Critique.CD. J. BRAHMS. F. SCHUBERT. Alexandre KANTOROROW.
Alexandre Kantorow est un artiste qui compose avec grand soin le programme de ses concerts et de ses enregistrements.
Après la troisième et la deuxième sonate de Brahms il aborde celle qui porte le numéro 1. Brahms a composé ses trois uniques sonates en deux ans. La première n’est pas la plus précoce. Il frappe un grand coup, semble mener le genre à son extrême et n’y reviendra plus.
Alexandre Kantorow marie cette première sonate avec la Wanderer fantaisie de Schubert. Même virtuosité, même fougue dans le premier mouvement. Certes bien des grands pianistes rapprochent d’avantage cette sonate de la Hammeklavier de Beethoven. Ainsi Richter fait de la première sonate de Brahms une sonate virtuose, orchestrale et d’une grandeur athlétique. Kantorow en cherchant du coté de Schubert trouve des trésors de mélodie et de déclamation. Il propose donc une interprétation narrative. C’est passionnant et tout à fait probant. Cela change notre écoute de cette sonate souvent tournée vers la pure virtuosité. Le vainqueur du concours Tchaïkovski de 2019 n’a rien à envier du côté de la virtuosité ! Avec évidence il la met au service de la musicalité la plus délicate.
Les cinq Lieder de Schubert revisités par Frantz Liszt qui suivent la sonate avec un legato magique accentuent la beauté du chant que Kantorow nous offre avec son piano. Les arabesques de Liszt sont réalisées avec une élégance souveraine.
Dans la Wanderer fantaisie l’interprétation d’Alexandre Kantorow est tournée vers la recherche de chant et de déclamation. La même narrativité nous enchante, les nuances sont subtiles, les couleurs variées et les phrasés larges.
Avec ce parti pris passionnant Alexandre Kantorow renouvelle l’écoute de ces œuvres immenses et mises en miroir dans ce programme.
La prise de son est confortable et permet de déguster la variété de ce très beau piano. Le grand Steinway D joué par Alexandre Kantorow est merveilleusement présent. Sa fidélité au Label suédois Bis se comprend facilement devant ce beau travail de prise de son en SACD.
CRITIQUE. Enregistrement CD. Durée 72’44’’. 1 CD Bis-2660. Code barre : 7 318599926605. Johannes Brahms (1833-1897) : Sonate pour piano n° 1 en do majeur Op.1 ; Frantz Schubert (1797-1828) /Frantz Liszt (1811-1886) : Der Wanderer, Der Müller an der Bach, Frühlingsglaube, Die Stadt, Am Meer ; Frantz Schubert : Fantaisie en do majeur ‘ « Wanderer » D.760. Alexandre KANTOROW, Piano.
Yoncheva / Marie Antoinette et Christie : le parfait accord.
Ce concert proposé par les Grands Interprètes permet au public toulousain ce soir de se pencher sur un pan de l’histoire assez fascinant. La grande histoire d’abord où une Reine de France au destin tragique a toujours voulu être une musicienne voire une artiste. Le théâtre de la Reine à Versailles, construit pour Marie Antoinette en est la preuve. L’histoire de la musique ensuite car la querelle des bouffons opposant les partisans de l’opéra italien et français fait rage à cette époque. Ce soir c’est la musique française qui gagne.
William Christie honore la musique française depuis plus de 40 ans. Il est le plus à même de guider Sonya Yoncheva dans ce répertoire péri révolutionnaire. Le résultat est fascinant car cette musique est difficile vocalement et stylistiquement. L’association de leurs talents en donne une interprétation à la fois informée et vocalement parfaite.
Si Sonya Yoncheva n’a pas un tempérament de tragédienne, elle arrive à rendre ses accents touchants et l’émotion nait de la plastique vocale et de sa diction. La soprano qui aborde actuellement les rôles spinto les plus lourds a encore la possibilité d’alléger sa voix pour ce répertoire. La beauté des phrasés qui répondent à ceux de l’orchestre, la subtilité des nuances, la grande beauté des graves et du medium offrent un panorama vocal fascinant. La seule petite scorie vocale concerne un vibrato un peu large dans les aigus. Une grande part de la séduction de La Yoncheva est sa superbe diction française langue qu’elle parle parfaitement.
Les pages orchestrales sont également somptueuses. Avec une grande fougue, William Christie impulse une belle énergie à ses Arts Florissants, tout en gardant une élégance aristocratique. Les musiciens sont tous de superbes virtuoses, la harpe remplace le clavecin ce qui apporte un supplément d’élégance au continuo. Les cors naturels sont magiques, les cordes ont un son plein et des phrasés de rêve. La flute dans le solo des ombres heureuses apporte sa part de magie. Les Arts Florissants sont un des plus beaux orchestres de musique ancienne. La danse des furies est même encore plus impressionnante que lors du ballet Gluck présenté au Capitole il y a peu, dirigé par Jordi Savall et son Concert des Nations. Il faut dire que l’acoustique de la Halle au Grain permet au son de mieux se développer que dans la fosse du Capitole. C’est une chance sur une pièce si emblématique à quelques jours d’intervalle d’entendre ces deux versions superlatives.
Les Grands Interprètes ont offert une belle soirée dans laquelle l’entente entre le chef et la soliste semble parfaite. Le jeu de séduction dans la deuxième partie entre Yoncheva/Marie Antoinette et le Maestro dépasse la simple convenance théâtrale, une profonde estime teintée de tendresse existe entre la diva et le vieux Maestro. Ils se connaissent depuis leur rencontre pour le Jardin des Voix en 2006.
Le public a obtenu trois bis tant il a applaudi les artistes, les musiciens de l’orchestre y compris.
Critique. Concert, Toulouse, le 5 novembre 2024. Wolfgang Amadeus MOZART : Ouverture de la Finta giardiniera ; Extrait du Ballet d’Idomeneo – Larghetto pour Madame Hartig ; Extrait du Ballet d’Idomeneo – Passacaille pour Monsieur Antoine ; Extrait de La Clemenza di Tito « Ecco il punto, o Vitellia ! … Non più di fiori ». Christoph Willibald GLUCK : Alceste : Air d’Alceste « Divinités du Styx » ; Orfeo ed Euridice, Ballet des Ombres heureuses et Danse des Furies ; Iphigenie en Aulide « Oh malheureuse Iphigénie » ; Armide, Chaconne ; Air d’Armide « Ah! Si la liberté me doit être ravie » ; Luigi CHERUBINI : Medée « Vous voyez de vos fils la mère infortunée » ; Demophoon « Ah ! Peut-être mes dieux ! ». Nicolo PICCINI : Didon (Acte III, scène 1) « Non, ce n’est plus pour moi. Louis Claude Armand CHARDIN ; « C’est mon ami » (accompagnement à la harpe) ; Johan Paul Aegidius MARTINI : Plaisir d’amour, romance (orchestration d’Hector Berlioz). Sonya Yoncheva, soprano ; Les Arts Florissants ; Direction : William Christie.
Cette belle soirée de ballet avec une unité musicale parfaite est à marquer d’une pierre blanche dont la directrice du ballet du Capitole Beate Vollack peut s’enorgueillir. La présence de Jordi Savall à la direction de son orchestre Le Concert des Nations apporte un lustre particulier à la soirée. La chef Catalan sur qui les ans passent sans altérer sa vigoureuse passion musicale nous offre une lecture magnifique des trois partitions de Christoph Willibald Gluck. La construction musicale de la soirée va crescendo. D’abord rideau fermé la suite d’orchestre tirée d’Iphigénie en Aulide permet de déguster un orchestre brillant mené avec fougue. Tout cela est véritablement jubilatoire. Lorsque le rideau se lève pour le Ballet Sémiramis, la beauté simple des danseurs cachés sous une grande voile sombre et émergeant petit à petit crée une dramaturgie intéressante. Dans un deuxième temps par un jeu de lumière qui ne cessera de faire évoluer l’espace , la toile de fond apparait. Le mélange d’éléments verts et marron crée une ambiance lumineuse et assez chaude. La beauté de cette toile de fond ne cessera d’évoluer au fur et à mesure de la chorégraphie. L’élégance est à tous les niveaux. Le décor, les costumes, les lumières et la chorégraphie. Avec des gestes toujours grâcieux, le corps de ballet qui intervient par petits groupes, démontre la qualité de la troupe. La durée courte de la partition (25’) ne permet pas au chorégraphe de développer une dramaturgie avec des personnages. Angel Rodriguez fait le choix judicieux de proposer une chorégraphie symbolique mettant en vedette les femmes. Le ballet s’achève sur l’avènement d’une élue. S’est simple et beau et cela fonctionne très bien grâce à la cohérence visuelle et sonore.
Pour Don Juan le chorégraphe Edward Clug dispose d’une partition plus développée et d’un personnage mythique. Le choix d’une personnification est donc bienvenue. Trois personnages vont évoluer : Sganarelle, Don Juan et Elvire. Les trois étoiles dans une chorégraphie virtuose débordent de qualité. Alexandre De Olivera Ferreira est un Don Juan sensuel et séducteur.
Marlen Fuerte Castro est une Elvire tragique. les pas de deux avec Don Juan sont teintés d’un bel érotisme
Le Sganarelle de Philipe Solano a une drôlerie irrésistible.
L’absence de décors le choix descostumes simples ainsi que des lumières souples permettent d’apprécier la qualité de la chorégraphie. Le final est grandiose avec la musique des Furies que nous connaissons dans Orphée. La puissance musicale et théâtrale de ce final nous laisse sans voix. Le public fait une belle ovation à ce spectacle. Cette coproduction avec le Liceu de Barcelone où elle sera représentée en mars 2025 et avec l’Opéra Comique qui la verra en mai 2025, confirmera l’excellence du Ballet du Capitole.
Critique. Ballet Toulouse. Théâtre du Capitole, le 30 octobre 2024. Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Iphigénie en Aulide, suite d’orchestre ; Sémiramis, ballet ; Don Juan, Ballet. Sémiramis : Chorégraphe, Angel Rodriguez ; Scénographie, Curt Allen Wilmer et Laeticia Ganan ; Costumes, Rosa Ana Chanza Hernandez ; Lumières, Nicolas Fischtel ; Assistant maitre de ballet, Erico Montes ; Don Juan : Chorégraphie, Edward Clug ; Scénographie, Marko Japelj ; Costumes, Leo Kulas ; Lumières, Tomaz Premzel ; Assistant maitre de ballet, Gabor Kapin. Ballet de l’Opéra national du Capitole, les étoiles, les solistes et le Corps de ballet. Direction de la danse, Beate Vollack ; Orchestre Le Concert des nations ; Direction : Jordi Savall.
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE, le 4 octobre 2024. GIUSEPPE VERDI. NABUCCO. S. PODA. G. MYSHKETA. Y. AUYANET. G. SAGRIPANTI.
Flamboyante ouverture de saison au Capitole
Nabucco créé à La Scala en 1842 est l’opéra qui a lancé la carrière de Verdi sur des sommets. Cet opéra, aimé du public pour son chœur des esclaves hébreux, est célébrissime mais il y a également dans le livret de Temistocle Solera tous les ingrédients d’un drame flamboyant comme Verdi les aimait. Amour, religion, politique, famille. Les quatre éléments sont intriqués savamment dans Nabucco.
La mise en scène met beaucoup de monde sur le plateau. En plus des nombreux choristes il y a des danseurs et parfois c’est confus devant l’encombrement de la scène. Des beaux costumes déterminent les peuples. Blancs pour les hébreux, rouge pour les assyriens et noirs pour les gens de pouvoir. La scénographie est lisible et les rapports entre les personnages sont efficaces. Je suis plus réservé sur les décors symboliques certes, mais lourds dans leurs manipulations. C’est Stefano Poda qui s’est occupé de tout : mise en scène, décors, costumes, lumières, chorégraphie. Côté musical la fête est complète. Dès l’ouverture Giacomo Sagripanti nous en offre une lecture énergique, contrastée et nuancée. Cette ouverture en forme de pot-pourri des grands thèmes de l’ouvrage trouve une belle cohérence dans cette interprétation bien construite.
Dès l’entrée du chœur l’ivresse des oreilles se poursuit. Belle homogénéité des pupitres, nuances subtiles et phrasés larges : le chœur d’entrée est splendide.
Les solistes ont été choisis avec soin dans un équilibre proche de la perfection. Jean-François Borras est un Ismaele de luxe. Voix splendide subtilement conduite et jeu sincère, il donne une belle envergure à son personnage. Sa bien-aimée la princesse assyrienne Fenena est incarnée par Irina Sherazadishvili. Voix corsée et longue d’une extraordinaire puissance dans les ensembles elle aussi, par un rang vocal supérieur donne beaucoup d’ampleur à son rôle. Zaccaria est incarné par Nicolas Courjal. Cet artiste est un très bon acteur, il a une voix très particulière. Une noirceur un peu métallique et une projection très incisive qui assoient son autorité mais il y a un manque de moelleux pour être une basse verdienne complète.
L’Abigaille de Yolanda Auyanet est admirable. Solidité des sauts de voix, tessiture homogène et legato superbe. Vocalises incisives ou chant élégiaque, elle excelle dans toutes les terribles exigences de la partition.
Le rôle-titre est tenu par Gezim Myshketa. Très en retrait dans ses premières scènes on ne l’entend pas dans les ensembles. Stress, voix endormie, économie ? Le mystère demeure car à partir de la deuxième partie la voix s’impose dans les ensembles et le timbre se réchauffe permettant à l’interprète de trouver des accents émouvants dans sa scène de folie et son repentir.
Cette belle distribution particulièrement homogène fait honneur à Verdi. L’orchestre aux couleurs subtiles et la direction dramatique du chef Giacomo Sagripanti offrent un parfait écrin aux chanteurs. Le chœur admirable également participe de la fête.
Cette co-production avec l’opéra de Lausanne a fait grand effet sur le public toulousain qui a applaudi généreusement.
Critique. Opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole le 4 octobre. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Nabucco, opéra en quatre actes, livret de Temistocle Solera, créé le 9 mars 1842 à la Scala de Milan. Mise en scène, décors, lumières, costumes, chorégraphie : Stefano Poda ; Collaboration artistique : Paolo Giani ; Distribution : Nabucco, Gezim Myshketa ; Abigaille, Yolanda Auyanet ; Ismaele, Jean-François Borras ; Zaccaria, Nicolas Courjal ; Fenena, Irina Sherazadishvili ; Le grand prêtre, Blaise Malaba ; Anna, Cristina Giannelli ; Abdallo, Emmanuel Hasler. Chœur et orchestre du Capitole de Toulouse. Direction : Giacomo Sagripanti.
CRITIQUE. Théâtre. TOULOUSE. ThéâtredelaCité, le 23 mars 2024. Cendrillon. Création théâtrale de Joël POMMERAT.
Il s’agit de la reprise d’une pièce écrite pour Bruxelles en 2011. Elle a été remontée cette saison .
Il s’agit de la dernière pièce d’un triptyque de textes fondateurs de l’enfance après Le Petit Chaperon rouge en 2006 et Pinocchio en 2008. Avec justesse la pièce est déconseillée aux moins de 10 ans. Il ne s’agit pas d’une illustration du conte mais bien d’un véritable regard lucide sur le travail de deuil retardé, voir refusé et les conséquences fatales qui en résultent.
La Cendrillon de Joël Pommerat devient « la très jeune fille » et le prince charmant devient « le très jeune prince ». Les autres personnages sont plus classiquement nommés : le père de la très jeune fille, la belle-mère, les sœurs, la fée. Il y a également une voix narrative qui nous permet de rrevenir au temps de l’enfance quand on nous lisait des histoires. Le travail de Joël Pommerat sera de nous permettre de pénétrer dans l’histoire un peu au travers d’un grand livre. Le dispositif scénique est un cube sur les faces duquel sont projetées des images, des formes ou des paysages. Au fond il y a également des mots lumineux qui sont projetés. Un acteur chorégraphie plus qu’il ne signe le texte. Ainsi le livre de conte est suggéré.
Les lumières très subtiles sculptent dans le noir. C’est très beau et très inquiétant. Ce travail sur le noir, associé à la mélancolie de Cendrillon et le transparent qui lui est associé à la fatuité et au vide intérieur de la belle mère et ses filles. Du livre Joël Pommerat nous pousse vers le théâtre. par le jeu des acteurs d’abord très fouillé, avec une évolution de Cendrillon et une dégradation de la belle-mère. Caroline Donnelly incarne à la fois la seconde sœur et le prince par un jeu complètement différent et une prosodie presque opposée. Ainsi elle arrive à camper avec une grande justesse les deux personnages. Noémie Carcaux est aussi crédible que méconnaissable en grande sœur qu’en Fée…
Appartenant à la fois au livre et au théâtre il y la polysémie des mots ; leur virtuosité, leur perversités signifiantes multiples nous troublent. Ainsi Joël Pommerat dans sa pièce utilise le pouvoir des mots pour explorer les mécanismes complexes de la souffrance de l’héroïne. Si Sandra (c’est le prénom de Cendrillon) se roule à ce point dans la culpabilité porteuse de mauvais traitements, c’est parce que sa mère en mourant n’a pas pu se faire entendre de sa fille. Et cette dernière a inventé une mission intenable : Ne pas oublier de penser à sa mère durant plus de 5 minutes. Cette enfant ne peut donc pas traverser l’épreuve du deuil et s’enferme dans une punition éternelle car elle a failli à sa mission impossible. Du coup l’enfer que lui fait vivre la belle-mère elle le recherche. Une chambre sans fenêtre dans une cave, les corvées les plus dégradantes etc… font dire à l’enfant « je sens que cela (ce mal, ces choses dégelasses à faire) va me faire du bien ».
Le masochisme est installé jusqu’à un corset qui enferme l’enfant consentante la gênant terriblement pour marcher. Ce conte devient donc particulièrement cruel. La vis sans fin de la culpabilité s’enfonçant dans le masochisme pourrait tourner à vide éternellement dans la cave noire s’il n’y avait enfin la fée qui intervienne. Ce personnage également gagne en complexité et en profondeur. La Fée, souffrant de son immortalité rate tout ce qu’elle entreprend ou presque afin de se sentir vivante. Cela crée un grand comique de détente qui nous est ainsi offert après la plongée dans la souffrance de Sandra. La Fée est bien celle qui apporte espoir et changement.
De manière théâtrale par la parole qui va ouvrir le deuil. C’est la fée qui va obtenir de l’enfant qu’elle reconnaisse qu’en parlant tout le temps de sa mère « elle énerve les gens ». C’est avec la Fée que Sandra apprend à s’amuser, à retrouver un comportement enfantin. Le moment inénarrable est celui ou la fée dans sa machine magique lui confectionne un costume de mouton. C’est la fée qui lui dira les mots pour sortir de sa prison de deuil. « On ne te demande pas de ne plus penser à ta mère mais seulement d’y penser de temps en temps ». Comme dans le conte c’est grâce à la Fée que Cendrillon va au bal. Chez Pommerat il y a redondance et au final il y aura deux bals. Et La très jeune fille et le très jeune prince dans leur dialogue vrai arrêterons de se raconter des histoires et accepterons que leurs mères sont mortes. Il y aura comme dans le conte une chaussure… mais ce sera celle du prince…. Il se crée entre les jeunes gens une relation d’amour qui les fait grandir. La musique les rassemble et les libèrent. Chanson du prince, danses des jeunes gens.
Mais loin du conte ce sera une amitié amoureuse et ils partiront chacun de leur côté. La fin heureuse est plus ouverte que le fameux, « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Léa Millet en Sandra arrive dans son jeu expressif à passer par tous ces moments de la Cendrillon de Joël Pommerat. Elle nous rend très proche ce personnage révolté, intransigeant et courageux.
Nous parlerons rapidement des autres personnages. La Belle-mère est une figure de la modernité et du narcissisme vide comme sa maison hyper moderne et transparente, elle est adepte de la chirurgie esthétique, de l’auto persuasion, du coaching et a des idéaux de midinettes qu’elle ne veut pas reconnaitre.
Elle est volontaire, elle a un comportement opératoire, elle devient folle de son amour pour elle-même. Catherine Mestoussis est aussi terrible que drôle, avec une voix de stentor, c’est du grand art ! Les 2 filles, émanations du narcissisme maternel ne sont que des faire-valoir et sont d’une petite méchanceté sadique. Chacune se révèle plus extraordinaire encore dans son deuxième rôle : Fée pour la grande, Prince pour la petite.
Alfredo Canavas est doublement lâche que ce soit en père de la très jeune fille ou en Roi. Ces deux personnages sont la faiblesse masculine incarnée. C’est cette lâcheté de la recherche de calme qui ne permet pas aux enfants de grandir. Car nul ne peut grandir sans aucun conflit jamais. Damien Ricaud qui signe et danse est le narrateur plein d’énergie. Le voix mélodieuse et italienne de Marcella Carrara est particulièrement présente en étant pourtant off. Les très belles projections murales, les lumières subtilement sculptées, les costumes stylisés et les effets spéciaux garantissent une magie théâtrale parfaite. Très rares sont les hommes de théâtre qui savent si bien comprendre l’enfance et ses douleurs, et réveiller en nous l’enfant endormi. Joël Pommerat a écrit et monté une très belle pièce, courageuse et nécessaire qui nous élève à plus de lucidité sur la perte, la mort et aussi la beauté des relations d’amour et d’amitié. Nous avions beaucoup aimé ses Contes et légendes, sa Cendrillon en préparait les profondes audaces.
Critique. Théâtre. Toulouse. ThéâtredelaCité, le 23mars 2024. CENDRILLON de Joël POMMERAT. Scénographie et lumières, Eric Soyer ; Assistant Lumières, Gwendal Malard ; Costumes, Isabelle Delfin ; Son, François Leymarie ; Création musicale, Antonin Leymarie ; Vidéo, Renaud Rubiano ; Avec : Alfredo Canavate, le père de la très jeune fille/ Le Roi ; Noémie Carcaud, la fée et la sœur ; Caroline Donelly, la seconde sœur et le Prince ; Catherine Mestoussis, la belle-mère ; Damien Ricau, le narrateur ; Julien Desmet, le vigil ; Marcella Carrara, la voix off ; Création 2011 Théâtre National de Wallonie-Bruxelles ; Reprise en 2022 par la Compagnie Louis Brouillard.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 12 mars 2024. CHOSTAKOVITCH. Orchestre National du Capitole. Tugan Sokhiev.
La revanche de Tugan Sokhiev
Ce concert a permis à la Halle-aux-Grains, vraiment pleine à craquer, de retrouver comme au bon vieux temps l’orchestre du Capitole en majesté avec Tugan Sokhiev.
Sans polémiquer rappelons que le chef Ossète avait démissionné de son mandat en 2022 et que cela l’avait empêché de diriger cette partition au tout début de la Guerre en Ukraine. C’est un retour triomphal, sa réponse implacable de musicien aux politiques. Comment mieux dire sa haine de la guerre qu‘en donnant vie à la vaste partition de Chostakovitch. Aujourd’hui cette symphonie qui a été écrite sous les bombardements nazis en 1942 en Russie, dit la haine de toute guerre et condamne de fait toute guerre, quelle qu’elle soit.
L’amour entre Tugan Sokhiev et son orchestre de Toulouse (dirigé durant 16 ans) n’a pas été terni par les évènements. C’est simplement le public qui n’a eu cette année qu’un seul concert pour le constater (en décembre 2023, malade, Tugan Sokhiev avait annulé ses engagements et sa venue à Toulouse) mais quel concert. Celui qui en vaut peut-être vingt !
Jamais l’orchestre n’avait débordé ainsi de la scène envahissant les marches vers les spectateurs ; rarement la salle aura été si pleine. Tugan Sokhiev arrive avec énergie et se fraye un passage pour gagner l’estrade. Les applaudissements crépitent, il salue puis Il se concentre. Il dirige sans baguette et à mains nues, signe de grande confiance en lui et en l’orchestre.
Le début de « l’allegretto » est une sorte de portique fait de puissance et d’arrogance : les hommes sont certains de maîtriser leur vie en paix. Le son est compact et riche. Puis les bois apportent des éléments bucoliques et tendres, la vie en paix est bien agréable ainsi décrite. La texture de l’orchestre s’allège comme par magie, la lumière devient douce, cela chante et danse. Puis insensiblement la caisse claire presque inaudible arrive. A partir de là un mouvement digne du Boléro de Ravel se construit. Tout l’orchestre va amplifier le thème simple et la caisse claire solo va embarquer avec elle deux puis trois collègues pour se faire entendre quand l’orchestre fait retentir des cuivres si dramatiquement. Ce passage d’un implacable tragique est un mélange de terreur et de jouissance. Le trouble est déstabilisant. Cette splendeur de son, cette direction magnifique, cet engagement des musiciens, tout est merveilleux et décrit pourtant la folie guerrière qui monte et ne s’arrête que sur la désolation de la destruction quasi totale.
A ce moment la plainte désolée de la flûte est si déchirante qu’elle rappelle que les premières flutes ont été fabriquées dans des os creusés et percés. Sandrine Tilly est merveilleuse et sera poignante à chaque intervention. La description précise des autres mouvements serait fort longue. Je vais donc insister sur la forte affinité qui existe entre Tugan Sokhiev et cette partition. Dans sa direction, à main nue et quasi chorégraphique, Il en met en valeur les audacieuses beautés orchestrales, la riche harmonie, les couleurs saturées ou diaphanes ; les phrasés sont creusés, les nuances sont extrêmes, la structure également est mise en valeur et la construction d’ensemble est lumineuse. La maturité est belle chez ce musicien d’exception ! Les musiciens de l’orchestre sont des solistes magnifiques quand cela est demandé et le jeu collectif, l’écoute mutuelle sont d’un très, très grand orchestre.
La fin si savamment construite si étourdissante laisse une partie du public comme hébétée. Les applaudissements finissent par devenir tonitruants. Tugan Sokhiev radieux fait saluer ses amis de l’orchestre un à un pour les solistes rudement mis à l’épreuve et qui nous ont tout donné. Les cordes ont été hallucinantes de souplesse, les violons larges et poignants, les altos ont trouvé des couleurs dramatiques, les violoncelles ont su être tragiques et les contrebasses (10) d’une rigueur implacable.
Le message pour la paix a été partagé par tous.
Le lendemain à la Philharmonie de Paris, dans une acoustique bien plus adaptée, parions que le succès aura également été colossal. Espérons que la Warner qui avait envisagé une intégrale des symphonies de Chostakovitch avec ce chef et cet orchestre aura posé ses micros pour éterniser cette merveilleuse interprétation en ce moment historique.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 12 mars 2024. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) :Symphonie N° 7 en ut majeur « Leningrad », Op.60. Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Tugan Sokhiev, direction.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 6 mars 2024.Mozart. A.Tharaud. Orch. Nat. Capitole. F.Biondi.
La joie du jeune Mozart
Ce concert, particulièrement festif, entre dans une programmation généreuse de la Maison Capitole qui cette saison fête Mozart avec opéra, récitals, concerts et conférences.
L’orchestre du Capitole, avec régularité invite des chefs « baroques » pour faire miel de leurs propositions. Le Requiem de Mozart dirigé par Ton Koopman en octobre 23 avait été une belle réussite. Ce concert dirigé par Fabio Biondi l’est tout autant. Ce concert comporte des œuvres d’un Mozart âgé de 14 à 21ans. On ne peut pas parler d’œuvres de jeunesse tant leur forme est accomplie, la musique belle et élégante avec une vitalité et un bonheur de vivre rarissime.
L’ouverture de Lucio Silla est en trois partie comme une véritable mini symphonie pleine d’élan et de finesses. La direction de Fabio Biondi est fougueuse et généreuse. On devine l’orchestre aux anges. Puis Alexandre Tharaud rentre en scène, souriant et bondissant pour le concerto « Jeunehomme » de Mozart. Concerto festif, très aimé des musiciens comme du public. C’est déjà un très grand concerto avec un mouvement lent dramatique qui annonce le Sturm und Drang. Mozart a déjà 21 ans lorsqu’il compose cette partition dans le laquelle le piano est fougueux et bavard. Alexandre Tharaud a un toucher d’une grande délicatesse, il nuance subtilement et phrase élégamment. Il ne cache pas son bonheur. Les musiciens également. Fabio Biondi est précis et semble également déguster la ductilité des instrumentistes qui avec un naturel consommé semblent avoir une vraie prédilection pour cette musique si belle qu’ils jouent sans effort.
Ce concerto es un grand succès pour le pianiste français. Son actualité toujours en marge du classique est cinématographique. Ce soir sortait en salle le film Boléro d’Anne Fontaine dans lequel il joue un rôle (un critique) et offre ses doigts à Ravel dans certaines prises de vue. Cet artiste inclassable est ce soir un parfait mozartien.
En deuxième partie de programme Fabio Biondi range sa baguette et dirige du violon. C’est vraiment très beau de voir cette simplicité, ce partage entre musiciens qui permet à la musique de couler, de danser et toujours avec cette énergie et cette joie du jeune Mozart. Les trois symphonies avancent avec une évidence comme une facilité réconfortantes. La salle de la Halle-aux-Grains pleine à craquer exulte et fait un joli triomphe aux musiciens.
En petit effectif et sans une direction trop appuyée les musiciens de l’orchestre du Capitole ont trouvé avec Fabio Biondi un partenariat fécond.
Un concert plein de bonheur partagé a enchanté chacune et chacun !
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 6 mars 2024. Wolfgang-Amadeus-Mozart (1756-1791) : Ouverture de de Lucio Silla K.135 ; Concerto pour piano n°9 « Jeunehomme » en mi bémol majeur K.271 ; Symphonies : n°11 en ré majeur K.84, N°30 en ré majeur K.202, N°13 en fa majeur K.112. Alexandre Tharaud, piano ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Fabio Biondi, direction. Photos : HS
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 28 février 2024. Ting-cheung, Rachmaninov. A.Kantorov. Hong Kong Phil. J.V Sweden.
Alexandre le Magnifique et Hong Kong.
Dans une tournée de l’orchestre de Hong-Kong qui donne le vertige Alexandre Kantorow fait le tour du monde en soliste magnifique. Ce soir à Toulouse le pianiste français revenait un peu à la maison. Que dire de son allure un peu plus pesante, de son sourire devenu sérieux si ce n’est que quelque chose change, la maturité et un brin de lassitude peut être ?
Une fois au piano nous retrouvons la fougue et la passion, la délicatesse de son toucher aérien, la force tellurique d’accords tonitruants. Cet été nous l’avions entendu dans le premier concerto de Rachmaninov à La Roque d’Anthéron et je crois pouvoir dire que je trouve qu’il est encore plus extraordinaire ce soir. La forme plus libre et inventive de cette Rhapsodie sur un thème de Paganini lui convient absolument. C’est incroyablement varié comme piano, c’est planant, dansant, révolté, rêveur, amoureux. Tout y est d’une vie pleine de sens. Le Hong-Kong Philharmonic très bien dirigé par Jaap Van Zweden sont des partenaires inventifs, nuancés et brillants. Cette pièce centrale dans le programme en est le point d’orgue, le sommet.
Le pianiste flamboyant est tout sourire et très détendu offre un bis chantant, paraphrase de l’air Mon Cœur s’ouvre à ta voix de l’opéra Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Ce long légato associé aux ribambelles de notes perlées est un moment magique. Le public lui rend un vibrant hommage. Les applaudissements sont enthousiastes. Les marques de respect pour cet artiste à la carrière si considérable en dépit de son âge sont générales. Il vient d’être distingué une nouvelle fois aux Victoires de la Musique Classique. C’est en tout cas son rapport simple et directe au public comme à la musique qui fait la qualité la plus rare de ce musicien de l’absolu que nous avons tant de plaisir à écouter. Cette année semble consacrée à sa carrière de concertiste, il y excelle…
C’est probablement en concertiste que nous le retrouverons ici même à Toulouse en mai… toujours avec les Grands Interprètes. N’oublions pas le chambriste généreux qu’il est également et la qualité si envoutante de ses récitals de piano…
En introduction le concert avait débuté par une courte pièce du compositeur Hong-Kongais Daniel Lo Ting-cheung. Pièce dans un style plaisant, sorte d’hommage à Prokofiev et Stravinski peut être. C’est brillant, agréable, presque facile. L’orchestre sous la direction avisée de Jaap Van Zweden brille de tous ces ors.
En deuxième partie de programme la première symphonie de Mahler a été offerte en toute magnificence par les interprètes du soleil levant. C’est un Mahler encore retenu dans l’expression des névroses du compositeur. Cette interprétation est presque entièrement solaire. L’orchestre avec vaillance s’engage dans cette symphonie exigeante et relève tous les défis. Tous sont impeccable de beauté sonore et de ductilité. Le chef reste hédoniste, soignant les équilibres, les nuances et livrant milles couleurs. A d’autres les vertiges d’humour noirs, les sarcasmes naissants et les troubles sous nageant. Ce beau concert a ravi le public. Si l’orchestre a brillé, c’est bien Alexandre Kantorow qui nous a fait chavirer le public.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 28 février 2024. Daniel Lo Ting-cheung (né en 1986) : Asterismal Dance ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43 ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°1 « Titan » ; Alexandre Kantorow, piano ; Hong-Kong Philharmonic Orchestra ; Jaap Van Zweden, direction.
CRITIQUE.THEÂTTE. Toulouse, ThéâtredelaCité. Le Cub, le 24 Janvier 2024. MOLIERE : Le Tartuffe. Conception et mise en scène : Guillaume Séverac -Schmitz.
Toute la modernité de Molière dans ce Tartuffe de la jeunesse
Guillaume Séverac-Schmitz à la demande du ThéâtredelaCité a monté une très admirable production du Tartuffe de Molière avec uniquement de très jeunes artistes presque tous dans l’Atelier Cité, dispositif d’insertion du ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitanie. Cet atout de jeunesse aurait pu, devant des rôles si puissants, et les attendus du public, être un handicap. Par la rigueur d’un jeu d’acteur très maitrisé, et dans un dispositif évidant, Guillaume Séverac-Schmitz dépasse toutes les embuches. Avec une distribution resserrée (un acteur et une actrice jouent chacun deux rôles), un dispositif scénique minimaliste et une quasi absence de décors, des effets musicaux et visuels réjouissants, cet ensemble nous plonges dans cette famille en crise. Le public qui doit participer à l’histoire pour en saisir sa puissance est face à face. Chaque gradin regarde l’autre lorsqu’il regarde la scène et se rappelle qu’il est dans le spectacle. Ce dispositif en bi-frontal est très habile. Les acteurs viennent de partout partent de même. L’énergie est généreusement dépensée. La force des personnages s’exprime pleinement. Le texte exulte, les corps participent du discours. Le pari de recentrer la pièce sur une crise familiale que Tartuffe révèle devient limpide. Oui personne de sait exprimer ses sentiments amoureux dans cette famille. En ouverture une sorte de scène de fête dansée avec outrance confond toutes les générations.
La scène d’ouverture si cruciale permet peu à peu de comprendre qui est qui. Cette confusion des générations est renforcée par l’âge des acteurs et actrices. Nos repères dans cette pièce si bien connue tombent et chaque personnage parle donc depuis la jeunesse de son âme. Angie Mercier joue deux rôles et son jeu leur trouve un point commun inattendu. Ainsi Mme Pernelle est plus maladroite qu’autoritaire sur ses talons instables et Damis le fils peu équilibré s’empêtre bien misérablement avant de se faire chasser. Le comique est présent et toujours léger.
C’est le rôle d’ Orgon (Fabien Rasplus) qui gagne le plus en n’ayant jamais l’âge comme excuse. Car finalement sa passion pour Tartuffe a tout d’un premier amour ou de la force invincible d’un idéal de jeunesse qui se laisse aveugler. Ses colères infantiles en tapant du pied en deviennent tragiques et perdent tout ridicule. Et la fraternité d’âge avec Tartuffe permet cette amitié absolue et aveugle. La critique de cette autorité paternelle absolue change également de visage. Orgon devient moins formidable et la soumission de sa fille Marianne (Christelle Simonin) est plus trouble car plus assumée et moins évidemment liée à l’autorité de l’âge. Cléante (Mathieu Carle) gagne également en ce que sa parole sage lui est plus personnelle et donc est encore plus puissante.
Dorine (Jeanne Godard) ne rentre pas dans la cohorte des servantes impertinente si chères à Molière. Sa parole libre et fine est pleine de séduction. Le jeu plein d’élégance. Las, elle n’influe pas sur Orgon et bien peu sur le jeune couple. Les rapports du couple Mariane-Valère sont très subtilement interprétés. Cette incapacité à s’engager en s’opposant montre clairement l’impossible de ces deux jeunes gens à se dire simplement ses sentiments. C’est un très beau moment que cette incommunicabilité de l’amour alors que leur corps pourtant nous le fait ressentir. L’Elmire de Fannie Lineros est absolument magnifique. Sa féminité épanouie séduit. Sa grande scène avec Tartuffe est impayable et la séduction sur la table avec Orgon dessous est à la fois très sobre et d’une puissance incroyable : le viol est quasi consommé.
On l’aura compris sans jamais brutaliser vraiment personne cette mise en scène dévoile parfaitement la violence dramatique qui est à l’œuvre partout. Le Tartuffe de Quentin Rivet est particulièrement élégant et homme bien fait. L’allure et le jeu millimétré rendent le personnage odieux avec un petit attrait invincible.
La question de la séduction sur Orgon devient particulièrement trouble. L’emprise est à la fois intellectuelle, psychique, physique et sensuelle. Les mortifications à la ceinture auto affligée rajoutent encore à la dimension perverse du personnage de Tartuffe. Le travail théâtral de Guillaume Séverac-Schmitz est complexe et complet. Son Tartuffe nous réveille l’amour pour ce texte immortel et nous apprend de nouvelles saveurs. C’est un moment délectable. Et notre société plus qu’aucune autre est concernée par cette question de la famille à l’épreuve des idéaux. Idéaux propres à chaque âgée qui veut rêver. Tous ces rêves éveillés sont alimentés par des influenceurs malveillants des plus dangereux. Gare, gare à nous…. Après les pères à l’autorité abusives, voici les pères narcissiques en quête d’admirateurs. Si les premiers faisaient peur les autres ne sont pas rassurants et chutent autant….
Hubert Stoecklin
CRITIQUE.THEÂTTE. Toulouse, ThéâtredelaCité. Le Cub, le 24 Janvier 2024. MOLIERE : Le Tartuffe. Conception et mise en scène : Guillaume Séverac -Schmitz. Avec : Mathieu Carle, Cléante et Valère ; Jeanne Godard, Dorine ; Fannie Lineros, Elmire ; Ange Mercier, Damis et Madame Pernelle ; Fabien Rasplus, Orgon ; Quentin Rivet, Tartuffe, Christelle Simonin, Marianne et Monsieur Loyal ; Voix off, Eddy Letexier ; Scénographie, Guillaume Séverac-Schmitz avec la collaboration de D’ Emmanuelle Clolus ; Lumières, Michel Le Borgne ; Son, Géraldine Belin ; Costumes, Nathalie Trouvé et les ateliers duThéâtredelaCité ; Décors, Michaël Labart dans les ateliers du ThéâtredelaCité ; Production ThéâtredelaCité-CND Toulouse Occitanie, Compagnie (Eudaimonia).
CRITIQUE. Enregistrements. 1 coffret ERATO de 7 CD. Bach, Beethoven, Haydn, Brahms, Bartok, Liszt, Moussorgsky, Rachmaninov, Ravel, etc… NICHOLAS ANGELICH: Piano. Enregistrements live de 1995 à 2019. Coffret ERATO numéro : 5054197676185.
Ce coffret en forme d’hommage permet de compléter la discographie officielle de Nicholas Angelich. Le répertoire en est élargi au-delà de son compositeur de prédilection. Ainsi Brahms dont un magnifique coffret chez Erato permet de déguster la beauté en piano seul et en musique de chambre est-il juste évoqué avec de somptueuses variations sur un thème de Haendel. Bien des œuvres de son répertoire en concert n’ont pas été enregistrées. Il est vrai que l’allure sage et pondérée du grand musicien ne laissait pas deviner une audace aussi incroyable dans ses récitals. La charge émotionnelle de son piano ne se révélait jamais autant qu’en concerts.
Une lumineuse suite anglaise de Bach nous révèle un interprète superbe. Mais ce sont surtout ses variations Goldberg enregistrées au Théâtre des Champs Élysées qui sont remarquables de clarté, d’élégance et d’esprit dansant. Les quelques pages de Liszt qui ouvrent le coffret permettent de confirmer une puissance technique supérieure, un sens du légato royal et une musicalité envoutante. Son Ravel est d’une grande modernité, sculpté au scalpel et rempli d’une poésie de couleurs et de texture envoutante. La musique de chambre est présente avec des artistes exceptionnels comme le quatuor Ébène pour le quintet de Franck ou Martha Argerich dans la sonate pour deux pianos et percussion de Bartok. De grands chefs et orchestres l’accompagnent dans du Rachmaninov. L’Orchestre de Radio France et Myung-Wung Chung dans le Troisième concerto et Tugan Sokhiev et l’Orchestre National du Capitole dans les variations Paganini.
Les choix sont intelligents et rendent compte de la fulgurante carrière qu’il a mené. Les amitiés musicales qu’il à crées sont nombreuses et surtout la spontanéité des applaudissements témoigne du lien indéfectible avec son public. Pour ma part j’ai toujours été sensible en concert à la qualité de sa concentration, son absolu respect des compositeurs et l’intelligence fulgurante de ses propositions interprétatives. Je me souviens bien des concerts avec orchestre et Tugan Sokhiev à Toulouse et de ses récitals Beethoven à La Roque d’Anthéron en 2020. Dans ces divers récitals de ce coffret on retrouve une technique parfaite, un toucher très varié qui peut susurrer un langage perlé comme devenir tonitruant, des couleurs irradiantes et des phrasés subtils. Ce grand musicien, cet ami fidèle, ce professeur admiré, nous manque.
La présence du public est palpable, les audaces que cette complicité lui permettait sont très belles. Ce coffret nous console un peu et nous offre des moments captés à l’éternité. Ce coffret est irremplaçable. Les prises de son sont variées car dans des salles très diverses mais toujours de grande qualité.
Critique. Concert. Toulouse, Halle-aux-grains, le 4 décembre 2023. MARIZA : Fado et cie…
Les grands interprètes ont invité la diva du Fado pour un récital somptueux.
Belle dans sa robe fourreau de paillettes aux couleurs changeante, se déplaçant avec grâce sur toute la scène, bras orants et offrants Mariza à régner sur un public conquis. Au fond de scène, à cour et à jardin cinq musiciens l’accompagnaient. Le fond de scène représentait ses initiales au milieu de fleurs stylisées.
Des lumières de face permettaient de jouer sur la profondeur et parfois d’éblouir le public. Les couleurs changeaient, l’intensité lumineuse variait. Un grand cercle lumineux mettait en valeur corps, visages et mains de la diva. Dans la plénitude de magnificence de sa maturité la femme était solaire ou lunaire, mais toujours rayonnante.
Mariza semble implorer le public, lui offrir son cœur c’est simple et d’une beauté foudroyante. Mariza c’est également une Voix, et quelle voix ! Capable de tonner, d’implorer, de pleurer, de rire même un peu. Une fois elle chante sans micro et sans peine sa voix rempli toute le vaste Halle-aux-Grains. Ses infimes variations de couleurs, ses nuances fulgurantes la font passer du murmure aux cris. Toute la palette d’émotions dont elle est capable sidère. Ainsi cette femme si belle, métis d’une mère du Mozambique et d’un père Portugais a dans son corps tous les rythmes de l’Afrique et de l’Amérique du sud. Elle bouge sensuellement en toute simplicité. Comme un oiseau ses deux bras ouvrent des ailes.
Et sa voix vole dans des styles variés. Bien sûr le Fado domine mais les Îles du Cap verts, l’ Afrique et le Brésil l’inspirent. Et sa longue cantilène A Capella avec des percussions et les battements de mains du public fait revivre une Sybille antique. Voyageant dans les styles, les rythmes et le temps, son chant atteint une plénitude incomparable. Les trois guitaristes, l’accordéon et les percussions sont des compagnons de musique très inspirés. Ces grands musiciens dialoguent avec la chanteuse qui en toute confiance peut se lancer dans des variations magiques. La complicité qu’ils partagent est pleine de chaleur.
Emmaillant ses chansons de paroles en français, en anglais et en portugais sur sa carrière, sa vie, le temps qui passe, Mariza se dévoile fragile et pleine de doutes. Sa seule certitude c’est bien la profondeur de l’amour et dans ses amours, la musique et le public sont au sommet. Mariza envoute son public qui lui fait fête. Les adieux se prolongent avec plusieurs bis. Mariza est une grande artiste qui transcende le Fado, chante la beauté du Portugal et sa langue si chantante. Elle chante aussi le monde, l’Afrique, le Cap Vert et le Brésil. Une grande dame nous accueilli dans son mode de musique et de beauté. Merci belle Mariza !
Critique. Concert.Toulouse. Halle-aux-Grains, le 4 décembre 2023. Fado et musique du monde. MARIZA, voix ; Luis Guerreiro, guitare portugaise ; Phelipe Ferreira, guitare acoustique ; Adriano Alves-Dinga, guitare basse ; Joao Freitas, percussions ; Joao Frade, accordéon. Photos : Hubert Stoecklin le 4 Décembre 2023
Elle sera à Lyon le 11 décembre après elle sera à Lisbonne le 31 décembre et puis recommencera son tour du monde.
CRITIQUE. Concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains le 2 Décembre 2023. SCHOENBERG, STRAUSS ; WAGNER, Orch. Nat. Capitole, R. Capuçon, T. Peltokoski.
Premier concert de Tarmo Peltokoski avec son orchestre du Capitole
Pour ce concert historique des huiles politiques et culturelles étaient dans la salle. Toutes les places avaient été vendues et on a refusé du monde. Tarmo Peltokoski faisait incontestablement l’événement. Ce jeune chef qui dirigera l’orchestre du Capitole dès septembre 2024 en tant que directeur artistique est effectivement un génie de la baguette. Avant de savoir que le destin allait lier ce jeune chef et l’Orchestre de Toulouse j’avais été ébloui en 2022 dans un concert qui peut toujours se regarder sur Medici TV. Aujourd’hui c’est un rêve qui se réalise. Renouveler un coup de foudre entre un chef et l’Orchestre de Toulouse, après la magnifique histoire avec Tugan Sokhiev, était bien improbable. Ce concert a été incroyablement enthousiasmant et a tenu ses promesses . En première partie le chef avant choisi le terrifiant concerto pour violon d’Arnold Schoenberg. Il a d’ailleurs remercié le public dans un français exquis d’avoir écouté ce concerto. Œuvre difficile pour les musiciens comme pour le public, étendard du dodécaphonisme elle se veut sans aucune séduction dans son intransigeance. Renaud Capuçon a été concentré et très solide techniquement. Cette virtuosité inouïe il l’a totalement maitrisée. Très engagé son jeu a été très articulé et précis. Le chef a su garder une tension assez terrifiante tout du long. Seul le second mouvement a permis comme une détente. Très applaudi, Renaud Capuçon a donné en bis une étude sur Daphnée de Richard Strauss. Habile choix qui a permis un lyrisme bien venu après tant de sècheresse et a préparé la suite du concert.
Après l’entracte l’orchestre s’étant élargi, nous avons pu vivre intensément le poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Le début est bien connu et sert d’ouverture dans le film culte, 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick. Je n’ai jamais eu de tels frissons dans cette page grandiose. Ce soir Tarmo Peltokoski obtient des contrebasses un bruissement tellurique impressionnant puis des cuivres une brillance aveuglante. C’est grandiose et également très précis et rigoureux. Le grand crescendo est conduit de main de maitre et l’accord fortissimo qui se termine sur l’orgue est précis, sans déborder comme c’est parfois le cas. Puis la partie de quatuor à cordes chante avec une subtilité incroyable. Il n’est pas nécessaire ensuite de parler de la perfection instrumentale de l’orchestre, chacun joue comme si sa vie en dépendait. Une urgence absolue se dégage de cette interprétation. Tarmo Peltokoski associe un geste fougueux et fédérateur à une précision parfaite. Les nuances sont exacerbées.
Les crescendi nous clouent sur place. Ce qui pourtant est le plus émouvant est cette construction dramatique, cette capacité à raconter la musique. Ce jeune chef a une forme d’intuition qui fait que les musiciens comme le public adhèrent sans discussion à sa vision. Le public déguste la fin subtile et le long silence sur lequel se termine le poème symphonique, avant d’applaudir à tout rompre : Succès total pour l’orchestre et le chef !
En fin de programme l’ouverture des Maitres Chanteur de Wagner nous est offerte avec une lumière qui permet de déguster la riche construction contrapuntique ; c’est limpide et charpenté. C’est allant sans jamais aucune lourdeur, car le tactus est savamment conduit. Les couleurs rutilent et les nuances sont très creusées. L’enthousiasme communicatif du chef envahi le public qui applaudi avec frénésie. Cela confirme une union que l’on devine très intime entre ce jeune chef visionnaire et l’Orchestre du Capitole et le public. De bien beaux moments sont promis aux toulousains ce soir. Medici TV a filmé et diffusé le concert en directe, nous espérons une rediffusion prochaine.
Les années Peltokoski sont attendues avec impatience à Toulouse après ce concert d’une telle intensité !
Hubert Stoecklin
Critique. Concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 2 décembre 2023. Arnold Schoenberg (1874-1951) : Concerto pour violon, op.36 ; Richard Strauss (1846-1949) : Ainsi parlait Zarathoustra, poème symphonique, op. 30 ; Richard Wagner (1813-1883) : les Maîtres chanteurs de Nuremberg, ouverture ; Renaud Capuçon, violon ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Direction, Tarmo Peltokoski. Photos Romain Alcazar et Peter Rigaud ( dans le bandeau)
CRITIQUE. CD WARNER CLASSICS. L.V. BEETHOVEN. NEMANJA RADULOVIC.DOUBLE SENS. Cto Violon. Sonate à Kreutzer.
La générosité de Nemanja Radulovic s’épanouit totalement dans son Beethoven
Il est gonflé Nemanja Radulovic. S’attaquer ainsi au concerto pour violon de Beethoven dont tant de belles versions existent ! N’était-ce-pas un peu vain ? Et de manière iconoclaste réécrire la sonate à Kreutzer pour un orchestre à corde en lieu et place du piano ?
En mettant le CD sur ma platiné j’étais un peu sceptique. J’ai été saisi et conquis.
Son orchestre Double Sens qu’il dirige du violon est simplement magique. D’abord ce qui frappe c’est cet allant, cette énergie indomptable qui s’imposent. Des instrumentistes saisissants de précision et de beauté sonore. Des phrasés d’une grande subtilité et des nuances incroyables. Et le violon de Nemanja Radulovic est bouleversant. Tant de de plénitude sonore, tant de phrasés amples et généreux. Ces nuances infimes, et des fins de phrases mourantes. C’est très personnel et si « beethovénien ».
Passion, larmes, joie passent dans le jeu intense du violoniste. Voilà une très belle version de ce concerto roi. Les dialogues chambristes avec les instruments de l’orchestre sont bouleversants d’amitié perceptible. Une version qui compte parmi celle des plus grands.
Et la surprise des cordes dans la sonate à Kreutzer ! L’abandon du piano !! L’audace repose en fait sur un sens musical absolument génial du jeune violoniste. Cette sonate-combat devient un deuxième concerto avec des moments d’intense douleur et de paix diaphane. Comme si le cadre trop large pour une simple sonate qui avait valu tant de critiques du vivant de Beethoven trouvait le vaste espace nécessaire dans l’adaptation de Nemanja Radulovic. Il y a des choses que je n’avais jamais remarquées, des rythmes que les cordes intensifient, et un coté tzigane quasi délirant.
Ce diable de violoniste poursuit son chemin hors des sentiers battus tout en tutoyant les sommets de la musicalité. Il se range à côté des violonistes historiques les plus extraordinaires dans la discographie pourtant superlative du concerto. Voilà un très grand disque.
Hubert Stoecklin
Critique CD. Nemanja Radulovic et Ensemble Double Sens. Ludwig Van Beethoven (1770 -1827) : Concerto pour violon Op 61 ; Sonate pour violon n°9 “ à Kreutzer », arrangement pour orchestre à cordes de Nemanja Radulovic. CD 5 054 197 743399. Warner Classics. Durée 83’41’. Enregistré en 2023.
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Capitole, le 24 Nov.2023. Moussorgski, Boris Godounov, Py/Poga, Roslavet, Scandiuzzi.
Olivier Py propose une lecture très analytique de Boris.
Boris est un opéra sombre refusant toute séduction au public surtout dans sa partition originale de 1869. Cette version est aujourd’hui bien connue du public. Pour Toulouse, Boris a été donné dans cette version en juin 1998 dans une mise en scène de Nicolas Joël avec Michel Plasson à la baguette. Puis en février 2014 Tugan Sokhiev avait offert une version de concert absolument bouleversante de théâtralité. Mais jamais une version scénique si puissante n’avait été vue in loco. Olivier Py avec un soin méticuleux et une intelligence redoutable nous délivre sa vision. Il s’agit de prendre le plus de recul possible avec la psychologie et de faire des personnages des archétypes. La situation du tyran choisi par son peuple passif et vil n’est pas originale en elle-même. Aussi dès le lever du rideau nous sommes dans un lieu neutre où des mercenaires maltraitent une foule infantilisée. Tous les conflits anciens ou contemporains sont ainsi présents. C’est toujours le peuple qui est nié avant d’être décimé. Ainsi l’avènement de Boris, son couronnement, ses abus de pouvoir, sa peur de la chute arrivent sans surprises. Et dans la fin choisie par Olivier Py nous assistons bien à la mort du tyran et ensuite à l’avènement du suivant : c’est comme une machine infernale qui jamais ne s’arrêtera. Cette vision essentiellement mélancolique va teinter toute la mise en scène. Le décor est gris, les lumières blafardes ou froides.
Les décors, en tous cas vus depuis le parterre, sont écrasants avec de grands murs ou des immeubles immenses qui ferment l’espace. Le peuple rangé dans des cases représente un peu des icônes tout en or. Les costumes sont sombres ou en or, mais toujours symboliques.
Cette absence de nuance est également l’apanage des tyrannies d’état. Cette Russie symbolisée est comme hors sol, elle nous interpelle avec brutalité. Et l’analogie avec les manières de Poutine aujourd’hui n’est même pas voilée. Ainsi on retrouve sur scène l’immense table actuelle du Kremlin et son lustre.
Lorsque sa paranoïa se développe, Boris ira s’y réfugier et montera dans ce lustre vers les cintres comme pour échapper au faux Dimitri aperçu dans son délire. On retrouve toutes les habitudes des tyrans et la plus machiavélique consiste à réécrire l’histoire. Cette question centrale dans le conflit russo-ukrainien est clairement mise en lumière. Jusqu’à la disparition et au meurtre du petit Dimitri qui évoque les enlèvements d’enfants contemporains en Ukraine. Cette subtile mise en abyme est d’une tristesse insondable, elle marque durablement les esprits. C’est intelligent, brillant et sinistre à la fois. Le travail, scénique avec les acteurs est d’une précision chirurgicale, cette perfection donne aussi un caractère glacé, glacial et glaçant. Toute sympathie, tout apitoiement, tout rapprochement sont donc interdits , à l’inverse du travail de mises en scène « classiques » comme avait pu proposer Nicolas Joël en 1998. Dans cette mise en scène si aigue, les chanteurs ne peuvent pas s’épancher, ni nouer de relations entre eux. Chaque stéréotype reste seul. Cette sensation de solitude totale participe au malaise général. Olivier Py a trouvé dans le chef Andris Poga un complice qui va évacuer toute sensibilité dans la partition, tout épanchement, tout lyrisme. La direction d’Andris Poga est froide, tout à fait globale, toujours entière, jamais subtile. La partition est un bloc plein d’aspérités et que rien ne peut entamer.
Les acteurs si précisément corsetés sur le plan scénique et musical ne peuvent exprimer leurs affects. Vocalement Boris ne peut, comme cela est possible aux basses nobles titulaires du rôle, jouer avec son timbre. Les nuances, les rubatos pour exprimer les affres de cette âme tourmentée, complexe et malade sont trop rares.
La voix d’Alexander Roslavets est puissante, plutôt centrale (plus baryton que basse) et sans riches harmoniques graves. Le Pimène de Roberto Scandiuzi est ainsi bien plus charismatique au niveau vocal et son personnage de moine gagne même quelque truculence. Le Faux Dimitri d’Airam Hernandez a vocalement une belle présence et un coté inquiétant qui donne sens aux terreurs de Boris. Cela rend crédible sa prise de pouvoir juste avant le rideau final.
Le seul personnage qui garde une sensibilité et qui transmet une émotion forte au public est l’innocent. Il est le premier personnage vu sur scène et cette présence forte par sa fragilité assumée reste dans les mémoires. La voix de Kristofer Lundin est très expressive et son jeu poétique très émouvant. Tous les autres personnages sont très stéréotypés. Ils en deviennent secondaires, malgré des voix intéressantes pour toutes et tous ; le baryton Mikhail Timoschenko se dégageant le plus avantageusement.
Les chœurs du Capitole chantent fort mais ne touchent pas par manque de nuances et de variété de couleurs. L’assise des basses n’est pas assez solide pour sonner véritablement « russe ».
Au final c’est un sentiment trouble qui gagne. Une sorte d’inéluctable, particulièrement mélancolique, domine la soirée. Si scéniquement c’est un travail saisissant, côté musique nous restons sur notre faim et repensons au Boris en version scénique qui nous avait tant ébloui et touché en 2014 dirigé par Tugan Sokhiev avec la voix d’airain de Feruccio Furnaletto. La partition de Moussorgski y était autrement magnifiée.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, Le 24 Novembre 2023. Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov, version de 1869. Nouvelle production. Mise en scène, Olivier Py ; Collaboration artistique, Daniel Izzo ; Décors et costumes, Pierre-André Weitz ; Lumières, Bertrand Klilly. Distribution : Boris, Alexander Roslavets ; Fédor, Victoire Brunel ; Xénia, Lila Dufy ; La nourrice Svetlana Lifar ; Prince Chouski, Marius Brenciu ; Chtchelkalov, Mikhael Timoshenko ; Pimène, Roberto Scandiuzi ; Grigori/Le faux Dimitri, Airam Hernandez ; Missail, Fabian Hyon ; L’aubergiste,Sarah Laulan ; l’Innocent, Kristofer Lundin ; Chœurs et maitrise du Capitole ( direction : Gabriel Bourgoin) ; Orchestre national du Capitole de Toulouse. Direction, Andris Poga.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 21 novembre 2023. BACH, PYGMALION, PICHON.
Le Bach festif de Raphaël Pichon est un véritable enchantement
Quel bonheur de retrouver Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion. Chaque fois c’est un grand moment de musique et de théâtre. Les Grands Interprètes les invitent presque chaque année avec le même bonheur. Avec Bach c’est comme si Raphaël Pichon renouvelait ses sensationnels premiers concerts qui d’emblée ont eu un succès gigantesque. Les enregistrements des Messes Brèves de Bach ont tout de suite suivi son entré dans la carrière et datent déjà de 2008. La beauté de la fusion chœur et orchestre n’a pas changée. L’énergie jubilatoire reste identique ce qui a grandi c’est la confiance du geste, la largeur du développement des structures qui à présent dépassent l’entendement humain. Son Bach est grandiose, et tutoie le ciel.
Le concert est construit comme un développement dramatique. Après quelques minutes d’intense concentration le chef d’un geste doux et prudent obtient un début A Capella complètement magique. La précision et la douceur de l’attaque de tout le chœur donne le frisson. La conscience que la beauté va nous envelopper nous permet de nous abandonner. Le Motet de Jean Chrétien Bach Mit Weinen het sich’ an, semble à la fois archaïque et regarde vers Mendelssohn. C’est une musique envoutante sans âge. Le chœur est absolument boulversant. Chaque pupitre est d’une homogénéité renversante. Les nuances sont subtiles, les phrasés infinis et les couleurs d’une variété rare. Ce Motet parle des pleurs qui accompagnent l’homme tout au long de sa vie. Puis La cantate de Bach BWV 25 Es ist nichts Gesundes an meinem Leid nous entraine vers la douleur de la contrition. L’impureté de la chaire comme de l’âme de l’homme sont un sujet mis en musique de manière réthorique. Les phrases descendantes, les timbre graves, les trombones et la couleur abyssale du pupitre des basses, tout parle de douleur extrême. Le récitatif du ténor est très dramatique. L’art du ténor Laurence Kilsby est total : Mots percutants, phrasés subtils, voix de lumière. C’est très, très beau. Puis dans son air, la basse de Christian Immler se désole avec un timbre d’une belle profondeur. Le soprano aérien de Maïlys de Villoutreys a une pureté adamantine qui fait merveille dans son air angélique qui porte l’espoir. Le chœur ouvre et ferme la cantate comme un portique gigantesque et terriblement impressionnant. Sans laisser le public applaudir dans un geste d’une implacable continuité Raphaël Pichon entraine toute son équipe dans la si joyeuse cantate BWV 110, Unser Mund sei voll Lachens, le rire propre de l’homme devient celui de la joie de la rédemption promise. La fusion jubilatoire de l’orchestre du chœur et des voix soliste est tout particulièrement réussie. Cette joie communicative gagne tous les musiciens et le public. La grande ouverture à la française avec trompettes et timbales est à la fois grandiose, spectaculaire et souple. C’est le génie de la direction de Raphaël Pichon d’associer ainsi les qualités inattendues que contient la musique de Bach à la fois savante et dansante, profonde et évidente, grande et simple. Le chœur avec des moments solistes enchâssés n’est que jubilation. Les vocalises fusent les nuances sont extrêmes et semblent faciles. Pygmalion est un chœur d’une ductilité totale et d’une souplesse de félins. Chaque entrée permet de déguster des pupitres totalement unis. La beauté du fini vocal est digne de ce qu’a pu obtenir un John Elliot Gardiner avec son Monteverdi Choir, c’est tout dire…. L’air du ténor avec le délicat trio de flutes douces est un pur moment poésie que la voix solaire et tendre de Laurence Kilsby magnifie. Nous découvrons ensuite avec ravissement le timbre de bronze de l’alto Lucille Richardot. Sa voix homogène a un caractère androgyne qui donne beaucoup d’originalité et de grandeur à son chant. La solidité de l’intonation la précision des mots impressionnent grandement ainsi que la souplesse des phrasés. Dans son air à vocalises redoutables Christian Immler fait merveille. La rivalité avec les trompettes est un grand moment festif. La voix d’airain de la basse semble n’avoir aucune limite. C’est un moment grandiose. Enfin après le dernier choral le public peut applaudir et les commentaires vont bon train à l’entracte tant l’impression est favorable et forte.
La deuxième partie sera comme la première construite d’un seul geste dramatique. La cantate BWV 66 Erfreut euch, ihr Herzen n’est qu’une grande jubilation avec éclats de rires. Les violons jouent debout et dans un tempo d’enfer distillent leurs volutes et leurs tourbillons sans efforts apparents. C’est virevoltant et enivrant comme la joie. La présence du pupitre des basses est jouissive et chacun offre sa vision de la joie, instrumentistes comme chanteurs du chœur ou solistes. Raphaël Pichon garde le tempo sans jamais rien lâcher avec toutefois une souplesse remarquable, c’est terriblement efficace. Qui pourrait douter que le chant choral n’est pas un moment de bonheur absolu en assistant à ce moment de musique magnifique ?
La grande cantate Ein feste Bourg ist mein Gott atteindra un sommet. La fugue immense magnifiquement lancé par un pupitre de ténors fulgurant est escaladée avec une facilité virtuose inouïe. Tout est magnifique les mots ne peuvent décrire cette jubilation qui envahit toute la Halle-aux – Grains ! Cette puissance gracieuse est simplement incroyable. Les solistes se surpassent et la splendeur des timbres, la solidité des vocalises, les phrasés subtiles et les couleurs irisées sont de grands chanteurs mais surtout d’immenses musiciens. Tous les instrumentistes sont magnifiques. La viole de gambe dans les accompagnements est d’une souplesse admirable, les trompettes naturelles rivalisent de précision et de beauté. Sans aucune pause après cette presque demi-heure que dure la cantate le chef entraine tout son monde dans le Sanctus de la Messe en si.
Le portique grandiose ouvre le ciel et rien ne semble pouvoir limiter les artistes qui s’abandonnent au geste puissant de Raphaël Pichon lui-même heureux comme un véritable démiurge. La magnificence de cette fusion orchestrale et chorale ne me semble pas avoir d’équivalent aujourd’hui.
Le concert de ce soir nous fait penser que Raphaël Pichon prolonge le geste dramatique que le chef britannique a offert à la musique de Bach avec son Monteverdi choir en élargissant le propos vers encore d’avantage de contrastes entre jubilation et drame. Offrir tant de bonheur au public méritait bien les ovations sans fin faites aux artistes ce soir
Ce concert est un tout totalement admirable qui justifie pleinement de figurer au firmament des évènements des Grands Interprètes.
CRITIQUE CD. Idylle. Lea Dessandre, Thomas Dunford. D’Ambruys, Hahn, Françoise Hardy, Charpentier, Satie, Messager, Lambert, Visée, Le Camus, Debussy, Barbara, Offenbach.Un CD ERATO n° 5054197751462 ; Enregistré en mai 2023. Durée : 64’23’’.
Luxe, calme, volupté : si j’étais plus heureux je mourrai de plaisir
Quel bonheur du début à la fin. La délicate musicalité des deux musiciens fait de ce récital en CD un véritable hommage à la chanson française par-delà les âges et les styles ; Il n’y a là que du beau, du très beau. Bien sur le cœur du répertoire des deux artistes est baroque. De Visée, Lambert, Charpentier, Le Camus. C’est dans ce répertoire que le théorbe de Thomas et le chant subtil de Léa se marient avec une évidence musicale et stylistique toutes deux parfaites. Mais ce pari d’aller vers la mélodie de Reynaldo Hahn ou d’André Messager, vers l’archaïsme reconstruit de Debussy, vers l’opérette d’Offenbach et le charme des chansons de Françoise Hardy et de Barbara est génial. Il n’y vraiment que de la bonne musique défendue avec cette véritable ivresse par nos deux musiciens hyper sensibles. La délicatesse et la puissance du théorbe de Thomas Dunford rencontrent le chant et surtout l’aisance à dire le texte de Léa Dessandre. Car c’est vraiment cette harmonie délicieuse de la musique et du texte qui nous enchante quel que soit le style et l’époque. A chaque nouvelle écoute c’est un air particulier qui semblera le plus beau. Voilà un CD qui s’écoute avec délectation : au-delà du temps seul compte l’idylle, cet amour léger et heureux. Léa et Thomas, comme ils signent leurs intentions dans la pochette, sont des amoureux de la musique et du texte et cela s’entend. Merci à eux deux qui représentent la quintessence de l’harmonie amoureuse en musique. La Gnosienne et la gymnopédie de Satie au théorbe sont à tomber et la Mélisande de Léa presque a capella est magique. Que dire de Barbara et Françoise Hardy qui ne déméritent pas à coté de Lambert et Charpentier…. Vraiment de surprises en surprises ce CD s’écoute avec un véritable bonheur toujours renouvelé.Un enregistrement qui sera également donné en récital en une vaste tournée au-delà de l’Atlantique. Parions une tournée triomphale ! La prise de son met en valeur les doigts d’or de Thomas (quelle subtilité) et toutes les inflexions de la voix de Léa, (des voix devrais-je écrire). Voilà une véritable bombe de bonheur, toute en fleurs et d’intelligence musicale, de quoi oublier notre monde en guerre si bêtement répétitif. Hubert Stoecklin
Critique. Théâtre. ThéâtredelaCité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia].
Guillaume Séverac-Schmitz propose sa deuxième mise en scène shakespearienne. Ce qui frappe dans sa mise en scène c’est la qualité du travail avec les acteurs qui leur permet un jeu très puissant.
Certes le personnage central s’impose indiscutablement et nous détaillerons cet incroyable Richard III. Toutefois les autres personnages ont également une présence inoubliable. Scéniquement la pièce commence avec une adresse au public qui évacue le troisième mur. Durant la pièce la connivence avec le public, ce jeu sur la fiction théâtrale sera merveilleusement utilisé. La nouvelle traduction de Clément Camar intensifie l’implication du public. Pour le couronnement du monstre le public sera invité (une partie du moins) à monter sur scène. Chacun participe ainsi plus ou moins à la naissance du monstre. Le décor est d’une sobriété et d’une simplicité dépouillées.
Tout est symbolique, beau, souvent élégant et peut aussi suggérer l’horreur avec des moyens aussi modestes que puissants. Les lumières sont subtiles et d’une efficacité redoutable. Les costumes sont simples et semblent confortables pour les acteurs sauf pour le triste héros, nous y reviendrons. La modernité de cette pièce saute aux yeux bien souvent. L’utilisation des mensonges et des fausses nouvelles n’a rien à envier aux modernes fake-news. La soif de pouvoir détruit éternellement toute relation humaine normale. Le conflit des générations explose, la misogynie exsude, la terreur de penser gagne, la séduction par la menace fascine, toutes les violences du monde sont là sous nos yeux. Notre monde contemporain ressemble bien à celui mise en scène par Shakespeare dans cette pièce terrible.
Thibault Perrenoud est un Richard III d’une puissance incroyable.
L’acteur très impliqué va façonner son personnage et nous rend complice de sa métamorphose en un monstre repoussant. Avec une justesse déroutante la difformité s’installe au fur et à mesure que la malfaisance de Richard se développe et agit sur la réalité qu’il manipule.
De la manière dont les attributs du handicap l’habillent, Richard met en scène plus qu’il ne la dévoile la noirceur abyssale de son âme. Il annonce son choix de la méchanceté et de faire le mal et pour cela obtient la complicité du public en voyeurs. Corsets, attelles, fauteuil roulant, rien ne manque à sa panoplie.
Sa fin de vie quasi larvaire, coulé au sol, fascine quand on se rappelle le superbe jeune homme qui avait ouvert la pièce. Ce qui frappe est cette incroyable énergie à la fois jubilatoire et totalement destructrice qui habite le jeu de Thibault Perrenoud.
Pourtant il serait injuste de ne pas décrire les interactions très subtiles entre tous les personnages. Le jeu hyper-construit entre eux et avec Richard est remarquable. Ainsi les Reines de toutes les générations et si maltraitées sortent dignes, majestueuses et au final très belles de cette machinerie mortifère.
La puissance de certaines courtes interventions subjugue et prouve qu’il n’y pas de « petits rôles » . Les images des corps qui s’entrechoquent jusque sur des escaliers-chariots, comme supports des marches du pouvoir sont très puissantes. C’est véritablement un travail de troupe totalement convainquant. Même les machinistes peuvent avoir une présence tragique.
On sort de cette pièce comme lessivé. Sa modernité est magnifiée avec une intelligence aussi tragique que jouissive par le travail de troupe de Guillaume Séverac-Schmitz.
Le comique de ce « méchant par choix » ne fait que rajouter à la modernité de cette tragédie. Voici un Grand spectacle total et superbement shakespearien ! Grand succès à la première ce soir. Courrez-y ! Il reste deux soirs à Toulouse puis en tournée.
Critique. Théâtre. Théâtre de la Cité, le 8 Novembre 2023.William Shakespeare : Richard III, tragédie. Traduction et adaptation : Clément Camar-Mercier ; Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz / Compagnie [Eudaimonia] ; Spectacle accompagné par le ThéâtredelaCité ; Avec : Louis Atlan, Martin Campestre, Sébastien Mignard, Guillaume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud, Nicolas Pirson, Julie Recoing, Anne-Laure Tondu et Gonzague Van Bervesselès ; Scénographie : Emmanuel Clolus ; Conseillère artistique : Hortense Girard ; Création son : Géraldine Belin ; Création lumières : Philippe Berthomé ; Création costumes : Emmanuelle Thomas ; Régie générale : Pierre-Yves Chouin ; Régie lumière : Léo Grosperrin ; Cheffe électricienne : Rachel Dufly ; Régie son : Eric Andrieu et Géraldine Belin ; Régie plateau et percussions : Sébastien Mignard ; Construction du décor dans les : Ateliers du ThéâtredelaCité ; Production : [Eudaimonia]. Photo : Erik Damiano.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains, le 27 octobre 2023. Bach, Hummel, Mozart. Orch et Chœurs du Capitole. J. Martineau, T. Koopman.
Un concert jubilatoire
Ce concert évènement à Toulouse a été auréolé de deux soirs successifs. Ton Koopman est un véritable monument musical à lui seul. Claveciniste et chef célébrissime, il a une carrière époustouflante et sa discographie est pléthorique. Il n’avait pas encore dirigé l’orchestre du Capitole ni son chœur.
La joie mutuelle semblait diffuser de part et d‘autre. Disposant des forces musicales comme il le souhaitait Ton Koopman a associé un orchestre de dimension réduite et un chœur au grand complet. Ce choix au départ un peu surprenant a été payant par une montée en puissance émotionnelle assez exceptionnelle. La troisième suite pour orchestre de Bach en ré majeur est brillante et puissamment articulée. Trompettes et timbales donnent toute la majesté attendue dans l’ouverture à la française. La direction de Ton Koopman obtient des musiciens de l’orchestre un jeu souverain, plein de lumières, de couleurs éclatantes et de nuances subtiles. Car ce qui importe avec un chef aussi charismatique c’est bien ce qui se passe dans l’orchestre. Galvanisé par un chef véritablement aux anges, leur interprétation n‘a rien à envier aux ensembles baroques. Tout est magnifiquement réalisé dans une légèreté aérienne. Puis les sublimes suites de danse défilent avec beaucoup de grâce. Les phrasés subtils des cordes apportent beaucoup de mélancolie ou de joie. Voilà un très beau travail d’orchestre.
La venue du mandoliniste Julien Martineau a ravi le public toulousain qui connaît bien cet enfant du pays à la carrière internationale. Le concerto de Hummel est une œuvre pleine de charmes, le chef qui ne la connaissait pas semble la déguster. Le jeu de Julien Martineau est d’une musicalité consommée. Sa virtuosité décoiffe. La capacité du mandoliniste à chanter sur ses cordes pincées est absolument incroyable. Ce délicat concerto est un moment de charme absolument délicieux. Le public ovationne le divin mandoliniste qui donne un bis subtilement nuancé.
Après cette belle lumière de Bach et cette sensualité du concerto l’entracte permet au chœur du Capitole de s’installer pour la pièce maîtresse du concert : le Requiem de Mozart. L’orchestre s’étoffe avec les clarinettes et les cors, les quatre solistes s’installent derrière l’orchestre et devant le chœur. Le chœur du Capitole semble être au complet. L’équilibre est donc en sa faveur. Ton Koopman de sa direction acérée offre une version très contrastée et très dramatique de ce chef d’œuvre si émouvant. Il tire le chœur vers le plus de légèreté et de virtuosité possible. Les tempi vifs ne les mettent pas en difficulté. Le chef obtient de très belles nuances et des phrasés bien découpés. Tous les pupitres sont homogènes, les couleurs des ténors et des altos touchent au sublime. Les basses sont plutôt claires tout en étant bien présentes. Ce sont les soprano (de chœur d’opéra) qui avec une couleur assez corsée n’atteignent pas le chant diaphane et céleste du Voca me du Confutatis. Les quatre solistes ont été parfaits. Ce qui est attendu d’une rencontre entre un orchestre et un chœur symphonique avec un chef baroque si doué, c’est bien qu’il insuffle à tous son esthétique et son style. Cela a parfaitement fonctionné ce soir et le public a semblé enchanté. Une Halle-aux-Grains pleine à craquer deux soirs de suite leur a fait à chaque fois un véritable triomphe.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE. Halle-aux-Grains le 27 octobre 2023. Jean- Sébastien Bach ( 1685-1750) : Suite pour orchestre n°3 en ré majeur, BWV 1068 ; Johann Nepomuk Hummel ( 1778-1837) : concert pour mandoline en sol majeur, S 28 ; Wolfgang Amadeus Mozart ( 1756-1791) : Requiem en ré mineur, KV 626 ; Julien Martineau, mandoline ; Elisabeth Breuer, soprano ; Lara Morger, Mezzo-soprano ; Kieran White, ténor ; Benjamin Appl, baryton ; Chœur de l’opéra national du Capitole , chef de chœur Gabriel Bourgoin ; Orchestre national du Capitole de Toulouse ; Direction , Ton Koopman. Photos : Romain Alcazar.
CRITIQUE.OPÉRA. TOULOUSE. 5 octobre 2023. GEORGE BIZET : LES PECHEUR DE PERLES. Nouvelle production. Victorien VANOOSTEN. Thomas LEBRUN. Anne-Catherine GILLET. Mathias VIDAL. Alexandre DUHAMEL. Orchestre ballet et chœur du Capitole.
OUVERTURE DE SAISON GRANDIOSE À TOULOUSE
Nous les attendions depuis 2020 ces Pêcheurs de Perles de Bizet. Les interdits puis les restrictions sanitaires avaient conduit Christophe Ghristi à monter avec la même distribution un bien agréable Cosi Fan Tutte.
En trois ans les voix des trois chanteurs principaux ont évolué, ainsi le soprano d’Anne-Catherine Gillet est plus corsé ce qui lui permet un troisième acte très dramatique. Elle garde l’aisance suprême dans les vocalises et les suraigus à l’acte un, le lyrisme romantique de l’acte deux lui permet dans des phrasés amples un beau portrait d’amoureuse. Le personnage de Leïla à l’instar de Violetta dans la Traviata de Verdi demande une évolution vocale que peu de cantatrices maitrisent à ce point. Voilà une belle incarnation vocale et scénique pour Anne-Catherine Gillet.
Le baryton Alexandre Duhamel avec une voix sonore et bien timbrée trouve des accents très dramatiques dans l’acte trois. Son air cornélien est absolument superbe et le duo violent qui l’oppose à Leïla trouve avec ces deux interprètes engagés une très belle évolution dramatique. La puissance de la musique de Bizet en est magnifiée.
En Nadir Mathias Vidal n’est pas indigne mais n’est pas à la hauteur de ses collègues. Le chant est soigné, c’est le timbre si clair et qui manque de chaleur qui ne permet pas un bon équilibre avec le Zurga d’Alexandre Duhamel et la chaleur amoureuse ne fonctionne pas suffisamment avec la Leïla si vibrante d’Anne-Catherine Gillet. Ce n’est pas la puissance de la voix qui est en cause car dans les ensembles il est bien présent mais de couleur trop blanche.
Jean-Fernand Seti en Nourabad est parfait d’autorité tant vocale que scénique. Les chœurs très sollicités sont superbes tout du long. Nuance subtiles, couleurs changeantes, le travail avec leur nouveau chef de chœur, Gabriel Bourgoin, est magnifique. Les petits décalages dans le lointain sont de peu d’importance dans une prestation si excellente de bout en bout. L’orchestre du Capitole semble fait pour cette musique tant leur bonheur semble total. Les bois ont des couleurs subtiles, les cordes diaphanes ou puissante sont impeccables, les cuivres colorent sans excès de puissance. La direction de Victorien Vanoosten est souple et puissante. Les tempi allants permettent à l’action dramatique d’avancer. Il sait demander à l’orchestre de belles nuances et obtient des couleurs absolument magiques. Cette belle partition de Bizet prouve, avec ces interprètes si inspirés, toute sa valeur.
Coté visuel les décors d’Antoine Fontaine sont agréables sans véritable originalité ; le bambou est de rigueur, il n’y a pas d’orientalisme pesant non plus. Les lumières de Patrick Meuus transforment agréablement les ambiances mais la lumière sur les héros n’est pas suffisamment précise, ils leur arrivent d’avoir le visage dans le noir pendant qu’ils chantent.
Les costumes de David Belugou sont très lumineux évoquant les soieries aux couleurs éclatantes qui sont celles attendues en Inde ou Ceylan. La mise en scène de Thomas Lebrun est d’un chorégraphe avant tout. Ses danseurs trop présents encombrent la vue des chanteurs et surtout du chœur. Pour sa première grande mise en scène d’opéra il n’a pas su diriger les chanteurs ou créer de scène de foule. Il a préféré la prudence de beaux tableaux statiques hormis les danseurs parfois peu élégants.
CRITIQUE. OPÉRA.TOULOUSE. Théâtre du Capitole, Le 5 octobre 2023. GEORGES BIZET (1838-1875) : les Pêcheurs de Perles. Mise en Scène et Chorégraphie, THOMAS LEBRUN ; Décors, ANTOINE FONTAINE ; Costumes, DAVID BELUGOU ; Lumières, PATRICK MEEUS ; Distribution : ANNE-CATHERINE GILLET, Leïla ; MATHIAS VIDAL, Nadir ; ALEXANDRE DUHAMEL, Zurga ; JEAN-FERNAND SETI, Nourabad ; ORCHESTRE NATIONAL DU CAPITOLE ; Chœur du Capitole (Chef de chœur, GABRIEL BOURGOUIN) ; BALLET DU CAPITOLE (BEATE VOLLACK ; directrice de la danse) ; Direction : VICTORIEN VANOOSTEN.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, Couvent des Jacobins, le 26 septembre 2023. KABELAC, JANACEK, SMETANA, J. BARTOS (piano).
Piano Jacobins a fait découvrir en première audition française un pianiste rare et précieux. Jan Bartos vient offrir au public trois pages majeures de la musique de son pays. Originaire de Prague il propose en début de concert les Huit préludes de Miloslav Kabelac. Ce compositeur inconnu en France a porté haut dans son pays un art musical varié. Symphonies, musique de chambre, musique de piano, musique religieuse il a abordé avec grand succès tous les genres. Ces huit préludes demandent au pianiste des moyens techniques considérables et une grande force expressive. Jan Bartos avec une énergie magnifique en offre une interprétation charpentée et très nuancée. Les couleurs sont vives, les nuances très creusées entre pianissimi diaphanes et fortissimi telluriques. C’est un magnifique piano extraverti et puissant.
Puis avec la sonate 1 X 1905 de Janacek c’est le drame, l’angoisse et la mort qui s’invitent. Jan Bartos avec une concentration extrême offre cette musique comme si sa vie en dépendait. Les prémonitions du premier mouvement avec des couleurs subtilement éclairées distillent une angoisse sourde. Puis le drame de la mort explose et nous terrasse. C’est vraiment avec une force dramatique peu commune que Jan Bartos nous interprète cette sonate ; il y met comme une revendication. L’hommage de Janacek a cet ouvrier, Frantisek Pavlik, jeune victime de la tyrannie d’état, semble vivifié par cet interprète si engagé.
La dernière œuvre au programme, toujours de musique Tchèque détend l’ambiance avec des partitions très subtiles de Smetana. Dreams permet au pianiste d’utiliser des touchers plus subtils avec une grande variété de nuances. C’est vraiment très poétique et très beau.
Ce programme concentré sur la musique Tchèque permet à Jan Bartos de démontrer bien des qualités magnifiques. Cet artiste encore inconnu en France et que sa carrière internationale va conduire aux États-Unis a un nom à retenir. Une telle hauteur de vue, un tel engagement sont des qualités aussi rares que précieuse. Le public applaudit généreusement et obtient un beau bis: un extrait du sentier herbeux de Janacek.
Merci à Catherine d’Argoubet d’avoir fait découvrir Jan Bartos, un artiste considérable, au public de Piano Jacobins.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, 44ème Festival Piano aux Jacobins / Cloître des Jacobins, le 26 septembre 2023. Miloslav Kabelac (1908-1979) : Huits Préludes op.30 ; Leos Janacek (1854-1928) : Sonate 1 X 1905 en mi bémol mineur ; Bedrich Smetana (1824-1884) : Dreams. Jan Bartos, piano.
CRITIQUE, concert, TOULOUSE, Couvent des Jacobins, le 13 septembre 2023. SCHUBERT, A.M. Mc Dermott (piano).
Anne-Marie Mc Dermott la brillante
Et ce concert est déjà le sixième de cette 44e édition de piano Jacobins. L’américaine Anne-Marie Mc Dermott dans un programme tout Schubert avec deux vastes sonates la D 850 et la D960 propose son jeu intense et brillant au public toulousain. Tout dans sa personnalité et son jeu est lumière, ses rythmes sont serrés et les accords répétés prennent un caractère obsédant et parfois violent. Des sortes d’à-coups font avancer d’avantage que des phrasés profonds. C’est un Schubert très « pianistique » qui nous est proposé ce soir. La générosité des sonorités, toujours éclatantes, donne un caractère victorieux aux deux sonates. Les répétitions amplifient le propos. Les nuances sont plutôt forte et les piani rares. Ce jeu très maitrisée et extraverti à la fois donne un coté guindé aux partitions. Point de recherche de caractère populaire aux Ländler, les divines longueurs sont plutôt vivifiées que mélancoliques.
Anne-Marie Mc Dermott ne s’autorise pas de rubato ou de souplesse, elle met beaucoup de rigueur et de poids dans les phrasés. Ce Schubert est particulièrement solide et sonore. Le public a apprécié la vigueur de ce jeu et l’intensité qui s’en dégage. Les applaudissements sont nourris et deux bis sont obtenus. D’abord un extrait vif et brillant d’une suite anglaise de Bach. C’est dans ce répertoire au disque que la réputation de la pianiste américaine s’est assise en 2005. Puis le Lied Wiedmung de Schumann revu par Liszt dans lequel le chant s’efface devant la virtuosité.
En ambassadrice de la brillante école américaine, Anne-Marie Mc Dermott a séduit le public de Piano Jacobins ce soir.
CRITIQUE, concert. TOULOUSE, 44ème Festival Piano aux Jacobins / Cloître des Jacobins, le 13 septembre 2023. Frantz Schubert (1797-1828) Sonates en ré majeur D850 et en si bémol D960. Anne-Marie Mc Dermott, piano. Photos (c) Hubert Stoecklin
CRITIQUE, concert, TOULOUSE, le 6 septembre 2023. Schumann, Liszt, Brahms, Scriabine, G. Gigashvili.
Une ouverture en fanfare !
Pari gagné et c’est un public très nombreux qui est venu fêter l’ouverture des 44 ans de Piano Jacobins. Cette ouverture se fait avec le choix de la grande jeunesse. Car le pianiste géorgien Giorgi Gigashvili n’a que 22ans. Auréolé de nombreux prix il est venu se présenter au public toulousain avec une partie du programme du Concours Géza Anda ou il a été primé ( lien vers Liszt et Brahms) . Le concert a débuté avec Kreisleriana de Schumann, et dès les premières notes se remarquent des contrastes puissamment mis en lumières.
Les moyens pianistiques sont considérables autorisant des nuances très impressionnantes. Les contrastes parfois abrupts donnent beaucoup de vigueur à son Schumann. Puis le mystérieux début de la sonate en si mineur de Liszt est bien rendu et c’est ensuite un piano athlétique et puissant qui se déploie. Les nuances toujours extrêmes sont impressionnantes. La virtuosité est assumée avec panache. Ce piano conquérant est vivifiant et souvent on devine le plaisir qu’a l’interprète dans la modernité de la partition qu’il souligne et met en valeur dès qu’il le peut. C’est très athlétique assurément ! Dans les intermezzi de Brahms, pris dans un tempo allant, le pianiste géorgien ne nous convainc pas vraiment, il manque tout un pan de poésie et de délicatesse de phrasé à ces pages délicates. Le jeu est élégant mais l’interprétation est trop discrète. Pour finir ce programme généreux le jeune musicien choisi une partition spectaculaire de Scriabine. Cette 9ème sonate est assez courte. Elle nous permet de retrouver une virtuosité éclatante qui convient bien aux doigts agiles de Giorgi Gigashvili. A nouveau cette puissance digitale impressionne.
Le public conquis acclame le jeune pianiste et obtient un bis de sa composition sur un thème populaire. Voilà une belle ouverture pour cette 44ème édition de Piano Jacobins. Ce concert évenement a été retransmis par France Musique.
Hubert Stoecklin
CRITIQUE,concert.44ème FESTIVAL PIANO JACOBINS. Cloître des Jacobins, le 6 septembre 2023. Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Sonate pour piano en si mineur S 178 ; Johannes Brahms (1833-1897) : 3 intermezzi op.117 ; Alexandre Scriabine (1871-1915) : Sonate n°9, messe noire op.68 ; Giorgi Gigashvili, piano.