs-obscurs sont délicieusement mis en valeur. Quelles beautés dans la variété de la palette sonore de son piano ! La 5ème sonate de Scriabine est redoutablement complexe. Marie-Ange Nguci nous la rend limpide. Elle sait en tirer toute la musique cachée sous les méandres de tonalités fugaces, les rythmes variés. Quel staccato, quel toucher délicat, quelle puissance. La richesse de son toucher est vertigineuse.
Dans la Sonate n°6 de Prokofiev, la pianiste rajoute la noirceur, la méchanceté et la cruauté de la guerre comme le sarcasme propre à la musique de Prokofiev. Mais là également la musique règne et jusqu’à la toute dernière goutte, la musique de ces pages vertigineuses est débusquée par cette interprète incroyablement perspicace. Marie- Ange Nguci a 24 ans. Elle est une musicienne accomplie, son jeu est d’une richesse incroyable. Nous la suivrons et vous entendrez parler d’elle, c’est certain, Marie-Ange Nguci voici un nom à retenir !
CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 11 août 2022. Concert David KADOUCH. Tanguy de WILLIENCOURT, piano. SINFONIA VARSOVIA. Azis SHOKHAKIMOV. SCHUMAAN. WIECK-SCHUMANN.
Le Premier Concerto de Clara enfin révélé : il est magnifique !
L’an dernier ici même David Kadouch nous avait fait découvrir son travail original autour d’Emma Bovary et des compositrices romantiques empêchées de s’exprimer pleinement pour des raisons socio-familiales, mais ayant composé de magnifiques œuvres. Son dernier CD est d’ailleurs en vente depuis peu reprenant ce programme avec des compositions de Fanny Mendelssohn et de Clara Schumann en particulier. Il est tout naturel qu’il vienne défendre le premier concerto de Clara Wieck-Schumann. L’œuvre est magnifique. Pas juste intéressante, mais magnifique. D’une patte originale mais peut-être plus proche de Chopin que de Schumann, si je peux me permettre cette idée un peu réductrice. Les mouvements sont enchaînés. Son premier mouvement a de l’allure et permet un dialogue franc entre le piano et l’orchestre avec des moments de très grande virtuosité. Le deuxième mouvement débute sans se faire remarquer comme l’émanation d’une immense cadence, l’effet est très original. Ce mouvement est plein de délicates volutes, de demi teintes et de couleurs diaphanes et offre un magnifique duo avec le violoncelle. Le final joyeux a des allures de polonaise. Le charme indéniable de cette œuvre mérite de renter au répertoire des salles de concerts. La virtuosité est toujours musicale et les effets de doigts ou de manches ne sont pas là pour satisfaire les pianistes narcissiques. Venant d’une grande virtuose comme l’était Clara Wieck la suprématie de la musique sur la technique enchante. Le seul regret est que ce concerto ne dure pas 20 minutes, mais est-ce si important ? Le jeu de David Kadouch est un enchantement. Le toucher est exquis, les nuances subtiles et les couleurs irisées. Son jeu mieux que virtuose est lumineux, plein d’élégance et semble facile. La gourmandise des phrasés rend vraiment justice à l’œuvre de Clara Wieck-Schumann. L’orchestre est un peu abrupt parfois mais le chef semble prendre plaisir à cette œuvre jusque-là inconnue. Les instrumentistes sont très engagés surtout le violoncelle solo qui se révèle admirable : le dialogue amoureux entre le piano et le violoncelle est très émouvant. C’est vraiment la découverte et la parfaite interprétation du concerto de Clara qui fait tout le prix de ce concert.
Car l’orchestre avait débuté en « massacrant » l’ouverture Op. 42 de Robert Schumann. Est-ce dû à un manque de cohésion ou à la fatigue, ce que laissent supposer les quelques soucis de justesse.
Je n’ai pas envie de détailler non plus le concerto de Robert Schumann joué par Tanguy de Williencourt. Le choix d’un piano brillant et le jeu « tutta forza » du jeune homme, soutenu par le chef comme pour réveiller son orchestre, ne sont pas de nature à mettre en valeur les subtiles humeurs du concerto de Robert Schumann, ses nuances, ses moments chambristes, ses couleurs… Son concerto ce soir a sonné comme n’importe quel concerto brillant, sous des doigts virtuoses… No comment !
Ah comme Clara et David Kadouch en fin de concert ont su nous transporter !
Les bis de David Kadouch également avec une mélodie magnifique de Fanny Mendelssohn puis en partageant son succès, un duo à quatre mains de Dvorak, offrant à Tanguy de Williencourt l’occasion de faire un peu de musique ce soir.
CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Récital en hommage à NICHOLAS ANGELICH. Gabriele CARCANO. Violaine DEVEBER. Jean-Baptiste FONLUPT. François-Frédéric GUY. Etsuko HIROSE. Marie-Ange NGNUCI. Bruno RIGUTTO.
Le concert des amis de Nicholas
Soirée très particulière marquée par une émotion forte autant sur scène que dans le public. En tant que témoin critique j’ai fait partie des plus émus. Je ne souhaite donc par rédiger une critique habituelle. Ce soir ce terme est tout à fait inconvenant. Je veux simplement témoigner de ce qui s’est passé sur scène ce soir. Nicholas Angelich est mort le 18 avril 2022 à 51 ans. L’âge de la plénitude artistique où l’équilibre entre force de virtuosité et délicatesse d’interprétation s’épousent pour ne cesser de s’épanouir. Le dernier concert auquel je l’ai entendu m’avait marqué par une sorte de transe dans laquelle je le voyais nous offrir la musique de Beethoven comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Même ses collègues l’avaient félicité pour ce qu’il avait fait d’inouï dans la dernière sonate de Beethoven lors du marathon de l’année 2020 à La Roque. Donc ce concert hommage a eu lieu pour beaucoup là-même où ils avaient entendu Nicholas pour la dernière fois ! Car le grand artiste avait été très rare sur scène ensuite. Il a fallu beaucoup du courage à la jeune Violaine Debever pour débuter ce concert dans cette ambiance si particulière. Scarlatti était un choix idéal. Sans enjeux affectif sa musique pure a permis de débuter ce qui allait être une aventure périlleuse pour les artistes.
N’oublions pas que ce qui les lie est cette recherche constante d’équilibre entre perfection instrumentale et émotion partagée. Ce soir les attitudes et les mimiques, le jeu même, étaient souvent significatifs de cet équilibre sur le point de se perdre mais jamais lâché. Quel courage et quelle maîtrise sont les leurs ! La deuxième musicienne courageuse a été Etsuko Hirose. Cheveux cachant son visage au début, elle s’est lancée crânement dans un Brahms au romantisme éperdu. Puis c’est le jeune Gabriele Carcano qui avec un legato suprême chantait Schubert revu par Liszt. La plus vulnérable a certainement été Marie-Ange Nguci qui a joué du Rachmaninov magnifiquement, comme sur un fil, c’était tout à fait bouleversant. Chaque artiste a lutté à sa manière pour accepter cette émotion sans la laisser diriger leur jeu. Ainsi ce qui était particulièrement touchant sont les œuvres interprétées à plusieurs claviers à 2, 3 ou 4 sur un ou deux pianos. Même les plus aguerris comme Bruno Rigutto et François-Frédéric Guy ont d’abord joué à deux pianos. Ainsi Bruno Rigutto a-t-il débuté avec Jean-Baptiste Fontlup dans deux Rachmaninov sensibles et pudiques.
Bruno Rigutto nous a ensuite émus avec un Nocturne de Chopin en ut mineur avec cette alternance de tension puis de relâchement dont il a le secret. François-Frédéric Guy lui n’a joué qu’en deuxième partie. D’abord avec Marie-Ange Nguci dans un soutien mutuel visible et touchant.
Il faut dire qu’il a eu la merveilleuse idée ensuite de jouer le deuxième mouvement de la sonate Op.111 de Beethoven : celle-là même que Nicholas Angelich avait jouée pour son dernier concert à La Roque ! Très certainement cela aura été très coûteux pour lui et très bouleversant pour nous de l’entndre jouer les même dernières notes que Nicolas Angelich ici même en l’été 2020. Jean-Baptiste Fontlup a proposé « La vallée d’Obermann » de Liszt dans des sonorités riches, des lignes puissamment charpentées et une belle virtuosité. Chacun a donné ce qu’il pouvait faire de mieux en solo en un soir pareil, mais ce sont les ensembles qui ont vraiment montré cette fraternité musicale qui les unit, qui les renforce y compris dans la danse macabre de Saint-Saëns à 4 sur deux pianos !
Et quel final ce Rachmaninov à six mains ! Les yeux au ciel, la main tendue vers le ciel en cette nuit de lune, tous saluent à leur manière l’âme musicale de Nicholas, musicien si délicat, prince si aimé et parti trop tôt, avant de devenir roi alors qu’il en avait tous les moyens. Un bouquet de fleur en fond de scène représentait cette âme musicale de Nicholas Angelich aujourd’hui devenue ange.