RUSALKA ressuscitée au Capitole de Toulouse

CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 14 octobre 2022.  ANTONIN DVORAK. RUSALKA. S. PODA. A. HARTING. P. BUSZEWSKI. ONCT. F. BEERMANN.

SUBLIME RUSALKA au Capitole !

Aussi incroyable qu’injuste, il a fallu attendre 2022 pour voir à Toulouse cette Rusalka de Dvorak. La partition de 1901 est d’une beauté farouche, la dramaturgie est efficace et cinq rôles sont absolument majeurs et permettent aux chanteurs de s’exprimer pleinement vocalement. Rajoutons combien l’orchestre également est sollicité par le compositeur de la symphonie du Nouveau Monde. Afin de rendre hommage comme il convient à ce chef d’œuvre, Christophe Ghristi, directeur du Capitole, a donné tous les moyens nécessaires, y compris une ouverture de saison, afin d’enchanter le public. Théâtres pleins, applaudissements passionnés, le succès est total car le résultat est je dois dire sidérant. Il est difficile de rendre compte de la magie d’une production réussie sans l’affadir, je vais toutefois détailler les éléments de cette réussite totale. Je commencerai par l’Orchestre, cela sera la porte d’entrée pour beaucoup car Dvorak est très connu comme compositeur de la Symphonie du Nouveau Monde. Comme dans la musique symphonique l’orchestre de Rusalka est complet, puissant, subtil, très émouvant. La direction de Frank Beermann est idéale. Il connaît bien l’orchestre du Capitole, sa direction est très belle, elle laisse les musiciens s’épanouir en particulier les bois tout en maintenant une ligne de direction déterminée qui nous entraine dans le voyage et le drame. L’Orchestre du Capitole est conscient de la beauté de la partition et s’engage avec une ardeur magnifique. La beauté sonore de l’orchestre, sa délicatesse et les émotions qu’il porte laissent sans voix. Tous les musiciens sont superbes. Avec une mise en valeur particulière des bois et de la harpe. Coté distribution la même perfection se retrouve. Chacun est magnifique y compris les plus petits rôles comme par exemple les Nymphes. Valentina Fedeneva est une première Nymphe puissante avec une voix riche et nuancée. Citons-les tous : Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton. Aucune faiblesse ce sont de beaux artistes avec de très belles voix, arrivant chacun à créer une belle présence scénique. Les rôles principaux sont d’un niveau international avec une puissance expressive totale.

Aleksei Isaev est un Ondin parfait avec une prestance de dieu et une tristesse de père très troublante. La voix puissante sait se fragiliser pour exprimer sa peine.

En sorcière Jézibaba, Claire Barnet-Jones joue avec intensité et chante admirablement. La voix est sombre et inquiétante et la cantatrice est aidée par un costume spectaculaire.

Béatrice Uria-Monzon dans un rôle assez court arrive avec une voix très timbrée et puissante, un jeu subtil et un port de reine, à donner beaucoup de présence à son personnage de Princesse Étrangère.

Le couple maudit est particulièrement bine distribué en therme de scène et de voix. Piotr Buszewski est un prince idéal à la fois physiquement et vocalement. Timbre clair, voix dardée comme une fusée et un engagement total tant sur le plan vocal que dramatique. Pour une fois que le ténor a un vrai physique de jeune premier et une voix magnifique, nous avons un vrai Prince charmant ! 

Anita Hartig est une Rusalka désarmante et troublante. Le jeu modeste au début s’anime et la voix est somptueuse, riche en harmonique, ductile, nuancée à souhait. Les aigus sont purs et sonores, le medium est riche et gourmand et les graves pulpeux et onctueux.

Sur toute la vaste tessiture elle chante avec un bonheur total. La puissance qu’elle garde pour le duo final est bouleversante. Ce duo final avec le prince est un grand moment. Lui aussi oscille entre puissance et fragilité sur toute la tessiture. Elle tient une terrible ligne vocale sans siller.

L’opéra se termine en apothéose. Les chœurs ont de belles parties. Hors de scène le plus souvent, chacune de leurs interventions est remarquable. 

Les danseurs, tous cités dans la distribution sont des artistes époustouflants semblant encore plus à l’aise dans l’eau que dans le salon de Prince c’est dire le travail extraordinaire réalisé. Leurs mouvements dans la grande mare sur scène apportent beaucoup à la magie du spectacle. Des conditions probablement très complexes ont été dépassées pour arriver à ce résultat sidérant de beauté. Bravo, bravissimo !

Pour tout le coté visuel il faut reconnaître que la cohérence du propos est admirable. C’est l’autodidacte Stefano Poda qui a tout conçu et a fait un travail absolument remarquable. En, ce qui concerne la scène tout est organisé autour d’un décor complexe. Une scène gorgée d’eau, offre une vaste étendue sur et dans laquelle des danseurs représentent les créatures élémentaires marines qui entourent Ondin et sa fille Rusalka. La magie du théâtre est complète et chacun peut croire que la mare est posée sur la scène et que les créatures peuvent y plonger et ressortir pour chanter. Trois murs transparents et liquides ferment l’espace. Ondin et Rusalka se déchirent à projos du désir de Rusalka. Celle-ci tombée est amoureuse d’un mortel veut changer d’état et en devenant humaine veut acquérir une âme.  Le dialogue avec la sorcière Jézibaba est terrible mais la nymphe obtient gain de cause, elle va quitter le calme de son immortalité pour découvrir la passion du corps et la mort. La symbolique de Poda est assez simple et efficace. Le premier décor est celui de la nature belle et immaculée. Le deuxième acte nous plonge dans l’envers du monde, celui de la fabrication humaine, des jeux pervers entre les gens, de la pollution. Le décor mural sera comme une carte mère géante, le sol est fait de promontoires. Les danseurs forment des couples violents, ce ne sont plus les corps qui parlent mais les costumes. La violence de la chorégraphie ne cache pas la perversion des relations sexuelles. Le prince et Rusalka se conforment visuellement à ce modèle et petit à petit sur l’intervention de la violence de la Princesse étrangère la relation du prince avec sa bien-aimée qui reste muette se dégrade. La souffrance du prince qui veut mais ne peut supporter le silence de sa belle est très perceptible. L’incommunicabilité est fatale.

Sa fuite dans le badinage avec la Princesse Étrangère n’est pas légère mais désespérée. Rusalka retrouve la voix et un chant désespéré pour terminer l’acte. Le drame est scellé. Le troisième acte nous fait retrouver l’eau magique. Rusalka y entrainera dans une étreinte mortelle son bien aimé qui lui offre sa vie. A défaut de se comprendre les amants se lient dans la mort. La nature comme abimée retrouve l’espoir de la croissance. Des nymphes déplacent de petits pots bien modestes mais qui formeront de grands arbres. Cette opposition, cette incompréhension entre le mode des simples de nature et les créateurs de la civilisation de labeurs est symbolisée par le couple impossible Rusalka la nymphe et le Prince. Des mains gigantesques embarrassent le ciel ou l’eau. L’effet est redondant, la symbolique des mains comme pire et meilleures amies de l’homme est trop encombrante. A vouloir trop montrer Poda s’enlise sur ce point. Ce reste hérité de sa rencontre avec Beni Montresor dont des décors et costumes très riches et des images belles mais toujours lourdes est dommageable. Car Beni Montresor travaillait avec des metteurs en scène. Je me souviens très bien de son Nabucco en 1979 à Paris à la beauté écrasante. Certes les personnages peuvent être réduits à des abstractions dans ce conte symboliste mais à trop penser aux décors, costumes et effets scéniques, le jeu des corps humains a été délaissé. La mise en scène de ce point de vue est déficiente. En tout cas même à ce prix la magie a ravi le public car c’était un décor vraiment spectaculaire. Musicalement l’émotion était bien présente par la partition, brillamment défendue par la qualité des voix et un orchestre parfaitement dirigé par Frank Beermann.  

Les photos illustrant la critique ne rendent compte que d’une partie de la magie car la beauté des mouvements des corps des danseurs, surtout dans l’eau ne peut qu’être imaginée.

Hubert Stoecklin

Critique. Opéra.  TOULOUSE, le 16 octobre 2022. Théâtre du Capitole. Antonin Dvorak (1841-1904) : Rusalka. Conte lyrique en trois actes. Crée le 31 mars 1901 au Théâtre National de Prague.

Stefano Poda : Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie ; Paolo Giani cei, collaboration artistique ; Distribution : Anita Hartig, Rusalka ; Piotr Buszewski, Le Prince ; Aleksei Isaev, Ondin ; Béatrice Uria-Monzon, La Princesse étrangère ; Claire Barnet-Jones, Jézibaba ; Valentina Fedeneva, Première Nymphe ; Louise Foor, Deuxième Nymphe ; Svetlana Lifar, Troisième Nymphe ; Fabrice Alibert, Le garde forestier, le chasseur ; Séraphine Cortez, Le marmiton ; Danseurs : Jorge Calderon, Maud Boissière, Juliette César, Arthur Delorme, Xavier-Gabriel Gocel, Elise Griffon, Izaskun Insausti Lorente, Marine Jardin, Antoine Lecouteux, Grégoire Lugué-Thébaud, Steven Nacolis, Léa Pérat, Florian Perez, Marion Pincemaille, Sophie Planté, Cyril Vera-Coussieu. Orchestre National du Capitole ; Chœur de l’Opéra National du Capitole, Gabriel Bourgoin, chef de chœur. Direction : Franck Beermann.  Photos Mirco Magliocca.

Sur un Cactus à l’entracte ça discute ferme de cette mise en scène