Écrire s’est bien et indispensable. Il se trouve que mon ami Jérôme Gac m’invite régulièrement depuis le confinement dans son émission : Un cactus à L’entracte
Tous les spectacles scéniques importants sont passé au crible. Théâtre, Ballet, Opéra…
A trois ou quatre les avis sont plus tranchés, les échanges peuvent être vifs et les désaccords vus comme des compléments de points de vue. Parfois ça pique un peu mais personne n’est jamais méchant . Il m’ arrive de détailler des points que j’ai juste suggérés dans mes chroniques. Souvent je parle de pièces de théâtre sur lesquelles je n’ai pas écrit. Et un podcast c’est toujours sympa à un moment ou un autre…
Voici donc l’édition Mimi et Catarina un grand écart entre une forme de conformisme et une modernité dérangeante
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 8 dec 2022. MAHLER. Symphonie 9. Orch. Phil. de Radio France. M.W. Chung.
Une neuvième de Mahler idéale
Les Grands Interprètes ont invité le chef coréen Myung-Whun Chung à la tête d’un orchestre qu’il connaît bien pour l’avoir dirigé longtemps (de 2000 à 2015), le Philharmonique de Radio-France.
Ces retrouvailles dans la musique de Mahler semblent être un moment apprécié du chef comme de l’orchestre. L’osmose a été totale. Dirigeant sans baguette entièrement absorbé par cette vaste symphonie testamentaire, le contact avec l’orchestre a été profond. Le public a vécu un moment d’une rare intensité. Péché véniel que ces applaudissements après les mouvements. Le dernier long silence après les dernières notes de la symphonie imposé par le chef a signé le charisme intense du chef en ses grands soirs.
Le premier mouvement a débuté dans un grand mystère et s’est développé avec un art des phrasés surnaturel. La beauté des soli instrumentaux bien souvent dans de périlleuses nuances piano a semblé sortie de rêves. La moquerie, l’impertinence dans le deuxième mouvement ont vraiment marqué un contraste absolu avec l’élégance de l’andante. Typiquement mahlerien ce choc a apporté une vie incroyable. Le rondo avec ses traits rapides a été dirigé avec une grande précision et quelque chose de jubilatoire. Là aussi le contraste a été très réussi. Les instrumentistes se distinguent par une facilité incroyable. Les plans parfaitement organisés et d’une lisibilité totale ont permis de véritablement déguster un grand orchestre auquel rien n’est impossible. Le final débute avec une plainte des violons fortissimo dont la puissance a véritablement enveloppé l’auditeur provoquant une émotion très particulière à la fois d’une profonde tristesse et pleine d’espoir. La manière dont Myung-Whun Chung phrase tout ce mouvement tient du miracle, c’est à la fois large, puissant et bienveillant. Cette humanité transfigurée est d’une telle beauté que l’auditeur se sent transporté ailleurs, loin, très loin… passant d’une musique à la dimension cosmique au plus intime solo de violon, puis au silence. Nathan Mierdl en violon solo est angélique. Myung-Whun Chung fait du silence final le point d’orgue de la symphonie et retient dans un souffle, musiciens et public pour un moment mystique. Les nuances infimes, les silences habités, les couleurs infinies, la puissance cosmique de tout l’orchestre, tout a été d’une incroyable perfection orchestrale et se rappellent à nous dans ce silence bienheureux. Mahler dans sa dimension si humaine est ici comme réincarné et devient très proche.
Myung-Whun Chung est un très, très grand chef et le Philharmonique de Radio France un orchestre absolument somptueux. Ce soir nous avons vécu un très grand concert et Mahler a été exaucé en ses contrastes les plus inouïs.
Photo DR
La satisfaction du chef a semblé totale et le public a exulté. De longs applaudissements ont salué cette interprétation exceptionnelle.
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 8 décembre 2022. Gustave Mahler (1860-1911) : Symphonie N°9. Orchestre Philharmonique de Radio-France. Myung-Whun Chung, direction.
Critique. Théâtre. Toulouse. Théâtre de la Cité, le 7 décembre 2022. Tiago Rodrigues : Catarina et la beauté de tuer des fascistes.
Une pièce particulièrement puissante qui bouscule le public.
Tout commence avec les lumières de salle allumées et finira de même. Tout le reste de la pièce sera frontal avec la salle sombre. Tiago Rodrigues construit sa pièce avec rigueur. Il déploie toutes les manipulations théâtrales avec notre accord en ce qui concerne les deux premières heures du spectacle, mais la dernière demi-heure fera polémique. Dans la première partie nous regardons vivre une famille de manière classique avec des moments drôles, lourds, pénibles, des crises et des embrassades. Le choc des générations, les jalousies, les amours, les haines. Pourtant cette famille a deux particularités très importantes.
La photo de famille
Le plus immédiat pour le spectateur est cette manière de tous et toutes se nommer Catarina et de porter une robe. Tout ceci afin de rendre hommage, de faire disparaître toute dimension personnelle face à l’acte fondateur de cette terrible tradition familiale qui va être questionnée par la pièce avec beaucoup d’intelligence et de profondeur. Est-ce un traumatisme rejoué, une vengeance assumée de manière transgénérationelle, un acte politique, un secret partagé, une obligation qui scelle l’amour familial ? Un peu de tout cela au final. La Catarina dont il est question a existé et le village de l’action était le sien, un certain jeu avec la vraisemblance existe donc pour les portugais. Les faits nous seront lus durant la pièce comme un catéchisme. Il s’agit d’une lettre dictée par l’aïeule. Elle a tué devant ses enfants son mari. Car ce dernier n’a pas réagi lorsque Catarina a été tuée de trois balles dans le dos. Et elle somme sa descendance de se réunir dans la maison familiale chaque année pour exécuter un fasciste. Le Tabou du Parricide n’est pas nommé, il est rejoué chaque année, à date fixe : un fasciste est enlevé et tué lors des retrouvailles dans la maison de famille. Freud a bien expliqué combien c’est le groupe qui permet de réaliser un crime en partageant la responsabilité. Par ce partage le crime n’est plus ignoble et l’interdit est levé. Ce jour nous attendons avec la famille une « Catarina » meurtrière dont c’est l’accès à la « majorité ». La petite fille ainée va accéder au stade supérieur par son premier meurtre de fasciste. Cet homme est présent sur scène et va constamment en position soumise, être déplacé sans jamais prendre la parole, répondant aux questions par des hochements de tête. Cette présence muette et embarrassante va peser de plus en plus au public.
Le fasciste réduit au silence
Il y a dans cette famille des moments succulents : la recette des pieds de porc, les jalousies entre les frères et sœurs, la querelle mère-fille sous prétexte d’un pull donné-repris, l’argent entre frères et sœurs avec l’éternel fauché, le véganisme adolescent face aux vieux mangeurs de viande, le vol des hirondelles, la photo de famille, l’ado qui a rivé ses écouteurs sur ses oreilles …
Les très beaux décors de paravents en bois et d’estrades sont déplacés à vue par les comédiens. Tout du long une vraie complicité théâtrale se crée entre le public et les comédiens. Le texte est brillant, le jeu subtil.
la noirceur
Un moment fort advient lorsque la jeune femme désignée ne peut tuer. Elle lâche l’arme qu’elle a dans la main et admet de pas pouvoir, ni vouloir tuer. En se désolidarisant du groupe elle le fait éclater.
la préparation au rite de passage
Les disputes sont terribles et chaque membre de la famille va finir par être abattu sans que nous sachions clairement qui tire. Serait-ce la symbolique de la destruction du groupe familial par la conscience réveillée de l’une d’elle ? Peut-être un drone qui viendrait sauver l’homme politique ? Tout est possible, chacun aura son hypothèse. Tous les membres de la famille sont à terre. Et c’est alors que le coup de théâtre au sens propre et figuré advient. La salle est illuminée, le comédien silencieux se dresse et harangue la foule. Les membres de la famille se relèvent un à un et se groupent en silence, écoutant l’orateur, puis également la salle avec des regards inquiets. Dans un premier temps l’orateur parle de liberté de fort belle manière, un certain accord se crée, ça semble bien commencer … mais au bout de quelques minutes il n’y a plus de doutes c’est un discours fasciste très bien organisé, huilé et intelligent, tout à fait abominable qui avance comme un rouleau compresseur. La salle se cabre, des insultes fusent. Le comédien avec un panache rare résiste dans des conditions d’hostilité grandissante (le soir de la première). Il termine les 30 minutes de son terrifiant discours et quitte la scène « droit dans ses bottes » en criant Vive le Portugal ! Entre bronca et applaudissements les saluts se font dans un vacarme épouvantable !
il y a de l’amour
Une partie du public a tout simplement, sous les coups du discours insupportable, oublié que ce n’est « que du théâtre » et non un meeting politique. Oubliant que le comédien joue un rôle et n’adhère pas à ce qu’il dit. Public tu t’es fait avoir en beauté !
Et à mon sens nous avons tous été manipulés. Il y a clairement la naissance d’une horde de fascistes sur toute l’Europe. Et cela ne vient probablement pas de nulle part. Tiago Rodrigues nous permet d’y regarder de plus prêt. Il nous propose une hypothèse très dérangeante : n’y a-t-il pas du totalitarisme dans la « famille des Catarina » ? Les individus ne pensent plus mais se soumettent au nom de l’amour à des idées toutes faites. N’est-ce pas cette absence de pensée, de dialogues, d’argumentations, de controverses amicales, de respect des avis différents qui participe à la création d’esprits soumis. Individus qui ne réagissent plus à l’injustice, se rangent derrière un chef comme ils ont suivi les directives des parents, ici une matriarche. A croire qu’il n’y a point de salut hors de la famille, le danger vient toujours de l’extérieur. Ainsi cette pièce en forme de fable des Catarina questionne ce qui se passe dans les familles qui ne pensent plus, même si le point de départ était une pensée audacieuse avec sa part de noblesse, comme chez l’aïeule.
Tiago Rodrigues tente de réveiller la pensée de son public, certains le souhaiteraient plus radical, pour ma part je trouve que cette manière élégante de monter sa pièce, l’intelligence du texte, la beauté des décors, la puissance de la musique permet de nous séduire, de nous manipuler afin de nous faire vivre des choses dérangeantes. Cela permet également d’aiguiser nos pensées, comme cette question sur la famille qui tue la pensée personnelle ou cette adhésion même de quelques minutes à un discours fasciste ; et surtout de prendre ce temps imposé pour écouter à défaut d’entendre 30 minutes durant ce que jamais nous n’irions écouter alors que nous nous croyons ouvert d‘esprit… Tout ce paradoxe est douloureux.
Quelle soirée ! Quelle pièce !! Ce théâtre qui amène à penser si fort est une bénédiction !!!
Critique. Théâtre. Tiago Rodrigues : Catarina et la beauté de tuer des fascistes. Pièce présentée au Théâtre de la Cité avec le Théâtre Garonne. Pièce en portugais, traduction de Thomas Resendes ; Surtitres de Patricia Pimentel. Théâtre de la Cité, le 7 Décembre 2022. Mise en scène et texte : Tiago Rodrigues ; Scénographie : F.Ribeiro ; Lumières : Nuno Meira ; Chef de chœur, arrangement vocal : Joao Henriques. Avec : Isabel Abreu, Antonio Afonso Parra, Romeu Costa, Antonio Fonseca, Beatriz Maia, Marco Mendoça, Carolina Passos Sousa, Rui M. Silva. Durée 2h 30mn.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Église Saint Gérôme, le 6 dec 2022. VIVALDI. ALBINONI : Il mondo roverso. Gli incogniti. A.Beyer.
La bulle de bonheur créée par Amandine Beyer et les Incogniti.
La saison des Arts Renaissants offre depuis 40 ans aux Toulousains des concerts d’artistes rares, toujours fins musiciens, parfois un peu atypiques et que le public est ravi de découvrir. Cette saison des 40 ans est marquée par un lustre particulier. L’invitation faite par Jean-Marc Andrieu, le directeur artistique, à Amandine Beyer qu’il connaît bien, permet au public d’entendre tout simplement le plus beau Vivaldi du moment. Amandine Beyer a créé les Incogniti avec ses amis en 2006 et leur premier enregistrement en 2008 a été dédié à Vivaldi. Ce CD a fait l’effet d’une bombe. La scie musicale représentée par les Quatre saisons de Vivaldi est redevenue une œuvre magique que nous n’avions jamais entendue ainsi. Sous leurs doigts, le succès a été total, public et critique. C’est cette magie qui perdure dans tout ce qu’ils font et tout particulièrement dans la musique de Vivaldi. Ils en sont à leur troisième enregistrement qui vient de paraître et dont le concert est une version ramassée.
Ce concert ouvre la joie, la lumière du soleil, la générosité et la beauté de chaque instant sous les voûtes froides de l’église Saint Gérôme. L’entente musicale entre les artistes illumine leur jeu souverain. Tout est élégance, légèreté, souplesse et danse dans ces concertos. Chaque musicien est un soliste de haut vol. Amandine Beyer règne par sa grâce et son sourire, son archer est un papillon, un oiseau libre dont le vol est magique.
Ce florilège de concertos propose des associations originales qui chaque fois sont merveilleusement interprétées. Le hautbois de Neven Lesage, est délicat et sensuel, ses longues phrases sont superbes et il semble planer dans les mouvements lents et s’envoler dans les notes virtuoses, rien ne le maintient au sol. Le violoncelle de Marco Ceccato est bonhomme et sensible. Quel étonnant dialogue avec Amandine Beyer dans le RV 544 « Il mondo rovescio » qui donne son nom à ce programme.
C’est la fête de la joie, une bulle de bonheur dans laquelle le public venu nombreux s’est plongé avec délice et reconnaissance en ces temps troublés, oui ce soir c’est bien là le bonheur !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Eglise Saint Gérôme, le 6 décembre 2022. Tomaso Albinoni ( 1671-1751) : Concerto a cinque con oboe en ré mineur op.9 n°2 ; Antonio Vivaldi (1671-1751 : Concerto en do majeur RV 114 ; Concerto pour violon et violoncelle en fa majeur RV 544 « Il proteo ossia il mondo rovescio » ; Concerto pour violon en la majeur RV 344 ; Concerto pour violon et hautbois à l’unisson RV 543 ; Concerto pour violon en mi mineur RV 278 ; Concerto pour violon, hautbois et orgue en do majeur RV 554 ; Gli Incogniti : Neven Lesage, hautbois ; Vadym Makarenko, Alba Roca, violons ; Marta Paramo, alto ; Marco Ceccato, violoncelle ; Elias Conrad, théorbe ; Baldomero Barciela, violone ; Anna Fontana, clavecin et orgue ; Amandine Beyer, violon et direction.
Critique. Coffret de 8 CD. Intégrales des Sonates de Frantz SCHUBERT. Élisabeth LEONSKAJA, piano. Warner Classics.
Le Schubert de Leonskaja maitre du temps.
Voici un beau coffret qui ravira autant les amoureux du jeu sensible d’Élisabeth Leonskaja que ceux qui aiment le piano de Schubert. Pour ma part je fais partie des deux et ce coffret de l’intégrale de ses sonates me ravit.
Une écoute attentive de ce coffret m’a conduite à réécouter la compilation Schubert enregistrée de 1986 à 1997 qui regroupe les sonates tardives, les Impromptus et le Quintet la Truite. Cette écoute minutieuse m’a fait faire une découverte intéressante. Certes le jeu de Leonskaja est égal en termes de perfection technique dans les deux coffrets. Il est d’ailleurs remarquable de constater le soin donné à ces derniers enregistrements : une restitution absolument impeccable et dans une belle prise de son. Car c’est un péché véniel de la grande artiste que de parfois, au concert, ne pas tenir cette technique avec autant de précision. Mais ce qui compte avec cette merveilleuse musicienne c’est la direction qu’elle imprime à la partition et le voyage dans lequel elle nous entraine. Dans ce tout nouveau coffret les dernières sonates de la D. 784 à la D. 960 ont été enregistrées en 2015 et les plus récentes en 2017. L’unité de la prise de son est parfaite, le piano sonne lumineux, précis et nuancé.
Il est paradoxal de parler de sonates de jeunesse pour les premières, Schubert est mort à 31ans ! Ses premières sonates sont certes un peu « beethoveniennes » mais déjà sonnent comme le Schubert des divines longueurs qui va advenir. Élisabeth Leonskaja avec beaucoup de délicatesse et une vision puissante les aborde comme des chefs d’œuvre à part entière. Voilà de bien beaux voyages que la pianiste d’origine russe nous offre. Comment ne pas céder au charme de l’adagio de la troisième sonate D.459. Le legato souverain, la tendresse et la simplicité évidente du jeu de la grande Leonskaja y font merveille.
Pour les sonates tardives, il n’y a pas de doute Élisabeth Leonskaja est un passeur hors pair qui aime Schubert et comprend l’infinie poésie contenue dans son piano. Depuis ces enregistrements des années 1990, en 30 ans, Élisabeth Leonskaja a assoupli considérablement son jeu sans abandonner sa parfaite technique. Le rebondi de certaines notes, la souplesse des phrasés, le coulé des nuances tout est plus souple, plus sensible. Et avec encore davantage d’évidence je ressens à l’écoute de ces très belles interprétations combien la grande dame du piano a percé un mystère particulier de la musique de Schubert. Il y a dans la musique de Schubert un rapport au temps particulier qui est merveilleusement offert au public dans ce coffret. La musique de Schubert joue avec le temps, les répétitions, les reprises, les développements sont nombreux, les moments de danse avancent autrement que les promenades, les accords martelés, les longues cantilènes ont chacun leur temps diversifié. Il y a un temps extérieur car l’espace, et la nature sont présents dans certaines sonates et un temps intime, des états d’âme douloureux ou heureux, des émotions pudiques comme de la joie extravertie de retrouvent dans d’autres mouvements. Les réminiscences et une certaine nostalgie jouent également beaucoup avec la notion de temps. Toujours le présent est fui et pourtant la musique est art du présent.
Ce paradoxe est admirablement résolu par le jeu subtil d’Élisabeth Leonskaja.Elle donne à chaque moment son rapport au temps exact et pourtant nous offre un temps suspendu dans le présent de son jeu. C’est subtilement troublant. Et je ne me lasse pas d’écouter ces sonates dans ces interprétations avec cette sensation du temps toujours différent et invariablement présent et cette musique qui avance vers la vie. Un exemple fort me semble être l’Andantino sublime de la D. 959. Ce n’est pas une question de rubato ou de ralenti ou d’accélération. C’est autre chose, il me semble que c’est là l’un des secrets de la poésie infinie de la musique de Schubert qui sait si bien narrer et chanter la vie. Élisabeth Leonskaja nous fait partager sa belle découverte et nous rapproche de Schubert, si pressé de vivre intensément, comme conscient de sa mort proche.
CRITIQUE.ENREGISTREMENT. INTEGRALE DES SONATES DE FRANTZ SCHUBERT (1797-1828). WARNER CLASSICS. Enregistrements de 2015 et 2017. 8 CD. Code : 0 190296 287855.
CRITIQUE.OPERA. Toulouse, le 30 Nov. 2022. G. PUCCINI. LA BOHEME. BARBE et DOUCET. A. CONSTANS. A. ZADA. ORCHESTRE NAT DU CAPITOLE. L. PASSERINI.
Une Bohème solide à Toulouse
Les 4 Compères et Benoit
Cet opéra fait toujours salle comble au point d’être probablement celui qui est le plus souvent représenté à Toulouse. Il a même été possible de proposer deux distributions d’égales valeurs. Comme attendu le succès a été au rendez-vous avec cette nouvelle production solide confiée au tandem Barbe et Doucet. En cette très légère adaptation avec beaucoup de références culturelles et des décors très envahissants, l’exiguïté de la scène a été perceptible. Le parti pris de montrer l’opéra dans une carte postale sépia aurait bénéficié de toiles peintes pour donner de l’air dans l’acte deux et trois. Il n’y a donc pas eu de vrai contraste entre les actes intimistes et en plein air. Ceci est véniel car le public a été conquis. Décors complexes, costumes somptueux et lumières subtiles, tout fonctionne à merveille et le drame se développe sans mal. Le rajout d’accordéon et de chant de rue sont élégants mais assez vains. Voilà donc un travail sérieux mais lourd. Comme l’orchestre d’ailleurs. Le chef italien donne préférence au son, le solide son compact, à la subtilité de la partition de Puccini entre subtils pianissimi et forte brutaux.
Lorenzo Passerini ne recherche pas de contrastes, pas plus que d’atmosphères. C’est le ténor qui fera les frais de ce son plein et envahissant car le Rodolfo d’Azer Zada semble être privé d’harmoniques et sonne bien peu à côté de cet orchestre rutilant. Dommage car son chant est sensible. C’est la Mimi d’Anaïs Constans qui éclaire tout le spectacle. Voix solaire et conduite avec sensibilité, sa Mimi est émouvante et vocalement parfaite.
Le Marcello de Jérôme Boutillier a beaucoup de charisme. Avec une belle voix, très bien conduite, un jeu sincère et émouvant, son Marcello est merveilleux. Le duo à la Barrière d’Enfer avec Mimi est un des moments clés de la soirée. Les autres compères sont bien chantants et acteurs subtils. Guilhem Worms en Colline, Edwin Fardini en Schaunard et Matteo Peirone, ce dernier créant des personnages douteux et drôles en Benoît et Alcindoro.
La Musetta d’Andreea Soare, est presque surdimensionnée tant elle pourrait être une Mimi passionnante. Cela équilibre parfaitement les sopranos dans les ensembles. Il est après tout possible de voir en Musetta un personnage aussi intéressant que Mimi lorsqu’une telle artiste complète s’en empare. Quelle actrice et quelle belle voix chaude et timbrée !
Bravo à toute la troupe car les petits rôles sont parfaitement tenus et le chœur est plein de vie et bien chantant faisant même le poids vocalement face à l’orchestre extraverti de Lorenzo Passerini.
Beau succès pour cette nouvelle Bohème capitoline qui a obtenu les applaudissements mérités. En particulier la somptueuse Mimi d’Anaïs Constans.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 Novembre 2022. Giacomo Puccini (1858-1924) : La Bohème, scènes lyriques en quatre tableaux sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après Henri Mürger. Mise en scène, décors et costumes : Barbe & Doucet. Lumières : Guy Simard. Avec : Anaïs Constans, Mimi ; Azer Zada, Rodolfo ; Andreea Soare, Musetta ; Jérôme Boutillier, Marcello ; Guilhem Worms, Colline ; Edwin Fardini, Schaunard ; Matteo Peirone, Benoît / Alcindoro ; Alfredo Poesina, Parpignol ; Bruno Vincent, un sergent des douanes ; Thierry Vincent, un douanier ; Claude Minich, le Vendeur de prines ; Michel Glasko, accordéon. Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef de chœur : Gabriel Bourgoin). Orchestre National du Capitole, direction : Lorenzo Passerini.
CRITIQUE.CONCERT. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 17 Nov. 2022. A. BRUCKNER. Symph.8. Orchestre National du Capitole de Toulouse. T. SOKHIEV.
Pour un concert Tugan Sokhiev est de retour, musiciens et public exultent !
Lors de la répétition le sourire scelle l’amitié avec l’ orchestre du Capitole malgré tout ….
D’abord les mesures drastiques durant la pandémie ont privé le public d’une grande partie des concerts mais c’est surtout la maladresse impardonnable de la politique locale qui a privé les Toulousains de plusieurs magnifiques concerts avec le Maestro Sokhiev.
photo de Romain Alcazar
L’ovation publique à l’entrée sur scène de Tugan Sokhiev libérait la fin de la rage (d’en avoir été privé) et la joie (de le retrouver) comme rarement lors d’un concert. Tugan Sokhiev sombre et concentré ouvre le concert avec une certaine tension qu’expliquent certes les difficultés de la partition, cette symphonie de Bruckner est un monument dangereux pour les chefs les plus avertis, et surtout la victoire sur lui-même qui lui a permis de revenir là où il avait été insulté. Il a pardonné semble-t-il et revient pour son amour de la musique partagé avec ses amis musiciens et ce public qui l’adore. L’ambiance est changée. Une certaine légèreté un enthousiasme joyeux ne se retrouvera plus, certes Tugan Sokhiev a 45 ans mais ce sont plus les évènements recents qui sont responsables de ce changement, plus que l’âge. Les concerts qu’il donnera avec son « ancien orchestre » sont comptés, il y en aura trois dont celui-là. Et il viendra à Toulouse en Mars comme une revanche avec l’un de orchestres les plus merveilleux du monde : La Philharmonie de Vienne.
Photo Romain Alcaraz
Ce soir c’est un magnifique retour avec Bruckner. Le premier mouvement de la 8° symphonie est marqué par une grandeur assumée et une tension ménagée avec art. Un grand chef et un grand orchestre rendent cette partition plus compréhensible, plus clairement charpentée dans une splendeur sonore de chaque instant. Loin des interprétations grandiloquentes qui sont parfois confuses. Avec Tugan Sokhiev tout est clair, limpide et grand. C’est le deuxième mouvement qui permet de retrouver la complicité souriante du chef et des musiciens, la gourmandise aussi. Voir son sourire en lançant les péroraisons des gros cuivres, la malice partagée, la souplesse rythmique sont un vrai bonheur. Ainsi ce Scherzo trouve le caractère que peu de chefs savent lui donner. Le trio central prépare à la mélancolie de l’Andante. Le retour des thèmes vivants et dansants avec ces cuivres farceurs n’en est que d’avantage savoureux. Et les moments de mystères sont savamment amenés par un Tugan Sokhiev qui retrouve sa totale complicité avec les musiciens et le public. Que de félicité partagée !
Photo Romain Alcazar
Le troisième mouvement un Andante immensément long permet au chef une direction d’un raffinement particulier. Ainsi des phrasés enveloppants, des nuances contrastées, un tempo étiré puis raffermit subtilement donnent beaucoup d’émotions à ce mouvement. Tout cela touche au sublime et le ciel s’ouvre avec les violons et les trois harpes célestes. Ce mouvement est bien le centre vital de la symphonie, le moment ou les chefs lourds s’enlisent. La grâce dégagée par l’interprétation de ce soir restera dans les annales : quelle magie infinie, quelle suspension du temps et quel apaisement des peines de l’âme !
Photo Romain Alcazar
Mais tout l’art de Sokhiev ne serait pas complet sans sa gestion incroyable des crescendi. Le final jubilatoire, permettra cela. Les solistes se régalent et jouent leurs plus belles notes. La puissance sans lourdeur trouve l’équilibre parfait entre splendeur des couleurs, irisation des timbres, pleine lumière sur l’empilement des thèmes dont l’enchevêtrement demeure analysable. Tugan Sokhiev connaît par cœur l’acoustique de la salle et ce qu’il peut demander à l’orchestre, la tension est savamment organisée et le crescendo final sera le plus spectaculaire ! C’est carrément euphorisant et le public ne peut attendre la fin de la dernière note pour exploser de joie. Les ovations pour les instrumentistes (il faudrait tous, absolument tous, les citer) et pour le chef enfin retrouvé sembleront sans fin. La soirée se termine par une standing ovation bien méritée. Il faut également dire combien enfin la Halle-aux-Grains a de nouveau été pleine à craquer. Cela aussi n’était plus arrivé depuis longtemps…
Photo Romain Alcazar
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. La Halle-aux-Grains, le 17 Novembre 2022. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°8 en ut mineur, A.117 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction, TUGAN SOKHIEV.
Pour ceux qui veulent en savoir d’avantage sur le départ précipité de Tugan Sokhiev
CRITIQUE. CONCERT. TOULOUSE, LE 7 Nov. 2022. A. VIVALDI. G.F. HAENDEL. C. BARTOLI. LES MUSICIENS DU PRINCE-MONACO. G. CAPUANO.
Cecilia Bartoli et les Musiciens du Prince : un soleil au firmament
Cecilia Bartoli avec un art souverain semble faire ce qu’elle veut de sa voix. Avec sa technique très particulière elle poursuit une carrière au sommet semblant se jouer du temps. Vivaldi et Haendel ne sont certainement pas les compositeurs baroques les plus faciles. Leurs exigences vocales restent les plus hautes et La Bartoli règne sans grandes rivales parmi leurs œuvres les plus exigeantes. Alternant airs de charme, de tendresse ou de haute virtuosité avec des intervalles de musique orchestrale, le concert donné sans entracte se déroule avec une facilité incroyable. Dès le premier air, elle joue à l’oiseau et avec une exactitude diabolique elle chante des vocalises d’une précision parfaite. Puis ce sera la délicatesse des phrasés qui enchante, la longueur du souffle qui subjugue et la langueur de la plainte qui émeut. Cet art vocal total, tel un bel canto idéal, appartient à Cecilia Bartoli depuis bientôt 40 ans avec la même splendeur sans que la magie ne soit ternie par les ans. Les couleurs de la voix sont davantage harmonieuses, la puissance vocale s’affine, le tempérament dramatique s’assagit mais le chant ne perd pas en intensité. Ainsi l’artifice convainc toujours autant. Vivaldi coule dans sa voix sans aspérités.
L’orchestre du Prince rassemblé sur les conseils de Cecilia et financé par le Prince de Monaco rassemble la fine fleur des instrumentistes baroques. Instruments baroques et jeux informés, l’accord avec la cantatrice romaine insatiable chercheuse de perfection stylistique est total. La complicité développée avec eux est grande et le chef Gianluca Capuano n’est pas en reste. A n’en pas douter, le partage de la musique, le plaisir de l’offrir au public en sa vérité dramatique est bien le projet commun qu’ils construisent. Il me semble que cette collaboration amicale au sommet apaise la cantatrice qui arrive à mieux canaliser son énergie débordante. Même la robe portée tout le concert, d’un splendide vert Véronèse, n’est pas troquée comme c’était le cas dans le spectacle précédent dans une orgie de changements à vue spectaculaires mais un peu superficiels. La théâtralité de Vivaldi n’en est que davantage émouvante avec ces purs moyens musicaux. Tout au plus signalons le jeux expressif et manquant de pureté des cordes jouant le contraste systématiquement de la rugosité face au legato souple et enveloppant de Cecilia Bartoli. Le Vivaldi des Musiciens du Prince a une énergie débordante. On pourra avec subtilité les comparer aux Incogniti d’Amandine Beyer qui eux également renouvellent l’interprétation de la musique de Vivaldi. Ils viendront à Saint-Pierre des Cuisines dans les concerts du Musée le 6 Décembre.
Ce soir un son âpre et parfois fruste du plus bel effet mais qui implique un manque de précision et de « propreté » du son est un peu trop systématique. Ce parti pris s’effacera avec la musique du grand Haendel.
La deuxième partie du concert, donné sans véritable entracte, juste un réajustement de l’accord, ouvre le monde plus large et plus noble de Haendel. L’orchestre s’étoffe et le son gagne en profondeur et en largeur. Cecilia Bartoli débute avec la même joie partagée ce jeu de miroir avec un oiseau babillard comme en ouverture de concert chez Vivaldi. Haendel a les mêmes qualités de variété dans les exigences vocales. Cecilia Bartoli a la même aisance dans un art vocal total. Virtuosité diabolique, souffle immense, phrases portées à leur apogée, mélancolie à la noble tristesse, humour taquin, toutes les émotions habitent la cantatrice si bien entourée. Les musiciens solistes rivalisent de complicité : violon solo, flûte, hautbois, trompette. La rivalité jouée entre la cantatrice, le hautbois et la trompette apporte beaucoup de plaisir tant aux musiciens qu’au public. Deux bis, une chanson du XX e siècle et un duel à fleuret moucheté entre la voix et la trompette concluent cette soirée de joie et de beauté. Avec un humour incroyable Cecilia ira dans son duel chercher l’appui de la mélodie sublime Summertime de Gershwin : elle peut tout chanter la Bartoli !
A l’invitation des Grands Interprètes Cecilia Bartoli et ses Musiciens du Prince-Monaco nous ont offert un concert tout simplement royal !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 7 Novembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Airs et pièces instrumentales ; George Frédéric Haendel (1685-1759) : Ouverture, airs, pièces instrumentales ; Les Musiciens du Prince – Monaco ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Direction : Gianluca Capuano.
Critique .CD. G.F. HAENDEL. THEODORA. L. OROPESA. J. DI DONATO. P.A. BENOS-DJIAN. M. SPYRES. J. CHEST. IL POMO D ORO. M. EMELYANYCHEV. 3.CD ERATO. 2022.
THEODORA Oratorio mal connu mais superbe dans la meilleure version diponible !
Étrange carrière pour cet Oratorio qui ne trouve jamais vraiment son public. Haendel y tenait et pensait que c’était l’un de ses meilleurs Oratorio même si à chaque reprise le succès n’a pas été au rendez-vous de son vivant. Chaque fois que le public l’entend aujourd’hui il est ému par la simplicité et la beauté des airs et des chœurs. Moi-même en 2012 à la Chaise-Dieu.
Cet enregistrement fait lors de plusieurs concerts en 2021 garde une intensité que seuls les concerts offrent : car tout est vie dans cette version.
Maxime Emelyanychev semble galvaniser chacun, orchestre, chœur et solistes. Sa complicité avec Il Pomo d’Oro, son orchestre, est totale. Avec le chœur également sans contestation mais ce qui se passe avec les solistes est tout simplement fascinant. Chacun dans ses airs développe ses qualités les plus belles sans renoncer à une dimension dramatique soutenue par le chef. Ce sont les humbles qui ont les airs les plus émouvants. Voilà peut-être une explication du manque de succès de l’Oratorio : l’humilité des héros n’est pas assez brillante. Des héros de la modestie en quelque sorte. En tous cas quelles voix dans ce Cast !
Lisette Oropesa a un soprano noble et des phrasés de toute beauté. Le timbre est ombré de belles couleurs et fait merveille dans ce rôle de Noble patricienne devenue chrétienne et qui accepte la mort avec calme, la réclame même et a une hauteur de vue troublante. Sa Théodora est aussi émouvante qu’impressionnante avec une aisance totale dans les exigences vocales que Haendel lui confie. Sa grande scène du début de la partie deux avec plusieurs airs et récitatifs est très impressionnante. Et Haendel lui réserve deux très beaux duos avec Didymus et un autre avec Irène.
Joyce Di Donato au timbre de bronze et aux accents sincères donne beaucoup de puissance au rôle second de l’amie chrétienne, Irène. À elle également Haendel offre des airs absolument magnifiques. L’engagement de Joyce Di Donato ne fait pas mystère, c’est une actrice hors pair et ici la complicité avec le chef est brûlante. Ces airs subtilement nuancés, phrasés avec art sont portés par un orchestre de feu.
Le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian au timbre si riche a un rôle dramatique semblant modeste mais les airs et les récitatifs sont si intenses que la magie vocale et dramatique se renforcent mutuellement. Phrasés subtiles, nuances délicates, mélancolie noble ou puissance dans les vocalises, cet artiste a tout d’un haendelien de haut vol. Son Didymus sensible et généreux est idéal.
Si un exemple peut suffire à prouver la valeur de la partition et la suprématie de cet enregistrement, je propose l’écoute du premier duo Didymus-Théodora fin de la scène trois de la deuxième partie avec l’orchestre profond et terrifiant de Maxime Emelyanychev. C’est somptueux en tout, absolument en tout !
Le ténor Michael Spyres est admirable de timbre et de style mais Septimius ne fait pas partie des personnages les plus passionnants.
John Chest a le rôle du méchant personnage, Valens, plus par obéissance à un pouvoir aveugle que par perfidie. Il est tout à fait bien chantant et incarne de manière satisfaisante ce personnage plutôt fade.
Le Chœur incarne les deux peuples : les païens vifs et joyeux et les chrétiens plus tourmentés et idéalistes avec le même bonheur. Maxime Emelyanychev accentue les contrastes d’écritures pour chaque chœur et l’effet en est saisissant.
Voici un enregistrement qui sans difficulté prend la tête des versions de la discographie en raison de la qualité des voix et de la direction dramatique et contrastée du chef. Maxime Emelyanychev demeure un chef baroque des plus merveilleux.
L’enregistrement est très précis, les bruits du public sont très atténués. Rien ne vient limiter le plaisir de l’écoute. L’orchestre et le chœur sont généreux et les voix toutes superlatives. Une grande version discographique qui est le reflet fidèle de grands concerts à la Philharmonie d’Essen en novembre 2021.
Hubert Stoecklin
Critique. CD. Georg Frédéric Haendel (1685-1759): Théodora, Oratorio HWV 68. John Chest, Valens ; Paul-Antoine Bénos-Djian, Didymus ; Michael Spyres, Septimius ; Lisette Oropesa, Théodora ; Joyce Di Donato, Irène ; Massimo Lombardi, un messager ; Chœur Il Pomo d’Or. Directeur du chœur, Giuseppe Maletto ; Orchestre Il Pomo d’Or. Direction, Maxim Emelyanychev. 3 CD ERATO. Enregistrement à la Philharmonie d’Essen du 26 au 29 XI 2021. Code 5 054197 177910.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, le 21 octobre 2022. Concert symphonique. R. VAUGAN-WILLIAMS. E. W. KORNGOLD. D. CHOSTAKOVITCH. ONCT. C. HOOPES, violon. T. PELTOKOSKI.
Tarmo Peltokovski le génie à l’état pur et il n’a que 22 ans !
Quels contrastes ! A une semaine d’intervalle la Halle-Aux-Grains a été réveillée tant coté orchestre que public par un jeune chef de 22 ans. Parcourue par un frisson la salle a été subjuguée par le contraste entre les deux parties de concert. D’abord avec le violoniste Chad Hoopes le jeune chef a créé un duo de rêve, de songe doux, de musique pure dans des nuances sublimissimes de délicatesse. Le jeu de Chad Hoopes est d’une subtilité inimaginable. Tout est ligne de chant de bel canto, les nuances sont incroyablement creusées avec des pianissimi célestes. Dans la courte pièce de Vaughan-Williams, l’envol de l’alouette, il semble sur un fil d’or pouvoir créer le son d’un songe. C’est si délicat et si beau que l’émotion monte en nous. La beauté peut faire pleurer ! Dans le Concerto de Korngold il assume la dimension post romantique allant jusqu’à du pré hollywoodien. C’est incroyablement large, un chant plus verdien voir vériste. Car toujours avec son violon il chante, chante, chante. Le chef finlandais obtient de l’orchestre avec une autorité sidérante un jeu de nuances incroyable et une osmose sans pareil avec le soliste. C’est absolument merveilleux cet accord musical presque fusionnel entre les deux artistes et l’orchestre. Le public conquis fait un triomphe au violoniste si subtil et s’abstient après tant de grâce de demander un bis qui n’aurait pu qu’être vulgairement obtenu.
Pour la deuxième partie du concert l’orchestre s’étoffe comme la partition le réclame. La cinquième symphonie de Chostakovitch nous est bien connue à Toulouse. Tugan Sokhiev a fait aimer Chostakovitch au public comme à l’orchestre et il a joué plusieurs fois cette symphonie dans cette salle. La manière dont Tarmo Peltokoski s’empare de cette vaste partition laisse sans voix. Dirigeant par cœur, il donne une puissance incommensurable à la charge que contient cette partition subtile de Chostakovitch. Sous une facilité formelle apparente, avec des thèmes simples, des harmonies prévisibles, des nuances très marquées et une richesse d’orchestration diabolique Chostakovitch se moque de la censure qui l’avait si terriblement traumatisé avec les remarques acerbes sur sa Lady Macbeth de Mnensk.
Tarmo Peltokoski est effrayant de rigueur, d’audace et d’efficacité. Si son allure a quelque chose d’un premier de classe lorsqu’il entre en scène, il se transforme en un démiurge lorsqu’il dirige. Il est bien rare d’être saisi ainsi au collet par un chef de cette trempe à Toulouse. Ce concert en rattrape bien de trop calmes. Car ce soir tout est bourrasque, tempête, tonnerre et fin du monde. Au dernier accord le public hurle des bravos et une bonne partie de la salle se lève. Le public a vécu un moment rare et l’orchestre tout autant. Tous font un véritable triomphe à ce génie de la baguette de 22 ans !
Le concert est annoncé sur Medici TV et prévu sur Mezzo-Live le 28 octobre 2022, c’est à voir absolument ! Vous n’en croirez pas vos yeux ni vos oreilles, même derrière un écran !