Michael Spyres le Tenorississimo !

CRITIQUE.CD. CONTRA-TENOR.MICHAEL SPYRES. IL POMO D’OR. FRANCESCO CORTI. 1CD ERATO durée : 72’54 ’’.

Michael Spyres TENORISSISSIMO nous offre un enregistrement orgiaque

Michael Spyres est un artiste unique qui se pose des questions sur sa voix, le répertoire, la technique vocale et l’histoire de l’opéra. Il a une tessiture exceptionnelle et l’explore sans cesse. Son précédent enregistrement intitulé Barytenor est bluffant, sidérant mais ne nous a pas totalement convaincu. Il a certes un medium sonore et des graves exceptionnels mais il manque une sorte de grain, de moelleux que nos chers barytons utilisent avec art. C’est un peu ce qui me manque même chez Placido Domingo qui fait une carrière de baryton enviable. Ce qui est certain c’est que Michael Spyres pousse l’auditeur dans ses retranchements et le critique également. Pour bien apprécier cet enregistrement de CONTRA-TENOR je me suis plongé dans mes « archives » afin de me demander quels ténors peuvent avoir été des précurseurs. Je dois dire que les qualités de Michael Spyres sont telles que je rends les armes. Il me faut faire appel à plusieurs immenses ténors pour couvrir cette vaste tessiture, ces vocalises inouïes, ces phrasés subtiles, cette adéquation stylistique parfaite et un chant dans chaque langue sans accent.

Nicolaï Gedda a eu probablement la versatilité, la perfection stylistique, l’aisance dans les langues et l’ampleur de la tessiture qui peuvent se rapprocher de Spyres.

Dans Lully et Rameau Spyres égale vocalement un Howard Crook pourtant idéal et le dépasse en adéquation stylistique.

Rockwell Black dans Vivaldi et Rossini est capable des mêmes vocalises les plus folles mais n’a pas la beauté vocale ni l’homogénéité de Spyres.

Ces exceptionnels ténors doivent s’agiter en entendant ce récital de Michael Spyres car il va plus loin que chacun d’eux…

Une chose est certaine, Michael Spyres est un vrai ténor, il en a les aigus faciles, clairs et irradiants, le grain serré du timbre, sa capacité de mixer les voix de tête et de poitrine est absolument parfaite et il fait ce qu’il veut de sa voix. Son medium et son grave sont idéalement placés et dans les immenses vocalises sur plus de trois octaves l’homogénéité du timbre est exceptionelle. Car même si nous critiquons un enregistrement je trouve important de savoir l’effet physique d’une voix pour la connaître vraiment. Dans Idoménée à Aix-en-Provence cet été j’avais été totalement convaincu et pour dire subjugué par l’interprétation de Michael Spyres.

Avec un air pour chaque compositeur les choix sont absolument enthousiasmants. De nombreux compositeurs sont totalement inconnus et ne nombreux airs tout simplement inédits. Chacun pourra se laisser séduire, pour ma part les airs de Domenico Sarro, Baldassare Galuppi et Gaetano Latilla m’ont particulièrement plus. Avec tant de virtuosité ainsi exécutée, je dois avouer que je les apprécie autant que les airs virtuoses pour soprano.

Sur une tessiture si vaste je ne connais qu’une chanteuse. C’est Yma Sumac capable de suraigus et de notes de contralto sur 4 octaves. Mais elle n’a pas abordé l’opéra en intégrale et restera un phénomène vocal unique. Rien de cela chez notre ténor assolutissimo.  Il semble pouvoir tout chanter à l’opéra !

C’est la musicalité de Michael Spyres qui me paraît la plus admirable.  Ainsi c’est dans l’air sobre d’Orphée de Gluck qu’il me touche le plus. Un français parfait, des phrasés subtils et des nuances délicieuses et jusqu’à une fragilité émouvante ont complétement renouvelé mon amour pour cet air sublime sans doute beaucoup trop entendu. Il n’y a pas que la voix qui est exceptionnelle chez Michael Spyres c’est sa musicalité, son extraordinaire connaissance stylistique. A ce titre il faut saluer le même niveau d’excellence d’Il Pomo d’Or et de la direction de Francesco Corti. Aussi caméléons que le ténor l’orchestre et le chef sont parfaits dans tous les styles, absolument tous, y compris dans Lully et Rameau. Ils donnent un coup de vieux aux enregistrements historiques de référence.

L’enregistrement est très précis à la fois proche de la voix caméléon et des instrumentistes dans une acoustique aérée. C’est très agréable et très beau. C’est donc une réussite totale et absolue !

Voici un enregistrement qui fait partie des merveilles vocales absolues, que tout amateur de voix chérira et placera au pinacle.

Critique. Enregistrement 1 CD ERATO 5054197293467. CONTRA-TENOR. Michael Spyres, ténor. Il Pomo d’Or Direction : Francesco Corti.  Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : « Cessons de redouter » et Passacaille extraits de Persée. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : « E il soffrirete … Empio per farti guerra » extrait de Tamerlano. Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Cada pur sul capo audace » extrait de Artabano, re de’ Parti. Leonardo Vinci (1690-1730) : « Si sgomenti alle sue pene » extrait de Catone in Utica. Nicola Porpora (1686-1768) : « Nocchier, che mai non vide » extrait de Germanico in Germania. Domenico Sarro (1679-1744) : « Fra l’ombre un lampo solo » extrait de Achille in Sciro. Baldassare Galuppi (1706-1785) : « Vil trofeo d’un alma imbelle » extrait de Alessandro nell’Indie. Gaetano Latilla (1711-1768) : « Se il mio paterno amore » extrait de Siroe, re di Persia. Johann Adolf Hasse (1699-1783) : « Solcar pensa un mar sicuro » extrait de Arminio. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : « Cessez de ravager la Terre » extrait de Naïs. Antonio Maria Mazzoni (1717-1785) : « Tu m’involasti un regno » extrait de Antigono. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : « J’ai perdu mon Eurydice » extrait de Orphée et Eurydice. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Se di lauri » extrait de Mitridate, re di Ponto. Niccolò Piccinni (1728-1800) : « En butte aux fureurs de l’orage » extrait de Roland. Michael Spyres, ténor ; Il Pomo d’oro, direction : Francesco Corti. 1 CD Erato. Enregistré du 15 au 22 septembre 2020 à la Villa San Fermo de Lonigo (Italie). Notice de présentation en anglais, français et allemand. Durée : 72:54.

Odysée du Ring : l’hommage de Joseph Swensen à Wagner !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Wagner/Swensen, Odyssée du Ring, Orch Nat  Capitole, Libor, Elsner, Gastl, Swensen.

Joseph Swensen construit une odyssée du Ring cosmique !

Arthur Rackham

Durant le confinement Joseph Swensen après un grand découragement a construit une réduction de la Tétralogie de Wagner en pensant à Toulouse. Le travail conséquent que le violoniste, chef d’orchestre et compositeur a réalisé est considérable. Car les choix opérés dans les quatre œuvres qui forment cette tétralogie sont très convaincants. Respectant un temps pour chaque œuvre il assure des passages entre les moments choisis absolument géniaux. Même pour un connaisseur des leitmotivs l’enchaînement de certains d’entre eux peut se révéler savoureux et permet par le retour subit d’un thème de mieux supporter les indispensables coupures. C’est vraiment brillant.

Le choix de Swensen est de célébrer l’amour qui sauvera le monde. Ainsi les amoureux ont la part belle : toute la longue fin du duo d’amour de Siegmund et Sieglinde puis le duo d’amour de rencontre entre Siegfried et Brunehilde et leur séparation au début du crépuscule. Le monologue d’adieux plein d’amour de Wotan à sa fille est hélas coupé et seul l’appel de Logue subsiste.

Arthur Rakham

La mort du dragon Fafner et l’appel de Hagen permettent à la clef de fa (Damien Gastl) de s’exprimer, toutefois ceux sont le ténor, Christian Elsner et surtout la soprano, Christiane Libor qui chantent le plus. L’orchestre du Capitole est soumis à une sorte de surexposition constante. C’est peut-être ce qui représentera les limites de ce concept. La richesse de cette partition fleuve de quatorze heures de musique, réduites à trois ne comprend que des moments géniaux mettant en lumière cette symbiose incroyable entre l’orchestre et les chanteurs. Il n’y a pas de pose et le spectateur est lui-même sur-stimulé ce qui ne va pas sans occasionner une sorte de vertige, voir de fatigue auditive devant tant de puissance. Car si l’Orchestre du Capitole sait son Wagner, la taille de l’orchestre est très différente de celui présent dans la fosse au théâtre. Ce soir ne sont pas moins de cent musiciens avec huit contrebasses devant le public. Cela sonne bien et les forte sont assourdissants. Les cuivres sont à la fête comme jamais ! Les bois sont magiques, les deux harpes légères et aériennes, les cordes surchauffées diffusent la passion des héros. Et n’oublions pas les percussions si précieuses pour des effets extraordinaires. C’est ainsi du vrai grand Wagner symphonique … Côté vocal nous l’avons dit le baryton-basse Damien Gastl n’intervient que peu mais avec une voix de stentor tout à fait effrayante dans l’appel de Hagen. La réponse du chœur d’hommes est terrifiante. La très courte intervention du chœur est tout à fait spectaculaire !

Le Siegmund et le Siegfried de Christian Alsner ont toute la vaillance attendue et beaucoup de poésie dans la manière dont le ténor phrase. Il y a des nuances très délicates et de belles couleurs vocales chez ce ténor. C’est la soprano Christiane Libor qui restera comme un monstre d’endurance. Elle sera Siegliende et Brünnhilde trois fois.

Dans la Walkyrie Swensen lui demande de chanter au moins sept fois le cri de la Walkyrie chantant son cri et ceux de ses sœurs en un enchaînement diabolique. Les aigus fusent ! Dans le duo de rencontre avec Siegfried elle irradie vocalement et son jeu de regards avec son partenaire est éloquent. Dans le Crépuscule elle passe du bonheur des adieux à la scène finale sans efforts. La résistance de cette cantatrice est extraordinaire elle termine sa prestation très engagée et horriblement exigeante sans paraître fatiguée. C’est tout à fait exceptionnel !

Rajoutons que la direction de Joseph Swensen est très spectaculaire. Il demande une énergie constamment renouvelée à l’orchestre et obtient une beauté et une urgence incroyable de chaque instrumentiste. C’est absolument grisant. Il garde pour la fin une manière absolument exquise de faire advenir le thème de l’amour qui sauve le monde comme dans un rêve. Cette fin est magique !

Joseph Swensen et l’orchestre du Capitole se connaissent depuis longtemps avec Mahler et Bruckner, ce temps wagnérien scelle un nouvel accord artistique au sommet.

Le public abasourdi, comme sonné, fait un triomphe à toute cette splendide équipe au service de la puissance du drame wagnérien. Seule une salle de concert et un orchestre symphonique de cette trempe peuvent offrir à la partition sensationnelle de Wagner sa dimension cosmique. Ce fut un moment fulgurant sans temps morts !

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 5 mai 2023. Richard Wagner (1813-1883) / Joseph Swensen : Le Ring des Nibelungen ext. Avec : Christiane Liebor, soprano ; Christian Elsner, ténor ; Damian Gastl, basse ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole ; Direction : Joseph Swensen.

Tous les Matins du Monde concert événement

CRITIQUE. Concert.TOULOUSE. Théâtre de la Cité, le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Quignard. Savall. Concert des Nations.

Un concert événement particulièrement émouvant !

Les Arts Renaissants fêtent leurs 40 ans. Le concert de clôture de la saison crée un véritable évènement qui devant l’ampleur de la demande du public se tient dans la grande salle du Théâtre de la Cité. Les caméras et les micros de Mezzo sont en place pour en faire un film mémoire.

Que d’émotions chez les participants, dans la salle et sur scène. Jordi Savall et Pascal Quignard et les musiciens du Concert des nations sont présents comme lors de la création de la musique du Film « Tous les matins du monde ». Sans s’appesantir les morts,  Montserrat Figueras et Alain Corneau, ont été pudiquement évoqués. Juste rapidement je redirai combien le  film « Tous les matins du monde » d’Alain Corneau a été un évènement planétaire qui a mis en lumière la beauté inouïe des musiques oubliées bien mal nommées « baroques ». La viole de gambe connue des seuls puristes a été offerte au public le plus vaste. Plus d’un million d’exemplaires du disque de la bande son a été acheté…

Nous avions donc devant nous ce soir les monuments que sont aujourd’hui Pascal Quignard et Jordi Savall mais également 5 musiciens qui étaient là en 1991 lors de l’enregistrement de la bande son. Eux aussi sont des légendes : Mandfredo Kraemer au violon, Charles Zebley à la flûte traversière, Philippe Pierlot à la viole, Xavier Diaz-Latorre au théorbe et à la guitare et Pierre Hantaï au clavecin.

Pascal Quignard a replacé les conditions de la création de ce rêve devenu réalité, puis a lu avec émotion des extraits du roman. Les musiques choisies n’étaient pas identiques à la bande son, mieux elles reprenaient parfaitement l’esprit. Les rêves ne peuvent se raconter fidèlement, seul leurs sens nous restent. Ainsi en va-t-il pour ce concert. Ils étaient là et nous ont enchantés. La salle pleine à craquer a fait une ovation bien méritée. Il a été question de la beauté de la mélancolie, du deuil, de la mort et surtout de la vie. L’interprétation de ce soir reste unique.

Jamais Jordi Savall n’a joué ainsi les Pleurs de Sainte Colombe. Les deux amis seuls sur scène, Quignard écoutant très troublé et Savall jouant dans une maitrise totale et une émotion toute singulière, la salle retenant son souffle. Que de beauté et de générosité ! Quelle chance d’être là ! Ainsi les absents sont honorés et la musique peut également irradier de joie. La fin du concert avec la Sonnerie de Sainte-Geneviève, majestueuse et heureuse donne beaucoup d’énergie. En bis deux tambourins de Rameau nous dévoilent les enfants espiègles qui sommeillent dans ces musiciens au sommet de leur art.  Jordi Savall est un homme de 82 ans qui a su révéler l’enfant qui demeure en lui pour l’éternité ! 

Tous ces anniversaires : 40 ans des Arts Renaissants, plus de 30 ans de Tous les Matins du Monde, les retrouvailles de Jordi Savall et Pascal Quignard auraient pu apporter nostalgie et mélancolie mais c’est bien la joie qui a porté le concert. La Musique reste l’art majeur qui défend la vie et la paix. Cette paix intérieure qui permet celle entre les hommes et entre l’homme et la nature. Gratitude, oui complète gratitude restera le maitre mot !

Hubert Stoecklin

PHOTOS :  © Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants

Critique. Concert. Toulouse. Théâtre de la Cité le 2 mai 2023. Tous les matins du monde. Jean-Baptiste Lully ( 1632-1687) : suite du Bourgeois Gentilhomme ; Monsieur de Sainte Colombe le père ( ca.1640-ca 1701) : Les Pleurs ( adaptation pour viole seule de Jordi Savall), Concert XLI à deux violes égales Le Retour, Concert XLIV à deux violes égales Tombeau Les Regrets ; Marin Marais ( 1656-1728) : Pièces de viole du 2°livre Couplets de Folies d’Espagne  et 4° livre La Rêveuse, Sonnerie de Saint-Geneviève du Mont-de-Paris, De la gamme et Autres Morceau de symphonie n°3 ; François Couperin (1668-1733) : Les Concerts royaux (1722) et Nouveaux Concerts(1724), Ext ; Textes originaux de Pascal Quignard dits par l’auteur. Le Concert des nations : Mandfredo Kraemer, violon ; Charles Zebley, flûte traversière ; Philippe Pierlot basse de viole à 7 cordes ; Xavier Diaz-Latorre, théorbe guitare ; Pierre Hantaï au clavecin ; Jordi Savall basse de Viole à 7 cordes et direction. Pascal Quignard, récitant.

LEONSKAJA/SOKHIEV/TOULOUSE chez Warnerclassics : Beethoven Piano concertos 3 et 4

Critique.Enregistrement.CD. BEETHOVEN. Concerto de piano n°3 et 4. ELISABETH LEONSKAJA. Orchestre national du Capitole de Toulouse. TUGAN SOKHIEV. 1 CD Warnerclassics. 50549263095. Enregistré à Toulouse, Halle-aux-grains en 2017 et 2018. Durée : 72’44’’.

Des concertos de musique pure

La complicité qui unit Tugan Sokhiev et Élisabeth Leonskaja a offert au public des concerts mémorables et Toulouse a eu la chance d’entendre souvent les deux artistes dialoguer. D’une série de concerts des concertos de Beethoven qui auraient pu permettre une intégrale il n’est plus question. Et il s’agit d’un enregistrement « studio » en marge de ces concerts. Peut-être aurons-nous une suite. La rencontre entre une soliste de haut rang et un jeune chef qui « fonctionne à ce point » n’est pas si fréquente. Élisabeth Leonskaja dans une interview nous avait dit combien la rencontre avec Tugan Sokhiev l’avait totalement charmée.

Ci dessous le lien vers le troisième concerto de Beethoven par ces interprètes :

https://www.medici.tv/fr/concerts/tugan-sokhiev-conducts-mozart-beethoven-shostakovich-elisabeth-leonskaja

Elle le considère comme l’un des plus grands musiciens qu’elle a rencontré dans sa si belle carrière. Elle désirait enregistrer les concertos de Beethoven avec lui et son orchestre de Toulouse. L’enregistrement des concertos 3 et 4 est une association heureuse et qui fonctionne particulièrement bien. Le troisième est le dernier que Beethoven a créé. Le quatrième ayant perdu l’ouïe n’a pas pu être joué par lui. L’originalité de ces deux opus avec en particulier le mouvement lent du 4 si intense est bien connue et je dois dire que ces deux concertos sont mes préférés. Le 3 rend un vibrant hommage à Mozart, le 4 est plus audacieux. Élisabeth Leonskaja, artiste immense les aborde en musicienne pure qui dialogue au sommet avec un chef et un orchestre qui partagent sa vision de musicienne de l’absolu.

Ceux qui aiment le brillant et le clinquant, ceux qui veulent un combat de titan, ceux qui aiment les virtuoses épatants seront déçus. Car il y a dans ces interprétations des qualités rares et peu valorisées aujourd’hui :  un respect immense pour les œuvres, une humilité et une pondération merveilleuses. Les phrasés de Leonskaja sont souples, le toucher est exquis, jamais dur, jamais clinquant. Tout coule et avec beaucoup de souplesse chante. L’orchestre répond avec délicatesse. Le chef a le geste large et avance avec une élégance rare. Voilà un Beethoven humain, fraternel et heureux. Bien évidemment les mouvements lents sont remplis d’émotions. Le dialogue de l’andante du 4 entre un orchestre intransigeant et un piano orant n’exagère rien et se sert des dynamiques naturelles pour porter cet affrontement vers une émotion forte d’honnête homme. Pas de pathos, pas de joie exagérées chaque mouvement est parfaitement nuancé et chaque concerto apparaît en sa beauté intrinsèque sans rien d’hystérique. Cet équilibre de musique pure rend ces deux concertos centraux dans l’œuvre de Beethoven à leur place de chef d’œuvres absolus. La belle rencontre entre Élisabeth Leonskaja et Tugan Sokhiev reste immortalisée par cet enregistrement de toute beauté. Et L’orchestre du Capitole en majesté participe activement à cette fête musicale. Ce CD porte le témoignage également de ces années d’harmonie rare entre un chef et un orchestre.

La prise de son est naturelle et permet à l’orchestre de déployer ses sonorités chaleureuses et au piano de Leonskaja de chanter librement et son toucher exquis est parfaitement reconnaissable. C’est vraiment très beau !

Hubert Stoecklin  

Il est possible sur Medici TV de voir un concert des trois dernières sonates de Beethoven par E Leonskaja

KANTOROW LOZAKOVICH un duo de génies : C’est Génial !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-grains le 12 avril 2023. FRANCK : sonate violon ; BRAHMS : sonate violon ; SCHUMANN : Sonate violon. D Lozakovich, violon/A Kantorow, piano

La valeur n’attend pas le nombre des années.

Daniel Lozakovich (22 ans) au violon et Alexandre Kantorow (25 ans ) au piano sont deux jeunes musiciens hyperdoués qui en s’associant forment un duo de rêve. Il ne s’agit pas de l’association de deux virtuoses ou de deux amis. C’est bien davantage : une symbiose musicale, une mutualisation du génie. Les Grands Interprètes ont ainsi permis d’offrir aux toulousains la plus belle musique de chambre qui puisse exister. Leurs qualités de virtuoses sont comme mises en second par une intelligence musicale extraordinaire.

Alexandre Kantorow à La Roque d'Anthéron par Valentine Chauvin en 2021

Le programme va nous permettre d’évoluer en ardeur et la virtuosité va culminer dans la Sonate de Schumann si difficile. J’ai beaucoup d’admiration pour les concerts si savamment construits qui proposent au public un voyage balisé. Trois sonates et trois pays que les deux artistes nous commentent pour un voyage quasi magique. La sonate de Franck débute tout en douceur et en délicatesse. La nuance piano du violon et celle du piano sont comme un murmure qui va évoluer vers plus de lyrisme, tout en gardant toujours une certaine maitrise. Cette sonate si belle est rattachée à l’école française avec un parti pris de retenue et d’élégance. La richesse des coloris et de nuances variées est l’occasion d’un dialogue d’une grande subtilité laissant imaginer une longue complicité entre les deux musiciens… Le final est abordé avec beaucoup de panache, il entraine le public à applaudir généreusement. L’entracte permet de se remémorer un si beau nuancier de couleurs et une incroyable palette de nuances, comme il est rare d’entendre et surtout cette entente si magnifique entre les deux jeunes musiciens.

Daniel LOZAKOVICH

Pour la deuxième partie du concert les deux artistes enchainent la sonate de Brahms et celle de Schumann. La deuxième sonate de Brahms a un côté impromptu comme une succession de ballades ou de lieder. Le public est complètement sous le charme de cette interprétation subtile et comme improvisée. Les couleurs se développent encore et les nuances s’enrichissent. Cette succession de tableaux si beaux et si variés aurait pu continuer sans fin. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’absence d’applaudissements après le troisième mouvement :  un charme que personne n’a osé rompre. Avec la première sonate de Schumann le feu du jeu de Daniel Lozakovich fait décoller le piano généreux d’Alexandre Kantorow. La flamme passionnée s’élève et la virtuosité flamboyante illumine leur jeu. C’est grand, puissamment phrasé. Le piano devient orchestre, le violon âme qui chante. Et tout le programme prend son sens avec cette projection amenée vers cette passion romantique si extrême. Car cette sonate de Schumann est une œuvre tardive, le compositeur déjà malade ne cherche plus à maitriser son art, il laisse l’inspiration commander et les deux instruments sont poussés au-delà des limites du genre sonate. Chaque compositeur a fait évoluer le genre, Schumann le fait éclater. Les deux artistes galvanisés par leurs moyens techniques phénoménaux et leur entente subliminale se lâchent et trouvent un accord parfait avec cette incroyable sonate de Schumann. Le public exulte et fait une véritable triomphe aux deux musiciens radieux. Ils offrent deux bis le premier d’une infinie tendresse avec une pièce de Tchaïkovski et ensuite un diabolique scherzo de Brahms.

Les Grands Interprètes ont vraiment invité deux immenses musiciens qui forment un duo inoubliable. A quand des enregistrements pour offrir du bonheur à un public le plus vaste possible. Ces deux jeunes génies le méritent !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Récital. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 12 avril 2023. César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon et piano en la majeur FWV 8 ; Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour violon et piano n°2 en la majeur, Op 100 ; Robert Schumann (1810-1856) : Sonate pour violon et piano n°1 en la mineur, Op 105 ; Daniel Lozakovich, violon ; Alexandre Kantorow, piano.

Sensationnel Budapest festival orchestra !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 4 avril 2023. DOHNANYI : Symphonic minutes. BARTOK: Cto. Violon n°1. STRAUSS : 3 Poèmes symphoniques. R Capuçon. Budapest Festival Orchestra. I Fischer.

 Au Top 10 mondial le Budapest festival orchestra

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Les Grands Interprètes invitent régulièrement le Budapest Festival Orchestra. Ces musiciens composent l’un des meilleurs orchestres du monde. Il est souvent primé dans le top 10 des orchestres. Ivan Fischer qui l’a créé en 1983 le dirige ce soir à Toulouse.  Ce sont les trois poèmes symphoniques de Richard Strauss qui mettent le mieux en valeur les qualités de l’orchestre comme du chef. Don Juan débute avec une énergie sidérante. Le dynamisme de la direction d’Ivan Fischer est total et l’orchestre sonne comme en transe. C’est absolument grandiose. Puis le thème lyrique dans une atmosphère mystérieuse nous envoute. Ce son de violon plein et nuancé réjoui l’oreille. Guy Braunstein avec une générosité réconfortante va nous envouter tout le long du concert en tant que violon solo. Il y a également les cors qui avec une solidité et une fermeté admirable illustrent le désir toujours renaissant du héros. Quel choc de les entendre si puissants et lyriques dans la partie centrale ! Les violons si engagés semblent de vif argent. L’orchestration riche et subtile de cette partition met en valeur la quantité illimitée de couleurs et de nuances dont cet orchestre est capable. La direction d’Ivan Fischer est solide et élégante. Tout est lisible et mis en perspective. La fin pleine d’une dimension spirituelle voir mystique a un côté magique.

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Ivan Fischer Sonja Werner

Puis les danses des sept voiles extraits de Salomé offrent une couleur plus orientale et une puissance rythmique tellurique. C’est très épicé et chaloupé. Le rubato est savamment utilisé par Ivan Fischer et l’orchestre semble en redemander !   La direction d’Ivan Fischer est toute de souplesse et donne une grande liberté dans les moments solistes. Le tempo endiablé donne une puissance érotique somptueuse à ces danses faites pour faire chavirer le beau-père de Salomé. Nous avons tous été embarqué dans ce voyage orientalisant ce soir. La dernière œuvre est le sensationnel et dramatique épisode qui raconte les tribulations et la mise à mort de Till Eulenspiegel. Dès le premier thème si déroutant Ivan Fischer installe un tempo rapide. Le ton général sera très humoristique même les moments dramatiques comme le roulement de tambour ont une distanciation pleine d’esprit. Toute une dramaturgie se déroule, les gags du héros sont illustrés par une orchestration pleine de surprises. Ce sont les bois qui ont les parties les plus originales et semblent ce soir particulièrement facétieux. Les solos de violons sont également très beaux et farceurs. Quelle élégance dans ces audaces ! L’orchestration sensationnelle de Richard Strauss semble insatiable. Comme si l’humour du sujet avait particulièrement inspiré le compositeur, puis les interprètes. En début de concert les minutes symphoniques d’Ernö Dohnanyi ont été comme un hors d’œuvre succulent. Œuvre rare est surprenante elle stimule l’écoute par des surprises dans une ambiance faussement facile. Il n’est guère que le premier concerto de Bartók pour violon qui a paru terne et en retrait en milieu de concert. Probablement en raison de jeu générique et peu engagé de Renaud Capuçon. Heureusement il a été ranimé par le violon solo de l’orchestre dans deux bis. Car dans leurs duos de violon de Bartók Renaud Capuçon s’est un peu plus engagé. Il a un peu réveillé son violon Guarneri dont le son n’avait jusque-là rien à voir avec le son plein et vibrant qu’Isaac Stern obtenait de cet instrument historique.

La fin du concert a prouvé que les musiciens de cet orchestre particulièrement chaleureux aiment tant la musique sous toutes ses formes. Pour les deux bis, deux groupes de musiciens ont tour à tour, à quatre, puis trois joué des sortes d’improvisations de Jazz à la Grapelli. Des violons babillards et des instruments graves (contrebasses tout particulièrement) dans une complicité totale ont été absolument jouissifs. Même Ivan Fischer s’est assis l’air réjoui de voir et d’entendre ses musiciens si heureux de partager ainsi une musique si vivante avec un public conquis. Le charme dégagé par ces musiciens est irrésistible.

Les Grands Interprètes peuvent se féliciter d’apporter la joie de la musique au public dans une qualité superlative. Dans notre société si angoissée et triste c’est presque miraculeux.

Hubert Stoecklin

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Critique. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 4 avril 2023. Ernö Dohnanyi (1877-1960) : Symphonic minutes, op.36 ; Béla Bartók (1891-1945) : Concerto pour violon et orchestre n°1, sz.36 ; Richard Strauss (1864-1949) : Don Juan, op 20 ; Danse des sept voiles ( Salomé) ; Till Eulenspiegel, op.28 ; Renaud Capuçon, violon. Budapest festival orchestra. Ivan Fischer, direction.

photos : DR

Le Caravansérail magnifie Scarlatti

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 28 mars 2023. SCARLATTI : œuvres sacrées. Le Caravansérail/ B Cuiller.

Stabat Mater magique et autres chefs d’œuvres sacrés

de Scarlatti le fils

Bertrand Cuiller et son Caravansérail ont enregistré il y un an une superbe version du Stabat Mater à dix voix de Scarlatti. Ce chef d’œuvre doloriste est entouré d’autres œuvres pour le concert de ce soir. A l’invitation des Arts Renaissants Bertrand Cuiller a concocté un programme original et séduisant. Le Caravansérail a une géométrie variable et s’adapte à chaque pièce. En petit effectif vocal le concert débute avec une messe à quatre voix, elle est dite de Madrid car c’est dans cette ville que le manuscrit a été retrouvé. Cette messe sobre et élégante ne contient rien d’audacieux ou même de nouveau. La fluidité des lignes, leur interpénétration est proche du style antique. Les voix choisies par Bertrand Cuiller sont superbes, les timbres se complètent et les harmoniques fusionnent. Le résultat permet de planer avec les voix et de rêver la paix, le calme et la détente comme si le bonheur était à notre portée. Puis la sonate pour clavier jouée à l’orgue a apporté une dimension pure et sereine. Jean-Luc Ho l’a jouée avec beaucoup de sensibilité.

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Le Te Deum en double chœur a vu l’équipe de chanteurs s’étoffer. Le principe du double chœur apporte beaucoup de vie à la musique qui envahi complètement l’espace.  Œuvre brillante et habilement rythmée ce Te Deum est pure joie. Les chanteurs expriment pleinement leurs qualités vocales de beauté de timbre et surtout de précision rythmique. Tout cela est particulièrement vivant. Pour finir le Stabat Mater à dix voix ouvre un espace de spiritualité offert tant aux hommes qu’au ciel. Cette plainte doloriste, en ses lignes d’une subtile sinuosité galbée semble nous faire oublier toute la médiocrité du monde. Cet abandon total qui nous est proposé repose sur une musicalité raffinée et des voix moelleuses aux phrasés subtils.

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Bertrand Cuiller dirige avec pudeur et propose de soutenir le phrasé et d’élargir les lignes plus qu’il n’impose quoi que ce soit. Les instrumentistes sont des partenaires de grand talent qui participent activement à cette fête de musicalité pleine de spiritualité paisible. Le texte du Stabat Mater est illustré par des phrasés variés mais tout reste dans une grande élégance et une maitrise stylistique pure. Rien de violents de provoque une crise, tout est doux et enveloppant. Même l’évocation de la peine et des larmes console plus qu’elle n’inquiète.  Tant de beauté, de pureté et de consolation ne pouvait se terminer ainsi. Le public des Arts Renaissants a fait un grand succès aux interprètes qui devant les applaudissements nourris ont accepté de bisser le début magique du Stabat Mater. La beauté si particulière de cette œuvre subjugue. C’est bien cette œuvre qui reste dans la mémoire apportant tant de subtilité aux auditeurs et qui semble également nourrir les interprètes dont les visages heureux s’illuminent.

Les Arts Renaissants nous ont offerts un bien beau concert d’œuvres sacrées variées et de grande qualité par des interprètes de grand talent.

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Église Saint Jérôme, le 28 mars 2023. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Messe de Madrid ; Sonate pour clavier K.30 ; Te Deum à double chœur ; Stabat Mater à 10 voix et basse continue. Le Caravansérail. Direction : Bertrand Cuiller.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 28 mars 2023. SCARLATTI : œuvres sacrées. Caravansérail. Cuiller.

Photo Monique Boutolleau

Tugan Sokhiev et son ex-orchestre sont toujours en phase !

Le grand retour de Tugan Sokhiev vers son public avec  son ex-orchestre

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Moins de 8 jours après le concert historique dans cette même salle avec les Wiener Philharmoniker Tugan Sokhiev récidive dans un nouveau programme entièrement dédié à la musique russe.

A n’en pas douté c’est un acte de foi qui l’anime. Tant blessé par cette guerre, l’ostracisme qui en a suivi vis-à-vis des artistes russes et la menace faite par certain à la culture russe il défend la musique de son pays avec énergie.

Le concert débute avec La Grande Pâques Russe de Rimski-Korsakov. Page colorée, variée et vivante, elle nous offre un voyage vers la Russie éternelle et dans les couleurs rutilantes de l’orchestre. Tugan Sokhiev confiant et heureux semble « revenir à la maison ». Coté salle également il y de la joie et de la nostalgie. Salle bondée comme au bon vieux temps lorsque le chef nous faisait découvrir sa riche programmation et entrainait l’orchestre sur des voies nouvelles. L’alchimie perdure, voici le deuxième des trois concerts de la saison que le chef accorde à l’Orchestre du Capitole. La deuxième œuvre est une création française d’une œuvre de 2022. Crée au Concertgebouw d’Amsterdam pour son hautboïste solo, Alexei Ogrintchouk. Le soliste créateur est là ce soir. L’œuvre est dédiée à la fuite du temps ; thème oh combien éternel… Ce concerto sonne élégant et clair, il n’y a là rien de révolutionnaire, ni rien de convenu non plus. Par moment il y a des passages très beaux et très lyriques. L’orchestre est composé avec soins en petit nombre mais savamment utilisé ; Les percussions sont subtiles, la harpe surprenante. Le temps passe, l’eau coule, le vent geins et le hautbois tour à tour joyeux ou plaintif montre toute sa palette expressive, cette partition est très variée. Le hautbois a une virtuosité constamment sollicitée mais sans ostentation. Bien évidemment chacun semble y trouver du plaisir, Tugan Sokhiev est très attentif, l’orchestre est très engagé et le soliste est très impliqué. Le public lui n’est pas conquis dans sa totalité. Les applaudissements fusent devant la performance, il n’y aura pourtant pas de bis du soliste.

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La deuxième partie du programme nous permet de retrouver la neuvième symphonie de Chostakovitch. C’est une œuvre que Tugan Sokhiev et son orchestre ont déjà jouée en public. Il y a dans ce choix une véritable provocation tant cette partition garde une capacité d’irritation encore chez une partie du public. Alors que Staline et le monde attendait une œuvre grandiose avec chœur final à la manière d’un hommage à Beethoven, à la fin de la guerre et à la gloire du régime soviétique Chostakovitch offre une courte œuvre que lui-même qualifiant de cirque… Humour grinçant, jubilation féroce et pourtant gracieuse l’orchestre et le chef se lancent avec panache dans cette pocharde. Les musiciens brillent de mille éclats et Tugan Sokhiev se défoule et s’engage dans cette lutte contre tous les pouvoirs abusifs. C’est brillant, virtuose, douloureux dans le deuxième mouvement mais au final ce n’est pas vraiment heureux et même un peu frustrant. La dérision semble être l’arme la plus adaptée dans notre monde à la dérive.

Ce concert a scellé l’accord entre les musiciens de l’orchestre, Tugan Sokhiev et le public. Ce n’est pas rien cela. Souvenons-nous de la démission fracassante de Tugan Sokhiev il y a juste un an. L’émotion n’était pas feinte lorsque Tugan Sokhiev a remis le bouquet de fin de carrière à François Laurent la flûte solo de l’orchestre si aimée du public. Souriant en bord de scène le grand flûtiste n’avait pas joué ce soir, diminué par la maladie. Et quel subtil hommage du pupitre des flûtes avons-nous entendu ! Cette image en disait long sur le combat actuel sur la retraite, le prix de la vie, la puissance de l’amitié, l’appel à la paix et surtout le besoin de musique plus que jamais.

Hubert Stoecklin

j’ai  retrouvé sur Medici TV le concert de 2017 ou Tugan Sokhiev dirige cette même symphonie de Chostakovitch

Photo : Romain Alcaraz

Critique. Concert. Halle-aux-Grains, le 23 mars 2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : La Grande Paques Russe op.36 ; Alexandre Raskatov (né en 1953) : Time’s River, concerto pour hautbois, création française ; Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°9 en mi bémol majeur op.70 ; Alexei Ogrintchouk, hautbois ; Orchestre National du Capitole ; Direction : Tugan Sokhiev.

TURANDOT par Pappano : La Version !

Critique. Enregistrement. 2 CD WARNERCLASSICS. Giacomo PUCCINI (1858-1924) : TURANDOT. Orchestre et chœur de l’académie Sainte Cécile de Rome Direction : Antonio Pappano.

Pappano sort TURANDOT du brouillard, c’est éblouissant de modernité

Les enregistrements intégraux d’opéra sont devenus trop rares. Jonas Kaufmann et Antonio Pappano en ont réalisé la plus grande partie ces dernières années pensons à Butterfly (2009), Aida (2015) et Othello (2020).

Ouvrage qu’il n’avait jamais voulu diriger Turandot me semble bien être l’opéra qui va  consacrer Antonio Pappano en chef majeur à l’unanimité. Le travail profond et sérieux qu’il a fait sur la partition l’a conduit à chercher la première version composée par Franco Alfano. On sait que Toscanini avait refusé cette version, en avait demandé une deuxième qu’il a ensuite amputée et avait posé sa baguette après la mort de Liu ne jouant rien du tout, encore traumatisé par la mort de Puccini. De cet ostracisme la « tradition » ne garde que la deuxième version tronquée. Pappano retourne à l’originale. Certes il n’y a pas le génie de Puccini, mais Alfano poursuit très honnêtement la direction très moderniste que Puccini avait tracée et que la mort l’a empêché de conclure. Nous rendrons donc les armes devant cette audace de Papanno. Il a compris toute cette modernité qui rattache Puccini à un Stravinski voire un Prokofiev. Les rythmes audacieux, les accords surprenants, les couleurs sauvages ou sensuelles tout ce kaléidoscope musicale est magnifiquement rendu. Il n’y a pas une version aussi magique. L’orchestre et les chœurs de L’Accademia Santa Cecilia di Roma sont absolument somptueux. La qualité de l’enregistrement est également unique. Tout est clair, chaque détail est merveilleusement limpide. La partition sort du brouillard et de la pacotille asiatique pour se révéler être de la musique du XX iéme siècle et la plus moderne qui soit. Déjà cela aurait mérité tous les éloges. En plus de cela la lecture de Pappano est dramatiquement très forte. Le climax s’installe, la psychologie des personnages se déploie et le dénouement prend une véritable dimension psychanalytique.

Turandot demande des chanteurs hors normes et là aussi nous sommes aux anges. La Turandot de Sondra Radvanosky est somptueuse, voix immense à la projection glorieuse elle sait la diriger sur des messa di vocce belcantistes inouïs. La voix est très belle et musicale, la cantatrice est capable de suggérer dans le long duo final tout le combat interne qui agite et broie l’héroïne. La Liu d’Ermonela Jaho est idéale de beauté, de bonté et de pudeur. Ce personnage sacrificiel et initiatique devient si attachant dans la voix d ‘Ermonella Jaho. Elle a une science des sons filés et des piani aériens qui semble surnaturelle. Ses qualité belcantistes et émotionnelles que nous avions tant appréciées dans Traviata à Orange sont magnifiquement mises au service de ce personnage si émouvant. Jonas Kaufmann n’a jamais chanté Calaf sur scène. Avec son intelligence et sa musicalité il s’empare du personnage et sait en révéler la tendresse et la détermination.  L’héroïsme vocal n’est plus à sa portée. La voix sonne engorgée et n’a pas l’éclat métallique ou animal des Calaf historiques. par contre sait comme personne être tendre avec Liu et également avec Turandot. C’est de ce fait le Calaf le plus intéressant et le plus intelligent.

Tous les autres rôles sont distribués avec soin, tous ont belles voix. Michel Pertusi est un Timur magnifiquement sensible à la mort de Liu. Michael Spyres en Altoum même grimé est presque surdimensionné. Ping, Pang, Poum forment un trio assorti et bien chantant. La beauté des voix est confondante à chaque instant. Dans leur trio de l’acte deux ils bénéficient également de quelques parties restaurées .

Parlons à présent de ce duo final qui donne le temps à Turandot d’exprimer son terrible combat intérieur et au baiser de Calaf de faire tout son effet, le choeurs également gagne de beaux moments. C’est moins italien et plus germanique et donc totalement fascinant. Vocalement les aigus claironnent et les deux chanteurs sont épatants.

Voici donc LA VERSION de Turandot. Un brouillard a été levé par Antonio Pappano.  

Sans parler de version définitive disons qu’à coté de celles de Nilsson et Corelli elle ne pali pas vocalement et s’impose par l’orchestre et les chœurs et surtout la direction absolument fascinante d’Antonio Pappano.

La prise de son n’a pas d’équivalant en termes de clarté et de précision.

 Il ne faut pas se retenir de courir vers cette magnifique découverte.

Critique. Enregistrement. 2 CD WARNERCLASSICS. Turandot : Sandro Radvanovski ; Calaf : Jonas Kaufmann ; Liu : Ermonela Jaho ; Timur : Michele Pertusi ; Altoum : Michael Spyres ; Ping : Mattia Oliveri ; Pang : Gregory Bonfatti ; Pong : Slyabonga Maquingo ; Orchestra et Coro dell’ Accademia Nazionale di Santa Cecilia di Roma. Direction : Antonio Pappano.

Enregistrement du 28 II au 8 III 2022 à Rome. Durées : 80.07 et 44.56. Code : 5 054 197 406591.

TUGAN SOKHIEV ET LES WIENERPHILHARMONIKER comme un songé éveillé

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2023. RIMSKI-KORSAKOV : Shéhérazade. TCHAIKOVSKI : Symph 4. Wiener Phil. Sokhiev.  

Un concert en tout point exceptionnel et renversant !

On l’attendait ce retour de Tugan Sokhiev ! La Halle-aux-Grains était pleine à craquer ! Double joie pour un public galvanisé, entendre l’orchestre le plus aimé au monde, le Wiener Philharmoniker qui réjouit le monde musical par son excellence tant au disque (combien d’enregistrements de références ?) qu’à la fosse de l’Opéra de Vienne, qu’en vidéo le premier de l’an pour un concert de diffusion planétaire. Soient loués Les Grands Interprètes qui sont arrivés à les faire s’arrêter à Toulouse pour ce concert dans leur tournée, tout juste avant un concert à Lisbonne.

Cet évènement aurait suffi à remplir la Halle-aux-Grains mais il y avait autre chose de très spécial.

Österreich, Wien, Wiener Philharmoniker, Musikverein
Wiener Philharmoniker © Lois Lammerhuber

Tugan Sokhiev a laissé tant de bons souvenirs à Toulouse en 14 ans auprès de l’Orchestre du Capitole et de son cher public. Son départ si brutal, provoqué par une « maladresse » politique ne cesse de nous peiner. C’est comme une revanche de le voir diriger dans cette même salle en toute simplicité l’orchestre le plus prestigieux du monde :  mes aïeux quel concert ce soir-là !

Dans une ambiance survoltée des grands soirs, alors que les queues pour rentrer dans la salle étaient tout juste finies, chacun trouvait sa place fébrilement. Et de découvrir qu’il n’y avait aucun musicien sur scène…. Pas une note répétée par un violon, un hautbois, une trompette ? Étaient-ils seulement là ?  Et c’est ainsi que nous avons eu le premier choc. En une rapidité d’éclair les musiciens entrent sous les applaudissements constants du public, prennent leur place et restent debout, ne s’asseyant que tous présents et parfaitement immobiles… jamais je n’avais vu cela ! Première ovation du public subjugué après un LA trouvé le temps d’un soupir tous ensemble ! C’est stupéfiant, cette solidité, cette élégance, ce calme souverain. Puis tout est allé très vite Tugan Sokhiev est rentré ovationné par son public, un regard circulaire du chef et nous partons avec Shéhérazade de Rimski-Korsakov pour le plus beau voyage musical qui se puisse imaginer. Un véritable conte de fées. Le son des Wiener Philharmoniker ne peut pas être décrit avec tout ce qu’il contient. Il y a d’abord la profondeur du son des cuivres. Dans le thème du Sultan qui ouvre le voyage c’est une véritable angoisse qui nous saisit alimentée par les fréquences qui traversent le corps et pas seulement les oreilles. Les vents diaphanes et délicats suivent puis le violon solo prend la parole de Shéhérazade et le chant d’Albena Danailova va nous envoûter avec une séduction irrésistible qui heureusement se renouvèlera tout le long du poème symphonique. Le pupitre des violons est aussi source de délices inénarrables. Comment une telle présence douce et puissante à la fois est-elle possible ? Comment cette transparence et cette profondeur peuvent-elles coexister ? Le hautbois sait être d’une troublante beauté dans des rythmes chaloupés à se damner. Les trompettes sont claires et victorieuses sans avoir recours à la moindre brutalité. Le basson solo a un humour sidérant avec une sonorité ronde enveloppant tout le corps. Et je n’oublie pas la caisse claire et les timbales, les percussions aussi sont extraordinaires. Il y a un véritable effet « physique » de cet orchestre qui vous subjugue par sa force et sa délicatesse. A l’écoute des enregistrements bien des qualités de cet orchestre sont évidentes mais au concert les voir et les ressentir fait vivre un moment qui a quelque chose d’unique.

La direction de Tugan Sokhiev est chorégraphique et absolument charmante. Tout est mis en valeur avec évidence, les nuances profondément creusées, les phrasés alanguis ou resserrés accompagnent l’évocation du plus beau conte oriental. Nous connaissons son interprétation de cette si belle musique, nous devinons ce soir qu’il est lui-même sur un petit nuage obtenant tant de splendeur avec de tels musiciens.

Sokhiev Toulouse © Marc Brenner
Sokhiev Toulouse © Marc Brenner

A l’entracte il semble important au public de partager ce bonheur si intensément vécu dans des papotages incessants.

La deuxième œuvre au programme va aller plus loin, beaucoup plus loin encore dans le drame cette fois-ci. La quatrième symphonie de Tchaïkovski, toute emplie du poids du fatum, semble être une œuvre particulièrement proche à Tugan Sokhiev. Dès la fanfare d‘ouverture les Wiener Philharmoniker vont lui offrir un son d’une profondeur abyssale, effrayant et terriblement beau.  Avec des cordes porteuses d’une douleur insondable, des clarinettes en confidences intimes et des violoncelles si chantants, Tugan Sokhiev, comme en transe, obtient la version la plus dramatique que je lui connaisse. Il y va probablement de la vie du chef de défendre ainsi la musique de son compositeur préféré. Dans son bouleversant communiqué où il renonçait à diriger et l’Orchestre du Capitole et le Bolchoï, il avait dit combien de ne plus jouer de musique russe lui était impossible.  Il le prouve ce soir de manière éclatante, avec un orchestre merveilleux et dans la ville même à l’origine de l’injonction, cause du départ fatal. Aujourd’hui Tugan Sokhiev est un artiste intègre et de plus en plus engagé dans son crédo : la musique transcende tout et rassemble avant tout dans la paix. Mûri, moins hyper contrôlé, il ose ce soir une interprétation particulièrement puissante. Peut-être est-ce de savoir qu’il compte sur un orchestre particulier qui même dans la violence ou la douleur garde une élégance suprême. C’est en tout ce paradoxe qu’incarnent les Wiener Philharmoniker, puissance et grâce enchâssées. Voir la chorégraphie de Tugan Sokhiev dirigeant si intensément, le voir s’y épuiser et obtenir tant de cet orchestre est très émouvant. Cet orchestre séculaire qui à force d’excellence a été dirigé par ce que le monde connaît de plus belles baguettes, se laisse emporter par un chef russe dans sa patrie martyrisée et avec lui défend une somptueuse musique que rien ne doit faire taire. Ce soir Tugan Sokhiev qui termine le concert en nage aura joué sa vie d’artiste sous nos yeux. Quelles émotions !

Un concert absolument inoubliable pour toutes ces raisons et d’autres encore.

IL est possible de voir et revoir ce concert exceptionnel en tous points, magnifiquement filmé sur ARTE TV. Oui Tugan Sokhiev dirige en une chorégraphie pleine de grâce je vous l’assure.

Affiches Artistes

Un petit bis probablement choisi par l’orchestre la polka Unter Donner und Blitz de Johann Strauss, avec un humour ravageur va achever la réconciliation. Tugan Sokhiev comme un enfant aux anges ne fera que commenter de gestes touchants ce que les musiciens lui offrent, il ne dirige plus il exulte. Et nous tous aussi.

Les inoubliables Wiener Philharmoniker resteront dans nos cœurs comme messagers de beauté, de paix et de bonheur parfait. Un immense merci aux Grands Interprètes de les avoir invités !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains le 18 mars 2023. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Schéhérarazade, suite symphonique op.35 ; Piotr Illich Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n°4 en fa mineur, Op.36 ; Wiener Philharmoniker. Tugan Sokhiev, direction.

Toulouse ville de musique et de musiciens

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-Grains, le 17 mars 2023. FRANCK. ATTAHIR. T. Garcia. P. Bleuse. Orch Nat Cap

Toulouse ville de musique et de musiciens : un Trio de toulousains au sommet

Il n’est pas interdit de faire cocorico ce soir tant la ville rose peut s’enorgueillir de la place accordée à la musique. L’Orchestre National du Capitole rayonne mondialement et récemment encore sa magnificence dans le Tristan et Isolde de Wagner en a ébloui plus d’un. Les solistes internationaux nés à Toulouse sont nombreux. Ce soir Thibaut Garcia l’un des guitaristes les plus doués du moment revient en terre conquise avec la création d’un concerto en première mondiale. Le compositeur Benjamin Attahir qui en eu la commande est également un Toulousain. Cette œuvre d’un seul tenant est complexe et pourtant facile d’écoute car une grande clarté permet dans l’alternance et le dialogue de l’orchestre et de la guitare de toujours suivre ce qui se passe. Chaque instrument de l’orchestre aura la parole, avec une utilisation de nombreuses percussions. La guitare joue presque tout le temps. Cette partition exigeante est soigneusement dirigée par Pierre Bleuse. Le musicien, est toulousain lui aussi ! Il fait depuis qu’il a laissé le violon une riche carrière internationale en tant que chef d’orchestre. Son intense activité internationale lui laisse encore le temps de rentrer au pays et c’est tant mieux. C’est avec grand plaisir que le public le retrouve à la tête de l’orchestre du Capitole qu’il connaît bien. Il y a peu, le 23 février dernier, il avait dirigé l’Orchestre National de France.  Son engagement est total et il est assez fascinant de voir combien il met de plaisir autant que d’énergie à diriger cette partition toute nouvelle. Tout est limpide sous sa direction précise. Le soliste est très soutenu et l’équilibre est savamment construit avec l’orchestre qui s’il est souvent en échanges chambristes variés avec la guitare peut dans des tutti complexes menacer de l’engloutir. La sonorisation du fragile instrument à cordes pincées est en fait très aventageuse, presque trop dans les moments chambristes. Elle trouve toute sa nécessité dans ces tutti tonitruants. Le final avec une certaine urgence assez dramatique donne beaucoup de brillant.  Cette belle partition vient enrichir un catalogue bien peu fourni réunissant un orchestre symphonique et la guitare. Le public semble avoir apprécié cette création et a applaudit vivement les artistes ainsi que le compositeur venu saluer sur scène et féliciter les musiciens. Thibaut Garcia joue en bis une très musicale adaptation des Voix humaines de Marin Marais.  Le reste du programme, entourant la création, est consacré à César Franck. D’abord avec une ouverture spectaculaire : le Chasseur maudit. Pierre Bleuse lui donne toute la dramaturgie attendue. Les couleurs de l’orchestre irradient, les rythmes sont implacables, le drame avance et le final est enthousiasmant. En deuxième partie de programme nous retrouvons la trop rare symphonie en ré mineur de César Franck. Dès les premières mesures nous sommes pris par l’ampleur des sonorités de l’orchestre. La direction charpentée et énergique du Pierre Bleuse ne nous lâchera pas. La partition déploie ses sortilèges quasi-wagnériens et toute sa flamboyance avec de tels interprètes. L’orchestre est superbe de couleurs et de timbres. Les musiciens semblent tout à leur aise dans cette œuvre extravertie et de haute tenue. Tugan Sokhiev en 2009 nous avait offert une version plus souple et joyeuse. Ce soir c’est la flamboyance et la grandeur qui sont mises en valeur. C’est splendide !

Le public fait un triomphe à l’orchestre et particulièrement à Pierre Bleuse, l’enfant prodige de retour au pays.

Le concert est diffusé en direct sur France musique et peut s’écouter en podcast.  

Durant la répétition la veille. P Bleuse face à l’orchestre, B Attahir et T Garcia au premier rang regardant la partition

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 17 mars 2023. César Franck (1822-1890) : Le chasseur maudit M 44. Poème symphonique : 1. Le Paysage paisible du dimanche ; 2. La Chasse ; 3. La Malédiction ; 4. La Poursuite des démons ; Symphonie en ré mineur FWV 48 ; Benjamin Attahir (né en 1989) : El Biir, Concerto pour guitare (2022), Création mondiale. Thibault Garcia, guitare ; Orchestre National du Capitole ; Pierre Bleuse, direction.

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-Grains, le 17 mars 2023. FRANCK. ATTAHIR. T. Garcia. P. Bleuse. Orch Nat Cap

Photo : Pierre Bleuse (©Marine Pierrot Detry)

Répétition DR

WINTEREISE D’ ANTHOLOGIE AVEC MATTHIAS GOERNE

Critique. Concert. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 24 février 2023 ; Frantz Schubert (1797-1828) : Le Voyage d’Hiver ; Matthias Goerne, baryton ; Anton Mejias, piano.

Matthias Goerne © Caroline De Bon
Matthias Goerne © Caroline de Bon

Artiste autant connu en récital qu’en interprétant de grands rôles à l’opéra, Matthias Goerne parcourt le monde avec grand succès.  Nous avons la chance à Toulouse de pouvoir compter régulièrement sur sa présence musicale si passionnante. Ainsi son récital de lieder consacré à un monument exigeant : le somptueux voyage d’hiver de Schubert, a-t-il fait une belle audience. Le public toulousain semble prendre gout à ses soirées de lieder et la salle du Capitole était bien pleine ce soir. Le baryton-basse a livré une interprétation d’anthologie. Un sens aigu du texte, un chant légato en volutes subtiles, des nuances puissamment creusées et surtout des couleurs très variées avec un timbre abyssal et une capacité à l’alléger très dramatique construisent une interprétation émouvante.

Le public a su attendre la fin du cycle pour faire un triomphe au grand chanteur. Ce qu’il est nécessaire de souligner c’est la confiance faite par Matthias Goerne au très jeune pianiste (22 ans ! ) Anton Mejias. Le jeu du pianiste est absolument sidérant de présence et on devine une vraie admiration réciproque. Capable de nuances extraordinaires, ce jeune artiste sans jamais se mettre en avant arbitrairement sait prendre toute la place donnée par le piano de Schubert. Ainsi les deux vraies personnalités artistiques dialoguent pour une interprétation inoubliable de ce cycle.

Mejias
Anton Mejias.

Le Capitole nous a offert une grande soirée de lieder par des interprètes absolument engagés. Nous attendons à présent la prise de rôle en Roi Mark dans Tristan au Capitole pour Matthias Goerne. Nul doute que cet art du lied fera merveille dans le long monologue du roi trahi à l’acte deux. Comme son Amfortas dans Parsifal en février 2020 qui nous avait émus.

Hubert Stoecklin

Mini concert … ça arrive aussi !

CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 9 fév 2023. DEBUSSY. CHAUSSON. ELGAR. Orch Nat Capitole. L.Faulisi. W.Ng.

Mini concert… pour spectateurs peu nombreux…

Le public n’était pas bien nombreux ce soir dans la vaste Halle-aux-Grains, les galeries hautes étant presque vides.  Au final ce concert n’a pas été à la hauteur des attentes. Et bien loin des promesses sur le papier.

WIlson NG © Jino Park
WIlson NG © Jino Park

Auréolé d’annonces élogieuses le violoniste de 20 ans Luka Fausili n’a pas du tout été convainquant. Un son terne, des nuances absentes et jeu désincarné : le poème pour violon d’Ernest Chausson n’a pas du tout vibré ni ému. Les bis offerts par le jeune homme ne lui ont pas permis de rétablir les choses. Un Bach amorphe et un Debussy (le fameux Syrinx pour flute solo) si acide et placide que plus d’un ne l’a pas reconnu. Il s’est agi d’une probable méforme, du moins espérons-le…

Le chef Wilson Ng a lui également été peu inspiré. La Tarentelle Styrienne de Debussy a totalement manqué de subtilité, d’allant et même de charme. Le poème de Chausson bien en place, sans la moindre musicalité est resté au port. La symphonie d’Elgar a été rapprochée par le chef des Pomp and Circumstance bien loin de subtilités des Variations Enigma, alors que cette première symphonie d’Elgar regorge de richesses. Sans nuances, sans recherches de couleurs et sans phrasés cette symphonie devient insipide et juste bruyante. Quel gâchis !

L’orchestre du Capitole lui-même a semblé en petite forme et comme à distance de ce non-évènement.

Une consolation pourrait être de se dire que les plus beaux solistes de l’orchestre seront dans la fosse du Capitole où Tristan et Isolde est actuellement en répétition avec un chef d’une autre trempe ! Et c’est lors des 4 représentations de Tristan et Isolde au théâtre du Capitole que les splendeurs dont cet orchestre est capable seront révélées.

Ce soir un chef aux moyens modestes et un violoniste atone n’ont pas permis aux œuvres de décoller ni à l’orchestre de vibrer. Le public a été poli sans plus. Plus enclin à partir que de commenter.

Hubert Stoecklin

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 9 fév 2023. DEBUSSY : Danse ( Tenrantelle Styrienne). CHAUSSON : Poème pour violon et orchestre. ELGAR : Symphonie n°1. Orch Nat Capitole. L. Faulisi, Violon. Direction : W. Ng.

Amandine Beyer et les Incogniti sont renversants dans Vivaldi !

Critique enregistrement. Antonio Vivaldi : Il Mondo al Rovescio. Amandine Beyer. Les Incogniti. 1 CD Harmonia Mundi. HMM 902688. Durée 76’34’’. Enregistré en 2022.

Amandine Beyer et les Incogniti depuis leur entrée fracassante dans le monde de Vivaldi, avec un enregistrement des Quatre Saisons qui toujours rééditées est aimé du public comme de la critique. Ses musiciens ne cessent de revenir vers la musique du prêtre Roux avec bonheur. Leur dernier enregistrement est une véritable fête. L’équipe de fins musiciens s’étoffe. Non pas pour alourdir les pupitres mais pour ajouter d’autres timbres, découvrir d’autres œuvres, jouer avec d’autre forme de virtuosité. Le parti pris de jouer à un par partie reste identique. Cette responsabilité de soliste pour chaque musicien est un peu ce qui rend si magique leurs interprétations. Personne ne s’ennuie jamais et chacun assume sa partie avec le plus grand soin et parfois l’humour le plus ravageur. 

Ainsi le jeu garde sa précision et sa vivacité, la virtuosité est toujours superlative sans ostentation.

Les nouveaux venus sont nombreux et plusieurs concertos sont des raretés. Les violons restent les rois, toutefois nous avons aussi deux hautbois : Neven Lesage et Gabriel Pidoux, deux flûtes, traverso et ridorder : Eleonora Biscevic et Manuel Granatiero, deux clarinettes : Roberta Christini et Renaud Guy-Rousseau, deux cors truculents: Teo Suchanek et Ciryl Vittecoq et un basson : Lajandro Perez-Marine. Je ne résiste pas à citer Clément Losco aux timbales qui a un chic fou. Les cors naturels offrent la même fougue dévergondée que Bach leur confie dans son premier concerto Brandebourgeois. Cela donne une impression de grand air et de partie de campagne.

Tout ce petit monde alterne et parfois les musiciens jouent tous ensemble ; c’est un festival de beauté, d’humour et surtout de joie. Les phrasés sont toujours exquis, les nuances pleines de surprises, la virtuosité naturelle et nous devinons que le partage entre les musiciens est d’une totale générosité. Cet enregistrement fait mentir Stravinski qui aurait dit que Vivaldi composait toujours la même chose ; chaque concerto a sa propre personnalité avec de tels interprètes. Ce disque va donner le moral à qui l’écoute et ce n’est pas une petite chose dans notre monde anxieux. Cette musique jouée ainsi apporte de la joie.

Un Grand Merci à Amandine Beyer, ses Incogniti et leurs invités. Bravo pour cette superbe série de concerti chacun est plus vivant que l’autre. L’écoute de ce CD est comme un soleil radieux. Il se termine sur cet étonnant concerto « Il proteo ossia il mondo al rovescio » violon et violoncelle s’échangent les thèmes, jouent la même chose à la suite ou en même temps, se répondent, se coupent la parole : le jeu d’écriture et la virtuosité exigée accueillent un troisième ami : c’est cet humour inénarrable. Quelle joie cette musique de Vivaldi, quelle fête cet enregistrement !

Auditorium, Gli Incogniti, Neven Lesage, Gabriel Pidoux, hautbois Roberta Cristini, Renaud Guy-Rousseau, clarinettes Eleonora Biscevic, Manuel Granatiero, flûtes 
Théo Suchanek, Cyril Vittecoq, cors Natalie Carducci, Yoko Kawakubo, Flavio Losco, Vadym Makarenko, Corinne Raymond-Jarczyk, Alba Roca, violons Marta Paramo, Ottavia Rausa, altos Marco Ceccato, Rebeca Ferri, violoncelles Alejandro Perez-Marin, basson Francesco Romano, théorbe Baldomero Barciela, violone Anna Fontana, clavecin et orgue Noé Ferro, timbales

Hubert Stoecklin

1 CD Harmonia Mundi : Il Mondo al rovescio. Antonio Vivaldi (1671-1751) : Concerti per la Solennita di S. Lorenzo en do majeur RV 562 et en sol majeur RV 556 ; Concerto pour flûte en mi mineur RV 432 ; Concerto pour violon en fa majeur RV 571 et en la majeur RV 344 ; Concerto pour violon et hautbois en sol mineur RV 576 ; Concerto pour violon en mi mineur RV 278 ; Concerto pour 2 hautbois en la mineur RV 536 ; Concerto pour violon et violoncelle en fa majeur RV 572 « Il proteo ossia il mondo rovescio ». Les Incogniti.  Amandine Beyer, violon et direction. 1 CD Harmonia Mundi. HMM 902688. Durée 76’34’’. Enregistré en 2022. Code barre : 3 149020 944714.

Superbe sérénade d’Hiver par les Eléments

CRITIQUE. Enregistrement. Sérénade d’hiver. LES ELEMENTS. Joël Suhubiette. 1 CD Mirare. Mir 650.

Une sérénade de grande élégance.

Joël Suhubiette et ses Éléments nous invitent à un bien beau voyage musical en hiver. Alors que les températures sont bien hautes cela nous raconte combien cette saison, mal aimée le plus souvent, a été illustrée par de nombreux compositeurs au cours des ans. Les Éléments excellent dans absolument tous les répertoires nous le savons. Une nouvelle fois l’aisance avec laquelle ils parcourent le vaste répertoire vocal a capella, certains dans des arrangements magnifiques de Pierre Jeannot, est sensationnelle. Du moyen âge à la créations contemporaine tous est absolument superbe. J’ai pour ma part beaucoup de plaisir dans leurs Poulenc. Je trouve qu’ils en sont actuellement encore plus convainquant qu’Accentus.

 Les compositeurs contemporains fétiches de l’ensemble sont présents Patrick Burgan avec 5 chants de neige spectaculaires et Zad Moultaka avec Flamma. Le naturel, l’élégance et la précision sont une alliance gagnante et cet enregistrement à la thématique astucieuse est également un véritable catalogue de leur magnificence. Les Éléments renouvellent depuis 1997 tout particulièrement une véritable excellence du chant a capella. Leur dernier enregistrement est un très beau disque à déguster même si les températures ne sont pas exactement de saison et si la neige est trop rare. Peut-être que cela deviendra-t-il un témoignage d’un passé proche… et sera un nouvel atout pour cet enregistrement, qui sait ? La prise de son est très précise et très naturelle. Tout s’entend et les équilibres sont parfaits. Vraiment tout invite à une écoute renouvelée de cet enregistrement aux styles variés et si bien interprété.

Hubert Stoecklin

Critique. Enregistrement. Sérénade d’hiver. Claude Debussy (1862-1918) : Yver, vous n’estes qu’un villain. Antoine Busnois (1430-1492) : Noël Noël Noël. Antoine Brumel (1460-1512) : Noe noe noe. Claude Goudimel (1510-1572) : Esprits Divins, chantons dans la nuit sainte. Eustache du Caurroy (1549-1609) : Ave Virgo Gloriosa. Zad Moultaka (né en 1967) : Flamma. Patrick Burgan (né en 1960) : Chants de neige. Traditionnels français : Or nous dites Marie ; Noël Nouvelet. Traditionnel basque : Birjina gaztetto bat zegoen. Francis Poulenc (1899-1963) : Quatre motets pour le temps de Noël ; La blanche neige, Un soir de neige. Claire Mélanie Sinnhuber – (née en 1973) : Temps de Neige. Léo Delibes (1836-1891) : Chœur des frileuses. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Sérénade d’hiver. Claudin de Sermisy (1490-1562) : Disons Nau a pleine teste. Chœur de chambre Les Éléments, direction : Joël Suhubiette. 1 CD. Mirare. Durée 64’04’’. Enregistré du 28 février au 5 mars 2022. Code : 3760127226512.

Photo © Passerini – Les Eléments

7 ° Livre de Madrigaux de Monteverdi par Alessandrini

Critique. Enregistrement. MONTEVERDI. Septième livre de madrigaux. Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini. 2 CD Naïve. Enregistrement d’octobre 2020.

Monteverdi en majesté avec la nouvelle lecture de Rinaldo Alessandrini 

 La couverture du CD annonce les partis pris de l’enregistrement. Nous voyons un Rinaldo Alessandrini sévère assis à la table, un livre dans les mains, un verre d’eau à ses côtés. Il enregistre la musique de Monteverdi avec grand succès depuis les années 1990. Toute nouvelle lecture proposée par ce grand spécialiste montéverdien transalpin est un évènement. Sa lecture de ce Septième Livre de Madrigaux semble plus austère, plus stricte, plus intellectuelle. Position charnière pour Rinaldo Alessandrini qui dans ses interprétations précédentes des madrigaux de Monteverdi attachait plus de prix à un coté comme improvisé, à des contrastes surprenants et des couleurs plus saturées. Ainsi je pense au livre-disque du huitième livre édité en 2010 avec un texte passionnant et de reproduction de tableaux somptueux dans lesquels les madrigaux sont plus colorés.

Cette version ci serait plutôt gravée à la pointe, comme dans une fine gravure qui fait ressortir les structures, cisèle le texte et offre un accompagnement instrumental richement varié aux voix.  Les chanteurs sont tous excellents, les voix sont très homogènes, sans oppositions marquées ou personnalité fortes. Cela crée dans les nombreux duos un effet de symétrie, d’imitation absolument idéal. Je ne connais pas d’enregistrements ou cette perfection d’appariement vocal est atteinte si constamment. D’un autre coté les deux grand soli de soprano la « Lettera amorosa » et « Con che soavita », s’ils sont dits impeccablement et chantés à la perfection, le sont par une voix trop simple. Des voix plus originales et des interprètes plus théâtralement actives nous touchent ailleurs autrement (les plus magiques étant Cathy Berberian et Guillemette Laurens dans des gravures illustres). Ainsi le parti pris de Rinaldo Alessandrini est de ne pas s’abandonner au théâtre si séduisant qui se devine partout dans cet opus si original de Monteverdi. Car l’audace de Monteverdi qui abandonne ici le Madrigal à Cinq Voix revendique le pouvoir de séduction de la voix soliste avec accompagnement. Il est symptomatique que dans le titre de Monteverdi lui-même il est question de madrigaux à 1,2,3,4 et 6 voix ! Il renonce au madrigal à cinq voix jusque-là la seule référence ! En ne cédant pas à cette théâtralité évidente, qu’il a déjà exploré au théâtre et qui pourtant est contenue dans tout ce septième livre, Rinaldo Alessandrini et ses interprètes renforcent la puissance de la composition, sa solidité structurale, la beauté de l’instrumentation et la précision des poèmes et surtout l’originalité de l’écriture. Les textes sont soigneusement ordonnés par auteurs ce qui change l’ordre des madrigaux, mais là aussi le tact avec lequel les choses sont faites permet une écoute fluide. Les instruments sont choisis avec finesse, évitant le clavecin trop systématique. Ainsi le théorbe et la harpe étant bien mis en valeur avec leur effet d’enveloppement moelleux. Le rajout d’une courte introduction de Biago Marini pour ouvrir le deuxième CD est idéale.

La prise de son est sur la même ligne, précise, sans réverbération. Je pense vraiment à la grande précision et la clarté qui nait lorsque l’on regarde de belles gravures.

Cette interprétation majeure ne peut être la seule dans une discothèque, La Venexiana, les anglais la complètent par un théâtre plus assumé dans sa séduction et ses outrances et demeurent indispensables. Ces multiples versions permettent de comprendre et de déguster l’absolue modernité de Claudio Monteverdi dans son « Concerto Settimo libro de madrigali a 1,2,3,4 et 6 voci, con altri generi di Canti ».  Il prend ouvertement le total pari sur l’opéra dont nous savons le succès en train d’advenir… Un tel courage, une telle vision assumée sont choses magnifiques et appellent la diversité.

Hubert Stoecklin

Critique. Enregistrement. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Septième Livre de Madrigaux (1619). Concerto Italiano. Rinaldo Alessandrini. 2 CD Naïve OP 7365. Enregistrement d’octobre 2020.  Code Barre : 3 700 187 673659.

9 iéme Symphonie de Mahler superlative

CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 dec 2022. MAHLER.  Symphonie 9. Orch. Phil. de Radio France. M.W. Chung.

Une neuvième de Mahler idéale

Les Grands Interprètes ont invité le chef coréen Myung-Whun Chung à la tête d’un orchestre qu’il connaît bien pour l’avoir dirigé longtemps (de 2000 à 2015), le Philharmonique de Radio-France.

Ces retrouvailles dans la musique de Mahler semblent être un moment apprécié du chef comme de l’orchestre. L’osmose a été totale. Dirigeant sans baguette entièrement absorbé par cette vaste symphonie testamentaire, le contact avec l’orchestre a été profond. Le public a vécu un moment d’une rare intensité. Péché véniel que ces applaudissements après les mouvements. Le dernier long silence après les dernières notes de la symphonie imposé par le chef a signé le charisme intense du chef en ses grands soirs. 

Le premier mouvement a débuté dans un grand mystère et s’est développé avec un art des phrasés surnaturel. La beauté des soli instrumentaux bien souvent dans de périlleuses nuances piano a semblé sortie de rêves. La moquerie, l’impertinence dans le deuxième mouvement ont vraiment marqué un contraste absolu avec l’élégance de l’andante. Typiquement mahlerien ce choc a apporté une vie incroyable. Le rondo avec ses traits rapides a été dirigé avec une grande précision et quelque chose de jubilatoire. Là aussi le contraste a été très réussi. Les instrumentistes se distinguent par une facilité incroyable. Les plans parfaitement organisés et d’une lisibilité totale ont permis de véritablement déguster un grand orchestre auquel rien n’est impossible. Le final débute avec une plainte des violons fortissimo dont la puissance a véritablement enveloppé l’auditeur provoquant une émotion très particulière à la fois d’une profonde tristesse et pleine d’espoir. La manière dont Myung-Whun Chung phrase tout ce mouvement tient du miracle, c’est à la fois large, puissant et bienveillant. Cette humanité transfigurée est d’une telle beauté que l’auditeur se sent transporté ailleurs, loin, très loin… passant d’une musique à la dimension cosmique au plus intime  solo de violon, puis au silence. Nathan Mierdl en violon solo est angélique. Myung-Whun Chung fait du silence final le point d’orgue de la symphonie et retient dans un souffle, musiciens et public pour un moment mystique. Les nuances infimes, les silences habités, les couleurs infinies, la puissance cosmique de tout l’orchestre, tout a été d’une incroyable perfection orchestrale et se rappellent à nous dans ce silence bienheureux. Mahler dans sa dimension si humaine est ici comme réincarné et devient très proche.

Myung-Whun Chung est un très, très grand chef et le Philharmonique de Radio France un orchestre absolument somptueux. Ce soir nous avons vécu un très grand concert et Mahler a été exaucé en ses contrastes les plus inouïs.

Photo DR

La satisfaction du chef a semblé totale et le public a exulté. De longs applaudissements ont salué cette interprétation exceptionnelle.

Hubert Stoecklin

Critique.  Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 8 décembre 2022. Gustave Mahler (1860-1911) : Symphonie N°9. Orchestre Philharmonique de Radio-France. Myung-Whun Chung, direction.

crédits photos : © Jean-Francois Leclercq

Lien vers Mahler 9 : https://youtu.be/7NKvBNliyN8

Amandine Beyer et les Incogniti : une bulle de bonheur

CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Église Saint Gérôme, le 6 dec 2022.  VIVALDI. ALBINONI : Il mondo roverso. Gli incogniti. A.Beyer.

La bulle de bonheur créée par Amandine Beyer et les Incogniti.

La saison des Arts Renaissants offre depuis 40 ans aux Toulousains des concerts d’artistes rares, toujours fins musiciens, parfois un peu atypiques et que le public est ravi de découvrir. Cette saison des 40 ans est marquée par un lustre particulier. L’invitation faite par Jean-Marc Andrieu, le directeur artistique, à Amandine Beyer qu’il connaît bien, permet au public d’entendre tout simplement le plus beau Vivaldi du moment. Amandine Beyer a créé les Incogniti avec ses amis en 2006 et leur premier enregistrement en 2008 a été dédié à Vivaldi.  Ce CD a fait l’effet d’une bombe. La scie musicale représentée par les Quatre saisons de Vivaldi est redevenue une œuvre magique que nous n’avions jamais entendue ainsi. Sous leurs doigts, le succès a été total, public et critique. C’est cette magie qui perdure dans tout ce qu’ils font et tout particulièrement dans la musique de Vivaldi. Ils en sont à leur troisième enregistrement qui vient de paraître et dont le concert est une version ramassée.

Ce concert ouvre la joie, la lumière du soleil, la générosité et la beauté de chaque instant sous les voûtes froides de l’église Saint Gérôme. L’entente musicale entre les artistes illumine leur jeu souverain. Tout est élégance, légèreté, souplesse et danse dans ces concertos. Chaque musicien est un soliste de haut vol. Amandine Beyer règne par sa grâce et son sourire, son archer est un papillon, un oiseau libre dont le vol est magique.

Ce florilège de concertos propose des associations originales qui chaque fois sont merveilleusement interprétées. Le hautbois de Neven Lesage, est délicat et sensuel, ses longues phrases sont superbes et il semble planer dans les mouvements lents et s’envoler dans les notes virtuoses, rien ne le maintient au sol. Le violoncelle de Marco Ceccato est bonhomme et sensible. Quel étonnant dialogue avec Amandine Beyer dans le RV 544 « Il mondo rovescio » qui donne son nom à ce programme.  

C’est la fête de la joie, une bulle de bonheur dans laquelle le public venu nombreux s’est plongé avec délice et reconnaissance en ces temps troublés, oui ce soir c’est bien là le bonheur !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Eglise Saint Gérôme, le 6 décembre 2022. Tomaso Albinoni ( 1671-1751) : Concerto a cinque con oboe en ré mineur op.9 n°2 ; Antonio Vivaldi (1671-1751 : Concerto en do majeur RV 114 ; Concerto pour violon et violoncelle en fa majeur RV 544 «  Il proteo ossia il mondo rovescio » ; Concerto pour violon en la majeur RV 344 ; Concerto pour violon et hautbois à l’unisson RV 543 ; Concerto pour violon en mi mineur RV 278 ; Concerto pour violon, hautbois et orgue en do majeur RV 554 ; Gli Incogniti : Neven Lesage, hautbois ; Vadym Makarenko, Alba Roca, violons ; Marta Paramo, alto ; Marco Ceccato, violoncelle ; Elias Conrad, théorbe ; Baldomero Barciela, violone ; Anna Fontana, clavecin et orgue ; Amandine Beyer, violon et direction.

Photos © : Honorato

Elisabeth Leonskaja maitrise le temps schubertien

Critique. Coffret de 8 CD. Intégrales des Sonates de Frantz SCHUBERT. Élisabeth LEONSKAJA, piano. Warner Classics.

Le Schubert de Leonskaja maitre du temps.

Voici un beau coffret qui ravira autant les amoureux du jeu sensible d’Élisabeth Leonskaja que ceux qui aiment le piano de Schubert. Pour ma part je fais partie des deux et ce coffret de l’intégrale de ses sonates me ravit.

Une écoute attentive de ce coffret m’a conduite à réécouter la compilation Schubert enregistrée de 1986 à 1997 qui regroupe les sonates tardives, les Impromptus et le Quintet la Truite. Cette écoute minutieuse m’a   fait faire une découverte intéressante. Certes le jeu de Leonskaja est égal en termes de perfection technique dans les deux coffrets. Il est d’ailleurs remarquable de constater le soin donné à ces derniers enregistrements : une restitution absolument impeccable et dans une belle prise de son. Car c’est un péché véniel de la grande artiste que de parfois, au concert, ne pas tenir cette technique avec autant de précision. Mais ce qui compte avec cette merveilleuse musicienne c’est la direction qu’elle imprime à la partition et le voyage dans lequel elle nous entraine. Dans ce tout nouveau coffret les dernières sonates de la D. 784 à la D. 960 ont été enregistrées en 2015 et les plus récentes en 2017. L’unité de la prise de son est parfaite, le piano sonne lumineux, précis et nuancé.

Il est paradoxal de parler de sonates de jeunesse pour les premières, Schubert est mort à 31ans ! Ses premières sonates sont certes un peu « beethoveniennes » mais déjà sonnent comme le Schubert des divines longueurs qui va advenir. Élisabeth Leonskaja avec beaucoup de délicatesse et une vision puissante les aborde comme des chefs d’œuvre à part entière. Voilà de bien beaux voyages que la pianiste d’origine russe nous offre. Comment ne pas céder au charme de l’adagio de la troisième sonate D.459. Le legato souverain, la tendresse et la simplicité évidente du jeu de la grande Leonskaja y font merveille.

Pour les sonates tardives, il n’y a pas de doute Élisabeth Leonskaja est un passeur hors pair qui aime Schubert et comprend l’infinie poésie contenue dans son piano. Depuis ces enregistrements des années 1990, en 30 ans, Élisabeth Leonskaja a assoupli considérablement son jeu sans abandonner sa parfaite technique. Le rebondi de certaines notes, la souplesse des phrasés, le coulé des nuances tout est plus souple, plus sensible. Et avec encore davantage d’évidence je ressens à l’écoute de ces très belles interprétations combien la grande dame du piano a percé un mystère particulier de la musique de Schubert. Il y a dans la musique de Schubert un rapport au temps particulier qui est merveilleusement offert au public dans ce coffret. La musique de Schubert joue avec le temps, les répétitions, les reprises, les développements sont nombreux, les moments de danse avancent autrement que les promenades, les accords martelés, les longues cantilènes ont chacun leur temps diversifié. Il y a un temps extérieur car l’espace, et la nature sont présents dans certaines sonates et un temps intime, des états d’âme douloureux ou heureux, des émotions pudiques comme de la joie extravertie de retrouvent dans d’autres mouvements. Les réminiscences et une certaine nostalgie jouent également beaucoup avec la notion de temps. Toujours le présent est fui et pourtant la musique est art du présent.

Ce paradoxe est admirablement résolu par le jeu subtil d’Élisabeth Leonskaja. Elle donne à chaque moment son rapport au temps exact et pourtant nous offre un temps suspendu dans le présent de son jeu. C’est subtilement troublant. Et je ne me lasse pas d’écouter ces sonates dans ces interprétations avec cette sensation du temps toujours différent et invariablement présent et cette musique qui avance vers la vie.  Un exemple fort me semble être l’Andantino sublime de la D. 959. Ce n’est pas une question de rubato ou de ralenti ou d’accélération. C’est autre chose, il me semble que c’est là l’un des secrets de la poésie infinie de la musique de Schubert qui sait si bien narrer et chanter la vie. Élisabeth Leonskaja nous fait partager sa belle découverte et nous rapproche de Schubert, si pressé de vivre intensément, comme conscient de sa mort proche.

CRITIQUE.ENREGISTREMENT. INTEGRALE DES SONATES DE FRANTZ SCHUBERT (1797-1828). WARNER CLASSICS. Enregistrements de 2015 et 2017. 8 CD. Code : 0 190296 287855.

Hubert Stoecklin

Tugan Sokhiev retrouve Toulouse pour un concert mémorable

CRITIQUE.CONCERT. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 17 Nov. 2022. A. BRUCKNER. Symph.8. Orchestre National du Capitole de Toulouse. T. SOKHIEV.

Pour un concert Tugan Sokhiev est de retour, musiciens et public exultent !

Lors de la répétition le sourire scelle l’amitié avec l’ orchestre du Capitole malgré tout ….

D’abord les mesures drastiques durant la pandémie ont privé le public d’une grande partie des concerts mais c’est surtout la maladresse impardonnable de la politique locale qui a privé les Toulousains de plusieurs magnifiques concerts avec le Maestro Sokhiev. 

photo de Romain Alcazar

L’ovation publique à l’entrée sur scène de Tugan Sokhiev libérait la fin de la rage (d’en avoir été privé) et la joie (de le retrouver) comme rarement lors d’un concert. Tugan Sokhiev sombre et concentré ouvre le concert avec une certaine tension qu’expliquent certes les difficultés de la partition, cette symphonie de Bruckner est un monument dangereux pour les chefs les plus avertis, et surtout la victoire sur lui-même qui lui a permis de revenir là où il avait été insulté. Il a pardonné semble-t-il et revient pour son amour de la musique partagé avec ses amis musiciens et ce public qui l’adore. L’ambiance est changée. Une certaine légèreté un enthousiasme joyeux ne se retrouvera plus, certes Tugan Sokhiev a 45 ans mais ce sont plus les évènements recents qui sont responsables de ce changement, plus que l’âge. Les concerts qu’il donnera avec son « ancien orchestre » sont comptés, il y en aura trois dont celui-là. Et il viendra à Toulouse en Mars comme une revanche avec l’un de orchestres les plus merveilleux du monde : La Philharmonie de Vienne.

Photo Romain Alcaraz

Ce soir c’est un magnifique retour avec Bruckner. Le premier mouvement de la 8° symphonie est marqué par une grandeur assumée et une tension ménagée avec art. Un grand chef et un grand orchestre rendent cette partition plus compréhensible, plus clairement charpentée dans une splendeur sonore de chaque instant. Loin des interprétations grandiloquentes qui sont parfois confuses. Avec Tugan Sokhiev tout est clair, limpide et grand. C’est le deuxième mouvement qui permet de retrouver la complicité souriante du chef et des musiciens, la gourmandise aussi. Voir son sourire en lançant les péroraisons des gros cuivres, la malice partagée, la souplesse rythmique sont un vrai bonheur. Ainsi ce Scherzo trouve le caractère que peu de chefs savent lui donner.  Le trio central prépare à la mélancolie de l’Andante. Le retour des thèmes vivants et dansants avec ces cuivres farceurs n’en est que d’avantage savoureux. Et les moments de mystères sont savamment amenés par un Tugan Sokhiev qui retrouve sa totale complicité avec les musiciens et le public. Que de félicité partagée !

Photo Romain Alcazar

Le troisième mouvement un Andante immensément long permet au chef une direction d’un raffinement particulier. Ainsi des phrasés enveloppants, des nuances contrastées, un tempo étiré puis raffermit subtilement donnent beaucoup d’émotions à ce mouvement. Tout cela touche au sublime et le ciel s’ouvre avec les violons et les trois harpes célestes. Ce mouvement est bien le centre vital de la symphonie, le moment ou les chefs lourds s’enlisent. La grâce dégagée par l’interprétation de ce soir restera dans les annales :  quelle magie infinie, quelle suspension du temps et quel apaisement  des peines de l’âme !

Photo Romain Alcazar

Mais tout l’art de Sokhiev ne serait pas complet sans sa gestion incroyable des crescendi. Le final jubilatoire, permettra cela. Les solistes se régalent et jouent leurs plus belles notes. La puissance sans lourdeur trouve l’équilibre parfait entre splendeur des couleurs, irisation des timbres, pleine lumière sur l’empilement des thèmes dont l’enchevêtrement demeure analysable. Tugan Sokhiev connaît par cœur l’acoustique de la salle et ce qu’il peut demander à l’orchestre, la tension est savamment organisée et le crescendo final sera le plus spectaculaire ! C’est carrément euphorisant et le public ne peut attendre la fin de la dernière note pour exploser de joie. Les ovations pour les instrumentistes (il faudrait tous, absolument tous, les citer) et pour le chef enfin retrouvé sembleront sans fin. La soirée se termine par une standing ovation bien méritée. Il faut également dire combien enfin la Halle-aux-Grains a de nouveau été pleine à craquer. Cela aussi n’était plus arrivé depuis longtemps…

Photo Romain Alcazar

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 17 Novembre 2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°8 en ut mineur, A.117 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction, TUGAN SOKHIEV.

Pour ceux qui veulent en savoir d’avantage sur le départ précipité de Tugan Sokhiev

Cecilia Bartoli- Vivaldi-Les Musiciens du Prince-Monaco ça décoiffe !

CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE, LE 7 Nov. 2022. A. VIVALDI. G.F. HAENDEL. C. BARTOLI. LES MUSICIENS DU PRINCE-MONACO. G. CAPUANO.

Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince : un soleil au firmament

Cecilia Bartoli avec un art souverain semble faire ce qu’elle veut de sa voix. Avec sa technique très particulière elle poursuit une carrière au sommet semblant se jouer du temps. Vivaldi et Haendel ne sont certainement pas les compositeurs baroques les plus faciles. Leurs exigences vocales restent les plus hautes et La Bartoli règne sans grandes rivales parmi leurs œuvres les plus exigeantes. Alternant airs de charme, de tendresse ou de haute virtuosité avec des intervalles de musique orchestrale, le concert donné sans entracte se déroule avec une facilité incroyable.  Dès le premier air, elle joue à l’oiseau et avec une exactitude diabolique elle chante des vocalises d’une précision parfaite. Puis ce sera la délicatesse des phrasés qui enchante, la longueur du souffle qui subjugue et la langueur de la plainte qui émeut. Cet art vocal total, tel un bel canto idéal, appartient à Cecilia Bartoli depuis bientôt 40 ans avec la même splendeur sans que la magie ne soit ternie par les ans. Les couleurs de la voix sont davantage harmonieuses, la puissance vocale s’affine, le tempérament dramatique s’assagit mais le chant ne perd pas en intensité. Ainsi l’artifice convainc toujours autant. Vivaldi coule dans sa voix sans aspérités.

L’orchestre du Prince rassemblé sur les conseils de Cecilia et financé par le Prince de Monaco rassemble la fine fleur des instrumentistes baroques. Instruments baroques et jeux informés, l’accord avec la cantatrice romaine insatiable chercheuse de perfection stylistique est total. La complicité développée avec eux est grande et le chef Gianluca Capuano n’est pas en reste. A n’en pas douter, le partage de la musique, le plaisir de l’offrir au public en sa vérité dramatique est bien le projet commun qu’ils construisent. Il me semble que cette collaboration amicale au sommet apaise la cantatrice qui arrive à mieux canaliser son énergie débordante. Même la robe portée tout le concert, d’un splendide vert Véronèse, n’est pas troquée comme c’était le cas dans le spectacle précédent dans une orgie de changements à vue spectaculaires mais un peu superficiels. La théâtralité de Vivaldi n’en est que davantage émouvante avec ces purs moyens musicaux. Tout au plus signalons le jeux expressif et manquant de pureté des cordes jouant le contraste systématiquement de la rugosité face au legato souple et enveloppant de Cecilia Bartoli.  Le Vivaldi des Musiciens du Prince a une énergie débordante. On pourra avec subtilité les comparer aux Incogniti d’Amandine Beyer qui eux également renouvellent l’interprétation de la musique de Vivaldi. Ils viendront à Saint-Pierre des Cuisines dans les concerts du Musée le 6 Décembre.

Ce soir un son âpre et parfois fruste du plus bel effet mais qui implique un manque de précision et de « propreté » du son est un peu trop systématique. Ce parti pris s’effacera avec la musique du grand Haendel.

La deuxième partie du concert, donné sans véritable entracte, juste un réajustement de l’accord, ouvre le monde plus large et plus noble de Haendel. L’orchestre s’étoffe et le son gagne en profondeur et en largeur. Cecilia Bartoli débute avec la même joie partagée ce jeu de miroir avec un oiseau babillard comme en ouverture de concert chez Vivaldi. Haendel a les mêmes qualités de variété dans les exigences vocales. Cecilia Bartoli a la même aisance dans un art vocal total. Virtuosité diabolique, souffle immense, phrases portées à leur apogée, mélancolie à la noble tristesse, humour taquin, toutes les émotions habitent la cantatrice si bien entourée. Les musiciens solistes rivalisent de complicité : violon solo, flûte, hautbois, trompette. La rivalité jouée entre la cantatrice, le hautbois et la trompette apporte beaucoup de plaisir tant aux musiciens qu’au public. Deux bis, une chanson du XX e siècle et un duel à fleuret moucheté entre la voix et la trompette concluent cette soirée de joie et de beauté. Avec un humour incroyable Cecilia ira dans son duel chercher l’appui de la mélodie sublime Summertime de Gershwin :  elle peut tout chanter la Bartoli !

A l’invitation des Grands Interprètes Cecilia Bartoli et ses Musiciens du Prince-Monaco nous ont offert un concert tout simplement royal !

Hubert Stoecklin

Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 7 Novembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Airs et pièces instrumentales ; George Frédéric Haendel (1685-1759) : Ouverture, airs, pièces instrumentales ; Les Musiciens du Prince – Monaco ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Direction : Gianluca Capuano.

Une THEODORA de référence

Critique .CD. G.F. HAENDEL. THEODORA. L. OROPESA. J. DI DONATO. P.A. BENOS-DJIAN. M. SPYRES. J. CHEST.  IL POMO D ORO. M. EMELYANYCHEV. 3.CD ERATO. 2022.

THEODORA Oratorio mal connu mais superbe dans la meilleure version diponible !

Étrange carrière pour cet Oratorio qui ne trouve jamais vraiment son public. Haendel y tenait et pensait que c’était l’un de ses meilleurs Oratorio même si à chaque reprise le succès n’a pas été au rendez-vous de son vivant. Chaque fois que le public l’entend aujourd’hui il est ému par la simplicité et la beauté des airs et des chœurs. Moi-même en 2012 à la Chaise-Dieu.

Cet enregistrement fait lors de plusieurs concerts en 2021 garde une intensité que seuls les concerts offrent : car tout est vie dans cette version.

Maxime Emelyanychev semble galvaniser chacun, orchestre, chœur et solistes. Sa complicité avec Il Pomo d’Oro, son orchestre, est totale. Avec le chœur également sans contestation mais ce qui se passe avec les solistes est tout simplement fascinant. Chacun dans ses airs développe ses qualités les plus belles sans renoncer à une dimension dramatique soutenue par le chef. Ce sont les humbles qui ont les airs les plus émouvants. Voilà peut-être une explication du manque de succès de l’Oratorio : l’humilité des héros n’est pas assez brillante. Des héros de la modestie en quelque sorte. En tous cas quelles voix dans ce Cast !

Lisette Oropesa a un soprano noble et des phrasés de toute beauté. Le timbre est ombré de belles couleurs et fait merveille dans ce rôle de Noble patricienne devenue chrétienne et qui accepte la mort avec calme, la réclame même et a une hauteur de vue troublante. Sa Théodora est aussi émouvante qu’impressionnante avec une aisance totale dans les exigences vocales que Haendel lui confie. Sa grande scène du début de la partie deux avec plusieurs airs et récitatifs est très impressionnante. Et Haendel lui réserve deux très beaux duos avec Didymus et un autre avec Irène.

Joyce Di Donato au timbre de bronze et aux accents sincères donne beaucoup de puissance au rôle second de l’amie chrétienne, Irène. À elle également Haendel offre des airs absolument magnifiques. L’engagement de Joyce Di Donato ne fait pas mystère, c’est une actrice hors pair et ici la complicité avec le chef est brûlante. Ces airs subtilement nuancés, phrasés avec art sont portés par un orchestre de feu.

Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian au timbre si riche a un rôle dramatique semblant modeste mais les airs et les récitatifs sont si intenses que la magie vocale et dramatique se renforcent mutuellement. Phrasés subtiles, nuances délicates, mélancolie noble ou puissance dans les vocalises, cet artiste a tout d’un haendelien de haut vol. Son Didymus sensible et généreux est idéal.

Si un exemple peut suffire à prouver la valeur de la partition et la suprématie de cet enregistrement, je propose l’écoute du premier duo Didymus-Théodora fin de la scène trois de la deuxième partie avec l’orchestre profond et terrifiant de Maxime Emelyanychev. C’est somptueux en tout, absolument en tout !

Le ténor Michael Spyres est admirable de timbre et de style mais Septimius ne fait pas partie des personnages les plus passionnants.

John Chest a le rôle du méchant personnage, Valens, plus par obéissance à un pouvoir aveugle que par perfidie. Il est tout à fait bien chantant et incarne de manière satisfaisante ce personnage plutôt  fade.

Le Chœur incarne les deux peuples : les païens vifs et joyeux et les chrétiens plus tourmentés et idéalistes avec le même bonheur. Maxime Emelyanychev accentue les contrastes d’écritures pour chaque chœur et l’effet en est saisissant.

Voici un enregistrement qui sans difficulté prend la tête des versions de la discographie en raison de la qualité des voix et de la direction dramatique et contrastée du chef. Maxime Emelyanychev demeure un chef baroque des plus merveilleux.

L’enregistrement est très précis, les bruits du public sont très atténués. Rien ne vient limiter le plaisir de l’écoute. L’orchestre et le chœur sont généreux et les voix toutes superlatives. Une grande version discographique qui est le reflet fidèle de grands concerts à la Philharmonie d’Essen en novembre 2021.

Hubert Stoecklin

Critique. CD. Georg Frédéric Haendel (1685-1759): Théodora, Oratorio HWV 68.  John Chest, Valens ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Didymus ; Michael Spyres, Septimius ; Lisette Oropesa, Théodora ; Joyce Di Donato, Irène ; Massimo Lombardi, un messager ; Chœur Il Pomo d’Or. Directeur du chœur, Giuseppe Maletto ; Orchestre Il Pomo d’Or. Direction, Maxim Emelyanychev. 3 CD ERATO. Enregistrement à la Philharmonie d’Essen du 26 au 29 XI 2021. Code 5 054197 177910.