Somptueux hommage à Radu Lupu par Nelson Goerner

CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Récital Nelson GOERNER, piano. CHOPIN.SCHUMANN.

Nelson Goerner le plus grand pianiste-musicien ?

Oui certainement ce soir à La Roque d’Anthéron !

Le programme d’une grande cohérence fait se suivre 4 Ballades de Chopin puis les Études Symphoniques de Schumann. Programme athlétique s’il en est !  Sinon jumeaux de 1810 du moins amis partageant une admiration réciproque, Chopin et Schumann, ont chacun été des compositeurs inoubliables pour le piano. Chopin avec son côté exclusif a écrit des pages parmi les plus géniales pour le piano. Schumann a su ouvrir à d’autres instruments sa muse mais au début de sa vie il s’est tout entier abandonné au piano. Sa folie de l’excès l’a conduit à s’imposer une attelle en cuir et métal en voulant des doigts trop obéissants pour la virtuosité, il en a résulté une blessure digitale définitive qui lui a interdit la carrière de pianiste.

Le piano des Ballades et des Études Symphoniques se ressemblent par une forme d’absolu que partagent leurs compositeurs.

Nelson Goerner 2 © Valentine Chauvin 2022

Les quatre Ballades sont des pièces autonomes, libres et superbement construites dans leurs allures insaisissables. En débutant par celle en sol mineur Nelson Goerner savait que les deux musiciens admiraient cette œuvre, Chopin aurait dit à Schumann que c’était sa composition préférée. Nelson Goerner s’y engage avec toute son âme en faisant presque son propre portrait pianistique : largeur de ton, ampleur des sonorités, couleurs irisées, nuances infinies. Ce piano vit toutes les émotions et la technique sublime se met au service de cette musique sublime. C’est immense ! Quelle puissance digitale !

Nelson Goerner 9 © Valentine Chauvin 2022

Les trois autres Ballades soulignent tel ou tel aspect, développent des directions diverses mais tout était déjà évoqué dans la première ballade. Leur enchainement nous fait vivre un moment qui nous fait perdre le souffle tant la beauté de ce piano nous envoûte et la subtilité du musicien nous fait fondre. Comment ce diable de Nelson, que pourtant je connais bien, arrive-t-il ce soir à gravir encore plus haut l’échelle vers la perfection ? Est-il galvanisé par l’hommage qu’il veut rendre à son ami Radu Lupu ? C’est probable.

Après une courte pause Nelson Goerner va en véritable athlète nous faire entendre les Études Symphoniques de Schumann dans leur intégralité et dans un même geste interprétatif. La musique sublime de Schumann rencontre en Nelson Goerner un interprète idéal. Il a tout, la vaillance et l’héroïsme, la force des forte semblant dévastatrice et la délicatesse des piani est à la limite de l’audible, toujours avec une incroyable richesse en harmoniques. Les couleurs qu’il trouve sur tout l’ambitus du clavier sont ahurissantes. Tant de richesse, tant de puissance et avec cette simplicité, cette évidence… Nelson Goerner a des moyens phénoménaux tant pianistiques que musicaux, il nous offre un programme idéal de beauté interprété dans une dimension apollinienne. Après son concert Nelson Goerner a pu dire quelques mots sur l’hommage qu’il a souhaité rendre à son ami et ce génie du piano. Il a semblé être soulagé, souriant, heureux. Ce bonheur il l’a partagé avec un public enthousiaste applaudissant sans fin qui a obtenu quatre bis inénarrables. Humour, vélocité, sensibilité, puissance, il a tout osé. Jugez : Intermezzo en la majeur de Brahms comme Radu Lupu (à pleurer de tendresse), l’étude le torrent de Chopin (dans un tempo d’enfer), L’andante de la sonate en la majeur de Schubert (dans un toucher exquis) et pour achever la soirée sur un exploit plus fou encore, La Rhapsodie Hongroise N°6 de Liszt dans laquelle semblent se trouver toutes les difficultés inimaginables. Nelson Goerner atteint une plénitude de moyens artistiques qui en font ce soir un Apollon du piano venu apporter par la beauté une consolation aux auditeurs du Parc Florans. Merci !

Hubert Stoecklin

Nelson Goerner 18 © Valentine Chauvin 2022

 CRITIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 13 août 2022. Auditorium du Parc du Château de Florans. Récital de piano de Nelson Goerner en hommage à Radu Lupu. Frédéric CHOPIN (1810-1849) : Ballades n°1 en sol mineur Op.23, n°2 en fa majeur Op.38, n°3 en la bémol majeur Op.47, n°4 en fa mineur Op.52 ; Robert Schumann (1810-1856) : Études Symphoniques Op.13.

Critique rédigée pour Classiquenews.com

Très émouvant hommage à NICHOLAS ANGELICH

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Récital en hommage à NICHOLAS ANGELICH. Gabriele CARCANO. Violaine DEVEBER. Jean-Baptiste FONLUPT. François-Frédéric GUY. Etsuko HIROSE. Marie-Ange NGNUCI. Bruno RIGUTTO.

Le concert des amis de Nicholas      

                            

Soirée très particulière marquée par une émotion forte autant sur scène que dans le public. En tant que témoin critique j’ai fait partie des plus émus. Je ne souhaite donc par rédiger une critique habituelle. Ce soir ce terme est tout à fait inconvenant. Je veux simplement témoigner de ce qui s’est passé sur scène ce soir. Nicholas Angelich est mort le 18 avril 2022 à 51 ans. L’âge de la plénitude artistique où l’équilibre entre force de virtuosité et délicatesse d’interprétation s’épousent pour ne cesser de s’épanouir. Le dernier concert auquel je l’ai entendu m’avait marqué par une sorte de transe dans laquelle je le voyais nous offrir la musique de Beethoven comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Même ses collègues l’avaient félicité pour ce qu’il avait fait d’inouï dans la dernière sonate de Beethoven lors du marathon de l’année 2020 à La Roque. Donc ce concert hommage a eu lieu pour beaucoup là-même où ils avaient entendu Nicholas pour la dernière fois !  Car le grand artiste avait été très rare sur scène ensuite. Il a fallu beaucoup du courage à la jeune Violaine Debever pour débuter ce concert dans cette ambiance si particulière. Scarlatti était un choix idéal. Sans enjeux affectif sa musique pure a permis de débuter ce qui allait être une aventure périlleuse pour les artistes.

Violaine Debever, Hommage À Nicholas Angelich 4 © Valentine Chauvin
Violaine Debever

N’oublions pas que ce qui les lie est cette recherche constante d’équilibre entre perfection instrumentale et émotion partagée. Ce soir les attitudes et les mimiques, le jeu même, étaient souvent significatifs de cet équilibre sur le point de se perdre mais jamais lâché. Quel courage et quelle maîtrise sont les leurs ! La deuxième musicienne courageuse a été Etsuko Hirose. Cheveux cachant son visage au début, elle s’est lancée crânement dans un Brahms au romantisme éperdu. Puis c’est le jeune Gabriele Carcano qui avec un legato suprême chantait Schubert revu par Liszt. La plus vulnérable a certainement été Marie-Ange Nguci qui a joué du Rachmaninov magnifiquement, comme sur un fil, c’était tout à fait bouleversant. Chaque artiste a lutté à sa manière pour accepter cette émotion sans la laisser diriger leur jeu. Ainsi ce qui était particulièrement touchant sont les œuvres interprétées à plusieurs claviers à 2, 3 ou 4 sur un ou deux pianos. Même les plus aguerris comme Bruno Rigutto et François-Frédéric Guy ont d’abord joué à deux pianos. Ainsi Bruno Rigutto a-t-il débuté avec Jean-Baptiste Fontlup dans deux Rachmaninov sensibles et pudiques.

Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlupt, Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin
Bruno Rigutto, Jean Baptiste Fonlup

Bruno Rigutto nous a ensuite émus avec un Nocturne de Chopin en ut mineur avec cette alternance de tension puis de relâchement dont il a le secret. François-Frédéric Guy lui n’a joué qu’en deuxième partie. D’abord avec Marie-Ange Nguci dans un soutien mutuel visible et touchant.

Il faut dire qu’il a eu la merveilleuse idée ensuite de jouer le deuxième mouvement de la sonate Op.111 de Beethoven : celle-là même que Nicholas Angelich avait jouée pour son dernier concert à La Roque ! Très certainement cela aura été très coûteux pour lui et très bouleversant pour nous de l’entndre jouer les même dernières notes que Nicolas Angelich ici même en l’été 2020. Jean-Baptiste Fontlup a proposé « La vallée d’Obermann » de Liszt dans des sonorités riches, des lignes puissamment charpentées et une belle virtuosité. Chacun a donné ce qu’il pouvait faire de mieux en solo en un soir pareil, mais ce sont les ensembles qui ont vraiment montré cette fraternité musicale qui les unit, qui les renforce y compris dans la danse macabre de Saint-Saëns à 4 sur deux pianos !

Gabriele Carcano, Etsuko Hirose, Hommage À Nicholas Angelich © Valentine Chauvin
Gabriele Carcano, Etsuko Hirose

Et quel final ce Rachmaninov à six mains ! Les yeux au ciel, la main tendue vers le ciel en cette nuit de lune, tous saluent à leur manière l’âme musicale de Nicholas, musicien si délicat, prince si aimé et parti trop tôt, avant de devenir roi alors qu’il en avait tous les moyens.  Un bouquet de fleur en fond de scène représentait cette âme musicale de Nicholas Angelich aujourd’hui devenue ange.

Hommage À Nicholas Angelich 1 © Valentine Chauvin

Un lien pour voir et entendre Nicholas Angelich parler de La Roque d’Anthéron

Hommage À Nicholas Angelich 2 © Valentine Chauvin

Hubert Stoecklin

CHRONIQUE, concert. ROQUE D’ANTHERON, le 10 août 2022. Auditorium du Parc. Récital en hommage à Nicholas Angelich. Jean-Baptiste FONLUPT ; Marie-Ange NGNUCI ; François-Frédéric GUY ; Etsuko HIROSE ; Bruno RIGUTTO ; Gabriele CARCANO ; Violaine DEVEBER, piano. Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonate en ré mineur K. 213; Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concerto pour deux pianos en ut majeur BWV1061, 2ème mouvement; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate n°32 en ut mineur opus 111, 2ème mouvement ; Frantz Schubert (1797-1828) : Der Müller und der Bach” extrait de La Belle meunière D. 795, “ Gretchen am Spinnrade”  D. 118; Frédéric Chopin (1810-1849) : Nocturne en ut mineur opus 48 n°1 ; Frantz Liszt (1811-1886) : Vallée d’Obermann, extrait des Années de pèlerinage ;  Johannes Brahms( 1833-1897) : Thème et variations en ré mineur d’après le Sextuor à cordes opus 18, Sonate pour deux pianos en fa mineur opus 34b, 1er mouvement; Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Danse macabre ; Serge Rachmaninov (1873-1943) : Variations sur un thème de Chopin opus 22, Suite n°1 pour deux pianos opus 5 “Fantaisie-tableaux”, 1er et 2ème 3ème et 4ème mvts, Romance en la majeur pour piano à six mains ; Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l’Oye.  Photo : © Valentine Chauvin

Et ici Nicholas Angelich nous console

Le concert parti en fumées….

Critique concert, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022.  Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev

Il paraît impossible de rendre compte de l’effet produit par cette superbe interprétation de la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Ce fut un évènement planétaire.

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Tugan Sokhiev © Marc Brenner

Tugan Sokhiev a dirigé magistralement une partition titanesque en rendant évidentes bien de ses subtilités, jusque dans les sentiments contradictoires qu’elle produit. La beauté sonore des instrumentistes de l’Orchestre National du Capitole, a été somptueuse et les nombreux moments solistes ont été galvanisés. Les timbres des cuivres ont été comme chauffés à blanc, les violons dans le final ont été épais comme des glaces semblant éternelles, la chaleur des alti et des violoncelles a été réconfortante, la puissance des contrebasses hors des habitudes, mais surtout c’est la délicatesse des bois et des harpes qui a porté haut l’émotion… on reste éperdus de reconnaissance devant la qualité purement instrumentale de chacun. Mais cela n’est que peu de choses, car l’essentiel se situe ailleurs.

Cette interprétation superlative nous permet sans ambiguïté de comprendre la philosophie du chef et de ses musiciens, celle-là même du compositeur audacieux alors aux mains des bourreau bolcheviques. C’est l’intime de l’horreur, voire de la haine de la guerre, associé à l’admiration pour la résistance et l’enthousiasme des humains en situation extrême. Justement ce qui se passait à Leningrad sous les attaques nazies comme aujourd’hui à Kiev assiégée par l’armée Russe en masse. C’est un moment d’une rare ambivalence et incroyablement puissant de sentir combien la musique apolitique et messagère de paix peut le faire avec cette acuité en ces temps troublés par la guerre.

Malaise envoûtant de la Symphonie Leningrad

Un malaise viscéral profond, allié à la jouissance d’une beauté sonore totalisante, naît de la direction absolument fantastique de Tugan Sokhiev. Haine de la guerre et Amour des hommes. L’Amour de la vie simple est évoqué lors des réminiscences des bonheurs d’autrefois si délicats (flûtes et picolo, harpes, hautbois et cor anglais, violon solo !). C’est chaque fois à faire pleurer des pierres. Impossible de sortir indemne d’un tel concert à la puissance émotionnelle dévastatrice. Oui, l’homme est vraiment capable du meilleur comme du pire et cela a été le cas à Saint-Pétersbourg, devenue Leningrad, durant plus des 900 jours de siège nazi où 1 800 000 personnes périrent. C’est comparable à ce qui se passe ces jours-ci à Kiev, ville jumelée de Toulouse.,. Que d’énergies dans cette partition ! Quelle puissance dans ce long crescendo qui de la simple et sublime caisse claire en sa solitude existentielle arrive avec toute la détermination de la Force de la Vie à entrainer tout un orchestre, et ce soir il n’y avait pas loin de 140 instrumentistes sur scène ! Certes cette partition composée et donnée en 1941 durant le siège, et qui fut envoyée de suite par microfilms à Toscanini aux USA, est symbole de résistance au nazisme. Peut-on oublier que la folie des hommes, l’amour de certains pour la guerre, l’aveuglement d’un grand nombre qui donne le pouvoir à ceux qui haïssent la vie, peut nous reconduire à nouveau en un tel enfer ? De tels moments de désespoirs, tant de morts de faim et de froid, sont-ils indispensables afin que naisse un chef d’œuvre aussi puissant ? Le prix n’est-il pas trop lourd ? C’est entre bien d’autres, la question, quasi insondable, qui naît à l’écoute de l’interprétation si fulgurante de cette septième symphonie de Chostakovitch à Toulouse, pendant que Kiev plie sous les bombes russes.

Orchestre National Du Capitole Tugan Sokiev Baiba Skride 699x1024

Le peuple ukrainien par la voix de son président a adressé de chaleureux remerciements aux toulousains en début de semaine. Puis dans un communiqué commun entre la mairie de Toulouse et celle de Kiev, il a été précisé combien un tel concert permet de sceller des liens forts entre les deux villes comme entre les deux pays et entre toutes les forces de démocraties européennes face à la tyrannie poutinienne. Il a été levé un malentendu en disant clairement qu’ils appréciaient qu’un chef russe aussi talentueux que Tugan Sokhiev dirige la symphonie de l’héroïsme des peuples et se sont félicités de la diffusion du concert sur le réseau internet. Ainsi la planète entière a pu recevoir ce message de paix par la musique et de valorisation de la force des peuples pour conserver leur liberté. Il a également été dit combien ce sont les peuples qui souffrent mais pas eux qui décident la guerre. Que rien ne séparerait les peuples amoureux de la musique comme la France, l’Ukraine et la Russie. Que ce concert est un symbole fort d’union et non de ségrégation entre les peuples. Que la Musique est art de Paix totale.

Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022.  Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.

Las, las ce compte rendu est un rêve éveillé. Le concert de la symphonie Leningrad de Chostakovitch a eu lieu en 2017 et devait se dérouler ce 18 mars 2022. Le danger existe pour ceux qui prennent position rien qu’en nommant la guerre en Ukraine. Les choses n’ont pas changé et le danger de s‘exprimer en Russie est grand sous l’ère poutine comme au temps des purges staliniennes.

Comme ce rêve était beau cependant et le souvenir de cette interprétation merveilleuse de 2017 laisse supposer ce que Tugan et ses musiciens toulousains auraient pu en faire dans ce contexte si douloureux !  Certainement encore d’avantage qu’en 2017…. L’habileté de l’équipe Vidéo du Capitole (qui a tant progressé durant le Covid) aurait su faire un « Live » historique…

Cette chronique reprend celle faite en 2017 (presque prémonitoire !) avec l’ajout de la fausse conférence de presse ukraino-toulousaine écrite en s’inspirant de ce que pourrait être l’actualité.

D’abord je vous offre un peu de fiction poétique en forme d’humoresque avec cette fake-chronique …

Et n’hésitez pas à regarder la vidéo de 2017. Au disque je suis un inconditionnel de la version de Rostropovitch à la tête de l’Orchestre de National de Washington. Un Russe expatrié, ami de Chostakovitch, dirigeant un orchestre américain ! Quand je vous dis que la musique est art de paix dépassant les  nationalités.

Hubert Stoecklin

Entre la vie et la mort : l’Opéra ! Hommage à Mady Mesplé.

COMPTE-RENDU, Concert. TOULOUSE. THEATRE DU CAPITOLE. Le 25/06/2020. F. POULENC. G. FAURE. R. STRAUSS. R. WAGNER. A. CONSTANT. C. HUNOLD. C. LABORIE. S. KOCH. S. DEGOUT. CHOEUR DU CAPITOLE. A. CAIANI.

 

Entre la vie et la mort tout pour la MUSIQUE

Nous étions nombreux à ne plus croire à la réouverture du Capitole avant l’automne en pleurnichant tout bas. La peur de la mort a mis à bas trois productions attendues et de nombreux concerts et ballets. Une saison amputée de son tiers c’est tout à fait incroyable. Exit Platée, Jenufa et Mephistofele ! Un élan brisé ! Des carrières entre parenthèses, des artistes remerciés, des vies vouées à leur art mises au placard ! Et tout ceci par la peur de la mort tapie dans l’air que nous respirons et qui nous a tenus confinés plus de deux mois.

C’est la mort qui finalement a ouvert le Théâtre et de la manière la plus naturelle qui soit. Remercions Chrispohe Ghristi d’être si humain et si habile à déjouer le sort. Une figure Toulousaine tutélaire est morte et rien de plus évident que de lui rendre hommage. S’agissant de Mady Mesplé, quoi de plus naturel que le Théâtre du Capitole lui rende hommage. Mady Mesplé y est née plusieurs fois. Enfant comme spectatrice enthousiaste. Comme pianiste répétitrice ensuite, comme star lyrique suraigüe lors d’une carrière internationale qui la vit rester fidèle à la ville rose qu’elle chérissait et enfin comme dame retirée qui venait aussi souvent que possible comme spectatrice passionnée tant à l’opéra qu’au concert.

Dans des conditions « respectant les normes sanitaires », grâce à la patience des placeurs et des ouvreuses, très lentement le Capitole a bruit de conversations plus sages qu’à l’accoutumée.  Chacun était assez ému pour déguster l’étrangeté de cette soirée. Tous masqués, avec une place vide à son coté, le public avait conscience d’être très privilégié. Les chanteurs ne pouvaient pas non plus cacher leur émotion et leur plaisir d’être là. Et la superbe acoustique du Théâtre de vibrer merveilleusement ! Concert hommage à la voix, à l’émotion, au Théâtre et à la MUSIQUE !

Très bien construit ce programme nous a fait progresser vers le sublime pas à pas. Anaïs Constans, jeune soprano Toulousaine a gardé quelque chose de la timidité de la jeunesse qui crée une émotion délicate. La voix charnue et plus large se déploie avec facilité et la diction est précise.

Stéphane Degout de sa voix chaude et avec générosité a interprété avec émotion et tact les quatre mélodies de cet Horizon Chimérique de Fauré. Noblesse et humour tour à tour présents dans une splendeur de son de chaque instant. Très ému il n’a pas  voulu cacher son large sourire preuve de son bonheur à chanter pour un vrai public.

Le théâtre a fait son entrée avec les larges extraits de la fin du prologue d’Ariadne auf Naxos de Strauss. Avec quelques mouvements, des regards et un déplacement de fauteuil, Sophie Koch a créé un espace scénique crédible, Céline Laborie sachant avec finesse répondre à ses propositions de jeu. Et que dire des voix splendides, larges et ductiles. Si le confinement a eu du bon pour Sophie Koch, c’est de permettre à sa voix si riche de se reposer après la magnifique Kundry in loco en février. Un métal poli aux reflets sombres pour Sophie Koch et de l’argent scintillant pour Céline Laborie. Sophie Koch qui campe Le Compositeur sur les plus grandes scènes prend sous son aile la toute jeune Céline Laborie qui a tout de Zerbinetta. Et le piano de Miles Clery-Fox est tout à fait orchestral et fait de vif argent.  Un vrai bonheur d’opéra recréé pour nous.

Il était bienvenu de repartir vers plus de calme avec la délicate interprétation du Nocturne n°4 « Bal Fantôme » de Poulenc. Christophe Larrieu a trouvé le ton juste entre mélancolie et rêve.

C’est la voix puissante de Catherine Hunold qui nous a ensuite entrainés vers la transfiguration d’Isolde. Certes le piano est un peu mince par rapport à un grand orchestre mais Robert Gonella grand connaisseur des voix et du répertoire a su faire resplendir l’orchestre de Wagner. Catherine Hunold d’une voix d’airain a su nous entraîner loin.

Ainsi c’est le délicat Requiem de Fauré qui a été le moment le plus inoubliable. Le chœur invisible, distanciation oblige, était…. au Paradis ! C’est ainsi que se nomme le dernier cercle avant le plafond. Les voix y montent avec facilité et c’est souvent là que l’acoustique est la plus belle. Ce soir les voix sont descendues du ciel et le résultat a été magique. Tant de beauté et d’émotion tombant du ciel est un cadeau. La magie aurait été totale si la scène où se tenaient les solistes et la pianiste avait également été plongée dans la pénombre…. En l’état la surprise de cette acoustique autrement parfaite, les nuances subtilement perçues et la puissance par moment, tout a été très émouvant. Les solistes : Anaïs Constant et Stéphane Degout ont été au même niveau de beauté et d’émotion dans de très belles nuances. Le Requiem de Fauré a été une fin de concert-hommage de la plus belle musicalité. Car c’est cela qui rassemble autours de Mady Mesplé : elle était musicienne en tout, et sa grande culture musicale lui faisait aimer toutes les partitions. Et quoi de plus gracieux pour l’évoquer au Paradis que le « In Paradisium » qui clôt si magistralement ce Requiem si subtil.

Merci aux forces capitolines pour ce concert avant le long été de fermeture. Vivement la rentrée. Jamais je ne l’aurai attendue dans une telle urgence !

Hubert Stoecklin

Compte rendu concert. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 25 juin 2020. Hommage à MADY MESPLE (1931-2020) ; Gabriel Fauré (1877-1962) : L’horizon Chimérique ; Requiem ; Francis Poulenc (1899-1963) : Montparnasse ; Métamorphoses ; Nocturne n°4 en ut mineur « Bal fantôme » ; Richard Strauss (1864-1949) : Ariade auf Naxos, prologue : duo Compositeur/Zerbinetta, air du Compositeur.  Richard Wagner (1813-1883) : Mort d’Isolde ; Anaïs Constans, Catherine Hunold, Céline Laborie, sopranos ; Sophie Koch, mezzo-soprano ; Stéphane Degout, baryton ; Nino Pavlenichvili, Robert Gonella, Christophe Larrieu, Miles Clery-Fox, piano ; Chœur du Capitole ; Alfonso Caiani, direction.

CELIBIDACHE : The Munich Years chez Warner Classics

Compte-rendu Coffret de CD. Sergiu CELIBIDACHE (1912-1996) : The Munich Years. Enregistrements Live de 1979 à 1996 sauf CD 49 de 1948.Enregistrements Stéréo sauf CD 49. Coffret Warner Classics 019029558154.Compilation de 2018. Münchner Philharmoniker, solistes nombreux; Sergiu Celibidache, direction.

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CELIBIDACHE le musicien philosophe irremplaçable !

Ce coffret est un véritable événement pour plusieurs raisons.

Le chef roumain Sergiu Celibidache est rarissime au disque. De son fait principalement car il a toujours refusé d’enregistrer alors que les majors vivaient leur époque la plus florissante. En effet seule la musique en concert l’intéressait. Pour lui la musique n’existait que dans l’instant de sa création, en fonction du lieu, des musiciens et du public présent. Heureusement après une période nomade des plus riches mais sans témoignages enregistrés officiellement, en dehors des concerts radiodiffusés, il a su s’attacher à l’orchestre Philharmonique de Munich : le Münchner Philharmoniker. En collaboration avec la Radio bavaroise tous les concerts , ou presque, ont été enregistrés de 1979 à 1996. Sage philosophe pratiquant le Zen, le respect était au centre de l’éthique du chef. Ainsi durant les 17 ans de leur collaboration l’humanité de leurs échanges et la rigueur du travail toujours approfondi et les longes répétitions partagées ont offert au public munichois des concerts inoubliables. Le legg a été validé par les héritiers et ce coffret très soigneusement organisé et présenté avec soin est ainsi offert à la postérité.

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Au travers du parcours d’écoute de ce fascinant coffret, au delà de la caricature des tempi lents, une sorte d’évidence s’impose. Il y a quelque chose d’organique, voir d’océanique dans la direction de Celibidache. Très régulièrement des vagues se lèvent du fond de l’orchestre et toujours respirent amplement. La relative lenteur permet une écoute comme libérée d’une urgence hystérique qu’une certaine tradition héritée de Karajan a valorisé. Ici c’est la direction de la musique, le parcours qu’elle prend, l’endroit ou elle va, qui guident notre oreille, avec des phrasés amples et généreux et ainsi nait une écoute renouvelée. Mais l’humour n’est pas absent, ainsi l’ouverture de la Chauve Souris pour nous en persuader, avec son basson goguenard… et son rubato…

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Une autre constance est la perfection des sonorités et des nuances qu’il obtient de son orchestre. Le Münchner Philharmoniker était déjà merveilleux lorsqu’il en a pris la tête mais qui il ne va cesser de progresser au point de devenir l’un des tous meilleurs du monde. Mais sans cette sorte de couleur ripolinée des grands orchestres enregistrés, ou ces nuances gonflées par les techniciens. Tous les concerts enregistrés ici sont fascinants, parfois inoubliables, nous en détaillerons certains. Le naturel qui diffuse à l’écoute est très particulier. La respiration de la direction rencontre l’air libre de la prise de son. Le répertoire est centré par la musique symphonique germanique, car c’est l’ ici et maintenant du chef munichois. Tout Bruckner mais également tous les extraits symphoniques de Wagner avec un sens du phrasé, des nuances et des silences absolument prodigieux. De son passage à l’Orchestre National de France il reste Ravel, Debussy, Roussel et Milhaud dans des interprétations incroyablement belles. Les compositeurs Russes sont aussi explorés avec bonheur. Ainsi Tchaïkovski avec émotion, fermeté et sans pathos excessif, Chostakovitch moderne et hyper coloré. Mais le cœur du corpus est donc germanique avec une admiration au père fondateur Beethoven. Ce sont les symphonies de Bruckner qui sont la spécialité de Celibidache là ou sa musicalité et sa philosophie se rencontrent au point d’offrir des interprétations quasi hypnotiques. Emi avait déjà diffusé certaines symphonies. Elle sont toutes dans ce coffret sauf les deux premières. Avec la 3 ème Messe de Bruckner et son Te Deum nous tenons là, la première raison qui fait de ce coffret un absolu. Impossible de ne pas écouter ces concerts historiques avec reconnaissance. Mais d’autres moments inoubliables nous attendent.

Les classiques Mozart et Haydn sont interprétés avec un grand sérieux et une pondération mettant particulièrement en lumière la perfection formelle. Beethoven est magnifié rythmiquement et nuancé avec art. Nous préférons les 3,5,6 et 9. Les trois Symphonies de Schumann sont admirables. Brahms avec majesté et une splendeur formelle est phrasé avec magnificence. Schubert est aussi splendidement romantique. Le Scheherazade de Rimsky-Korsakov donne toute ses lettres de noblesses et un final cosmique inouï à une partition trop souvent galvaudée dans ses effets faciles. Le répertoire choral est abordé avec respect et majesté. Si la Messe en si de Bach est discutable son credo nous entraine entre terre et cosmos et il ne peut laisser indifférent. Le Requiem de Verdi est fascinant par certains partis pris, le Requiem de Mozart surnaturel, avec des découvertes dans l’orchestration tout à fait prodigieuses, mais c’est le Requiem de Brahms qui atteint des sommets avec une Margaret Price idéale. Le Requiem de Fauré convainc par une inhabituelle grandeur et aucune autre soprano que Margaret Price ne pouvait habiter jusqu’au fond les immenses phrases du tempo large du Pie Jesu. Son souffle immense, la richesse de son timbre et les nuances incroyables font de ce moment soliste du Requiem de Faure un des moments de grâce absolue de la musique. Il n’est pas possible de détailler d’avantage un tel coffret, je pense que les amateurs de musique seront sensibles à cette vision si noble du chef Roumain, qui au delà des modes a su diffuser sa pensée musicale à des sommets géniaux qui sont très nombreux dans ce magnifique coffret.

La prise de son est très naturelle, une très belle stéréo aérée. Le public, un peu enrhumé parfois, est très chaleureux dans les applaudissements laissés comme pour rappeler que ce sont avant tout des concerts et non des enregistrements. Celi,c’est le surnom donné au chef par certains musiciens et ses intimes, reste présent avec sa spiritualité profonde pour l’éternité grâce à ce coffret dont la dimension historique est incontestable et fascinante.
Enfin un large public pourra apprécier tout ce que ce chef si singulier a apporté à la musique en concert.

Sergiu


Hubert Stoecklin