CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 12 jan 2023. OFFENBACH : La Vie Parisienne. Orch Nat Cap / R Dumas.
Quelle énergie dans cette Vie Parisienne !
Proposée en concert, il n’était pas évident que cette opérette dans une version de plus de trois heures ravisse le public. Et pourtant le succès a été total. Cette longue version remonte aux sources de la création. Le Palazzetto Bru-Zane a financé ce travail éditorial qui réintègre nombreux airs et moments vocaux plus exigeants voir virtuoses qu’Offenbach avait biffés trouvant une distribution plus théâtrale que lyrique lors de la création. Cette version de 1866 n’a donc jamais été entendue par Offenbach et il ne l’a pas validée. Cela correspond à sa composition musicale « pure » sans les modifications d’homme de théâtre qui l’ont conduit au succès que l’on sait. C’est donc un plaisir de musiciens et effectivement certains rôles deviennent plus importants. Le grand gain est de faire de Gabrielle la prima donna assoluta. Le rôle gagne en airs nouveaux mais surtout il a la responsabilité de lancer de nombreux ensembles dont l’inénarrable couplet de la Bouillabaisse. C’est bien la qualité de jeux des chanteurs, leurs mimiques, leurs fragiles accessoires qui ont conduit le public à l’extase. Vocalement toute la distribution est admirable mais surtout l’inventivité musicale et le panache vocal sont augmentés par un engagement théâtral exceptionnel. Ce concert était enregistré pour illustrer la version éditée par le Palazzetto Bru-Zane ainsi chaque chanteur était cantonné à sa place devant son micro ! Leur mérite de faire vivre leur personnage était donc immense et sera je pense perceptible dans l’enregistrement. Le jeune chef Romain Dumas a beaucoup d’énergie et anime toute cette intrigue tarabiscotée avec du panache et de l’humour. Les tempi sont vifs et les enchaînements très vivants.
L’Orchestre du Capitole mange du pain béni et fait feu de toute sa musicalité, sa virtuosité et son humour. C’est véritablement jubilatoire. Le chœur du Capitole débute avec une entrée spectaculaire qui demande beaucoup de concentration entre les nombreux sous-groupes. Ce n’est que petit à petit que la tension baisse et que leur amusement devient partagé.
La distribution est de haut vol. Les hommes d’abord puisque ce sont eux qui entrent en scène en premier. En Bobinet, Marc Mauillon est absolument irrésistible et c’est dommage que le rôle ne nous permette pas de l’entendre davantage. Ses mimiques sont drolatiques et la voix superbement conduite. Son compère plus favorisé dans la partition est Artavazd Sargsyan en Gardefeu. Tout aussi impliqué que Bobinet , il a un humour plus subtil et vocalement les exigences du rôle lui permettent de belles démonstrations de virtuosité. Jérôme Boutillier est un Baron truculent, ridicule et pourtant touchant avec une voix très spectaculaire. Sa Baronne est très assortie vocalement avec la même splendeur sonore et scéniquement un jeu en demi-teinte permet d’apprécier un personnage plus subtil qu’habituellement. En Baronne Sandrine Buendia a un grand talent scénique.
Véronique Gens en Métella promène son élégance lasse ; très concentrée sur sa partie vocale elle maintient son timbre et maîtrise son vibrato grâce à une concentration sans faille. Plus de théâtre lui aurait permis une meilleure intégration car elle a semblé toujours un peu « lointaine ». La grande diva est donc sans contestation Anne-Catherine Gillet en Gabrielle la gantière, une artiste aussi superbe que virtuose. Une énergie qui semble illimitée, des changements de costumes à vue, des sourires charmeurs : son jeu est sensationnel. D’autant je vous le rappelle que cela se passe sur moins d’un mètre carré ! La voix est d’une beauté délicieuse, ronde, irisée de couleurs fleuries avec des aigus cristallins et une homogénéité de tessiture très agréable. Son aisance avec le texte dans une diction parfaite fait également le charme de son personnage. Et son humour est tout à fait jubilatoire.
Pierre Derhet joue plusieurs rôles. Son Frick est spectaculaire mais son Brésilien ne l’est pas moins, il rend sa voix presque méconnaissable. C’est vraiment bleuffant ! Marie Gautrot est une Madame de Quimper-Karadec de haute tenue. Voix large et prestance scénique imposante. Elle joue son texte avec beaucoup d’aisance. Les autres dames créent une énergie d’ensemble assez remarquable, jeu collectif et rares moments de mise en valeur. C’est également cet esprit collectif qui conduit aux meilleures réussites chez Offenbach. Donc félicitons Elena Galitskaja en Pauline véritable rouée coquine, Louise Pingeot en Clara, Marie Kalinine en Bertha et Caroline Meng en Dame de Folle-Verdure déjantée. Philippe Estéphe en Urbain et Alfred et Carl Ghazarossian complètent avec humour l’équipe gagnante. Ce concert de trois heures-vingt comportait un court entracte. Il me sembla passer très vite grâce à la présence vivifiante des artistes.
Ne doutons pas qu’au disque cette version ravira la première place tenue pour l’heure par la version de Michel Plasson chez EMI avec une distribution incroyable dont LA METELLA de Régine Crespin et Mady Mesplé en Gabrielle pyrotechnique. L’art de Michel Plasson demeure irremplaçable dans ce répertoire…
En Choisissant Toulouse pour son enregistrement, le Palazzetto Bru-Zane permet un challenge en toute amitié, non sans un certain humour.
Hubert Stoecklin
Critique. Opéra. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 12 janvier 2023. Jacques Offenbach (1819-1880) : La Vie Parisienne opéra bouffe en cinq actes (version de 1866). Version de concert. Avec : Anne-Catherine Gillet, Gabrielle ; Artavazd Sargsyan, Gardefeu ; Marc Mauillon, Bobinet ; Jérôme Boutillier, Le baron ; Sandrine Buendia, la baronne ; Véronique Gens, Métella ; Pierre Derhet, Le Brésilien, Frick, Gontran ; Elena Galitskaja, Pauline ; Marie Gautrot, Mme De Quimper-Karadec ; Louise Pingeot, Clara ; Marie Kalinine, Bertha ; Caroline Meng Mme de Folle-Verdure. Philippe Estèphe, Urbain, Alfred ; Carl Ghazarossian, Joseph, Alphonse, Prosper ; Chœur du Capitole (chef de chœur Gabriel Bourgoin) ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Romain Dumas.
Crédit photo : Romain Alcaraz