Claudio Arreau en 24 CD magnifiques chez Warner Classics

CRITIQUE. COFFRET CD. CLAUDIO ARREAU (1903-1991). The Complete WARNER CLASSICS recordings. 24 CD. Enregistrements de 1920 à 1962.

CLAUDIO ARREAU : Le Maître de la pondération et de l’élégance.

Né au tout début du XXème siècle ce pianiste légendaire fait partie du Brelan d’As du piano occidental avec Wladimir Horowitz son quasi jumeau, lui aussi né en 1903 et Arthur Rubinstein plus âgé né en 1887. A eux trois ils ont dominé le piano du XXème siècle en occident. Carrières fantastiques, enregistrements pléthoriques : ils ont offert leur art pour la postérité étant eux-même des héritiers du XIXème siècle. Il n’est pas question de comparer vainement trois artistes si immenses mais je crois pouvoir dire que l’art de Claudio Arreau est celui de la pondération et de l’élégance. Qualités rares et surtout qui n’ont rien à voir avec de la tiédeur mais relèvent du plus grand respect. Respect du compositeur d’abord avec une précision et une rigueur stylistique dans l’exécution absolument sidérantes ; son jeu est toujours impeccable. Il y a également le respect du public auquel l’interprète offre sa sensibilité, son jeu n’est jamais distant, sa proposition interprétative est complexe mais sans jamais l’encombrer de la moindre trace d’histrionisme. Les moyens techniques de Claudio Arreau sont inouïs. Il a eu comme seul enseignement celui de Martin Krause (1853-1918) détenteur d’une technique sensationnelle qu’il avait lui-même hérité directement de Frantz Liszt. Cette technique Arreau l’a appliquée à toute nouvelle œuvre travaillée et lui a permis de tout jouer avec le même bonheur. Songeons qu’il a joué l’intégrale de l’œuvre pour clavier de Bach, l’intégrale des sonates de Beethoven et de Mozart en concerts dès les années 50 ! Jamais, même dans sa jeunesse, Claudio Arreau n’a joué au virtuose, au grand jamais ; il a toujours été avant tout un musicien. C’est d’ailleurs ce qui semble lui avoir déplu aux USA où la recherche du sensationnel était une qualité. Le legs discographique de Claudio Arreau est considérable, il a changé de maison d’enregistrement avec le temps. Cet artiste avait certainement le répertoire le plus vaste possible. Les enregistrements dont il sera question ici sont ceux réalisés entre 1920 (il avait 17 ans) et 1962 au sommet de son art. Warner Classics a regroupé tout ce qui n’était pas dans le coffret Decca-Phillips (qui lui comprend 80 CD de ses enregistrements plus tardifs). Ce sont donc avec Warner ces premiers 24 CD, tous magnifiques et dont l’écoute est passionnante. On peut faire un parallèle entre le développement de la carrière du pianiste Chilien et les progrès de l’enregistrement.  En 1920 Arreau est un jeune pianiste, ex-enfant prodige. Il est plein de doutes mais joue dans la cour des grands. Vocalion avec prudence lui fait enregistrer pour un disque 78 tours des courtes pièces. Une valse de Chopin et un moment musical de Schubert. C’est beau, sensible, élégant mais le son est embrumé. Après avoir gagné le concours de Genève il enregistre en Allemagne pour Electrola dans la fin des années 20 encore du Chopin (études), du Liszt. Pour avoir son Debussy si subtil et la première œuvre conséquente, Le Carnaval de Robert Schumann, il faudra attendre la fin des années 30 dans la qualité d’enregistrement pour le microsillon. C’est véritablement à partir de cette période que l’accord entre la qualité du jeu du pianiste et la fidélité de la restitution des enregistrements va vers la perfection. Les enregistrements des années 50 sont faits chez EMI à Londres avec la belle qualité que nous leur connaissons. Le grand Walter Legge en a produit plusieurs. C’est Beethoven qui va devenir le compositeur fétiche de Claudio Arreau au disque. Les sonates et tous les concertos de piano sont des grands moments de musique. Les enregistrements plus tardifs en stéréo sont peut-être plus extraordinaires mais le charme des premiers enregistrements mono est inestimable. Le jeu lumineux, charpenté et s’écoulant naturellement de Claudio Arreau est magnifique. Les qualités de l’interprète sont majeures il joue Beethoven comme s’il comprenait chaque note et toute la construction de chaque partition. Ce qui me frappe c’est la capacité à rendre dans une musicalité très pure la dimension spirituelle, voire surnaturelle qui affleure à certains moments dans la musique de Beethoven. Je songe aux dernières sonates, au quatrième concerto de piano. Il y a une magie propre à la qualité de son jeu qui me fascine. L’accord également avec certains chefs est hallucinant ; ainsi Alceo Galliera, le compagnon le plus sensible est le plus présent, avec Otto Klemperer dans un Concerto l’Empereur ils atteignent une puissance rare et l’entente avec Carlo Maria Giulini pour la version Stéréo des concertos de Brahms reste inoubliable, avec une qualité métaphysique de la musique faite ensemble en harmonie qui est bouleversante.  Le Philharmonia Orchestra est toujours ductile et particulièrement phonogénique. Ailleurs la fluidité de son Schubert, sa franche lumière, ombrée juste ce qu’il faut, tout cela est incroyable : des Moments musicaux de rêve, une Wanderer Fantaisie magique. Dans Chopin il restitue une musicalité pure qui fait de sa version de la sonate n°3 une référence et avec lui les Études qui peuvent être si austères gagnent en beauté et inventivité. Les perles rares d’autres Debussy, d’un peu de Granados rappellent combien cet artiste savait trouver des couleurs inouïes dans ce répertoire plus contemporain. Le Concerto n°1 de Tchaïkovski est impérial, le ConcertStuck de Carl Maria Von Weber est d’une poésie rare. Les concertos de Grieg et Schumann ne cèdent rien à d’autres versions discographiques au sommet. Arreau peut tout jouer, à chaque fois il suscite l’intérêt et gagne l’approbation du musicophile. Ce coffret Warner Classics est sensationnel, il accompagne dans des œuvres toutes sublimes l’émergence d’un artiste inoubliable avec une qualité de prise de son qui frôle la perfection. Il convient de signaler que la remasterisation d’après les enregistrements originaux est très remarquable, elle permet de déguster la qualité du jeu du pianiste qui est d’une pureté cristalline. Les nuances sont très creusées et la précision digitale limpide.

Un beau coffret qui permet de passer de très beaux moments musicaux avec un Artiste irremplaçable.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE. Enregistrements. Coffret Warner Classics. CLAUDIO ARREAU (1903-1991), piano. Enregistrements de 1920 à 1962. 24 CD. Beethoven. Mozart. Chopin. Schubert. Schumann. Brahms. Tchaïkovski. Grieg etc… Philharmonia Orchestra ; Alceo Galliera, Otto Klemperer, Caro Maria Giulini : chefs. Parution 14 Octobre 2022.